Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a présenté deux griefs collectifs distincts portant sur l’indemnité de travail salissant - selon le premier grief, le travail effectué par les meuleurs était [traduction] <<particulièrement salissant ou désagréable>> et une indemnité de travail salissant est de mise - dès le départ, le travail effectué par les meuleurs a été considéré, tant par l’employeur que par l’agent négociateur, comme étant un travail salissant et il a été rémunéré en conséquence - l’employeur a apporté des modifications au milieu de travail et a cessé de verser l’indemnité de travail salissant - l’arbitre de grief a conclu que les conditions de travail étaient dorénavant considérées comme étant normales pour des meuleurs, et que les tâches ne constituaient plus un travail salissant - selon le deuxième grief, l’employeur n’aurait pas suivi la [traduction] <<pratique actuelle>> reconnue dans la convention collective en refusant de verser l’indemnité de travail salissant à ceux qui s’occupent du gréage pour du travail qui est habituellement rémunéré à titre de travail salissant - en vertu de la convention collective, l’indemnité de travail salissant est versée i) lorsque le travail à effectuer a été désigné comme étant un travail salissant par l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18 (Indemnité de travail salissant), ii) lorsque l’employeur et l’agent négociateur ont convenu par écrit que le travail effectué est particulièrement salissant ou désagréable, iii) lorsqu’un arbitre de grief juge le travail particulièrement salissant ou désagréable - bien que par le passé l’indemnité de travail salissant avait été versée pour les tâches en question, il n’y a aucune preuve écrite établissant que l’employeur aurait convenu que ces tâches étaient particulièrement salissantes ou désagréables - l’arbitre de grief a conclu que le travail en question n’était pas particulièrement salissant ou désagréable. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-10-05
  • Dossier:  567-02-27 et 40
  • Référence:  2012 CRTFP 108

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CONSEIL DE L'EST DES MÉTIERS ET DU TRAVAIL DES CHANTIERS MARITIMES DU
GOUVERNEMENT FÉDÉRAL

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Conseil de l'est des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant des griefs collectifs renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief

Pour l’agent négociateur:
Ronald A. Pink et Jillian Houlihon, avocats

Pour l'employeur:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle‑Écosse),
du 27 au 29 mars 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs collectifs renvoyés à l’arbitrage

1 Il s’agit de deux griefs collectifs déposés en vertu de l’article 215 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Les deux griefs concernent la clause 23.01 (travail salissant) des conventions collectives signées le 2 juin 2006 et le 16 juin 2008 (les « conventions collectives de 2006 et 2008 »; pièce U-1) par le Conseil du Trésor (l’« employeur ») et le Conseil des métiers et du travail des chantiers maritimes du gouvernement fédéral est (l’« agent négociateur ») pour l’unité de négociation du groupe Réparation des navires (Est).

2 J’ai énoncé la clause 23.01, qui est identique dans les conventions collectives de 2006 et 2008, dans son intégralité :

Article 23

Indemnité

23.01 Indemnité de travail salissant

a) L’employeur convient de maintenir la pratique actuelle de verser une indemnité de travail salissant à l’employé pour tout travail nécessitant l’exposition à des conditions particulièrement salissantes ou désagréables.

b) L’employé qui, au cours de son travail, est exposé à ces conditions, touche une indemnité de travail salissant équivalant à vingt-cinq pour cent (25 %) de son taux de rémunération horaire de base calculée au prorata du temps pendant lequel il a effectivement été exposé à ces conditions.

c) La présente pratique n’est pas limitée au travail décrit dans l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18 (Indemnité de travail salissant) mais comprend les situations reconnues par les deux parties comme étant particulièrement salissantes ou désagréables ou qu’un arbitre reconnaît comme telles.

d) Une consultation doit avoir lieu entre le surveillant et le délégué syndical en vue de résoudre immédiatement les conflits concernant le travail salissant.

e) Reconnaissant que des changements de méthodes créeront de nouvelles situations qui pourront ouvrir droit à compensation ainsi qu’indiqué ci-dessus et mettront un terme à d’anciennes situations, la direction locale conférera avec le Conseil afin d’examiner les travaux pour lesquels une indemnité sera versée.

f) Le recours aux dispositions des alinéas d) ou e) de la clause 23.01 ne peut pas être invoqué pour refuser à l’employé le droit de présenter un grief découlant de l’application de la clause 23.01a).

3 Les deux griefs sont axés sur la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008. L’indemnité de travail salissant auxquelles elles font référence était et est souvent appelée « indemnité de salissure ».

4 Un grief (dossier de la CRTFP 567‑02‑27) a été déposé au nom d’un groupe de métallurgistes (les « meuleurs ») de la Fraternité internationale des chaudronniers, constructeurs de navire d’acier, forgerons, ouvriers de forges et aides, section locale no 580 (le « syndicat des Chaudronniers »), qui est l’une des organisations syndicales constituantes de l’agent négociateur. Les meuleurs effectuent le meulage des matériaux. Les meuleurs travaillaient sur un projet qui comportait le meulage de tôles d’acier renforcé pour le véhicule de transport de troupes blindé Bison. Le projet avait commencé en mai 2007 et continuait au cours de l’été de la même année. Ils ont affirmé que le travail était [traduction] « particulièrement salissant ou désagréable »; et justifiait par conséquent l’indemnité de travail salissant.

5 L’autre grief (dossier de la CRTFP 567‑02‑40) a été déposé au nom d’un groupe de monteurs qui travaillaient au retrait et à l’installation des batteries du NCSM Corner Brook, un sous-marin de la classe Victoria, à l’automne 2008. L’idée centrale de leur argumentation était que l’employeur avait, par le passé, payé l’indemnité de travail salissant pour le même travail que celui effectué sur les sous-marins de la classe Victoria et Oberon, et que cette ancienne pratique devrait être considérée comme une continuation de la [traduction] « pratique actuelle » de payer l’indemnité de salissure pour un tel travail en vertu de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008.

6 Le matin du 27 mars 2010, accompagné de l’avocat, du représentant de l’agent négociateur et de l’employeur, j’ai fait une visite de l’espace de travail des meuleurs dans le bâtiment D200 à Cape North (les installations de l’arsenal maritime des Forces canadiennes à Halifax, en Nouvelle‑Écosse). Nous avons assisté à une démonstration du type de travail qu’effectuaient les meuleurs pendant la période qui se rapporte au grief. Nous avons aussi visité des parties du NCSM Toronto. Cette partie de la visite visait à montrer les aires à bord du navire où les meuleurs devraient parfois effectuer leur travail de meulage. Nous avons ensuite visité l’atelier des accumulateurs du NCSM Windsor, un autre sous-marin de la classe Victoria qui est pratiquement identique au NCSM Corner Brook. Nous avons suivi le trajet qu’auraient suivi les batteries en passant de l’atelier des accumulateurs jusqu’au-dessus du sous-marin, et de là au compartiment d’entreposage des batteries, situé deux niveaux plus bas, soit le niveau le plus bas du sous-marin.

7 L’audience a commencé après la visite du site. Au nom de l’employeur, j’ai entendu les témoignages des témoins suivants :

  • Normand Chouinard, gestionnaire de groupe 1, systèmes de coque, qui gérait un certain nombre d’ateliers, incluant celui des meuleurs;
  • Gerard MacLelland, superviseur du service technique, qui était le superviseur immédiat du travail des meuleurs;
  • Capitaine de corvette J.‑F. Beaulieu, qui était alors gestionnaire du service technique de la Mécanique 1, qui incluait les électriciens et les monteurs qui travaillaient sur les sous-marins;
  • Charles Frederick Hawker, ancien superviseur du service technique, qui occupe maintenant le poste du Capc Beaulieu.

8 Au nom de l’agent négociateur, j’ai entendu les témoignages des témoins suivants :

  • Lew Francis, technicien des tôles pour chaudière et compagnon du syndicat des Chaudronniers, qui a témoigné dans le cadre du grief des meuleurs;
  • Jamie Davidson, un compagnon monteur qui a témoigné à propos du processus d’installation des batteries dans un sous-marin;
  • Adrian Lohnes, un monteur qui, à l’époque, était superviseur du service technique dans une équipe de monteurs qui travaillait à l’installation des batteries du NCSM Windsor.

9 Les témoins ont tous témoigné de façon directe. Aucun différend n’est survenu à l’égard des faits. La véritable question était de savoir si ces faits donnaient lieu au paiement de l’indemnité de travail salissant en vertu de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008. Cela étant, je ne propose pas de résumer la preuve des témoins, sauf s’il le faut pour comprendre les faits. J’établirai simplement les faits tels que je les ai constatés, en me fondant sur la visite du site et les témoignages des témoins.

II. Résumé de la preuve

A. Grief des meuleurs

10 La preuve relative au travail des meuleurs a été principalement présentée par M. Francis au nom de l’agent négociateur et par MM. Chouinard et MacLelland au nom de l’employeur. M. Francis était le chef d’une équipe de cinq meuleurs qui travaillaient sur le bouclier du Bison. M. MacLelland était le superviseur du service technique de ce travail. Un superviseur du service technique fait fonction de superviseur d’atelier. M. MacLelland avait travaillé pendant de nombreuses années comme compagnon meuleur avant d’aller travailler au bureau de la sécurité et de devenir, il y a environ neuf ans, un superviseur du service technique. Il rendait des comptes à M. Chouinard, chef de groupe 1, systèmes de coque.

11 En 2006 ou en 2007, les Forces canadiennes ont décidé que le Bison, utilisé en Afghanistan, devait être modifié; on devait y ajouter un bouclier blindé. Cinquante-cinq boucliers étaient nécessaires. Chaque bouclier était composé de 15 pièces distinctes de tôles d’acier renforcé conçues pour être soudées les unes aux autres. Les tôles d’acier étaient fabriquées à Trenton, en Ontario, et envoyées à Cape North. Les tôles étaient recouvertes d’un revêtement visant à diminuer la rouille sans nuire au processus de soudure.

12 Les rebords des tôles devaient être meulés et biseautés afin qu’ils s’emboîtent parfaitement avant d’être soudés pour former un grand assemblage (le bouclier). Les meuleurs s’acquittaient de cette tâche. Une fois que les rebords étaient meulés, les pièces individuelles étaient assemblées par un ou deux des meuleurs. Les soudeurs prenaient ensuite la relève, et faisaient un joint. Par la suite, les meuleurs polissaient le joint.

13 On s’entendait pour dire que le meulage du métal faisait partie des tâches habituelles d’un meuleur. La question était de savoir si le travail de meulage effectué sur les boucliers du Bison était assez différent du type de meulage normalement effectué pour qu’il donne droit à l’indemnité de travail salissant.

14 Le travail a commencé le 1er mai 2007. Cinq hommes étaient chargés du travail de meulage. Quatre d’entre eux travaillaient à une grande table de métal, un à chaque coin. Le cinquième travaillait à une table séparée.

15 À ce moment-là, les quatre hommes à la grande table de métal travaillaient à découvert. Aucune barrière ni aucun écran de protection ne séparaient les postes de travail à la table. Des étincelles et des morceaux de métal rejetés par les outils de meulage pouvaient envahir les espaces de travail des autres meuleurs, et le faisaient. Le processus de meulage génère une grande quantité de poussière et d’émanations de métal. Le fait que les tôles étaient faites d’acier renforcé plutôt que d’acier [traduction] « normal » plus souple faisait en sorte qu’il y avait plus de poussière et d’émanations et qu’il était plus long de meuler à une tolérance particulière. Une partie de la poussière et des émanations devaient être évacuées par le système de ventilation. Toutefois, M. Francis a indiqué que le vieux système de ventilation avait été jugé inadéquat pour ce type de travail. Un nouveau système avait été demandé et était en cours d’installation. En fait, ce système était en place lors de la visite de l’espace de travail des meuleurs, le matin du 27 mars 2012, mais il ne l’était pas le 1er mai 2007. Une équipe de nettoyage passait dans tout le bâtiment de temps à autre et était censée éliminer les accumulations de poussière des postes de travail et des planchers.

16 M. Francis a déclaré que le travail de meulage était pénible. Les hommes portaient une combinaison, un masque protecteur contre la poussière, un écran facial et des bouchons d’oreille. Les hommes meulaient [traduction] « comme des fous » pendant plusieurs heures d’affilée, quatre, six ou huit heures par jour, pour façonner assez de pièces finies pour assembler trois ou quatre boucliers. Les hommes devaient se tenir debout pendant tout le temps où ils utilisaient leur meuleuse à main sur les tôles d’acier. Lorsqu’ils ont commencé le 1er mai 2007, ils pouvaient être atteints par les étincelles et les morceaux de métal qui s’échappaient des outils de meulage à côté ou en face d’eux. L’outil de meulage et l’apprêt qui recouvrait les tôles d’acier dégageaient constamment des émanations de métal. La vibration constante de l’outil de meulage provoquait chez M. Francis, du moins, une douleur dans les bras, les épaules et le cou. Il a déclaré qu’on avait déjà offert des gants amortisseurs de vibration aux meuleurs. Les étincelles et les bouts de métal chauds faisaient parfois des trous dans les combinaisons. M. Francis attachait les poignets de sa combinaison avec du ruban pour que la poussière de métal n’y entre pas et cachait son cou avec un foulard pour protéger sa peau.

17 Il n’a pas été contesté que l’indemnité de travail salissant payable en vertu de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 a été versée aux meuleurs du 1er mai au 13 mai 2007. M. Francis a indiqué que, peu après le début des travaux, une demande d’indemnité a été présentée à M. MacLelland. M. MacLelland a versé l’indemnité, pour cette période. Cependant, le 14 mai, il a informé les meuleurs que l’indemnité de travail salissant ne leur serait plus versée, parce que les conditions avaient changé.

18 Je tiens à expliquer la façon dont l’indemnité de salissure était généralement accordée. Si un travailleur estimait que l’indemnité de travail salissant devait lui être accordée, il en parlait avec le délégué syndical. Le délégué syndical en discutait ensuite avec le superviseur du service technique et lui expliquait la raison pour laquelle il estimait que l’indemnité de travail salissant était indiquée. Si le superviseur du service technique était d’accord pour que l’indemnité de travail salissant soit payée, elle était payée. M. MacLelland a indiqué que, normalement, la décision d’accorder ou non l’indemnité de travail salissant lui revenait, puisqu’il était le superviseur du service technique. Il communiquait d’ordinaire sa décision à son gestionnaire. Le gestionnaire, qui était chargé de plus d’une division, lisait les rapports de tous les superviseurs du service technique et posait des questions, s’il le fallait, pour [traduction] « s’assurer [que tous les superviseurs du service technique] s’accordent ». Cette pratique voulant qu’une décision soit prise au niveau de l’atelier par le délégué syndical et le superviseur du service technique s’appliquait tant aux monteurs qu’aux meuleurs.

19 En ce qui concerne les meuleurs, M. MacLelland était convaincu que leurs conditions de travail jusqu’au 14 mai 2007 justifiaient l’indemnité de salissure. Cependant, à partir du 14 mai 2007, il estimait que les conditions avaient changé et que l’indemnité de salissure n’était plus justifiée. Après avoir consulté deux autres superviseurs d’atelier, il a décidé de ne plus verser l’indemnité de salissure. Trois facteurs l’ont mené à cette conclusion. Premièrement, un système de ventilation temporaire avait été installé. Chaque lieu de travail possédait un tuyau séparé et un évent réglable avec une grande force d’aspiration. Le système pouvait aspirer les émanations ainsi que la poussière et les particules de métal provenant des activités de meulage. Deuxièmement, une équipe de nettoyage était affectée à l’aire de travail. Elle nettoyait les postes de travail toutes les heures de dîner et était disponible sur demande si un nettoyage supplémentaire était nécessaire. Troisièmement, un type de tissu formant un cubicule à trois côtés avait été installé à chaque poste de travail. Les cubicules contenaient les étincelles et les particules de métal rejetées par les outils de meulage, évitant ainsi qu’elles n’envahissent les espaces de travail des autres meuleurs. Selon M. MacLelland, ces changements avaient des conséquences suffisantes sur l’environnement de travail pour que le versement de l’indemnité de travail salissant ne s’impose plus. L’autre différence, même s’il ne l’a pas invoquée comme motif, était que l’on avait dit aux meuleurs qu’ils pouvaient prendre de plus longues pauses ou une douche quand ils le souhaitaient.

20 L’agent négociateur n’était pas d’accord avec M. MacLelland. Il a appelé M. Chouinard, le gestionnaire. M. Chouinard a affirmé que, autour du 16 mai 2007, il a rencontré le président du syndicat des Chaudronniers et visité le site de l’atelier pendant 15 à 20 minutes. Il a indiqué qu’il n’avait pas vu [traduction] « beaucoup de poussière […] j’ai vu du meulage, mais il n’y avait rien de particulièrement salissant ou désagréable, d’après ce que j’ai pu constater […] C’était à peu près la même chose que dans un atelier de fabrication de produits de métal. » Il a aussi vu un meuleur (James Joudrey) meulant vêtu d’un t-shirt. Ce témoignage concordait avec celui de M. MacLelland, qui a affirmé en contre-interrogatoire qu’il avait vu M. Joudrey (l’un des meuleurs demandant l’indemnité de salissure) porter un t-shirt et des [traduction] « pantalons arc flash » de nylon à plusieurs reprises durant la période en question.

21 MM. Chouinard et MacLelland ont reconnu qu’il n’était pas habituel de meuler pour de longues périodes, comme c’était le cas dans le cadre du travail de bouclier du Bison. Comme l’a indiqué M. Chouinard : [traduction] « Il est rare que nous ayons à meuler pour de longues périodes. » Toutefois, aucun des deux hommes n’estimait que le fait de meuler pendant de longues heures signifiait que le travail était « particulièrement salissant ou désagréable ». Par conséquent, le litige n’était pas résolu. Les parties ont convenu qu’étant donné le caractère urgent du besoin de boucliers des Forces canadiennes, les meuleurs noteraient les heures qu’ils passeraient à meuler et qu’ils déposeraient un grief.

22 L’un des éléments de preuve les plus pertinents concerne ce qui a été nommé comme un [traduction] « contraste » entre le travail à bord des navires et le travail dans un atelier de fabrication de produits de métal. M. Francis a indiqué que, de temps à autre, il devait faire du travail de meulage à bord des navires. Par exemple, le plancher du hangar d’hélicoptère du NCSM Toronto avait ce qu’on appelait un [traduction] « placard à joint plastique ». Cette trappe permet d’accéder à la machinerie qui se trouve dessous. Normalement, la trappe est soudée pour veiller à ce que le carburant d’aviation, en cas de renversement accidentel, ne s’échappe pas dans la salle des machines par la trappe qui se trouve en dessous et qu’il ne cause pas une explosion catastrophique. Après que la trappe est soudée, le meuleur la polit. Ce travail, même s’il peut avoir lieu dans un hangar bien ventilé, justifie le paiement de l’indemnité de travail salissant.

23 M. Francis a affirmé que l’indemnité de salissure était généralement versée quand les travailleurs faisaient du travail de meulage dans des zones situées à l’extérieur du navire. Contrairement à un hangar, le milieu de travail intérieur est généralement peu ventilé. Il était difficile de faire fonctionner les ventilateurs et les tuyaux de manière efficace, parce que ceux-ci devaient traverser des trappes et des cales. Le travail était souvent effectué à une hauteur au-dessus de la tête ou dans de petits espaces très proches des étincelles et des émanations. De plus, ce travail exigeait de grands efforts physiques. M. Francis a déclaré qu’il ne demandait pas d’indemnité de travail salissant sur le travail en question si le travail prenait seulement 10 à 15 minutes. Cependant, s’il durait plus longtemps, il demandait l’indemnité, et ne se l’était jamais fait refuser.

24 Lors de son témoignage, M. Chouinard n’était pas prêt à admettre que le meulage à bord d’un navire justifiait toujours l’indemnité de salissure. Il a déclaré que cela dépendait du métier et du travail requis. Par exemple, démonter une salle de bain dans un navire ou travailler avec des tuyaux contenant des [traduction] « eaux noires » (eaux usées) justifiait l’indemnité, tout comme le travail effectué dans les petits recoins confinés que l’on trouve souvent à bord. Il était difficile de bien ventiler les aires de travail. Il faisait souvent très chaud. Le travail à hauteur au-dessus de la tête était particulièrement douloureux pour le cou, les épaules et les bras, et en raison des espaces confinés, il était difficile de ne pas être en contact étroit avec des étincelles et des émanations. M. MacLelland était d’accord. Il a souligné que, à bord des navires, il était [traduction] « beaucoup plus difficile de contrôler les conditions […] la ventilation […] l’accès physique […] la température de l’aire de travail sont tous plus difficiles à contrôler ».

25 M. Chouinard a aussi indiqué que, selon son expérience, l’indemnité de salissure n’avait jamais été versée à un meuleur du simple fait qu’il avait meulé pour une période excessive. Il se rappelait que la question avait déjà été soulevée par le syndicat des Chaudronniers pour justifier le paiement de l’indemnité de travail salissant, mais que lorsqu’il avait demandé au président du syndicat « après combien de temps le meulage est considéré comme excessif, il n’avait jamais eu de réponse. Ainsi, tout ce que nous pouvions faire était de les encourager à prendre autant de pauses qu’ils le souhaitaient. »

B. Grief des monteurs

26 Les témoins, pour le grief des monteurs sont M. Davidson et M. Lohnes, au nom de l’agent négociateur; et le Capc Beaulieu et M. Hawker, au nom de l’employeur. Les faits n’ont pas été contestés.

27 Comme il a déjà été noté, le grief des monteurs concerne le paiement d’une indemnité de salissure aux monteurs pour le retrait et l’installation de batteries à bord du NCSM Corner Brook, un sous-marin diesel-électrique de la classe Victoria.

28 Les monteurs sont chargés du retrait et de l’installation sécuritaire de tout équipement qui pèse plus de 30 livres. Il peut s’agir de n’importe quel équipement, incluant des moteurs, des tuyaux ou des armoires. Les monteurs doivent concevoir, fabriquer et mettre à l’essai les élingues, les filets, les plaquettes de glissement et les échelles utilisés pour retirer ou installer de l’équipement lourd. Ce travail est particulièrement exigeant dans les sous-marins, où les espaces sont petits et confinés. Comme l’a fait remarquer M. Davidson, le NCSM Toronto est un [traduction] « palais » comparativement à un sous-marin.

29 Les sous-marins de la classe Victoria comme le NCSM Corner Brook, et les sous‑marins de la classe Oberon de l’ancienne flotte du Canada, sont diesel-électriques. L’énergie électrique provient en partie de rangées de grosses batteries qui sont situées au niveau le plus bas du sous-marin. Le compartiment des batteries d’un sous-marin de la classe Victoria contient 480 batteries, qui pèsent chacune 1 200 livres. Les batteries elles‑mêmes sont longues et minces; elles mesurent environ cinq pieds de long et leur base fait près d’un pied carré. Elles sont remplies d’acide sulfurique et sont, mis à part leur taille et leur poids, semblables à des batteries de voiture.

30 L’installation et le retrait des batteries des anciens sous-marins de la classe Oberon et des nouveaux sous-marins de la classe Victoria suivent pratiquement le même processus. J’expliquerai le processus d’installation. Le processus de retrait est essentiellement le contraire du processus d’installation.

31 Les batteries sont entreposées et entretenues dans l’atelier des accumulateurs. Pendant l’installation, elles sont placées, quatre par quatre, dans une caisse de cargaison. Les monteurs utilisent un chariot élévateur pour sortir les caisses de l’atelier des accumulateurs et les déposer sur la jetée, le long du sous‑marin. Une grue soulève ensuite les batteries une à une hors de la caisse, jusqu’au sommet du sous-marin, le tout sous la supervision d’un monteur sur la jetée. Par la suite, la batterie est doucement abaissée dans une trappe externe. Un monteur placé sur le dessus du sous-marin aide à guider les batteries jusque dans la trappe, qui n’est pas beaucoup plus grande que la batterie elle-même. La batterie est abaissée à travers deux autres trappes et deux autres niveaux. Un monteur se trouve près de chaque trappe, à chaque niveau, pour guider la batterie. La batterie est abaissée à travers la trappe du niveau le plus bas dans le compartiment des batteries. Le compartiment est petit. Plusieurs monteurs dans le compartiment tirent et poussent les batteries afin de les mettre en place. Ils utilisent du savon pour faciliter le déplacement des batteries, ce qui signifie qu’ils se retrouvent [traduction] « gluants de savon ». Il s’agit d’un travail pénible dans un espace restreint qui sent le savon et l’acide. Les sous-marins de la classe Victoria, contrairement à ceux de la classe Oberon, possèdent des rampes qui rendent le travail de positionnement des batteries dans le compartiment un peu (mais pas beaucoup) plus facile. M. Davidson a affirmé, en réponse à une question que je lui avais posée, que c’était [traduction] « habituellement les plus jeunes hommes qui travaillaient dans le compartiment de batteries […] C’était un travail très physique. » C’était, a-t-il dit, [traduction] « assurément la partie la plus difficile du travail ».

32 Les parties se sont entendues sur le fait que, les années précédentes, tous les monteurs de l’équipage – sur la jetée, au sommet du sous-marin, ceux qui guident les batteries à travers les trappes à bord du navire et ceux qui placent les batteries dans le compartiment – travaillant sur les sous-marins de la classe Victoria et Oberon ont reçu l’indemnité de salissure pour la plupart de leurs quarts de travail. M. Davidson a affirmé que, lors de retraits et d’installations passés, tous les monteurs de l’équipage avaient reçu 6 heures d’indemnité de salissure pour un quart de travail de 8 heures, et 8 heures d’indemnité de salissure pour un quart de travail de 12 heures. Cela s’est produit pendant le retrait des batteries en juin 2008.

33 Cependant, la pratique a changé à partir de ce moment-là.

34 Le Capc Beaulieu était devenu gestionnaire du service technique en 2007. Il était préoccupé par le nombre d’heures de travail salissant qui étaient payées au sein de ses opérations, parce que, comme il l’a affirmé, [traduction] « la direction a constaté une augmentation constante des sommes versées au titre de cette prime ». Il s’assurait de recevoir des rapports toutes les deux semaines sur les circonstances dans lesquelles l’indemnité de travail salissant avait été payée. Dans certains cas, il interrogeait les superviseurs du service technique pour découvrir la raison pour laquelle l’indemnité avait été accordée. Souvent, il était d’accord avec la décision et la respectait. Toutefois, en juin 2008, il a reçu un rapport sur le paiement de l’indemnité de salissure pendant le retrait des batteries du NCSM Corner Brook. Le retrait avait eu lieu pendant une fin de semaine et comportait des quarts de travail de 12 heures. Il a affirmé qu’il avait remarqué que [traduction] « toutes les personnes ayant participé au changement des batteries, sauf le superviseur du service technique, avaient reçu 12 heures d’indemnité de salissure, y compris l’opérateur de la grue et tous les monteurs, dont le conducteur du chariot élévateur ». Cela a [traduction] « piqué sa curiosité ».

35 Le Capc Beaulieu a lancé une enquête. Il a parlé au président du syndicat des Chaudronniers, au superviseur et à quelques monteurs. Il a aussi parlé au gestionnaire du service technique responsable des électriciens et a découvert que l’électricien qui se tenait à côté du monteur sur la jetée n’avait pas reçu d’indemnité de salissure, contrairement au monteur. Le Capc Beaulieu a affirmé que lorsqu’il a parlé au superviseur du service technique du quart de travail en question, on lui a dit que [traduction] « c’était une erreur, que [le superviseur du service technique] ne voulait pas payer l’opérateur de la grue et le conducteur du chariot élévateur, et que [le superviseur du service technique] voulait uniquement payer 8 heures d’indemnité de salissure pour le quart de travail de 12 heures plutôt que 12 heures d’indemnité de salissure. » Le Capc Beaulieu a pris en considération ce qu’il avait appris, et a ensuite discuté avec le président du syndicat des Chaudronniers. On a dit au Capc Beaulieu [traduction] « qu’il existait un vieux livre quelque part qui disait à combien le travail salissant devait être rémunéré […] qu’il y avait un code, mais qu’il n’avait jamais été présenté au [président du syndicat des Chaudronniers] ». Le Capc Beaulieu a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

J’ai clairement indiqué que même si l’indemnité de travail salissant avait été payée pour plus ou moins 35 ans, je ne pouvais accepter en tant que professionnel que le fait de se tenir debout sur une jetée était un travail salissant […] C’est pourquoi je n’ai pas accepté de payer la prime à tous ceux qui travaillaient à l’extérieur [du compartiment des batteries].

[…]

36 Le Capc n’a pas contesté le fait que l’indemnité de salissure avait été payée par le passé, mais il ne croyait pas que le libellé des conventions collectives de 2006 et 2008 s’appliquait aux faits qui lui étaient présentés. Comme il l’a indiqué lors de son contre-interrogatoire : [traduction] « J’ai jugé qu’ancienne pratique ne signifiait pas bonne pratique. » Il n’était pas d’accord avec l’ancienne pratique et a dit qu’il [traduction] « avait appliqué [sa] propre interprétation [de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008] ».

37 On a aussi informé le Capc Beaulieu que le délégué syndical et le superviseur du service technique avaient déjà accepté, au début du processus de retrait le 4 juin 2008, de verser l’indemnité de salissure aux monteurs qui effectuaient le travail de retrait, peu importe l’endroit où ils travaillaient. Le Capc Beaulieu a déclaré qu’il avait [traduction] « discuté avec un agent des RH et en était venu à la conclusion qu’il ne serait pas convenable de cesser de verser la prime après qu’une entente a été conclue ». Cependant, il ne se sentait pas lié par cette entente pour les installations ultérieures.

38 Par conséquent, le 19 juin 2008, le Capc Beaulieu a envoyé un courriel aux membres de son département concernant l’indemnité de salissure pour le retrait des batteries (pièce U2). Il a souligné que certaines corrections avaient été apportées, principalement que seulement 8 heures d’indemnité de salissure seraient payées pour un quart de travail de 12 heures. Le courriel se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Veuillez noter que la direction ne couvrira pas ce nombre d’heures d’indemnité de salissure à l’avenir, puisqu’il ne correspond pas à notre interprétation actuelle de la clause 23.01. À l’avenir, seules les heures travaillées dans le compartiment de batteries avant qu’il ne soit nettoyé satisferont aux critères de l’indemnité de salissure. Je demande aux futurs superviseurs du service technique qui surveilleront le travail lié aux batteries d’appliquer cette interprétation de la clause 23.01. Si le superviseur n’arrive pas conclure cette entente avec le délégué syndical, ce problème doit être porté à l’attention du gestionnaire du service technique

[…]

39 M. Hawker a pris la relève du Capc Beaulieu en août 2008. Les études de M. Hawker et son expérience de travail étaient liées à l’électronique. Ainsi, comme il l’a affirmé, il connaissait peu l’indemnité de travail salissant. Comme il l’a indiqué, [traduction] « le travail électrique est très propre ». Alors qu’il occupait le poste du Capc Beaulieu, M. Hawker a été mis [traduction] « au fait par [Capc Beaulieu] des problèmes de la division […] dont l’indemnité de salissure pour l’installation des batteries ». M. Hawker comprenait que le Capc Beaulieu estimait que l’indemnité de salissure n’était pas justifiée à l’extérieur du compartiment des batteries. M. Hawker n’avait jamais été témoin d’une installation de batteries. Il a fait des recherches et vérifié auprès de ses superviseurs et du syndicat des Chaudronniers. Il a affirmé que la position du syndicat des Chaudronniers était que [traduction] « l’indemnité de salissure avait déjà été payée par le passé et que, par conséquent, elle devrait continuer de l’être, mais qu’il ne pouvait pas [lui] expliquer pourquoi c’était particulièrement salissant […] La seule chose qui était salissante était le travail dans le compartiment. » Finalement, M. Hawker a décidé de soutenir la position du Capc Beaulieu, et l’a maintenue pour l’installation des batteries. Seuls les monteurs qui travaillent dans le compartiment des batteries recevraient l’indemnité de salissure; c’est ce qui s’est passé et ce qui explique le grief dont je suis saisi.

40 Il convient de noter que certains des superviseurs du service technique de M. Hawker n’étaient pas d’accord avec sa décision. Le 20 octobre 2008, quatre d’entre eux, incluant M. Lohnes, ont préparé une note d’information à propos de la proposition que l’indemnité de salissure soit limitée de la façon décrite par le Capc Beaulieu. Leur note se lit comme suit (pièce U3) :

[Traduction]

[…]

Lorsque les éléments ont été retirés du NCSM Cornerbrook [sic], cette consultation a eu lieu et il a été conclu que l’indemnité de travail salissant serait payée, comme elle avait été précédemment payée pour ces quarts de travail. Si l’on remonte aussi loin que l’Unité de radoub (Atlantique), on peut constater qu’une indemnité a toujours été payée pour la manipulation d’éléments de batterie de sous-marin. En effet, dans l’ancien manuel de l’indemnité de salissure de l’Unité de radoub (Atlantique), il y avait un code qui traitait de ce travail en particulier. Cette indemnité était payée lorsque les éléments étaient retirés du Cornerbrook [sic]. Le chef du service technique [Capc Beaulieu] a contesté cette décision, mais a par la suite concédé que l’entente qui avait été conclue serait respectée. Il a aussi dit à ce moment-là que lors de la réinstallation des éléments, seul un travailleur dans le compartiment des batteries serait admissible à l’indemnité de salissure, et ce, uniquement pour le temps passé dans le compartiment. Cette décision est contraire à l’ancienne pratique et est aussi contraire à l’ancienne intention. L’indemnité de salissure a toujours été versée lors de la manipulation de ces éléments. Nous ne savons pas exactement ce qui a changé, mis à part le fait que le gestionnaire du service technique a décidé de contredire l’ancienne pratique.

[…]

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

41 L’avocat de l’agent négociateur a divisé son argumentation en deux parties, l’une sur le grief des meuleurs, l’autre sur le grief des monteurs. Les deux cas concernaient l’application de la clause 23.01 des conventions collectives de 2006 et 2008, mais étaient axés sur des questions différentes. Pour le grief des meuleurs, on disait que le travail était « particulièrement salissant ou désagréable ». Pour le grief des monteurs, il s’agissait d’un cas de « pratique actuelle » comme la continuation de l’ancienne pratique.

1. Grief des meuleurs

42 L’avocat de l’agent négociateur a affirmé que le droit à l’indemnité de salissure des meuleurs découlait du fait que le travail était « particulièrement salissant ou désagréable ». Le fait que l’indemnité de salissure ait été payée dans le cadre du projet sur le véhicule blindé léger réalisé précédemment, qui était pratiquement identique au projet des boucliers du Bison, et qu’elle ait été payée au cours des 10 premiers jours du projet des boucliers du Bison signifiait que l’employeur reconnaissait que le travail est réellement « particulièrement salissant ou désagréable ». Il a d’ailleurs demandé, pour la forme, pour quelle autre raison l’employeur l’aurait payée. Cela étant, la question était plutôt de savoir si les efforts de l’employeur pour améliorer les conditions de travail en installant un meilleur système de ventilation ou en fournissant plus de personnel de nettoyage étaient suffisants pour faire en sorte que le travail ne soit plus « particulièrement salissant ou désagréable ».

43 L’avocat de l’agent négociateur a fait référence aux définitions de [traduction] « salissant » et de [traduction] « désagréable » du Canadian Oxford Dictionary (Toronto, 2001), qui se lisent comme suit :

[Traduction]

[…]

salissant […] 1 qui salit, sale […] 4 désagréable, sale. […]

[…]

désagréable […] dérangeant, irritant, détesté, repoussant […]

[…]

44 L’avocat de l’agent négociateur a reconnu que le meulage faisait partie des tâches habituelles des meuleurs et que les projets de meulage n’étaient pas tous « particulièrement salissants ou désagréables ». Cela dépendait des faits. Le fait le plus important dans ce cas était que le travail de meulage ne durait pas seulement 10 à 15 minutes, mais qu’il constituait une activité continue qui durait des heures. Comme il l’a affirmé, [traduction] « le meulage occasionnel n’est pas un travail salissant […], mais le meulage continu dans un environnement qui génère de la saleté comme de la poussière de métal, des émanations et des étincelles l’est ». Il a affirmé que 12 éléments rendaient ce type de meulage « particulièrement salissant ou désagréable » :

  • l’accumulation de particules sur l’établi;
  • le travail dans un cubicule, qui concentre les étincelles et les émanations dans l’espace de travail du travailleur;
  • le port d’un foulard pour éviter de se brûler la peau;
  • l’utilisation de gants anti-vibration;
  • le besoin d’enrouler du ruban adhésif autour des poignets des combinaisons pour que la poussière de métal n’entre pas;
  • la liberté qu’ont les meuleurs de prendre autant de pauses qu’ils le souhaitent, ce qui signifie que l’employeur reconnaît que le travail est particulièrement difficile;
  • l’utilisation d’un employé de nettoyage supplémentaire qui travaille de jour plutôt que le nettoyage sporadique du lieu de travail;
  • la possibilité de prendre plus de douches;
  • l’exposition aux étincelles qui font des trous dans les combinaisons des meuleurs, qui doivent changer de combinaison;
  • les étincelles qui traversent les combinaisons et qui brûlent la peau;
  • le temps inhabituel passé à meuler, et le meulage pendant des périodes anormalement longues;
  • la douleur physique dans le cou, les épaules et le dos.

45 L’avocat de l’agent négociateur a aussi souligné que le travail de cette intensité et dans ces conditions était semblable à celui effectué à bord des navires, où les espaces confinés et le travail à hauteur au-dessus de la tête faisaient en sorte que les travailleurs faisaient des efforts physiques et étaient grandement exposés aux émanations et aux étincelles. Étant donné que l’indemnité de salissure était versée dans de tels cas, elle devrait aussi l’être sur la terre, où les conditions dans lesquelles a lieu le meulage sont similaires.

46 L’avocat de l’agent négociateur a indiqué que l’ensemble de ces conditions faisait en sorte que le travail était dérangeant au sens de « désagréable » dans le dictionnaire. Le grief des meuleurs devrait être accueilli.

2. Grief des monteurs

47 L’avocat de l’agent négociateur a indiqué que la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 offrait une indemnité aux employés. Cette indemnité avait été payée historiquement et sans exception à tous les monteurs travaillant au retrait ou à l’installation des batteries, pas seulement à ceux travaillant dans le compartiment des batteries d’un sous-marin. En vertu de cette clause, l’employeur a accepté de « […] maintenir la pratique actuelle de verser une indemnité de travail salissant à l’employé […] ». La « pratique actuelle » en vigueur au moment où les conventions collectives de 2006 et 2008 ont été signées était la pratique de longue date – l’ancienne pratique – de verser l’indemnité de salissure à tous les monteurs travaillant au retrait ou à l’installation de batteries. Les témoins de l’employeur ont reconnu que cela avait été l’ancienne pratique jusqu’à l’installation des batteries en automne 2008. Par conséquent, c’était la « pratique actuelle » pour l’employeur que d’accepter, en vertu de cette clause, de continuer de payer l’indemnité. S’il y avait une telle pratique, l’employeur était tenu de verser l’indemnité de travail salissant à moins qu’il ne puisse établir qu’un changement matériel est survenu relativement à la nature du travail ou à l’environnement dans lequel le travail est effectué : voir Pyke c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑15645 (19860505); Andrews et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166‑02‑18580 à 18585 (19890915), 15 C.L.A.S. 44; Mosher c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑16406 (19870324), 4 C.L.A.S. 86; Ehler et al. c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166‑02‑23469 à 23471 (19930426), 31 C.L.A.S. 36. L’avocat de l’agent négociateur a déclaré qu’un arbitre de grief n’a pas à se préoccuper de savoir si le travail était réellement « particulièrement salissant ou désagréable ». Tout ce qui importait était de savoir s’il existait une ancienne pratique voulant que l’indemnité de salissure soit versée pour le travail. S’il en existait un, le questionnement n’avait plus lieu d’être : voir Grandy et al. c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166‑02‑16321 à 16323 (19870311), 4 C.L.A.S. 85; Fillis et Wile c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑14634 et 14637 (19850219). L’avocat de l’agent négociateur a allégué que les grandes lignes de cette jurisprudence étaient que l’indemnité de salissure était versée selon les trois modalités suivantes :

  • en raison de l’ancienne pratique de verser l’indemnité de salissure pour le travail en question, en vertu de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008;
  • en raison d’une entente entre l’employeur et l’agent négociateur en vertu de la clause 23.01c) des conventions collectives de 2006 et 2008;
  • en raison d’une décision d’un arbitre de grief en vertu de la clause 23.01c) des conventions collectives de 2006 et 2008 : voir Fillis et Wile, au paragraphe 29; Andrews et al., à la page 18.

Dans le présent cas, l’agent négociateur n’a pas eu besoin de s’appuyer sur la deuxième ou la troisième modalité. Le fait qu’il existait des antécédents bien établis de paiement de l’indemnité de salissure pour le travail en question était suffisant. L’erreur était la décision de l’employeur de changer la pratique, pas la demande des monteurs de recevoir l’indemnité de salissure.

B. Pour l’employeur

48 L’avocat de l’employeur a utilisé la même approche que l’avocat de l’agent négociateur et a divisé son argumentation en deux parties.

1. Grief des meuleurs

49 L’avocat de l’employeur a allégué que la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 était claire. L’indemnité était payable pour le travail « particulièrement salissant ou désagréable ». Elle n’était pas payable uniquement parce que le travail était inconfortable, réalisé dans un espace confiné, dangereux ou effectué pendant une longue période. De plus, elle était payable uniquement pour le travail qui était « particulièrement salissant ou désagréable [je souligne] ».

50 L’avocat de l’employeur a fait remarquer à l’avocat de l’agent négociateur que le travail de meulage n’était pas toujours salissant ou même particulièrement salissant. L’avocat de l’employeur a affirmé qu’un travail qui n’était pas salissant ne devient pas salissant ou particulièrement salissant uniquement parce qu’il est réalisé sur une longue période. Dans le présent cas, l’exposition au métal, à la poussière et aux émanations du meulage faisait partie intégrante du processus de meulage. Si la durée augmentait l’exposition à ces éléments, la meilleure ventilation et le droit de prendre des pauses diminuaient cette exposition.

51 L’avocat de l’employeur a indiqué qu’il n’était pas approprié de s’appuyer sur le fait que l’employeur avait payé l’indemnité de salissure pour les 10 premiers jours de travail. Cela aurait pour effet d’utiliser les efforts de l’employeur visant à améliorer les conditions de travail contre lui et de le décourager de faire d’autres tentatives pour améliorer ces conditions. De plus, ce qui importe est de savoir si les conditions après le 14 mai 2007 étaient « particulièrement salissantes et désagréables ».

52 En ce qui concerne les 12 conditions énoncées par l’avocat de l’agent négociateur, l’avocat de l’employeur a indiqué que l’objectif des cubicules était de prévenir ou de réduire la pluie de poussière et d’étincelles qui tombaient sur les autres meuleurs. Les cubicules visaient à améliorer les conditions de travail, pas à les détériorer. En qui a trait aux étincelles qui pourraient brûler les vêtements ou la peau, l’avocat a admis que cela pouvait se produire autant dans les 15 premières minutes de meulage (l’agent négociateur avait accepté que ce temps ne soit pas admissible à l’indemnité de salissure) qu’au cours des six dernières heures. Ainsi, comment les étincelles ou le risque de brûlure pouvaient-ils rendre le meulage « particulièrement salissant ou désagréable »? En ce qui concerne l’équipe de nettoyage et le système de ventilation, il a affirmé qu’ils étaient tous deux présents pendant le meulage normal, non salissant. Cela étant dit, on ne peut pas affirmer que leur utilisation rend le meulage « particulièrement salissant ou désagréable ».

53 L’avocat de l’employeur a attiré l’attention sur M. Joudrey. Comme la preuve indiquait que M. Joudrey avait choisi de porter un t-shirt et des pantalons arc flash alors qu’il meulait, comment le travail pouvait-il être considéré comme « particulièrement salissant ou désagréable »? L’avocat a déclaré que le fait d’affirmer que M. Joudrey était un [traduction] « pauvre type » (comme l’avait laissé entendre l’avocat de l’agent négociateur) à qui l’employeur aurait dû ordonner de se protéger, ne répondait pas à la question.

54 L’avocat de l’employeur a indiqué que toutes les conditions décrites par l’agent négociateur faisaient essentiellement partie du travail normal et ordinaire des meuleurs. La seule différence réelle était la durée. Un travail habituel de meulage prenait de 10 à 40 minutes. Le travail sur les boucliers du Bison pourrait avoir été plus long, mais les conditions de travail étaient les mêmes. Le travail avait peut-être été plus fatigant, mais cela ne le rendait pas « particulièrement salissant ou désagréable » : voir Crane c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑15090 (19851209); Kennedy c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑12289 (19820714), aux paragraphes 41‑42. De plus, les meuleurs pouvaient contrôler leur exposition à la seule condition de travail qui était sans doute différente – la durée du meulage. L’avocat de l’employeur a affirmé qu’il ne serait pas acceptable que, pour ouvrir droit à l’indemnité de salissure, les meuleurs se prévalent du travail pendant une période excessive ou de la poussière qui s’accumule, alors qu’ils pourraient demander un nettoyage (encore faut-il que le temps passé à meuler soit un élément déterminant du droit à l’indemnité de salissure).

55 L’avocat de l’employeur a indiqué qu’il incombait à l’agent négociateur de prouver que le travail des meuleurs était « particulièrement salissant ou désagréable » pour chaque journée pour laquelle l’indemnité de salissure a été réclamée. Il ne suffisait pas de se plaindre à propos d’une série de journées ou de semaines. Les meuleurs devaient contester toutes les journées pour donner l’occasion à l’employeur d’étudier la situation et de prendre les mesures nécessaires pour corriger les conditions qui pourraient avoir été « particulièrement salissantes ou désagréables » : voir Spence et Williams c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑16809 (19870922), à la page 29; Cameron et Ross c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166‑02‑16235 et 16236 (19870309), à la page 24; Primeau c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑21783 (19920212).

2. Grief des monteurs

56 L’avocat de l’employeur a indiqué que la terminologie de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 était claire. La « pratique actuelle » renvoie au paiement effectué pour tout travail « […] nécessitant l’exposition à des conditions particulièrement salissantes ou désagréables […] », pas à une ancienne pratique. L’ancienne pratique de verser l’indemnité de salissure pour un certain travail ne pourrait pas, en l’absence d’éléments de preuve expliquant la raison pour laquelle elle a été versée, établir que ce travail n’était pas « particulièrement salissant ou désagréable ». La jurisprudence était claire; il incombait à l’agent négociateur d’établir que le travail était réellement « particulièrement salissant ou désagréable » : voir Andrews et al., page 17; Mosher, page 7; Ehler et al., page 13; Grandy et al.; Bowser c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166‑02‑16971 (19871105), page 15; Crane, paragraphe 29. En l’espèce, rien de ce que les monteurs ont fait sur la jetée ou sur ou dans le sous-marin (à l’exception du compartiment des batteries) ne pourrait être considéré comme salissant ou désagréable, encore moins « particulièrement salissant ou désagréable [je souligne] ».

C. Réfutation de l’agent négociateur

1. Grief des meuleurs

57 L’avocat de l’agent négociateur a déclaré que rien ne prouvait que le système de ventilation en place pendant la période en question était efficace. Aucune mise à l’essai n’a été effectuée. Aucune mesure n’a été prise pour déterminer si le nouveau système était meilleur ou pire que l’ancien. En ce qui concerne l’argument selon lequel l’effort physique n’était pas un facteur, l’avocat a demandé pourquoi l’effort physique était considéré comme un facteur lorsqu’un meuleur travaillait dans un espace confiné à bord d’un navire, mais ne serait pas un facteur lorsque ce dernier travaille dans un atelier de fabrication de produits métalliques? Le fait que des services de nettoyage supplémentaires étaient offerts montre que le travail était « particulièrement salissant »; autrement, pourquoi seraient-ils offerts? En ce qui a trait à la capacité des meuleurs de contrôler leur environnement, l’avocat a souligné qu’il n’était pas toujours possible d’appeler un nettoyeur. De plus, le fait que les nettoyeurs pouvaient être sur appel n’enlevait rien au fait que les meuleurs travaillaient dans un environnement salissant.

58 En ce qui a trait au temps qu’il faut pour qu’un travail de meulage normal devienne un travail « particulièrement salissant ou désagréable », l’avocat de l’agent négociateur a indiqué que le temps que passaient les meuleurs à travailler dans ces conditions n’était pas un facteur, mais qu’il fallait plutôt considérer l’ensemble du travail. C’est ce que l’employeur a fait quand il a décidé de payer l’indemnité de salissure pour les deux premières semaines de travail sur les boucliers du Bison. Les 12 facteurs, considérés dans leur ensemble, ont fait en sorte que le travail est devenu « particulièrement salissant ou désagréable ».

2. Grief des monteurs

59 L’avocat de l’agent négociateur a indiqué que l’avocat de l’employeur essayait de reformuler des conventions collectives de 2006 et 2008. La clause 23.01a) renvoyait à la « pratique actuelle » du paiement de l’indemnité de salissure. Dans le présent cas, la « pratique actuelle » était la pratique de longue date de verser l’indemnité de salissure aux monteurs pour le retrait et l’installation des batteries des sous-marins. Cela constitue la « pratique actuelle » qui doit être maintenue en vertu de la clause 23.01a).

IV. Motifs

A. Grief des monteurs

60 Je commencerai par discuter du grief des monteurs, parce que les arguments présentés par l’avocat concernent l’interprétation de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008, qui s’applique tant au grief des meuleurs qu’au grief des monteurs.

61 Avant de statuer sur l’idée centrale des arguments de l’avocat de l’agent négociateur, je note que certains témoins de l’agent négociateur ont laissé entendre que le travail était dangereux, parce que les batteries pouvaient exploser, ou déverser de l’acide si elles étaient renversées. Le peu de preuves qui m’a été présenté ne m’a pas persuadé que ces risques étaient tangibles. Aussi, tout travail qui comprend l’arrimage, le levage et le guidage de grosses pièces de machinerie ou d’équipement lourd et encombrant représente un degré élevé de risque. De telles tâches sont peut-être risquées, mais elles ne sont pas salissantes ou désagréables. Ainsi, il n’est pas surprenant que l’avocat de l’agent négociateur ait concédé que le travail des monteurs sur la jetée ou sur ou dans le sous‑marin qui consiste à guider les batteries dans les trappes n’était pas particulièrement salissant ni particulièrement désagréable. Cependant, il a indiqué que le travail n’avait pas à être « particulièrement salissant ou désagréable » pour justifier l’indemnité de salissure.

62 Ce faisant, l’avocat de l’agent négociateur s’est appuyé sur Fillis et Wile, au paragraphe 29, comme suit :

29. […] cette clause prévoit le versement d’une indemnité selon l’une des trois modalités suivantes. Elle peut être versée s’il s’agit du maintien de la "pratique actuelle", si les parties consentent à ce qu’elle soit payée ou si l’arbitre juge les conditions particulièrement salissantes ou désagréables […]

L’affirmation selon laquelle ce qui constitue aujourd’hui la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 prévoit le paiement de l’indemnité de salissure dans le cadre de trois situations différentes a été répétée un certain nombre de fois depuis Fillis et Wile : voir Crane, au paragraphe 28; Andrews et al., à la page 17.

63 L’avocat de l’agent négociateur s’est arrêté sur la première modalité, soit « […] le maintien de la pratique actuelle […] ». Il a affirmé que la jurisprudence indiquait clairement que la pratique de longue date de verser une indemnité de salissure pour une tâche ou un travail en particulier constituait une « pratique actuelle » au sens de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008. Autrement dit, conformément à cette clause, une « pratique actuelle » concernant le paiement de l’indemnité de salissure pour un travail, une tâche ou une condition de travail en particulier, existe s’il y avait une ancienne pratique de verser l’indemnité de salissure pour ce travail, cette tâche ou cette condition de travail. Cela étant, l’indemnité de salissure était payable peu importe si le travail était réellement « particulièrement salissant ou désagréable ». Par conséquent, à titre d’arbitre de grief, je n’avais pas besoin de prendre en considération les conditions de travail actuelles des monteurs, et plus précisément, d’évaluer si leurs tâches étaient « particulièrement salissantes ou désagréables ». Il me suffisait de constater qu’il y avait eu une pratique de longue date de verser l’indemnité de travail salissant pour un tel travail. Étant donné que tous les témoins ont reconnu que les monteurs avaient reçu l’indemnité de salissure par le passé, et ce, peu importe la tâche qui leur était attribuée lors du retrait ou de l’installation d’une batterie, je devrais conclure que la « pratique actuelle » dans cette affaire était de verser l’indemnité de salissure pour un tel travail.

64 Je dois avouer que j’ai eu de la difficulté à interpréter la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 que l’avocat de l’agent négociateur a portée à ma connaissance. Après tout, la clause parle de rémunérer « […] tout travail nécessitant l’exposition à de conditions particulièrement salissantes ou désagréables […] », ce qui laisse supposer que la « pratique actuelle » concerne le travail qui est réellement « particulièrement salissant ou désagréable ». Cependant, Fillis et Wile et d’autres, comme Andrews et al., page 17, ou Crane, au paragraphe 28, peuvent être interprétés comme appuyant l’affirmation de l’agent négociateur. La question que je dois trancher est de savoir si c’est cette interprétation de ce qu’est actuellement la clause 23.01a) qui ressort de ces décisions – ou du moins, la première des trois modalités selon laquelle l’indemnité de salissure doit être versée. Selon moi, une analyse approfondie de ces décisions révèle qu’elles n’en sont pas arrivées à cette conclusion.

65 Le fait que, en vertu de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008, il existe trois modalités pour déterminer si l’indemnité de salissure doit être versée et plus précisément que l’une de ces modalités repose sur la conclusion qu’il existe un maintien de la « pratique actuelle », est tiré de Allen et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166‑02‑1035 à 1115 (19741215).

66 Allen et al. traite de la convention collective de 1973 à l’égard du groupe de la réparation des navires. La clause 24.01 de la convention collective de 1973 était semblable, mais non identique à la clause 23.01 des conventions collectives de 2006 et 2008. La clause 24.01 de la convention collective de 1973 se lit comme suit :

24.01 Travail salissant

  1. L’employeur convient de maintenir la pratique actuelle de verser une compensation pour tout travail nécessitant l’exposition à des conditions particulièrement salissantes ou désagréables.
  2. Une consultation doit avoir lieu entre le contremaître et le délégué syndical en vue de résoudre immédiatement les conflits concernant le travail salissant.
  3. Reconnaissant que ces changements de méthodes créeront de nouvelles situations qui pourront ouvrir droit à compensation ainsi qu’indiqué ci-dessus et mettront un terme à d’anciennes situations, la direction locale confèrera avec le Conseil régional afin d’examiner les travaux pour lesquels une indemnité sera versée.

[Je souligne]

Il convient de souligner que la convention collective de 1973 ne renvoyait pas directement au montant de l’indemnité de travail salissant (la clause 23.01b) des conventions collectives de 2006 et 2008 précise que l’indemnité équivaut à 25 % du taux de rémunération de base), et ne faisait pas référence à une « Ordonnance administrative du personnel civil », ou à une réalité similaire (voir la clause 23.01c) des conventions collectives de 2006 et 2008).

67 Les faits présentés dans Allen et al. sont les suivants. Du 15 au 18 octobre 1973, les 80 fonctionnaires s’estimant lésés travaillaient dans le bâtiment D‑20 du chantier naval de Halifax. Ils ont déclaré qu’au cours de cette période, les aires du bâtiment dans lesquelles ils travaillaient « […] étaient vraiment inconfortables à cause de la chaleur excessive et du peu d’humidité ». Ils ont affirmé que les conditions étaient « ‟désagréables‟ et qu’ils [avaient] droit à l’indemnité […] » en vertu de la clause 24.01 de la convention collective de 1973. Selon la preuve produite, pendant ces journées, la température des différents ateliers du bâtiment avait atteint les 80˚ Fahrenheit et le taux d’humidité n’était que de 23 %. L’équipement qui produit de la chaleur, comme les fers à souder, ajoutaient à l’inconfort des fonctionnaires s’estimant lésés, tout comme la fumée des nettoyeurs, les dissolvants et la peinture. Avant ces journées d’octobre 1973, plusieurs plaintes avaient été déposées au sujet de la ventilation du bâtiment, mais jamais la prime de travail salissant n’avait été versée.

68 Allen et al. présente la preuve produite par L.D. Brown, qui était alors le président du Conseil des métiers et du travail des Chantiers Maritimes de Halifax. M. Brown a déclaré que lors de la signature de la convention collective de 1973 :

[…]

[…] certains emplois déterminés ouvraient droit à l’indemnité de travail salissant. La liste de ces emplois se trouvait et se trouve encore dans le Manuel de gestion et de comptabilité de l’employeur […]

[…]

M. Brown a aussi témoigné au sujet du processus à deux étapes concernant le travail ou les tâches non listés dans le Manuel de gestion et de comptabilité ou dans le Règlement permanent de la base. La première étape, ou la « procédure applicable aux plaintes » implique des réunions entre le délégué syndical et le contremaître. Si l’on ne peut en arriver à une entente, la plainte passe aux paliers supérieurs, entre le président du Conseil des métiers et du travail des Chantiers Maritimes de Halifax et les cadres supérieurs. Si l’on ne peut toujours pas en arriver à une entente, l’affaire est portée à la seconde étape, où l’on a recours à la procédure de grief. Le même processus à deux étapes a continué à être utilisé après la signature de la convention collective : voir Allen et al., page 5.

69 T. MacL. Cantley a aussi témoigné dans Allen et al. Il était agent du personnel civil de la base des Forces canadiennes à Halifax depuis environ 16 ans. Il a confirmé ce qui suit :

[…]

[…] dans l’extrait du procès-verbal CT/666376 du 15 mars 1967 produit en preuve, le Conseil du Trésor avait autorisé le versement d’une indemnité de travail salissant fondé sur le “Manuel de gestion et de comptabilité" et sur le “Règlement permanent" […]

[…]

Ces documents administratifs étaient en vigueur lors de la signature de la convention collective de 1973.

70 L’avocat des fonctionnaires s’estimant lésés dans Allen et al. a indiqué à la page 7 que les conditions de travail pendant la période en question étaient « […] vraiment désagréables et considérées inadmissibles et déplaisantes par les employés qui y travaillent ». En ce qui concerne la « pratique actuelle », il a indiqué que la seule « pratique actuelle » dont il était question était la pratique locale de verser une prime de 25 % pour un tel travail. Il a rejeté la proposition selon laquelle la « pratique actuelle » était limitée aux tâches ou aux conditions décrites dans le Manuel de gestion et de comptabilité, le Règlement permanent ou le procès-verbal du Conseil du Trésor : voir pages 7‑8.

71 L’employeur dans Allen et al., à la page 9, a affirmé que la « pratique actuelle » de la clause 24.01a) de la convention collective de 1973 incluait :

  • Le taux de majoration (tous ont convenu qu’il s’agissait de 25 % du taux de base);
  • Le type de travail justifiant une telle majoration.

Le représentant de l’employeur a allégué que, lors de la rédaction de l’article 24 de la convention collective de 1973, les parties ont préféré :

[…]

[…] dire simplement la « pratique actuelle » parce que lors de la signature de la convention collective, on versait un taux d’indemnité à l’égard du type d’emploi décrit dans les directives de l’employeur contenues dans le Manuel, le Règlement permanent et l’extrait du procès-verbal du Conseil du Trésor.

[…]

De plus, l’employeur a affirmé que les éléments de preuve n’indiquaient pas que le travail était « particulièrement salissant ou désagréable ».

72 L’arbitre de grief dans Allen et al. a conclu que la clause 24.01a) de la convention collective de 1973 pouvait être interprétée selon trois modalités. La première modalité est la suivante, énoncée à la page 13 : « L’employeur convient de continuer à verser une indemnité pour tout travail effectué dans des conditions particulièrement salissantes ou désagréables. » Cette interprétation était, selon l’arbitre de grief, « […] la moins admissible ». Il n’a rien dit à propos du taux de l’indemnité, mais, étant donné que les parties avaient convenu qu’il était de 25 %, certaines précisions devaient être ajoutées. Autrement dit, cette formulation ne pouvait manifestement pas s’interpréter de façon autonome. il fallait y ajouter quelque chose.

73 La deuxième modalité mentionnée dans Allen et al. était la suivante, aux pages 14 : « L’employeur convient de maintenir la pratique actuelle qui consiste à verser une indemnité au taux normal majoré d’un quart pour tout travail effectué dans des conditions particulièrement salissantes ou désagréables. » Cette affirmation intègre la pratique locale de verser 25 % en indemnité. Cependant, le problème était que la convention collective s’appliquait à la fois à la côte Est et à la côte Ouest (contrairement au présent cas), et sur la côte Ouest, deux indemnités de travail salissant existaient. La description des différentes tâches qui sont payées à différents taux était présentée dans le Manuel de gestion et de comptabilité et dans l’extrait du procès-verbal du Conseil du Trésor. Ainsi, pour déterminer ce qu’était la « pratique actuelle » sur la côte Est ou Ouest, « […] il faut se référer au Manuel ainsi qu’à l’extrait du procès-verbal du Conseil du Trésor ».

74 La troisième modalité possible qu’a choisie d’examiner l’arbitre de grief dans Allen et al. était la suivante, à la page 15 : « L’employeur convient de verser une indemnité de travail salissant aux taux et conditions qui constituent la pratique actuelle. » L’arbitre de grief a conclu à la page 20 que la clause 24.01a) de la convention collective de 1973, correctement interprétée, « […] ne prévoit une indemnité de travail salissant que dans des conditions qui ouvrent droit à de tels versements, selon la pratique suivie par l’employeur lors de la signature de la convention collective ». La « pratique actuelle » pertinente était celle qui existait lorsque la convention collective de 1973 a été signée, qui « […] consist[ait] en une indemnité fondée sur le Manuel de gestion et de comptabilité de l’employeur, sur le Règlement permanent de la base des Forces Canadiennes à Halifax et sur l’extrait su procès-verbal du Conseil du Trésor 666376 ». À en juger par les faits présentés à l’arbitre de grief, ces documents ne justifiaient pas expressément ni par analogie le versement de l’indemnité de salissure dans des conditions de chaleur excessive et de faible humidité. L’arbitre de grief a rejeté ces griefs.

75 En résumé, Allen et al. n’étayait pas l’affirmation selon laquelle la « pratique actuelle » est établie simplement parce que l’indemnité de salissure a été payée pour le même travail ou un travail semblable par le passé. Cette affaire permet plutôt de conclure que :

  • si au moment où la convention collective a été signée, l’indemnité de salissure pour un travail ou une tâche en particulier ou pour un travail effectué dans certaines circonstances particulières était énoncée dans le Règlement permanent, dans l’extrait du procès-verbal du Conseil du Trésor ou dans un autre document écrit ou manuel,
  • l’indemnité de salissure doit être payée pour ce travail ou cette tâche ou dans ces conditions.

Les décisions qui ont suivi nous permettent d’affirmer que cette interprétation était en fait la conclusion ou la justification de Allen et al.

76 Par exemple, Joudrey et Craib c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), dossiers de la CRTFP 166‑02‑3717 et 3718 (19780915), concernait la réclamation d’une indemnité par deux fonctionnaires s’estimant lésés qui avaient eu à travailler dans un espace confiné exigu qu’ils trouvaient « extrêmement incommode ». Au moment de Joudrey et Craib, les dispositions pertinentes de la convention collective de 1973 avaient été élargies, et se lisent comme suit dans la convention collective de 1977, telles qu’elles sont énoncées au paragraphe 2 :

23.01 Indemnité de travail salissant

  1. L’employeur convient de maintenir la pratique actuelle de verser une indemnité de travail salissant à l’employé pour tout travail nécessitant l’exposition à des conditions salissantes ou désagréables.

    L’indemnité est versée seulement pour le temps réellement passé à travailler dans ces conditions.

    L’indemnité sera payée au taux actuel. La "pratique actuelle" n’est pas limitée au travail décrit dans le "Manuel d’administration ou de comptabilité - Personnel civil" ou "les ordres permanents", mais comprend les situations reconnues par les deux parties comme étant particulièrement salissantes ou désagréables ou qu’un arbitre reconnaît comme telles.
  2. Une consultation doit avoir lieu entre le contremaître et le délégué syndical en vue de résoudre immédiatement les conflits concernant le travail salissant.
  3. Reconnaissant que des changements de méthodes créeront de nouvelles situations pourront ouvrir droit à la compensation ainsi qu’indiqué ci-dessus et mettront un terme à d’anciennes situations, la direction locale confèrera avec le Conseil afin d’examiner les travaux pour lesquels une indemnité sera versée.
  4. Le recours aux dispositions des alinéas b) ou c) de la clause 23.01 ne peut pas être invoqué pour refuser à l’employé le droit de présenter un grief découlant de l’application de la clause 23.01a).

J’ouvre ici une parenthèse pour souligner que la clause 23.01a) de la convention collective de 1977 était clairement une tentative d’intégrer l’interprétation de la « pratique actuelle » de Allen et al. en mentionnant expressément que l’indemnité de salissure était payable :

  • si le travail ou les conditions étaient décrits dans le Manuel de gestion et de comptabilité ou dans les ordres permanents de la base, ou
  • si l’employeur et l’agent négociateur consentent qu’elle devrait être payée, ou
  • si un arbitre de grief juge que le travail ou les conditions étaient « particulièrement salissants ou désagréables ».

77 L’arbitre de grief dans Joudrey et Craib a conclu qu’aucune des trois modalités visant à obtenir l’indemnité de salissure ne s’appliquait. En ce qui concerne la première modalité, il a observé ce qui suit, au paragraphe 7 :

7.       […] la clause 23.01 prévoit le versement de cette indemnité s’il s’agit du maintien de la “pratique actuelle”. Or aucune preuve ne démontre que ce travail relève des dispositions de la pratique actuelle […]

[Je souligne]

Je considère que « dispositions » fait référence au Manuel de gestion et de comptabilité ou aux ordres permanents de la base. Dans le cas contraire, on ne s’attendrait pas à ce qu’un arbitre de grief utilise ce mot. En ce qui a trait à la deuxième modalité, l’arbitre de grief a souligné qu’il n’y avait clairement aucune entente : voir le paragraphe 7. Pour ce qui est de la troisième modalité, il n’était pas convaincu que le fait de travailler dans un espace exigu équivalait au fait de travailler dans des « conditions particulièrement salissantes ou désagréables » : voir le paragraphe 7.

78 Fillis et Wile, une autre décision sur laquelle s’est appuyé l’avocat de l’agent négociateur, traite de libellés pratiquement identiques à ceux qui sont présentés dans Joudrey et Craib. Cette affaire concerne une réclamation d’indemnité de salissure faite par deux employés de l’unité de réparation des navires (Atlantique) « […] pour des travaux accomplis […] dans des espaces restreints et des conditions de chaleur excessive et de grande humidité […] » dans le compartiment inférieur des moteurs du sous‑marin NCSM Ojibwa les 14 et 15 juillet 1938.

79 Les fonctionnaires s’estimant lésés dans Fillis et Wile devaient faire une « réparation courante », soit la « remise à neuf du générateur » dans le compartiment inférieur des moteurs du sous-marin. Le compartiment dans lequel ils travaillaient était petit et rempli d’équipement. Sa température variait entre 104 et 110 degrés Fahrenheit. À un moment au cours de la deuxième journée, la température s’est élevée à 115 degrés Fahrenheit, et ce, même si un ventilateur et un système de ventilation étaient en place. Les fonctionnaires s’estimant lésés transpiraient constamment. Ils ont présenté une demande d’indemnité de salissure. Des éléments de preuve indiquaient que l’indemnité de salissure avait été versée pour un tel travail par le passé.

80 Dans Fillis et Wile, on a aussi présenté des preuves de ce que l’employeur appelait les [traduction] « codes d’indemnité de salissure », qui semblent avoir décrit des tâches et des conditions particulières justifiant l’indemnité de salissure : voir le paragraphe 18. Il semble aussi que le « Manuel d’administration et de comptabilité – Personnel civil » et les ordres permanents de la base aient été présentés comme preuve : voir les paragraphes 21 et 29. Après avoir examiné la preuve et les arguments, l’arbitre de grief a souligné ce qui suit, au paragraphe 29 :

29.     […] cette clause prévoit le versement d’une indemnité selon l’une des trois modalités suivantes. Elle peut être versée s’il s’agit du maintien de la “pratique actuelle”, si les parties consentent à ce qu’elle soit payée ou si l’arbitre juge les conditions particulièrement salissantes ou désagréables. Par conséquent, ce sont les employés en cause qui doivent ici assumer le fardeau de la preuve en établissant l’existence de l’une ou l’autre des deux premières modalités ou en convainquant l’arbitre du bien-fondé de la dernière. Nous pouvons mettre de côté la deuxième parce qu’il est évident que les parties ne s’entendent pas […] Il me semble avoir toutefois pris connaissance d’un nombre suffisant d’éléments de preuve pour pouvoir commenter la “pratique actuelle : telle qu’elle est définie dans le Manuel d’administration et de comptabilité — Personnel civil, ou dans les ordres permanents de la base. Par ailleurs, je puis rendre une décision quant à savoir si le travail devait être effectué dans des conditions particulièrement salissantes ou désagréables. Les codes des indemnités de salissure (pièce 7) figurant dans le répertoire des codes numériques des emplois indiquent la manière dont les deux documents susmentionnés ont été appliqués dans le passé. Il s’agit d’un ensemble de motifs ou d’exemples établis par l’employeur pour déterminer si une indemnité de travail salissant peut être versée.

[Je souligne]

Il convient de noter que l’analyse de l’arbitre de grief de la « pratique actuelle » était influencée par le Manuel d’administration et de comptabilité et les ordres permanents de la base.

81 Des preuves dans Fillis et Wile ont été présentées et ont entraîné une discussion sur le code 62 de l’indemnité de salissure, faisant état du travail avec des « pièces de machinerie particulièrement salissantes », et le code 63. Apparemment, il y avait un certain désaccord à savoir si le bon code avait été appliqué dans le présent cas ou si les codes étaient réellement applicables. L’arbitre de grief a rédigé ce qui suit au paragraphe 37 :

37.     […] En outre, le fait qu’une indemnité de travail salissant a été demandée ici, “et refusée”, aux termes du code 75 plutôt que du code 62 ou 63 ne porte pas vraiment à conséquence. Le grief se fonde sur l’existence de conditions de chaleur excessive et, à mon avis, il existe suffisamment d’exemples analogues d'indemnités qui ont été versées dans le passé à cause de conditions de ce genre qu’il est justifié tout autant ici que là sans égard pour l'étiquette qu’on lui a collée […]

[Je souligne]

Autrement dit, la « pratique actuelle » n’était pas simplement liée à une pratique existante de versement de l’indemnité de salissure pour le travail en question; elle était liée à une ancienne pratique de verser l’indemnité pour un travail effectué dans des conditions reconnues comme justifiant l’indemnité de travail salissant, soit parce que l’employeur avait classé le travail ainsi dans ces nombreuses directives ou ordonnances, soit parce qu’il était réellement « particulièrement salissant ou désagréable ». En effet, dans Fillis et Wile, l’arbitre de grief a rédigé au paragraphe 37 que, même sans faire référence à des « exemples passés », il aurait tout de même conclu que « […] les conditions dans lesquelles les employés en cause ont travaillé les 14 et 15 juillet 1983, sans être particulièrement salissantes, ont été particulièrement désagréables […] ».

82 En résumé, une analyse approfondie de la jurisprudence ne révèle pas que la « pratique actuelle » signifie qu’une ancienne pratique de verser l’indemnité de travail salissant pour un travail, une tâche ou des conditions de travail en particulier est, à elle seule, suffisante pour maintenir le versement d’une telle indemnité dans la « pratique actuelle ». L’ancienne pratique doit plutôt être liée à un ou deux des énoncés suivants :

  • Dans les directives ou les ordres permanents, le travail, la tâche ou les conditions de travail sont classifiés dans des catégories qui justifient le versement de l’indemnité de travail salissant;
  • le travail, la tâche ou les conditions de travail sont réellement « particulièrement salissants ou désagréables ».

83 D’autres décisions qui renvoient aux « trois modalités » de façon plutôt superficielle ne contredisent pas cette conclusion. Par exemple, dans Pyke, le grief concernant le travail d’un chaudronnier en cuivre, qui devait fusionner un amalgame de zinc, de plomb et d’autres métaux à des températures extrêmes (bien au-delà de 400 degrés Fahrenheit) et verser le métal liquide dans un moule pour qu’il refroidisse dans des conditions contrôlées. Une chaleur élevée était nécessaire, et des émanations nocives étaient produites à tout moment durant le processus. Historiquement, le temps passé à réaliser tous les aspects du processus avait été admissible à l’indemnité de travail salissant. Après que le processus a été déplacé dans un nouvel édifice plus grand, l’employeur a décidé que l’étape de refroidissement du processus ne justifiait plus l’indemnité de salissure, parce que l’aire de fusion était plus grande et mieux ventilée.

84 L’arbitre de grief dans Pyke a souligné au paragraphe 27 que « […] les parties considèrent la pratique antérieure comme un facteur important, déterminant et même décisif lorsqu’il s’agit de questions ayant trait à l’indemnité de travail salissant […] » Il a indiqué que « […] lorsqu’une pratique antérieure est établie, il incombe à la partie qui cherche à modifier une telle pratique de prouver qu’un changement important de circonstances s’est produit et que ce changement justifie la modification souhaitée ». L’arbitre de grief a conclu que l’employeur n’avait pas présenté assez d’éléments de preuve pour établir que le plus grand édifice ou que ce qu’il considérait comme une meilleure ventilation avait considérablement changé les conditions du processus de refroidissement et justifiait une indemnité de salissure pour cette partie du processus. Évidemment, le fait est que le simple fait de décrire les conditions de travail qui avaient par le passé justifié l’indemnité de travail salissant revient à reconnaître que les conditions étaient réellement particulièrement désagréables.

85 Cette affirmation s’applique aussi à Grandy et al. et Mosher, deux affaires mentionnées par l’avocat de l’agent négociateur appuyant son argument selon lequel son « ancienne pratique est la pratique actuelle ». Dans Grandy et al., le travail incluait le nettoyage, le graissage et le huilage des câbles du sonar, un travail qui me paraît « particulièrement salissant ou désagréable ».

86 Mosher concernait la fonte du plomb d’un « poisson SPV ». Une torche à l’embout très chaud était utilisée pour faire fondre le plomb, un processus qui produit une très forte odeur d’acide, des émanations et de la fumée. Les employés utilisaient des respirateurs, mais ceux-ci n’étaient pas suffisants pour absorber toutes les émanations. Les employés avaient des nausées et des maux de tête pendant le processus. Après 1984, les employés sont passés d’un vieil et petit immeuble à un nouvel immeuble plus grand, l’immeuble D200. L’employeur a déclaré que les conditions étaient meilleures dans l’immeuble D200 et que l’indemnité de salissure, qui avait été payée par le passé, n’était plus appropriée. Toutefois, l’un de ses témoins qui a adopté cette position a aussi admis à la page 4 que « […] “pour son bien-être”, il ne reste jamais dans la pièce pendant que l’on fait fondre le plomb […] ».

87 L’arbitre de grief dans Mosher, suivant Grandy et al., a établi que, s’il existait une pratique antérieure de verser l’indemnité de travail salissant pour une tâche en particulier, il incombait à l’employeur de montrer que les conditions avaient considérablement changé. L’employeur ne s’est pas acquitté de ce fardeau. De plus, « […] et abstraction faite de la question de la pratique antérieure, [l’arbitre de grief est] convaincu que le travail effectué par l’employé s’estimant lésé peut être qualifié de particulièrement désagréable ou salissant […] [page 8] ».

88 Andrews et al. est un autre exemple. Cette affaire concernait l’installation de plaques en fibre de verre formant l’enveloppe du NCSM Ojibwa. Cette tâche exigeait l’utilisation d’une perceuse pneumatique, qui soufflait des particules de fibre de verre qui ne pouvaient pas toutes être éliminées par le récupérateur de poussières. Les particules causaient des irritations de la peau. Le travail était effectué dans des espaces exigus contenant une grande quantité de saletés et de graisse. Par le passé, l’indemnité de salissure avait toujours été versée pour ce travail. L’employeur a allégué que, puisque les plaques de fibres de verre avaient été remises à neuf et étaient ainsi plus propres, la nature du travail avait changé. L’arbitre de grief a renvoyé à Crane, qui traitait des trois modalités selon lesquelles l’indemnité de salissure pouvait être versée. Il a souligné qu’il était « incontesté » que l’indemnité de salissure avait été versée pour ce type de travail par le passé. Il a poursuivi en affirmant au paragraphe 41 que « […] le perçage de trous dans les plaques de fibre de verre de l’enveloppe a effectivement créé des conditions particulièrement désagréables que n’ont pu éliminer les capteurs de fumées ni les bleus de travail jetables […] » De plus, il a ajouté au paragraphe 41 que « […] si effectivement l’enveloppe remise à neuf justifiait une dérogation à la pratique habituelle, ce changement représentait en soi une condition de travail nouvelle qui, [selon l’arbitre de grief], était particulièrement salissante ». Une fois de plus, le maintien de la « pratique actuelle » était lié à une tâche qui était réellement « particulièrement salissante ou désagréable ».

89 Cette analyse révèle que la référence à la « pratique actuelle » de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 renvoie à une pratique qui :

  • existait au moment où les conventions collectives de 2006 et 2008 sont entrées en vigueur;
  • était contenue ou décrite dans un document écrit qui, au moment où les conventions collectives de 2006 et 2008 sont entrées en vigueur, était connu sous le nom de l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18.

90 À mon avis, l’interprétation de la clause 23.01a) des conventions collectives de 2006 et 2008 qui est conforme à l’ensemble de son libellé et aux décisions d’arbitrage antérieures est en effet énoncée dans la clause 23.01c), et établit que l’indemnité de salissure est payable pour un travail :

  • décrit dans l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18 (Indemnité de travail salissant), ou
  • que l’employeur et l’agent négociateur jugent particulièrement salissant ou désagréable, ou
  • que l’arbitre de grief juge « particulièrement salissant ou désagréable ».

Autrement dit, en ce qui concerne la première option, la « pratique actuelle » qui est [traduction] « maintenue » en vertu de la clause 23.01a) est toute pratique, telle que décrite dans une directive écrite de l’employeur, qui existait au moment où les conventions collectives de 2006 et 2008 sont entrées en vigueur. Cette interprétation est conforme à Allen et al. Elle est aussi conforme avec – et explique – le changement entre la clause 24.01a) de la convention collective de 1973 et la clause 23.01a) de la convention collective de 1977. Allen et al. a décidé qu’il fallait examiner les directives écrites de l’employeur qui existaient au moment où la convention collective est entrée en vigueur pour interpréter et appliquer le maintien de la « pratique actuelle » découlant de la clause 24.01a) de la convention collective de 1973. Cette exigence a ensuite été expressément intégrée dans ce qui est devenu la clause 23.01a) de la convention collective de 1977 dont il est question dans Joudrey et Craib – exigence qui a été respectée dans la mesure où l’arbitre de grief a pris en considération ces directives écrites pour arriver à sa conclusion.

91 L’exigence selon laquelle la « pratique actuelle » qui est [traduction] « maintenue » en vertu de la clause 23.01a) est n’importe quelle pratique, telle que décrite dans une directive écrite de l’employeur, qui existait au moment où les conventions collectives de 2006 et 2008 sont entrées en vigueur est logique. Cape North est un grand site de travail très étendu qui comprend de nombreux gens de métier qui travaillent dans une grande variété de conditions dans le cadre de divers travaux et tâches. Le travail sur les navires, les sous-marins et les autres équipements militaires, ou pour eux, peut prendre plusieurs années. Il peut être – et il est – réalisé dans diverses conditions, dans les ateliers ou à bord des navires, en hiver comme en été. Une fois terminé, il est possible que le travail ne doive pas être répété pendant des mois ou des années. Le fait de se fier à la mémoire des employés pour déterminer si un travail, une tâche ou une condition de travail en particulier était conforme à la « pratique actuelle » sèmerait la confusion et la discorde. De plus, j’estime que le fait qu’un contremaître consente, possiblement à tort, à une pratique ou un paiement en particulier qui pourrait en réalité être contraire aux dispositions de la convention collective n’est pas suffisant pour limiter l’employeur (qui est, après tout, l’une des parties des conventions collectives de 2006 et 2008) à une interprétation ou à une application particulière d’une convention collective. Une exigence voulant que la « pratique actuelle » soit maintenue a été rédigée par l’employeur (dans un Règlement permanent ou un extrait d’un procès-verbal du Conseil du Trésor ou une directive) règle les deux problèmes. Elle assure une continuité et une certitude, et fait en sorte que l’employeur est au courant de ce qu’il a décidé de payer pour un travail « particulièrement salissant ou désagréable ».

92 Dans le présent cas, des éléments de preuve ont été présentés voulant que l’indemnité de salissure ait été versée aux monteurs qui se tenaient sur la jetée ou qui guidaient les batteries vers l’intérieur ou l’extérieur des sous-marins; toutefois, aucun élément de preuve n’a été produit établissant que ces tâches étaient décrites dans l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18 ou dans tout document similaire antérieur à cette ordonnance, comme le Manuel de gestion et de comptabilité ou les extraits de procès-verbaux du Conseil du Trésor mentionnés dans Allen et al. ou dans Joudrey et Craib. Il est vrai que certains éléments de preuve ont été présentés selon lesquels il existait, à un certain moment, une forme de livre ou de code concernant les tâches liées au retrait et à l’installation des batteries. Par exemple, M. Davidson a indiqué lors de son contre-interrogatoire que dans [traduction] « l’ancienne » Unité de radoub, [traduction] « l’indemnité de salissure était versée pour le travail lié aux batteries, mais ce n’est plus le cas ». Lors de son contre-interrogatoire, M. Lohnes a confirmé que, même si l’indemnité de salissure avait été payée depuis au moins 1978, à sa connaissance, il n’existait aucune entente écrite entre l’agent négociateur et l’employeur à cet effet. Il y a aussi la preuve présentée par le Capc Beaulieu voulant qu’on lui ait dit qu’il existait un livre quelque part, mais que celui-ci ne lui avait jamais été présenté. Cependant, j’estime qu’une telle preuve n’était pas assez claire ou solide pour répondre à l’exigence (qui, selon moi, est nécessaire) en vertu des clauses 23.01a) et c) des conventions collectives de 2006 et 2008, selon laquelle l’indemnité de salissure doit être versée si elle figurait dans l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18 (Indemnité de travail salissant) ou s’il existait une entente entre l’employeur et l’agent négociateur.

93 En qui ce qui a trait à la troisième possibilité, il est clair – et c’est ma conclusion – que ces tâches ne sont ni particulièrement salissantes ni particulièrement désagréables.

94 Par conséquent, le grief des monteurs est rejeté.

B. Griefs des meuleurs

95 Comme il a été souligné, l’Ordonnance administrative du personnel civil 6.18 n’a pas été présentée en preuve devant moi. De plus, l’employeur et l’agent négociateur n’ont conclu aucune entente de versement de l’indemnité de salissure pour le travail en question. Par conséquent, je dois déterminer, en vertu de la clause 23.01c) des conventions collectives de 2006 et 2008, si le travail était « particulièrement salissant ou désagréable ».

96 Je commencerai par faire quelques observations. Le meulage du métal fait partie du travail des meuleurs. Il faut s’attendre à être exposé à des étincelles, de la poussière et des émanations lors du meulage; ainsi, ces conditions ne peuvent pas être considérées comme étant particulièrement salissantes ou désagréables (même si, de l’extérieur, elles peuvent sembler salissantes ou désagréables) : voir Kennedy, paragraphes 41‑42, et Crane, paragraphes 32‑33.

97 À mon avis et selon les éléments de preuve présentés, le fait que les meuleurs pouvaient porter des vêtements protecteurs, un écran facial ou des respirateurs lors du meulage ne fait pas en sorte que le travail est pire que celui auquel on s’attend normalement des meuleurs lors du meulage du métal : voir Kennedy, paragraphes 43‑44.

98 Essentiellement, les éléments suivants auraient fait en sorte que le travail sur les boucliers du Bison sorte de l’ordinaire :

  • les meuleurs travaillaient très près les uns des autres, s’exposant ainsi à la poussière et aux étincelles des autres;
  • les meuleurs ont passé une période extraordinaire à meuler, ce qui les a exposés à une quantité excessive de poussière, de saletés et d’émanations, et les a épuisés physiquement.

99 Selon les éléments de preuve, l’employeur semble s’être entendu avec l’agent négociateur pour le travail réalisé du 1er mai au 13 mai 2007. Cependant, l’employeur a arrêté de verser l’indemnité de salissure le 14 mai, parce qu’il avait amélioré les conditions de travail, qui ne pouvaient plus être considérées comme « particulièrement salissantes ou désagréables ».

100 La jurisprudence concernant les dispositions qui ont ouvert la voie à la clause 23.01 des conventions collectives de 2006 et 2008 indique clairement que les tâches ou les conditions de travail qui pourraient initialement être considérées comme « particulièrement salissantes ou désagréables » peuvent être, en réalité, seulement salissantes ou désagréables (ou pas salissante ni désagréable du tout) en raison des mesures prises par l’employeur. Cela découle du contenu de la clause 23.01d), qui existe depuis au moins 1973 et qui exige la consultation entre le superviseur et le délégué syndical « […] en vue de résoudre immédiatement les conflits concernant le travail salissant […] », ainsi que de la jurisprudence qui l’a examinée. Dans Cameron et Ross, l’arbitre de grief a affirmé aux pages 24 et 25 que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient « […] l’obligation de signaler les conditions qu’ils affirment ou croient avoir été particulièrement salissantes pendant la période en cause, de manière à permettre à l’employeur de remédier à la situation ou d’établir le facteur approprié de l’indemnité de travail salissant […] [je souligne] » : voir aussi Spence et Williams, tel que cité et approuvé dans Primeau, à la page 11. Selon moi, c’est ce qui s’est passé dans le présent cas. Les mesures correctives prises par l’employeur étaient les suivantes :

  • faire en sorte que les étincelles et la poussière n’atteignent pas les espaces de travail des autres meuleurs;
  • améliorer la ventilation;
  • permettre un nettoyage plus fréquent du lieu de travail;
  • permettre aux meuleurs de prendre des pauses ou une douche quand ils le souhaitent.

101 À mon avis, les mesures prises par l’employeur dans le présent cas étaient suffisantes pour faire des conditions de travail des meuleurs ce qu’on pourrait appeler des conditions de travail normales. Je crois que le fait de permettre aux meuleurs de prendre des pauses ou une douche quand ils le souhaitaient était particulièrement important, étant donné que l’un des principaux arguments de l’avocat de l’agent négociateur était que les meuleurs devaient passer une période de temps excessive à réaliser un travail qui faisait normalement partie de leurs tâches. De plus, puisqu’au moins un des meuleurs a décidé de travailler vêtu d’un t-shirt et de pantalons arc flash de nylon, il est très difficile de s’imaginer comment de telles conditions pouvaient être décrites comme « particulièrement salissantes et désagréables ».

102 Selon moi, le fait que l’indemnité de salissure pourrait avoir été versée pour le travail de meulage effectué à bord des navires n’aide pas l’agent négociateur. Toute situation – toute condition de travail – est différente. Le bâtiment D200 de type hangar dans lequel le travail de meulage était effectué est loin d’être aussi exigu et mal ventilé que les espaces à bord d’un navire : voir Kennedy, paragraphe 45. Il incombait à l’agent négociateur d’établir que le travail qu’effectuaient les meuleurs dans le bâtiment, pas à bord du navire, était « particulièrement salissant ou désagréable ». Il n’a pas réussi.

103 Étant donné que l’agent négociateur n’a pas réussi à établir que le travail des meuleurs ou les conditions dans lesquelles ils effectuaient leur travail étaient particulièrement salissantes ou désagréables durant la période en question, je dois aussi rejeter le grief des meuleurs.

104 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

105 Les griefs sont rejetés.

Le 5 octobre 2012.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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