Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

En 2009, le plaignant a déposé une plainte auprès de la Commission - avant qu’elle ne soit entendue, il a demandé que la plainte soit modifiée - le commissaire désigné pour entendre le cas a rejeté la demande, statuant qu’elle modifiait la nature de la plainte initiale plutôt que de la modifier - il a conclu que la modification devait être traitée comme une nouvelle plainte présentée le 19 mai 2009, date à laquelle le plaignant avait demandé la modification - le lendemain de la décision, le plaignant a demandé à modifier davantage sa plainte initiale - le plaignant a demandé un contrôle judiciaire de sa plainte initiale, sans succès - les Opérations du greffe de la Commission ont communiqué avec le plaignant à propos de l’ouverture de deux nouveaux dossiers de plainte concernant ses deux demandes de modification, mais le plaignant a refusé de fournir les renseignements requis, parce que cela pourrait porter préjudice à sa demande de contrôle judiciaire - un an après la décision de la Cour d’appel fédérale, le plaignant a communiqué avec la Commission et a demandé l’ouverture de deux nouveaux dossiers de plainte - il a allégué que son agent négociateur avait manqué à son devoir de représentation en lui présentant de manière inexacte, et ce, délibérément, le délai pour la présentation d’un grief et en créant un faux sentiment d’urgence, ce qui l’a amené à signer le formulaire de transmission des griefs sous la contrainte - le plaignant a aussi indiqué que sa représentante avait continué de s’impliquer auprès des griefs qu'il avait présentés contre son employeur, et ce, malgré sa demande à son syndicat qu'elle s’en abstienne - la commissaire soutient qu’elle n’avait pas compétence pour traiter ces plaintes puisqu’elles avaient toutes deux été présentées après le délai prescrit de 90 jours pour le dépôt d’une plainte - puisque le plaignant n’avait pas déposé ses plaintes en 2009, aucun dossier n’a été ouvert - par conséquent, ses plaintes ont été déposées seulement au début de 2012; les deux plaintes renvoient à des événements qui se sont déroulés en 2008 - même si le plaignant avait déposé ses plaintes en août 2009, celles-ci auraient tout de même été hors délai - de plus, le délai du plaignant en ce qui a trait à la poursuite des plaintes n’était pas raisonnable. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-10-04
  • Dossier:  561-02-563 et 564
  • Référence:  2012 CRTFP 106

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

SAMEH BOSHRA

plaignant

et

ASSOCIATION CANADIENNE DES EMPLOYÉS PROFESSIONNELS

défenderesse

Répertorié
Boshra c. Association canadienne des employés professionnels

Affaire concernant des plaintes visées à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret Shannon, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour la défenderesse:
Fiona Campbell, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 3 et 24 mai 2012.
(Traduction de la CRTFP)

Plaintes devant la Commission

1 Le 3 mai 2012, Sameh Boshra (le « plaignant ») a déposé deux plaintes en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Le plaignant a allégué qu’en novembre 2008, Jean Ouellette et Aleisha Stevens, des employés de l’Association canadienne des employés professionnels (ACEP), avaient intentionnellement fait de fausses affirmations au plaignant sur la date limite à laquelle il fallait envoyer le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, induisant ainsi un faux sentiment d’urgence en vue de forcer le plaignant à signer la formule de transmission des griefs sous la contrainte, faisant fi, de ce fait, des modifications qu’il souhaitait y apporter.

2 Le plaignant a aussi allégué que Mme Stevens continuait à s’occuper des griefs qu’il avait présentés contre Statistique Canada (l’« employeur »), bien qu’il ait demandé à l’ACEP en novembre 2008 qu’elle n’intervienne pas dans ses griefs. Cela constituait un manquement au devoir de représentation équitable à son égard de la part de l’ACEP. À l’époque, Mme Stevens travaillait à titre d’agente des relations de travail à l’ACEP et avait été affectée à la représentation du plaignant dans le cadre de ses griefs.

3 Le plaignant a allégué que ces actes posés par M. Ouellette et Mme Stevens constituaient une pratique déloyale de travail au sens de l’article 185 de la Loi.

Résumé de la preuve

4 Le 19 mai 2009, le plaignant a déposé auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») une demande visant à modifier une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi qu’il avait déposée le 5 février 2009. Il a demandé que l’énoncé qui suit soit ajouté à la section 4 de sa formule de plainte (formulaire 16) :

[Traduction]

[…]

Le directeur des Relations de travail de l’ACEP (Jean Ouellette) et des représentants de l’ACEP (Aleisha Stevens, Allen Stead et Lionel Saurette) ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l’audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci, et ont nui aux intérêts de l’employeur et à ceux de la section locale 503 de l’ACEP.

[…]

5 Le commissaire attitré au dossier a rejeté la demande de modification de la formule 16. Dan Butler avait été désigné afin d’instruire la plainte déposée à l’origine en février 2009. Dans sa décision rendue le 18 août 2009 (2009 CRTFP 100), le commissaire s’est exprimé comme suit à ce sujet, aux paragraphes 71 à 73 :

[…]

[71] […] Selon moi, la modification proposée par le plaignant ne fait pas en sorte de clarifier ou de corriger la plainte initiale ni d’en étendre la portée en ce qui a trait à son objet essentiel – ou, tout compte fait, en ce qui a trait à l’une ou l'autre des allégations initiales énumérées à la section 4 de la formule 16. Elle ajoute plutôt à la plainte une nouvelle dimension, laquelle revêt un caractère encore plus distinct dans la mesure où elle porte clairement sur des incidents qui se sont produits ultérieurement. Par conséquent, je conclus que l’allégation modifie non seulement la plainte, mais également la nature de celle-ci.

[72] […] la conclusion à laquelle j’en arrive fait en sorte que la modification demandée devrait être traitée comme une nouvelle plainte, et non comme une modification […] présentée le 19 mai 2009 […] Les Services du greffe devront ouvrir un nouveau dossier de plainte au nom du plaignant, qui contiendra la « modification », soit l’allégation d’une violation de l’article 187, ainsi que les arguments reçus à ce jour concernant cette allégation.

[73] Je tiens à mettre l’accent sur le fait que la nouvelle plainte se limitera à l’allégation particulière selon laquelle les représentants de l’ACEP « […] ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l’audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci […] ». Étant donné la conclusion à laquelle j’en suis arrivé dans le cadre de la présente décision, les allégations à l'origine de la plainte initiale – y compris le différend qui oppose le plaignant à la défenderesse au sujet de la façon de plaider son grief relativement à l’incident du 7 août 2008 – ne sont pas incluses.

[…]

6 Le 19 août 2009, le plaignant a demandé de nouveau à modifier la section 4 de la même formule 16, afin d’y ajouter le paragraphe suivant :

[Traduction]

[…]

Le directeur des Relations de travail de l’ACEP, Jean Ouellette, et l’agent des relations de travail de l’ACEP, Aleisha Stevens, ayant indiqué une date limite erronée pour la transmission du grief, soit le 7 novembre 2008, relativement à la réponse au grief reçue le 28 octobre 2008, afin d’induire un faux sentiment d’urgence pour m’obliger à signer la formule de transmission des griefs sous la contrainte et de justifier ainsi la non-prise en compte du libellé de la formule de grief par la représentation de l’ACEP.

[…]

7 Le commissaire a rejeté les plaintes initiales que le plaignant cherchait à modifier à la même date du 18 août 2009, avant que le plaignant ne présente sa deuxième demande de modification. Le plaignant a demandé un contrôle judiciaire de cette décision le 17 septembre 2009. Il n’a pas donné suite à sa demande de modification datée du 19 mai 2009, ni à sa demande de modification datée du 19 août 2009 visant sa plainte du 5 février 2009 devant la Cour d’appel fédérale.

8 En octobre, puis en novembre 2009, la Commission a demandé au plaignant qu’il lui communique certains renseignements de manière qu’une plainte distincte puisse être déposée relativement aux allégations soulevées le 19 août 2009. Or, dans une lettre datée du 20 novembre 2009, le plaignant a refusé de le faire en invoquant que cela pourrait porter préjudice à sa demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue par la Commission le 18 août 2009, précisant qu’il [traduction] « […] fournirait les renseignements requis en vue d’ouvrir un dossier de plainte distinct au besoin, une fois rendue la décision de la Cour d’appel fédérale sur l’appel interjeté auprès de cette dernière ».

9 La Cour d’appel fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire du plaignant et maintenu la décision du commissaire rendue le 18 août 2009. La décision de la Cour était datée du 14 mars 2011.

10 Le 16 mars 2012, le plaignant a envoyé une lettre à la Commission, énonçant ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Le 26 octobre 2009, le plaignant a avisé la Commission qu’il ne souhaitait pas procéder au dépôt de nouvelles plaintes concernant les deux modifications demandées à ce moment‑là. Une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission, y compris de sa décision portant sur les demandes de modification, avait été présentée entretemps (le 17 septembre 2009).

Récemment, lors de l’étude de dossiers se rapportant à une autre affaire actuellement en instance devant la Commission, le plaignant s’est rendu compte qu’aucune des demandes de modification n’avait été examinée, ni par la Commission ni par la Cour d’appel fédérale.

Par conséquent, le plaignant souhaite ouvrir deux nouveaux dossiers de plainte visant les questions portées à l’attention de la Commission le 19 mai 2009 et le 19 août 2009, mais sur lesquelles il n’a pas encore été statué à ce jour. Veuillez donc trouver ci-joint des formulaires de plainte distincts concernant les deux demandes de modification précitées présentées auparavant.

[…]

11 Aucune copie de cette lettre n’a été transmise à l’ACEP. Le plaignant n’avait pas non plus joint à sa lettre la formule de plainte, contrairement à ce qui y était indiqué. La Commission a alors avisé le plaignant, dans un courriel daté du 18 avril 2012, qu’il avait jusqu’au 25 avril 2012 pour communiquer les deux formules requises. Puisque la Commission n’a reçu aucune réponse, une copie du courriel a été envoyée par télécopieur au plaignant le 2 mai 2012. Le plaignant a répondu à cette communication en déposant les formules demandées le 3 mai 2012, dans lesquelles il allègue, dans le dossier de la Commission 561-00-563 :

[Traduction]

[…]

Le directeur des Relations de travail de l’ACEP, Jean Ouellette, et l’agent des relations de travail de l’ACEP, Aleisha Stevens, m’ont indiqué une date limite erronée pour la transmission du grief, soit le 7 novembre 2008, pour une réponse au grief reçue le 28 octobre 2008. M. Ouellette et Mme Stevens m’ont fait intentionnellement de fausses affirmations sur la date limite afin d’induire un faux sentiment d’urgence en vue de m’obliger à signer la formule de transmission des griefs sous la contrainte.

Cela visait à faire fi des modifications devant être apportées au formulaire de grief au sujet des pratiques en matière de sécurité de l’employeur dans le cadre de son enquête sur un grief présenté par le plaignant. Le plaignant avait explicitement demandé que la formule de grief soit modifiée à cet effet, et Mme Stevens ainsi que M. Allan Stead, agents des relations de travail de l’ACEP, avaient convenu d’apporter les modifications demandées dans l’éventualité où l’employeur ne réglerait pas les questions relatives à la sécurité et à la protection de la vie privée soulevées lors de l’audience du grief, dans sa réponse écrite.

[…]

et dans le dossier de la Commission 561-00-564 :

[Traduction]

[…]

Le directeur des Relations de travail de l’ACEP (Jean Ouellette) et des représentants de l’ACEP (Aleisha Stevens, Allen Stead, Lionel Saurette) ont agi de mauvaise foi relativement à la mise au rôle pour l’audition du grief et à la tenue de celle-ci; ils ont nui aux intérêts du plaignant et ont exclu celui-ci.

Ce faisant, l’ACEP a non seulement nui aux intérêts du plaignant, mais également aux intérêts de la section locale du syndicat à laquelle le plaignant appartenait à l’époque. Le président de la section locale 503 de l’ACEP avait consenti à une disposition de rechange de concert avec l’employeur du plaignant, afin de régler les soucis du plaignant au sujet de la représentation de l’ACEP dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Dans un courriel, le président de la section locale de l’ACEP a notamment qualifié d’« insensée » la représentation de l’ACEP pour ce qui est des griefs du plaignant.

Ce faisant, l’ACEP a de plus agi de manière à miner intentionnellement la procédure de règlement des griefs et, ultimement, la relation entre l’employeur et l’employé. Ayant appris l’existence d’une disposition de rechange dans le cadre de cette affaire, un conseiller de l’ACEP a envoyé une lettre à l’employeur du plaignant dans laquelle il menace d’intenter des poursuites contre l’employeur à cet égard. Dans un courriel, un agent des relations de travail travaillant pour le compte de l’employeur a qualifié de « sournoise » la conduite de l’ACEP dans le cadre de cette affaire, et a manifesté sa frustration quant à la procédure de règlement des griefs qui en a résulté.

[…]

12 Le 25 mai 2012, l’avocate de l’ACEP a déposé des arguments écrits en réponse aux deux plaintes. Le 29 mai 2012, on a demandé au plaignant de déposer sa réplique aux arguments écrits de l’ACEP au plus tard le 19 juin 2012. Aucune autre communication n’a été reçue du plaignant. Le 19 juillet 2012, la Commission a avisé les deux parties qu’en l’absence d’une réplique de la part du plaignant ou d’une demande de prorogation du délai pour fournir sa réplique, les questions seraient décidées sur la base des documents déjà versés au dossier de la Commission.

13 Le 30 août 2012, le plaignant a communiqué avec la Commission pour l’informer de son changement d’adresse et a informé les Opérations du greffe qu’il avait envoyé une lettre à la Commission le 19 juin 2012 et qu’il n’avait pas reçu d’accusé de réception de celle-ci. Il a fourni au greffe une copie de cette lettre le même jour. Le 14 septembre 2012, les Opérations du greffe lui ont envoyé un accusé de réception de sa lettre. Comme indiqué dans la lettre de la Commission datée du 14 septembre 2012, la lettre du plaignant datée du 19 juin 2012 a été portée à l’attention du décideur saisi de cette affaire. Dans une lettre datée du 25 septembre 2012, la Commission a confirmé que cela avait été effectivement fait. Dans sa lettre, le plaignant évoque le fait [traduction] « [qu’] une réplique plus complète sera communiquée sous peu », en dépit du fait que le plaignant avait été avisé le 19 mai 2012 que la date limite pour le dépôt de ses arguments écrits était le 19 juin 2012. Dans sa lettre datée du 25 septembre 2012, la Commission a donc précisé que bien qu’elle acceptait sa lettre datée du 19 juin 2012, elle n’accepterait aucun autre argument écrit.

Résumé de l’argumentation

14 Le plaignant a fait valoir que lors de rencontres qu’il avait eues vers la mi‑août 2008 avec les agents de l’ACEP, Allan Stead et Aleisha Stevens, il leur avait [traduction] « […] relaté un incident qui s’était produit sur les lieux de travail mettant en cause les politiques en matière de sécurité et du personnel » dans son milieu de travail. Selon le plaignant, on avait porté atteinte à sa vie privée ainsi qu’à ses croyances religieuses en ce qui concerne les questions de pudeur. La formule de grief rédigée par M. Stead et Mme Stevens ne faisait aucune mention de la question d’atteinte à la vie privée ni de la politique de Statistique Canada en matière de sécurité. Le plaignant a soutenu qu’on l’avait avisé que la convention collective ne contenait aucune mention visant en particulier la protection de la vie privée, seulement la discrimination fondée sur des motifs interdits. Cela n’était pas suffisant pour répondre aux préoccupations du plaignant en matière de vie privée et de sécurité. Le plaignant a allégué qu’afin d’apaiser ses craintes à cet égard, M. Stead et Mme Stevens lui avaient dit qu’ils [traduction] « soulèveraient ses préoccupations relatives à la sécurité et à la protection de la vie privée lors de l’audience des griefs et qu’ils pouvaient modifier le libellé de la formule de grief dans l’éventualité où l’employeur refuserait de traiter de ces questions dans le cadre de la procédure de règlement des griefs ».

15 Dans sa réplique au premier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur n’a abordé ni l’une ni l’autre de ces préoccupations. Le plaignant a communiqué avec l’ACEP pour faire modifier son grief de manière à prendre en compte ses préoccupations. Mme Stevens l’a informé dans un courriel que ces questions seraient traitées dans le cadre du deuxième palier et au‑delà. Lorsque le plaignant a essayé de plus discuter de ses préoccupations avec Mme Stevens, celle-ci n’était disponible qu’après la date à laquelle il fallait envoyer le grief au palier suivant. Elle n’était pas non plus disponible pour discuter de ces questions avant la date limite à laquelle il fallait transmettre le grief au troisième palier.

16 Le plaignant a écrit à M. Ouellette le 6 novembre 2008 afin de lui demander que l’ACEP demande à l’employeur une prolongation des délais pour la transmission du grief au troisième palier. Cette demande a été refusée. On l’a incité à transmettre le grief au palier suivant, en raison des courts délais.

17 En juillet 2009, le plaignant a appris que l’ACEP lui avait fait de fausses affirmations sur la date limite en question.

18 En novembre 2008, le plaignant a déposé une plainte à l’interne auprès de M. Ouellette au sujet de la conduite de Mme Stevens et a demandé qu’elle n’intervienne plus dans ses dossiers de grief jusqu’à ce qu’on ait répondu à ses préoccupations au sujet de la qualité de sa représentation à son égard. En dépit de cette plainte, Mme Stevens a procédé, avec l’approbation de M. Ouellette, à la mise au rôle des griefs et à assister aux audiences des griefs du plaignant. Mme Stevens a également assisté à des rencontres avec l’employeur au sujet de ses griefs, et ce, à l’insu du plaignant. Le plaignant a écrit à l’employeur, l’avisant qu’il n’avait pas autorisé Mme Stevens à procéder à quelque autre représentation pour son compte, et qu’il était inconvenant de la part de l’employeur d’accepter des représentations de la part de Mme Stevens en raison de la plainte en instance qu’il avait déposée à son égard.

19 Pour s’assurer que la procédure de règlement des griefs suivait son cours, le plaignant a conclu une entente avec le président de la section locale de l’ACEP et l’employeur, selon laquelle le plaignant présenterait son propre grief en étant accompagné par le président de la section locale. Ayant eu vent de cette entente, le bureau national de l’ACEP a avisé l’employeur que ces dispositions n’étaient pas acceptables et a menacé l’employeur de représailles si ce dernier permettait au plaignant de présenter son propre grief.

20 Dans sa lettre datée du 19 juin 2012, le plaignant évoque des dossiers mis en suspens auparavant dans l’attente de l’audition d’une plainte et rappelle à la Commission que la défenderesse avait réussi à convaincre par son argumentation la Cour d’appel fédérale que les deux questions dont il est question dans les dossiers de 2008 étaient substantiellement différentes.

21 L’avocate de l’ACEP a présenté une longue réfutation à l’appui de laquelle elle renvoie à la jurisprudence pertinente en la matière. Elle a également déposé un document intitulé [traduction] « Affidavit de signification », signé par Amy Quinn le 24 mai 2012 confirmant que cette dernière avait personnellement signifié au plaignant les arguments écrits de l’ACEP par la poste régulière et aussi par courriel.

22 Dans son argumentation, l’ACEP a soulevé une objection préliminaire quant au non-respect des délais pour le dépôt de la plainte. Subsidiairement, l’ACEP fait valoir que les plaintes doivent être rejetées au motif que le plaignant a fait défaut de fournir à la Commission les renseignements requis aux fins de l’ouverture des dossiers de plainte, contrairement à ce qui avait été demandé par celle-ci en novembre 2009. Par conséquent, la Commission doit en conclure que les plaintes sont réputées abandonnées.

23 L’ACEP a fait valoir qu’en vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, une plainte doit être présentée au plus tard dans les 90 jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu – ou, selon la Commission, aurait dû avoir – connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu. La date à laquelle le plaignant a eu ou aurait dû avoir connaissance des circonstances se calcule, en l’instance, à partir de la date à laquelle l’ACEP l’a informé de sa position au sujet des violations alléguées. Dans 2009 CRTFP 100, qui traite de la question de la modification de la plainte, le commissaire a fixé au 19 mai 2009 la date à laquelle la plainte est réputée avoir été déposée. Les incidents ayant donné lieu à la plainte doivent donc avoir été connus du plaignant au plus tard le 18 février 2009.

24 Les allégations permettant d’étayer la modification du 19 mai 2009 ne doivent donc pas être antérieures à la date du 18 février 2009. Or, dans un courriel daté du 4 février 2009, Mme Stevens avisait le plaignant que les dates d’audience de ses griefs étaient fixées aux 19 et 29 février 2009, et que leur instruction aurait effectivement lieu. C’est au-delà du délai obligatoire de 90 jours pour le dépôt d’une plainte fondée sur l’article 190 en vertu de la Loi.

25 Subsidiairement, l’ACEP a soutenu que le plaignant avait abandonné ses plaintes en omettant de fournir les renseignements requis par la Commission avant le 3 mai 2012. La Commission a statué sur la première demande de modification dans 2009 CRTFP 100. La deuxième demande de modification, présentée par le plaignant le 19 août 2009, n’était pas visée par cette décision. L’ACEP s’est opposée à ce qu’on se prononce sur cette demande, la Commission étant functus officio, car elle avait rendu sa décision le jour précédent la présentation de cette demande. Aucune autre communication n’a été reçue de la part du plaignant, hormis sa lettre datée du 26 octobre 2009 avisant la Commission qu’il ne voulait pas ouvrir les dossiers de plainte, et son refus en novembre 2009 de fournir les renseignements requis par la Commission, jusqu’au dépôt de ses plaintes le 3 mai 2012.

26 Enfin, l’ACEP a soutenu que si l’on permettait d’entendre les plaintes, cela constituerait un abus de procédure, contournant de ce fait la décision de la Commission rejetant les plaintes initiales du plaignant en soulevant cette fois un aspect accessoire portant sur la représentation du plaignant à l’automne 2008.

27 Le plaignant a allégué que l’ACEP avait manqué à son devoir de représentation équitable en lui donnant des informations erronées au sujet de la date limite pour la transmission de son grief en novembre 2008. L’allégation est essentiellement que l’ACEP aurait refusé inopportunément au plaignant l’occasion d’aborder des questions relatives à la vie privée et à la sécurité dans son traitement du grief présenté par le plaignant. Dans 2009 CRTFP 100, le commissaire a conclu que la plainte dont il était saisi était essentiellement fondée sur la conviction du plaignant que l’ACEP fondait son argumentation au soutien du grief sur la question du harcèlement sexuel, et non sur les questions de vie privée et de sécurité comme le plaignant l’aurait voulu. Si l’on permettait que ces plaintes soient entendues, cela nécessiterait que l’on entende de nouveau les faits sur lesquels la plainte avait justement été rejetée par le commissaire dans cette dernière décision.

Motifs

28 Je conclus que je n’ai pas compétence pour instruire ces plaintes. Les deux sont jugées irrecevables en vertu des délais impartis par la Loi, puisque les événements déclencheurs se sont produits au-delà du délai imparti de 90 jours prévu dans la Loi pour le dépôt d’une plainte fondée sur l’article 190.

29 En ce qui a trait à la première plainte, laquelle était fondée sur la première demande de modification faite par le plaignant auprès de M. Butler, l’ACEP a fait valoir que la date à laquelle le plaignant a eu connaissance des événements ayant donné lieu aux plaintes ne pouvait être antérieure à la date du 18 février 2009, soit au plus tard 90 jours avant la date que M. Butler, dans 2009 CRTFP 100, juge être la date à laquelle la nouvelle plainte avait été déposée. Je conviens avec la position de l’ACEP en tenant pour acquis que le plaignant aurait effectivement donné suite à sa demande de modification du 19 mai, ce qu’il n’a pas fait.

30 Si le plaignant avait répondu à la demande de la Commission de lui fournir les renseignements pertinents pour qu’elle procède à l’ouverture du dossier de plainte, sa plainte aurait été déposée dans les délais prescrits s’il s’était fondé sur des événements qui s’étaient produits le 18 février 2009 ou après cette date. Or, il n’a pas obtempéré à la demande d’information de la Commission, avisant en fait la Commission qu’il ne souhaitait pas donner suite à cette démarche avant que la Cour d’appel fédérale ait statué sur sa demande de contrôle judiciaire. Je conclus que le plaignant n’a déposé que la première des deux plaintes dont j’ai été saisie en mai 2012, alors que cette plainte est fondée sur des événements qui se sont produits en octobre et en novembre 2008. Cette plainte est de toute évidence hors délai.

31 Même si j’avais conclu que la première plainte du plaignant avait été déposée le 19 mai 2009, elle serait néanmoins toujours hors délai, car les événements y donnant lieu se sont produits plus de trois mois au-delà du délai prescrit de 90 jours pour le dépôt d’une plainte. Peu importe que je conclus que la première plainte soit réputée déposée en mai 2009 ou en mai 2012, elle demeure hors délai et doit donc être rejetée.

32 Quant à la deuxième demande de modification, présentée après la décision rendue dans 2009 CRTFP 100, le plaignant n’y a pas donné suite au-delà de l’échange de courrier initial. En effet, tout comme dans le cas de sa première plainte, le plaignant a expressément avisé la Commission qu’il ne souhaitait pas donner suite à cette démarche devant la Commission, craignant que cela porte préjudice à sa cause devant la Cour d’appel fédérale. Ayant pris cette décision, il doit en subir les conséquences. Par conséquent, je conclus que la deuxième plainte, tout comme la première, est réputée déposée en mai 2012 et est par conséquent hors délai, car elle porte sur des événements qui se sont produits au-delà du délai prescrit de 90 jours. Par ailleurs, même si j’en étais arrivée à la conclusion que cette plainte avait été déposée quelque temps après la décision rendue par M. Butler, elle serait toujours hors délai, car elle est fondée de toute évidence sur des événements qui se sont produits fort longtemps avant le délai prescrit pour déposer la plainte.

33 En somme, les deux plaintes sont hors délai. Aucune demande de prorogation de délai n’a été présentée à cet égard; d’ailleurs, il n’aurait pas été possible d’accorder une telle prorogation en vertu de la Loi. En effet, seulement les délais en matière de grief peuvent être prorogés. Il n’est pas permis que le plaignant puisse déposer des plaintes au-delà des délais prescrits en invoquant le fait que la Cour d’appel fédérale n’avait pas encore statué à leur égard. Cela ne change en rien le fardeau incombant à un plaignant de poursuivre sa plainte dans les délais prescrits. Il est clair que le délai de 90 jours est obligatoire; au-delà de ce délai, une plainte fondée sur l’article 190 doit être rejetée.

34 De plus, j’estime que le plaignant a déposé ses plaintes contre l’ACEP au‑delà de ce qu’on pourrait considérer comme étant un délai raisonnable. Il n’a pas déposé ses plaintes dans les délais prescrits, ayant déposé ses plaintes quelque 11 mois après avoir été avisé de la décision de la Cour d’appel fédérale et 8 mois après que le délai de 90 jours de la période d’appel a été échu. Il a créé un retard indu en intentant ses plaintes contre l’ACEP, en particulier en ce qui a trait à sa deuxième demande de modification présentée le 19 août 2009. Selon Brown et Beatty, dans Canadian Labour Arbitration,quatrième édition, il convient de trouver un juste équilibre entre, d’une part, le traitement et la finalité des demandes et, d’autre part, la résolution équitable des différends sur le fond (paragraphe 2:3210). La décision revient au décideur, exerçant à cet égard son pouvoir discrétionnaire, en appréciant les explications fournies pour justifier le retard et ses conséquences au plan du préjudice que cela pourrait occasionner à l’autre partie.

35 La seule explication donnée par le plaignant pour justifier son retard est celle que l’on peut lire dans sa lettre datée du 16 mars 2012 adressée à la Commission, dans laquelle il affirme ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Récemment, lors de l’étude de dossiers se rapportant à une autre affaire actuellement en instance devant la Commission, le plaignant s’est rendu compte qu’aucune des demandes de modification n’a été examinée, ni par la Commission ni par la Cour d’appel fédérale.

Par conséquent, le plaignant souhaite ouvrir deux nouveaux dossiers de plainte visant les questions portées à l’attention de la Commission le 19 mai 2009 et le 19 août 2009, mais sur lesquelles il n’a pas encore été statué à ce jour.

[…]

36 Le plaignant a alors attendu six autres semaines avant de finalement acheminer les formules de plainte à la Commission. Il n’a pas répliqué aux arguments de l’ACEP; de plus, il n’a pas demandé une prorogation des délais pour répondre. Je suis d’avis qu’il n’a pas fourni une explication raisonnable pouvant justifier son retard; de plus, sa conduite, notamment en ne répondant pas aux communications de la Commission, en omettant de produire les formules de plainte obligatoires, et en faisant défaut de répliquer aux arguments de l’ACEP, même si cela n’avait été que de simplement aviser la Commission qu’il ne souhaitait pas présenter une réplique, n’a pas été de nature à démontrer qu’il entendait poursuivre diligemment l’instruction de ses plaintes. Selon ce que nous enseignent Brown et Beatty, au paragraphe 2:3212, afin d’éviter l’application de la doctrine du délai préjudiciable, il faut que la partie à laquelle le retard est attribuable présente une explication raisonnable justifiant son retard. Or, le plaignant n’a fourni aucune explication raisonnable à cet égard; l’ACEP a le droit d’être tenue à l’abri de quelque préjudice pouvant lui être occasionné en raison de ce retard.

37 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

38 Les deux plaintes sont rejetées.

Le 4 octobre 2012.

Traduction de la CRTFP

Margaret Shannon,
une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

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