Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a déposé quatre griefs contestant les mesures disciplinaires imposées par son employeur, l’Agence du revenu du Canada - l’arbitre de grief a décidé qu’en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, le premier grief qui visait une lettre de réprimande, n’était pas arbitrable - la fonctionnaire s’estimant lésée a refusé, malgré une demande écrite, de remplir ses feuilles de temps sur le <<portail>> de l’employeur - selon elle, en vertu de la clause 8.01 de la convention collective l’employeur ne peut exiger que les employés remplissent ces feuilles de temps - devant le refus de la fonctionnaire s’estimant lésée, l’employeur l’a réprimandée par écrit et a réitéré sa demande qu’elle produise ses feuilles de temps - devant son refus continu, l’employeur lui a imposé une journée de suspension et a encore réitéré sa demande - la fonctionnaire s’estimant lésée a de nouveau refusé de les produire et l’employeur lui a imposé une suspension de trois jours - la fonctionnaire s’estimant a accepté de remplir ses feuilles de temps de façon régulière, respectant ainsi la procédure de l’employeur - environ un mois plus tard, le <<portail>> a été changé et la fonctionnaire s’estimant lésée a refusé de consentir à l’énoncé de confidentialité qui s’y trouvait - selon elle, elle aurait enfreint l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu - devant ce nouveau refus, l’employeur lui a imposé une suspension de cinq jours - la fonctionnaire s’estimant lésée a fait preuve d’insubordination en refusant d’obtempérer à des consignes claires et répétées - même si elle avait convaincu l’arbitre de son interprétation de la clause 8.01, elle ne pouvait agir ainsi puisqu’elle n’avait pas démontré que le fait de se conformer aux directives de l’employeur aurait pu compromettre sa santé ou sa sécurité ou faire en sorte qu’elle commette un geste illégal - la fonctionnaire s’estimant lésée ne s’est pas acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait relativement à la question de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu - les suspensions imposées n’était pas déraisonnables. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-11-30
  • Dossier:  566-34-446 à 449
  • Référence:  2012 CRTFP 128

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHELINE BÉTOURNAY

fonctionnaire s'estimant lésée

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

employeur

Répertorié
Bétournay c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Elle-même

Pour l'employeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Montréal (Québec),
les 6 et 7 novembre 2012.

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Entre novembre 2005 et février 2006, Micheline Bétournay (la « fonctionnaire s’estimant lésée ») a déposé quatre griefs à l’encontre des mesures disciplinaires que lui a imposées l’Agence du revenu du Canada (l’ « employeur ») entre octobre 2005 et janvier 2006.

2 Le premier de ces griefs (566-34-446) vise une lettre de réprimande que l’employeur a remise à Mme Bétournay le 17 octobre 2005. Dans cette lettre, l’employeur blâme Mme Bétournay d’avoir refusé de façon répétée de produire ses feuilles de temps. Lors de l’audience, j’ai avisé Mme Bétournay qu’en vertu de l’alinéa 209 (1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la Loi), je ne pouvais traiter de ce grief à l’arbitrage car la mesure disciplinaire en question n’entraînait pas une suspension ou une sanction pécuniaire. Le paragraphe 209 (b) de la Loi se lit comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire []

3 Les trois autres griefs visent des suspensions d’un jour (566‑34-447), de trois jours (566-34-448) et de cinq jours (566-34-449). L’employeur a rejeté les griefs au palier final de la procédure interne de règlement de griefs le 14 juin 2006 et a remis sa réponse à Mme Bétournay le 21 juin 2006. Cette dernière a renvoyé ses griefs à l’arbitrage le 19 juillet 2006.

II. Résumé de la preuve

4 L’employeur a appelé Francine Vallée comme témoin. Mme Vallée est maintenant retraitée. Au moment des événements à l’origine des griefs, soit il y a environ sept ans, Mme Vallée était directrice adjointe de la Division de la recherche scientifique et du développement économique au Bureau des services fiscaux de Laval. Mme Bétournay a témoigné. Elle travaillait dans la division de Mme Vallée comme conseillère en recherche et développement. Mme Bétournay se rapportait à un superviseur qui relevait directement de Mme Vallée. Les parties ont déposé en preuve des séries de documents qui, pour la plupart, se rapportaient directement ou indirectement aux incidents qui ont mené à l’imposition des mesures disciplinaires contre Mme Bétournay.

5 Mme Bétournay a expliqué qu’à partir du printemps 2005, le syndicat dont elle fait partie exerçait des moyens de pression contre l’employeur en vue du renouvellement de la convention collective qui était échue depuis décembre 2003. Un de ces moyens de pression était de ne plus remplir les feuilles de temps demandées par l’employeur. Les moyens de pression ont cessé en août 2005 lors de l’entente sur le renouvellement de la convention collective. Les feuilles de temps dont il est ici question sont des rapports remplis par les employés pour faire état des heures travaillées par activité de travail ou par dossier.

6 À partir d’août 2005, Mme Bétournay n’a pas rempli ses feuilles de temps. Le climat de travail n’était pas très bon dans sa division. Elle a déclaré que ses décisions étaient souvent renversées par ses supérieurs. Qui plus est, selon elle, l’employeur ne pouvait exiger que les employés remplissent ces feuilles de temps car, en vertu de la clause 8.01 de la convention collective, seuls des registres mensuels d’assiduité limités aux heures supplémentaires ou aux absences peuvent être exigés par l’employeur. Sur cette base, Mme Bétournay a donc continué, après août 2005, à ne pas remplir ses feuilles de temps.

7 Le 30 septembre 2005, Mme Vallée a rencontré Mme Bétournay pour lui demander de produire ses feuilles de temps depuis le 1er avril 2005. Mme Bétournay a alors demandé à Mme Vallée de lui formuler sa demande par écrit en lui fournissant des justifications. Le 3 octobre 2005, Mme Vallée a formulé sa demande par écrit et a alors exigé que Mme Bétournay remplisse ses feuilles de temps au plus tard le 7 octobre sans quoi elle pouvait être passible de mesures disciplinaires. Le 11 octobre 2005, Mme Vallée a de nouveau rencontré Mme Bétournay, cette fois-ci en rencontre disciplinaire. Cette dernière a maintenu sa position qu’elle ne remplirait pas ses feuilles de temps car l’employeur ne pouvait lui en exiger. Devant ce refus, le 17 octobre 2005, l’employeur a imposé une réprimande écrite à Mme Bétournay. Il l’a aussi informée que toute récidive pouvait être sanctionnée par des mesures disciplinaires plus sévères. Cette même journée, l’employeur a, par courriel, réitéré sa demande lui donnant jusqu’au 19 octobre 2005 pour produire ses feuilles de temps.

8 Le 19 octobre 2005, Mme Vallée a demandé à Mme Bétournay si elle avait rempli ses feuilles de temps. Elle lui a répondu que non. Elle lui a dit qu’elle rencontrait son avocat le lendemain et qu’elle recevrait une réponse de sa part. Mme Vallée n’a jamais reçu une telle réponse. Le 24 octobre 2005, les feuilles de temps n’étant toujours pas remplies, Mme Vallée a tenu une rencontre disciplinaire avec Mme Bétournay. Elle lui a alors signifié une suspension d’un jour devant être servie le 27 octobre 2005.

9 Le 28 octobre 2005, Mme Vallée a rencontré Mme Bétournay en présence de son superviseur et a réitéré sa demande que les feuilles de temps soient remplies. S’en est suivie une discussion au cours de laquelle Mme Bétournay ne s’est pas engagée à remplir ses feuilles de temps. Mme Vallée a alors mentionné à Mme Bétournay qu’il y avait des conséquences à l’insubordination et qu’une nouvelle suspension lui serait imposée. Le 31 octobre 2005, elle lui a imposé une suspension de trois jours.

10 Le 9 novembre 2005, Mme Vallée a de nouveau rencontré Mme Bétournay qui a alors accepté de remplir ses feuilles de temps. Il a été convenu qu’elle remplirait ses feuilles de temps pour les mois de septembre à novembre pour le 15 novembre et pour les mois d’avril à août pour le 18 novembre. Il a aussi été convenu qu’à partir de ce moment, Mme Bétournay remplirait ses feuilles de temps de façon régulière. En date du 21 novembre 2005, les feuilles de temps de Mme Bétournay avaient toutes été entrées dans le « portail » selon la procédure définie par l’employeur. Le « portail » est un système informatisé interne utilisé par les employés et l’employeur à des fins administratives. Une de ces fins est l’entrée et la compilation des feuilles de temps.

11 Vers la mi-décembre 2005, le « portail » a été changé. Selon Mme Bétournay, les employés devaient dès lors, pour accéder au registre, attester en pesant sur le bouton « OK » qu’ils acceptaient de partager certains renseignements personnels. Plusieurs versions de cette page d’entrée au portail ont été déposées à l’audience. Toutefois, selon le grief (dossier 566-34-449) déposé par Mme Bétournay en février 2006, la partie de la page d’entrée qui lui causait problème se lisait alors comme suit :

[…]

Le portail du Libre-service peut être utilisé pour recueillir, modifier ou visualiser vos renseignements personnels […]. En appuyant sur le bouton « OK » ci-dessous, vous confirmez que vous avez accédé à cet Énoncé de confidentialité et que, conformément à cet énoncé, vous êtes maintenant prêt à fournir vos renseignements personnels. Uniquement les renseignements nécessaires au traitement de la paie et des avantages sociaux des employés sont exigés. La cueillette et l’utilisation des renseignements personnels sont conformes aux exigences de la Loi. sur la protection des renseignements personnels. Dans certains cas, l’information peut être divulguée sans votre consentement à des fins non prévues dans cet énoncé aux termes de l’article 8(2) de la Loi sur la Protection des renseignements personnels.

[…]

[Sic pour l’ensemble de la citation]

12 Mme Bétournay n’était pas d’accord avec cet énoncé car elle ne voulait pas que de l’information puisse être divulguée à une tierce partie. Selon Mme Bétournay, elle aurait alors enfreint l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cet article vise la communication et la divulgation de renseignements personnels. Mme Bétournay a refusé de continuer à entrer ses feuilles de temps dans le portail, ne voulant pas appuyer sur le bouton « OK » pour ainsi consentir à l’énoncé de confidentialité.

13 Le 21 décembre 2005, Mme Vallée a réalisé que Mme Bétournay n’était pas à jour pour ce qui est de ses feuilles de temps. Elle lui a rappelé par courriel qu’elle avait l’obligation de remplir ses feuilles de temps. Elle lui a demandé de remplir ses feuilles de temps manquantes pour la période du 26 novembre 2005 au 16 décembre 2005 avant le 22 décembre 2005 à 17 h, faute de quoi des mesures disciplinaires pouvaient lui être imposées. Le jour même, Mme Bétournay lui a répondu qu’elle ne remplirait ses feuilles de temps qu’à condition que Mme Vallée lui confirme par écrit qu’elle assumerait personnellement les conséquences de la divulgation des renseignements dont il est question dans la page d’entrée du portail. Mme Bétournay a aussi informé Mme Vallée qu’elle accepterait d’entrer ses feuilles de temps si elle avait accès au portail sans peser sur le bouton « OK » de la page d’accueil. Enfin, Mme Bétournay a informé Mme Vallée qu’entre-temps elle fournirait ses feuilles de temps sur format papier à son superviseur.

14 Le 22 décembre 2005 à 17 h, Mme Bétournay n’avait pas rempli ses feuilles de temps de la façon demandée par Mme Vallée. En début de journée le 23 décembre, Mme Vallée a réitéré sa demande que les feuilles de temps soient remplies comme demandé et sans condition pour midi le jour même. À 12 h 30, compte tenu, selon Mme Vallée, que Mme Bétournay ne s’était toujours pas conformée à sa demande, Mme Vallée l’a convoquée à son bureau pour une rencontre disciplinaire le 9 janvier 2006. La rencontre disciplinaire a finalement eu lieu le 11 janvier 2006. Mme Vallée a alors imposé une suspension de cinq jours à Mme Bétournay pour avoir refusé de remplir ses feuilles de temps sans aucune exigence de sa part pour la période du 26 novembre au 16 décembre 2005.

15 Mme Bétournay a déclaré avoir entré une feuille de temps dans le portail pour la semaine du 26 novembre au 2 décembre 2005. Elle a soumis en preuve une feuille de temps extraite du portail et datée du 6 décembre 2005. Cette feuille était jointe à un courriel envoyé par Mme Bétournay à son superviseur le 23 janvier 2006. Selon Mme Vallée, la feuille de temps en question n’a pas été entrée dans le portail par Mme Bétournay, mais plutôt par son superviseur. Mme Vallée a aussi témoigné que Mme Bétournay l’avait informée à la fin de l’entrevue disciplinaire du 11 janvier 2006, après avoir été avisée de sa suspension de cinq jours, qu’elle avait rempli une feuille de temps pour la semaine du 26 novembre au 2 décembre 2005. Mme Bétournay n’a pas contredit cette partie du témoignage de Mme Vallée.

16 Mme Bétournay a soumis en preuve des échanges de courriels avec son superviseur qui contenaient comme pièces jointes des feuilles de temps. Le courriel envoyé à 11 h 47 le 22 décembre 2005 contenait la feuille de temps pour la semaine du 16 décembre et le courriel du 9 janvier 2006, la feuille de temps de la semaine du 5 janvier 2006. Mme Bétournay a aussi soumis en preuve la réponse du 10 janvier 2006 de son superviseur qui lui a alors écrit ce qui suit :

Bonjour,

J’accuse réception de cette information. Cependant, il faut bien comprendre que cette feuille de temps, tout comme les précédentes du même type, ne peut en aucun cas être considérée comme répondant à l’exigence de l’employeur selon laquelle la saisie de temps de l’employé(e) doit être faite et présentée dans le portail du libre service.

17 Mme Bétournay a proposé de déposer en preuve des documents relatifs à l’audition de ses griefs et aux délais de réponse de l’employeur. Je lui ai expliqué lors de l’audience que je n’acceptais pas ces documents car ses griefs portaient sur des mesures disciplinaires qui lui avaient été imposées et non pas sur comment l’employeur respecte la convention collective eu égard à la procédure de règlement des griefs.

18 Mme Bétournay a aussi soumis en preuve divers documents qui démontrent qu’il y avait des problèmes avec le portail dans les premiers mois de son utilisation, qu’il y avait eu plusieurs versions de la page d’entrée au portail et que certains employés avaient soulevé des questions sur l’énoncé de confidentialité.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

19 L’employeur affirme qu’il a eu raison d’imposer des mesures disciplinaires à Mme Bétournay en raison de comportements fautifs de sa part. Le principe de la progression des sanctions a été respecté et les mesures disciplinaires imposées étaient raisonnables compte tenu de l’insubordination répétée de Mme Bétournay.

20 Mme Bétournay savait qu’elle devait remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite par l’employeur soit directement dans le portail. Elle a décidé d’arrêter de le faire et s’est alors arrogé un droit qui n’était pas le sien. L’employeur lui a ordonné de se conformer à ses directives et de remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite. L’ordre donné était clair et le refus de Mme Bétournay d’y obtempérer l’était aussi. Si Mme Bétournay n’était pas d’accord avec l’ordre donné, elle se devait d’abord d’y obéir, puis de déposer un grief pour le contester. Ce n’est évidemment pas ce qu’elle a fait. Elle a plutôt décidé de se faire justice elle-même.

21 En novembre 2005, à la suite de l’imposition de trois mesures disciplinaires successives comprenant une réprimande écrite et des suspensions d’un jour et de trois jours, Mme Bétournay a décidé de se soumettre aux directives de l’employeur et de remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite. Quelques semaines plus tard, Mme Bétournay a recommencé à refuser de remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite, cette fois pour protester contre l’énoncé de confidentialité de la page d’entrée du portail. Mme Bétournay a alors été insubordonnée et, compte tenu des mesures disciplinaires déjà imposées pour des infractions similaires, l’employeur était en droit d’imposer une nouvelle sanction.

22 L’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : Chauvin c. Administrateur général (Commissariats à l’information et à la protection de la vie privée du Canada), 2012 CRTFP 66; Rioux c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 32; Focker c. Agence du revenu du Canada, 2008 CRTFP 7; Byfield c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 119.

B. Pour Mme Bétournay

23 Mme Bétournay affirme que l’employeur n’aurait pas dû lui imposer de mesures disciplinaires car elle ne s’est jamais opposée à remplir ses feuilles de temps. Elle s’est plutôt opposée à la méthode recommandée par l’employeur pour le faire. Qui plus est, elle est d’avis que la dernière mesure disciplinaire imposée n’est pas pour la même raison que les trois premières. Le principe de la gradation des sanctions ne s’applique donc pas car les raisons du refus de remplir les feuilles de temps de la manière prescrite ne sont pas les mêmes.

24 Mme Bétournay est d’avis que l’employeur n’avait pas le droit de l’obliger à remplir des feuilles de temps. Elle fonde son opinion sur la clause 8.01 de la convention collective en vertu de laquelle, seuls des registres mensuels d’assiduité limités aux heures supplémentaires ou aux absences peuvent être exigés. Sur cette base, elle estime qu’elle était tout à fait en droit de ne pas remplir des feuilles de temps pour rendre compte de l’utilisation de son temps de travail par activité ou par dossier. L’employeur ne pouvait donc lui imposer des mesures disciplinaires à la suite de son refus de remplir ses feuilles de temps de la manière qu’il avait prescrite. Néanmoins, à partir de novembre 2005, Mme Bétournay s’est pliée aux directives de l’employeur.

25 Le second refus de Mme Bétournay de remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite par l’employeur n’est pas lié au premier refus. Pour elle, il résultait de motifs complètement différents. Mme Bétournay n’était pas d’accord avec l’énoncé de confidentialité de la page d’entrée du portail qui est apparu en décembre 2005. Elle ne voulait pas que l’information qu’elle entrait dans le portail soit divulguée à une tierce partie. Selon elle, cela aurait enfreint l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu. En somme, l’employeur lui demandait d’enfreindre une loi, ce qu’il ne peut évidemment lui demander. Sur ce point, Mme Bétournay m’a renvoyé à Chauvin.

26 Puisque les motifs du refus d’entrer les feuilles de temps dans le portail en décembre ne sont pas les mêmes que pour les refus précédents, Mme Bétournay est d’avis que l’employeur ne pouvait lui imposer une sanction disciplinaire plus sévère, en l’occurrence cinq jours, comme il l’a fait en janvier 2006. Qui plus est, elle a proposé des options viables à l’employeur et il a refusé de coopérer en les rejetant.

IV. Motifs

27 Le premier grief de Mme Bétournay porte sur une réprimande écrite. Je l’ai informée lors de l’audience que je n’avais pas compétence pour entendre ce grief compte tenu que la mesure disciplinaire n’entraînait pas une suspension ou une sanction pécuniaire. J’ai par contre compétence pour entendre les trois autres griefs qui portent respectivement sur des suspensions d’un jour, trois jours et cinq jours imposées par l’employeur entre octobre 2005 et janvier 2006. L’employeur a suspendu Mme Bétournay parce qu’il estimait qu’elle avait refusé de remplir ses feuilles de temps de la façon prescrite et qu’elle avait fait preuve d’insubordination.

28 L’employeur a le fardeau de prouver que Mme Bétournay a été insubordonnée. Selon la jurisprudence, il y a insubordination lorsqu’un employé refuse de faire ce que son employeur lui demande légalement de faire. Comme je l’écrivais dans Chauvin, l’employeur doit prouver que l’employé a reçu un ordre, que cet ordre lui a été communiqué clairement par une personne habilitée à le donner, et que l’employé a refusé d’obtempérer. L’obligation d’obtempérer à un ordre ne s’applique pas si l’exécution de l’ordre met la santé ou la sécurité de l’employé à risque ou pousse ce dernier à se livrer à des activités illégales ou illégitimes.

29 La plupart des faits présentés par les parties en preuve ne sont pas contestés de part et d’autres. Ces faits démontrent que Mme Bétournay a fait preuve d’insubordination et que l’employeur était en droit de prendre des mesures disciplinaires contre elle.

30 Après l’avoir demandé verbalement, Mme Vallée a exigé par écrit de Mme Bétournay qu’elle produise ses feuilles de temps de la façon prescrite par l’employeur. Mme Bétournay ne l’a pas fait et Mme Vallée l’a réprimandée par écrit. Mme Vallée a demandé à Mme Bétournay le 19 octobre 2005 si elle avait rempli ses feuilles de temps. Elle lui a répondu que non. Le 24 octobre 2005, les feuilles de temps n’étant toujours pas remplies, Mme Vallée lui a alors imposé une suspension d’un jour. Le 28 octobre 2005, Mme Vallée a de nouveau rencontré Mme Bétournay et a réitéré sa demande que les feuilles de temps soient remplies. Les feuilles de temps n’ayant pas été remplies par Mme Bétournay, Mme Vallée lui a imposé une suspension de trois jours le 31 octobre 2005. Le 9 novembre 2005, Mme Bétournay a accepté d’entrer ses feuilles de temps dans le « portail » selon la procédure définie par l’employeur. Puis, à partir de la mi-décembre, elle a recommencé à refuser d’entrer ses feuilles de temps dans le portail, cette fois parce qu’elle ne voulait pas accepter l’énoncé de confidentialité de la page d’entrée du portail. Le 11 janvier 2006, Mme Vallée lui a imposé une nouvelle suspension de cinq jours pour avoir refusé de remplir ses feuilles de temps pour la période du 26 novembre au 16 décembre 2005. Mme Bétournay prétend qu’elle a rempli sa feuille de temps pour la semaine du 26 novembre au 2 décembre 2005 de la façon prescrite par l’employeur.

31 Cette analyse des faits montre que Mme Bétournay a refusé de remplir ses feuilles de temps de la façon prescrite par l’employeur. L’ordre lui a été donné clairement à plus d’une reprise par Mme Vallée, la directrice adjointe à qui elle se rapportait par l’entremise de son superviseur. Mme Bétournay prétend que l’employeur ne pouvait, selon la clause 8.01 de la convention collective, lui imposer de remplir des feuilles de temps portant sur le temps consacré à diverses activités. Dans ce contexte, elle admet avoir refusé d’obtempérer aux directives de l’employeur entre août et novembre 2005. Elle admet de ce fait avoir été insubordonnée. Elle s’est d’elle-même approprié le droit de décider comment l’employeur devait appliquer la convention collective, et ce sans l’appui de son syndicat. Même si elle avait raison sur l’interprétation de la clause 8.01, elle ne pouvait agir ainsi puisqu’elle n’a pas démontré que le fait de se conformer aux directives de l’employeur aurait pu compromettre sa santé ou sa sécurité ou qu’on lui demandait de commettre un geste illégal.

32 À la suite de l’imposition de mesures disciplinaires à trois reprises, Mme Bétournay s’est conformée aux directives de l’employeur en novembre 2005. Puis, en décembre, elle a recommencé à refuser de remplir ses feuilles de temps, cette fois-ci parce qu’elle n’acceptait pas l’énoncé de confidentialité de la page d’entrée du portail.

33 Mme Bétournay n’avait pas le droit de refuser de suivre les consignes de l’employeur sous prétexte que ces consignes ne respectaient pas la convention collective ou parce qu’elle ne voulait pas accepter l’énoncé de confidentialité. Elle devait plutôt obéir aux consignes et les contester par la suite. Elle n’avait pas le droit de se faire justice elle-même. En agissant comme elle l’a fait, Mme Bétournay a été insubordonnée. Elle a refusé d’obtempérer à des consignes claires et répétées formulées par une représentante autorisée de l’employeur.

34 Mme Bétournay prétend que son refus de décembre 2005 de remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite par l’employeur est différent du premier refus. Cela importe peu. Entre septembre 2005 et janvier 2006, l’employeur a imposé des mesures disciplinaires contre Mme Bétournay pour avoir refusé de remplir ses feuilles de temps de la manière prescrite. Ce ne sont pas contre les motifs de l’insubordination que l’employeur a sévi mais contre les refus répétés de Mme Bétournay de suivre les consignes.

35 Mme Bétournay a soumis qu’elle a rempli sa feuille de temps pour la semaine du 26 novembre au 2 décembre 2005 de la façon prescrite par l’employeur. L’employeur n’est pas d’accord et lui a imposé une suspension pour ne pas avoir rempli ses feuilles de temps de la manière prescrite pour la période du 26 novembre au 16 décembre 2005. Même si la version de Mme Bétournay était la bonne, il n’en demeure pas moins que Mme Bétournay a été insubordonnée en ne soumettant pas ses feuilles de temps de la manière prescrite pour deux des trois semaines en question. Cela ne change donc rien à la gravité de sa faute, d’autant plus que des mesures disciplinaires lui avaient déjà été imposées pour des infractions similaires dans les semaines précédentes.

36 Mme Bétournay ne voulait pas que l’information qu’elle entrait dans le portail soit divulguée à une tierce partie. Selon elle, cela aurait enfreint l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Selon elle, l’employeur lui demandait alors d’enfreindre une loi ce qu’il ne peut évidemment lui demander. Après avoir analysé attentivement la partie de l’énoncé de confidentialité du portail qui causait problème à Mme Bétournay (voir le paragraphe 11), et après avoir considéré les arguments de Mme Bétournay sur ce point, je ne vois toujours pas quel est le problème, et surtout, en quoi l’acceptation de l’énoncé enfreint la Loi de l’impôt sur le revenu. Rien dans ce qui m’a été soumis ne me permet de le croire. Mme Bétournay n’a donc pas rencontré son fardeau de preuve sur cette question.

37 L’employeur a respecté le principe de la gradation des sanctions en imposant successivement une lettre de réprimande, puis des suspensions d’un jour, de trois jours et de cinq jours. Qui plus est, compte tenu que l’insubordination est une faute sérieuse, particulièrement lorsqu’elle est répétée et persiste même après une première mesure disciplinaire, les suspensions imposées ne sont pas déraisonnables en raison de la gravité des fautes commises.

38 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

39 Les griefs sont rejetés.

Le 30 novembre 2012.

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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