Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé était un agent correctionnel du Service correctionnel du Canada (SCC) - l’administrateur général a licencié le fonctionnaire s’estimant lésé parce que ce dernier avait été trouvé en possession d’une quantité importante de drogues diverses, parce qu’il avait donné en garantie du solde du prix d’achat de ces drogues ses coordonnées personnelles aux inconnus de qui il les avait achetées et parce qu’il consommait de la drogue - le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son licenciement - l’arbitre de grief a conclu que tout vice dans la façon dont l’administrateur général avait mené son enquête disciplinaire avait été corrigé par l’audience de novo tenue sur le grief - il a aussi conclu que la preuve étayait les faits sur lesquels l’administrateur général s’était fondé pour licencier le fonctionnaire s’estimant lésé - de plus, l’arbitre de grief a conclu que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé était incompatible avec ses fonctions d’agent de la paix, était susceptible de ternir l’image du SCC et affectait le degré de confiance que l’administrateur général pouvait avoir en lui - enfin, l’arbitre de grief a conclu que le licenciement était approprié et que les démarches de réadaptation entreprises par le fonctionnaire s’estimant lésé ne justifiaient pas de substituer au licenciement une autre mesure disciplinaire. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-01-26
  • Dossier:  566-02-2316
  • Référence:  2012 CRTFP 10

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALAIN RICHER

fonctionnaire s’estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Richer c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Ariane Pelletier, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
 du 14 au 16 décembre 2010 et les 27 et 28 avril 2011.

I. Grief renvoyé à l’arbitrage

1 Le fonctionnaire s’estimant lésé, Alain Richer (le « fonctionnaire »), occupait, à l’époque pertinente, le poste d’agent correctionnel et était classifié aux groupe et niveau CX-01. Il travaillait pour le Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’ « employeur ») depuis le 18 juillet 2005, à l’Établissement Archambault situé à Sainte-Anne-des-Plaines (Québec) (l’« établissement »). Le 3 juillet 2008, le fonctionnaire a déposé un grief relativement à son licenciement dû à son comportement hors des heures de service. À titre de mesure correctrice, le fonctionnaire demande d’être réintégré dans son emploi.

2 La lettre de licenciement (pièce E-10-5), datée du 25 juin 2008 et signée par Ninon Paquette, directrice de l’établissement, se lit en partie comme suit :

[…]

La présente lettre fait suite au rapport d’enquête déposé le 1er mai 2008 concernant les événements survenus à votre domicile le 15 janvier dernier. Ce rapport d’enquête vous a été remis et vous avez eu la chance de fournir vos commentaires lors d’une rencontre le 9 mai dernier.

J’estime que les événements du 15 janvier dernier entrent directement en contradiction avec la nature même des opérations du Service correctionnel du Canada (SCC), de sa Mission et de votre statut d’agent de la paix. De par vos actes, vous avez entaché l’image de SCC et vous avez brisé de façon irréparable le lien de confiance avec votre employeur. Après analyse, je constate donc que vous avez enfreint le Code de valeurs et d’éthique de la Fonction publique, les Règles de conduite professionnelle et le Code de discipline du SCC.

Enfin, j’ai tenu compte des facteurs atténuants et aggravants propres à votre situation et je vous avise qu[e] […] j’ai pris la décision de vous licencier à compter du 27 juin 2008.

[…]

3 Le grief a été renvoyé à l’arbitrage le 5 septembre 2008.

4 Les parties n’étaient pas disponibles pour une audience avant le 14 décembre 2010.

II. Résumé de la preuve

5 Les dispositions du Code de discipline de l’employeur, édicté par la Directive du commissaire du SCC no 60 (pièce E-10-8), invoquées par l’employeur se lisent comme suit :

[…]

RESPONSABILITÉS GÉNÉRALES

[…]

3. On s’attend à ce que les employés du Service respectent les Règles de conduite professionnelle. Des règles de conduite professionnelle découlent un certain nombre de règles précises que les employés du Service correctionnel doivent observer. Une liste d’exemples d’infractions se trouve sous chaque règle précise. Ces listes ne sont pas exhaustives.

[…]

RÈGLES DE CONDUITE PROFESSIONNELLE

[…]

Conduite et apparence

6. Le comportement d’une personne, qu’elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l’image de la profession, tant en paroles que par leurs actes. […]

Infractions

Commet une infraction l’employé qui :

[…]

c. se conduit d’une manière susceptible de ternir l’image du Service, qu’il soit de service ou non;

d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province risquant ainsi de ternir l’image du Service ou d’avoir un effet préjudiciable sur le rendement au travail;

[…]

[Je souligne]

6 Il est également allégué que le fonctionnaire a enfreint la règle 2 des Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada (pièce E-10-7) :

[…]

2. RÈGLE DEUX CONDUITE ET APPARENCE

Le comportement d’une personne, qu’elle soit de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter de façon à rehausser l’image de la profession, tant en paroles que par leurs actes.[…]

[…]

[…] En tant que modèles pour les délinquants, les employés se doivent d’adopter des normes élevées que les délinquants peuvent respecter et essayer d’imiter. […] Les employés doivent veiller à se présenter, tant en service qu’en dehors du service, comme des citoyens responsables et respectueux des lois.

Les employés qui commettent des actes criminels ou d’autres violations graves de la loi– en particulier dans le cas de récidives ou d’infractions suffisamment graves pour entraîner l’incarcération– ne présentent pas le genre de comportement considéré comme acceptable dans le Service, sur les plans tant personnel ou professionnel. […]

[…]

7 Il est en outre allégué que le fonctionnaire a enfreint le Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique (pièce E-10-6), dont les dispositions invoquées par l’employeur se lisent comme suit :

[…]

Valeurs liées à l’éthique :Agir en tout temps de manière à conserver la confiance du publique.

  • Les fonctionnaires doivent exercer les fonctions officielles et organiser leurs affaires personnelles de façon à préserver et à accroître la confiance du public à l’égard de l’intégrité, de l’objectivité et de l’impartialité du gouvernement.
  • La conduite des fonctionnaires doit pouvoir résister à l’examen public le plus minutieux; cette obligation ne se limite pas à la simple observation de la loi.

[…]

8 Dans le cadre de sa formation initiale, le fonctionnaire a signé un accusé de réception du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada. Il a également signé une déclaration selon laquelle il s’engageait à respecter les normes de professionnalisme et d’intégrité énoncées dans ces documents (pièce E-10-1). La déclaration mentionnait également que l’employeur s’attendait à ce que les employés lisent les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada et se familiarisent avec celles-ci. L’employeur s’attendait à ce que les employés s’adressent à leurs surveillants s’ils avaient besoin d’explications ou d’éclaircissements en quelque domaine que ce soit.

A. Pour l’employeur

9 Suzanne Sergerie a témoigné pour le compte de l’employeur. Cependant, je ne rapporte pas son témoignage dans cette décision, car je ne le considère pas pertinent aux questions que je dois décider.

10 Sylvain Mainville est un agent du service de police de Terrebonne depuis 13 ans, dont trois ans à l’escouade des stupéfiants. Le 15 janvier 2008, vers 4 h 25 alors qu’il patrouillait avec un autre agent, il a reçu un appel concernant un individu qui semblait inconscient dans son bain. Il a appelé les ambulanciers pour avoir de l’assistance et s’est rendu sur les lieux, soit au domicile du fonctionnaire.

11 Dans le logement du fonctionnaire, l’agent Mainville a découvert le fonctionnaire dans le bain. Il a constaté qu’il était inconscient. En regardant autour de la salle de bain, l’agent Mainville a vu une seringue qui contenait du liquide ainsi qu’une petite pochette noire. Dans la pochette, il a trouvé des stupéfiants, dont de la cocaïne, du haschisch, du cannabis, du crack, des amphétamines et des méthamphétamines. Il a saisi ces substances.

12 L’agent Mainville a indiqué qu’après avoir aidé les ambulanciers à placer le fonctionnaire dans l’ambulance, et alors qu’ils étaient sur le point de partir vers l’hôpital, la première conjointe du fonctionnaire s’est présentée sur les lieux. Elle a informé les policiers qu’il y avait d’autres stupéfiants dans le logement. L’agent Mainville lui a dit de les remettre à la police. Il a confirmé que la première conjointe du fonctionnaire avait par la suite apporté les stupéfiants à la police.

13 L’agent Mainville a expliqué avoir préparé un rapport d’événement (pièce E-2), dans lequel il fait part de possession de stupéfiants. Il a indiqué que la quantité de substances saisies le portait à croire que c’était pour en faire le trafic, ce qu’il a écrit dans le rapport. À cet égard, dans la demande d’intenter des procédures qu’il a adressée à la Couronne (pièce E-1), le libellé de l’infraction mentionne la possession en vue de trafic de cocaïne, crack, cannabis, etc.

14 L’agent Mainville a dressé une liste des substances saisies (pièce E-6) et a envoyé des échantillons de celles qu’il croyait être des stupéfiants à Santé Canada pour être analysés. Le rapport de l’analyste de Santé Canada (pièce E-8 en liasse) a identifié les substances suivantes : cocaïne, cannabis (marijuana), amphétamines, « speed », méthamphétamines et résine de cannabis (haschisch). Ces analyses ont été effectuées entre le 18 avril et le 21 mai 2008.

15 La sommation émise au fonctionnaire le 27 juin 2008 (pièce E-7) l’accusait de trois actes criminels en vertu des dispositions applicables de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19, soit : possession de méthamphétamines, d’amphétamines et de cocaïne. La sommation accusait aussi le fonctionnaire de deux infractions punissables sur déclaration sommaire de culpabilité : possession de résine de cannabis (haschich) et de cannabis (marijuana). Lors de sa comparution devant la Chambre criminelle de la Cour du Québec, le 25 novembre 2008, le fonctionnaire a plaidé coupable aux dites infractions. La Cour a prononcé une absolution (pièce S-9), conditionnelle à la signature d’une ordonnance de probation d’une durée de 18 mois par le fonctionnaire (pièce E-5).

16 André Courtemanche détient un baccalauréat en criminologie et est un employé du SCC depuis 1979. Le 15 janvier 2008, il occupait le poste d’administrateur de la sécurité du SCC pour la région du Québec, poste qu’il a occupé à deux reprises, soit de 1992 à 1998 et de 2003 à 2008. Il a indiqué qu’en cette capacité, il gérait les dossiers de sécurité pour l’ensemble des pénitenciers du SCC pour la région du Québec. Cela comprenait les équipements, les politiques, les plans d’urgence ainsi que les liens avec les corps policiers. M. Courtemanche a indiqué qu’il avait participé à plusieurs enquêtes alors qu’il travaillait pour le SCC et qu’il était qualifié comme formateur en matière d’enquêtes. Entre 1998 et 2003, M. Courtemanche était sous-directeur de l’établissement.

17 M. Courtemanche a témoigné qu’un employé de son équipe lui avait fait part d’une information reçu du service de police de Terrebonne voulant que des policiers aient fait une intervention chez le fonctionnaire et qu’ils avaient saisi des substances illégales. M. Courtemanche en a avisé Mme Paquette et a communiqué avec le directeur adjoint du service de police de Terrebonne, le 16 janvier 2008, afin d’obtenir une copie des documents concernant l’événement. Par lettre datée du 17 janvier 2008 (pièce E-11), les documents suivants ont été transmis par le directeur adjoint du service de police de Terrebonne à M. Courtemanche :

  • demande d’intenter des procédures;
  • précis des faits;
  • liste des témoins;
  • rapport d’événement;
  • narration;
  • suivi du dossier;
  • rapport à un juge de paix à la suite d’une saisie sans mandat;
  • contrôle des pièces à conviction;
  • rapport d’infraction et de disposition des drogues;
  • photographies.

M. Courtemanche croit avoir partagé ces documents avec Mme Paquette. Le 21 janvier 2008, cette dernière a mandaté MM. Courtemanche et Philippe Vignis, directeur des ressources humaines du SCC pour la région du Québec, d’effectuer une enquête relativement aux événements survenus le 15 janvier 2008 au domicile du fonctionnaire. Leur rapport d’enquête est daté du 1er mai 2008 (pièce E-10-4).

18 M. Courtemanche a témoigné que lui et M. Vignis avaient débuté leur enquête en prenant connaissance des documents reçus du service de police de Terrebonne. Ils ont ensuite rencontré le fonctionnaire le 8 février 2008. Ce dernier était accompagné par deux représentants de l’Union of Canadian Correctional Officers –Syndicat des agents correctionnels du Canada –CSN (l’« agent négociateur »), soit Luc Querry, président de la section locale, et Ariane Pelletier, conseillère syndicale.

19 M. Courtemanche a indiqué que Mme Pelletier avait demandé d’obtenir une copie des documents fournis par le service de police de Terrebonne. Il a vérifié auprès de l’avocate-conseil du SCC, qui n’y a pas vu d’objection. Par la suite, selon M. Courtemanche, l’avocate-conseil du SCC s’est ravisée après en avoir discuté avec le conseiller juridique du service de police. M. Courtemanche a alors remis à Mme Pelletier une copie de la lettre du directeur adjoint du service de police de Terrebonne et lui a dit de s’adresser au service de police pour obtenir une copie des documents en question. M. Courtemanche a dit que, vu sa discussion avec l’avocate-conseil de l’employeur, il a décidé de ne pas tenir compte des documents reçus du service de police dans le rapport d’enquête.

20 M. Courtemanche a admis que, le 8 février 2008, les enquêteurs n’avaient pas reçu de Santé Canada les résultats de l’analyse des substances saisies et que les accusations criminelles contre le fonctionnaire n’avaient pas encore été déposées. Ils n’avaient donc pas tout le matériel qu’ils auraient souhaité pour les fins de l’enquête avant de rencontrer le fonctionnaire.

21 Le fonctionnaire a fourni sa version des faits lors de son entrevue avec les enquêteurs. Selon le rapport d’enquête, le fonctionnaire a expliqué qu’après son union avec sa première conjointe, il s’était engagé dans une autre union qui avait duré environ 10 ans et qui avait pris fin au cours de l’année 2007. Il a dit avoir vécu difficilement cette séparation de sa deuxième conjointe. Il a dit qu’il avait demandé de l’aide par l’entremise du Programme d’aide aux employés (PAE) de l’employeur en mai 2007 et qu’un rendez-vous avec un psychologue avait été fixé en juillet 2007 mais ultimement reporté en septembre 2007.

22 Selon M. Courtemanche, en ce qui a trait aux substances saisies par la police, le fonctionnaire a dit qu’à la mi-août 2007, alors qu’il passait les moments les plus difficiles de sa vie, il avait rencontré un couple dans un terrain de camping et que ce couple lui avait fait connaître des expériences de consommation de cocaïne. Selon le rapport d’enquête, ce couple lui avait offert d’acheter sa drogue et son équipement de consommation d’une valeur de 1100 $ pour 400 $. Le fonctionnaire n’aurait payé que 280 $, le solde de la somme devant être versé ultérieurement à ce couple. À cette fin, le fonctionnaire aurait fourni au couple ses renseignements personnels. En ce qui concerne les substances qu’il a achetées et sa consommation de drogue, le rapport d’enquête fait état de la version du fonctionnaire comme suit :

[…]

L’employé reconnaît avoir acheté des substances illicites qui lui furent livrées dans une boîte, mais il n’est pas en mesure d’identifier tout ce qu’il a acheté de ce couple. Il précise qu’il ne peut faire la différence entre la cocaïne et le crack.

Au cours de l’automne, il reconnaît avoir consommé à trois occasions de la cocaïne et à deux autres de l’ecstasy. Il a avoué avoir consommé la cocaïne sous différentes formes dont par injection.

[…]

23 Le rapport d’enquête décrit comme suit l’incident du 15 janvier 2008 :

[…]

Le ou vers le 14 janvier 2008, après son quart de travail du soir, monsieur Richer […] souffre d’insomnie. Selon lui, vers 02 heures du matin, afin de trouver le sommeil, il a pris une « quantité » de somnifères disponibles en vente libre [selonune note en bas de page, le fonctionnaire a déclaré qu’il a pris deux comprimés]. Il a pris un bain chaud, tout en bouchant le renvoi et laissant couler un filet d’eau chaude pour maintenir la température. Ne trouvant pas le sommeil, il dit avoir pris deux « ativan » provenant d’une prescription appartenant à son père décédé.

[…]

24 M. Courtemanche a témoigné que le fonctionnaire apparaissait abattu à un tel point que MM. Courtemanche et Vignis lui ont offert l’aide du PAE, bien que cette aide lui ait été offerte à deux reprises par son surveillant. Le fonctionnaire a répondu qu’on s’occupait déjà bien de lui.

25 Les enquêteurs ont soumis une ébauche de leur rapport à Mme Paquette et celle-ci leur a fait part qu’il fallait un complément de rapport relativement à la consommation de drogue du fonctionnaire. Au cours du mois de février 2008, les enquêteurs ont convoqué le fonctionnaire à une deuxième rencontre. Le fonctionnaire et Mme Pelletier étaient dans le bureau de M. Courtemanche, tandis que M. Vignis assistait par conférence téléphonique. M. Courtemanche posait les questions et M. Vignis devait prendre des notes. Selon M. Courtemanche, la ligne téléphonique était de très mauvaise qualité et M. Vignis n’a pas pu entendre toute la conversation.

26 Les conclusions du rapport d’enquête font état de la préoccupation des enquêteurs concernant l’obtention de drogue illicite par le fonctionnaire et la possibilité que des accusations criminelles soient portées contre lui, éléments qui, selon les enquêteurs, sont incompatibles avec les fonctions d’un agent correctionnel. À cet égard, M. Courtemanche a déclaré qu’un agent de la paix doit respecter les lois. Si la personne qui a vendu de la drogue au fonctionnaire était incarcérée à l’établissement et voyait le fonctionnaire, elle pourrait lui demander des services en le menaçant de le dénoncer aux autorités.

27 M. Courtemanche a témoigné que la consommation de drogue « dure » par un agent correctionnel représente un risque à la sécurité de l’établissement et à la sécurité de l’ensemble des employés de l’établissement. Il a précisé que les agents correctionnels sont appelés à travailler avec des armes à feu et peuvent répondre à des situations d’urgence qui demandent des réflexes accrus. Selon M. Courtemanche, même si elle était acceptée, la version des faits du fonctionnaire, selon laquelle il s’agissait d’un premier achat de drogue, démontre un manque de jugement, car le public doit avoir confiance en ceux qui appliquent la loi. M. Courtemanche a souligné qu’un agent correctionnel doit mener une vie exemplaire. S’il y a médiatisation de problèmes de consommation de drogue, cela aura un impact négatif sur la confiance du public et l’image de l’employeur.

28 En contre-interrogatoire, M. Courtemanche a admis que les enquêteurs s’étaient servis des documents reçus du service de police de Terrebonne pour poser des questions au fonctionnaire. Cependant, dans le courriel qu’il avait adressé au président régional de l’agent négociateur en date du 5 mai 2008 (pièce S-3), il avait affirmé que ces documents n’avaient pas été considérés dans l’analyse et la rédaction du rapport d’enquête et que les enquêteurs s’étaient limités au témoignage du fonctionnaire.

29 M. Courtemanche a dit qu’ils étaient au courant des allégations du fonctionnaire voulant que sa deuxième conjointe, qui travaillait à l’établissement, l’avait menacé de lui faire perdre son emploi.

30 En ce qui a trait aux questions concernant l’impact de l’incident du 15 janvier 2008 sur l’image de l’employeur, M. Courtemanche a répondu qu’il n’avait pas vu d’article dans les médias à cet égard.

31 Simon Brunet était gestionnaire correctionnel à l’établissement au moment des événements. Il était le surveillant du fonctionnaire de 2005 à 2007 et, en 2007, il a assumé la gestion de l’unité dont faisait partie le fonctionnaire.

32 M. Brunet a indiqué qu’il avait rencontré le fonctionnaire dans son bureau le ou vers le 17 décembre 2007, après la lecture d’une note anonyme qui lui avait été remise par un agent de renseignement de la sécurité de l’établissement alléguant que le fonctionnaire consommait de la cocaïne. Le fonctionnaire lui a dit ne pas connaître la provenance de la note et lui a assuré qu’il n’avait pas de problème de consommation de drogue. Le fonctionnaire a dit qu’il avait essayé la cocaïne il y avait plus d’un an et demi et qu’il n’en avait pas repris depuis. Il a fait part à M. Brunet que sa deuxième conjointe, qui travaillait à l’établissement et avec qui la relation s’était mal terminée, était au courant qu’il avait déjà consommé de la cocaïne et qu’il pensait qu’elle voulait nuire à sa réputation. M. Brunet a invité le fonctionnaire à l’aviser s’il avait d’autre information concernant la provenance de la note. Il lui a aussi offert de l’aide s’il avait un problème de consommation de drogue. Il a expliqué au fonctionnaire les conséquences de la consommation de drogue et que ce n’était pas compatible avec son emploi, car cela pouvait le rendre vulnérable à l’élément criminel. Selon M. Brunet, cette rencontre a duré de 20 à 30 minutes. Le seul compte-rendu qu’il en a fait fut d’aviser l’agent de renseignement de la sécurité que l’information n’avait pas été validée.

33 M. Brunet a rencontré le fonctionnaire de nouveau le 14 janvier 2008 dans son bureau, à la suite de la réception par l’agent de renseignement de la sécurité de l’établissement d’une deuxième note anonyme, celle-ci alléguant que le fonctionnaire consommait de la drogue dans l’établissement. Le fonctionnaire a nié qu’il consommait de la drogue, soit à l’intérieur ou à l’extérieur de l’établissement, et a encore indiqué que sa deuxième conjointe pourrait être la source de ces renseignements. M. Brunet lui a fait part de ses préoccupations concernant ces renseignements sur le plan de la sécurité de l’établissement et des conséquences possibles sur la confiance que l’employeur pouvait avoir en lui. M. Brunet a encore offert au fonctionnaire de l’aide par l’entremise du PAE, mais ce dernier n’a pas fait signe qu’il en avait besoin.

34 M. Brunet s’est dit surpris d’apprendre l’incident du 15 janvier 2008. Il a dit que le fonctionnaire était un bon employé. Lorsqu’il a été interrogé à savoir quelle serait sa réaction si le fonctionnaire était réintégré à son emploi, M. Brunet a répondu que son niveau de confiance à l’égard du fonctionnaire serait réduit.

35 M. Brunet a affirmé, à la suite de l’incident du 15 janvier 2008, que les notes qu’il avait prises lors des rencontres avec le fonctionnaire et qui ont été annexées au rapport d’enquête avaient été remises à Mme Paquette le 31 janvier 2008 (pièce E-10-3).

36 En contre-interrogatoire, M. Brunet a affirmé que, lors de la première rencontre avec le fonctionnaire, celui-ci ne lui avait pas donné le nom de sa deuxième conjointe. M. Brunet avait cru comprendre qu’elle travaillait à l’établissement. M. Brunet a dit qu’au début, le fonctionnaire ne connaissait pas la provenance de la note et, par la suite, il a dit qu’il était possible qu’elle provienne de sa deuxième conjointe, mais il n’en était pas certain. M. Brunet n’a pas tenté de connaître qui avait écrit les notes.

37 M. Brunet a indiqué qu’il avait été agent d’orientation du PAE pendant environ trois ans et qu’il se serait assuré que le fonctionnaire soit orienté vers des ressources compétentes s’il avait demandé de l’aide. Il a affirmé que le fonctionnaire ne lui avait pas fait part qu’il avait demandé de l’aide au PAE.

38 À la question concernant le statut des autres employés qui avaient des problèmes de consommation de drogue, M. Brunet a répondu que quelques-uns étaient toujours à l’emploi du SCC et d’autres avaient été licenciés. M. Brunet a affirmé qu’il n’avait pas été mis au courant de l’enquête concernant le fonctionnaire.

39 Madame Paquette est directrice de l’établissement depuis trois ans. Elle est à l’emploi du SCC depuis 27 ans et a occupé des postes de gestion à différents niveaux. Lorsqu’elle a été mise au courant de l’incident du 15 janvier 2008, elle a décidé de suspendre le fonctionnaire de ses fonctions et, le 21 janvier 2008, elle a donné mandat à M. Courtemanche et à M. Vignis (pièce E-10-2) d’enquêter sur les événements.

40 Mme Paquette a témoigné qu’au cours de l’enquête, le fonctionnaire avait communiqué avec elle afin de savoir quand les résultats seraient connus; il avait été informé que les mesures disciplinaires possibles pouvaient aller jusqu’au congédiement. Elle a dit que le fonctionnaire ne voyait pas le lien entre sa conduite et son travail, puisqu’il lui avait dit que ce qui se passait dans sa chambre à coucher y demeurait. Mme Paquette lui a répondu qu’elle ne comprenait pas pourquoi il ne faisait pas le lien avec son travail et qu’on communiquerait avec lui lorsque l’enquête serait terminée.

41 Mme Paquette a témoigné qu’une copie du rapport final d’enquête a été remise au fonctionnaire. Par la suite, une rencontre a eu lieu le 9 mai 2008 au centre administratif du SCC à Sainte-Anne-des-Plaines afin d’obtenir les commentaires du fonctionnaire. Mme Paquette ne pouvait pas préciser le nom du représentant syndical qui accompagnait le fonctionnaire. Elle croyait que le sous-directeur de l’établissement était aussi présent.

42 Selon Mme Paquette, le fonctionnaire questionnait la raison pour laquelle on pourrait le congédier alors qu’il vivait une période de détresse. De plus, le fonctionnaire n’était pas d’accord avec le contenu du rapport puisque, selon lui, on le faisait passer pour un toxicomane. Mme Paquette a indiqué que l’employeur n’avait rien à reprocher au fonctionnaire relativement à son travail.

43 Après avoir considéré les commentaires du fonctionnaire, Mme Paquette l’a convoqué à une deuxième rencontre afin de lui remettre la lettre de licenciement. Elle a indiqué que sa décision avait été prise après avoir tenu compte de plusieurs facteurs. Elle a cité, entre autres, le fait que le fonctionnaire avait le statut d’agent de la paix, qu’il devait avoir un comportement intègre et en relation avec les valeurs de l’employeur afin de servir d’exemple aux détenus et de contribuer à leur réinsertion sociale. Mme Paquette a dit que ces valeurs ne se limitaient pas au travail, mais s’étendaient aux activités personnelles des agents correctionnels. Elle a dit que la consommation de drogue représente un problème de sécurité dans les pénitenciers et que la consommation de drogue par le fonctionnaire pouvait le rendre vulnérable. Mme Paquette a affirmé que l’employeur doit avoir confiance dans un employé qui exerce des fonctions de sécurité et que le public se fie aux employés du SCC pour assurer sa sécurité. En ce qui a trait à l’image de l’employeur, Mme Paquette a témoigné que le public s’attend à ce que les employés du SCC agissent conformément à la loi et qu’un tel incident peut miner la confiance du public. Mme Paquette a affirmé que, par ses gestes, le fonctionnaire avait brisé de façon irréparable le lien de confiance qui doit exister entre un employeur et un employé.

44 Parmi les facteurs aggravants dont elle a tenu compte, Mme Paquette a signalé le fait que le fonctionnaire avait acheté une quantité imposante et variée de drogue d’étrangers et qu’il leur avait fourni des renseignements personnels à titre de caution pour le deuxième versement du montant dû. De plus, lors de ses deux rencontres avec M. Brunet, le fonctionnaire avait été averti que la consommation de drogue était incompatible avec ses fonctions d’agent correctionnel. Le fonctionnaire avait pris connaissance des règles de conduite du SCC. Il avait eu l’occasion d’exposer ses problèmes et d’aller chercher de l’aide. Selon Mme Paquette, le fait que le fonctionnaire ait nié avoir consommé de la drogue a démontré qu’il n’a pas fait preuve de transparence.

45 Mme Paquette a indiqué que les facteurs atténuants qu’elle a considérés étaient le décès des parents du fonctionnaire, la séparation difficile qu’il avait vécue et sa situation de détresse psychologique.

46 En contre-interrogatoire, Mme Paquette a affirmé qu’elle avait été mise au courant, avant le 15 janvier 2008, des notes anonymes concernant le fonctionnaire et qu’elle avait demandé à M. Brunet de rencontrer le fonctionnaire afin de l’en informer. Mme Paquette a dit qu’elle n’avait pas tenté de communiquer avec la deuxième conjointe du fonctionnaire. Il s’agissait de notes anonymes et, comme le fonctionnaire a nié les activités qui y étaient alléguées, Mme Paquette a dit que la gestion l’a cru et lui a donné le bénéfice du doute. Pour la gestion, le dossier était clos. Mme Paquette a témoigné que le rapport d’analyse des drogues n’avait pas été produit au moment de l’enquête.

47 Mme Paquette a témoigné qu’après avoir pris connaissance de l’ébauche du rapport d’enquête, elle était d’avis que les enquêteurs devaient approfondir certains aspects, dont la fréquence de consommation de drogue du fonctionnaire. Sur réception du rapport final, elle n’avait pas d’autres interrogations. Avant de décider de la mesure disciplinaire, Mme Paquette a consulté des contacts régionaux et a considéré les commentaires du fonctionnaire. Mme Paquette a dit qu’elle ne se souvenait pas d’avoir dit au fonctionnaire que sa détresse n’était pas importante, mais que les conséquences de la possession de drogue l’étaient. Elle a affirmé qu’avant les rencontres du fonctionnaire avec M. Brunet, elle n’était pas au courant de ses difficultés de séparation ni de l’allégation que sa deuxième conjointe tentait de nuire à sa réputation.

48 En ce qui concerne la demande que le fonctionnaire aurait faite au PAE, Mme Paquette a dit que cela était possible, puisqu’une telle démarche est confidentielle et que les employés ne sont pas obligés d’en aviser la gestion. À la question de savoir s’il y a une enquête disciplinaire lorsqu’un employé admet avoir consommé de la cocaïne, Mme Paquette a répondu que chaque cas était traité individuellement. Dans le cas de la consommation de drogue, Mme Paquette a dit que l’employé qui contrevient au Code de discipline met son emploi à risque.

49 Relativement à l’allégation que le fonctionnaire avait nui à l’image de l’employeur, Mme Paquette a dit que le licenciement du fonctionnaire n’avait pas été divulgué au personnel de l’établissement ni aux détenus et que le rapport d’enquête était confidentiel. Elle a admis qu’à sa connaissance, l’incident du 15 janvier 2008 n’avait pas été rapporté par les médias. Cependant, elle a précisé qu’à titre de directrice de l’établissement, elle se devait de ne pas attendre qu’un tel incident soit rapporté dans les médias.

50 En ce qui a trait au bris allégué du lien de confiance entre l’employeur et l’employé, la représentante du fonctionnaire a demandé si le fait qu’il n’avait pas consommé de drogue pendant deux ans et demi pouvait rétablir ce lien. Mme Paquette a répondu que, lors de ses rencontres avec M. Brunet, le fonctionnaire avait affirmé qu’il ne consommait pas de drogue et la gestion l’avait cru.

51 Lorsqu’on lui a demandé si le fonctionnaire et ses représentants syndicaux avaient demandé une copie des documents ayant servi à l’enquête, Mme Paquette a répondu qu’à son souvenir, les seuls documents qui n’étaient pas fournis étaient ceux provenant du service de police de Terrebonne et que, de toute façon, ces documents n’avaient pas été utilisés dans le cadre de l’enquête.

B. Pour le fonctionnaire

52 Relativement aux événements du 15 janvier 2008, le fonctionnaire a dit qu’il avait eu une rencontre la veille avec M. Brunet et que son quart de travail était de 16 h à minuit. À son arrivée à son domicile, il vivait de l’anxiété, de la colère et de la peine. Pour trouver le sommeil plus rapidement, il a consommé deux bières. Vers 2 h, comme il ne dormait toujours pas, il a pris deux comprimés du tranquillisant Dormex qui, selon le fonctionnaire, fait normalement effet après 15 à 20 minutes. Environ une heure plus tard, il a pris de l’Ativan, qu’il avait récupéré de la pharmacie de son père décédé. Ensuite, il a pris un bain tout en laissant couler un filet d’eau chaude, sachant que le drain était bloqué. Il s’est vraisemblablement endormi. Il a repris conscience dans l’ambulance qui le transportait vers l’hôpital.

53 Le fonctionnaire a dit qu’à la première rencontre avec M. Brunet, ce dernier l’a informé qu’il avait eu vent de rumeurs au sujet de sa consommation de cocaïne par injection et il lui a demandé si cela était vrai. Selon le fonctionnaire, il a avoué avoir consommé de la cocaïne sans lui dire que c’était assez récent, soit au début de novembre 2007. Le fonctionnaire a dit qu’il n’était pas à l’aise de le dévoiler à M. Brunet et qu’avec la détresse qu’il vivait du fait de sa séparation de sa deuxième conjointe, qui avait eu lieu en mai 2007, il ne voulait pas de problème supplémentaire avec son employeur. Il savait qu’il pourrait y avoir des répercussions. M. Brunet lui a offert l’aide du PAE. Le fonctionnaire a dit à M. Brunet que sa deuxième conjointe était sûrement à l’origine des rumeurs, puisqu’elle était la seule au courant de sa consommation de drogue. Selon le fonctionnaire, sa deuxième conjointe l’avait menacé de lui faire perdre son emploi s’il n’acceptait pas de quitter l’établissement en cas de séparation.

54 À leur deuxième rencontre, le 14 janvier 2008, M. Brunet a informé le fonctionnaire qu’il avait reçu une lettre anonyme alléguant qu’il consommait de la drogue au travail. Le fonctionnaire a répondu qu’il avait consommé dans le passé mais qu’il ne vivait pas de problème de drogue actuellement. M. Brunet lui a encore offert de l’aide et le fonctionnaire lui a répondu qu’il avait de l’aide de l’extérieur. En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a dit qu’il avait pris contact avec une psychologue pour son problème de drogue avant les Fêtes de 2007, et qu’il devait avoir un premier rendez-vous avec elle le 17 janvier 2008.

55 Le fonctionnaire a témoigné qu’il avait fait appel au PAE antérieurement pour des problèmes conjugaux ainsi qu’après sa séparation. Il a expliqué que, lorsque sa deuxième conjointe l’a laissé, il avait demandé une présence policière lorsqu’elle a déménagé de chez lui (pièce S-7). Selon le fonctionnaire, sa deuxième conjointe avait déjà déposé une plainte de voies de fait à son égard, que la Couronne avait laissé tomber faute de preuve suffisante. Selon lui, sa deuxième conjointe avait répandu cette rumeur dans le milieu de travail, ce qui avait contribué à une ambiance de travail difficile pour lui.

56 Le fonctionnaire a témoigné que le cours de formation d’agent correctionnel (pièce S-8) qu’il avait suivi ne contenait pas de module consacré à la drogue et qu’environ deux heures étaient consacrées à l’usage de substances par les détenus et aux procédures lors d’une fouille pour de la drogue.

57 Le fonctionnaire a témoigné que, lors de sa première rencontre avec les enquêteurs, Mme Pelletier avait demandé une copie des documents reçus du service de police de Terrebonne relativement à l’événement du 15 janvier 2008. Les enquêteurs lui ont répondu qu’elle devait en faire la demande au moyen de l’accès à l’information.

58 Le fonctionnaire a dit qu’on lui avait fait la lecture du mandat d’enquête, dont le but était de faire la lumière sur l’incident du 15 janvier 2008. Il a expliqué les circonstances de l’achat de drogue. Il a dit que le couple qui lui avait vendu la drogue lui avait montré comment consommer la cocaïne par voie d’injection. Le fonctionnaire a dit qu’il s’était injecté de la cocaïne à trois reprises.

59 Le fonctionnaire a témoigné que les enquêteurs l’avaient convoqué à une deuxième entrevue parce qu’ils avaient soumis une ébauche de rapport d’enquête à Mme Paquette et que cette dernière avait demandé plus d’explications. Le fonctionnaire a fait état de la mauvaise qualité de la ligne téléphonique, et a discuté de la possibilité de refaire l’entrevue. M. Courtemanche lui a dit qu’il en discuterait avec M. Vignis et qu’il communiquerait avec lui à ce sujet, s’il y avait lieu.

60 Le fonctionnaire a dit qu’il avait reçu une copie du rapport final d’enquête au début de mai 2008. Relativement à la section III du rapport, intitulée « Version de l’employé », le fonctionnaire a témoigné qu’elle était fidèle dans un certain sens aux faits qui se sont produits lors de l’achat de drogue. Il a dit que l’utilisation de l’adjectif « acrimonieuse » pour décrire sa relation avec sa deuxième conjointe ne reflétait pas bien tout le contexte de sa relation.

61 En ce qui a trait à la section IV du rapport, intitulée « Analyse et constatations », le fonctionnaire est d’avis qu’il s’agit d’interprétation. Selon lui, lorsque le rapport mentionne que les enquêteurs croyaient qu’il avait une « certaine détresse psychologique », cela ne reflète pas tout ce qu’il a vécu. Il est en désaccord avec la constatation qu’il n’avait pas su se prévaloir de toutes les offres d’aide et qu’il avait manqué des rendez-vous avec sa psychologue. Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait demandé de l’aide à l’extérieur du PAE et a fourni des explications relativement aux délais à rencontrer sa psychologue.

62 Pour ce qui est de la section V du rapport, intitulée « Conclusions et recommandations », où l’on mentionne qu’il ne conteste pas la véracité des faits rapportés par le service de police de Terrebonne, le fonctionnaire a dit qu’il ne pouvait pas les contester parce qu’il n’avait pas accès aux documents que les enquêteurs avaient reçu du service de police. Le fonctionnaire a dit que, contrairement aux dires du rapport, il n’avait pas de dépendance à la drogue, mais plutôt une dépendance émotive à sa deuxième conjointe.

63 Le fonctionnaire a témoigné que, lors de sa rencontre avec Mme Paquette, elle semblait surtout préoccupée par l’achat et la consommation de drogue. Il a dit que, lors de cette rencontre, il avait soulevé la majorité des mêmes points de désaccord qu’avec le rapport d’enquête, soit des omissions ou des erreurs d’interprétation.

64 Le fonctionnaire a dit qu’il avait cessé de consommer de la drogue depuis novembre 2007 et qu’à la suite de l’incident, il avait entrepris des démarches d’aide pour sa dépendance. Du début février à octobre 2008, il a rencontré un intervenant du centre de réadaptation Le Tremplin plus de 20 fois et il a témoigné à l’effet qu’il n’était pas toxicomane. Le fonctionnaire a dit qu’il avait reçu beaucoup d’appui de sa nouvelle conjointe, qu’il fréquente depuis le début de 2008 et qui l’a aidé à reprendre goût à la vie.

65 En contre-interrogatoire, le fonctionnaire a admis avoir pris connaissance des Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada, du Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique et du Code de discipline.

66 Le fonctionnaire a affirmé qu’il conservait de la drogue sous clé dans sa table de nuit. Il a dit que sa première conjointe était au courant qu’il avait de la drogue. Il a dit avoir essayé de la cocaïne une fois à l’âge de 27 ans, la prochaine fois étant lors de l’achat de drogue en 2007.

67 À la demande de l’avocate de l’employeur, à savoir s’il savait que la possession de substances illicites était incompatible avec son emploi d’agent correctionnel, le fonctionnaire a répondu qu’il croyait que ce qui se passait dans sa chambre à coucher était personnel, mais que, maintenant, il comprenait mieux. Il a dit qu’il ne comprenait pas l’effet sur son travail, puisqu’il se présentait toujours au travail en bon état.

68 Le fonctionnaire a dit que le couple de qui il avait acheté la drogue lui avait montré comment s’injecter la cocaïne. Il a admis avoir consommé de l’ecstasy au cours de la fin de semaine. Il a dit qu’il ne s’était pas débarrassé des autres drogues qu’il avait achetées, et ce, par négligence. Il s’est dit incapable d’évaluer les répercussions et les conséquences inévitables de posséder les autres drogues, puisqu’il ne les consommait pas.

69 Le fonctionnaire a témoigné qu’en mai 2007, son médecin de famille lui avait prescrit des antidépresseurs mais, qu’après discussion avec le médecin, il avait décidé de guérir sa dépression sans médicament. Il a dit qu’il avait vu son médecin à une occasion entre mai 2007 et janvier 2008.

70 Selon le fonctionnaire, en aucun temps il ne nuisait à la sécurité de l’établissement ou à celle de ses collègues, car, lorsqu’il ne se sentait pas en condition de travailler, il prenait une journée de congé. Le fonctionnaire ne pense pas que le fait d’être en possession de toute la drogue saisie était en contradiction avec ses fonctions d’agent de la paix. Il considère qu’il n’a aucune dépendance à la drogue et que cela est confirmé par l’intervenant en dépendance avec lequel il a suivi ses traitements.

71 La première conjointe du fonctionnaire a reçu un appel entre 4 h et 5 h le 15 janvier 2008 l’informant que le fonctionnaire était inconscient dans le bain. Elle s’est rendue sur les lieux alors que les policiers et les ambulanciers étaient sur place. Elle s’est dirigée vers la salle de bain, où elle a aperçu des médicaments. Elle a cherché s’il y avait d’autre drogue dans le logement et a trouvé un sachet qu’elle croyait être de la cocaïne. Ensuite, elle est allée à l’hôpital où le fonctionnaire était traité.

72 En contre-interrogatoire, la première conjointe du fonctionnaire a dit que, parmi les médicaments qu’elle avait vus dans la salle de bain, il y avait une fiole contenant du liquide transparent comme de l’eau, des comprimés et une seringue. Elle a trouvé un sachet de poudre et une seringue dans un tiroir non verrouillé de la commode dans la chambre du fonctionnaire.

73 Sylvie Cardinal est préposée aux bénéficiaires au centre de soins à l’établissement. Elle a connu le fonctionnaire comme collègue de travail en janvier 2007 et est sa nouvelle conjointe depuis la fin de la même année, bien qu’elle ne vivait pas avec lui à ce moment-là.

74 Mme Cardinal a témoigné que le fonctionnaire était bien perçu du personnel infirmier et qu’il était toujours de bonne humeur. Elle a remarqué un changement en mai 2007 lorsqu’il lui a parlé à plusieurs reprises de la détérioration de sa relation avec sa deuxième conjointe et des menaces de cette dernière de lui faire perdre son emploi s’il la quittait. Il lui a dit que la situation qu’il vivait au travail, due aux rumeurs qui circulaient à son égard, était insoutenable.

75 Mme Cardinal a affirmé qu’elle n’avait aucune connaissance de la consommation de drogue du fonctionnaire. À la suite de l’incident du 15 janvier 2008, elle a visité le fonctionnaire à l’hôpital et l’a soutenu dans ses démarches au Centre Le Tremplin, l’accompagnant à plusieurs rendez-vous. Elle a dit que le fonctionnaire avait maintenant retrouvé son sourire et sa joie de vivre.

76 Yves Gagnon, intervenant en toxicomanie au Centre Le Tremplin, dont le titre officiel est agent de relations humaines, et qui a traité le fonctionnaire, a été présenté à titre de témoin expert. Depuis l’obtention de son baccalauréat en psychologie, M. Gagnon travaille comme intervenant en toxicomanie, soit depuis 1988. Il a débuté son emploi comme intervenant au Centre Le Tremplin en 1994. Tout au long de sa carrière, M. Gagnon a suivi plusieurs cours de formation continue, tels que la psychologie d’impact, la psychopharmacologie, les troubles de personnalité et l’utilisation de médicaments pour traiter des problèmes psychologiques. Parmi ses activités professionnelles, depuis 15 ans, M. Gagnon fait partie du Comité provincial de soutien à l’IGT (indice de gravité en toxicomanie), formé de cliniciens, et dont le but est de faire des suggestions aux chercheurs en dépendance de l’équipe Recherche et intervention sur les substances psychoactives – Québec pour améliorer les traitements. M. Gagnon siège sur plusieurs autres comités, dont le comité sur la santé mentale et le comité de suivi étroit de personnes suicidaires à l’Hôpital Le Gardeur. De plus, il a donné des conférences sur la santé mentale et la dépendance et est un formateur en dépendance au Centre Le Tremplin. L’avocate de l’employeur n’a pas contesté les qualifications de M. Gagnon et j’ai accepté qu’il témoigne à titre d’expert dans la détection, l’évaluation et l’intervention en dépendance de drogue.

77 M. Gagnon a expliqué la méthode de pré-évaluation de la clientèle et l’assignation des dossiers aux intervenants du Centre Le Tremplin. Il a affirmé que tous ceux qui ont une dépendance sont rencontrés individuellement, tel le fonctionnaire. Il a expliqué que le dossier du fonctionnaire a été priorisé et lui a été assigné.

78 Le fonctionnaire a été rencontré d’abord par une infirmière du Centre Le Tremplin, le 5 février 2008, afin de compléter une grille d’évaluation bio-psycho-sociale en désintoxication (pièce S-10-8) et une évaluation sommaire (pièce S-10-9). La première question à l’évaluation sommaire demande au client de fournir les sources de motivation qui l’ont amené à consulter. Le fonctionnaire a identifié trois sources dans l’ordre suivant : le début de consommation suite à sa séparation de sa deuxième conjointe; son médecin de famille lui a suggéré de travailler sa dépendance; la suspension sans solde de son travail. Lors de la première rencontre entre M. Gagnon et le fonctionnaire, le 13 février 2008, ils ont procédé à l’évaluation de l’IGT (pièce S-10-11). Il s’agit d’une évaluation par l’intervenant de la gravité de la dépendance du client. Parmi les commentaires de M. Gagnon concernant les réponses du fonctionnaire à certaines questions, il est indiqué que, de septembre à novembre 2007, le fonctionnaire avait consommé de la cocaïne trois ou quatre fois par mois par inhalation, en fumant ou par injection. Il est indiqué de plus qu’au cours de l’automne 2007, le fonctionnaire avait consommé du GHB (ecstasy liquide) et de l’ecstasy à quatre reprises et, en janvier 2008, il avait consommé du GHB en plus de l’Ativan et d’un calmant.

79 M. Gagnon a témoigné qu’il catégorisait le fonctionnaire comme ayant un problème de consommation transitoire dû à son état psychologique dépressif causé par sa rupture de sa deuxième conjointe. Selon M. Gagnon, la consommation de cocaïne par le fonctionnaire était préoccupante et était considérée à risque de dépendance à cause de la méthode de consommation par injection. La consommation ne posait pas de problème à ce stade-là.

80 Les rencontres individuelles du fonctionnaire se sont échelonnées sur huit mois. Durant les six premiers mois, les rencontres étaient sur une base hebdomadaire et, par la suite, bimensuelle. M. Gagnon a dit que le fonctionnaire était transparent, ouvert et collaboratif et qu’il n’avait manqué aucun rendez-vous.

81 Le rapport d’évaluation de la toxicomanie du fonctionnaire en date du 27 juin 2008, adressé au SCC et signé par M. Gagnon (pièce S-10-10), affirme que le fonctionnaire ne démontre pas un problème de dépendance et « [qu’il] n’a apparemment pas non plus de problème d’abus de substance. » Le rapport précise qu’il repose sur les réponses du fonctionnaire au questionnaire de l’IGT, les rencontres individuelles et les informations rapportées par le fonctionnaire.

82 Le rapport final de suivi de réadaptation en toxicomanie du fonctionnaire en date du 4 novembre 2008 (pièce S-10-14) indique que « [l]e risque de rechute à la cocaïne paraît plus que faible […]».

83 En contre-interrogatoire, M. Gagnon a affirmé que le fonctionnaire avait pris du GHB en mode exploratoire en trois ou quatre épisodes et que la fréquence d’un ou deux épisodes mentionnés dans le rapport d’évaluation était erronée. Selon M. Gagnon, la substance consommée le plus régulièrement par le fonctionnaire était la cocaïne.

C. Contre-preuve de l’employeur

84 L’employeur a appelé le fonctionnaire à témoigner en contre-preuve. Celui-ci a admis que, dans l’ensemble, les informations contenues dans l’évaluation sommaire du Centre Le Tremplin (pièce S-10-9) étaient vraies.

85 À la question de l’avocate de l’employeur à savoir pourquoi il n’avait pas fait part aux enquêteurs qu’il avait pris du GHB le 15 janvier 2008, le fonctionnaire a répondu que, comme il avait pris cette substance deux fois auparavant, et ce, sans effet, il ne croyait pas qu’il devait le mentionner aux enquêteurs.

86 Le fonctionnaire a affirmé qu’il avait commencé à voir une psychologue avant le 15 janvier 2008 et qu’il avait des rendez-vous avec elle depuis décembre 2007.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

87 L’employeur rappelle qu’en août 2007, le fonctionnaire avait acheté de la drogue d’un couple inconnu. Tel qu’il l’avait admis aux enquêteurs, et selon ses réponses au questionnaire de l’IGT et à la grille d’évaluation bio-psycho-sociale en désintoxication du Centre Le Tremplin, au cours de l’automne 2007 le fonctionnaire a consommé de la cocaïne trois fois par mois, du GHB en trois ou quatre épisodes et de l’ecstasy une fois par mois.

88 L’employeur poursuit en soulignant que, lors de sa rencontre avec M. Brunet, le 17 décembre 2007, le fonctionnaire a dit qu’il n’avait pas de problème de consommation de drogue et qu’il n’avait pas pris de cocaïne depuis un an et demi. M. Brunet lui a offert de l’aide et a averti le fonctionnaire quant aux conséquences possibles relativement à son emploi. À l’occasion de sa deuxième rencontre avec M. Brunet, le 14 janvier 2008, le fonctionnaire a encore nié qu’il était un consommateur de drogue et a déclaré qu’il n’avait pas de problème. Le lendemain matin, la police a saisi une quantité importante de drogue au domicile du fonctionnaire. Selon l’employeur, ce n’est qu’après l’incident du 15 janvier 2008, où il a été pris sur le fait, que le fonctionnaire a débuté une thérapie avec une psychologue et s’est inscrit au Centre Le Tremplin.

89 L’employeur fait référence aux raisons pour le congédiement du fonctionnaire, telles qu’elles ont été mentionnées dans la lettre de congédiement : les événements du 15 janvier 2008; avoir entaché l’image de l’employeur; avoir brisé le lien de confiance avec l’employeur; avoir enfreint les règles du SCC. L’employeur mentionne également les chefs d’accusations portés contre le fonctionnaire.

90 L’employeur a plaidé que Mme Paquette avait tenu compte des facteurs atténuants mis de l’avant par le fonctionnaire avant de prendre sa décision, incluant le décès de ses parents, sa détresse psychologique et la rupture de sa relation conjugale. À cet égard, l’employeur a cité Dionne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général – Service correctionnel Canada), 2003 CRTFP 69, où le congédiement d’un agent correctionnel pour la possession de 0,2 gramme de cocaïne a été maintenu. L’employeur souligne que la quantité de drogue saisie chez le fonctionnaire est beaucoup plus importante que la quantité dont il était question dans Dionne.L’employeur souligne de plus que l’agent Mainville avait saisi une quantité de drogue si importante chez le fonctionnaire qu’il croyait que c’était dans le but d’en faire le trafic. L’employeur ajoute que, dans Dionne, l’employé avait témoigné que sa consommation à une seule occasion était due à ses problèmes conjugaux pendant une période difficile, mais que cela n’avait pas été retenu par l’arbitre de grief.

91 En ce qui concerne l’allégation voulant que le fonctionnaire ait porté atteinte à l’image du SCC, l’employeur réfère à l’extrait du Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique cité ci-dessus, selon lequel les employés doivent avoir un comportement intègre. On y mentionne aussi que le public s’attend à ce que les employés se conforment à la loi. Selon l’employeur, cela devient encore plus important lorsque le fonctionnaire est chargé d’appliquer la loi en tant qu’agent de la paix. À cet égard, l’employeur a cité Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254. L’employeur réfère aussi au témoignage de M. Courtemanche, qui a affirmé que les fréquentations des agents correctionnels doivent être exemplaires.

92 L’employeur a déclaré que les gestes du fonctionnaire étaient en contradiction avec sa mission et avec la nature du travail d’un agent de la paix auprès du SCC. L’employeur a souligné que le fonctionnaire avait manqué de jugement en achetant de la drogue d’inconnus et en donnant ses coordonnées personnelles à titre de garantie, le rendant ainsi vulnérable.

93 L’employeur a déclaré que le fonctionnaire avait menti. À cet effet, l’employeur renvoi au témoignage du fonctionnaire selon lequel il gardait la drogue sous clé dans sa table de chevet, alors que sa première conjointe a témoigné qu’elle avait trouvé de la cocaïne dans la commode, qui n’était pas verrouillée. L’employeur a déclaré que le fonctionnaire n’avait pas dit à l’audience, en décembre 2010, qu’il avait consommé du GHB ni qu’il avait consommé du speed et du LSD. L’employeur a déclaré alors que le fonctionnaire a menti aux enquêteurs au sujet de sa consommation de drogue au cours de l’automne 2007.

94 En plus des décisions citées ci-dessus, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes :

  • Flewwelling c. Conseil du Trésor (Pêches et Océans), dossier de la CRTFP 166-02-14236 (19840328)(tel que confirmé dans Flewwelling c. Canada (Sous-procureur général) (1985), 24 D.L.R. (4e) 274 (C.A.F.)) : licenciement d’un agent de surveillance internationale et agent de la paix accusé de possession de stupéfiants (cannabis et résine de cannabis) hors des heures de service;
  • Laplante c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2007 CRTFP 104; licenciement d’un inspecteur des douanes pour avoir participé à un complot afin d’assister le trafic de cocaïne au Canada (demande de contrôle judiciaire rejetée dans 2008 CF 1036);
  • Simoneau c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 57 : licenciement d’un agent correctionnel pour possession de stupéfiants (GHB et kétamine) hors des heures de service et conduite avec facultés affaiblies;
  • Renaud c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel du Canada), 2002 CRTFP 42 : licenciement d’un agent correctionnel pour vente de cocaïne à un collègue de travail;
  • Tobin : norme d’appréciation de la conduite d’un employé hors des heures de service;
  • Casey c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2005 CRTFP 46 : la réadaptation d’un employé ne rend pas inappropriée la décision de l’avoir licencié;
  • Batiot c. Conseil du Trésor (Justice Canada), dossier de la CRTFP 166-02-28540 (19990527) : licenciement pour détournement des fonds publics (petite caisse et carte de crédit du ministère); la réhabilitation de l’employée n’est pas un motif suffisant pour réduire la sanction;
  • Courchesne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-12299 (19820719) : congédiement pour tentative d’introduction de narcotiques dans un pénitencier et défaut de se conformer aux directives concernant le poste d’escorte.

95 L’employeur a déclaré que la possession de drogue, même en petite quantité, était incompatible avec les fonctions d’un agent correctionnel. Il a avancé que le lien de confiance entre le fonctionnaire et l’employeur était brisé et que le fait que le fonctionnaire s’était pris en main et avait obtenu une absolution conditionnelle de la Cour n’était pas suffisant pour invalider le licenciement. L’employeur a demandé le rejet du grief.

B. Pour le fonctionnaire

96 La représentante du fonctionnaire a déclaré qu’il ne niait pas la quantité et la diversité des substances saisies chez lui et qu’il admettait que ce qu’il avait fait était une faute grave.

97 En ce qui a trait aux notes anonymes concernant la consommation de drogue du fonctionnaire, il a déclaré qu’il s’agissait de rumeurs. Selon lui, l’employeur avait l’obligation de vérifier auprès de sa deuxième conjointe si elle était la source des rumeurs.

98 Le fonctionnaire a déclaré qu’il n’avait pas accepté l’aide du PAE offerte par M. Brunet, d’abord parce qu’il avait déjà pris contact avec une psychologue, et deuxièmement parce qu’il croyait que son problème était sous contrôle. Donc, on ne peut pas dire qu’il a refusé de l’aide. Le fonctionnaire a également déclaré que l’employeur était au courant qu’il avait des problèmes et qu’il avait demandé de l’aide. Il a dit qu’il avait reporté le premier rendez-vous avec la psychologue pour des raisons personnelles.

99 Le fonctionnaire a souligné qu’il avait entrepris des démarches avant l’incident du 15 janvier 2008, qu’il avait avoué qu’il avait fait une erreur et qu’il était en voie de réadaptation au moment de l’enquête. Il a déclaré que l’employeur aurait pu le suspendre pendant la période de sa réadaptation.

100 En ce qui concerne le témoignage de sa première conjointe à l’effet qu’elle avait trouvé de la drogue dans la commode du fonctionnaire, le fonctionnaire a déclaré l’avoir déverrouillée avant de prendre son bain.

101 Le fonctionnaire a plaidé que le rapport d’enquête était vicié puisque l’agent négociateur n’avait pas accès aux documents du service de police de Terrebonne et qu’il n’était pas d’accord avec tous les éléments contenus dans le rapport d’enquête. Lorsque j’ai soulevé Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.), voulant que de tels vices soient réparés par l’audition de novo devant un arbitre de grief, la représentante du fonctionnaire a répondu que, bien qu’elle soit au courant de ce jugement, elle tenait néanmoins à ses représentations à cet égard.

102 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux critères de Millhaven concernant le comportement d’un employé hors des heures de travail (voir Millhaven Fibres Limited, Millhaven Works v. Oil, Chemical and Atomic Workers International Union, Local 9-670 (1967), 1(A) Union-Management Arbitration Cases 328) afin de les appliquer à sa situation. À cet égard, le fonctionnaire a déclaré qu’il n’y avait pas de preuve d’atteinte à la réputation de l’employeur. À l’appui de cette position, il a fait référence au témoignage de Mme Paquette, selon lequel le licenciement du fonctionnaire n’avait été divulgué ni au personnel ni aux détenus de l’établissement et qu’à sa connaissance, l’incident n’avait pas été rapporté dans les médias. De plus, le fonctionnaire a souligné que la seule preuve d’un refus de travailler avec lui était le témoignage de M. Brunet, qui a dit que, si le fonctionnaire était réintégré dans son emploi, son niveau de confiance à l’égard du fonctionnaire serait réduit.

103 Le fonctionnaire a renvoyé au témoignage de M. Gagnon, selon lequel son problème de consommation était dû à son état psychologique (pièce S-10). Il a souligné la conclusion de M. Gagnon, selon laquelle le risque qu’il consomme à nouveau de la drogue est de faible à minime. De plus, il plaide qu’il n’a pas entrepris ses démarches de réadaptation dans le seul but de récupérer son emploi, puisque la pièce S-10-9 démontre que, parmi les sources de motivation qu’il a citées, son emploi était énuméré en troisième place.

104 Le fonctionnaire a déclaré que, selon la preuve, le seul critère de Millhaven qui pourrait être retenu par l’employeur est celui d’une infraction au Code criminel. Il souligne qu’il a respecté les conditions de l’ordonnance de probation et que, puisqu’un volet de la mission de l’employeur est la réhabilitation des détenus, le fonctionnaire devrait avoir droit à la même possibilité.

105 Le fonctionnaire a plaidé qu’il avait compris la gravité de ses gestes et qu’il devait cesser son comportement. Il demande comme mesure correctrice que le licenciement soit remplacé par une suspension.

106 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes :

  • Fraternité des Policiers (C.U.M.) c. C.U.M., [1985] 2 R.C.S. 74 : l’arbitre de grief n’a pas excédé sa compétence lorsqu’il a remplacé le congédiement imposé à un policier pour vol à l’étalage par une suspension sans compensation de 13 mois, sanction que le Comité de discipline du Service de la police n’avait pas le pouvoir d’imposer;
  • Cape Breton County Correctional Centre v. Canadian Union of Public Employees, Local 1146 (1978), 19 L.A.C. (2e) 325 : le congédiement d’un gardien employé dans un établissement correctionnel provincial pour avoir, hors de ses heures de travail, entravé un agent de police dans l’exercice de ses fonctions a été remplacé par une suspension de quatre mois;
  • Abitibi-Price Inc. v. Canadian Paperworkers Union C.L.C., Local No. 1093 (1993), 31 L.A.C. (4e) 364 : le congédiement d’un préposé aux bénéficiaires pour sa conduite hors des heures de service, soit avoir été trouvé coupable de voies de faits simples et trafic de stupéfiants, a été remplacé par une suspension de quatre mois;
  • Delta School District No. 37 v. Canadian Union of Public Employees, Local 1091 (1993), 36 L.A.C. (4e) 93 : le congédiement d’un concierge d’école à la suite de sa condamnation pour trafic de cocaïne en dehors des heures de travail a été remplacé par une suspension de 11 mois sans compensation;
  • Manitoba v. M.G.E.U. (1994), 39 L.A.C. (4e) 409 : le congédiement d’un conseiller aux jeunes contrevenants qui a plaidé coupable à des accusations de voies de faits à l’égard de son épouse et de sa fille a été remplacé par une suspension sans solde de six mois;
  • Jalal c. Conseil du Trésor (Solliciteur Général – Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-27992 (19990421) : le licenciement d’un agent correctionnel pour vol à l’étalage a été remplacé par une suspension de 20 mois.

C. Réfutation de l’employeur

107 En ce qui a trait à l’allégation du fonctionnaire selon laquelle l’employeur aurait dû vérifier les rumeurs auprès de sa deuxième conjointe, l’employeur a rappelé que le fonctionnaire n’avait pas été congédié pour consommation de drogue au travail. L’employeur a soutenu que M. Brunet n’était pas au courant que le fonctionnaire consommait de la drogue.

108 Quant au témoignage du fonctionnaire selon lequel il conservait de la drogue sous clé, l’employeur souligne qu’en contre-interrogatoire, la première conjointe du fonctionnaire avait affirmé avoir trouvé une seringue et un sachet de poudre dans un tiroir non verrouillé de la commode du fonctionnaire.

109 L’employeur a rappelé que le fonctionnaire s’était dit d’accord avec les faits décrits dans le rapport d’enquête.

IV. Motifs

110 Au paragraphe 45 de Tobin, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit concernant le rôle de l’arbitre de grief dans une affaire où on allègue une violation au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel du Canada :

[45] […] Le rôle de l’arbitre consiste à décider si les faits sur lesquels se fonde l’employeur pour imposer des mesures disciplinaires à un employé ont été étayés et, dans l’affirmative, d’évaluer si la sanction imposée par l’employeur est appropriée.

A. L’employeur a-t-il étayé les faits sur lesquels il s’est fondé pour imposer la mesure disciplinaire?

111 Tel qu’il est indiqué dans le rapport d’enquête, le fonctionnaire a reconnu avoir acheté des substances illicites du couple qu’il avait rencontré dans un terrain de camping. Le rapport d’enquête indique de plus qu’il a reconnu avoir consommé à trois occasions de la cocaïne et à deux autres occasions de l’ecstasy au cours de l’automne 2007. Cela a été confirmé par le fonctionnaire lors de son propre témoignage.

112 La représentante du fonctionnaire a déclaré que le rapport d’enquête de l’employeur était vicié parce que l’employeur, alors qu’il avait en sa possession les documents obtenus du service de police de Terrebonne concernant l’incident du 15 janvier 2008, avait refusé de donner une copie de ces documents au fonctionnaire ou à son agent négociateur lors des rencontres avec les enquêteurs. À ce sujet, la preuve provient principalement des témoignages de M. Courtemanche et du fonctionnaire. M. Courtemanche a témoigné que, lors de la première rencontre, lorsque Mme Pelletier a demandé une copie de ces documents, il lui a dit de s’adresser au service de police. En contre-interrogatoire, M. Courtemanche a confirmé que les enquêteurs se sont servis des documents reçus du service de police pour poser des questions au fonctionnaire. Toutefois, il a aussi affirmé que les enquêteurs s’étaient limités au témoignage du fonctionnaire dans l’analyse des faits et la rédaction du rapport. Pour sa part, le fonctionnaire a dit être en désaccord avec la section V du rapport, intitulée « Conclusions et recommandations », où on mentionne qu’il n’avait pas contesté la véracité des faits rapportés par la police. Le fonctionnaire a dit qu’il ne pouvait pas contester ces faits puisqu’il n’avait pas accès aux documents du service de police.

113 Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, les documents reçus du service de police de Terrebonne en question ont été déposés en preuve lors de l’audience par le premier témoin de l’employeur, l’agent Mainville, et le fonctionnaire s’est prévalu de son droit de le contre-interroger. Comme la Cour d’appel fédérale l’a statué dans Tipple, les vices de procédure qui surviennent durant et après le processus d’enquête sont corrigés par la tenue d’une audience devant un arbitre de grief. De plus, Mohan c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 172, indique ce qui suit au paragraphe 93 :

[93] […] il est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo conçue pour déterminer si l’employeur avait raison d’imposer des sanctions disciplinaires, et qu’elle n’a pas pour but de déterminer si la procédure appropriée a été respectée (voir Tipple (supra)). […]

Par conséquent, l’argument du fonctionnaire à ce sujet est rejeté.

114 Par ailleurs, M. Gagnon a témoigné qu’il était noté dans la grille d’évaluation bio-psycho-sociale (pièce S-10-8) et le questionnaire de l’IGT (pièce S-10-11) que le fonctionnaire avait dit qu’entre septembre et novembre 2007, il avait consommé de la cocaïne trois ou quatre fois par mois, de l’ecstasy une fois par mois et du GHB à quatre reprises, incluant le 15 janvier 2008.

115 Les documents déposés par l’agent Mainville lors de son témoignage décrivant la quantité et la nature des substances qu’il avait saisies chez le fonctionnaire n’ont pas été contestés ni contredits par ce dernier. M. Courtemanche a témoigné que les résultats de l’analyse par Santé Canada des drogues saisies n’étaient pas disponibles au moment du dépôt du rapport d’enquête le 1er mai 2008. Selon la preuve, les analyses ont été faites entre le 18 avril et le 21 mai 2008 (pièce E-8 en liasse), soit plus d’un mois avant que l’employeur prenne la décision de congédier le fonctionnaire. D’autre part, au début de son argumentation, la représentante du fonctionnaire a concédé que celui-ci ne niait pas la quantité et la diversité des substances saisies chez lui et qu’il admettait que ses gestes constituaient une faute grave.

116 D’après moi, l’employeur a prouvé clairement que le fonctionnaire a été trouvé en possession d’une quantité importante de substances illicites, qui ont été saisies à son domicile par la police. J’accepte que l’employeur se soit fondé sur cette conduite pour imposer une sanction disciplinaire au fonctionnaire.

117 Les motifs pour lesquels l’employeur a décidé de mettre fin à l’emploi du fonctionnaire sont les suivants : dans la lettre de licenciement, l’employeur renvoie aux événements du 15 janvier 2008 et déclare qu’ils sont en contradiction avec la nature même de ses opérations et du statut du fonctionnaire à titre d’agent de la paix. Il allègue que le fonctionnaire a entaché l’image du Service correctionnel et a brisé de façon irréparable le lien de confiance avec son employeur. L’employeur soutient que le fonctionnaire a enfreint le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique ainsi que les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel et le Code de discipline.

118 Les faits sur lesquels l’employeur s’est fondé pour licencier le fonctionnaire ne renvoient pas aux cinq chefs d’accusation criminelle portés contre lui ni à sa plaidoirie de culpabilité à tous ces chefs. Bien que la preuve révèle que l’employeur pouvait avoir des motifs raisonnables de croire que des procédures criminelles seraient intentées contre le fonctionnaire, il n’a pas invoqué ce motif dans la lettre de licenciement en date du 25 juin 2008. Au moment de décider de licencier le fonctionnaire, l’employeur n’était pas au courant que la date d’entrée en vigueur du licenciement, le 27 juin 2008, était aussi la date à laquelle la sommation précisant les chefs d’accusation avait été émise(pièce E-7).

119 Parmi les motifs invoqués dans la lettre de licenciement, se trouvent les allégations que la conduite du fonctionnaire entrait en contradiction directe avec les opérations du SCC et de son statut d’agent de la paix. Les Règles de conduite professionnelle au Service correctionnel exigent que les employés du SCC servent de modèle pour les délinquants et qu’ils se conforment à des normes de conduite rigoureuses. Le fonctionnaire travaillait dans un milieu carcéral où, selon la preuve, bon nombre des délinquants se trouvent pour des infractions liées à la drogue. Je suis d’accord avec l’employeur que le fait que le fonctionnaire possédait et consommait de la drogue pouvait le rendre vulnérable aux délinquants. De plus, à titre d’agent de la paix, le fonctionnaire avait la responsabilité d’appliquer la loi. La preuve a démontré que le fonctionnaire ne semblait pas comprendre que la possession et la consommation de substances illicites pouvaient affecter ses fonctions d’agent correctionnel. Pour lui, ses activités en dehors des heures de travail n’avaient aucun lien avec son emploi. Pourtant, il avait été averti par M. Brunet que la consommation de drogue pouvait avoir de lourdes conséquences sur son travail. Ce n’est que lors de son témoignage à l’audience qu’il a dit comprendre que sa conduite en l’espèce pouvait affecter son emploi.

120 Dans Flewwelling (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a maintenu le congédiement d’un fonctionnaire ayant le statut d’agent de la paix, qui avait été accusé de possession de stupéfiants en dehors des heures de service, et a fait les commentaires suivants concernant une telle inconduite :

[…]

Il me semble qu’il existe des formes d’inconduite qui, peu importe qu’elles soient prohibées par règlement, par le Code criminel ou par toute autre loi, sont de nature telle que toute personne raisonnable peut facilement se rendre compte qu’elles sont incompatibles et en contradiction avec l’exercice par leur auteur d’une charge publique, surtout si les fonctions de cette charge consistent à appliquer la loi. […]

[…]

À titre d’agent de la paix, le fonctionnaire avait la responsabilité d’appliquer la loi. J’estime donc que l’employeur a prouvé que la conduite du fonctionnaire contredit son statut d’agent de la paix.

121 Un des motifs allégués par l’employeur dans la lettre de licenciement était celui voulant que la conduite du fonctionnaire ait entaché l’image du SCC. Dans Tobin, la Cour d’appel fédérale a déterminé le type de preuve nécessaire pour prouver l’atteinte à la réputation de l’employeur comme suit :

[…]

[60] […] La preuve directe d’atteinte à la réputation peut être requise dans certaines circonstances, mais il était manifestement déraisonnable pour l’arbitre de fixer une norme qui, à toutes fins utiles, ne pouvait être respectée. L’on ne saurait apprécier ou mesurer la réputation d’une institution nationale de la même façon qu’on le ferait pour une personne au sein d’une collectivité. Comment l’arbitre concevait-il qu’une telle preuve lui serait présentée? Aurait-elle été présentée sous forme de sondages de l’opinion publique? Hormis la question des coûts et de l’emploi à bon escient des fonds publics, il m’apparaît que la conception de tels sondages poserait des difficultés considérables. Par exemple, comment l’employeur s’y prendrait-il pour savoir, avant les événements en question, qu’il doit commencer à recueillir des éléments de preuve d’atteinte à sa réputation? Il est tout simplement déraisonnable de croire que la réputation du SCC puisse être mesurée avec une précision mathématique et qu’un facteur particulier puisse expliquer avec certitude les changements à cette réputation.

[61] Le passage de l’arrêt Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455 [Fraser], auquel le juge de première instance renvoie au paragraphe 50 de ses motifs, est particulièrement pertinent à cet égard. Dans l’arrêt Fraser, il s’agissait de déterminer si les critiques d’un fonctionnaire à l’égard des politiques du gouvernement avaient laissé libre cours à la perception qu’il était incapable de remplir ses fonctions de fonctionnaire. La notion d’incidence néfaste est assez élastique, tout comme celle de l’image ternie. C’est en ce sens que la Cour suprême s’est prononcée :

Si on examine l’incidence néfaste dans un sens plus large, je suis d’avis qu’une preuve directe n’est pas nécessairement exigée. Les traditions et les normes contemporaines de la fonction publique peuvent constituer des éléments de preuve directe. Toutefois elles peuvent également être des éléments d’étude, d’argumentation écrite et orale, de connaissance générale de la part d’arbitres qui ont l’expérience du secteur public et enfin, de déductions raisonnables par ces derniers.

Fraser, précité, au paragraphe 48

[62] Il en va de même pour la question de savoir si une conduite donnée porte atteinte à la réputation du SCC. Il s’agit d’une question dont le traitement commande une dose de bon sens et de discernement. L’arbitre a commis une erreur en la réduisant à une question de preuve empirique.

[…]

122 Mme Paquette a témoigné que le public s’attend à ce que les employés du SCC se comportent selon la loi et se fie aux employés du SCC pour assurer sa sécurité. Elle a renvoyé au Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique, en particulier à la disposition qui précise l’obligation des fonctionnaires de se conduire d’une façon qui peut « résister à l’examen public le plus minutieux ». Selon Mme Paquette, la conduite du fonctionnaire n’a pas rencontré ces critères.

123 En contre-interrogatoire, la représentante du fonctionnaire a demandé à Mme Paquette si elle convenait que la conduite du fonctionnaire n’avait pas terni l’image de l’employeur parce que l’incident n’avait pas été rapporté dans les médias. Tout en admettant qu’à sa connaissance, l’incident n’avait pas fait l’objet de reportage médiatique, Mme Paquette a précisé qu’à titre de directrice de l’établissement, elle ne devait pas attendre qu’un tel incident soit divulgué au grand public par l’entremise des médias avant de conclure que l’image du SCC avait été entachée. Il me semble que la position de Mme Paquette à cet égard est raisonnable. Elle pouvait compter sur son expérience en milieu carcéral acquise au cours de ses 27 années de service chez l’employeur pour en arriver à la conclusion que la conduite du fonctionnaire était, tel qu’il est indiqué dans le Code de discipline, « susceptible de ternir l’image du Service ».

124 Le dernier motif invoqué par l’employeur pour mettre fin à l’emploi du fonctionnaire était que, de par sa conduite, il avait rompu le lien de confiance avec l’employeur de façon irréparable. Mme Paquette a cité plusieurs raisons à cet égard. Elle a affirmé que l’employeur devait avoir confiance dans un employé comme le fonctionnaire qui a des fonctions de sécurité. Elle a témoigné que le fait que le fonctionnaire avait acheté des substances illicites de personnes inconnues et qu’il leur avait fourni ses coordonnées en garantie du solde dû du prix d’achat des drogues était une cause d’inquiétude. De plus, lors des deux rencontres avec M. Brunet, il avait eu l’occasion de dire la vérité concernant sa consommation de substances illicites et avait été mis en garde que la consommation de substances illicites était incompatible avec ses fonctions. Malgré cela, le fonctionnaire a choisi de nier ces faits. En contre-interrogatoire, Mme Paquette a dit que l’employeur avait cru le fonctionnaire et lui avait donné le bénéfice du doute.

125 Dans son témoignage, M. Courtemanche a fait référence au fait qu’un employé qui consommait des drogues « dures» pouvait poser un risque à la sécurité de l’établissement et à ses collèges de travail, surtout, comme dans le cas du fonctionnaire, lorsqu’il avait accès à des armes à feu. Il est vrai que M. Courtemanche a admis en contre-interrogatoire que le fonctionnaire n’avait pas nui au fonctionnement de l’établissement. Cependant, je ne crois pas que l’employeur doive attendre qu’un tel événement ait lieu. À mon avis, il est raisonnable de déduire qu’un agent correctionnel qui consomme des drogues peut poser un risque à son lieu de travail.

126 Compte tenu des faits précédents, j’estime que l’employeur a prouvé par une prépondérance des probabilités les faits sur lesquels il s’est fondé pour imposer une mesure disciplinaire au fonctionnaire.

B. La sanction imposée par l’employeur est-elle appropriée?

127 Tel qu’il est mentionné ci-dessus, j’accepte que l’employeur a prouvé, par une prépondérance des probabilités, les motifs allégués dans la lettre de licenciement. De plus, le fonctionnaire a admis qu’il était en possession de la quantité et la diversité de la drogue saisie par le service de police de Terrebonne à son domicile le 15 janvier 2008.

128 Au moment de son licenciement, le fonctionnaire avait deux ans et demi de service chez l’employeur, et ce, sans dossier disciplinaire. Il était considéré un bon employé. Dans la lettre de licenciement, il est mentionné que Mme Paquette avait tenu compte de facteurs atténuants et aggravants applicables à la situation du fonctionnaire. Elle a témoigné que les facteurs atténuants qu’elle avait considérés étaient le décès des parents du fonctionnaire, sa séparation difficile de sa deuxième conjointe et sa situation de détresse psychologique. Les facteurs aggravants dont elle a tenu compte étaient l’achat d’une quantité importante et diverse de drogue d’étrangers et le fait de leur avoir fourni ses renseignements personnels. Elle a aussi tenu compte du fait qu’il avait été mis en garde à deux occasions par M. Brunet que la consommation de drogues était incompatible avec ses fonctions d’agent correctionnel. Elle a dit qu’en niant qu’il consommait de la drogue, le fonctionnaire n’avait pas fait preuve de transparence.

129 Le fonctionnaire a témoigné que lors de ses rencontres avec M. Brunet, il lui avait fait part que les rumeurs au sujet de sa consommation de drogue provenaient de sa deuxième conjointe. Le fonctionnaire a prétendu que l’employeur aurait dû communiquer avec sa deuxième conjointe afin de vérifier si elle avait bien répandu les rumeurs et écrit la note anonyme. J’estime que cela n’était pas nécessaire. Selon les témoignages de M. Brunet et de Mme Paquette, quand le fonctionnaire a nié qu’il consommait de la drogue, on lui a donné le bénéfice du doute; pour l’employeur, l’affaire était close. De plus, la deuxième rencontre avec M. Brunet a eu lieu le 14 janvier 2008, soit juste avant les événements des premières heures du 15 janvier 2008. À mon avis, en essayant d’imposer à l’employeur le fardeau de dépister la source des rumeurs, le fonctionnaire ne pouvait pas se décharger des responsabilités et obligations qui lui incombaient à titre d’agent correctionnel.

130 J’ai trouvé troublant, selon qu’il s’adressait aux enquêteurs ou à M. Gagnon, qu’il y avait certaines incohérences dans le témoignage du fonctionnaire. Il y avait une différence entre la quantité et la nature de la drogue qu’il affirmait avoir consommée. De plus, lors de sa première rencontre avec M. Brunet, il lui a dit qu’il avait déjà consommé de la drogue, mais ne lui a pas mentionné que cela était très récent. Il y avait aussi une différence dans ses versions concernant la fréquence de sa consommation de drogue. À mon avis, ces incohérences démontrent, pour le moins, un manque de transparence de la part du fonctionnaire.

131 Le fonctionnaire a admis être au courant des règlements de l’employeur qui s’appliquaient à lui. Malgré cela, il a affirmé qu’il ne voyait pas le lien entre la possession et la consommation de drogue et ses fonctions d’agent correctionnel. Toutefois, selon son témoignage, le fait qu’il était en détresse à cause de sa séparation et qu’il ne voulait pas de problème supplémentaire avec son employeur font en sorte qu’il n’a pas admis à M. Brunet, lors de leur première rencontre, qu’il consommait de la drogue : il savait qu’il pouvait y avoir des répercussions de plus ou moins grande sévérité. À mon avis, cela indique clairement que le fonctionnaire savait qu’il y avait une contradiction entre la possession et la consommation de drogue et ses fonctions d’agent correctionnel.

132 Le fonctionnaire a entrepris avec succès une réadaptation de février à octobre 2008 avec l’appui de Mme Cardinal. M. Gagnon a affirmé que la dépendance du fonctionnaire était due à sa situation psychologique et qu’il présentait un risque plus que faible de rechute. Par ailleurs, il faut se rappeler que M. Brunet avait offert d’aider le fonctionnaire lors de leurs deux rencontres, mais ce n’est qu’après les événements du 15 janvier 2008 et sa suspension qu’il a décidé de prendre sa vie en main. Cependant, je suis d’avis que le fait que le fonctionnaire ait suivi une réadaptation n’est pas un motif suffisant pour modifier la conclusion à laquelle j’en suis venu.

133 La représentante du fonctionnaire a déclaré que je devrais remplacer le licenciement par une suspension. Si j’accédais à cette demande, la réintégration du fonctionnaire aurait pour effet de donner l’impression que la possession de drogue n’est pas incompatible avec les fonctions d’un agent correctionnel. Je considère plutôt que la possession de drogue est essentiellement incompatible avec les fonctions qu’exerçait le fonctionnaire. Dans Dionne, un arbitre de grief a conclu ce qui suit :

[…]

[40] La possession de drogue (cocaïne), même en petite quantité, constitue, pour moi, une forme d'inconduite de nature telle que toute personne raisonnable peut facilement se rendre compte qu'elle est incompatible et en contradiction avec l’exercice de la fonction d'agent correctionnel. […]

[…]

134 Le fonctionnaire avait le statut d’agent de la paix. Il travaillait dans un milieu où il devait appliquer la loi et être un modèle pour les délinquants afin d’aider leur réinsertion sociale. Par sa conduite, il a perdu la confiance de son employeur et celui-ci l’a considéré comme un risque à la sécurité de l’établissement. À cet égard, un arbitre de grief dans Courchesne a dit ce qui suit:

[…]

Je reprends à mon compte les commentaires exprimés par l’arbitre Smith dans l’affaire Kikilidis où il écrit à la page 5:

«L’employeur estime que l’attitude de l'employé s'estimant lésé pose des risques au niveau de la sécurité. L'employeur est responsable de la sécurité du personnel, des détenus et de tout l'établissement. Un arbitre de griefs ne devrait pas essayer de substituer, à cet égard, sa propre évaluation de la situation à celle de l’employeur. Les fonctions et responsabilités des agents de correction et du Service des pénitenciers diffèrent complètement de celles des employés de la plupart des autres secteurs de la fonction publique. Un arbitre de griefs doit non seulement tenir compte des intérêts de l’employeur et de l’employé, mais aussi de ceux des autres employés, des détenus et du grand public.»

[…]

Cet extrait a été cité avec approbation dans Dionne,au paragraphe 43. Je suis d’avis que ces propos s’appliquent en l’espèce.

135 Après avoir considéré toutes les circonstances de cette affaire, j’estime que la mesure disciplinaire imposée par l’employeur était appropriée et qu’il n’y a pas lieu de la modifier.

136 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

137 Le grief est rejeté.

Le 26 janvier 2012.

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.