Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont déposé des griefs pour contester la décision de leur employeur de leur interdire de porter des bracelets du syndicat durant leurs heures de travail - ils ont allégué que cette décision violait l’article 19 (<< Élimination de la discrimination >>) de la convention collective et l’article 5 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) intitulé << Liberté du fonctionnaire >> - l’employeur et le syndicat des fonctionnaires s’estimant lésés avaient amorcé le processus de négociation collective et les bracelets indiquaient que les fonctionnaires s’estimant lésés soutenaient leur équipe de négociation - l’employeur a fait valoir que les bracelets enfreignaient sa Politique relative aux uniformes - l’arbitre de grief a reconnu que les agents des services frontaliers doivent se conformer à des normes plus élevées que certains autres fonctionnaires - porter un bracelet du syndicat est une activité syndicale légitime - le message véhiculé par le bracelet n’était pas illégal, abusif ou diffamatoire et n'incitait pas à la non-observation de la convention collective ou de la LRTFP - on n'a pas fait la preuve que les bracelets affectaient les activités de l'employeur - l'arbitre de grief a refusé d’ordonner le versement de dommages aux fonctionnaires s’estimant lésés et au syndicat étant donné que l'employeur n'avait pas agi de mauvaise foi et qu’on n'avait pas fait la preuve du lien entre les paiements réclamés et les conséquences de cette violation - l’arbitre de grief a ordonné que l’employeur affiche sa décision dans le lieu de travail pour réduire le risque d’autres violations à la convention collective. Griefs accueillis. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-02-17
  • Dossier:  566-02-3699 à 3701, 3703 et 3705 à 3710
  • Référence:  2012 CRTFP 21

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALFRED BARTLETT, PAUL BOURGOIN, MARC DUBÉ, STEPHANE LEBEL,
GUY MCCLUSKEY, ANDRÉ OUELLETTE, MOREL PAGE, MARIO PELLETIER,
RONALD PYNE ET MARK THIBODEAU

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Bartlett et al. c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Tiffani Murray, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Maryse Bernier, Secrétariat du Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 14 décembre 2011 et les 12, 20 et 26 janvier 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 En novembre 2008, Alfred Bartlett, Paul Bourgoin, Marc Dubé, Stephane Lebel, Guy McCluskey, André Ouellette, Morel Page, Mario Pelletier, Ronald Pyne et Mark Thibodeau, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), ont contesté la décision de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») de leur interdire de porter, pendant les heures de travail, des bracelets du syndicat d’une largeur d’un centimètre. Les fonctionnaires ont allégué que la décision de l’employeur violait l’article 19 de la convention collective conclue entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur » ou le « syndicat ») et l’employeur pour le groupe Services des programmes et de l’administration (date d’expiration : le 20 juin 2007) (la « convention collective »).

2 Les parties et l’arbitre de grief ont convenu que les griefs seraient traités sur la foi des arguments écrits. Les parties ont soumis l’exposé conjoint des faits suivant :

[Traduction]

L’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») et le Conseil du Trésor/Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur ») conviennent des faits qui suivent pour les fins de l’arbitrage de ces griefs :

  1. L’Alliance de la Fonction publique du Canada est accréditée à titre d’agent négociateur exclusif pour le groupe Services des programmes et de l’administration, qui comprend les agents des services frontaliers (FB).
  2. Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent comme agents des services frontaliers (FB-03) pour l’employeur et, à ce titre, doivent porter un uniforme, conformément à la politique relative aux uniformes (dont une copie est jointe à titre d’annexe A).
  3. Les fonctionnaires s’estimant lésés travaillent à Saint-Léonard (Bourgoin, McCluskey, Page, Pelletier et Thibodeau) et à Grand-Sault (Bartlett, Dubé, Lebel, Ouellette et Pyne), au Nouveau-Brunswick.
  4. Au moment des événements qui ont donné lieu aux griefs, Rock Ouellette était surintendant intérimaire à Grand-Sault, Michel Saucier était chef des opérations pour le district Nord-Ouest du Nouveau-Brunswick, et Daniel Soucy était surintendant à Saint-Léonard.
  5. Au moment des événements qui ont donné lieu aux griefs, Guy McCluskey travaillait à Saint-Léonard, et Stéphane Lebel à Grand-Sault.
  6. Le processus de négociation pour les FB de l’ASFC s’est déroulé entre le 21 février 2007 et le 28 janvier 2009. La convention collective des FB a été signée le 29 janvier 2009.
  7. Pour qu’ils montrent leur appui à ces négociations, le syndicat a fourni à ses membres, en octobre 2008, des bracelets verts portant le logo de l’Alliance de la Fonction publique du Canada et l’inscription « support the bargaining team/support à l’équipe de négociation » (le « bracelet »). Les fonctionnaires s’estimant lésés portaient ces bracelets pendant les heures de travail.
  8. Dans un courriel daté du 23 octobre 2008, M. Ouellette a indiqué à M. Saucier qu’il avait rencontré M. Lebel et lui avait donné la directive ainsi qu’aux fonctionnaires s’estimant lésés de Grand-Sault de ne plus porter les bracelets.
  9. M. Lebel a demandé à M. Ouellette de donner cette directive par écrit aux fonctionnaires s’estimant lésés de Grand-Sault, ce que M. Ouellette a accepté de faire.
  10. Dans un courriel daté du 23 octobre 2008, M. Saucier a écrit à M. Soucy que le port des bracelets était interdit et lui a demandé de prendre les mesures nécessaires.
  11. Dans un courriel daté du 30 octobre 2008, M. Soucy a écrit à M. McCluskey que le port des bracelets constituait une contravention à la politique relative aux uniformes et a donné aux fonctionnaires s’estimant lésés de Saint-Léonard la directive de ne plus porter les bracelets.
  12. Dans un courriel daté du 12 novembre 2008, M. Ouellette a envoyé à M. Lebel un lien vers la politique relative aux uniformes et a exigé que les fonctionnaires s’estimant lésés de Grand-Sault ne portent plus les bracelets. M. Ouellette a souligné que le port du bracelet serait considéré comme un acte d’insubordination.
  13. En novembre 2008, les fonctionnaires s’estimant lésés ont présenté des griefs identiques à l’employeur pour contester sa décision de leur interdire de porter les bracelets du syndicat pendant les heures de travail.
  14. Les fonctionnaires s’estimant lésés allèguent dans leur grief que l’employeur a violé l’article 19.01 (activité dans le syndicat) de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration, date d’expiration : le 20 juin 2007.
  15. Dans ses réponses aux fonctionnaires s’estimant lésés au premier palier de la procédure, l’employeur a rejeté les griefs. Ces réponses étaient essentiellement identiques, sauf la date à laquelle la direction avait reçu les griefs.
  16. Au deuxième palier, l’employeur a donné des réponses identiques aux fonctionnaires s’estimant lésés de Grand-Sault, rejetant leurs griefs.
  17. Au troisième palier, l’employeur a donné des réponses essentiellement identiques aux fonctionnaires s’estimant lésés de Saint-Léonard et aux fonctionnaires s’estimant lésés Dubé, Lebel et Ouellette de Grand-Sault, sauf la date à laquelle la direction avait reçu les griefs. Les griefs ont été rejetés.
  18. Au dernier palier, l’employeur a donné des réponses identiques, le 22 décembre 2009, à tous les fonctionnaires s’estimant lésés, rejetant leurs griefs et indiquant que le port des bracelets était contraire à la politique relative aux uniformes et aux normes quant à l’apparence de l’employeur.
  19. Le syndicat a renvoyé les griefs des fonctionnaires s’estimant lésés à l’arbitrage le 6 mai 2010, en vertu de l’article 209 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.
  20. Les détails et les mesures correctives sont identiques dans les griefs. Toutes les réponses de l’employeur sont identiques, sauf quelques dates.

3 La disposition de la convention collective invoquée dans les griefs est formulée de la façon suivante :

19.01 Il n’y aura aucune discrimination, ingérence, restriction, coercition, harcèlement, intimidation, ni aucune mesure disciplinaire exercée ou appliquée à l'égard d'un employé-e du fait de son âge, sa race, ses croyances, sa couleur, son origine nationale ou ethnique, sa confession religieuse, son sexe, son orientation sexuelle, sa situation familiale, son incapacité mentale ou physique, son adhésion à l'Alliance ou son activité dans celle-ci, son état matrimonial ou une condamnation pour laquelle l'employé-e a été gracié.

[…]

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

4 Les fonctionnaires ont allégué que l’employeur s’était fondé uniquement sur la Politique relative aux uniformes et normes quant à l’apparence en vigueur à l’ASFC (« politique relative aux uniformes ») lorsqu’il a soutenu que le port des bracelets ne respectait pas l’exigence selon laquelle l’uniforme doit être dépourvu de tout ornement qui n’en fait pas partie. La politique relative aux uniformes ne prévaut pas sur la convention collective ou sur l’article 5 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Le droit d’un fonctionnaire de participer à des activités du syndicat est protégé par la convention collective et la loi. Le port des bracelets portant un message était une activité syndicale légitime. L’employeur a interdit cette activité et a donc fait de la discrimination contre les fonctionnaires du fait de leur adhésion au syndicat ou de leur activité dans celui-ci.

5 Dans de nombreux cas et commentaires, on a souligné le critère essentiel à respecter relativement au port par des fonctionnaires d’un macaron, d’une épinglette ou d’un bracelet du syndicat dans leur lieu de travail. Selon ce critère, l’employeur peut ordonner aux employés de ne pas porter d’objets du syndicat si le message inscrit sur l’objet dénigre l’employeur, porte atteinte à sa réputation ou nuit à ses opérations. Cela n’est pas le cas dans le présent cas. L’employeur a indiqué seulement que le port des bracelets était contraire à sa politique relative aux uniformes. Il n’a pas prétendu qu’il y avait eu des conséquences préjudiciables sur ses opérations ou sa réputation.

6 Selon la politique relative aux uniformes, les agents des services frontaliers (ASF) doivent porter leur uniforme selon les exigences de l’employeur et cet uniforme doit être dépourvu de tout ornement qui n’en fait pas partie. Les bracelets sont portés autour du poignet, et non sur l’uniforme. La politique relative aux uniformes autorise le port de montres. Les montres s’apparentent aux bracelets, puisqu’elles sont portées au poignet et ne font pas partie de l’uniforme. La politique relative aux uniformes autorise aussi le port de bijoux religieux qui ne représentent pas de risque pour la santé ou la sécurité. Le port d’un bracelet ne représente pas ce genre de risque. De plus, la politique sur les uniformes fait une exception pour les objets décoratifs portés sur l’uniforme. Elle autorise par exemple les coquelicots, les rubans verts pour appuyer la cause des enfants portés disparus, ainsi que les épinglettes commémoratives et les épinglettes de service. Compte tenu de ces exceptions – les objets qui peuvent être portés sur l’uniforme et les montres qui peuvent être portées au poignet -, l’interdiction de porter les bracelets du syndicat constitue un acte de discrimination contre les ASF du fait de leur participation à une activité syndicale.

7 Comme mesure de redressement, les fonctionnaires ont demandé que leurs griefs soient accueillis, que je déclare que la directive de l’employeur contrevient à la convention collective et constitue un acte de discrimination à l’endroit des fonctionnaires, et qu’à l’avenir, l’employeur respecte la convention collective et leur droit de porter des bracelets de ce genre. Les fonctionnaires ont aussi demandé que j’ordonne à l’employeur d’afficher cette décision pendant 90 jours dans un endroit approprié aux lieux de travail. Enfin, ils ont demandé que j’ordonne à l’employeur de payer à chacun d’entre eux la somme de 500 $, et à l’agent négociateur une somme de 5 000 $.

8 Les fonctionnaires m’ont renvoyé aux décisions suivantes : Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 106; Quality Meat Packers Ltd. v. United Food and Commercial Workers Canada, Locals 175 and 633 (2003), 115 L.A.C. (4e) 409; Bodkin et al. c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-18108 à 18116, 18183 à 18188, 18190, 18209 à 18217, 18242 et 18243 (19890525); Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.); Andres et al. c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 36; White Spot Ltd. v. C.A.I.M.A.W., Food and Service Workers, Local 112 (1991), 21 L.A.C. (4e) 421; Gateway Casinos G.P. Inc. v. U.F.C.W. Local 401, 2007 CLB 12173.

B. Pour l’employeur

9 L’employeur a soutenu qu’il n’avait pas fait de discrimination contre les fonctionnaires lorsqu’il leur a interdit de porter les bracelets du syndicat. La politique relative aux uniformes s’avère fondamentale pour l’identification des ASF. L’uniforme et l’insigne sont les symboles traditionnels qui permettent d’identifier ces agents; ils montrent l’autorité qui leur est dévolue. L’uniforme permet de reconnaître immédiatement les agents, et seuls les vêtements approuvés doivent être portés pendant les heures de travail. Les ASF doivent avoir une apparence générale d’objectivité, de neutralité et d’impartialité du point de vue des voyageurs. Modifier cette apparence générale en portant un bracelet pourrait affecter cette perception et créer une idée fausse chez les voyageurs à propos du pouvoir des ASF d’appliquer la loi.

10 L’allégation des fonctionnaires selon laquelle les bracelets ne font pas partie de l’uniforme parce qu’ils sont portés sur la personne n’est pas valable. Pour l’employeur, la politique relative aux uniformes s’applique à l’apparence générale des ASF et ne se limite pas aux éléments de l’uniforme. À titre d’exemple, cette politique porte également sur la coiffure et la couleur des cheveux, les ongles et le vernis à ongles, le maquillage, les tatouages, etc.

11 Les fonctionnaires ont établi un parallèle entre les bracelets et le port d’une montre et de bijoux religieux, qui peut être permis selon certains critères de la politique relative aux uniformes. L’employeur a fait valoir qu’il existe des distinctions fondamentales entre ces objets et les bracelets du syndicat pour ce qui est de l’apparence et de la neutralité. De plus, la politique relative aux uniformes impose plusieurs conditions au port de bijoux. Ainsi, les ASF sont autorisés à porter une chaîne ou un collier, mais ces objets doivent être portés sous l’uniforme et ne doivent pas être visibles; seules certaines couleurs sont autorisées pour les bracelets de montre; les montres doivent être d’un style conservateur. De plus, les bracelets en plastique ne font pas partie des objets que les ASF peuvent porter avec leur uniforme.

12 L’employeur a soutenu que les décisions invoquées par les fonctionnaires ne pouvaient pas s’appliquer à leur cas. Dans ces autres cas, les fonctionnaires s’estimant lésés ne portaient pas l’uniforme ou n’étaient manifestement pas dans la même situation d’autorité que les ASF. Par conséquent, le port d’un macaron du syndicat n’avait pas les mêmes conséquences et était jugé acceptable.

13 L’employeur a allégué que les fonctionnaires n’avaient pas établi que sa pratique de leur refuser le port des bracelets en plastique du syndicat était discriminatoire. Les griefs devraient donc être rejetés et on ne devrait pas accorder de dommages.

III. Motifs

14 Les faits se rapportant aux griefs sont assez simples. Les fonctionnaires sont des ASF qui travaillent à deux points d’entrée au pays à partir des États-Unis, à Saint-Léonard et à Grand-Sault, au Nouveau-Brunswick. Au moment de la présentation des griefs, l’employeur et l’agent négociateur étaient en train de négocier le renouvellement de la convention collective. L’agent négociateur a distribué à ses membres des bracelets verts portant l’inscription « I support the bargaining team / J’appuie mon équipe de négociation. » L’employeur a donné aux fonctionnaires la directive de ne plus porter ces bracelets. Les fonctionnaires ont obéi à la directive, et ils ont présenté un grief.

15 En bref, les fonctionnaires ont allégué que l’employeur avait contrevenu à la convention collective en exigeant qu’ils ne portent plus leur bracelet parce que le port des bracelets portant cette inscription constitue une activité syndicale légitime. L’employeur a soutenu qu’il n’avait pas contrevenu à la convention collective en exigeant que les fonctionnaires retirent leur bracelet. Le port de ce genre de bracelet n’est pas autorisé par la politique relative aux uniformes parce que cela peut créer une fausse idée chez les voyageurs quant au pouvoir des ASF d’appliquer la loi.

16 Il y a une jurisprudence abondante sur le port ou l’affichage de messages syndicaux au lieu de travail. Je ne suis pas d’accord avec l’employeur lorsqu’il allègue que cette jurisprudence ne s’applique pas parce qu’elle ne concerne pas des employés en uniforme qui sont dans la même situation d’autorité que les ASF. La jurisprudence est rarement fondée sur des faits similaires à ceux du cas examiné. Cela ne signifie pas toutefois qu’on ne peut pas déduire des principes de la jurisprudence et les appliquer à un nouvel ensemble de faits. C’est ce que font la plupart du temps les arbitres de grief et, devrais-je ajouter, les parties. Cela étant dit, je reconnais que les ASF qui font affaire avec les voyageurs doivent adhérer à des normes d’apparence plus élevées, pour ce qui est du port d’objets du syndicat, que les fonctionnaires qui travaillent dans un entrepôt du gouvernement qui est interdit au public.

17 Porter un bracelet du syndicat est une activité syndicale légitime. Dans Bodkin, l’arbitre de grief a conclu que le port d’un macaron du syndicat comprenant l’inscription [traduction] « En alerte de grève! » était une activité syndicale légitime dans le contexte d’une clause de la convention collective comparable à celle de la convention collective du présent cas. Cette conclusion de l’arbitre de grief a été confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Quan. Dans Bodkin, l’arbitre de grief a aussi conclu que la clause d’élimination de la discrimination de la convention collective pertinente, en ce qui concernait les activités syndicales, assurait aux employés une protection au moins aussi grande que l’article 6 de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Cet article de l’ancienne LRTFP a été remplacé par l’article 5 de la Loi, qui est formulé ainsi :

5. Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

18 L’article 5 de la Loi et l’article 6 de l’ancienne LRTFP ne sont pas formulés exactement de la même manière, mais pour les fins du présent cas, ils ont la même signification. L’article 6 de l’ancienne LRTFP est formulé ainsi :

6. Un fonctionnaire peut adhérer à une organisation syndicale et participer à l'activité légitime de celle-ci.

19 Même si le port de bracelets du syndicat est une activité légitime et même si les activités syndicales légitimes sont permises par la convention collective et par la Loi, cela ne veut pas nécessairement dire que toutes les activités syndicales sont permises au lieu de travail pendant les heures de travail. Lorsqu’on veut déterminer ce qui constitue une activité syndicale permissible ou légitime, il faut toujours tenir compte du contenu du message. À ce propos, j’ai écrit ce qui suit dans Alliance de la Fonction publique du Canada :

[…]

[29] Comme on le déclare dans Quality Meat Packers Ltd., il y a lieu d’examiner le contenu du message. De plus, tel qu’énoncé dans Syndicat canadien des postiers (19781221), la décision de censurer un syndicat doit reposer sur des critères valides, y compris l’illégalité du message, sa nature abusive, l’inclusion de déclarations diffamatoires ou frauduleuses et la non-observation des normes régissant les relations de travail. Il est évident que ces critères sont loin d’être réunis en l’espèce. La pétition demandait simplement, dans une rhétorique syndicale passablement adoucie, la protection du régime de retraite de la fonction publique fédérale et des améliorations à la sécurité de la vieillesse et au supplément de revenu garanti pour tous les retraités.

[…]

20 Le message inscrit sur les bracelets du syndicat n’était ni illégal ni de nature abusive. Il ne contenait pas de déclarations diffamatoires ou frauduleuses et n’incitait pas à la non-observation de la convention collective ou de la Loi. Il disait simplement que les fonctionnaires appuyaient leur équipe de négociation.

21 Dans les cas comme celui-ci, il faut aussi tenir compte des conséquences du message sur l’employeur. Comme il est énoncé dans Bodkin, l’employeur ne doit pas avoir à tolérer des énoncés qui nuisent à ses opérations ou qui empiètent sur son autorité. Je dois ajouter que l’employeur ne doit pas avoir à tolérer non plus, dans le lieu de travail, des énoncés ou des objets du syndicat qui auraient un effet négatif sur la capacité des employés d’exécuter leur travail.

22 L’employeur a soutenu que la modification de l’apparence générale d’un ASF par un bracelet pourrait affecter la perception de neutralité ou d’objectivité du point de vue des voyageurs et créer chez ces derniers une idée fausse à propos du pouvoir des ASF d’appliquer la loi. Dans ce sens, les opérations de l’employeur auraient subi un effet négatif. Toutefois, l’employeur n’a présenté aucune preuve pour appuyer cet argument, comme des incidents particuliers ou des plaintes du public ou d’autres faits. Il a plutôt allégué que le port des bracelets était contraire à la politique relative aux uniformes.

23 Les fonctionnaires ont allégué que la politique relative aux uniformes autorise implicitement le port des bracelets, alors que l’employeur a prétendu le contraire. Que le port de bracelets soit visé ou non par cette politique n’a pas vraiment d’importance, car le port de bracelets, qui est une activité syndicale, ne peut se comparer à une coiffure particulière ou à la couleur des cheveux, à un type particulier d’ongles, au nombre de tatouages que porte une personne ou au genre de bijoux qu’elle porte. Ni la Loi ni la convention collective ne donne aux employés le droit d’avoir les cheveux bleus, les ongles longs, un anneau à la lèvre inférieure ou un tatouage sur le front. Cette absence de précisions dans la convention collective permet à l’employeur d’adopter une politique qui réglemente ces genres de préférences personnelles. La situation est toutefois différente pour ce qui est des activités syndicales. L’employeur ne peut pas, sur le fondement de sa propre politique unilatérale, retirer aux employés les droits accordés par la Loi ou la convention collective. Ce qui importe réellement dans le présent cas n’est pas la formulation de la politique, mais le fait de savoir si les bracelets avaient un effet négatif sur la capacité des fonctionnaires d’exécuter leur travail.

24 Contrairement à ce que l’employeur a allégué, je ne crois pas que le port des bracelets du syndicat ait eu des conséquences sur la perception de neutralité des ASF ou de leur autorité en tant qu’agents d’application de la loi. Cette situation n’a certainement pas eu plus d’effet sur le public que les employés d’Emploi et Immigration Canada qui portaient des macarons sur lesquels était inscrit [traduction] « En alerte de grève! » (voir Bodkin et Quan) ou les employés de l’Agence du revenu du Canada qui portaient un macaron sur lequel on pouvait lire « Nous vous manquerons quand nous ne serons plus là! 2006 » (voir Andres). Ces messages laissaient entendre que les services pourraient être interrompus dans l’avenir. De plus, à part la vague allégation de l’employeur selon laquelle le port des bracelets pourrait avoir une incidence sur la perception de neutralité chez la population, on ne m’a fourni aucune preuve à l’appui.

25 Le message inscrit sur les bracelets dont il est question ici était simplement que les ASF appuyaient leur équipe de négociation. La négociation collective est un droit protégé par les lois du pays et la Charte canadienne des droits et libertés. Que les ASF déclarent au moyen d’un message inscrit sur un bracelet qu’ils appuient leur équipe ne mine absolument pas leur autorité en tant qu’agents d’exécution de la loi ou leur apparence de neutralité aux yeux du public. Il ne serait pas raisonnable qu’un voyageur perçoive que les ASF ne sont pas neutres parce qu’ils portent ce genre de bracelet.

26 Les fonctionnaires m’ont demandé d’ordonner à l’employeur de payer à chacun d’entre eux une somme de 500 $ et de payer à l’agent négociateur une somme de 5 000 $. Rien dans les arguments des parties ne pourrait m’amener à rendre une telle ordonnance. D’abord, je ne crois pas que l’employeur a agi de mauvaise foi et qu’il a contrevenu sciemment à la convention collective pour nuire à la campagne de l’agent négociateur. Ensuite, aucun lien n’a été prouvé entre les paiements réclamés et les conséquences de cette contravention à la convention collective.

27 Il est maintenant trop tard pour réparer les dommages causés par la contravention de la convention collective, puisque la convention collective qui faisait l’objet d’une négociation au moment où les griefs ont été présentés a été ratifiée il y a trois ans. Je considère cependant qu’il est important et approprié de rendre une ordonnance qui permettra de diminuer les risques d’autres contraventions à la convention collective. Les fonctionnaires m’ont demandé d’obliger l’employeur à afficher ma décision au lieu de travail pendant 90 jours. J’accepte cette demande parce que je crois qu’il est important que tous les employés des deux lieux de travail sachent qu’il est légal de porter ces bracelets.

28 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

29 Les griefs sont accueillis.

30 Je déclare que l’employeur a contrevenu à la convention collective en interdisant aux fonctionnaires de porter les bracelets du syndicat.

31 J’ordonne à l’employeur d’afficher la présente décision pendant une période de 90 jours dans un endroit approprié où tous les employés pourront la voir dans ses bureaux de Saint-Léonard et de Grand-Sault.

32 Je demeurerai saisi de l’affaire pendant 90 jours au cas où des difficultés surviendraient dans l’application de cette ordonnance.

Le 17 février 2012.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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