Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La Cour fédérale avait émis une décision concernant une requête du plaignant demandant la présentation d’éléments de preuve après audience, notamment un rapport de vérification de la CFP, en ce qui concerne sa plainte devant le Tribunal. La Cour avait alors renvoyé l’affaire au président du Tribunal pour qu’il entende les observations des parties quant à la pertinence du rapport de vérification de la CFP et qu’il décide, après examen desdites observations, l’admissibilité de cet élément de preuve. Le plaignant a affirmé que le rapport de vérification de la CFP était pertinent en l’espèce. L’intimé a soutenu que le rapport en question n’avait aucune pertinence dans la mesure où il ne contenait aucune preuve démontrant l’existence d’une discrimination raciale systémique dans quelque processus de nomination vérifié que ce soit, ni la réalité d’une discrimination raciale individuelle. La CFP a fait valoir que le rapport de vérification ne répond pas au critère d’admissibilité de preuve après audience. Décision Le Tribunal a jugé que selon le test en question les trois conditions suivantes doivent être réunies pour que de nouveaux éléments de preuve puissent être admis lorsqu’un tribunal n’a pas encore formulé sa conclusion finale : 1) il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il n’aurait pas été possible d’obtenir les éléments de preuve pour présentation au procès; 2) les éléments de preuve doivent être susceptibles d’influer substantiellement sur l’issue de l’affaire, quoiqu’ils n’aient pas à être déterminants; 3) les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même s’il n’est pas nécessaire qu’ils soient irrécusables. Le Tribunal a estimé que la première et la troisième conditions étaient remplies, mais pas la deuxième. Selon lui, aucune conclusion ne pouvait être tirée des échantillons utilisés dans le rapport de vérification de la CFP pour appuyer la preuve prima facie de discrimination que devait établir le plaignant. Le Tribunal a donc conclu que le rapport de vérification de la CFP n’aurait pas eu d’incidence importante, décisive ou non, sur l’issue de l’affaire. Demande de présentation de preuve après audience rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2007-0127
Décision
rendue à :

Ottawa, le 30 novembre 2011

NORM MURRAY
Plaignant
ET
LE PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Demande de présentation de preuve après audience
Décision :
La demande est rejetée
Décision rendue par :
Guy Giguère, président
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Murray c. le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada
Référence neutre :
2011 TDFP 0036

Motifs de décision


Introduction


1 Le 11 mai 2011, la Cour fédérale a rendu sa décision dans l'affaire Murray c. Canada (Procureur général), 2011 CF 542, concernant la demande de Norm Murray visant à présenter des éléments de preuve après l'audience en ce qui a trait à la plainte qu'il a déposée auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal). La Cour a annulé la décision du Tribunal au sujet de cette plainte, sous réserve de ce qui suit :

  1. la présente affaire est renvoyée au président Guy Giguère, pour qu'il entende les observations des parties quant à la pertinence du document intitulé Vérification de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada : Rapport de la Commission de la fonction publique du Canada, octobre 2009, au regard des questions soulevées devant le TDFP dans le cadre de la plainte du demandeur;
  2. après avoir examiné les observations des parties quant à la pertinence de cet élément de preuve, le président Guy Giguère décidera s'il admet l'élément de preuve en question;
  1. s'il estime que cet élément de preuve doit être admis, le président Guy Giguère examinera les observations complémentaires des parties quant à savoir s'il est nécessaire que celles-ci présentent des éléments de preuve ou des arguments additionnels relativement à l'élément de preuve en question avant que le président rende une nouvelle décision sur le fond de la plainte de M. Murray;
  2. s'il estime que cet élément de preuve ne devrait pas être admis, le président Guy Giguère exposera les motifs qui sous-tendent sa décision en ce sens et rendra également une décision sur le fond de la plainte de M. Murray, laquelle décision pourra prendre la forme de ses motifs de décision datés du 21 décembre 2009.

Contexte


2 L'audition de la plainte de M. Murray s'est terminée en novembre 2008. Les 18 et 20 octobre 2009, le plaignant a fourni au Tribunal, à titre d'information pertinente au sujet de sa plainte, une copie du document Vérification de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada : Rapport de la Commission de la fonction publique du Canada, octobre 2009 (la vérification de la CFP). Le plaignant a également indiqué que son avocat était prêt à présenter une argumentation sur ces nouveaux renseignements. Le 23 octobre 2009, l'avocat de l'intimé a répondu qu'il n'était pas en mesure de prendre position par rapport à cette demande étant donné qu'il ne savait pas dans quel but ce document avait été présenté. Il n'y a pas eu d'autre échange à cet égard.

3 Le 21 décembre 2009, le Tribunal a rendu une décision sur le fond de la plainte de M. Murray, dont l'intitulé est Murray c. le président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, 2009 TDFP 0033 (décision Murray, 2009). La plainte a été rejetée car il a été déterminé que le plaignant n'avait pas établi de preuve prima facie de discrimination concernant le choix d'un processus non annoncé. Le Tribunal a également jugé que même si le plaignant avait réussi à établir une preuve prima facie de discrimination, l'intimé avait fourni une explication raisonnable et non discriminatoire relativement au choix d'un processus non annoncé, et que cette explication n'était pas un prétexte.

4 Dans ses motifs de décision, le Tribunal n'a pas fait référence au fait que le plaignant avait présenté la vérification de la CFP comme élément de preuve.

Question en litige


5 Le Tribunal doit déterminer si la vérification de la CFP est, en l'espèce, admissible en preuve.

Résumé de l'argumentation des parties


A) Argumentation du plaignant

6 Le plaignant soutient que la vérification de la CFP est pertinente en l'espèce. Il affirme qu'une grande partie du document aborde directement la question du processus de nomination visé et des processus non annoncés menés par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

7 Selon le plaignant, la vérification de la CFP vient corroborer ses allégations et fournir d'autres preuves de discrimination raciale, par la concentration des membres des minorités visibles dans les postes des échelons inférieurs du groupe PM. Les nominations examinées dans la vérification de la CFP témoignent de l'existence d'une pratique consistant à confiner les employés issus des minorités visibles aux niveaux subalternes et à empêcher leur progression aux niveaux supérieurs.

8 Le plaignant souhaite également déposer en preuve un rapport d'enquête de la Commission canadienne des droits de la personne publié en mars 2011 (le rapport de la CCDP). Il soutient que la vérification de la CFP complète directement les éléments de preuve contenus dans le rapport de la CCDP.

B) Argumentation de l'intimé

9 L'intimé soutient que la vérification de la CFP n'est pas pertinente puisqu'elle ne contient aucun élément de preuve démontrant l'existence d'une discrimination raciale systémique dans quelque processus de nomination vérifié que ce soit ni, du reste, dans le processus de nomination en l'espèce. De plus, la vérification de la CFP ne contient aucun renseignement sur la discrimination raciale individuelle, ni aucun renseignement pouvant mener à une telle conclusion à l'égard du plaignant.

10 L'intimé s'oppose à la demande du plaignant en ce qui a trait à la production en preuve du rapport de la CCDP et affirme que cet élément de preuve dépasse la portée du jugement rendu par la Cour fédérale dans la décision Murray.

C) Argumentation de la Commission de la fonction publique

11 La CFP soutient que le critère approprié à appliquer dans le cas d'une demande de présentation de preuve après l'audience est énoncé dans la décision Whyte, Kasha c. Canadian National Railway, 2010 TCDP 6 (CanLII).

12 La CFP affirme que la vérification de la CFP présentée par le plaignant ne satisfait pas au critère étant donné qu'elle n'a pas le degré de pertinence nécessaire en ce qui a trait aux questions en litige. Selon la CFP, le premier échantillon utilisé dans la vérification de la CFP n'était pas représentatif sur le plan statistique et, par conséquent, il est impossible de formuler des généralisations précises à partir de cet échantillon. Quant au deuxième échantillon, la CFP affirme que sa pertinence était limitée étant donné qu'il se concentrait sur des catégories de postes différentes, soit les postes d'anciens commissaires nommés par le gouverneur en conseil et lesp ostes de niveau EX ou les postes équivalents.

13 La CFP s'oppose également à ce que le plaignant produise en preuve le rapport de la CCDP, car elle estime que ce ne serait pas approprié à ce stade.

D) Réplique du plaignant

14 Le plaignant convient que le critère énoncé dans la décision Whyte s'applique en l'espèce. Il affirme que la vérification de la CFP ajoute un contexte, des détails et des exemples significatifs qui pourraient influer sur la conclusion du Tribunal relativement à la gravité des lacunes dans le processus de nomination, laquelle a une incidence sur la conclusion finale quant à la discrimination systémique.

15 Le plaignant avance d'autre part que le Tribunal doit évaluer la vérification de la CFP, du moins en partie, pour déterminer si celle-ci est susceptible de modifier la conclusion du Tribunal selon laquelle la preuve circonstancielle produite à l'audience était insuffisante pour conclure à la discrimination systémique.

16 Plus précisément, le plaignant soutient que la conclusion de la CFP dans sa vérification par rapport aux lacunes observées dans les justifications écrites souligne la gravité desdites lacunes. Il ajoute que la valeur que constitue la représentativité n'était même pas mentionnée dans la justification écrite du processus de nomination en l'espèce.

17 Finalement, le plaignant soutient que la recevabilité du rapport de la CCDP après l'audience devrait être déterminée une fois que la pertinence de la vérification de la CFP aura été établie par le Tribunal. Il n'est donc pas inapproprié de faire référence au rapport de la CCDP dans la présente argumentation, car cette preuve pourrait servir ultérieurement à établir l'utilité que pourrait présenter la vérification de la CFP pour le Tribunal.

Analyse


18 Il existe très peu de décisions sur la question de la recevabilité de nouveaux éléments de preuve une fois l'audience terminée. Les principes issus de la jurisprudence peuvent servir à orienter la décision du Tribunal à cet égard. Comme l'indique la jurisprudence, le fait de rouvrir une audience pour accepter de nouveaux éléments de preuve est une question discrétionnaire devant être exercé avec prudence et circonspection. Le caractère définitif de l'audience est essentiel dans le contexte de notre système judiciaire, et une audience ne devrait être rouverte pour accepter de nouveaux éléments de preuve que dans les cas où l'intérêt de la justice l'exige. Voir à ce sujet la décision 671122 Ontario Ltd c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59 (CanLII).

19 Le plaignant souhaite donc présenter de nouveaux éléments de preuve après l'audience, mais avant la publication des motifs de décision. Pour déterminer s'il doit accepter la vérification de la CFP, le Tribunal appliquera le critère énoncé dans la décision Whyte. Selon ce critère, les trois conditions suivantes doivent être réunies pour que de nouveaux éléments de preuve puissent être acceptés dans la mesure où le tribunal n'a pas encore formulé sa conclusion finale :

  1. il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il n'aurait pas été possible d'obtenir les éléments de preuve pour présentation au procès;
  2. les éléments de preuve doivent être susceptibles d'influer substantiellement sur l'issue de l'affaire, quoiqu'ils n'aient pas à être déterminants;
  3. les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même s'il n'est pas nécessaire qu'ils soient irrécusables.

20 Les parties estiment toutes que la première et la troisième conditions du critère de la décision Whyte sont remplies, et le Tribunal en convient également. La vérification de la CFP a été publiée après l'audience et, même avec diligence raisonnable, n'aurait pas pu être obtenue avant ou pendant l'audition de la plainte. Au début du rapport de vérification de la CFP, il est indiqué que tous les travaux ont été menés conformément au mandat législatif et aux politiques de vérification de la CFP. Le Tribunal est convaincu que la vérification de la CFP constitue un élément de preuve qui est réputé crédible, même s'il n'est pas irréfutable.

21 Toutefois, pour les raisons ci-après, le Tribunal n'est pas convaincu que la vérification de la CFP satisfait à la deuxième condition du critère énoncé dans la décision Whyte.

22 Dans la décision Murray rendue en 2009, le Tribunal avait jugé que le plaignant n'avait pas établi de preuve prima facie de discrimination pour ce qui est du choix d'un processus non annoncé par l'intimé et que, même s'il avait réussi à faire cette démonstration, l'intimé avait fourni une explication raisonnable et non discriminatoire à cet égard. En d'autres termes, il a été conclu que le plaignant n'avait pas établi la preuve de discrimination ni, par le fait même, d'abus de pouvoir dans le choix du processus.

23 Le Tribunal a examiné en détail, la vérification de la CFP de même que les arguments avancés par les parties pour déterminer si cet élément – en cas de production en preuve – pourrait vraisemblablement avoir une incidence importante, bien que non décisive, sur l'issue de l'affaire.

24 Le Tribunal estime qu'aucune conclusion ne peut être tirée des échantillons utilisés dans la vérification de la CFP pour appuyer la preuve prima facie que le plaignant tente d'établir. Il est impossible de formuler de généralisations pertinentes sur la base du premier échantillon, et le second ne visait que les postes d'anciens commissaires nommés par le gouverneur en conseil et les postes de niveau EX ou l'équivalent. De plus, la vérification de la CFP ne peut être considérée comme une preuve témoignant d'un manque de représentativité dans les mesures de dotation de l'intimé au moyen de processus non annoncés en général ni, du reste, dans le processus non annoncé faisant l'objet de la plainte en l'espèce. La seule conclusion que l'on puisse en tirer est que les justifications écrites n'expliquaient pas comment la représentativité, qui constitue une valeur de dotation, avait été respectée dans ces processus.

25 Dans le cadre de la vérification de la CFP, les dossiers de dotation ont été examinés et des lacunes ont été constatées dans la documentation relative à certains processus de nomination. Il n'a pas été conclu que les nominations ne respectaient pas la valeur de dotation de la CFP qu'est la représentativité. Il a plutôt été conclu que, pour les mesures de dotation examinées, la justification relative au choix d'un processus non annoncé ne tenait pas compte de la représentativité (voir la page 16 dans la version française de la vérification de la CFP).

26 Pendant l'audition de la plainte de M. Murray, la justification écrite du processus de nomination non annoncé dont il est précisément question a été produite en preuve, et les parties ont eu l'occasion de l'examiner et de contre-interroger des témoins à cet égard. La justification écrite n'expliquait pas comment les valeurs de dotation avaient été respectées dans le choix du processus non annoncé, mais le Tribunal a conclu que l'intimé avait fourni une explication raisonnable et non discriminatoire quant à son choix de processus (voir la décision Murray de 2009, para. 115). La conclusion de la vérification de la CFP selon laquelle aucune justification ne tenait compte de la représentativité n'aurait en rien influé sur l'issue de cette affaire.

27 Par conséquent, le Tribunal conclut que la vérification de la CFP n'aurait pas eu d'incidence importante, décisive ou non, sur l'issue de l'affaire en l'espèce. Le Tribunal n'acceptera donc pas cet élément de preuve.

28 Puisque le Tribunal a conclu qu'il n'accepterait pas la vérification de la CFP comme preuve après l'audience, il n'est pas nécessaire qu'il se penche sur la recevabilité du rapport de la CCDP à titre de preuve présentée après l'audience.

Décision


29 La requête du plaignant demandant au Tribunal d'accepter la vérification de la CFP comme preuve après l'audience est rejetée.

30 Le Tribunal rejette la plainte conformément aux motifs de décision du 21 décembre 2009 (décision Murray de 2009).


Guy Giguère
Président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2007-0127
Intitulé de la cause :
Norm Murray et le président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada
Audience :
Demande écrite; décision rendue sans la comparution des parties
Date des motifs :
Le 30 novembre 2011
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