Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a déposé deux griefs contestant des suspensions disciplinaires d’une journée et de 10 jours, respectivement - l’employeur a rejeté les deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs au motif que la demanderesse avait transmis ses griefs au dernier palier en dehors des délais impartis dans la convention collective - l’employeur s’est également opposé à ce que les griefs soient renvoyés à l’arbitrage, alléguant qu’ils avaient été renvoyés à l’arbitrage 14mois après la date limite normale - la demanderesse a déposé une demande de prorogation du délai en vertu de l’article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique - le retard dans la transmission des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et dans leur renvoi à l’arbitrage était attribuable aux problèmes engendrés par la révocation d’un dirigeant élu de la section locale du syndicat et à l’omission du coordonnateur des griefs nouvellement élu de transmettre les documents requis au bureau régional du syndicat - l’arbitre de grief a statué que la demanderesse n’avait pas établi l’existence de raisons claires, logiques et convaincantes justifiant le retard - le retard était attribuable au fait que tant la demanderesse que le syndicat n’avaient pas été diligents - la demanderesse aurait pu s’enquérir du cheminement de ses griefs - l’omission, la négligence ou l’erreur du syndicat ne constituent pas des motifs logiques et convaincants justifiant une prorogation du délai - le fait que l’employeur n’ait pas répondu au grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs ne conférait pas pour autant à la demanderesse de nouveaux droits pas plus que cela n’autorisait une prorogation du délai - elle avait le droit, en l’absence d’une réponse de la part de l’employeur, d’acheminer son grief au palier suivant. Demandes de prorogation du délai rejetées. Dossiers de griefs classés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-10-15
  • Dossier:  568-02-267 et 268, XR: 566-02-6342 et 6374
  • Référence:  2012 CRTFP 110

Devant le président


ENTRE

CARLA CALLEGARO

demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Callegaro c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant deux demandes visant la prorogation d’un délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, vice-président

Pour la demanderesse:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour le défendeur:
René Houle, Service correctionnel du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 12 janvier, les 6, 10 et 23 février, le 16 mars et le 11 septembre 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demandes devant le président

1 Carla Callegaro (la « demanderesse »), agente correctionnelle, travaille à l’Établissement Fraser Valley à Abbotsford, en Colombie-Britannique. En mars et avril 2010, elle a déposé deux griefs contre le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), l’un contestant une suspension d’une journée et l’autre, une suspension de 10 jours, que lui avait imposées l’employeur. Dans ces deux griefs, la demanderesse était représentée par son agent négociateur, l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada — CSN (le « syndicat »).

2 L’employeur a rejeté les deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en invoquant une transmission tardive des deux griefs à ce dernier palier de la procédure. De plus, après leur renvoi à l’arbitrage, l’employeur s’est opposé à ce que les griefs soient entendus à l’arbitrage, alléguant qu’ils avaient été renvoyés à l’arbitrage 14 mois après la date limite normale.

3 Les 6 et 10 février 2012, la demanderesse a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), lui demandant que le président lui accorde une prorogation du délai pour ses deux griefs, en vertu de l’article 61 du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »).

4 Dans ses arguments écrits déposés en février 2012, la demanderesse admet son retard dans la transmission des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Le retard était dû aux problèmes engendrés par la révocation d’un dirigeant élu de la section locale du syndicat par les membres de la section locale. D’après le syndicat, personne à la section locale n’a pu être utile à la demanderesse dans ses griefs. Par la suite, le coordonnateur des griefs nouvellement élu a omis de transmettre au bureau régional du syndicat les documents et les griefs en question; il s’ensuivit que les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage tardivement. En janvier 2012, le syndicat a communiqué avec un agent des relations de travail de l’employeur pour lui expliquer la situation et demander une prorogation du délai. L’employeur a alors refusé d’accorder la prorogation demandée.

5  Selon le défendeur, le représentant syndical de la demanderesse a reçu et lu la réponse de l’employeur au deuxième palier le 9 mai 2010 en ce qui a trait au premier grief, et le 20 mai 2010 en ce qui concerne le deuxième grief. Les deux griefs ont été présentés au dernier palier le 5 juillet 2010. La réponse de l’employeur à ce palier n’a pas été communiquée dans les délais impartis de 30 jours. Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage les 1er et 14 décembre 2011, respectivement, soit quelque quatorze mois après la date limite pour leur renvoi à l’arbitrage. La demanderesse n’est pas d’accord avec la méthode employée par le défendeur pour calculer les délais en ce qui a trait au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, mais reconnaît toutefois que la présentation des deux griefs au dernier palier et leur renvoi à l’arbitrage étaient tardifs.

6  La convention collective pertinente est celle entre le Conseil du Trésor et le syndicat pour le groupe des Services correctionnels, dont la date d’expiration était le 30 mai 2010 (la « convention collective »).

II. Résumé de l’argumentation

A. Arguments de la demanderesse

7 La demanderesse a fait valoir que l’employeur, dans ses arguments écrits, n’avait pas établi en preuve qu’elle-même ou un représentant de son syndicat avait reçu la réponse de l’employeur au deuxième palier, tel qu’allégué par le défendeur. De plus, elle soutient que le défendeur a commis une erreur de fait et de droit dans le calcul du délai imparti pour la présentation des griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

8  C’est le syndicat qui est responsable du non-respect des délais, et non la demanderesse. Partant, elle ne devrait pas être pénalisée pour cela. Par ailleurs, par le passé l’employeur lui-même n’a jamais répondu aux griefs dans les délais impartis. Il arrive même qu’il n’y réponde pas du tout. En outre, le préjudice subi par l’employeur en raison du renvoi tardif des griefs à l’arbitrage est minime, alors que l’objet des griefs est important pour la demanderesse, compte tenu de la longueur des suspensions qui lui avaient été imposées.

9 La représentante de la demanderesse a fait valoir qu’à l’époque pertinente, la section locale du syndicat subissait des changements dans certains de ses postes clés, ce qui a contribué au défaut de diligence raisonnable dans le renvoi des deux griefs à l’arbitrage.

10 La demanderesse a soutenu qu’il y avait des motifs clairs, logiques et convaincants justifiant le retard et que pour cette raison, il y avait lieu d'accéder à la demande de prorogation du délai.

11 La demanderesse m’a renvoyé à Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 157. Elle m’a également renvoyé à l’extrait ci-après de la décision rendue dans Callegaro c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2012 CRTFP 85 :

[…]

17. Le présent cas porte sur des omissions ou des erreurs de la part de dirigeants syndicaux d’une section locale dans les démarches qu’ils devaient faire pour renvoyer deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et à l’arbitrage. Les parties s’entendent sur le fait que ces omissions ou ces erreurs étaient dues à la révocation du représentant de la section locale du syndicat et par le coordonnateur des griefs nouvellement élu, qui avait omis de transmettre au défendeur les documents requis. Ce contexte n’excuse pas totalement le défendeur qui, à mon avis, a manqué à son obligation d’exercer le degré de diligence qu’il aurait dû afin de s’assurer que les délais impartis dans le cadre de la procédure de règlement des griefs étaient respectés […]

[…]

B. Arguments du défendeur

12 Les demandes de prorogation du délai présentées par la demanderesse ne respectent pas les critères établis par la jurisprudence à cet égard. Il n’existe aucune raison claire ou logique pouvant justifier le non-respect par la demanderesse des délais impartis pour présenter ses griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et les renvoyer à l’arbitrage.

13 Le défendeur a fait valoir que le retard de quatorze mois dans le renvoi des griefs à l’arbitrage était dû aux actes de négligence du syndicat ou à ses omissions. Le fardeau de justifier sa demande de prorogation du délai incombait à la demanderesse, et elle ne s’en est pas acquittée. La demanderesse n’a pas exercé une diligence raisonnable à cet égard. Elle aurait pu s’enquérir au sujet de l’état de ses griefs, mais elle ne l’a pas fait.

14 Le défendeur m’a renvoyé à Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1.

III. Motifs

15 La demanderesse reconnaît avoir tardé à présenter ses griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et à renvoyer ses griefs à l’arbitrage. Les parties ne s’entendent pas sur la façon de calculer les délais pour présenter les griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Cela étant, compte tenu du fait que les parties conviennent qu’il y a eu retard de 14 mois dans le renvoi des griefs à l’arbitrage, je vais concentrer mon analyse sur ce retard pour décider si je dois accorder les demandes de prorogation du délai en l’espèce.

16 Les critères à prendre en considération afin de décider de la pertinence d’accorder une prorogation du délai ont été énoncés dans Schenkman. Ces critères sont les suivants :

  • des motifs clairs, logiques et convaincants pour le retard;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée;
  • les chances de succès du grief.

17 Ces critères ont récemment trouvé application dans diverses décisions, notamment Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans), 2009 CRTFP 92; Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117; Prévost c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2011 CRTFP 119; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68. Par ailleurs, l’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. Il faut examiner les faits qui sont soumis afin de décider de la valeur probante à accorder à chaque critère. Il arrive que certains critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance.

18 La demanderesse a soutenu que le retard de quatorze mois dans le renvoi des griefs à l’arbitrage était dû au fait que le coordonnateur des griefs nouvellement élu avait omis de transmettre en temps opportun au bureau régional du syndicat la documentation requise. Aucun autre motif n’a été fourni par la demanderesse pour expliquer ce retard. Par ailleurs, le défendeur n’a pas remis en cause ni contesté la véracité du motif.

19 La demanderesse ne m’a pas convaincu qu’elle avait un motif clair, logique et convaincant justifiant le retard de quatorze mois dans le renvoi de ses griefs à l’arbitrage. En fait, le retard est entièrement attribuable au syndicat et au fait que la demanderesse ne s’est pas enquise du cheminement de ses griefs. Si elle avait fait preuve d’une plus grande diligence, elle se serait rendu compte à un moment donné que ses griefs n’avaient pas été renvoyés à l’arbitrage. L’omission, la négligence ou l’erreur du syndicat ne constituent pas des raisons logiques et convaincantes justifiant une prorogation du délai. Aucune jurisprudence n’a d’ailleurs été invoquée au soutien d’une telle proposition. La demanderesse ou son syndicat n’ont pas été empêchés de renvoyer les griefs à l’arbitrage. Ils ont tout simplement été négligents, et n’y ont pas procédé dans le délai réglementaire. À cet égard, la demanderesse et son syndicat ne peuvent être considérés comme étant deux entités distinctes, comme le suggère l’argument de la demanderesse voulant qu’elle ne doive pas être [traduction] « pénalisée » pour les omissions de son syndicat.

20 Si le retard n’est pas justifié par des motifs clairs, logiques et convaincants, les autres facteurs sont de peu d’intérêt. Autrement, comme je l’ai observé dans Lagacé, « [à] quoi serviraient les délais dont les parties à la convention collective ont convenu si le président de la Commission pouvait les proroger à la suite d’une demande qui n’est pas solidement justifiée? ». Accorder de telles prorogations de délai serait méconnaître l’entente conclue par les parties à la convention collective. Cela ne serait certainement pas conforme à l’objet de l’alinéa 61b) du Règlement.

21 En vertu de la convention collective, l’employeur dispose normalement d’un délai de 30 jours pour répondre au grief d’un fonctionnaire au dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Selon la demanderesse, en général, l’employeur ne respecte pas ce délai. S’il y a lieu, cette question doit être débattue dans le cadre d’une autre audience ou d’une autre instance. Si l’employeur ne respecte pas l’esprit de la convention collective dans une affaire quelconque, cela ne confère pas nécessairement de nouveaux droits aux fonctionnaires sous le régime de la convention collective ou du Règlement, pas plus que cela ne permet d’élargir les droits qui leur sont conférés. Tout fonctionnaire a le droit, en l’absence d’une réponse de la part de l’employeur dans les délais prescrits, d’acheminer son grief au prochain palier et de faire valoir ses droits.

22 Il n’existe aucune raison claire, logique et convaincante justifiant d’accorder les demandes présentées en l’espèce. De plus, il s’agit d’un retard de plus de 14 mois, et la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence, ayant omis de s’enquérir au sujet de ses griefs. Je suis porté à convenir avec la demanderesse du fait qu’elle subira plus de préjudice que l’employeur si ses demandes sont rejetées. Or, cela ne peut primer sur le fait qu’elle n’a établi aucun motif clair, logique et convaincant justifiant le retard, qu’elle a permis que s’écoule une période aussi longue, et qu’elle n’a pas fait preuve d’une diligence raisonnable en l’espèce. Quant aux chances de succès de ces griefs, il est presque impossible d’évaluer cela sans entendre les griefs; ce critère n’a pas été retenu dans le cadre de ma décision en l’instance.

23 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

24 Les demandes de prorogation du délai sont rejetées.

25 Les griefs dans les dossiers 566-02-6342 et 6374 de la CRTFP sont classés.

Le 15 octobre 2012.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
vice-président

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.