Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté son licenciement de la Commission canadienne du lait (CCL) - elle y travaillait comme gestionnaire de la vérification et réalisait des évaluations dans le cadre du Programme de permis des classes spéciales de lait (PPCSL) de la CCL - elle s’est mise à avoir des préoccupations concernant la vérification d’une entreprise, jugeant qu’elle était inhabituelle et motivée par de la discrimination - elle a affirmé qu’un commentaire discriminatoire avait été formulé lors d’une réunion par un gestionnaire de la CCL, et que le président de la CCL avait approuvé le commentaire - l’employeur a nié que ce commentaire avait été formulé et, selon la preuve, le président de la CCL n’a pas participé à la réunion durant laquelle ce commentaire aurait été formulé - la fonctionnaire s'estimant lésée était également préoccupée par le fait qu’une entreprise rivale était à l’origine de la vérification parce qu’elle cherchait à obtenir un avantage concurrentiel en dénonçant ses concurrents à la CCL - la fonctionnaire s'estimant lésée a téléphoné au président de l’entreprise visée par la vérification et l’a conseillé sur la façon de faire stagner une réclamation de la CCL, lui a conseillé de présenter une demande d’accès à l’information et lui a divulgué des conseils que l’avocat de la CCL avait prodigués à cette dernière - elle a soutenu qu’elle cherchait à gagner du temps pendant qu’elle essayait de corriger la situation - après son licenciement, elle a de nouveau appelé le président de l’entreprise pour lui faire part de ses sentiments concernant le rôle qu’il a joué dans son licenciement - elle a agi ainsi dans l’espoir de parvenir à tourner la page - l’arbitre de grief a modifié les noms des personnes et des entreprises visées par une vérification ou associées à une vérification afin de préserver leur anonymat et ainsi protéger leur réputation et leurs intérêts commerciaux - les mesures de protection de la confidentialité étaient appropriées, car aucune d’entre elles n’a témoigné et que le fait de préciser leurs noms n’aurait apporté aucun avantage et aurait même pu porter préjudice aux intérêts à long terme de la CCL en ce qui a trait à la promotion de ses programmes et à la volonté de ses clients de collaborer avec ses vérificateurs - la fonctionnaire s’estimant lésée a reconnu avoir fait l’appel téléphonique et que, ce faisant, elle avait mal agi et avait causé du tort à la CCL, et elle s’en est excusée - l’arbitre de grief a soutenu que son congédiement était approprié dans les circonstances - ses actions ont enfreint le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, le Code d’éthique et de comportement professionnel de la CCL (à la rédaction duquel elle a contribué) et les règles de déontologie émanant de ses ordres professionnels - elle devait respecter des normes rigoureuses d’éthique, elle occupait un poste de nature délicate et elle jouissait d’une grande autonomie - elle s’est placée en position de conflit d’intérêts - ses actions étaient préméditées - même si des commentaires racistes avaient été formulés, ils n’auraient pas justifié ses actions - la fonctionnaire s’estimant lésée n’a assumé la responsabilité de ses actions que lorsqu’elle y a été confrontée - les circonstances atténuantes ne l’emportaient pas sur la nature de la conduite de la fonctionnaire s’estimant lésée - le fait qu’elle n’avait pas même essayé de discuter de ses préoccupations avec la CCL et le fait qu’elle avait téléphoné au président de l’autre entreprise à la suite de son licenciement appuient la conclusion de l’employeur que le lien de confiance a été rompu. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-10-17
  • Dossier:  566-02-5549
  • Référence:  2012 CRTFP 113

Devant un arbitre de grief


ENTRE

INDIRA GANGASINGH

fonctionnaire s’estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Commission canadienne du lait)

défendeur

Répertorié
Gangasingh c. Commission canadienne du lait

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Sean Bawden, avocat

Pour l'employeur:
Christine Langill, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 27 février au 2 mars 2012,
et arguments écrits datés des 7 et 8 mars et du 12 octobre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le 8 mars 2011, Indira Gangasingh, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a présenté un grief contestant la décision de son employeur, la Commission canadienne du lait (la CCL, ou l’« employeur »), de la licencier. La convention collective pertinente est celle conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») à l’égard du groupe Services des programmes et de l’administration, échéant le 20 juin 2011.

II. Résumé de la preuve

2 Les parties ont conjointement déposé en preuve un cartable contenant 17 documents (pièce E-3); l’employeur a en plus déposé en preuve un cartable contenant 20 documents (pièce E-1). Par ailleurs, les parties ont aussi soumis un énoncé conjoint des faits, lequel se lit comme suit :

[Traduction]

Énoncé conjoint des faits

[…]

  1. Au moment de son licenciement en juin 2010, la fonctionnaire, Indira Gangasingh, occupait un poste de gestionnaire de la vérification (AS-07) à la Commission canadienne du lait (CCL).
  2. Dans le cadre de ses fonctions, Mme Gangasingh effectuait la vérification d’entreprises dans le cadre du Programme de permis des classes spéciales de lait établi sous l’égide de la CCL.
  3. La société [A] était l’une des entreprises faisant l’objet d’une vérification. M. [B] est le président de [A]
  4. À un certain moment entre le 19 et le 30 avril 2010, Mme Gangasingh a téléphoné à M. [B]. La transcription de cette conversation est jointe au présent énoncé (annexe A). Mme Gangasingh a eu l’occasion d’examiner la transcription en question et convient qu’elle constitue un compte rendu fidèle de la teneur de la conversation téléphonique qu’elle a eue avec M. [B] entre le 19 et le 30 avril 2010, hormis les erreurs d’orthographe (par exemple, une erreur dans la graphie de l’acronyme « AIPRP »). Les parties ne se sont pas entendues sur la question de savoir s’il y avait eu d’autres conversations téléphoniques entre Mme Gangasingh et M. [B].
  5. Une enquête au sujet de cette conversation téléphonique a été effectuée par le cabinet Ernst & Young.
  6. Mme Gangasingh a été suspendue de ses fonctions, sans traitement, à compter du 29 juin 2010.
  7. Le 15 juillet 2010, elle a présenté un grief contestant sa suspension; l’audience de son grief a eu lieu le 27 juillet 2010.
  8. Le grief a été rejeté au premier palier de la procédure, le 5 août 2010.
  9. Le cabinet Ernst & Young a déposé son rapport d’enquête le 8 novembre 2010.
  10. Dans une lettre datée du 3 mars 2011, Mme Gangasingh a été licenciée, avec effet rétroactif au 29 juin 2010.
  11. Le 8 mars 2011, Mme Gangasingh a présenté un grief contestant son licenciement.
  12. Le 1er juin 2011, elle a présenté son grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.
  13. Le 16 juin 2011, son grief est rejeté au dernier palier.
  14. Le 24 juin 2011, le grief est renvoyé à l’arbitrage.

[…]

3 Les affaires instruites par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), comme celles dont ses arbitres de grief sont saisis, le sont conformément au principe de la transparence judiciaire décrit dans la Politique sur la transparence et la protection de la vie privée établie par la Commission. Cette politique prévoit notamment que, dans certaines circonstances, il est justifié de limiter le concept de transparence afin de protéger la vie privée des individus, qu’il s’agisse d’une partie ou d’un témoin. En l’espèce, la preuve est notamment constituée d’allégations visant des individus ou des entreprises faisant l’objet d’une vérification par la CCL ou ayant un lien avec les vérifications menées par la CCL relativement à la présente affaire. Aucun de ces individus ni aucun représentant de ces entreprises n’ont comparu devant moi. Aussi, afin d’éviter de causer quelque préjudice à la réputation ou aux intérêts commerciaux de ces individus ou de ces entreprises pouvant éventuellement découler des allégations dont il est fait état dans la présente décision, et en conformité avec les critères élaborés par la Cour suprême du Canada et connus sous le vocable de critère Dagenais/Mentuck, je suis d’avis qu’il y a lieu de prévoir des mesures de protection de la vie privée dans la présente affaire. Je me suis donc assuré de rendre anonymes les noms des individus et des entreprises en cause. De plus, le fait de ne pas rendre anonymes les noms des tierces parties n’ajouterait rien au bien-fondé de la présente décision, mais cela pourrait par ailleurs porter préjudice aux intérêts à long terme de la CCL, notamment sur le plan de la promotion de ses programmes et de la disposition de ses clients à coopérer avec ses vérificateurs.

4 La transcription de la conversation téléphonique dont il est fait état au paragraphe 4 de l’énoncé conjoint des faits ainsi qu’un disque compact contenant l’enregistrement de cette conversation ont été versés au dossier de la Commission.

5 Une ordonnance d’exclusion des témoins a également été demandée et accordée. 

6 La lettre de licenciement de la fonctionnaire, datée du 3 mars 2011 et signée par John Core, chef de la direction de la CCL à l’époque (pièce E-3, onglet 13), se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Comme vous le savez, l’enquête effectuée par Ernst & Young au sujet d’allégations selon lesquelles vous auriez conseillé un client de la Commission canadienne du lait (CCL) sur les moyens d’éviter ou de retarder une demande de remboursement de la part de CCL envers ce client est maintenant terminée. L’enquête a révélé que les allégations à votre égard étaient fondées. En particulier, l’enquête a permis de confirmer que vous avez conseillé un client du Programme de permis des classes spéciales de lait de la CCL sur les moyens de retarder l’envoi d’une demande de remboursement de la part de CCL à la suite d’une vérification de conformité, lui conseillant notamment de présenter une demande d’accès à l’information afin d’accaparer les ressources de la CCL et en lui communiquant la teneur d’un avis juridique fourni à la CCL par son conseiller juridique.

À la lumière de ce constat, il est mis fin à votre emploi auprès de la CCL en raison de votre inconduite, conformément aux dispositions de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques. Votre licenciement prend effet à la date à laquelle vous avez été suspendue de vos fonctions, soit le 29 juin 2010.

Avant d’arriver à la décision de vous licencier, j’ai attentivement étudié vos antécédents professionnels auprès de la CCL, l’ensemble de la preuve y compris la transcription de votre conversation téléphonique avec le client de la CCL visé, le rapport d’enquête fourni par Ernst & Young daté du 8 novembre 2010, la transcription de votre entretien avec Ernst & Young le 8 octobre 2010, ainsi que la communication remise par votre avocat, Me Sean Bawden, à l’enquêteur du cabinet Ernst & Young, M. Greg McEvoy, datée du 7 octobre 2010, et j’ai conclu que vos actions constituent une inconduite intentionnelle et préméditée, et sont parmi les manquements les plus graves aux normes de conduite régissant une relation d’emploi, quelle qu’elle soit. Vos actions ont rompu le lien de confiance essentiel entre un employeur et son employé. De plus, vous vous êtes également placée en position de conflit d’intérêts et vous avez manqué à votre obligation de loyauté envers la CCL, en violation du « Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ».

[…]

7 L’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, se lit comme suit :

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

[…]

c) établir des normes de discipline et prescrire des mesures disciplinaires, y compris le licenciement, la suspension, la rétrogradation à un poste situé dans une échelle de traitement comportant un plafond inférieur et les sanctions pécuniaires […]

 […]

8 Dans son exposé introductif, l’avocat de la fonctionnaire a affirmé que la fonctionnaire avait reconnu les actes pour lesquels elle avait été licenciée et qu’une mesure disciplinaire s’imposait effectivement. Toutefois, son avocat a fait valoir que le licenciement constituait une sanction trop sévère dans les circonstances, l’employeur ayant omis de tenir compte du contexte dans lequel les actions de la fonctionnaire s’inscrivaient.

A. Pour l’employeur

1. Témoignage de John Core

9 À l’époque pertinente, M. Core occupait depuis environ neuf ans déjà le poste de chef de la direction de la CCL. Il a depuis quitté ce poste. Il avait auparavant été président de l’organisme Dairy Farmers of Ontario et aussi de l’organisme Producteurs laitiers du Canada.

10 M. Core a expliqué que la CCL est chargée d’encadrer tout ce qui a trait à l’établissement des prix, la coordination des politiques et la commercialisation pour l’ensemble du secteur laitier au Canada. Le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire est le ministre responsable de la CCL. M. Core a précisé que la CCL chapeaute le Comité canadien de gestion des approvisionnements de lait (CCGAL), un organisme national chargé du ’développement des politiques et servant de forum de discussion pour les secteurs de la production et de la transformation des produits laitiers. Le CCGAL se réunit une fois par trimestre; il est composé de représentants issus des organismes du secteur laitier de chaque province. Comme ’indiqué à la pièce E-1, onglet 7, le Programme de permis des classes spéciales de lait (PPCSL), dont il est fait mention dans la lettre de licenciement, a été instauré par le CCGAL, lequel a mandaté la CCL afin que celle-ci se charge des modalités administratives établies en marge du programme. L’objectif du programme est énoncé comme suit dans la pièce précitée :

[…]

L’objectif principal du PPCSL consiste à fournir aux transformateurs secondaires, aux fabricants d’aliments pour animaux et aux distributeurs admissibles, les moyens de se procurer des ingrédients laitiers fabriqués au Canada, à des prix leur permettant de demeurer concurrentiels sur le marché […]

[…]

11Dans le but de promouvoir l’utilisation de produits laitiers fabriqués au Canada, les transformateurs secondaires qui détiennent un permis des classes spéciales du lait ont le droit de se procurer des produits laitiers fabriqués au Canada à un prix réduit, afin de les utiliser dans la transformation de leurs propres produits. La CCL assure la surveillance de l’utilisation du lait à ces fins en établissant des ententes contractuelles avec les titulaires de permis, stipulant notamment les exigences en matière de vérification dans le cadre du programme. À titre d’illustration, il est énoncé ce qui suit à l’article 4 de l’entente conclue entre la CCL et la société A, un transformateur secondaire (pièce E-1, onglet 8) :

[Traduction]

[…]

Afin de satisfaire aux exigences prescrites par la CCL relativement à la vérification dans le cadre du Programme, le transformateur secondaire s’engage à respecter les conditions suivantes :

4.1 Tenir des comptes  et les factures s’y rapportant ou tout autre document pertinent ayant trait aux transactions effectuées relativement à des classes spéciales de lait pendant une période d’au moins trois ans, en plus des états financiers de la société, et fournir une copie de ces documents à la section de la vérification de la CCL, si demande lui en est faite.

[…]

4.3 Tenir des registres appropriés permettant d’étayer l’utilisation qui est faite des ingrédients laitiers, notamment les recettes des produits finis et/ou la nomenclature, les registres des stocks des produits finis et des matières premières (les ingrédients laitiers), les sommaires des ventes et les factures s’y rapportant et/ou les registres de production.

4.4 Se soumettre à des vérifications périodiques effectuées dans le cadre du Programme par des inspecteurs désignés en vertu de la Loi sur la Commission canadienne du lait.

4.5 Dans l’éventualité où le transformateur secondaire utiliserait un permis en règle afin de se procurer des ingrédients laitiers destinés à être utilisés pour une activité qui n’est pas autorisée dans le cadre des  conditions afférentes à la délivrance dudit permis, le transformateur secondaire s’engage à rembourser à la CCL la différence entre le prix exigé sur le marché national canadien et le prix exigé relativement à la classe spéciale de lait dont il s’agit […].

[…]

12Le paragraphe 3.1 de l’entente précitée énonce les exigences en matière de présentation de rapports; ce paragraphe est libellé comme suit :

[Traduction]

3.1 Le transformateur secondaire est tenu de respecter rigoureusement les modalités relatives à la production des rapports se rapportant au permis des classes spéciales de lait; ces modalités seront communiquées par la CCL au moment de la délivrance du permis. La CCL se réserve le droit de suspendre ou d’annuler un permis des classes spéciales de lait en cas de non-respect des modalités relatives à la production des rapports.

13Il est précisé à l’article 4 du [traduction] « Guide d’information pour transformateurs secondaires », à l’annexe A de l’entente précitée, les diverses conditions d’admissibilité au PPCSL, dont celles-ci :

[Traduction]

[…]

4.1 Le produit de transformation secondaire doit être un produit fini destiné à la vente aux détaillants, services alimentaires et/ou restaurants.

4.2 Les produits laitiers ou ingrédients achetés sur un Permis en vertu du PPCSL doivent seulement être utilisés dans la fabrication d’un produit de transformation secondaire approuvé et ne doivent pas être revendus.

[…]

14M. Core a indiqué que la première étape du processus de vérification dans le cadre de la surveillance du PPCSL consistait à effectuer le rapprochement des données, afin de vérifier si la quantité des ingrédients laitiers achetés par le transformateur secondaire correspond à la quantité de produits transformés. Si le rapprochement révèle des écarts, le dossier est transmis à la section de la vérification de la CCL, qui procèdera à une vérification au bureau de la société en cause ou entreprendra une vérification sur les lieux de production de l’entreprise, selon le cas. Il arrive aussi que certaines entreprises soient ciblées aux fins d’une vérification à la suite d’une analyse du risque.

15M. Core a souligné l’importance de telles vérifications. Étant donné que le titulaire de permis des classes spéciales de lait a le droit d’acheter des ingrédients laitiers auprès des producteurs laitiers à un prix réduit, si les ingrédients ainsi achetés étaient plutôt redirigés vers le marché au détail sans faire l’objet d’une transformation secondaire, cela représenterait un gain financier pour le transformateur secondaire mais une perte pour le producteur. Il est donc essentiel que le PPCSL soit utilisé aux seules fins auxquelles il est destiné. M. Core a précisé que les vérificateurs de la CCL doivent faire preuve d’un degré élevé de fiabilité et d’intégrité, comme l’exigent leur formation et leurs titres professionnels.

16M. Core a indiqué que la fonctionnaire était chargée de procéder à la vérification de la société A. Il précise que cette entreprise ne communiquait pas toute la documentation requise par le personnel du service de la vérification en ce qui avait trait aux transactions effectuées en lien avec le permis des classes spéciales de lait détenu par cette entreprise. La vérification a alors été élargie pour englober la société C, une société liée à la société A, laquelle achetait des produits de la société A et vendait le même produit que cette dernière, soit le rasmalai, un produit de confiserie indien. Dans une lettre adressée à M. B, datée du 9 mars 2010 (pièce E-1, onglet 10), M. Core a demandé qu’on lui communique le registre des ventes des sociétés A et C, l’avisant en outre que la CCL entendait communiquer avec les clients des deux sociétés afin de valider les transactions. Dans la lettre, il était précisé que M. B avait acquiescé verbalement à cette façon de procéder, et que la CCL cherchait à obtenir une confirmation écrite à cet effet. Il était également précisé dans la lettre qu’à défaut de fournir la documentation demandée, la CCL lui enverrait une demande de remboursement au montant de 193 581,47 $.

17Le 24 mars 2010, M. Core a reçu une lettre de l’avocat de la société A (pièce E-2), dans laquelle il semble soulever certains obstacles à la demande formulée par la CCL pour la communication de la documentation requise. M. Core a ainsi relevé un extrait de cette lettre, où il est proposé qu’au lieu que la CCL communique directement avec les clients des sociétés A et C, la société A demanderait plutôt à la société C de s’adresser elle-même à ses clients afin de valider la documentation requise par la CCL.

18En réponse, dans une lettre datée du 19 avril 2010 (pièce E-1, onglet 11), M. Core propose que la confirmation des factures des clients des deux sociétés soit plutôt effectuée par un cabinet de vérification indépendant. M. Core a affirmé que, malgré le caractère inusité de cette façon de procéder, la CCL voulait s’assurer que le dossier progresse diligemment.

19Dans une lettre datée du 10 mai 2010 (pièce E-1, onglet 13), l’avocat de la société A a répondu à la proposition de M. Core. Il y prétend entre autres que le principal concurrent de la société A, la société D, était à l’origine de la vérification entreprise à l’égard de la société A, et qu’elle avait accès à des renseignements confidentiels en possession de la CCL au sujet de la société A. L’avocat prétend également que sa cliente, la société A, craignait qu’un tiers vérificateur indépendant puisse communiquer des renseignements au sujet de la société A à la société D. Il précise également qu’il comptait déposer une demande d’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) au sujet de la procédure de vérification de la CCL. M. Core a indiqué qu’il était quelque peu préoccupé par le ton de la lettre.

20Dans une lettre envoyée à la société A, datée du 27 mai 2010 et signée par Mark Lalonde, chef du programme de marketing à la CCL (pièce E-1, onglet 14), la CCL présente à la société A deux demandes de remboursement formant un total de 193 581,52 $. Dans une lettre datée du 3 juin 2010 adressée à M. Core (pièce E-1, onglet 15), l’avocat de la société A affirme avoir en mains des informations que la CCL aurait intérêt à considérer et qui constitueraient les fondements d’une poursuite éventuelle contre la CCL. M. Core a affirmé qu’il n’avait alors aucune idée de la teneur des informations évoquées dans cette lettre. Les parties ont finalement convenu de tenir une conférence téléphonique à ce sujet. La conférence téléphonique a eu lieu le 21 juin 2010. M. Core, Robert Hansis, directeur de la vérification à la CCL, ainsi que le conseiller juridique de la CCL ont participé à cette conférence téléphonique pour le compte de l’employeur. M. B et son avocat y ont également pris part. À cette occasion, M. B et son avocat ont tous les deux rejeté la proposition de la CCL de désigner un vérificateur indépendant. En conséquence, dans une lettre datée de la journée même (pièce E-1, onglet 16), l’avocat de la CCL a avisé l’avocat de M. B que l’entente contractuelle conclue entre la CCL et la société A était résiliée et que le permis des classes spéciales de lait de la société A était annulé, avec effet immédiat. Peu après, la société A a accepté la proposition d’une vérification indépendante. M. Core a indiqué que la société A avait alors fourni la documentation requise et que le différend avait par la suite été réglé.

21M. Core a précisé que, durant la conférence téléphonique, l’avocat de M. B a fait savoir qu’ils étaient en possession d’une transcription d’une conversation téléphonique avec M. B à la suite d’un appel émanant d’une personne travaillant à la CCL. M. Core a appris par la suite que la personne en question était la fonctionnaire en cause dans la présente affaire. Une copie de la transcription a été communiquée à la CCL (pièce E-3, onglet 7), en plus d’un disque compact contenant l’enregistrement de la conversation (pièce E-4). On a fait écouter le disque lors du témoignage de M. Core. M. Core a témoigné qu’à la lecture de la transcription et après avoir écouté l’enregistrement de la conversation, il avait été bouleversé d’apprendre qu’une vérificatrice de la CCL avait communiqué avec un client visé par une vérification et l’avait conseillé sur la façon de retarder le processus de vérification et de faire’ une demande d’AIPRP, et qu’elle lui ait divulgué des renseignements confidentiels émanant du conseiller juridique de la CCL. Comme il est indiqué au paragraphe 4 de l’énoncé conjoint des faits, la conversation téléphonique a eu lieu à un certain moment entre le 19 avril et le 30 avril 2010.  

22M. Core a alors fait ressortir plusieurs ressemblances entre la teneur de la transcription de la conversation téléphonique et le contenu de la lettre émanant de l’avocat de la société A adressée à la CCL en date du 10 mai 2010, afin de démontrer que M. B avait effectivement relayé à ses avocats les conseils donnés par la fonctionnaire.

23M. Core a affirmé que cet appel téléphonique de la part de la fonctionnaire avait gravement entaché la crédibilité de la CCL ainsi que la confiance à l’égard de ses vérificateurs. Il a souligné que la CCL s’était taillé une réputation enviable fondée sur l’intégrité, le respect de la confidentialité et le traitement équitable de sa clientèle. Il ne sait pas ce que M. B aurait pu raconter à d’autres personnes au sujet de l’appel téléphonique qu’il avait reçu de la fonctionnaire. M. Core a précisé que cette dernière ne l’avait pas informé de cet appel avant qu’il n’en soit mis au courant par les avocats. M. Core a ajouté qu’avant ces événements, ses rapports avaient toujours été cordiaux et amicaux avec la fonctionnaire et qu’il respectait jusqu’alors ses aptitudes à titre de vérificatrice. 

24M. Core a affirmé qu’il pratiquait la politique de la porte ouverte et que si un vérificateur avait des interrogations au sujet d’un mandat de vérification, il s’attendait à ce que celui-ci en discute avec son supérieur immédiat ou directement avec lui. Si le vérificateur souhaitait exprimer ses préoccupations à l’extérieur de la CCL, il pouvait s’adresser au personnel ’de la divulgation externe à sa disposition, de même qu’aux cadres supérieurs de la CCL, avec lesquels la fonctionnaire avait d’ailleurs établi des rapports professionnels de longue date. En se reportant à l’organigramme de la CCL (pièce E-6), M. Core a désigné notamment Gilles Froment, directeur principal, Politiques et affaires corporatives, et Ceserea Novielli, conseillère en ressources humaines de la CCL, lesquels relevaient tous deux de lui. M. Core a également mentionné Gaëtan Paquette, directeur principal, Finances et opérations, responsable du PPCSL.

25Le 29 juin 2010, M. Core a rencontré la fonctionnaire et lui a remis une copie de la transcription et le disque compact contenant l’enregistrement de sa conversation téléphonique avec M. B. Dans une lettre datée du même jour, M. Core a suspendu sans solde la fonctionnaire pour une période indéfinie, en attendant les conclusions d’une ’enquête sur cette affaire (pièce E-3, onglet 11). Dans une lettre datée du 13 août 2010 (pièce E-3, onglet 12), M. Core a avisé la fonctionnaire que sa suspension pour une période indéfinie était prolongée, et lui a fait part de certains détails au sujet de la progression de l’enquête, laquelle était menée par le cabinet Ernst & Young. Dans cette lettre, M. Core mentionne en outre ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je tiens à vous aviser que jusqu’à présent, le déroulement de l’enquête n’a pas permis de révéler de nouveaux éléments d’information qui m’auraient amené à revoir ma décision de vous imposer une suspension administrative sans solde pendant la durée de l’enquête. J’ai réfléchi aux autres possibilités d’emploi pour vous au sein de la Commission canadienne du lait (CCL); toutefois, en raison de la nature des allégations et de la taille relativement petite de la CCL, je ne vois aucune possibilité présentement de vous affecter à d’autres fonctions en attendant les conclusions de l’enquête. Soyez cependant assurée qu’à mesure que l’enquête progresse, je vais à nouveau évaluer ma décision à votre égard. 

[…]

26M. Core a affirmé que sa disposition à avoir confiance en la fonctionnaire avait été fortement ébranlée. Il a souligné qu’en raison du fait que la CCL ne comptait qu’un effectif de 62 personnes, il lui était impossible de réaffecter un cadre principal comme la fonctionnaire en l’instance à un autre poste au sein de l’organisme.

27La fonctionnaire a rencontré les enquêteurs le 8 octobre 2010, en présence de son avocat, et a fait une déposition (pièce E-3, onglet 9). Ernst & Young a communiqué à la CCL son rapport d’enquête le 8 novembre 2010 (pièce E-3, onglet 8).

28M. Core a affirmé que l’employeur avait mis fin à l’emploi de la fonctionnaire pour les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. Lorsqu’il a été appelé à commenter la mention suivante qui y figure, à savoir [traduction] « […] vos actions constituent une inconduite intentionnelle et préméditée […] », M. Core a expliqué qu’il estimait que les actions de la fonctionnaire avaient été préméditées puisqu’elle avait été l’instigatrice de l’appel fait à M. B. Il a indiqué qu’il considérait sa conduite comme étant intentionnelle, car elle rompait ainsi le lien de confiance existant entre un employeur et son employé. 

29M. Core a ensuite été appelé à commenter une section de la transcription de la déposition de la fonctionnaire faite aux enquêteurs dans laquelle elle fait état de remarques désobligeantes à caractère raciste qui auraient été faites à l’égard de personnes issues de son groupe ethnique, des commentaires que M. Hansis aurait prétendument formulés dans le cadre d’une réunion des cadres supérieurs de la CCL et dont il aurait fait part à l’occasion d’une réunion de l’équipe de vérification de la CCL à laquelle assistait la fonctionnaire. Cette section de la transcription fait état d’une affirmation qu’aurait faite M. Hansis selon laquelle le président de la CCL avait signalé son approbation lorsque ces remarques désobligeantes ont été formulées. M. Core a témoigné que le président de la CCL n’assistait pas aux réunions des cadres supérieurs de la CCL. Il a précisé que seul lui-même, M. Paquette, M. Froment, M. Hansis et Danie Cousineau, secrétaire de la CCL, participaient à ces réunions. M. Core a ajouté qu’il avait assisté à toutes les réunions des cadres supérieurs de la CCL et qu’il ne se souvenait pas d’avoir entendu quelque remarque désobligeante à caractère raciste alléguée par la fonctionnaire.

30En réponse à une question de l’avocate de l’employeur, à savoir si la fonctionnaire avait soulevé la question des commentaires à caractère raciste auparavant, M. Core a répondu qu’elle n’avait jamais mentionné cette question avant de recevoir’ la lettre de suspension pour une durée indéfinie. Il a précisé que lorsqu’il lui a remis cette lettre, elle a fait une allusion similaire à ce qui est écrit dans la transcription de sa déposition. M. Core a observé que si quelque employé de la CCL avait quelque doléance à faire au sujet d’une question de racisme, il s’attendait à ce que l’employé vienne lui en parler. Si toutefois l’employé n’était pas à l’aise pour procéder ainsi, il pouvait toujours recourir, par l’entremise du service des Ressources humaines, au mécanisme de divulgation interne mis en place par Agriculture Canada.

31M. Core a également été appelé à commenter un courriel daté du 15 avril 2011 envoyé par la fonctionnaire à son représentant syndical (pièce E-1, onglet 19), dont une copie conforme avait également été transmise à M. Core, qui dit en partie :

[Traduction]

[…]

Puisque John Core est celui qui prend la décision sans appel au sujet du grief présenté contre lui, rien ne changera. Je devrai donc poursuivre au civil. Je vais alors poursuivre la CCL pour renvoi injustifié, ainsi que John Core et Cesarea Novielli personnellement en raison de leur participation personnelle dans cette affaire. 

[…]

32M. Core a affirmé qu’il était renversé d’apprendre qu’il serait poursuivi pour son rôle dans ce dossier. Il a consulté des avocats à ce sujet, mais aucune poursuite n’a été intentée contre lui.

33M. Core a identifié une note de service qu’il avait fait parvenir à tous les employés le 9 décembre 2003, les invitant à assister à une présentation portant sur le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, à laquelle une copie de la présentation est jointe (pièce E-1, onglet 3).

34Lors de son contre-interrogatoire, M. Core a affirmé qu’au cours des neuf années qu’il a œuvré au sein de la CCL, il n’avait jamais eu quelque réserve que ce soit quant à l’intégrité et la fiabilité de la fonctionnaire. Il avait été surpris à la lecture de la transcription et à l’écoute de l’enregistrement. Il a reconnu qu’il n’y avait par ailleurs aucune indication que la fonctionnaire ait reçu des pots-de-vin ou sollicité des avantages auprès de la société A.

35M. Core a souligné que la CCL se targuait de sa bonne réputation et de la perception que l’on en avait. Il a précisé que les titulaires de permis des classes spéciales de lait étaient légalement tenus, en vertu des ententes contractuelles, de respecter le mécanisme de vérification établi à cet égard. Il a mentionné que la CCL s’efforçait de s’assurer que les renseignements en sa possession justifiaient les demandes de remboursement qu’elle émettait à la suite d’une vérification. Les rapports de vérification de la CCL ne sont pas accessibles au public, et on ne fait aucune mention d’une entreprise nommément. Lorsque la version définitive d’une demande de remboursement est émise à l’intention d’un titulaire de permis, cela est fait en ayant l’assurance de la part des vérificateurs que la demande de remboursement est bien fondée, sous réserve de la réception par les vérificateurs d’un complément d’information. M. Core a affirmé qu’il n’était pas impliqué dans la sélection des entreprises devant faire l’objet d’une vérification. Il a précisé qu’il pouvait s’agir tantôt d’une vérification de conformité, tantôt d’une vérification aléatoire, ou tantôt d’une vérification à la suite d’une analyse du risque. M. Core a souligné que la CCL avait l’obligation d’agir de bonne foi avec les titulaires de permis et devait présumer qu’ils se conforment effectivement aux conditions rattachées à leur permis. Il a aussi précisé qu’une vérification avait essentiellement pour but de vérifier si les ingrédients laitiers que se procure un titulaire de permis à un prix réduit sont effectivement utilisés dans la fabrication de ses produits.

36À la question à savoir à quel endroit dans la description d’emploi d’un gestionnaire de la vérification (pièce E-1, onglet 18) il est énoncé que ses fonctions consistent notamment à déceler de la fraude, M. Core a répondu que cet élément faisait partie de l’activité visant à assurer la conformité. Il a précisé à cet égard que si, dans le cadre d’une vérification, il était découvert qu’un titulaire de permis des classes spéciales de lait ne se conformait pas aux conditions liées à son permis, une des causes pouvant expliquer cette situation pouvait effectivement être de la fraude, et il s’attendrait à ce que les vérificateurs poussent plus loin leur examen, le cas échéant. À la question de savoir pourquoi la société A avait fait l’objet de deux vérifications au cours d’un même exercice financier, M. Core a répondu que, tout en n’étant pas personnellement au courant des détails du dossier à cet égard, il se pouvait qu’il se soit agi d’une vérification au bureau puis d’une vérification sur les lieux de la société.

37Lorsqu’il a été questionné sur sa demande de confirmation écrite du consentement de la CCL et de la société A à une’ vérification par une tierce partie, telle qu’énoncée dans la lettre de M. Core datée du 9 mars 2010 (pièce E-1, onglet 10), M. Core a répondu qu’il n’avait jamais reçu une telle confirmation.

38M. Core a affirmé qu’il était au courant du montant total réclamé à la société A, mais non de sa ventilation détaillée. Rien ne lui permettait de croire par ailleurs que la demande de remboursement n’était pas justifiée. Après que son permis des classes spéciales de lait a été suspendu, la société A avait coopéré avec la CCL. Il a souligné que les gestionnaires de la vérification sont en mesure d’établir si les renseignements fournis par un titulaire de permis sont suffisants pour justifier une demande de remboursement. M. Core a précisé qu’en vertu de ses directives administratives, si les vérificateurs étaient convaincus qu’une demande était justifiée, le dossier était ensuite transmis au secteur de la CCL chargé des activités opérationnelles.

39M. Core a affirmé que ni la fonctionnaire, ni aucun autre employé de la CCL, ne lui avaient fait part de leurs préoccupations à l’égard de la vérification visant la société A. Il a précisé que, lors d’une réunion des cadres supérieurs, M. Hansis avait mentionné que la vérification se prolongeait parce que la société A n’avait pas fourni la documentation demandée par la CCL.

40M. Core a par ailleurs soutenu qu’aucun commentaire à connotation raciste n’avait été porté à son attention. En ce qui a trait à l’enquête menée au sujet de la conduite de la fonctionnaire, il a affirmé qu’elle avait admis avoir fait l’appel en question à M. B, et reconnu qu’elle n’aurait pas dû agir ainsi. M. Core ne se souvient pas d’avoir reçu des excuses de la part de la fonctionnaire pour son écart de conduite. Elle a effectivement collaboré avec les enquêteurs, mais a dû reporter sa participation à l’enquête en raison d’un problème familial.

2. Témoignage de Mark Lalonde

41M. Lalonde travaille pour la CCL depuis 1983 et est le chef du programme de marketing depuis 2003. À ce titre, il supervise l’administration du PPCSL. M. Lalonde a 12 employés sous sa responsabilité dans sa section.

42À la question de savoir comment la société A en était venue à faire l’objet d’une vérification, M. Lalonde a expliqué que l’utilisation d’ingrédients laitiers par un titulaire de permis des classes spéciales de lait pouvait varier, à la hausse ou à la baisse, ou il pouvait avoir des difficultés à rendre compte de son utilisation des ingrédients laitiers qu’il s’est procurés. Il a affirmé que, puisqu’on avait observé une augmentation soudaine de l’utilisation par la société A de lait entier sous forme liquide et que cela ne concordait pas avec les informations contenues dans la documentation fournie par l’entreprise, le dossier avait été transmis à la section de la vérification de la CCL en mai 2008.

43M. Lalonde a expliqué qu’en temps normal, l’utilisation d’ingrédients laitiers par un titulaire de permis des classes spéciales de lait pouvait augmenter, mais de façon graduelle. Il pouvait arriver à l’occasion, lors de l’introduction d’un nouveau produit par le titulaire de permis, que plus’ d’ingrédients laitiers soient utilisés. Si la section de M. Lalonde n’arrive pas à faire un rapprochement de manière que la destination finale des ingrédients laitiers concorde avec les recettes de fabrication du titulaire de permis, alors le dossier est transmis à la vérification.

44M. Lalonde a été appelé à commenter une section de la transcription de la déposition de la fonctionnaire faite aux enquêteurs, dans laquelle cette dernière a affirmé que M. Lalonde lui avait dit, à elle ainsi qu’à un collègue, que le propriétaire de la société D avait communiqué avec la CCL et prétendu que la société A utilisait de façon illégale les ingrédients laitiers achetés par cette dernière dans le cadre du PPCSL. La société D aurait prétendu que la société A utilisait du lait entier sous forme liquide pour fabriquer du fromage, qu’elle revendait ensuite à un prix très bas. M. Lalonde a affirmé que le propriétaire de la société D l’avait effectivement appelé en mai 2009 et lui avait dit qu’il ne comprenait pas comment la société A pouvait vendre son fromage à des prix aussi bas dans ce créneau du marché en particulier.

45M. Lalonde a affirmé que la société D participait au PPCSL depuis plusieurs années. Il a indiqué que la CCL reçoit à l’occasion des renseignements de la part de titulaires de permis des classes spéciales de lait et de transformateurs de produits laitiers. M. Lalonde a précisé que lorsqu’elle reçoit de tels renseignements la CCL vérifie si l’entreprise en cause participe au PPCSL et utilise des ingrédients laitiers dans le cadre de ce programme. Une fois effectuée la vérification initiale, la CCL vérifie s’il existe des écarts entre les informations obtenues et celles figurant dans la documentation du titulaire de permis. Le cas échéant, le dossier est acheminé à la section de la vérification. M. Lalonde a souligné que toutes ces informations fournies à la CCL demeurent confidentielles, conformément à l’entente contractuelle conclue avec le titulaire de permis. 

46M. Lalonde a été appelé à commenter la lettre de demande de remboursement datée du 27 mai 2010 qu’il a envoyée à la société A. Il a affirmé que la demande de remboursement était essentiellement fondée sur l’utilisation par la société A de lait entier sous forme liquide. Il ne se souvient pas que la fonctionnaire lui aurait dit que la vérification de la société A n’avait pas été effectuée correctement. M. Lalonde a souligné qu’il avait une bonne relation professionnelle avec la fonctionnaire et que leurs bureaux étaient situés le long du même corridor, à une distance d’environ 18 à 21 mètres l’un de l’autre.

47En contre-interrogatoire, M. Lalonde a expliqué qu’avant qu’un dossier soit transmis à la section de la vérification, il était étudié pendant plusieurs mois. Une fois le dossier transmis à la section de la vérification, il revient alors à cette dernière de décider s’il y a lieu de poursuivre la vérification. M. Lalonde a indiqué qu’entre mai 2008 et mai 2009, le groupe de la vérification a été très occupé, puisque les dossiers transmis à la vérification s’étaient accumulés. Il a affirmé avoir parlé à la fonctionnaire et à un de ses collègues, Hossein Behzadi, un gestionnaire de la vérification, au sujet de l’appel reçu de la société D. Il a reconnu qu’il se pouvait qu’il leur ait dit qu’il valait mieux commencer à travailler à ce dossier le plus tôt possible et ne pas trop tarder. M. Lalonde a précisé que la société D avait déjà fait l’objet d’une vérification et qu’elle serait donc pertinemment au courant des exigences en matière de conformité. 

48En réinterrogatoire, M. Lalonde a signalé que le matériel publicitaire de la CCL comme celui présenté en pièce G-1 consiste en des témoignages recueillis auprès d’entreprises participant à divers programmes de la CCL. À titre d’illustration, M. Lalonde a indiqué que la publicité de l’an dernier faisant la promotion du PPCSL mettait en vedette un fabricant de gâteau au fromage.

3. Témoignage de Robert Hansis

49M. Hansis est le directeur de la section Vérification et évaluation de la CCL; il occupe ce poste depuis 21 ans. Il est titulaire d’une maîtrise en administration et détient les titres de comptable général accrédité (CGA) et d’examinateur agréé en matière de fraude (CFE). Il est notamment chargé de procéder à des vérifications internes et externes et à l’évaluation des divers programmes de la CCL. En 2003, M. Core a confié à M. Hansis le poste de gestionnaire responsable d’assurer le respect des exigences en matière de valeurs et d’éthique au sein de la CCL.

50Le 10 décembre 2003, M. Hansis a fait un exposé aux employés de la CCL (pièce E-1, onglet 3) sur le nouveau Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique élaboré par le Conseil du Trésor (pièce E-3, onglet 4). Il a témoigné que, selon les dossiers de la CCL à cet égard, la fonctionnaire a assisté à cet exposé, au cours duquel un exemplaire du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique a été remis à chacun des employés de la CCL. M. Hansis a souligné que la CCL a aussi élaboré son propre code d’éthique, le Code d’éthique et de comportement professionnel(le « Code »), prenant effet le 27 octobre 2004 (pièce E-1, onglet 1), et que la fonctionnaire ainsi qu’un autre vérificateur de la CCL avaient participé à sa rédaction (pièce E-7). Les employés de la CCL peuvent consulter le Code sur l’intranet de l’organisme. M. Hansis a précisé que la fonctionnaire était titulaire de titres professionnels, notamment ceux de comptable agréée (CA) et de CGA. À cet égard, il a renvoyé à un extrait du Code des principes d’éthique et règles de conduite de CGA-Canada en date de décembre 2011 et disponible sur le site Internet de cet organisme (pièce E-1, onglet 5), et à un extrait du code d’éthique de l’Institut des comptables agréés de l’Ontario, publié sous le titre Rules of Professional Conduct [Code de déontologie] en février 2009 (pièce E-1, onglet 6).

51M. Hansis a témoigné que la fonctionnaire a commencé à travailler à la CCL en 2001 à titre de gestionnaire de la vérification; elle relevait de lui et supervisait le travail de deux ou trois vérificateurs. Il a précisé que la section de la vérification  de la CCL comptait deux gestionnaires de la vérification, soit la fonctionnaire et M. Behzadi, et cinq vérificateurs. Les attributions de la fonctionnaire consistaient en outre à assurer la gestion d’une équipe de vérificateurs, de traiter avec les entreprises visées par une vérification, de rédiger les rapports de vérification et de lui soumettre ces rapports aux fins d’étude. Elle devait également intervenir lorsqu’une vérification entraînait une demande de remboursement. M. Hansis a souligné que la fonctionnaire et ses collègues vérificateurs jouissaient d’un grand degré d’autonomie et d’indépendance, puisqu’il ne participait pas lui-même aux vérifications effectuées sur les lieux. Il avait une confiance inébranlable dans le fait que les vérificateurs feraient le travail qui leur était demandé et le feraient sans faille. Il n’était au courant de ce qui s’était produit au cours d’une vérification sur les lieux qu’une fois les vérificateurs de retour au bureau, lorsqu’ils lui faisaient rapport.

52En ce qui a trait à la vérification de la société A, M. Hansis a affirmé que la fonctionnaire avait commencé à travailler au dossier au début et que M. Behzadi avait pris le dossier en mains par la suite pour des raisons de commodité. Il a ajouté que les documents de la  de la société A posait des problèmes à la CDC.

53M. Hansis a indiqué que, règle générale, la valeur des demandes de remboursement résultant des vérifications effectuées dans le cadre du PPCSL était de l’ordre de 500 000 $ par année; toutefois, dans certains dossiers, les demandes de remboursement pouvaient atteindre un million de dollars. La CCL administre le programme d’assurance pour le compte de l’industrie laitière, laquelle finance le PPCSL.

54M. Hansis a indiqué qu’il tenait des réunions avec les vérificateurs tous les mois et demi à deux mois, au cours desquelles ils discutaient des divers dossiers confiés aux vérificateurs ainsi que des cas plus complexes. Ces échanges d’information sont traités au plus haut niveau de confidentialité. Il a souligné que si une entreprise était prévenue trop longtemps en avance’ d’une vérification, il y avait un risque qu’elle falsifie ses dossiers de manière à pouvoir fournir les renseignements requis par la CCL. M. Hansis a affirmé qu’il ne s’attendait pas de la part des vérificateurs de la CCL à ce qu’ils ou elles communiquent des informations confidentielles à un client visé par une vérification.

55Dans le cadre de ses fonctions, M. Hansis devait assister aux réunions des cadres supérieurs de la CCL. Il a fait référence notamment aux procès-verbaux des réunions des cadres supérieurs des 8 et 25 mars et des 12 et 13 avril 2010, au cours desquelles on a discuté de la vérification de la société A (pièce E-1, onglet 17).

56M. Hansis a été appelé à commenter une section de la transcription de la déposition de la fonctionnaire aux enquêteurs dans laquelle elle allègue qu’il avait fait des remarques à caractère raciste lors d’une réunion des cadres supérieurs et avait répété ces commentaires aux autres vérificateurs en sa présence, et que le président de la CCL avait également fait des commentaires similaires à caractère raciste. M. Hansis a affirmé qu’il n’avait pas fait de tels commentaires et que le président n’assistait pas aux réunions des cadres supérieurs. Il a de plus affirmé qu’il ne se souvenait pas que la fonctionnaire l’ait abordé au sujet de tels commentaires.

57M. Hansis a soutenu que la fonctionnaire ne lui a jamais dit qu’elle avait appelé M. B ni qu’elle s’inquiétait de la manière dont s’effectuait la vérification de la société A. Il a souligné que si un vérificateur était préoccupé par le déroulement d’un mandat de vérification, il s’attendait à ce qu’il ou elle lui en parle.

58Questionné au sujet de ses rapports avec la fonctionnaire, M. Hansis a indiqué qu’ils étaient professionnels la plupart du temps, bien qu’ils aient pu avoir des différends à l’occasion au sujet de certains dossiers. Il a précisé que la fonctionnaire avait des problèmes à l’occasion avec ses employés. Issue d’un milieu de travail mettant l’accent sur la production, elle pouvait se montrer particulièrement exigeante envers ses employés. Bien que cela lui ait valu d’obtenir des résultats, le personnel n’aimait pas se faire traiter de cette manière. M. Hansis a ajouté qu’il avait participé à un processus de résolution d’un différend entre la fonctionnaire et un employé par l’entremise du Bureau de résolution des conflits d’Agriculture et Agroalimentaire Canada.

59En contre-interrogatoire, M. Hansis a affirmé qu’il avait été le supérieur immédiat de la fonctionnaire durant toute la carrière de celle-ci au sein de la CCL. Il a été mis au courant de sa conversation téléphonique avec M. B seulement après qu’elle a été suspendue de ses fonctions. Il a été consterné en apprenant la nouvelle, car il ne s’attendait pas à un tel comportement de la part d’une comptable agréée. Il ne se serait jamais attendu non plus à un tel comportement de la part de la fonctionnaire, car il n’avait jamais eu de raison de remettre en cause sa loyauté envers la CCL. Questionné quant à savoir s’il avait déjà douté de l’honnêteté de la fonctionnaire, il a répondu par l’affirmative, relatant une occasion où la CCL lui avait payé des cours de français auxquels elle avait été inscrite pour ensuite découvrir qu’elle n’y avait jamais assisté.

60M. Hansis a indiqué que, dans le cadre de ses fonctions à titre de gestionnaire responsable du respect des valeurs et de l’éthique au sein de la CCL, il devait en outre s’assurer du maintien du respect du public envers la CCL ainsi que de sa confiance envers celle-ci. Il était notamment chargé d’examiner les rapports de vérification qui lui étaient présentés à lui et, ultimement, au groupe de la commercialisation. Bien que ces rapports ne soient pas communiqués aux entreprises visées, la CCL assure un suivi auprès de celle-ci en leur envoyant une lettre leur précisant les mesures devant être prises afin de corriger les lacunes relevées par les vérificateurs.

61M. Hansis a expliqué qu’un sommaire des rapports de vérification était communiqué à l’industrie environ tous les deux mois, en précisant notamment le  montant des demandes de remboursement. Questionné pour savoir quelle serait la réaction de l’industrie si aucun remboursement n’était réclamé par la CCL selon les données de ce sommaire, M. Hansis a répondu que cela serait plutôt inusité, puisqu’environ 1300 sociétés participent au PPCSL. Il a ajouté qu’il n’y avait jamais eu une année au cours de laquelle aucune demande de remboursement n’avait été émise. 

62Appelé à décrire le processus de vérification en place dans le cadre du PPCSL, M. Hansis a indiqué que certaines vérifications étaient effectuées à la suite d’une demande provenant du groupe du marketing, alors que d’autres pouvaient résulter d’une analyse du risque effectuée par les vérificateurs, ou encore à la suite d’une recherche dans les bases de données de la CCL, ou être réalisées de façon aléatoire. Il a précisé que la vérification de la société A avait été effectuée à l’instigation du groupe de la commercialisation et devait avoir lieu vers le début de l’année 2009. En ce qui a trait au produit visé par la vérification du groupe du marketing, ce groupe avait relevé que la société A utilisait une plus grande quantité de lait que les autres entreprises fabriquant le même produit. 

63M. Hansis a affirmé ne pas être au courant de l’appel téléphonique qu’aurait reçu M. Lalonde de la part du président de la société D. Il a souligné qu’à sa connaissance toutefois, la CCL avait reçu des appels de cette nature par le passé, et que les vérificateurs doivent être disposés à les recevoir et à vérifier les faits. Il a précisé que les vérifications menées dans le cadre du PPCSL visaient principalement à assurer le respect des ententes contractuelles conclues entre les transformateurs secondaires et la CCL. La CCL agit de bonne foi par principe Questionné quant à savoir si la CCL fonctionnait également en présumant de la conformité des titulaires, M. Hansis a répondu que, lorsque sa section procède à une vérification à la suite d’une analyse du risque, une entreprise ciblée par une vérification présente en principe un risque plus élevé de non-conformité, ayant habituellement agi de manière à susciter l’attention de la CCL envers elle au point de déclencher une vérification à son égard.

64Questionné à propos de l’obligation de la CCL d’agir correctement envers les titulaires de permis des classes spéciales de lait, M. Hansis a signalé que la société A n’avait pas collaboré au départ avec la CCL, au point qu’on a dû lui faire parvenir une demande de remboursement. Le principal problème dans cette affaire découlait du recours par la société A à une entreprise liée à cette dernière, la société C. La CCL entretenait également des  doutes au sujet de certaines transactions effectuées par la société A. Lorsque la CCL a procédé à des vérifications auprès de certaines entreprises avec lesquelles la société A prétendait avoir effectué des transactions, ces entreprises ont affirmé n’avoir jamais effectué de transactions avec la société A.

65Sur la question des démarches effectuées par la CCL auprès de tierces parties ayant acheté des produits auprès de la société A, M. Hansis a affirmé qu’une telle méthode était conforme aux règles de l’art en la matière et qu’elle avait d’ailleurs déjà été pratiquée auparavant. Lorsque le processus de vérification habituel ne fonctionne pas, il faut songer à utiliser des méthodes différentes. 

66M. Hansis a rappelé que la fonctionnaire avait commencé à travailler à l’origine sur le dossier de vérification de la société A et que le dossier avait par la suite été confié à M. Behzadi. M. Hansis a été appelé à commenter une liste de contrôle destinée aux vérifications visant un transformateur secondaire (pièce G-2), qui aurait été rédigée par M. Behzadi à son avis. Il a reconnu avoir déjà examiné ce document et souligné qu’il ne s’agissait pas d’un [traduction] « mode d’emploi » aux fins des vérifications menées par la CCL, s’attendant plutôt à ce que chaque vérificateur fasse appel à son bon jugement dans l’exercice de ses fonctions. Il signale par ailleurs que bon nombre des étapes figurant sur la liste de contrôle sont tributaires de la présence d’une comptabilité rigoureuse chez l’entreprise visée par la vérification. 

67L’avocat de la fonctionnaire a renvoyé M. Hansis à la section 4 de la liste de contrôle précitée, sous le titre [traduction]« Programme de vérification – Ventes du TS », et lui a demandé à quel endroit il était indiqué qu’il fallait consulter les dossiers des tierces parties. M. Hansis a reconnu que cette mention ne figurait pas à la liste de contrôle, mais que, puisque la CCL n’avait pas été satisfaite des données inscrites dans les livres comptables de la société A, elle avait dû pousser son enquête plus loin. M. Hansis a personnellement étudié le dossier de vérification et en a conclu qu’il n’y avait aucun système convenable de comptabilisation des ventes, qu’il n’y avait aucune facture produite par un système informatisé, et qu’il n’y avait pas de comptes débiteurs tenus convenablement, puisqu’il n’y avait aucune comptabilisation des ventes. M. Hansis a affirmé que les vérificateurs ont tenté de suivre la trace de paiements subséquents. Ils étaient inscrits en montants arrondis; les dossiers de production de la société A étaient tenus manuellement, et les montants inscrits aux factures étaient supérieurs aux montants inscrits au titre des produits fabriqués. M. Hansis a ajouté que les problèmes se rapportant à la société A ont persisté après la conclusion de la première vérification. Les vérificateurs ont tenté d’obtenir les factures des transactions effectuées entre la société A et la société C, celles-ci représentant environ 50 % des transactions effectuées par la société A pour la totalité de l’exercice. 

68M. Hansis a ensuite été appelé à commenter l’étape XIV de la section 4 de la liste de contrôle du processus de vérification; l’énoncé de cette étape se lit comme suit :

[Traduction]

XIV. Pour les vérifications d’entreprises à risque élevé, valider les montants à l’aide des livres comptables : sélectionner un échantillon de factures et en suivre la trace (montant total de la facture) en remontant au journal des recettes et au sous-registre des comptes clients (ou en consultant l’historique de paiement du client). Remarque : suivre les procédures se rapportant aux comptes clients à partir de l’étape IX (modalités de paiement du client final et historique de paiement).

69M. Hansis a signalé que le libellé précité était suffisamment clair. Les vérificateurs devaient confirmer que les factures avaient été acquittées et que les montants perçus avaient été déposés au compte bancaire de la société. Si quelque chose clochait, les vérificateurs devaient alors aviser la société que la vérification ne permettait pas de s’assurer de la conformité du titulaire de permis. Les vérificateurs étaient incertains de la provenance des revenus de la société A. M. Hansis a reconnu que les ventes intersociétés n’étaient pas interdites comme tel, mais que du point de vue d’un vérificateur, cela ne fournissait pas l’assurance de la conformité des activités de la société.

70Interrogé au sujet de la source des informations obtenues par la CCL au sujet du produit fabriqué par la société A, M. Hansis a expliqué que la CCL avait consulté ses banques de données pour obtenir les recettes utilisées par les autres titulaires de permis des classes spéciales de lait fabriquant le même produit que la société A. Au cours de la première vérification, on a abordé la question de la recette utilisée par la société A. On s’est alors rendu compte que sa recette n’était pas conforme aux normes des autres entreprises à cet égard. Appelée à s’expliquer à ce sujet, la société A a déclaré à la CCL qu’elle s’était trompée et avait décidé de réduire son utilisation de lait dans sa recette afin de respecter la norme en usage dans les autres entreprises à cet égard.

71M. Hansis a été appelé à commenter le fait qu’en janvier 2010, la fonctionnaire avait exprimé des réserves au sujet du processus de vérification en cours relativement à la société A. Il a expliqué qu’elle lui avait alors dit que la CCL devait procéder avec prudence, car elle s’exposait à des poursuites si une demande de remboursement était envoyée à la société A. M. Hansis a alors dit à la fonctionnaire que la CCL ne craignait pas d’être poursuivie, car la société A ne se conformait pas aux conditions de l’entente contractuelle conclue avec la CCL. Lorsque la fonctionnaire lui a dit que la CCL ne possédait pas suffisamment d’éléments de preuve pour justifier l’envoi d’une demande de remboursement à la société A, M. Hansis lui a signifié son désaccord. Il lui a dit qu’il incombait à la société A de démontrer qu’elle utilisait effectivement les ingrédients laitiers, et qu’en plus les titulaires de permis des classes spéciales de lait étaient tenus de tenir une comptabilité convenable relativement à l’utilisation admissible des ingrédients laitiers. M. Hansis a dit que la CCL essayait d’aider les entreprises à obtenir les assurances de la part des vérificateurs de la CCL, mais qu’elle avait échoué à cet égard dans le cas de la société A.

72À la question de savoir s’il se rappelait si la fonctionnaire lui avait demandé de consulter le conseiller juridique de la CCL au sujet de la vérification de la société A, M. Hansis a répondu qu’il s’était entretenu régulièrement avec le conseiller juridique de la CCL à propos de diverses questions liées au dossier de la société A.

73M. Hansis a nié avoir formulé quelque commentaire à caractère raciste comme l’allègue la fonctionnaire.

74Lors de son réinterrogatoire, à propos de la question de la supervision par la fonctionnaire de ses subalternes, M. Hansis a souligné qu’un employé avait été particulièrement affecté du fait qu’il relevait de la fonctionnaire. La supervision de cet employé lui a été retirée dans une lettre émanant de M. Hansis datée du 6 mars 2009 (pièce E-8). La lettre en question énonce les divers écarts de conduite de la fonctionnaire envers ses subalternes ainsi que des directives lui enjoignant de corriger son comportement à leur égard.

75M. Hansis a affirmé qu’en raison de la conduite de la fonctionnaire en ce qui avait trait à la société A, il ne pouvait plus avoir confiance en elle à titre de membre de l’équipe de vérification de la CCL.

4. Témoignage de Vanessa Lecavalier

76Mme Vanessa Lecavalier travaille comme vérificatrice auprès de la CCL depuis mai 2009. Elle a participé à une vérification de la société E dans le cadre du PPCSL.

77Elle a affirmé que bien qu’il ne soit pas précisé explicitement au programme de vérification qu’il y avait lieu de visiter des détaillants dans le cadre d’une vérification, au besoin, les vérificateurs effectuent de telles visites lorsqu’ils ne peuvent obtenir l’assurance requise lors de la vérification du système de comptabilité d’une entreprise.

78Appelée à commenter la section de la transcription de la déposition de la fonctionnaire aux enquêteurs au sujet de remarques désobligeantes à caractère raciste prétendument formulées par M. Hansis, Mme Lecavalier a affirmé ne pas se souvenir que de tels propos aient été tenus. Elle a soutenu que la fonctionnaire ne lui avait jamais fait part de tels commentaires et qu’elle ne lui avait jamais parlé au sujet de la vérification de la société A. Le bureau de Mme Lecavalier est situé de l’autre côté du corridor par rapport au bureau de la fonctionnaire.

79En contre-interrogatoire, Mme Lecavalier a précisé qu’elle avait travaillé tant sous la direction de la fonctionnaire que de celle de M. Behzadi par le passé. Elle n’a jamais eu de problème à travailler pour le compte de la fonctionnaire ni au sujet de sa manière de lui formuler des directives. Mme Lecavalier a souligné que la fonctionnaire avait soutenu son perfectionnement professionnel, en particulier aux fins de l’obtention de son titre professionnel comptable.

80Mme Lecavalier a affirmé qu’elle n’avait jamais entendu ni M. Hansis ni le président de la CCL formuler les commentaires à caractère raciste allégués par la fonctionnaire. 

5. Témoignage de Hossein Behzadi

81M. Behzadi travaille à titre de gestionnaire de la vérification auprès de la CCL depuis 1999. Il a affirmé que dans le cadre du PPCSL, les entreprises peuvent faire l’objet d’une vérification de façon aléatoire, à la suite de la transmission de leur dossier à cette fin, ou à la suite d’une analyse du risque. Entre 40 et 45 vérifications sont effectuées chaque année. 

82M. Behzadi a affirmé que les sucreries indiennes étaient un produit relativement récent dans le cadre du PPCSL. Le dossier de la société A avait été transmis à sa section en raison des préoccupations du groupe des finances et des opérations de la CCL à l’égard de cette entreprise, puisque le groupe avait observé une augmentation marquée de l’utilisation de lait par la société A. Lui-même ainsi que la fonctionnaire avaient été affectés au dossier de la société A. Le dossier lui a été confié à la suite d’une entente mutuelle entre lui et la fonctionnaire, puisqu’il voulait pousser l’enquête plus loin alors qu’elle ne souhaitait plus travailler sur ce dossier. De plus, la fonctionnaire allait être en vacances pendant tout le mois de juin 2009.

83Dans une lettre datée du 28 janvier 2010 adressée à la société A et signée par M. Behzadi, la CCL a émis une demande de remboursement au montant de 193 581,47 $ pour la période du 1er octobre 2006 au 30 septembre 2009 (pièce E-9). Il était précisé à la lettre que la demande de remboursement [traduction] « […] avait été calculée en fonction de la différence de prix entre la quantité nette des ingrédients laitiers achetés durant la période visée par la vérification et n’ayant pas pu faire l’objet d’un rapprochement comptable ». Après avoir précisé les détails de la demande de remboursement, la lettre informait la société A qu’afin que la CCL puisse accepter le montant des ventes, il fallait qu’elle lui fournisse une confirmation écrite de la part de chacun des clients de la société A.

84M. Behzadi a affirmé que deux vérifications sur les lieux de la société A avaient été effectuées. Il avait procédé à la première de ces vérifications en compagnie de la fonctionnaire en mai 2009. La deuxième vérification avait été effectuée par lui-même, la fonctionnaire, ainsi que les vérificateurs Marcus Chiang et Peggy Ritchie, en août 2009. M. Behzadi a affirmé qu’ils n’avaient pas pu obtenir la documentation requise lors de la première vérification, car la société A n’avait pu leur fournir que les factures se rapportant aux ventes effectuées.

85Lors d’une vérification sur le terrain effectuée à Toronto en compagnie de la fonctionnaire, M. Behzadi a décidé de procéder à une vérification auprès de trois entreprises tierces, des entreprises auxquelles la société A avait fourni des factures de ventes. Le premier établissement était situé dans un immeuble désaffecté et condamné. Au deuxième établissement, la propriétaire a déclaré à M. Behzadi qu’en raison du fait qu’elle ne disposait pas de comptoirs réfrigérés, elle ne pouvait pas acheter du rasmalai. Au troisième établissement, les propriétaires n’avaient pas de facture. Ils ont appelé chez la société A afin de vérifier la vente, et on leur a dit que c’était une erreur de leur part. Ils ont alors créé une facture. M. Behzadi a affirmé que les trois entreprises étaient à la fois des distributeurs et des transformateurs secondaires. Alors qu’aucune ne pouvait lui fournir une confirmation des ventes effectuées par la société A, M. Behzadi a procédé à une vérification auprès de détaillants. Il a affirmé avoir aperçu des produits provenant de concurrents de la société A sur les tablettes de ces magasins, mais pas de produits fabriqués par la société A. M. Behzadi a souligné que la société A ne disposait pas de relevés des ventes, alors qu’une entreprise de cette taille devrait normalement avoir un module de comptabilisation des ventes ou des comptes débiteurs dans son logiciel de comptabilité. Lorsqu’une entreprise comme la société A refuse de coopérer avec les vérificateurs de la CCL, les vérificateurs doivent alors prendre des mesures additionnelles, en procédant alors à ce qui est communément appelé dans leur domaine des vérifications par une tierce partie. M. Behzadi a signalé qu’ils procédaient de cette façon seulement lorsqu’il s’agissait d’un dossier à risque élevé, et que cela était pratique courante dans la façon de procéder des cabinets de comptables agréés.

86Quant à la liste de contrôle des vérifications, M. Behzadi a précisé qu’il l’avait élaborée plusieurs années auparavant à titre d’aide-mémoire pour les vérificateurs, et qu’il y apportait régulièrement des mises à jour. 

87M. Behzadi était au courant des problèmes qu’avait eus la société A avec l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), puisqu’elle cherchait à obtenir auprès de cette dernière son homologation à titre de transformateur conforme aux exigences de cet organisme. En ce qui a trait à l’indication transmise par la société D au sujet de la société A, il a indiqué qu’un suivi était généralement effectué afin d’établir l’exactitude de telles indications.

88M. Behzadi a aussi précisé qu’en juin 2009, il avait travaillé sur le dossier de la société A avec Mme Ritchie.

89M. Behzadi a affirmé que la fonctionnaire ne lui avait jamais fait part du fait qu’elle avait téléphoné à la société A en avril 2010, ni qu’elle avait l’intention de communiquer avec elle. Il a été ébranlé à la lecture de la transcription de la conversation téléphonique, affirmant qu’il ne s’agissait certainement pas de la façon normale de procéder lors d’une vérification. M. Behzadi a été appelé à commenter une section de la transcription de la conversation de la fonctionnaire, alors qu’elle y affirme ceci : [traduction] « […] Pour ce qui est de Hussein [sic] et de Bob, ils s’en foutent […] Ils s’en retournent chez eux et ne se font aucun souci à propos de votre gagne-pain. » M. Behzadi a dit que’ ce commentaire était injuste, car ils se soucient effectivement du sort de plusieurs des entreprises participant au PPCSL, en particulier au sort des plus petites d’entre elles, notamment afin qu’elles aient une chance de concurrencer les autres sur le marché. Lors d’une première vérification, ils donnent aux entreprises amplement l’occasion de leur fournir la documentation requise. 

90M. Behzadi a affirmé que les vérificateurs de la CCL ne conseillaient jamais à des entreprises de présenter des demandes d’AIPRP. Une fois que le sommaire des conclusions de la vérification a été étudié par le directeur puis communiqué au client, les vérificateurs n’ont plus de contact avec le client. Ils ne les appellent surtout pas pour les conseiller au sujet de ce que leur avocat devrait écrire dans sa lettre à l’intention de la CCL ou pour leur dire qu’ils devraient intenter des poursuites en dommages-intérêts contre la CCL. M. Behzadi a réitéré qu’il était consterné par les actions de la fonctionnaire, car il avait confiance en elle et avait toujours eu de bons rapports professionnels avec elle dans le cadre de leur travail. Après cet incident, il ne croit pas qu’il pourrait à nouveau travailler avec elle sur des dossiers de vérification.

91M. Behzadi a affirmé que son bureau était situé à 20 ou 30 mètres de celui de la fonctionnaire, et qu’elle ne lui avait jamais touché mot à propos de quelque commentaire à caractère raciste. 

92M. Behzadi a affirmé que s’il avait des problèmes avec un mandat de vérification en particulier, il s’adresserait à M. Core à ce sujet. Il pouvait aussi faire appel aux ressources offertes au Bureau de l’intégrité, à Agriculture Canada. M. Behzadi se souvenait’ d’une présentation sur les valeurs et l’éthique à laquelle il avait assisté en 2005 ou 2006, dans laquelle il y avait un volet abordant en particulier la question de l’intégrité, et qui était disponible sur l’intranet de l’employeur. Il ne se souvenait pas si la fonctionnaire avait assisté à cette présentation.

93En contre-interrogatoire, M. Behzadi a été appelé à commenter la lettre du 28 janvier 2010 qu’il avait signée et adressée à la société A. Il a affirmé qu’il avait alors demandé à la société de lui fournir un état de ses achats effectués dans le cadre du programme, car la CCL cherchait à obtenir une confirmation de l’utilisation que la société A faisait de ses achats de lait. M. Behzadi a expliqué qu’un délai de six mois était accordé aux entreprises après clôture de l’exercice financier pour qu’elles effectuent le rapprochement des données figurant dans leurs livres comptables. Il a souligné que le groupe des finances et des opérations de la CCL effectuait le rapprochement des achats de tous les titulaires de permis des classes spéciales de lait tous les mois.

94Quant à l’exécution de mandats de vérification à Vancouver, M. Behzadi a souligné que, règle générale, on attendait qu’il y ait cinq ou six mandats de vérification à effectuer dans cette région avant de s’y rendre. Il a précisé qu’une priorité plus élevée avait été donnée à la vérification de la société A en raison de l’indication reçue à son sujet de la part de la société D. Il a indiqué que les deux gestionnaires de la vérification s’étaient rendus à Vancouver, ce qui est la pratique courante au sein de la CCL dans les cas présentant un risque élevé. M. Behzadi a indiqué que la société A était considérée comme présentant un risque élevé parce qu’elle achetait du beurre à la livre, qu’un des renseignements avaient été reçus à son égard selon lesquels elle ne fabriquait pas un certain produit, et parce qu’elle était à la fois un transformateur primaire et un transformateur secondaire, ce qui augmentait le niveau de risque.

95M. Behzadi a indiqué que la première vérification avait eu lieu à Vancouver en mai 2009, et que la vérification effectuée à Toronto avait eu lieu en juillet 2009. Le voyage à Toronto avait été effectué dans le cadre de l’exécution de mandats de vérification visant d’autres entreprises. Il avait toutefois l’intention d’y mener des vérifications par une tierce partie visant des sociétés en lien avec le dossier de la société A. Lorsque la fonctionnaire lui avait demandé pourquoi il voulait procéder ainsi, il lui avait répondu que c’était parce que le chiffre des ventes de la société A ne correspondait pas avec les chiffres des ventes qu’elle avait rapportés à la CCL, parce que ses ventes étaient supérieures à sa production, qu’elle tenait un double registre de facturation, et qu’elle n’attribuait pas un numéro séquentiel à chacune de ces factures. Il y avait plusieurs irrégularités dans son dossier. M. Behzadi a affirmé que la fonctionnaire lui avait signalé que les entreprises qu’il entendait vérifier étaient des petites entreprises dirigées par des nouveaux arrivants. M. Behzadi lui avait répondu que l’établissement d’une de ces entreprises était placardé, et que dans le cas de la deuxième, la fille du propriétaire était une Canadienne née et élevée ici au pays.

96À la question de savoir s’il avait effectivement dit à la fonctionnaire que, lorsque les gens voient la feuille d’érable sur sa carte, ils parlent, M. Behzadi a rétorqué que, quand il présentait sa carte du gouvernement du Canada, les gens lui parlaient effectivement. Lorsqu’on lui demande s’il avait confié à la fonctionnaire qu’il savait que cette société trichait et qu’il lui faudrait trouver une [traduction] « preuve irréfutable », M. Behzadi a reconnu qu’il employait souvent cette expression, tout comme la fonctionnaire.

97M. Behzadi a ensuite été appelé à commenter la lettre datée du 9 mars 2010 envoyée par M. Core à la société A (pièce E-1, onglet 10), dans laquelle il est notamment écrit que M. B et M. Hansis avaient eu un entretien téléphonique le 2 mars 2010. M. Behzadi a affirmé qu’il avait également participé à cette discussion et que M. B avait alors affirmé que ses concurrents étaient à l’origine de la vérification visant son entreprise.

98M. Behzadi a admis que la CCL n’avait pas demandé la permission de la société A pour procéder à la vérification des registres des tierces parties, et que la CCL n’avait pas non plus avisé’ la société que des tierces parties seraient inspectées dans le cadre de la vérification. Il a précisé que durant ses 13 années au service de la CCL, des vérifications auprès de tierces parties avaient eu lieu à 7 reprises à sa connaissance, et qu’à chaque fois les sociétés visées par la vérification n’avaient pas été avisées au préalable.

99À la question de savoir pourquoi il s’était dit consterné à la lecture de la transcription de la conversation téléphonique de la fonctionnaire avec M. B, M. Behzadi a répondu que cela était déplacé et malavisé de sa part de communiquer avec un client de la manière dont ’elle l’avait fait. Il a reconnu qu’il n’avait jamais auparavant eu quelque raison de douter de la loyauté ou de l’intégrité de la fonctionnaire. 

100 M. Behzadi a indiqué que lorsqu’il a constaté que la fonctionnaire ne souhaitait pas continuer à pousser plus loin le dossier de la société A, il a pris le relais. Il a précisé que le transfert du dossier s’était fait de façon cordiale, et qu’il était arrivé par le passé qu’il transfère des dossiers à la fonctionnaire. Il a affirmé que ce qui le préoccupait en particulier, c’était que la société A soutenait qu’elle n’avait aucune documentation. M. Behzadi était d’avis que, pour une société d’une telle envergure,  qui traite, comme distributeur, avec des centaines d’entreprises, il était impossible que cette société ne dispose pas d’un module de suivi de ses ventes dans son logiciel de comptabilité.

101 La deuxième vérification de la société A, en août 2009, devait avoir lieu du mardi au vendredi. Le jeudi, une rencontre a eu lieu entre M. B, Mme Ritchie et M. Behzadi. Pendant cette rencontre, M. Behzadi a informé M. B que la CCL lui présenterait une demande de remboursement de l’ordre de 60 000 $. Il a indiqué que M. B s’était dit d’accord avec ce montant; c’est pourquoi M. Behzadi avait été surpris par la suite de la réticence manifestée par la société A. M. Behzadi a affirmé que bien que cette réticence se soit manifestée avant que le mandat de vérification soit terminé, l’utilisation du lait entier sous forme liquide avait déjà été révélée par le rapprochement effectué et les données inscrites dans le système de la CCL. Il a soutenu qu’il était pratique courante de communiquer de telles informations à cette étape du processus. Il a précisé que, dans le cas d’entreprises à risque élevé, il était effectivement pratique courante de présenter une demande de remboursement avant même que la vérification ne soit terminée.

102 M. Behzadi a reconnu qu’à un certain moment, soit entre les deux vérifications ou après la deuxième vérification, il avait communiqué avec la société D, afin de lui demander des informations au sujet de la recette de fabrication du rasmalai, car la base de données de la CCL contenait plusieurs recettes différentes. La société A  prétendait qu’il lui fallait six litres de lait pour produire un kilo de rasmalai. La société D lui a dit que lorsque le rasmalai était produit manuellement, de cinq litres et demi à six litres de lait seraient requis pour produire un kilo de rasmalai. Toutefois, si on utilisait dans la recette du rasmalai en conserve importé de l’Inde, alors il ne faudrait que deux litres de lait pour produire un kilo de rasmalai. M. Behzadi a affirmé que selon la société D, la société A utilisait du rasmalai en conserve dans sa recette. M. Behzadi a précisé qu’il avait informé la fonctionnaire au sujet de son entretien téléphonique avec la société D mais qu’il ne se souvenait pas si elle lui avait alors fait part de certaines interrogations à ce sujet. 

6. Témoignagede Cesarea Novielli

103 Mme Novielli était la conseillère en ressources humaines de la CCL et a occupé ce poste de 2007 à 2011. Auparavant, elle avait occupé ce même poste à l’Agence des services frontaliers du Canada.

104 C’est au cours d’une réunion tenue le 25 juin 2010, à laquelle assistaient M. Core et l’avocat de la CCL, que Mme Novielli a appris que la fonctionnaire avait fait un appel téléphonique à M. B. Mme Novielli était présente à la réunion du 29 juin 2010, avec la fonctionnaire, son représentant syndical et M. Core. À cette réunion, on a remis à la fonctionnaire une copie de la transcription de l’appel téléphonique et du disque compact.

105 Mme Novielli a déclaré que la fonctionnaire a reconnu qu’elle avait posé un geste inapproprié et qu’elle savait qu’elle avait couru un risque en téléphonant au client. La fonctionnaire a dit qu’elle avait des préoccupations à propos de la vérification de la société A et qu’elle estimait que le client n’était pas traité équitablement. Elle a dit qu’un cadre supérieur avait fait des remarques déplacées au sujet des ressortissants des Indes orientales. Mme Novielli a dit que la fonctionnaire ne lui avait jamais parlé de ces remarques et que leur relation de travail était professionnelle et courtoise. Le rapport d’enquête a été remis à la fonctionnaire et à son avocat.

106 Mme Novielli a dit que la fonctionnaire a été licenciée parce que les gestes qu’elle a posés constituaient un grave abus de confiance de la part de l’employée. Elle a dit aussi que la CCL a songé à trouver un autre poste que la fonctionnaire pourrait occuper dans l’organisme sans avoir de contacts avec les clients, notamment dans la section des finances ou dans les sections des politiques ou des affaires économiques. Elle a rencontré le chef de la section de la technologie de l’information de la CCL en vue de restreindre l’accès de la fonctionnaire au système informatique et aux bases de données de la CCL, mais il n’était pas possible de trouver un poste satisfaisant pour la fonctionnaire avec un accès si limité.

107 Mme Novielli a fait observer que lorsque la fonctionnaire a commencé à travailler pour la CCL, elle a signé un [traduction] « Serment d’office et de discrétion » (pièce E-1, onglet 4), qui est formulé de la façon suivante :

[Traduction]

J’affirme solennellement et sincèrement que je remplirai avec fidélité et honnêteté les fonctions qui m’incombent en raison de mon emploi dans la fonction publique et que  je ne révélerai ou ne ferai connaître rien de ce qui viendra à ma connaissance par suite de cet emploi sans y être dûment autorisé.

[…]

108 En ce qui concerne le courriel dans lequel la fonctionnaire menace de la poursuivre en justice, Mme Novielli a dit qu’elle avait été consternée. Cependant, elle n’a jamais été poursuivie.

109 Durant le contre-interrogatoire, Mme Novielli a reconnu qu’elle n’avait aucune raison de douter de l’honnêteté ou de la loyauté de la fonctionnaire avant l’appel téléphonique de cette dernière à M. B. Elle ne disposait d’aucune information indiquant que la fonctionnaire n’avait pas coopéré à l’enquête ou qu’elle avait reçu des pots-de-vin ou touché des avantages.

110 Lorsqu’on lui a demandé comment elle se souvenait qu’à la réunion du 29 juin 2010, la fonctionnaire avait reconnu qu’elle n’aurait pas dû faire l’appel téléphonique à M. B, Mme Novielli a répondu qu’elle avait pris des notes sur la réunion et qu’elle les avait relues avant l’audience.

111 En ce qui concerne les commentaires discriminatoires allégués, Mme Novielli ne se souvenait pas d’avoir entendu M. Hansis faire ce genre de remarques.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

1. Témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée

112 La fonctionnaire occupait un poste de gestionnaire de la vérification à la CCL depuis 2001. Auparavant, elle a travaillé plusieurs années comme vérificatrice de l’impôt et gestionnaire de la vérification au gouvernement de l’Ontario. En plus de détenir les titres professionnels de CA et de CGA, la fonctionnaire est titulaire de trois diplômes universitaires – un baccalauréat ès arts spécialisé, un baccalauréat en commerce et une maîtrise en études en gestion.

113 La fonctionnaire a déclaré qu’elle a d’abord fait des vérifications internes pour la CCL, mais que par la suite, elle a effectué principalement des vérifications pour le PPCSL avec l’aide de M. Behzadi, qui, a-t-elle reconnu, s’y connaissait plus qu’elle dans ce domaine. Elle a dit que pendant sa carrière à la CCL, la section de la vérification effectuait de 40 à 45 vérifications par année.

114 La fonctionnaire a reconnu que son appel à M. B était inapproprié et dommageable pour la CCL. Elle a admis qu’elle aurait dû faire part de ses préoccupations à M. Core et a accepté l’entière responsabilité de sa conduite. Elle a dit s’être excusée auprès de M. Core le 29 juin 2010.

115 La fonctionnaire a dit qu’en mai 2009, elle était dans le bureau de M. Behzadi quand M. Lalonde est entré et leur a dit qu’il venait d’avoir une conversation téléphonique avec la société D. Cette entreprise alléguait que la société A travaillait en collaboration avec la société E en achetant du lait dans le cadre du PPCSL et en l’expédiant à la société E, qui s’en servait pour faire du paneer, une sorte de fromage indien, car la société A ne détenait pas d’installations de production. M. Lalonde leur a dit qu’il faudrait effectuer une vérification le plus tôt possible. Comme on ne disposait pas de temps pour constituer une équipe de vérification, la fonctionnaire et M. Behzadi ont décidé d’agir immédiatement.

116 La fonctionnaire a dit qu’il était normal que le groupe de M. Lalonde soumette des problèmes à la section de la vérification et que cela ne lui a pas paru inusité d’effectuer une vérification de la société A. Elle a communiqué avec M. B pendant les deux premières semaines de mai 2009 pour l’informer que sa société allait faire l’objet d’une vérification et qu’une équipe de vérification se rendrait à l’usine. La fonctionnaire lui a demandé des registres détaillés, notamment un échantillon des ventes de l’entreprise. M. B a dit à la fonctionnaire que l’équipe pourrait inspecter les installations de production, mais que l’usine était fermée parce que son frère, le responsable de la production, suivait un cours de formation.

117 La fonctionnaire et M. Behzadi se sont rendus à l’usine de la société A en Colombie-Britannique. Comme M. B n’était pas encore arrivé, ils ont procédé à une inspection visuelle depuis leur véhicule et ils ont vu des barils de ghee. À son arrivée, M. B leur a fait faire une visite de son usine, où ils ont vu de faibles quantités de rasmalai, de ghee et de paneer. M. B leur a dit qu’ils avaient commencé récemment à produire du rasmalai.

118 Ils se sont ensuite rendus aux bureaux administratifs de l’entreprise A. À cet endroit, il y avait aussi un grand entrepôt qui appartenait à la société C et qui contenait des marchandises sèches importées de l’Inde. M. B a fait imprimer un échantillon des ventes de l’entreprise A. La fonctionnaire a dit qu’il s’agissait d’une feuille de calcul Excel et que les factures n’étaient pas classées automatiquement en ordre séquentiel. Selon la fonctionnaire, ce n’était pas un motif de préoccupation dans le cas d’une petite entreprise. M. B leur a dit qu’il n’avait jamais entendu parler de la société E.

119 À son retour à Ottawa, la fonctionnaire a remis les documents de la société A à Mme Ritchie pour le rapprochement comptable et l’analyse, aux fins d’examen ultérieur par la fonctionnaire. La fonctionnaire a informé M. Lalonde que la société A existait bel et bien. Elle a déclaré que la seule question qui aurait pu être source de préoccupation pour la CCL était les ventes entre la société A et la société C. La fonctionnaire a dit que M. Behzadi ne travaillait plus sur le dossier et qu’elle a pris des vacances pendant tout le mois de juin 2009. Lorsqu’elle est revenue de vacances, M. Behzadi lui a dit qu’il y avait des problèmes dans le dossier de la société A. Elle lui a répondu qu’elle examinerait le dossier.

120 En juillet 2009, la fonctionnaire, M. Behzadi et M. Chiang se sont rendus à Toronto pour faire des vérifications. Un jour où ils avaient terminé leur journée de travail plus tôt et étaient retournés à leur véhicule, M. Behzadi a produit trois factures de la société A pour des ventes effectuées entre le 1er octobre 2007 et le 30 septembre 2008 et a dit qu’il voulait aller jeter un coup d’œil chez ces utilisateurs des produits de la société A. La fonctionnaire a dit à M. Behzadi qu’elle n’était pas d’accord avec cette méthode. Elle était d’avis que les nouveaux immigrants qui exploitaient ces petites entreprises parleraient à tous les gens de leur communauté de ce genre de visite. Même si elle n’avait pas de scrupules à ’réprimer la fraude, elle estimait que le PPCSL, un programme volontaire, avait pour objectif de permettre à ces entreprises d’acheter des produits laitiers, et non de les punir.

121 M. Behzadi s’est rendu à l’adresse de la première entreprise; le bâtiment, a dit la fonctionnaire, était condamné. Dans les installations de la deuxième entreprise, M. Behzadi a parlé à une femme qui lui a dit que l’entreprise achetait du ghee, mais pas du rasmalai. La troisième entreprise était une entreprise des Indes orientales qui, la fonctionnaire le savait, achetait du rasmalai. La fonctionnaire ne voulait pas entrer dans l’établissement. M. Behzadi a dit que lorsqu’ils verraient la feuille d’érable sur sa carte professionnelle, ils parleraient. La fonctionnaire a dit que M. Behzadi et M. Chiang sont entrés dans l’établissement. M. Behzadi a ensuite appelé la fonctionnaire pour qu’elle vienne les rejoindre, ce qu’elle a fait. La fonctionnaire a dit qu’ils étaient assis dans une salle de conférence et que le propriétaire de l’entreprise était visiblement nerveux. Il a pris la facture, qui concernait 60 caisses de rasmalai, et les a quittés pendant 30 minutes. À son retour, il leur a dit que son système de comptabilité avait de l’âge et que la facture remontait à deux ans. La fonctionnaire a dit qu’elle n’était pas contente de la façon dont la réunion était menée. Le groupe a ensuite effectué les autres vérifications qu’il avait à faire pour d’autres entreprises, puis est retourné à Ottawa.

122 La fonctionnaire a dit qu’elle n’a parlé à personne de la CCL de ses préoccupations à propos de l’approche utilisée par M. Behzadi. Ce dernier a informé M. Hansis de ses constatations, et ce dernier a dit que l’analyse faite par Mme Ritchie du dossier de la société A avait mis au jour des problèmes concernant les ventes entre la société A et la société C. M. Hansis a dit qu’on effectuerait une vérification exhaustive de la société A, étant donné les résultats de l’analyse et les ventes. La fonctionnaire a dit qu’elle était d’accord avec cette décision. Elle a dit qu’une vérification exhaustive est une vérification effectuée par les deux gestionnaires de la vérification et deux vérificateurs sur une période de quatre jours.

123 La fonctionnaire a dit qu’il a été décidé que la deuxième vérification de la société A serait effectuée en août 2009. Au cours de la première semaine d’août, M. Behzadi a dit à la fonctionnaire qu’il avait eu une longue conversation téléphonique avec le président de la société D, au cours de laquelle ils avaient parlé de la société A. M. Behzadi a dit que la société D utilisait moins de lait dans sa recette de rasmalai que la société A. La société D alléguait que la société A introduisait illégalement du beurre dans des boîtes de conserve portant l’étiquette « margarine » et que plusieurs entreprises alimentaires des Indes orientales commettaient des fraudes. M. Behzadi a donné à M. Chiang une liste d’entreprises des Indes orientales pour qu’il vérifie si elles participaient au PPCSL. M. Behzadi a dit à la fonctionnaire que la société D avait offert d’aider la CCL en achetant du rasmalai à la société A et en fournissant les factures à la CCL.

124 La fonctionnaire a dit qu’elle ne se sentait pas à l’aise dans cette situation parce que, du point de vue de la vérification, cette information est confidentielle. Elle n’aimait pas que la société D incite la CCL à poursuivre ses concurrents. La fonctionnaire a dit avoir parlé de ses préoccupations à M. Behzadi, mais à personne d’autre. Elle a déclaré que la seule personne à qui elle aurait pu en parler était M. Hansis, mais elle n’a jamais pensé le faire. Elle considérait M. Behzadi comme le gestionnaire principal de la vérification et elle l’admirait parce qu’il possédait de grandes connaissances.

125 L’équipe qui a été chargée de la vérification de la société A à Vancouver était composée de la fonctionnaire, de M. Behzadi, de Mme Ritchie et de M. Chiang. La vérification a eu lieu sur une période de quatre jours, du mardi au vendredi, aux bureaux administratifs de l’entreprise. Comme la visite de l’usine était prévue pour le vendredi, Mme Ritchie a accepté de demeurer à Vancouver, alors que les autres membres de l’équipe sont retournés à Ottawa.

126 La fonctionnaire a dit que la société A leur a remis plusieurs documents qu’ils avaient demandés et a dit qu’il en enverrait d’autres aux bureaux de la CCL, ce qui, aux dires de la fonctionnaire, était normal. Le jeudi après-midi, la fonctionnaire a aidé M. Chiang à photocopier des relevés bancaires dans une autre section du bureau. À son retour, elle a remarqué que tout le monde était tendu. Elle a serré la main de M. B et l’équipe de vérification est repartie. La fonctionnaire a dit qu’aussitôt qu’ils sont sortis à l’extérieur, Mme Ritchie répétait [traduction] « Avez-vous vu comment M. B tremblait? » Mme Ritchie a dit que M. Behzadi avait prévenu M. B que la CCL lui réclamerait environ 183 000 $. À leur retour à l’hôtel, la fonctionnaire a attendu d’être seule avec M. Behzadi et lui a dit : [traduction] « Vous lui avez parlé de réclamation, et la visite de l’usine est demain. »

127 La fonctionnaire a réagi parce que ce qui s’était passé ne correspondait pas à la procédure normale. Selon son expérience, on n’émet pas de réclamation avant que la vérification soit terminée. Habituellement, les vérificateurs retournent à leur bureau, examinent les documents et appellent le client pour lui faire part des résultats préliminaires. Les réclamations sont habituellement émises à la fin de l’année. Selon la fonctionnaire, étant donné que c’est la société D, un concurrent, qui était à l’origine de la vérification, on aurait dû procéder avec prudence. Elle n’était pas d’accord avec la méthode utilisée auprès de la société A, estimant que ce n’était pas correct, et elle n’avait jamais vu ça durant ses neuf années à la CCL.

128 Le lundi suivant, aux bureaux de la CCL, Mme Ritchie a dit à ses collègues que pendant la visite de l’usine de la société A, le frère de M. B lui avait dit qu’il était au courant que la société D était à l’origine de la vérification et que la société D avait dit à l’ACIA, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international et aux vérificateurs de la Colombie-Britannique que la société A était impliquée dans des activités illégales. Elle a dit que le frère de M. B lui avait dit qu’il en avait été informé par un inspecteur de l’ACIA.

129 En septembre 2009, pendant que la fonctionnaire effectuait une vérification sur les lieux de la société E, à Calgary, avec M. Behzadi et Mme Lecavalier, M. Behzadi lui a demandé de lui transférer le dossier de la société A. La fonctionnaire a dit qu’elle était d’accord, car elle avait déjà le sentiment de ne plus maîtriser ce dossier. Elle a dit qu’elle était encore considérée comme un membre de l’équipe de vérification de la société A et que M. Hansis lui a demandé qu’elle donne son appui à la réclamation.

130 La fonctionnaire a dit à M. Hansis, en décembre 2009, qu’elle n’était pas d’accord avec la vérification par une tierce partie dans le cas des petites entreprises, ni avec la décision de désavouer les ventes entre la société A et la société C. Elle a dit à M. Hansis que la CCL pourrait suspendre le permis des classes spéciales de lait de la société A ou envoyer à l’entreprise une lettre de la direction. La fonctionnaire a demandé à M. Hansis de parler de cette question avec l’avocat de la CCL. M. Hansis a répondu qu’il avait prévu cette semaine-là une rencontre avec l’avocat, qui allait prendre sa retraite à la fin de la semaine. Après cette rencontre, M. Hansis a dit à la fonctionnaire que l’avocat n’était pas d’accord avec les mesures prises dans ce dossier. M. Hansis lui a dit qu’en tant qu’avocat, celui-ci usait de prudence, mais que [traduction] « C’est encore moi qui prends les décisions. »

131 La fonctionnaire a déclaré qu’à la suite de sa conversation avec M. Hansis, elle n’a parlé à personne d’autre de ses préoccupations. Elle a participé à des réunions sur le dossier de la société A et a dit que M. Behzadi et M. Hansis étaient persuadés que la société A était impliquée dans des activités frauduleuses. La fonctionnaire a affirmé que durant une discussion avec M. Behzadi, ce dernier lui a dit que M. Hansis subissait des pressions de la CCL pour découvrir des fraudes importantes.

132 La fonctionnaire a dit que même si elle ne considérait pas que la société A était innocente, elle était d’avis que les preuves recueillies durant la vérification étaient encore insuffisantes pour justifier une allégation de fraude. Elle était d’avis que la vérification par une tierce partie, de façon générale, ne permet pas de corroborer les allégations de fraude, surtout quand il s’agit de petites entreprises exploitées par de nouveaux immigrants. Pour le dossier de la société A, elle a dit que c’était là la différence entre son approche et celle de M. Behzadi. La fonctionnaire a reconnu qu’un autre vérificateur aurait pu adopter une approche différente.

133 La fonctionnaire a ensuite décrit les événements qui ont mené à son appel téléphonique à M. B. Elle a dit qu’en janvier 2010, elle a eu un appel de M. B, qui lui a dit avoir reçu une lettre de la CCL dans laquelle on indiquait qu’il devait consentir à une vérification par une tierce partie (pièce E-9). Il a dit à la fonctionnaire qu’il avait envoyé des documents à Mme Ritchie, mais que la CCL n’avait pas communiqué avec lui par la suite. Il s’est plaint que lorsque les vérificateurs poseraient des questions aux tierces parties, son entreprise serait ruinée. La fonctionnaire a dit à M. B qu’elle n’était plus la gestionnaire responsable de son dossier et elle lui a suggéré de communiquer avec M. Behzadi, qui était chargé du dossier. La fonctionnaire a dit que M. B a refusé et a dit que M. Behzadi était du côté de la société D. La fonctionnaire lui a donc suggéré d’appeler M. Hansis ou M. Core. La fonctionnaire a dit n’avoir envoyé aucun document à M. B pour confirmer leur conversation. Elle a dit qu’après l’appel, elle a dit à M. Behzadi que M. B était contrarié à l’idée de la vérification par une tierce partie. Elle a dit qu’il avait répondu : [traduction) « J’ai le dos large. » La fonctionnaire a déclaré qu’elle n’a parlé de cette conversation ni avec M. B ni avec personne d’autre.

134 En mars 2010, la fonctionnaire a reçu un appel téléphonique de M. B, qui lui a dit avoir reçu une autre lettre de la CCL dans laquelle on demandait la vérification par une tierce partie des clients de la société A (pièce E-1, onglet 10). M. B a encore une fois exprimé son inquiétude quant aux effets sur son entreprise si les vérificateurs devaient communiquer avec les tierces parties. M. B cherchait à obtenir l’aide de la fonctionnaire, mais elle lui a dit qu’elle n’avait pas la maîtrise du dossier. Elle a dit à M. B de consulter un avocat et qu’elle recommuniquerait avec lui. Elle a dit s’être sentie prise émotivement dans la situation de la société A.

135 La fonctionnaire a déclaré avoir appris de M. Hansis ou de M. Behzadi que la société A avait menacé de poursuivre la CCL. Elle a dit à M. Behzadi que la CCL n’avait pas suffisamment de preuves découlant de la vérification pour justifier une demande contre la société A. M. Behzadi a répondu que la CCL ne serait pas poursuivie et que ce n’était qu’un jeu. La fonctionnaire a dit que dans une discussion avec M. Behzadi au sujet de la société A, environ deux semaines plus tard, M. Behzadi a dit qu’il leur fallait trouver une preuve irréfutable. Lorsque la fonctionnaire lui a dit qu’elle n’aimait pas la tournure que la vérification prenait, M. Behzadi a répondu : [traduction] « Excusez mon langage. Je vais diminuer le montant de la réclamation. Je veux seulement que M. B ch*** dans son pantalon pendant un bout de temps. » La fonctionnaire a dit qu’elle ne se sentait pas à l’aise sur le plan émotif parce qu’elle avait l’impression que les vérifications des entreprises A et E servaient les propres intérêts de la CCL.

136 En avril 2010, la fonctionnaire a dit à Mme Ritchie qu’elle n’aimait pas la tournure que prenait la vérification de la société A et qu’elle songeait à en parler à M. Core. Mme Ritchie a répondu que cela ne servirait à rien, car elle lui en avait elle-même parlé pendant un long moment, et elle n’avait jamais eu par la suite de nouvelles de lui ou de M. Hansis. La fonctionnaire a quand même pensé qu’elle rencontrerait M. Core pour lui parler des entreprises A et E.

137 La fonctionnaire a ensuite décrit une réunion portant sur la société E à laquelle elle était présente, de même que M. Hansis, M. Behzadi et Mme Lecavalier. M. Hansis a dit qu’il avait participé à une réunion des cadres supérieurs et que cela s’était bien déroulé; il leur avait dit avoir trouvé trois fraudes importantes. Il leur avait dit : [traduction] « Je ne suis pas un partisan du profilage racial, mais les ressortissant des Indes orientales sont une bande de tricheurs. » La fonctionnaire a dit qu’à ce moment-là, elle a baissé la tête. M. Hansis lui a touché l’épaule et a dit : [traduction] « Écoutez la meilleure partie; le président de la CCL a renchéri “Oui, j’ai vécu là. Je sais que c’est une bande de tricheurs et de menteurs”. » La fonctionnaire a dit avoir demandé si M. Core était présent à cette réunion et s’il avait dit quelque chose. M. Hansis a dit que M. Core était là et qu’il avait ri avec les autres. La fonctionnaire n’a parlé à personne de cet incident. Elle était d’avis que les choses pourraient être améliorées à la section de la vérification. Elle était déterminée à faire examiner le dossier de la société A par quelqu’un.

138 Durant la même période, en avril 2010, M. Lalonde a rencontré la fonctionnaire et lui a dit que le président de la société D pressait la CCL de vérifier la société F, un fabricant de rasmalai. Le problème était le même que pour la société A, c’est-à-dire l’utilisation du permis des classes spéciales de lait. La fonctionnaire a été affectée à ce dossier.

139 M. Hansis a informé la fonctionnaire que la société A recevrait une lettre d’avocat de la CCL. Elle s’est demandé si elle pouvait faire quelque chose, mais elle ne voulait pas en parler à M. Core, parce qu’elle pensait à la réunion où tout le monde avait ri après les commentaires sur les ressortissants des indes orientales. C’est alors qu’elle a téléphoné à M. B.

140 La fonctionnaire a dit que lorsqu’elle a entendu le disque compact de sa conversation téléphonique, elle a été secouée. Elle était d’accord avec les réactions des témoins de l’employeur. Elle a dit que ses intentions étaient bonnes, puisqu’elle voulait dire à M. B d’attendre pendant qu’elle s’efforcerait de faire examiner le dossier de la société A. Elle croyait pouvoir arranger les choses. Elle lui a conseillé de gagner du temps et, pour le convaincre, elle lui a dit que la CCL ne le poursuivrait pas.

141 Lorsqu’on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas eu recours à d’autres solutions, la fonctionnaire a répondu qu’elle ne se voyait pas comme une employée d’Agriculture Canada, mais plutôt comme un membre de la CCL. Elle a ajouté qu’elle n’a jamais pensé à parler du dossier à quelqu’un de l’extérieur de la CCL. Elle a dit n’avoir parlé à personne de la CCL de sa discussion avec M. B et avoir demandé à ce dernier de n’en parler à personne non plus parce qu’elle ne voulait pas avoir d’ennuis. La fonctionnaire a dit avoir eu des sentiments contradictoires, car la société A était peut-être coupable de fraude, mais des personnes innocentes pourraient être blessées à cause de l’énergie que mettaient les vérificateurs à trouver des fraudes. Elle estimait que la société D pressait indirectement la CCL d’éliminer ses concurrents. La fonctionnaire a dit que lorsqu’elle a vérifié la société F avec M. Behzadi, tout était en règle. Elle a dit que le président de la société F leur a dit qu’il savait que c’était la société D qui les avait envoyés pour faire une vérification de son entreprise.

142 Lorsqu’on lui a demandé pourquoi la fonction publique devrait lui faire confiance alors que ses collègues ne lui faisaient plus confiance, la fonctionnaire a dit que même si elle avait mal agi et avait causé du tort à la CCL, elle ne referait jamais ce qu’elle a fait. Elle se rend compte qu’elle aurait dû faire davantage confiance au système et faire part de ses préoccupations à M. Core plutôt que d’essayer de régler elle-même le problème.

143 La fonctionnaire a dit regretter avoir envoyé le courriel à son représentant syndical, avec copie conforme à M. Core et à Mme Novielli (pièce E-1, onglet 19). Elle a dit que le jour où elle a été licenciée, elle était d’accord pour que M. Core informe le personnel de la CCL qu’elle était en congé pendant l’enquête sur le dossier de la société A. Quelques jours plus tard, lorsqu’elle a téléphoné à un adjoint administratif à la CCL pour s’informer du plan d’aide aux employés, on lui a dit que personne à la CCL n’était censé lui parler ou avoir des contacts avec elle. On avait dit au personnel que si elle appelait, on devait prendre des notes de la conversation et les transmettre à Mme Novielli. La fonctionnaire a dit qu’elle était fâchée et qu’elle avait écrit le courriel pendant qu’elle était dans cet état d’esprit.

144 La fonctionnaire a dit que comme son sentiment de colère persistait, elle en a discuté avec son analyste, qui lui a recommandé qu’elle tente de tourner la page en appelant M. B et en lui disant comment elle se sentait à propos du rôle qu’il avait joué dans son licenciement. C’est ce qu’elle a fait, et cela lui a permis de tourner la page.

145 Lorsque son avocat lui a demandé ce qu’elle estimerait être une sanction appropriée, la fonctionnaire a proposé la rétrogradation ou une perte de salaire.

146 Durant son contre-interrogatoire, la fonctionnaire a reconnu qu’elle connaissait bien le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (pièce E-3, onglet 4) et qu’elle avait participé à une formation sur ce sujet en décembre 2003. Elle a aussi reconnu avoir aidé à rédiger le Code de la CCL, dont une copie était jointe à une lettre adressée à elle par M. Hansis, datée du 6 mars 2009 (pièce E-8), qu’elle a admis avoir reçue. La fonctionnaire a aussi reconnu que, comme il est indiqué sur son sommaire de formation (pièce E-12), elle a participé en décembre 2006 à un atelier de deux jours sur les communications et la résolution de conflits. La fonctionnaire a reconnu sa signature sur le Serment d’office et de discrétion. Lorsqu’on l’a renvoyée à la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat de la CCL (pièce E-1, onglet 2), la fonctionnaire a déclaré ne l’avoir jamais vue. Elle a admis qu’elle avait accès à l’intranet de l’employeur.

147 La fonctionnaire a reconnu qu’il n’était pas normal, selon la procédure habituelle de la vérification, qu’elle téléphone au président d’une entreprise faisant l’objet d’une vérification par la CCL pour lui conseiller d’informer son avocat des différentes méthodes à utiliser pour entraver le déroulement de la vérification, pour lui suggérer d’exagérer les torts causés à la réputation de son entreprise et ses pertes financières, pour lui conseiller d’intimider la CCL, pour lui fournir de l’information confidentielle échangée entre un avocat et son client, pour lui faire des commentaires sur ses collègues, pour lui conseiller de faire une demande d’AIPRP et lui suggérer des mots-clés pour cette demande, et qu’elle lui dise de ne pas parler de cet appel, de ne pas révéler son nom à quiconque ou de ne pas divulguer à son superviseur et à ses collègues le fait qu’elle a communiqué avec l’entreprise. La fonctionnaire a déclaré que cet appel à la société A alors qu’elle n’était plus chargée du dossier de la vérification était non seulement contraire à la procédure normale de vérification, mais totalement condamnable. Elle a admis ne pas avoir vérifié quelles pourraient être les répercussions de la divulgation à des tierces parties de renseignements confidentiels échangés entre un avocat et son client.

148 On a renvoyé la fonctionnaire à la section de la transcription de sa discussion téléphonique avec M. B dans laquelle elle lui a conseillé de faire une demande AIPRP par l’intermédiaire de son avocat, ce qui aurait pour effet d’occuper la CCL et son secrétaire général jusqu’à cinq mois. La fonctionnaire a affirmé qu’elle avait inventé cette information, qu’elle n’avait jamais participé à une demande d’AIPRP et qu’elle n’avait aucune idée de la durée de ce processus. La fonctionnaire a maintenu qu’elle n’avait pas prévu faire ces commentaires et qu’elle n’avait aucune raison de les faire. Elle a dit que le dossier de vérification de la société A a été transféré à M. Behzadi en septembre 2009.

149 La fonctionnaire a dit que le 22 janvier 2010, après avoir reçu un appel de M. B qui se plaignait à propos d’une lettre reçue de la CCL au sujet d’une vérification par une tierce partie, elle a informé M. Behzadi de l’appel le jour même ou le lendemain. La fonctionnaire a déclaré que M. B avait appelé à son bureau, car il n’avait pas le numéro de son téléphone cellulaire.

150 Quand on lui a demandé si elle avait rempli un formulaire sur les conflits d’intérêts à propos de ses échanges avec la société A, la fonctionnaire a répondu qu’elle ne l’avait pas fait, car elle ne savait pas que ce genre de formulaire existait à la CCL.

151 Pour ce qui est des commentaires qui auraient été faits sur les ressortissants des Indes orientales, la fonctionnaire a dit ne pas avoir exprimé ses préoccupations à Mme Novielli ou à M. Core. Elle leur en a parlé à la réunion de juin 2010. Elle a reconnu qu’elle n’avait pas demandé le compte rendu de la réunion des cadres supérieurs pour vérifier si le président de la CCL y avait assisté.

152 Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait pas parlé à son représentant syndical de ses préoccupations à propos de la vérification par une tierce partie, la fonctionnaire a répondu qu’elle n’avait pas de liste des représentants. Elle a dit qu’elle n’était pas au courant qu’il y avait un agent de l’intégrité de la fonction publique et qu’elle n’avait pas communiqué avec ses organisations professionnelles pour parler de ses préoccupations au sujet de la vérification.

153 Pour ce qui est de communiquer avec la CCL après sa suspension, la fonctionnaire a dit que la lettre de suspension mentionnait qu’elle devait appeler Mme Novielli si elle voulait parler de questions concernant le travail et qu’elle ne devait parler de l’enquête à personne. Elle a téléphoné à propos d’une question personnelle et on ne l’a pas informée qu’elle ne devait parler à personne à la CCL. Elle a reconnu ne pas avoir appelé Mme Novielli ou M. Core pour clarifier si elle pouvait communiquer avec quelqu’un à la CCL.

154 Quand on lui a demandé si elle avait rétracté les propos qu’elle avait formulés dans son courriel, dont une copie avait été envoyée à Mme Novielli et à M. Core, la fonctionnaire a dit qu’elle ne l’avait pas fait et qu’elle n’avait plus pensé au courriel. Elle a reconnu ne pas avoir communiqué avec l’employeur avant d’appeler M. B après son licenciement et n’avoir jamais pensé à le faire parce qu’elle jugeait qu’il s’agissait d’une affaire personnelle.

155 Pendant le réinterrogatoire, la fonctionnaire a déclaré que depuis son licenciement, elle n’a pas réussi à trouver d’emploi. Malgré ses efforts, elle n’a jamais été appelée pour une entrevue. Elle a dit aussi qu’elle n’a jamais pensé être en conflit d’intérêts dans le dossier de la société A et a réitéré qu’elle ne savait pas qu’il existait à la CCL des formulaires sur les conflits d’intérêts.

2. Témoignage de Peggy Ritchie

156 Mme Ritchie a pris sa retraite de la CCL en juin 2011 après 28 ans de service. Elle a été vérificatrice de 1995 à 2011 et avait auparavant occupé le poste de directrice adjointe de la section du marketing à la CCL.

157 Mme Ritchie a dit que lorsqu’elle a entendu le disque compact de la discussion de la fonctionnaire avec M. B, sa première impression a été que la fonctionnaire avait fait une bêtise. L’opinion de Mme Ritchie sur la fonctionnaire était que cette dernière était une gestionnaire équitable et professionnelle.

158 Mme Ritchie a dit qu’on lui avait assigné le dossier de la société A. Elle avait préparé le dossier et essayé de faire le rapprochement avant la première vérification sur le terrain, qui a eu lieu en mai 2009. Elle a dit que lorsque la fonctionnaire et M. Behzadi sont revenus après la vérification, la documentation qu’ils avaient obtenue de la société A était incomplète. Comme on n’avait pas de preuves pour corroborer les ventes de la société A, il fallait procéder à une deuxième vérification sur le terrain. Mme Ritchie a participé à cette deuxième vérification avec la fonctionnaire, M. Behzadi et M. Chiang.

159 Le deuxième ou le troisième jour de la deuxième vérification sur le terrain, aux bureaux administratifs de l’entreprise, les vérificateurs ont discuté du dossier avec M. B et sa femme et les ont informés qu’ils n’avaient pas fourni assez de documents aux vérificateurs. Mme Ritchie a dit qu’à un moment donné de la rencontre, la femme de M. B est sortie du bureau avec la fonctionnaire et M. Chiang pour aller chercher des documents à leur remettre, laissant Mme Ritchie dans le bureau avec M. Behzadi et M. B. Mme Ritchie a dit que M. Behzadi a alors informé M. B que la CCL émettrait une demande de remboursement substantielle contre la société A. Mme Ritchie a dit que la vérification n’était pas encore terminée. Selon elle, pendant une vérification sur le terrain, les vérificateurs de la CCL montrent habituellement à l’entreprise qui fait l’objet de la vérification les documents qu’ils possèdent et expliquent à l’entreprise le plan d’action de la CCL. On informe l’entreprise de la possibilité d’une demande de remboursement si elle ne fournit pas les documents justificatifs demandés. Dans le cas de la société A, Mme Ritchie a dit que l’entreprise n’avait pas fourni les preuves nécessaires. Elle a dit que la discussion entre M. Behzadi et M. B avait été polie et cordiale. La seule chose qu’elle trouvait étrange était que la demande de remboursement qui serait émise contre la société A serait substantielle. Elle ne se souvenait pas si le montant du remboursement avait été précisé. Mme Ritchie a dit que M. Behzadi et elle ont raconté à la fonctionnaire et à M. Chiang ce qui s’était passé pendant la discussion avec M. B, mais elle ne se souvenait pas de ce qui avait été dit.

160 Mme Ritchie a dit qu’après la rencontre, les vérificateurs se sont rendus à plusieurs magasins de Burnaby à qui M. B avait dit avoir vendu du rasmalai, et ils ont cherché le produit sur les étagères. Mme Ritchie a trouvé cela plutôt inhabituel, car il était peu probable que le produit soit sur les étagères s’il avait été vendu plusieurs mois avant. Elle a dit qu’elle avait participé à de nombreuses vérifications sur le terrain et qu’on n’avait jamais fait ce genre de chose.

161 Les autres vérificateurs sont retournés à Ottawa le vendredi, mais Mme Ritchie a passé une bonne partie de la journée à faire l’inspection de l’usine avec le frère de M. B. Au cours de leurs conversations, le frère de M. B a dit à Mme Ritchie que son entreprise avait fait l’objet de plusieurs inspections d’Agriculture Canada sur des questions hautement techniques concernant l’équipement. Il a dit que l’inspecteur ne pouvait être au courant des problèmes que si une personne bien informée avait transmis cette l’information à Agriculture Canada. Il a dit qu’un inspecteur l’avait informé que la société D avait fourni les renseignements à Agriculture Canada. Mme Ritchie a dit qu’elle n’avait aucune raison de mettre en doute ces commentaires, mais elle ne les a pas confirmés. Après son retour à Ottawa, elle a répété ces commentaires à la fonctionnaire, à M. Behzadi, à M. Chiang et à M. Hansis.

162 Mme Ritchie a dit que la société A a présenté de nombreuses excuses pour ne pas avoir produit en temps opportun les documents demandés par les vérificateurs. Elle a qualifié ces excuses de [traduction] « foutaises » et a dit que la société A n’était pas la première à se livrer à ce genre de pratique. Lorsque la société A a fourni quelques documents, le groupe de Mme Ritchie a présumé que ces documents avaient été truqués, car ils étaient trop parfaits. Selon ces documents, 50 % des ventes de la société A avaient été faites à la société C, et par la suite aux clients. Mme Ritchie a dit qu’elle ne croyait pas que M. B faisait des déclarations mensongères, mais qu’elle n’avait pas l’expérience de M. Behzadi et de la fonctionnaire.

163 Mme Ritchie a déclaré que, selon son expérience, le dossier de la société A a été traité différemment des autres dossiers. Elle avait l’impression qu’il fallait que le dossier soit mené à terme parce que la société A fraudait. Certaines choses ont été bien faites par la société A, mais l’entreprise n’avait aucune explication pour les choses qui n’avaient pas été bien faites. Elle ne pouvait pas affirmer que laCCL cherchait à s’en prendre à la société A, mais elle avait l’impression que c’était le cas. Mme Ritchie a dit que jamais auparavant elle n’avait eu un dossier de vérification si volumineux. Elle a dit qu’habituellement, après une vérification, on envoie à l’entreprise faisant l’objet de la vérification une lettre résumant les constatations des vérificateurs pour lui donner la possibilité de réfuter ou d’expliquer les constatations. Selon Mme Ritchie, on n’avait pas donné cette possibilité à la société A. Mme Ritchie a dit que la durée habituelle du traitement d’un dossier de vérification est de quatre ou cinq mois. Dans le cas de la société A, on était en train de terminer le traitement du dossier lorsqu’elle a pris sa retraite de la CCL en juin 2011.

164 Lorsqu’on lui a parlé des commentaires sur les ressortissants des Indes orientales qui auraient été prononcés durant une réunion des cadres supérieurs, Mme Ritchie a répondu qu’elle en avait été informée par une tierce partie, mais elle ne se rappelait pas qui lui en avait parlé. Elle avait su que le président de la CCL avait fait ces commentaires, et elle ne savait pas si M. Hansis avait fait des commentaires semblables. Elle n’a parlé de ces commentaires à un superviseur.

165 En ce qui concerne sa discussion avec M. Core, Mme Ritchie a dit qu’elle n’avait porté que sur sa demande d’une semaine de travail comprimée, et qu’il n’était pas question de la société A. La fonctionnaire lui a dit qu’elle songeait à parler à M. Core du dossier de la société A, et Mme Ritchie l’a encouragée à le faire.

166 Durant le contre-interrogatoire, Mme Ritchie a reconnu que le dossier de la société A aurait probablement été clos si l’entreprise avait fourni tous les documents demandés. Elle a dit que même si elle a eu des discussions téléphoniques avec M. B et son frère, elle ne les aurait jamais appelés pour leur dire d’engager des poursuites contre la CCL.

C. Contre-preuve de l’employeur

167 M. Behzadi a affirmé qu’il n’a jamais communiqué d’information sur la société A au président de la société D. Il a dit qu’après la première vérification de la société A en mai 2009, il ne croyait pas qu’il y avait de la fraude. Pendant la vérification à Toronto, lorsqu’il s’est rendu aux magasins à qui la société A alléguait avoir vendu des produits, il a commencé à avoir des soupçons lorsqu’il a constaté qu’il n’y avait aucun produit de la société A sur les étagères.

168 M. Behzadi a dit que la société A était de taille moyenne, qu’elle avait de 12 à 15 employés, dont trois travaillaient à la transformation, et qu’elle avait un entrepôt de 120 000 pieds carrés. Il a dit que la vérification de la société A n’a pas été dictée par la fraude ou la demande de remboursement. C’était une vérification inhabituelle parce que la société A n’a pas fourni les documents appropriés au début. Pour ce qui est des vérifications par une tierce partie, M. Behzadi a dit que cette méthode avait déjà été utilisée par la CCL dans un cas de fraude, trois ou quatre ans auparavant. M. Behzadi a déclaré que l’entreprise a le fardeau de prouver que le produit est utilisé conformément aux exigences du PPCSL.

169 M. Core a précisé que lorsqu’un permis de classes spéciales de lait est annulé, le transformateur doit faire une nouvelle demande dans le cadre du PPCSL. Si un permis est suspendu, il le demeure jusqu’à ce que le problème soit résolu. M. Core a dit que si le permis d’une entreprise est suspendu ou annulé et que l’entreprise ne souhaite pas faire une nouvelle demande de permis, la seule façon pour la CCL de recouvrer le montant que l’entreprise lui doit est de la poursuivre en justice. Il a dit qu’il est important que la CCL recouvre les montants qu’on lui doit, car ces sommes appartiennent aux producteurs laitiers du Canada.

170 M. Core a dit que sa rencontre avec Mme Ritchie n’a pas porté sur le dossier de la société A, mais sur la demande de Mme Ritchie pour avoir une semaine de travail comprimée et sur sa retraite anticipée. Il a dit qu’il n’y avait aucune raison pour que la fonctionnaire ne s’adresse pas directement à lui pour lui faire part de ses préoccupations.

171 M. Core a dit qu’il n’était pas au courant que la fonctionnaire avait appelé M. B après avoir été licenciée. Il se serait attendu à ce qu’une fonctionnaire qui avait été licenciée ne communique plus avec une entreprise faisant l’objet d’une vérification.

172 Durant le contre-interrogatoire, M. Core a convenu du fait que la suspension du permis de classes spéciales de lait d’une entreprise n’empêche pas la CCL d’émettre une demande de remboursement à cette entreprise.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

173 L’employeur a mis en évidence plusieurs problèmes découlant de la transcription de l’appel téléphonique de la fonctionnaire à M. B. La fonctionnaire n’a pas seulement conseillé à M. B de retarder la vérification; elle lui a aussi donné de l’information à transmettre à son avocat, entre autres d’engager des poursuites contre la CCL pour atteinte à la réputation de la société A et perte de revenus; elle a divulgué des renseignements privilégiés échangés entre un avocat et son client, ainsi que des renseignements confidentiels sur la société D. L’employeur a aussi allégué que la fonctionnaire a incité M. B à mentir au sujet de l’offre faite par la CCL de faire appel à un cabinet de vérificateurs indépendant et qu’elle a fait des commentaires désobligeants sur ses collègues, M. Hansis et M. Behzadi. La fonctionnaire a dit à M. B de ne pas mentionner son nom à son avocat ni à personne d’autre. La fonctionnaire a reconnu, durant le contre-interrogatoire, s’être mal conduite en admettant que rien de ce qu’elle avait fait n’était en accord avec la procédure de vérification normale.

174 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’a informé personne à la CCL de son appel à M. B et que l’employeur a été mis au courant de l’appel seulement à la fin de juin 2010 par l’intermédiaire de l’avocat de M. B. La fonctionnaire a admis avoir fait l’appel seulement lorsqu’on lui a montré la transcription. L’employeur a soutenu que ni M. Core ni Mme Novielli ne se souvenaient que la fonctionnaire se soit excusée pour son inconduite.

175 L’employeur a fait valoir que la fonctionnaire a reconnu avoir reçu un exemplaire du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et avoir participé à la rédaction du Code de la CCL (pièce E-1, onglet 1). L’employeur a fait référence à la section du Code de la CCL intitulée [traduction] « Conduite des employés de la CCL », qui est énoncée comme suit :

[Traduction]

Le deuxième ensemble de principes reconnaît que la réputation de la CCL en tant qu’organisation, ainsi que la valeur qu’elle représente pour le gouvernement et l’industrie laitière dépendent du travail et du comportement de ses employés. Chaque employé a la responsabilité de protéger et d’améliorer la réputation, la valeur publique et l’environnement de travail de la CCL. Les employés doivent agir avec intégrité, respecter leurs engagements et accepter la responsabilité de leurs actions. Les employés doivent discuter avec leur gestionnaire avant d’entreprendre toute action qui pourrait constituer un risque pour la réputation, le rendement ou le bien-être de l’organisation. Les employés doivent traiter les autres avec respect, équité et tolérance dans toutes les circonstances.

176 L’employeur a indiqué que la fonctionnaire a reconnu avoir participé à la présentation que M. Hansis a donnée en décembre 2003 sur les valeurs et l’éthique. L’employeur s’est référé à la présentation PowerPoint (pièce E-1, onglet 3). À la section intitulée [traduction] « Conséquences des conflits d’intérêts », à la page 7, on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

  • Il faut éviter les conflits d’intérêts (réels ou apparents)
  • Les conflits d’intérêts ne touchent pas uniquement les opérations financières et les avantages économiques
  • Il faut conserver la confiance du public à l’égard de l’objectivité du gouvernement

177 À la page 8 de la présentation PowerPoint, intitulée [traduction] « Fonctions particulières des fonctionnaires », on peut lire ce qui suit :

[Traduction]

  • Ne doivent jamais outrepasser leurs fonctions officielles pour venir en aide à des personnes, physiques ou morales, dans leurs rapports avec le gouvernement, si cela peut occasionner un traitement de faveur.

178 L’employeur a ensuite parlé du caractère approprié de la mesure disciplinaire. Il a soutenu que le licenciement était la seule sanction disciplinaire appropriée pour l’inconduite de la fonctionnaire. Lorsqu’il a parlé des facteurs à prendre en considération pour décider d’une sanction disciplinaire, l’employeur s’est fondé sur Brazeau c. Administrateur général (ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux), 2008 CRTFP 62. L’employeur a allégué que le fait que la fonctionnaire n’a pas retiré un avantage financier de son inconduite et le fait qu’elle a coopéré avec l’enquête d’Ernst & Young n’étaient pas les seuls facteurs à prendre en considération, puisque le 29 juin 2010, elle s’est rendu compte qu’elle avait été prise.

179 L’employeur a fait valoir que l’inconduite de la fonctionnaire a été aggravée par plusieurs facteurs. Le premier était la nature de l’inconduite, qui était essentiellement comme elle a été décrite précédemment. L’employeur a ajouté que la fonctionnaire n’a jamais rétracté la menace de poursuite en justice qu’elle a adressées par courriel à M. Core et Mme Novielli, qu’elle a téléphoné à M. B après avoir été licenciée sans en informer la CCL, et qu’elle ne saisissait pas pourquoi elle aurait dû informer la CCL.

180 Le deuxième facteur aggravant présenté par l’employeur était que l’appel téléphonique de la fonctionnaire à M. B était prémédité. L’employeur a allégué que pendant cet appel, la fonctionnaire a parlé d’événements qui s’étaient produits avant que le dossier de vérification de la société A soit ouvert, soit l’appel de la société D à la CCL.

181 L’employeur a également soutenu que la fonctionnaire a négligé d’avoir recours aux autres voies qui lui étaient offertes pour exprimer ses préoccupations, notamment ses représentants syndicaux, M. Core ou Mme Novielli, l’agent de l’intégrité de la fonction publique, la Commission canadienne des droits de la personne ou les associations professionnelles régissant sa profession.

182 Le troisième facteur aggravant présenté par l’employeur était ce qu’il a appelé les répercussions importantes que les actions de la fonctionnaire ont eues. Il a fait référence au ton qui montait dans la correspondance entre la CCL et l’avocat de la société A, comme il a été décrit dans le témoignage de M. Core. L’employeur a attiré l’attention sur les similitudes entre les paroles de la fonctionnaire dans la transcription de son appel téléphonique à M. B et la formulation de la lettre datée du 10 mai 2010 adressée par l’avocat de la société A à la CCL (pièce E-1, onglet 13). L’employeur a soutenu que le fait que le problème avec la société A a été résolu par la suite ne rend pas les actions de la fonctionnaire moins graves.

183 Le quatrième facteur aggravant cité par l’employeur était que la fonctionnaire a abusé de la confiance que l’employeur lui avait accordée comme vérificatrice. L’employeur a fait remarquer qu’elle possédait deux titres professionnels comptables, qu’elle a reconnu sa signature sur le Serment d’office et de discrétion (pièce E-1, onglet 4) et qu’à titre de gestionnaire de la vérification, elle avait supervisé d’autres vérificateurs. La fonctionnaire jouissait d’une grande autonomie et s’occupait de dossiers mettant en jeu des montants d’argent considérables. De plus, elle a participé à la rédaction du Code de la CCL. L’employeur a soutenu que la fonctionnaire occupait un poste de confiance et qu’elle a abusé de cette confiance. L’employeur a déclaré que la CCL est une organisation de petite taille et que les témoins de l’employeur ont déclaré qu’ils ne lui faisaient plus confiance.

184 Le cinquième facteur aggravant cité par l’employeur était le refus de la fonctionnaire d’accepter la responsabilité de sa conduite. L’employeur a allégué qu’elle minimisait son geste, en affirmant qu’elle n’avait que retardé les choses, et qu’elle rejetait la responsabilité sur les autres en alléguant qu’ils ne s’étaient pas conformés à la procédure normale. Pour ce qui est de M. Lalonde, la fonctionnaire a déclaré qu’il avait agi en se fiant à l’information reçue de la société D. L’employeur a dit que, bien que ce soit vrai, M. Lalonde avait remarqué que l’augmentation soudaine de l’utilisation de lait entier liquide par la société A ne correspondait pas aux renseignements contenus dans les documents que l’entreprise avait fournis à la CCL. L’employeur a ajouté que la preuve a montré que la CCL ne dédaigne pas les tuyaux qu’elle obtient, mais elle fait d’abord les vérifications nécessaires.

185 L’employeur a dit que même si la fonctionnaire a témoigné que M. Behzadi était plus expérimenté et avait plus de connaissances qu’elle, elle n’était pas d’accord avec les vérifications par une tierce partie qu’il a faites. L’employeur a soutenu que si une entreprise ne fournit pas les renseignements demandés, on doit envisager d’autres méthodes pour vérifier l’information. L’employeur a rappelé le témoignage de Mme Lecavalier, qui a dit que pendant qu’ils effectuaient la vérification sur le terrain de la société E, les vérificateurs s’étaient rendus ensuite à certains magasins pour des fins de vérification. L’employeur a fait remarquer que la fonctionnaire a confirmé dans son témoignage qu’à partir de septembre 2009, le dossier de la société A avait été transféré à M. Behzadi, et qu’elle ne l’a pas informé de son appel à M. B.

186 En ce qui concerne les commentaires racistes au sujet des ressortissants des Indes orientales qui auraient été prononcés par le président de la CCL lors d’une réunion de cadres supérieurs, l’employeur souligne que, selon la preuve, le président de la CCL n’était pas présent à ces réunions. Selon leurs témoignages, les témoins de l’employeur n’avaient jamais entendu ces commentaires, et à la fois Mme Novielli et M. Core ont dit les avoir entendus pour la première fois en juin 2010, lorsque la fonctionnaire en a parlé. Mme Ritchie a dit avoir entendu parler de ces commentaires par une tierce personne. L’employeur a fait remarquer que la fonctionnaire n’a pas mentionné ces commentaires durant sa discussion téléphonique avec M. B, qu’elle ne les a pas portés à l’attention de M. Core et qu’elle n’a pas non plus eu recours aux autres solutions qui s’offraient à elle.

187 L’employeur a ensuite parlé du témoignage de la fonctionnaire au sujet de sa conversation avec Mme Ritchie, durant laquelle cette dernière lui avait dit qu’il ne servirait à rien de parler à M. Core de ses préoccupations à propos de la vérification de la société A, puisque Mme Ritchie avait eu ce genre de discussion avec lui, sans résultat. L’employeur a soutenu que le témoignage de la fonctionnaire a été contredit par son propre témoin, Mme Ritchie, et par M. Core, qui ont tous deux témoigné que leur discussion avait porté sur la demande de Mme Ritchie pour obtenir une semaine de travail comprimée.

188 L’employeur a allégué que le courriel que la fonctionnaire a envoyé, après son licenciement, à son représentant syndical, avec copie conforme à M. Core et à Mme Novielli (pièce E-1, onglet 19), et qu’elle n’a jamais rétracté, indique que la fonctionnaire n’éprouve pas de remords pour les gestes qu’elle a commis. L’employeur a soumis que l’appel de la fonctionnaire à M. B après son licenciement montre qu’elle ne comprenait pas qu’il était déplacé de communiquer avec l’entreprise qui était en cause dans l’abus de confiance qu’on lui reprochait. Pour appuyer son argument que la fonctionnaire n’a pas accepté la responsabilité de ses gestes, l’employeur a cité les cas suivants : Armstrong c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2000 CRTFP 29, aux paragraphes 177 et 182; Brazeau, aux paragraphes 180 et 188; Morrow c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 43, au paragraphe 195.

189 L’employeur a soutenu que la CCL est mandatée par l’industrie laitière du Canada pour soumettre à des vérifications les détenteurs de permis de classes spéciales de lait afin de s’assurer qu’ils n’utilisent pas le programme à mauvais escient. Les gestes commis par la fonctionnaire touchaient directement ses responsabilités en tant que vérificatrice et constituaient un abus de confiance et un conflit d’intérêts. L’employeur a souligné que la fonctionnaire a reconnu son inconduite seulement après qu’on lui a présenté la transcription de la conversation téléphonique. L’employeur a allégué que la fonctionnaire aurait pu recourir à plusieurs solutions si elle avait des préoccupations de nature éthique au sujet du processus de vérification, mais qu’elle ne l’a pas fait. L’employeur a soutenu qu’il serait préjudiciable à la CCL de réintégrer la fonctionnaire dans ses fonctions, compte tenu de la méfiance de ses collègues à son égard. Pour appuyer le licenciement de la fonctionnaire, l’employeur a cité Narayan c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 40, au paragraphe 250, et Way c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 39, au paragraphe 101.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

190 L’avocat de la fonctionnaire a rappelé les deux étapes que doivent suivre les arbitres de grief pour les questions de discipline. Il leur faut d’abord déterminer si l’employeur a établi les faits sur lesquels il s’est fondé lorsqu’il a sanctionné la fonctionnaire et, dans l’affirmative, si la sanction qu’il a imposée était appropriée. L’avocat de la fonctionnaire a reconnu que l’employeur avait établi les faits principaux et qu’à première vue, son appel téléphonique à M. B justifiait un licenciement. Il a toutefois soutenu que dans mon évaluation du caractère approprié de la sanction, je devais tenir compte de deux éléments, soit les facteurs atténuants et le contexte dans lequel les gestes de la fonctionnaire s’inscrivent.

191 En ce qui concerne les facteurs atténuants, la fonctionnaire m’a renvoyé à la liste de facteurs suivante qui est établie dans Canadian Broadcasting Corp. v. Canadian Union of Public Employees (Sgrignuoli Grievance) (1979), 23 L.A.C. (2e) 227, à la page 230 :

[Traduction]

[…] J’ai examiné tous les cas cités, et je crois que le résumé qui suit reflète exactement ce qu’ils signifient. Dans les cas plus anciens, on traitait généralement (mais pas inévitablement) le vol ou la malhonnêteté comme une infraction justifiant automatiquement un licenciement; dans les cas plus récents, surtout ceux qui ont été entendus par des arbitres souscrivant à la théorie de la « discipline corrective », on ne considère pas la malhonnêteté en soi comme un motif de licenciement; on a défini plusieurs facteurs atténuants qui justifient qu’on substitue au licenciement une mesure disciplinaire moindre dans ces cas. Ces facteurs comprennent :

1) la confusion ou l’erreur de bonne foi du fonctionnaire quant à savoir s’il avait le droit de faire l’action qui lui est reprochée;
2) l’incapacité du fonctionnaire, parce qu’il est ivre ou en raison de problèmes émotifs, de comprendre le caractère répréhensible de ce qu’il a fait;
3) la nature impulsive ou non préméditée de l’action commise;
4) la nature relativement mineure des dommages causés;
5) la reconnaissance sincère de son inconduite par le fonctionnaire;
6) l’existence d’un mobile personnel qui suscite la compassion pour justifier la malhonnêteté, comme des besoins familiaux, plutôt que la criminalité endurcie;
7) les antécédents du fonctionnaire;
8) les perspectives du fonctionnaire d’avoir un bon comportement à l’avenir;
9) l’incidence économique du licenciement sur le fonctionnaire, compte tenu de son âge, de ses circonstances personnelles, etc.

Toutefois, ces facteurs, aussi utiles soient-ils, ne sont pas de simples éléments d’une équation mathématique dont le calcul aboutira à une solution limpide. Il s’agit plutôt de circonstances particulières dont il convient de tenir compte de manière générale et qui ont une incidence sur les perspectives de l’adoption par l’employé d’un comportement convenable à l’avenir, ce qui est l’essence même de l’approche corrective de l’imposition de mesures disciplinaires. La façon dont le fonctionnaire s’est comporté dans le passé donne une indication de son comportement futur probable. La gravité ou la banalité de l’infraction commise est aussi une indication des risques que l’on demande à l’employeur de courir si le fonctionnaire est réintégré dans ses fonctions. Et l’importance des conséquences du licenciement sur le fonctionnaire est au moins l’une des mesures (mais non la seule) de l’équilibre raisonnable entre les deux autres considérations.

192 Pour ce qui est de la reconnaissance sincère par la fonctionnaire de sa conduite, son avocat a soutenu que si la fonctionnaire ne s’est pas manifestée à l’employeur, c’est parce qu’elle a présumé que sa conversation téléphonique avec M. B ne serait jamais divulguée. Toutefois, lorsqu’on lui a présenté la transcription et le disque compact, elle a reconnu avoir téléphoné à M. B. L’avocat de la fonctionnaire a prétendu qu’elle aurait pu nier que c’était sa voix sur le disque compact, car à la page 8 de la transcription, M. B appelle son interlocutrice « Andrea ». La fonctionnaire a aussi affirmé qu’elle reconnaissait que sa conduite avait été stupide et irréfléchie et qu’elle a coopéré avec les responsables de l’enquête.

193 En ce qui concerne son dossier, la fonctionnaire, qui était gestionnaire de la vérification depuis neuf ans, a soutenu que M. Core et Mme Novielli ont témoigné qu’avant l’incident, ils n’avaient pas de réserves quant à sa loyauté envers la CCL. La fonctionnaire a fait valoir qu’elle avait été sincère à propos de son dossier, notamment la lettre datée du 6 mars 2009 adressée à elle par M. Hansis à propos de sa supervision du personnel (pièce E-8). La fonctionnaire a déclaré que son style de gestion ne figurait pas parmi les raisons citées par l’employeur pour justifier son licenciement.

194 En ce qui concerne la nature impulsive ou non préméditée de son geste, la fonctionnaire a allégué que son appel à M. B n’a pas été orchestré, qu’elle ne savait pas à l’avance ce qu’elle dirait et qu’elle faisait simplement la conversation. Elle a aussi soutenu qu’elle n’avait pas songé aux conséquences de son geste.

195 Pour ce qui est de l’existence d’un mobile personnel favorable pour justifier la malhonnêteté, la fonctionnaire a soutenu que son geste a été guidé par son inquiétude que la CCL ait des ennuis. L’avocat de la fonctionnaire a fait référence à la lettre datée du 24 mars 2010 envoyée par l’avocat de la société A à la CCL (pièce E-2), qui était antérieure à l’appel téléphonique de la fonctionnaire à M. B. L’avocat de la fonctionnaire a soutenu que certaines phrases de cette lettre sont semblables aux mots utilisés par la fonctionnaire dans la transcription de la discussion téléphonique. La fonctionnaire a allégué que si la société D était effectivement impliquée dans la vérification de la société A, alors ses préoccupations relativement à la direction que prenait la vérification étaient légitimes. La fonctionnaire a soutenu que l’objectif de son appel à M. B était qu’elle avait besoin de temps pour arranger les choses et pour demander à quelqu’un d’autre d’examiner le dossier de la société A.

196 Quant aux perspectives de voir la fonctionnaire adopter’ un bon comportement à l’avenir, la fonctionnaire a affirmé que l’employeur a invoqué le courriel de la fonctionnaire daté du 15 avril 2011 (pièce E-1, onglet 19) pour soutenir sa position contre la réintégration de la fonctionnaire dans ses fonctions. La fonctionnaire a allégué qu’à cette date, elle n’était plus employée par la CCL et ne participait plus au litige de l’employeur avec la société A. La fonctionnaire a soutenu qu’elle a été informée ultérieurement qu’elle ne pouvait pas engager des poursuites pour licenciement abusif. Elle a reconnu que son courriel contenait des commentaires blessants sur son représentant syndical, Mme Novielli, et sur M. Core. L’avocat de la fonctionnaire a déclaré que la fonctionnaire aurait dû parler à M. Core, qu’elle souhaitait faire du bon travail et qu’elle ne répéterait pas les mêmes actions.

197 En ce qui concerne l’incidence du licenciement sur la fonctionnaire, cette dernière a déclaré qu’elle est sans travail depuis son licenciement et que ses demandes d’emploi n’ont pas mené à des entrevues. La fonctionnaire a soutenu que si son licenciement est confirmé, elle pourrait ne jamais plus travailler.

198 L’avocat de la fonctionnaire a ensuite parlé du contexte entourant les gestes de la fonctionnaire et m’a renvoyé au critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans le contexte de la common law dans McKinley c. BC Tel, 2001 CSC 38, au paragraphe 48, qui est énoncé comme suit :

[…] je suis d’avis que, pour déterminer si un employeur est en droit de congédier un employé pour cause de malhonnêteté, il faut apprécier le contexte de l’inconduite alléguée. Plus particulièrement, il s’agit de savoir si la malhonnêteté de l’employé a eu pour effet de rompre la relation employeur-employé. Ce critère peut être énoncé de plusieurs façons. On pourrait dire, par exemple, qu’il existe un motif valable de congédiement lorsque la malhonnêteté viole une condition essentielle du contrat de travail, constitue un abus de la confiance inhérente à l’emploi ou est fondamentalement ou directement incompatible avec les obligations de l’employé envers son employeur.

199 La fonctionnaire a maintenu que le dossier de la société A a été traité différemment des autres. Elle s’en est rapportée au témoignage de Mme Ritchie qui, durant ses 16 années comme vérificatrice, n’avait jamais vu un dossier de vérification traité de cette façon. La fonctionnaire a demandé pourquoi M. Behzadi a procédé à des vérifications des clients par une tierce partie en juillet 2009 si, en mai 2009, il ne croyait pas qu’il y avait un problème dans le dossier de la société A. De plus, si la CCL a le pouvoir de mener des vérifications par une tierce partie, pourquoi M. Core a-t-il demandé une confirmation écrite de la part de la société A dans sa lettre datée du 9 mars 2010 (pièce E-1, onglet 10)? L’avocat de la fonctionnaire a fait remarquer que cette dernière n’avait pas vu cette lettre. La fonctionnaire a fait valoir qu’elle ne voulait pas que ce soit un juge qui prenne la décision sur la vérification; elle voulait plutôt que la décision soit prise à l’intérieur de la CCL.

200 La fonctionnaire a soutenu que la participation de la société D à la vérification constitue un problème. Elle renvoie au témoignage de Mme Ritchie, qui a affirmé que pendant sa visite des installations de la société A, le frère de M. B lui a dit qu’il avait été informé par un inspecteur de l’ACIA que l’on procédait à une inspection sur la foi de renseignements fournis par la société D. La fonctionnaire a dit que cette allégation avait été confirmée par l’inclusion de la société A dans le registre des permis suspendus de l’ACIA de janvier à mars 2011 (pièce E-1, onglet 20). La fonctionnaire a soutenu que l’inclusion de la société D dans le matériel publicitaire de la CCL était également préoccupante. Elle a déclaré que lorsque M. Behzadi a communiqué avec le président de la société D pour s’informer de la recette du rasmalai, on peut facilement en déduire que M. Behzadi téléphonait pour prendre des renseignements sur la société A, puisque la société D avait auparavant communiqué avec la CCL pour alléguer des pratiques irrégulières de la part de la société A.

201 En ce qui concerne l’appel téléphonique de la fonctionnaire à M. B, l’avocat de la fonctionnaire a soutenu qu’elle n’a pas divulgué d’information qui était inconnue de la société A ou de son avocat. L’avocat de la fonctionnaire a allégué qu’il était connu que la CCL ne voulait pas intenter de poursuites judiciaires, comme la fonctionnaire l’a dit à M. B à la page 1 de la transcription. Le conseil que la fonctionnaire a donné à la société A d’exagérer les torts causés à sa réputation et de retarder le processus de vérification aurait pu être donné à la société A par son avocat. L’avocat de la fonctionnaire a soutenu qu’il n’y a pas de preuve que la seule raison pour laquelle l’avocat de la société A a présenté une demande d’’AIPRP était que la fonctionnaire l’avait suggéré. L’avocat a soutenu que cette demande pouvait être due à la diligence de l’avocat de la société A.

202 L’avocat de la fonctionnaire a allégué que les circonstances ne justifiaient pas le licenciement de la fonctionnaire et que la fonctionnaire est disposée à accepter une rétrogradation ou une suspension sans solde. En ce qui concerne l’argument de l’employeur que son manque de confiance à l’égard de la fonctionnaire empêche qu’elle soit réintégrée dans ses fonctions, l’avocat de la fonctionnaire a allégué que la situation à la CCL a changé depuis son licenciement; M. Core a été remplacé par une autre personne comme chef de la direction, Mme Novielli a quitté la CCL et Mme Ritchie a pris sa retraite. L’avocat de la fonctionnaire a demandé que le grief soit accueilli et que le licenciement soit remplacé par une mesure disciplinaire moindre.

C. Réplique de l’employeur

203 L’employeur a réitéré que le fait de conseiller de retarder la procédure de vérification et d’exagérer les dommages n’était pas une pratique de vérification normale.

204 L’employeur a affirmé que M. Behzadi a contacté le président de la société D, en vue d’obtenir de l’information spécialisée et qu’il n’a divulgué aucune information au sujet de la société A.

205 Pour ce qui est de la confirmation écrite demandée par M. Core à la société A en vue d’une vérification par une tierce partie, l’employeur a affirmé que ce type de confirmation n’était pas exigée par la CCL pour mener de telles vérifications.

206 L’employeur a affirmé que le fait que l’ACIA a temporairement suspendu le permis de la société A montre qu’un autre organisme gouvernemental était préoccupé par ses opérations.

207 Afin d’appuyer sa position selon laquelle le courriel envoyé par la fonctionnaire à la suite de son licenciement était une preuve qu’elle ne devrait pas être réintégrée à son poste, l’employeur a cité Lapostolle c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 138, au paragraphe 94. Dans cette décision, l’arbitre de grief a établi que la preuve acquise après le licenciement, selon laquelle un agent correctionnel continuait d’avoir des fréquentations avec le milieu criminel, démontrait qu’il ne s’était pas amendé et que les craintes de l’employeur quant à l’abus de confiance étaient justifiées.

208 En ce qui concerne la lettre envoyée à la CCL par l’avocat de la société A et datée du 24 mars 2010 (pièce E-2), l’employeur a fait valoir qu’aucune confirmation ne prouvait que cette lettre avait été portée à l’attention de la fonctionnaire. L’employeur a souligné que la lettre énumérait les préoccupations au sujet de la société A, lesquelles étaient attribuables à des rumeurs selon son avocat, et le fait que la lettre ne contenait aucune référence à la société D. L’employeur a souligné que la société D a été mentionnée par l’avocat de la société A pour la première fois dans sa lettre datée du 10 mai 2010 (pièce E-1, onglet 13), rédigée à la suite d’une discussion téléphonique entre la fonctionnaire et M. B. L’employeur a ajouté que, dans sa lettre à la CCL datée du 3 juin 2010 (pièce E-1, onglet 15), l’avocat de la société A a déclaré détenir de l’information qui était l’une des [traduction] « […] sources principales de l’appréhension de notre client au sujet de la vérification de la Commission et du processus connexe ». La lettre mentionnait aussi que l’information servirait de fondement aux revendications judiciaires prévues contre la CCL. L’employeur a également fait remarquer que dans la lettre, l’avocat de la société A ne faisait plus référence à des rumeurs.

209 L’employeur a déclaré que les preuves ne confirmaient pas l’allégation de la fonctionnaire concernant les commentaires racistes faits à l’égard des ressortissants des Indes orientales.

210 En ce qui a trait à l’argument de la fonctionnaire selon lequel sa réintégration serait facilitée en raison des changements de personnel à la CCL, l’employeur a précisé que le président était toujours en poste et que M. Hansis et M. Behzadi demeuraient au service de la CCL. L’employeur a ajouté que M. Hansis et M. Behzadi ont tous deux témoigné qu’ils ne pouvaient plus faire confiance à la fonctionnaire. L’employeur a prétendu que, puisque les équipes de vérificateurs se déplacent ensemble, la situation professionnelle serait insoutenable. Il a de plus affirmé que la CCL a cherché d’autres postes que la fonctionnaire aurait pu occuper dans l’organisation, mais qu’aucun d’entre eux ne pouvait être envisagé étant donné la petite taille de l’organisme.

IV. Motifs

211 La fonctionnaire a été licenciée de son poste de gestionnaire de la vérification au sein de la CCL le 3 mars 2011, date d’entrée en vigueur de la suspension sans solde qui lui a été imposée en attendant l’enquête du 29 juin 2010. Les motifs de l’employeur expliquant le licenciement de la fonctionnaire ont été établis dans la lettre de licenciement reproduite plus haut dans la présente décision et ont été ainsi formulés :

[Traduction]

[…]

[…] En particulier, l’enquête a permis de confirmer que vous avez conseillé un client du Programme de permis des classes spéciales de lait de la CCL sur les moyens de retarder l’envoi d’une demande de remboursement de la part de CCL à la suite d’une vérification de conformité, lui conseillant notamment de présenter une demande d’accès à l’information afin d’accaparer les ressources de la CCL et en lui communiquant la teneur d’un avis juridique fourni à la CCL par son conseiller juridique.

[…]

[…] vos actions constituent une inconduite intentionnelle et préméditée, et sont parmi les manquements les plus graves à quelque norme de conduite régissant une relation d’emploi, quelle qu’elle soit. Vos actions ont rompu le lien de confiance essentiel entre un employeur et son employé. De plus, vous vous êtes également placée en position de conflit d’intérêts et vous avez manqué à votre obligation de loyauté envers la CCL, en violation du « Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ».

[…]

212 La fonctionnaire a admis les actes pour lesquels on l’a licenciée. Par conséquent, on doit déterminer si le congédiement était approprié dans les circonstances.

213 En raison du poste qu’elle occupait, la fonctionnaire devait se conformer aux normes établies dans le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique (pièce E-3, onglet 4), qui stipule à la page 11 qu’il s’agit d’une politique du gouvernement du Canada et, à la page 12, que le respect de ces normes fait partie des conditions d’emploi dans la fonction publique. La fonctionnaire a avoué qu’elle connaissait bien le contenu de ce document et qu’elle avait reçu une formation à ce sujet en décembre 2003. Les dispositions suivantes du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique sont pertinentes :

Objectifs du Code

Le présent Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique met de l’avant les valeurs et l’éthique de la fonction publique pour guider et supporter les fonctionnaires dans toutes leurs activités professionnelles. Le Code servira à conserver et à accroître la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique, tout en renforçant le respect et la reconnaissance du rôle que celle-ci est appelée à jouer au sein de la démocratie canadienne.

[…]

Valeurs de la fonction publique

Les fonctionnaires, dans l’exercice de leurs fonctions et dans leur conduite professionnelle, seront guidés par un cadre équilibré de valeurs de la fonction publique : les valeurs démocratiques, professionnelles, liées à l’éthique et liées aux personnes.

[…]

Valeurs liées à l’éthique : Agir en tout temps de manière à conserver la confiance du public

  • Les fonctionnaires doivent exercer leurs fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à accroître la confiance du public à l’égard de l’intégrité, de l’objectivité et de l’impartialité du gouvernement.
  • La conduite des fonctionnaires doit pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

[…]

Fonctionnaires

Le Code s’inscrit dans les conditions d’emploi à la fonction publique du Canada. Au moment de signer une lettre d’offre, les fonctionnaires reconnaissent que le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique est une condition d’emploi. Il incombe à tous les fonctionnaires de s’y conformer dans l’exercice de leurs fonctions et, en particulier, de faire montre, par leurs gestes et leurs comportements, les valeurs de la fonction publique […]

[…]

Mesures pour éviter les situations de conflit d’intérêts

Le fait d’éviter et d’empêcher les situations pouvant donner lieu à un conflit d’intérêts ou à l’apparence d’un conflit, est l’un des principaux moyens grâce auxquels un fonctionnaire conserve la confiance du public à l’égard de l’impartialité et de l’objectivité de la fonction publique.

Les présentes mesures relatives aux conflits d’intérêts sont adoptées à la fois pour protéger les fonctionnaires contre les allégations de conflits d’intérêts et pour aider ceux-ci à éviter les situations à risque. Le conflit d’intérêts ne touche pas exclusivement les questions d’opérations financières et de transfert d’avantage économique. Bien que l’activité financière en soit un volet important, elle n’est pas la seule source éventuelle de situations de conflit d’intérêts.

Il est impossible de prescrire une solution pour chaque situation pouvant donner lieu à un conflit réel, apparent ou potentiel. En cas de doute, les fonctionnaires doivent demander conseil à leur gestionnaire, au cadre supérieur désigné par l’administrateur général, ou à l’administrateur général, et se reporter aux valeurs de la fonction publique énoncées dans le chapitre 1 ainsi qu’aux mesures suivantes comme points de repère permettant d’évaluer la conformité d’un geste.

[…]

Le fonctionnaire a aussi les responsabilités individuelles suivantes :

[…]

c)  Il ne doit jamais outrepasser ses fonctions officielles pour venir en aide à des personnes, physiques ou morales, dans leurs rapports avec le gouvernement, si cela peut occasionner un traitement de faveur.

[…]

Méthodes d’observation

[…]

Dans certains cas cependant, d’autres mesures seront nécessaires:

a) Éviter ou abandonner les activités ou situations qui placeraient le fonctionnaire dans une situation de conflit réel, apparent ou potentiel, compte tenu de ses fonctions officielles […]

[…]

Traitement de faveur

[…]

Les fonctionnaires ne devraient pas offrir d’aide à quelque individu ou entité qui est en relation avec le gouvernement, si cette aide n’est pas reliée à ses fonctions officielles, à moins qu’ils n’aient obtenu l’autorisation de leur supérieur et qu’ils observent les conditions émises par celui-ci.

[…]

Pistes de solution

Valeurs et éthique de la fonction publique

Tout fonctionnaire peut soulever, discuter et tenter d’éclairer les questions qui le préoccupent concernant le Code avec son gestionnaire ou le cadre supérieur désigné à cette fin par l’administrateur général, en vertu des dispositions du présent Code et selon les procédures et modalités mises en place par ce dernier.

[…]

S’il estime qu’il lui est demandé d’agir de manière incompatible avec le chapitre 1 du présent Code, tout fonctionnaire peut, afin de trouver une solution, soumettre le problème, en toute confiance et sans crainte de représailles, à l’agent supérieur tel que décrit ci-dessus.

Si le problème n’a pas été examiné comme il se doit à ce niveau hiérarchique, ou si le fonctionnaire estime que la dérogation au Code ne peut être divulguée en confiance dans son ministère, le problème peut être renvoyé, en toute confiance, à l’agent de l’intégrité de la fonction publique, en conformité avec la Politique sur la divulgation interne d’information concernant des actes fautifs au travail.

[…]

214  À la page 11 du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, sous le titre « Responsabilité de tous les fonctionnaires », il est mentionné ce qui suit :

[…]

En plus des dispositions du présent Code, il incombe aux fonctionnaires de respecter toutes les exigences particulières en matière de conduite qui sont contenues dans les lois régissant leur ministère ou leur organisation respective, de même que les dispositions pertinentes d’application plus générale […]

[…]

215 Détentrice des titres de CGA et de CA, la fonctionnaire aurait dû connaître les règles de conduite des associations professionnelles régissant sa profession en ce qui concerne la confidentialité, à savoir le Code des principes d’éthique et règles de conduite de CGA-Canada (pièce E-1, onglet 5) et les Rules of Professional Conduct de l’Institut des comptables agréés de l’Ontario (pièce E-1, onglet 6).

216 De plus, la fonctionnaire a participé à l’ébauche du Code de la CCL, dont une section qui a été citée par l’employeur est reproduite plus haut dans la présente décision. La section 6 du Code intitulée [traduction] « Information à la direction » dit ceci :

[Traduction]

Les employés doivent aviser la direction avant d’entreprendre toute action (comme une action pouvant mener à des conflits d’intérêts) qui, selon eux, pourrait constituer un risque pour la réputation de la CCL. Le directeur de la vérification a le pouvoir délégué à propos de ce code et devrait être consulté au besoin.

217 La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait jamais lu la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat de la CCL (pièce E-1, onglet 2). Cependant, ce document reproduit intégralement le chapitre 2 du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, intitulé « Mesures relatives aux conflits d’intérêts », chapitre qu’elle connaissait bien.

218 Dans Brazeau, l’arbitre en grief a déclaré ce qui suit :

[…]

167 Le fonctionnaire s’estimant lésé était soumis à une norme de conduite extrêmement élevée en raison de sa situation de fonctionnaire, mais également en raison de la nature des activités de CVC [Conseils et Vérification Canada] et du poste qu’il occupait au sein de l’organisme. CVC offrait des services contractuels aux ministères et organismes fédéraux. La passation de marchés dans la fonction publique est une question délicate où la crédibilité du gouvernement dépend de la perception de neutralité, d’indépendance et d’équité. Par conséquent, il incombe aux employés qui représentent le gouvernement fédéral dans l’impartition de se comporter d’une manière compatible avec les principes essentiels précités.

168 En tant que conseiller principal, le fonctionnaire s’estimant lésé devait respecter la norme rigoureuse de conduite et d’examen susmentionnée. À mon avis, sa responsabilité était d’autant plus importante qu’il était gestionnaire de portefeuille par intérim et exerçait un important rôle de direction au sein de l’équipe de GP.

[…]

219 À mon avis, ce passage s’applique particulièrement bien à la fonctionnaire. À titre de gestionnaire de la vérification responsable de superviser d’autres vérificateurs de la CCL, elle devait suivre des normes strictes de conduite éthique. La fonctionnaire occupait un poste de nature délicate, car l’industrie laitière canadienne compte sur la CCL pour surveiller les titulaires de permis du PPCSL. De plus, M. Hansis a témoigné que les vérificateurs de la CCL ont un niveau important d’autonomie et qu’il leur accorde une grande confiance dans l’exercice de leurs fonctions.

220 Même s’il est établi que la fonctionnaire n’a pas cherché ou n’a pas reçu d’avantage financier de la part de M. B, il ne s’agit pas d’un facteur requis pour conclure à un conflit d’intérêts. D’ailleurs, on trouve le passage suivant à la page 20 du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique :

[…]

[…] Le conflit d’intérêts ne touche pas exclusivement les questions d’opérations financières et de transfert d’avantage économique. Bien que l’activité financière en soit un volet important, elle n’est pas la seule source éventuelle de situations de conflit d’intérêts.

[…]

221 Je constate que, en téléphonant à M. B, le propriétaire d’une entreprise faisant l’objet d’une vérification de la CCL, et en le conseillant comme elle l’a fait, la fonctionnaire s’est placée en position de conflit d’intérêts, contrevenant ainsi au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et à la Politique sur les conflits d’intérêts et l’après-mandat de la CCL.

222 La fonctionnaire a soutenu qu’elle a agi de façon impulsive lorsqu’elle a appelé M. B et qu’elle a seulement conversé. Cette affirmation n’est pas étayée par la preuve. La fonctionnaire a témoigné qu’elle croyait que le processus de vérification concernant la société A était problématique et qu’elle tentait de trouver des façons de retarder le processus afin qu’elle puisse arranger les choses. Elle a agi ainsi même si, en septembre 2009, elle n’était plus la gestionnaire de la vérification responsable du dossier de la société A, qui avait été transféré à M. Behzadi.

223 De plus, la transcription de la conversation téléphonique appuie la position de l’employeur selon laquelle l’appel téléphonique de la fonctionnaire était prémédité. L’extrait suivant provient de la page 1 de la transcription, au début de la conversation téléphonique. Les initiales [traduction] « FNI » signifient [traduction] « femme non identifiée », lesquelles, selon l’énoncé conjoint des faits, représentent la fonctionnaire :

[Traduction]

FNI Bonjour, je voulais seulement vous appeler pour vous dire que vous devriez bientôt recevoir une lettre d’avocat.
B Oui, elle est arrivée hier.
FNI Ah, c’est déjà fait. D’accord […] pourriez-vous me dire ce qui est écrit dans la lettre? Parce que tout ce que je sais est que Bob m’a dit que la [société A] devait rencontrer un avocat et que nous avons envoyé une lettre. Pourriez-vous me dire ce qui est écrit au juste?
[…]  
B […] En fait, c’est écrit que nous n’étions pas très satisfaits du système de vérification de la CCL à cause de leurs problèmes. Ils accepteraient que nous embauchions des vérificateurs privés de la C.-B. pour la vérification de ce dossier – pouvez-vous… pouvez-vous s’il vous plaît nous permettre de conserver les factures de la [société C] Ou une solution semblable? Pouvez-vous demander à votre client s’il les a envoyées à notre avocat en demandant que […]
[…]  
FNI Écoutez, la lettre vous indique-t-elle une date limite?
B C’est à la fin du mois ou dans ce coin-là […]
FNI D’accord, […] avez-vous un crayon?
B Oui, oui.
FNI D’accord. Puis-je vous dire ce que je pense?
B Oui, oui, je vous en prie.
[…]  

224 La fonctionnaire a ensuite commencé à conseiller M. B sur la façon de retarder le processus de vérification. Selon le disque compact, la conversation a duré plus de 13 minutes. Les extraits suivants, provenant des pages 3 à 6 de la transcription, prouvent que la fonctionnaire a donné des conseils pour retarder le processus :

[Traduction]

FNI Il faut […] perdre du temps, d’accord? Il faut prolonger cette période. Il faut  faire croire que nous sommes si inefficaces que nous perdons notre temps, que la CCL, vous savez, il faut nous épuiser, d’accord?
[…]  
FNI Aussi, l’autre chose dont j’aimerais que vous parliez à votre avocat et que nous redoutons vraiment est l’AIPRP. C’est A-I-P-R-P.
[…]  
FNI Il s’agit de l’accès à l’information.
FNI Et demandez à votre avocat […]
[…]  
FNI Pour […] une demande en vertu de la Loi. La Loi sur l’AIPRP, la loi gouvernementale. C’est une loi en vertu de laquelle vous demandez [tout] document de la CCL contenant le mot [société A].
[…]  
FNI Car, la plupart du temps, quand une personne veut […] nous poursuivre. Ils veulent savoir quelle information secrète nous détenons. Cependant, comme nous sommes un organisme gouvernemental, nous devons vous donner tout ce que nous avons consigné à votre sujet […]
[…]  
FNI Tous les courriels, les documents, les procès-verbaux. Et nos […] procès-verbaux porteraient sur la [société D] et la [société A].
B Très bien, très bien.
FNI Ça s’appelle AIPRP. En avez-vous déjà entendu parler?
B Non, non jamais […]
[…]  
FNI Donc, ce que vous faites, ce que vous êtes en train de faire, c’est que vous  leur faites perdre du temps parce que notre secrétaire générale, notre division devra trouver tous les documents contenant le mot [société A].
[…]  
FNI Et chaque courriel, note, dossier, note de service, chaque petite chose.
B J’ai compris. C’est une affaire importante.
FNI […] Ça ne prendra que cinq minutes à votre avocat pour envoyer ce formulaire.
[…]  
FNI Et ça nous fera passer environ cinq mois.
[…]  
FNI […] Un simple petit formulaire, mais c’est la chose la plus puissante que possède le public.
[…]  
FNI Et ça nous tiendra très occupés.
[…]  
FNI […] Et utilisez les mots […] ghee, rasmalai, Cadare.
B [Paneer] Oui.
FNI Confiseries indiennes, aliments ethniques et […][société A].
[…]  
FNI Et même [société D], dites [société D].
[…]  
FNI Car il y a tellement de documents qui contiennent ces mots […] Ça prendra environ deux ou trois mois.
[…]  
FNI Pour que nous puissions rassembler cette information. Ils pourraient.
[…]  
FNI Revenez et dites que certaines informations sont confidentielles ou quelque chose comme ça, mais au moins ça nous retardera.
[…]  

[Le passage en évidence l’est dans l’original]

225 La transcription est pleine de conseils de la fonctionnaire à M. B en vue de retarder le processus de vérification et d’exagérer les dommages causés à ses affaires afin d’effrayer la CCL. La fonctionnaire a aussi conseillé à M. B de refuser la proposition de la CCL d’embaucher une firme indépendante de vérificateurs contenue dans sa lettre du 19 avril 2010 (pièce E-1, onglet 11) et d’affirmer que la société D avait discuté des affaires de la société A et qu’elle était de connivence avec les vérificateurs.

226 En ce qui concerne la divulgation d’information confidentielle échangée entre un avocat et son client, à la page 2 de la transcription, la fonctionnaire a dit à M. B que la CCL ne voulait pas aller en cour. À la page 8 de la transcription, la fonctionnaire a informé M. B de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

FNI Vous savez, il faut faire retarder. C’est le point principal parce que […] ça accapare notre temps et celui de nos commissaires. Après quelques mois, il commencera à se fatiguer. En fait, l’avocat vient de demander à Bob […] pouvons-nous […] simplement rencontrer la [société A] et conclure une entente. Pour fermer ce dossier. Ça veut dire qu’ils veulent faire ça.
B Je comprends votre point […]

[…]

227 L’avocat de la fonctionnaire a avancé que la fonctionnaire n’avait pas divulgué d’information à M. B qui n’était pas déjà connue de lui ou de son conseiller juridique. C’est de la pure spéculation, car ni M. B, ni son conseiller juridique n’ont témoigné. De plus, les motifs de l’employeur pour le licenciement de la fonctionnaire n’étaient pas fondés sur le fait que M. B a agi suivant ses conseils, mais plutôt sur les conseils et les renseignements qu’elle a fournis lors de la conversation téléphonique qu’elle a entamée. Quoi qu’il en soit, à la suite d’un examen attentif et d’une comparaison de la transcription de la conversation téléphonique avec la lettre du conseiller juridique de la société A envoyée à la CCL et datée du 10 mai 2010 (pièce E-1, onglet 13), je conclus que la lettre se fondait sur la conversation de la fonctionnaire avec M. B et qu’elle en était le résultat. Il s’agissait de la première lettre envoyée par le conseiller juridique de la société A qui mentionne de façon précise la société D et qui allègue qu’elle a influé sur le processus de vérification de la CCL. La lettre mentionne également qu’une demande d’AIPRP serait présentée sous peu. En revanche, la lettre précédente envoyée par le conseiller juridique de la société A à la CCL et datée du 24 mars 2010 (pièce E-2) fait référence à des rumeurs non fondées au sujet de la société A et porte principalement sur les intentions de la CCL de procéder à une vérification par une tierce partie. L’extrait suivant provenant de la lettre du 10 mai 2010 illustre ce fait :

[Traduction]

[…]

[…] Notre client est préoccupé par les circonstances qui sous-tendent l’enquête et la vérification menées par la CCL […] En termes simples, notre client a des motifs de croire que son principal concurrent, [société D], a été et continue d’être impliqué dans ce processus. Notre client redoute en particulier que son concurrent ait été l’instigateur du processus en cours, qu’il ait exercé une mauvaise influence sur toute décision prise par la suite par la CCL et, que de plus, il ait été et qu’il continue de recevoir de l’information confidentielle que la CCL possède sur notre client.

Notre client croit que ces préoccupations sont bien fondées et qu’elles sont basées sur de l’information fiable.

[…]

Ces préoccupations ont évidemment altéré la confiance de notre client en ce qui concerne le processus de vérification actuel de la CCL et la capacité de notre client à poursuivre ce processus en toute sécurité. Cela inclut votre récente proposition de mener une vérification par une tierce partie. Par exemple, notre client a toutes les raisons de craindre qu’un vérificateur indépendant puisse aussi communiquer l’information avec les concurrents de notre client.

[…]

[Je souligne]

228 La fonctionnaire a présenté comme une circonstance atténuante le fait que, même si elle n’avait pas avisé l’employeur de sa conversation avec M. B parce qu’elle présumait que cette conversation resterait confidentielle, elle a reconnu ses actes lorsqu’elle y a été confrontée. À mon avis, la fonctionnaire a peu de mérite à avoir reconnu son inconduite seulement lorsqu’on lui a présenté la transcription, environ deux mois après l’appel téléphonique. De plus, l’argument selon lequel la fonctionnaire aurait pu nier qu’il ne s’agissait pas de sa voix sur l’enregistrement du disque compact, parce que le nom « Andrea » figure dans la transcription, n’a aucun fondement selon la preuve. Dans son témoignage, la fonctionnaire a affirmé que lorsqu’on lui a présenté la transcription et le disque compact, en juin 2010, elle a avoué qu’elle avait appelé M. B. Par ailleurs, lors de l’écoute du disque compact durant l’audience, j’ai fait remarquer plusieurs erreurs de transcription aux parties, qui ont accepté mes corrections. Il ne fait aucun doute que le nom « Andrea » aurait dû être transcrit « Indira ». En fait, six lignes au-dessus de la transcription du nom « Andrea » à la page 8 de la transcription, le nom de la fonctionnaire est correctement transcrit, c’est-à-dire « Indira ».

229 L’avocat de la fonctionnaire a avancé que, au moment de prendre en considération le contexte des actes de la fonctionnaire, je dois tenir compte du fait que la vérification de la société A ne s’est pas déroulée selon la pratique habituelle de la CCL. L’avocat a fait référence au témoignage de la fonctionnaire selon lequel elle a exprimé à M. Behzadi et M. Hansis son malaise par rapport au processus de vérification. L’avocat de la fonctionnaire a aussi mentionné le témoignage de Mme Ritchie, qui affirmait qu’en 16 ans à titre de vérificatrice de la CCL, elle n’avait jamais vu un dossier être traité comme celui de la société A.

230 Il est établi selon la preuve que M. Behzadi et la fonctionnaire avaient des approches différentes quant au processus de vérification de la société A. La fonctionnaire était préoccupée en particulier par les vérifications par une tierce partie et par les visites aux détaillants. Je remarque que Mme Lecavalier a témoigné que la CCL effectue des visites aux détaillants lorsque les vérificateurs ne sont pas satisfaits des données inscrites dans le système de comptabilité d’une société. De plus, la fonctionnaire a témoigné qu’un autre vérificateur peut privilégier une approche différente de la sienne. Il convient également de rappeler qu’en septembre 2009, le dossier de vérification de la société A a été transféré à M. Behzadi. En fait, la fonctionnaire a affirmé avoir dit à M. B, lors d’une conversation téléphonique antérieure amorcée par ce dernier, qu’elle n’était plus responsable du dossier. De plus, la fonctionnaire a reconnu qu’elle n’avait pas soutenu que la demande de remboursement de la CCL contre la société A n’était pas valable. Selon moi, le fait que la fonctionnaire n’approuvait pas le processus de vérification n’excuse pas sa conduite. La fonctionnaire a avancé qu’elle était déterminée à faire examiner le dossier de la société A. Elle avait la possibilité de faire part de ses préoccupations à la CCL ou à un responsable externe, par l’intermédiaire de l’agent de l’intégrité de la fonction publique ou des associations professionnelles régissant sa profession. La fonctionnaire a reconnu qu’elle aurait dû faire part de ses préoccupations à l’égard de la vérification à M. Core.

231 Les commentaires racistes sur les ressortissants des Indes orientales prétendument faits par le président de la CCL lors d’une réunion de cadres supérieurs ne sont pas appuyés par la preuve. M. Core et M. Hansis ont témoigné que le président ne participait pas à ce type de réunions. Les procès-verbaux des réunions des cadres supérieurs de la CCL des 8 et 25 mars et des 12 et 13 avril 2010, durant lesquelles la vérification de la société A a fait l’objet de discussions (pièce E-1, onglet 17), n’attestent pas la présence du président. Le témoignage de Mme Ritchie à ce sujet n’était pas concluant. Mme Lecavalier a déclaré qu’elle n’avait jamais entendu de tels commentaires de la part du président ou de M. Hansis. M. Core a affirmé qu’il n’avait jamais eu connaissance de tels commentaires. Quant à M. Hansis, il a nié avoir fait ce type de commentaires. La fonctionnaire a reconnu qu’elle n’avait pas parlé de ce sujet à M. Core ou à Mme Novielli et qu’elle n’avait pas cherché à approfondir la question par un autre moyen. Quoi qu’il en soit, même si de tels commentaires avaient été faits, selon moi, ils ne justifieraient pas les actes de la fonctionnaire.

232 Les circonstances atténuantes que je considère pertinentes sont les conséquences économiques du licenciement de la fonctionnaire, ses neuf années de service sans tache au sein de la CCL et le fait qu’il s’agissait d’un incident isolé. Même si elle a reconnu la responsabilité de ses actes, elle l’a fait seulement une fois qu’on lui a présenté la transcription. À mon avis, les circonstances atténuantes ne l’emportent pas sur la nature de l’inconduite de la fonctionnaire.

233 Le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique mentionne qu’un fonctionnaire doit agir de façon à « […] pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux […] ». À titre de gestionnaire de la vérification à la CCL, l’agence à laquelle l’industrie laitière du Canada a confié la surveillance du PPCSL, la fonctionnaire occupait un poste de confiance et de direction. Elle jouissait d’une autonomie importante et avait la confiance de son employeur. Ses actes l’ont placée en situation de conflit d’intérêts par rapport à ses obligations envers la CCL, et elle a violé les codes de conduites de la CCL, qu’elle connaissait, ainsi que son Serment d’office et de discrétion. En fournissant à une société faisant l’objet d’une vérification des conseils sur les façons de retarder ou de faire piétiner le processus de vérification, la fonctionnaire entrait en conflit direct avec la nature même de ses fonctions en tant que vérificatrice. Ces fonctions, qui sont énumérées dans la description de travail du poste de gestionnaire de la vérification (pièce E-1, onglet 18), comprennent le besoin de faire preuve d’indépendance et d’objectivité.

234 Je voudrais également ajouter que le fait que la fonctionnaire n’a même pas tenté de résoudre ses problèmes à la CCL en utilisant d’autres moyens de redressement, de même que son appel téléphonique à M. B après son licenciement, sont des éléments qui appuient la conclusion de l’employeur selon laquelle il ne peut plus faire confiance à la fonctionnaire.

235 À partir des preuves, je suis d’avis que les actes de la fonctionnaire ont porté atteinte de façon irréparable au lien de confiance essentiel à la relation de travail entre la CCL et elle. Même si ses actes constituaient un incident isolé, je conclus que sa conduite était tellement grave qu’elle a porté un coup fatal à la relation de travail.

236 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

237 Le grief est rejeté.

Le 17 octobre 2012.

Traduction de la CRTFP

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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