Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les griefs portaient sur le refus de l’employeur de verser les indemnités prévues à la Directive sur les voyages pendant les essais en mer des fonctionnaires s’estimant lésés - les fonctionnaires s'estimant lésés travaillaient surtout sur des navires à quai dans les chantiers maritimes, mais parfois ils travaillaient sur des vaisseaux et des sous-marins lors d’essais en mer - la Directive sur les voyages s’applique lorsque << [...] un fonctionnaire est assigné d’un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire pour une durée de moins de 30 jours civils consécutifs [...] >> - l’arbitre de grief a conclu que le chantier maritime était le lieu de travail permanent des fonctionnaires s’estimant lésés et que, lorsqu’ils procèdent à des essais en mer à l’extérieur et ailleurs qu’au chantier naval, le navire devient leur lieu de travail temporaire - dans ce contexte, la Directive sur les voyages s’applique aux essais en mer et les fonctionnaires s’estimant lésés avaient droit aux indemnités prévues par celle-ci. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-10-26
  • Dossier:  566-02-6276 à 6280
  • Référence:  2012 CRTFP 117

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CRAIG BAIRD, JOHN FLOYD ET DONALD WEBSTER

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

employeur

Répertorié
Baird et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
James Shield, avocat

Pour l'employeur:
Richard Fader, avocat

Affaire entendue à Halifax (Nouvelle-Écosse),
le 25 septembre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Entre le mois de mai 2010 et le mois de février 2011, Craig Baird, John Floyd et Donald Webster, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») ont présenté des griefs contestant l’application de la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (le « CNM ») (la « Directive sur les voyages ») par le ministère de la Défense nationale (l’« employeur »). Ils ont aussi contesté l’application des dispositions de leur convention collective portant sur les essais en mer. Selon l’employeur, la Directive sur les voyages ne s’applique pas lorsque les fonctionnaires sont affectés aux essais en mer. Selon les fonctionnaires, la Directive sur les voyages s’applique dans ces situations. La convention collective est celle conclue entre le Conseil du Trésor et la section locale 2228 de la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (l’« agent négociateur »), visant l’unité de négociation du groupe Électronique (EL), et venant à échéance le 31 août 2010 (la « convention collective »).

2 Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits; cet exposé a été complété par des explications fournies de part et d’autre par les parties.

3 Le 23 avril 2010, M. Webster a demandé à son superviseur d’approuver un formulaire d’autorisation de voyager en vue des essais en mer prévus les 29 et 30 avril 2010. Sa demande a été refusée. M. Webster s’était déjà vu refuser des demandes semblables relativement à des essais en mer qui devaient avoir lieu le 5 juillet 2010 et du 1er au 3 février 2011. M. Baird s’était vu refuser des demandes semblables relativement à des essais en mer prévus le 7 juillet 2010. M. Floyd s’était également vu refuser des demandes semblables relativement à des essais en mer prévus du 25 au 27 janvier 2011. Un grief a été présenté pour contester chacun de ces refus. L’employeur a rejeté les griefs au motif que les fonctionnaires n’étaient pas en déplacement aux dates pertinentes et qu’il y avait lieu d’appliquer les dispositions de l’article 32 de la convention collective. Les griefs ont alors été renvoyés au Comité exécutif du CNM, lequel n’a pu arriver à un accord au sujet des griefs.

4 La question en litige n’est pas tant la manière dont les formulaires d’autorisation de voyager ont été remplis que le droit de ces fonctionnaires aux diverses indemnités prévues à la Directive sur les voyages. Puisque l’employeur fournit déjà les repas et l’hébergement pendant les essais en mer, les fonctionnaires réclament les indemnités de faux frais ainsi que les protections prévues aux parties II et V de la Directive sur les voyages. La partie II traite des protections d’assurances et de l’indemnisation si un fonctionnaire tombe malade, est blessé ou décède pendant qu’il est en déplacement. La partie V se rapporte aux frais en cas d’urgence, de maladie, d’accident ou de décès alors que le fonctionnaire est en déplacement.

5 Au moment du dépôt de leurs griefs, les fonctionnaires travaillaient à titre de technologues en surveillance et en guerre électronique à l’Installation de maintenance de la Flotte Cape Scott (IMFCS), à Halifax. Leurs fonctions consistaient à fournir des conseils techniques, de l’expertise et des services de calibration, de développement, d’installation et de maintenance des systèmes électroniques de combat naval des navires, des sous-marins, des navires auxiliaires et des établissements à terre. La plupart du temps, ils exerçaient leurs fonctions au chantier maritime, alors que les navires sont à quai. Toutefois, ils étaient aussi souvent appelés à se rendre à bord des vaisseaux de guerre afin d’effectuer leur travail. Selon leur description de travail, 20 pour cent de leur temps de travail était passé à bord de navires ou de sous-marins, une partie de ce temps étant consacrée aux essais en mer.

6 Les essais en mer constituent une étape nécessaire afin de mettre à l’épreuve et de vérifier les systèmes électroniques de combat naval en mer. Les essais durent en moyenne entre deux et quatre jours, et ont lieu en mer à différentes distances du chantier maritime, à l’extérieur des limites du port. Lorsqu’un fonctionnaire est affecté à des essais en mer pour une période de plus d’une journée, il est évident qu’il ne peut rentrer à la maison le soir venu. 

7 Il convient d’étudier de plus près les clauses suivantes de la convention collective afin de disposer de ces griefs :

[…]

ARTICLE 20

ENTENTES DU CONSEIL NATIONAL MIXTE

[…]

20.03 Font partie intégrante de la présente convention collective : les directives, politiques et règlements suivants, tels que modifiés, le cas échéant, sur recommandation du Conseil national mixte et approuvés par le Conseil du Trésor du Canada :

[…]

(10) Directive sur les voyages

[…]

ARTICLE 27

DÉPLACEMENT

27.01 Le présent article ne s'applique pas à l'employé-e dans le cas d'un déplacement résultant d'une mutation ou d'une affectation qui est assujettie à la politique sur la réinstallation.

27.02 Les employé-e-s en situation de déplacement sont remboursés de toute dépense raisonnable, conformément à la présente politique sur les voyages.

[…]

ARTICLE 31

SERVICE EN MER

31.01 À l'exception des employé-e-s du ministère de la Défense nationale assujetti-e-s à l'article 32, Indemnité d'essais en mer, tout employé-e affecté-e à un travail à bord d'un navire touche une prime de service en mer de dix-neuf dollars (19 $) pour chaque nuit passée en mer.

31.02 À l'exception des employé-e-s du ministère de la Défense nationale assujetti-e-s à l'article 32, Indemnité d'essais en mer, tout employé-e affecté à un travail à bord d'un navire touche, en plus de la prime prévue au paragraphe 31.01 ci-dessus, une prime de service en mer de vingt-cinq dollars (25 $) pour chaque nuit passée en mer après quarante-quatre (44) nuits consécutives en mer.

[…]

ARTICLE 32

INDEMNITÉ D’ESSAIS EN MER

32.01

  1. Lorsque l'employé-e est tenu-e d'être à bord d'un sous-marin pendant des essais dans les conditions suivantes :
    1. il ou elle est dans un sous-marin fermé qui est amarré à un quai ou dans un port, en surface ou submergé, c'est-à-dire lorsque la coque pressurisée est fermée hermétiquement et subit des essais tels que les essais à vide, les essais sous haute pression, les essais avec schnorchel, les essais de ventilation de la batterie ou les autres essais déjà reconnus, ou le sous-marin est gréé pour plonger;

      ou
    2. il ou elle est à bord d'un sous-marin lorsque celui-ci évolue en surface ou est submergé en dehors des limites d'un port;

      ou
  2. lorsque l'employé-e est tenu-e de se rendre en mer en dehors des limites d'un port à bord d'un vaisseau de guerre canadien, d'un bâtiment auxiliaire ou d'un bâtiment de port afin d'effectuer des essais, de réparer des défauts ou de déverser des munitions;

    ou
  3. lorsque l'employé-e est tenu-e d'exécuter, dans un lieu de travail sur terre, des travaux visant à appuyer directement un essai en mer;

il ou elle est rémunéré-e conformément au paragraphe 32.03.

32.02 Le paragraphe 23.13 (Dérogation) s'applique uniquement à partir du moment où prend fin l'essai en mer.

32.03

  1. L'employé-e est rémunéré-e au taux des heures normales pour toutes les heures prévues à son horaire de travail et pour toutes les heures non travaillées à bord du navire ou au lieu de travail sur terre.
  2. L'employé-e touche une fois et demie (1 1/2) son taux horaire normal pour toutes les heures travaillées en sus de son horaire normal de travail jusqu'à ce qu'il ou elle ait travaillé douze (12) heures.
  3. Après cette période de travail, l'employé-e touche le double (2) de son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de douze (12) heures.
  4. Après cette période de travail, l'employé-e touche trois (3) fois son taux horaire normal pour toutes les heures effectuées en sus de seize (16) heures.
  5. L'employé-e qui a droit au taux triple (3) prévu à l'alinéa d) précédent continue d'être rémunéré-e à ce taux pour toutes les heures travaillées jusqu'à ce qu'il se voit accorder une période de repos d'au moins dix (10) heures consécutives.
  6. À son retour de l'essai en mer, l'employé-e ayant droit à la rémunération prévue à l'alinéa 32.03d) n'est pas tenu-e de se présenter au travail pour son poste d'horaire normal tant qu'une période de dix (10) heures ne s'est pas écoulée depuis la fin de la période de travail qui a dépassé quinze (15) heures.

32.04 En outre, l'employé-e touche une indemnité d'essai de sous-marin équivalant à vingt-cinq pour cent (25 %) de son taux horaire de base pour chaque demi-heure (1/2) pendant laquelle il ou elle est tenu-e d'être présent-e dans un sous-marin pendant les essais, selon les conditions stipulées au à l'alinéa 32.01a).

[…]

ARTICLE 36

LIEU DE TRAVAIL ASSIGNÉ

36.01 Tout employé-e se verra assigner un lieu d'affectation permanent qui constitue son lieu de travail. Ce lieu est l'endroit où l'employé-e prend son service, commence et finit sa journée de travail.

36.02 Lorsque le lieu d'affectation permanent d'un employé‑e change, l'Employeur donne un préavis par écrit d'au moins (1) un mois du changement à venir.

ARTICLE 37

AFFECTATION TEMPORAIRE

37.01 Lorsqu'un employé-e est affecté-e à des fonctions en un lieu situé en dehors de la région de son lieu d'affectation, il ou elle est considéré-e comme étant en affectation temporaire jusqu'à ce qu'il ou elle retourne dans la région de son lieu d'affectation ou jusqu'à ce qu'il ou elle soit affecté-e en permanence dans une autre région de lieu d'affectation. Un employé-e en position d'affectation temporaire a droit au remboursement de toute dépense raisonnable en conformité avec le paragraphe 27.02.

[…]

37.05 Tout employé-e qui est affecté-e à un navire de l'Employeur afin surtout d'effectuer l'entretien, sur une base permanente en mer, du matériel électronique du navire, doit voir ce navire considéré comme son lieu de travail pour la durée de cette affectation provisoire.

37.06 Tout employé-e qui est affecté-e à un navire de l'Employeur afin d'apporter son concours dans le domaine scientifique et/ou de la recherche, ou encore pour faire fonctionner du matériel électronique à bord de ce navire, doit voir le navire en question considéré comme son lieu de travail pour la durée de cette affectation provisoire.

[…]

ARTICLE 43

FORMATION

[…]

Formation en dehors

[…]

43.04 Frais

  1. Les frais engagés par l'employé-e pour le logement, les repas et les dépenses diverses pour assister aux cours de formation lui sont remboursés en conformité avec la politique sur les voyages du Conseil du Trésor.

[…]

8 Il convient également d’examiner plusieurs clauses de la Directive sur les voyages afin de pouvoir trancher ces griefs. Je ne vois pas la nécessité de reproduire ici la partie II et la partie V de la Directive, bien que les parties m’y aient renvoyé. Il m’apparaît toutefois utile de reproduire ci-après les clauses suivantes :

[…]

Généralités

[…]

Objet et portée

La présente directive a pour objet de garantir un traitement juste aux fonctionnaires appelés à effectuer des voyages en service commandé conformément aux principes susmentionnés. Les dispositions de la présente directive sont impératives et prévoient le remboursement de dépenses raisonnables qui ont dû être engagées pendant un voyage en service commandé. Ces dispositions font en sorte que les fonctionnaires n'ont pas à engager des frais supplémentaires. Elles ne doivent pas constituer une source de revenu ni de rémunération quelconque, lesquels ouvriraient la voie au gain personnel.

[…]

Définitions

[…]

Zone d’affectation (headquarters area) - aux fins de la présente directive, région qui s'étend sur 16 kilomètres du lieu de travail assigné en empruntant la route terrestre la plus directe, sûre et praticable.

[…]

Faux frais (incidental expense allowance)

Canada et États continentaux des États-Unis  (Canada and continental U.S.A.) – indemnité servant à couvrir les frais qui peuvent être attribués à un voyage et à l'égard desquels la présente directive ne prévoit aucun autre type de remboursement ou d'indemnité et pouvant compenser pour les dépenses engagées en raison du déplacement. Il s'agit, mais non de façon limitative, des dépenses telles les pourboires, le blanchissage, le nettoyage à sec, les appels téléphoniques, la tonte de pelouse, le déneigement, les rondes de sécurité au domicile, l'arrosage des plantes, les services postaux, le soin aux animaux de compagnie, les branchements et les services de télécommunications, et l'envoi de certains effets personnels. (révisé le 15 janvier 2009)

[…]

Déplacement (travel status) - a lieu quand un fonctionnaire ou un voyageur effectue un voyage en service commandé autorisé.

[…]

Lieu de travail (workplace)

Permanent/Régulier (permanent/regular) - endroit permanent unique déterminé par l'employeur où un fonctionnaire exerce habituellement les fonctions de son poste ou d'où il relève.

Temporaire (temporary) - endroit unique où un fonctionnaire exerce temporairement les fonctions de son poste ou d'où il relève dans la zone d'affectation.

[…]

Partie I – Administration

[…]

1.9 Changement du lieu de travail (ne s’applique que dans la zone d’affectation)

1.9.1 Lorsqu'un fonctionnaire est assigné d'un lieu de travail permanent à un lieu de travail temporaire pour une durée de moins de 30 jours civils consécutifs, les dispositions de la présente directive doivent être suivies.

[…]

Partie III – Modules sur les voyages

3.1 Module 1 – Voyages dans la zone d’affectation

[…]

3.1.7 Indemnité de faux frais

Le voyageur qui voyage en service commandé pendant un séjour avec nuitée a droit au remboursement de faux frais pour des dépenses diverses non prévues ailleurs dans la présente directive pour chaque journée ou partie de journée passée en déplacement tel qu'il est énoncé à l'Appendice C ou D, selon le cas.

[…]

3.2 Module 2 – Voyages hors de la zone d’affectation – sans nuitée 

[…]

3.2.7 Indemnité de faux frais

Sans objet pour ce module.

[…]

3.3 Module 3 – Voyages au Canada et dans les États continentaux des États-Unis – avec nuitée

[…]

3.3.7 Indemnité de faux frais

Le voyageur touche une indemnité de faux frais pour les dépenses diverses non précisées ailleurs dans la présente directive pour chaque jour ou partie de jour passé en déplacement tel qu'il est énoncé à l'Appendice C.

[…]

[Les passages en caractère gras le sont dans l’original]

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

9 Les fonctionnaires avaient le droit de se prévaloir de la Directive sur les voyages lors de leurs affectations aux essais en mer. L’employeur a contrevenu à la convention collective en refusant aux fonctionnaires les avantages prévus à la Directive sur les voyages et en supposant qu’ils n’avaient droit qu’aux avantages prévus à l’article 32 de la convention collective, lequel ne traite pas des frais, mais plutôt des modalités régissant la rémunération et les heures supplémentaires. De plus, l’article 32 n’exclut pas le remboursement des frais aux fonctionnaires affectés aux essais en mer.

10 Selon la clause 36.01 de la convention collective, le lieu d’affectation permanent des fonctionnaires est l’IMFCS, à Halifax. C’est à cet endroit que leur journée de travail commence et se termine habituellement. Lorsqu’ils sont affectés aux essais en mer, les fonctionnaires ne travaillent pas dans leur zone d’affectation et doivent alors, en vertu de la clause 37.01 de la convention collective, être considérés comme étant en affectation temporaire. Selon cette même clause, toute dépense raisonnable devrait être remboursée aux termes de la clause 27.02 de la convention collective et de la Directive sur les voyages. Par ailleurs, aucune disposition de la clause 37.01, de la clause 27.01 ou de l’article 32 ne stipule que la Directive sur les voyages ne s’applique pas aux fonctionnaires affectés aux essais en mer.

11 La Directive sur les voyages établit également une distinction entre un lieu de travail régulier et un lieu de travail temporaire. Le lieu de travail régulier est l’endroit où le fonctionnaire exerce habituellement les fonctions de son poste, alors que le lieu de travail temporaire est l’endroit où le fonctionnaire exerce temporairement les fonctions de son poste. En l’espèce, le lieu de travail régulier des fonctionnaires est l’IMFCS, à Halifax, alors que leur lieu de travail temporaire est à bord d’un vaisseau de guerre, en mer. En vertu de la clause 1.9.1 de la Directive sur les voyages, celle-ci s’applique lorsqu'un fonctionnaire est assigné d'un lieu de travail régulier à un lieu de travail temporaire.

B. Pour l’employeur

12 La Directive sur les voyages ne s’applique pas aux fonctionnaires affectés aux essais en mer parce qu’ils ne sont pas en déplacement. Ils sont toujours affectés à bord d’un navire, que ce navire soit à quai ou en train d’effectuer des essais en mer. Le navire est considéré comme étant leur lieu de travail, et les tâches auxquelles ils sont affectés lorsqu’à bord d’un navire font partie de leurs fonctions principales qu’ils exercent de façon continue. L’article 32 de la convention collective traite de la rémunération liée aux essais en mer, et ne prévoit rien sur le plan des frais de déplacement. Si l’agent négociateur et le Conseil du Trésor avaient voulu que les frais de déplacement soient remboursés lors d’essais en mer, un renvoi à la clause 27.02 de la convention collective ou à la Directive sur les voyages aurait été fait à cet égard dans le libellé de l’article 32.

13 La Directive sur les voyages et la convention collective doivent être lus comme un tout afin de saisir l’intention véritable de l’agent négociateur et du Conseil du Trésor. La convention collective renvoie d’ailleurs à la Directive sur les voyages lorsqu’elle prévoit que cette dernière s’applique, tel qu’il appert aux clauses 37.01 et 43.04 de la convention collective.

14 Subsidiairement et tel qu’il est défini dans la Directive sur les voyages, l’employeur a fait valoir qu’un fonctionnaire se trouve dans sa zone d’affectation lorsqu’il travaille à bord d’un navire, puisqu’il n’est pas à plus de 16 km de son lieu de travail assigné. De plus, selon la clause 37.05 de la convention collective, le navire est considéré comme étant le lieu de travail des fonctionnaires qui y effectuent l’entretien du matériel électronique. Tous les modules (3.1, 3.2 et 3.3) de la Directive sur les voyages sont fondés sur la prémisse voulant que les fonctionnaires soient ailleurs qu’à leur lieu de travail. Par conséquent, les fonctionnaires ne sont pas en situation de déplacement pendant qu’ils sont affectés aux essais en mer, et n’ont donc pas droit aux remboursements prévus à la Directive sur les voyages.

15 L’employeur a également invoqué le principe de la préclusion afin d’éviter que les fonctionnaires affirment être en déplacement ou, à tout le moins, pour les empêcher de prétendre que le principe d’abus de pouvoir devrait s’appliquer en l’espèce puisqu’un conseil d’arbitrage a statué sur cette question dans une décision arbitrale rendue le 25 juillet 2012 relativement à l’unité de négociation du groupe EL (dossier de la CRTFP 585-02-37). Les paragraphes 67 et 68 de cette décision se lisent comme suit :

Article 32 – Indemnité d’essais en mer

(67) L’employeur propose d’apporter des modifications à l’article 32 afin d’en clarifier l’objet. L’employeur explique que lorsqu’un employé est à bord d’un navire ou d’un vaisseau, il ne devrait plus être considéré comme étant en déplacement pour avoir droit au remboursement des dépenses jugées raisonnables aux termes de la Directive sur les voyages.

(68) Le conseil d’arbitrage décide que la clause 32.02 de l’ancienne convention collective sera remplacée, dans la nouvelle convention collective, par le libellé suivant :

[Traduction]

32.02 Lorsque l’employé-e est en mer aux termes de la clause 32.01, il ou elle est considéré comme étant à son lieu de travail, et non en déplacement.

Le reste de l’article 32 sera renouvelé sans modification, à l’exception des changements à apporter à la numérotation pour tenir compte de l’inclusion de la nouvelle clause 32.02.

[Le passage en caractères gras l’est dans l’original]

Sur ce point particulier, l’employeur m’a renvoyé à Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63.

III. Motifs

16 La question à trancher est la suivante : est-ce que les fonctionnaires sont en déplacement lorsqu’ils sont affectés aux essais en mer. Dans l’affirmative, ils ont droit au remboursement de leurs dépenses en vertu de la Directive sur les voyages. En particulier, ils auraient droit au remboursement de leurs faux frais et aux avantages prévus à la partie II et à la partie V de la Directive sur les voyages, soit la protection d’assurances, des indemnités et le remboursement des dépenses en cas de maladie, d’accident ou de décès.

17 En vertu de la clause 20.03 de la convention collective, la Directive sur les voyages fait partie intégrante de la convention collective. Par ailleurs, en vertu de la clause 27.02 de la convention collective, les fonctionnaires en déplacement sont remboursés de toute dépense raisonnable, conformément à la Directive sur les voyages. Partant, les deux documents doivent être interprétés en tenant compte des dispositions de l’un et de l’autre.

18 La Directive sur les voyages « […] a pour objet de garantir un traitement juste aux fonctionnaires appelés à effectuer des voyages en service commandé […] ». On n’y retrouve toutefois pas de définition précise de l’expression « en déplacement ». Toutefois, il est mentionné qu’un déplacement « […] a lieu quand un fonctionnaire […] effectue un voyage en service commandé autorisé ». Par ailleurs, l’article 1.9.1 prévoit que les dispositions de la Directive sur les voyages s’appliquent aux fonctionnaires assignés à un lieu de travail temporaire. La Directive sur les voyages définit un lieu de travail temporaire comme étant « […] un endroit unique où un fonctionnaire exerce temporairement les fonctions de son poste […] » à l’intérieur de sa zone d’affectation, soit à 16 km ou moins de son lieu de travail assigné. La Directive sur les voyages définit un lieu de travail permanent ou régulier comme étant « […] un endroit permanent unique […] où un fonctionnaire exerce habituellement les fonctions de son poste ou d'où il relève ». La partie III de la Directive sur les voyages précise les dépenses pouvant être remboursées quand un fonctionnaire effectue un voyage en service commandé ailleurs qu’à son lieu de travail.

19 En me fondant sur les faits en l’espèce et sur le libellé de la Directive sur les voyages, il m’apparaît clairement que le lieu de travail régulier des fonctionnaires est l’IMFCS à Halifax. La plupart du temps, les fonctionnaires exercent leurs fonctions au chantier maritime ou à bord des navires qui y sont à quai. Il s’agit bien là de leur lieu de travail permanent ou régulier au sens de la Directive sur les voyages. À l’occasion, à une fréquence qui n’a pas été précisée durant l’audience, les fonctionnaires sont appelés à travailler à bord d’un navire en dehors du chantier maritime, donc ailleurs qu’à l’IMFCS, afin d’effectuer des essais en mer. Ce navire, à l’endroit où il se trouve en mer, constitue alors leur lieu de travail temporaire, situé géographiquement ou physiquement ailleurs qu’à l’endroit où se trouve leur lieu de travail régulier. Lors d’essais en mer de plus d’une journée ils ne se trouvent pas à leur lieu de travail, à un tel point qu’ils ne peuvent pas rentrer chez eux le soir venu. Étant donné qu’ils travaillent alors dans un lieu de travail temporaire, la Directive sur les voyages s’applique, selon l’article 1.9.1 de ladite directive.

20 Je ne souscris pas à l’argument de l’employeur voulant que les fonctionnaires ne soient pas en déplacement lorsqu’ils sont affectés aux essais en mer. Ils sont effectivement en déplacement, et ils sont ailleurs qu’à leur lieu de travail régulier. Toutefois, ils sont en déplacement à bord du navire auquel ils sont affectés pour effectuer leur travail, et non dans leur propre voiture ou en empruntant un moyen de transport public. En fait, ils se déplacent à bord de leur lieu de travail temporaire, ailleurs qu’à leur domicile et en-dehors de leur lieu de travail permanent. L’article 37 de la convention collective traite de la question des affectations temporaires, la clause 37.01 de la convention collective vise clairement les avantages prévus à la Directive sur les voyages. 

21  Je ne puis non plus souscrire à l’argument de l’employeur voulant qu’il n’y ait pas lieu de rembourser les frais de déplacement aux fonctionnaires affectés à des essais en mer, au prétexte que l’article 32 de la convention collective, qui traite de la rémunération liée aux essais en mer, ne renvoie pas aux frais de déplacement. L’article 32 ne traite pas des frais, mais plutôt de la rémunération particulière devant être versée relativement aux heures de travail effectuées à l’occasion d’essais en mer. Il accorde en outre aux fonctionnaires une période de repos avant le retour au travail après une affectation aux essais en mer. Il prévoit également une prime pour le travail effectué à bord d’un sous-marin. Bref, il institue un régime de rémunération particulier adapté aux essais en mer. Étant donné que les fonctionnaires travaillent dans un lieu de travail temporaire pendant qu’ils sont affectés à des essais en mer, et considérant le libellé de la Directive sur les voyages, il n’est pas nécessaire que l’article 32 de la convention collective stipule que la Directive sur les voyages s’applique. L’inverse est plutôt vrai. Effectivement, pour en exclure l’application, il faudrait un énoncé particulier à cet effet.

22 L’employeur a également invoqué le principe de la préclusion pour s’opposer à ce que les fonctionnaires puissent demander, à l’arbitrage, le remboursement de leurs frais de déplacement pendant qu’ils sont affectés à des essais en mer, au motif que cette question a déjà été tranchée par un conseil d’arbitrage en juillet 2012. Je ne suis pas d’accord. Le conseil d’arbitrage a été invité à modifier l’article 32 de la convention collective, ce qu’il a fait. Il a modifié l’article existant, de manière à prévoir qu’à l’avenir, les fonctionnaires affectés aux essais en mer ne soient pas considérés comme étant en déplacement. Le conseil d’arbitrage a apporté cette modification afin de résoudre une impasse à la table de négociation à ce sujet, sans motiver plus avant sa décision à cet égard, cela étant la pratique habituelle lors d’une décision arbitrale. Je ne puis conclure que le conseil d’arbitrage a rendu sa décision au motif qu’il a conclu que le libellé de l’article 32 empêchait le remboursement des frais de déplacement. De plus, un conseil d’arbitrage n’est pas habilité à interpréter les conditions d’emploi, mais plutôt à décider quelles conditions d’emploi s’appliquent aux fonctionnaires faisant partie d’une unité de négociation lorsque l’agent négociateur et l’employeur sont incapables de s’entendre à ce sujet.  

23 L’employeur a soutenu que la convention collective renvoie à la Directive sur les voyages lorsque cette dernière doit s’appliquer, tel qu’il appert aux clauses 37.01 et 43.04 de la convention collective. Selon l’employeur, puisque la Directive sur les voyages n’est pas mentionnée à l’article 32 de la convention collective, les fonctionnaires ne seraient pas en déplacement lorsqu’ils sont affectés aux essais en mer. Je ne souscris pas à cet argument. La clause 37.01 de la convention collective prévoit spécifiquement que les fonctionnaires en affectation temporaire ont droit aux avantages prévus à la Directive sur les voyages et cet article s’applique directement aux griefs en l’instance. Cet article s’inscrit d’ailleurs dans la perspective de la clause 27.02 de la convention collective et aussi de la Directive sur les voyages. Par ailleurs, la clause 43.04 de la convention collective traite de la question des frais de déplacement dans le contexte d’une formation qui ne se déroule pas au lieu d’affectation. Les fonctionnaires n’étaient pas en formation durant leurs affectations aux essais en mer; partant, la clause 43.04 ne s’applique pas à leurs griefs. En somme, pour écarter l’application de la Directive sur les voyages, il faudrait un énoncé particulier à cet effet dans le libellé de la clause 37.01 de la convention collective.

24 Contrairement à ce que prétend l’employeur dans son argumentation, les clauses 37.05 et 37.06 de la convention collective n’empêchent en rien l’application de la Directive sur les voyages. Il ressort des faits présentés par les parties que les fonctions principales des  fonctionnaires ne consistaient pas à être affectés à un navire pour y effectuer surtout de l’entretien de façon continue pendant que le navire était en mer. La plupart du temps, les fonctionnaires ne travaillent pas en mer. Ils ne sont pas non plus affectés à un navire à des fins de recherche ou pour y faire fonctionner le matériel électronique, contrairement à ce qui est prévu à la clause 37.06. Et même si les parties convenaient que les clauses 37.05 ou 37.06 s’appliquent au travail effectué par les fonctionnaires pendant leur affectation aux essais en mer, il n’en demeure pas moins que ces affectations sont des affectations temporaires à un lieu de travail temporaire. Dans de tels cas, la clause 37.01 de la convention collective s’applique.

25 Par ailleurs, aucune disposition de la convention collective ne prévoit que la Directive sur les voyages ne s’applique pas au travail effectué lors des essais en mer. J’ai conclu tantôt que les fonctionnaires étaient en déplacement pendant leur affectation aux essais en mer. Par conséquent, l’employeur a contrevenu à la convention collective ainsi qu’à la Directive sur les voyages en décidant que les fonctionnaires n’étaient pas en déplacement lorsqu’ils effectuaient des essais en mer. Ils étaient alors en déplacement et assujettis à la Directive sur les voyages.

26 Tel qu’il a été mentionné précédemment, l’employeur fournissait les repas et l’hébergement aux fonctionnaires durant les essais en mer. Les avantages prévus aux parties II et V de la Directive sur les voyages n’ont aucune incidence sur la situation des fonctionnaires car, fort heureusement, aucun événement pouvant donner lieu à des demandes à cet égard ne s’est produit au cours de leurs essais en mer. Dans les circonstances propres aux griefs en l’instance, les fonctionnaires ont droit uniquement au remboursement des faux frais pour les journées pendant lesquelles ils étaient affectés aux essais en mer, dans la mesure de ce qui est prévu à cet égard dans la Directive sur les voyages.

27 Enfin, on pourrait prétendre que certains des faux frais évoqués aux clauses 3.1.7 et 3.3.7 de la Directive sur les voyages n’ont pas été encourus pendant leur affectation en mer, notamment les pourboires, le blanchissage, le nettoyage à sec et les appels téléphoniques. Par contre, d’autres frais, par exemple les frais encourus pour la tonte du gazon, l’enlèvement de la neige, la vérification de la sécurité de la résidence, l’arrosage des plantes et les soins aux animaux de compagnie pourraient avoir été encourus.

28 Je désire remercier les parties pour l’efficacité dont elles ont fait preuve dans le traitement de ces cinq griefs. L’audience a duré moins de trois heures. Cela a été rendu possible grâce au fait que les parties ont entrepris des pourparlers constructifs avant l’audience et avaient convenu des faits en l’espèce. Les parties ont clairement cerné la question à trancher, et ils ont concentré leurs arguments sur cette seule question. Il en résulte que les ressources restreintes de tous les participants ont été judicieusement utilisées. 

29 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

30 Les griefs sont accueillis.

31 J’ordonne que les parties tentent de régler entre elles le montant exact des faux frais devant être remboursés aux fonctionnaires.

32 Je demeure saisi de ces griefs pendant 90 jours, dans l’éventualité où les parties n’arriveraient pas à s’entendre à ce sujet.   

Le 26 octobre 2012.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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