Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans son grief, la demanderesse a contesté son licenciement par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) et a allégué que cette dernière avait refusé de permettre qu’elle soit représentée par son syndicat à une audience disciplinaire, en violation d’une clause de la convention collective - le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission à entendre la partie du grief visant la prétendue violation de la convention collective, alléguant qu’elle aurait été renvoyée à l’arbitrage en dehors des délais prescrits - l’agent négociateur avait obtenu le consentement de l’ASFC à la prorogation du délai imparti pour renvoyer à l’arbitrage la partie du grief portant sur le licenciement, mais n’a constaté que plus tard qu’il n’avait pas obtenu l’approbation du Conseil du Trésor relativement à la partie du grief relevant du Conseil du Trésor - il a immédiatement demandé cette approbation le dernier jour de la prorogation du délai accordé par l’ASFC relativement à la partie du grief portant sur le licenciement, mais l’approbation lui a été refusée - vu cette situation, l’agent négociateur s’est donc adressé à la Commission pour demander la prorogation du délai - le grief portait clairement notamment sur la question du refus de la représentation syndicale, et le Conseil du Trésor n’a pas été pris au dépourvu - la demanderesse n’est aucunement à blâmer pour l’erreur commise, et le défendeur n’a pas établi qu’il subirait un préjudice. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-03-06
  • Dossier:  568-02-230, XR: 566-02-4958
  • Référence:  2012 CRTFP 29

Devant la vice-présidente


ENTRE

MOJDEH HENDESSI

demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeurs

Répertorié
Hendessi c. Conseil du trésor et Administrateur général

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, vice-présidente

Pour la demanderesse:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
le 29 novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1 En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisée, en ma qualité de vice-présidente, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »), pour entendre et trancher toute question de prorogation de délai.

II. Résumé de la preuve

2 Le 14 décembre 2010, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a renvoyé le grief de Mme Mojdeh Hendessi (la « demanderesse ») devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »). Le grief avait pour objet le licenciement de la demanderesse et alléguait que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») avait refusé à la demanderesse le droit à la représentation syndicale lors de l’audience disciplinaire. Il a été allégué que le refus d’autoriser la représentation syndicale constituait une violation de la clause 17.02 de la convention collective conclue entre le Conseil du Trésor (le « défendeur ») et l’Alliance de la Fonction publique du Canada pour le groupe Services des programmes et de l’administration (la « convention collective »), prenant fin le 20 juin 2011. Le grief se lit comme suit :

[Traduction]

Je présente un grief pour contester mon licenciement par l’employeur et le fait qu’il m’ait refusé le droit à la représentation syndicale que j’avais requis, en violation de la clause 17.02 de la convention collective.

Mesures correctives demandées :

Je demande ma réintégration, l’annulation des mesures disciplinaires prises à mon égard, le remboursement de mon salaire et de mes avantages sociaux avec les intérêts, et toute autre mesure corrective jugée appropriée eu égard aux circonstances.

3 Dans une lettre à la Commission datée du 13 janvier 2011, le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission à entendre la partie du grief visant la violation alléguée de la convention collective, car cette partie du grief aurait été renvoyée à l’arbitrage en dehors des délais prescrits. Le défendeur a fait valoir qu’il avait répondu au dernier palier de la procédure de règlement des griefs le 5 octobre 2010 et qu’en vertu du paragraphe 90(1) du Règlement, la demanderesse disposait à compter de cette date d’un délai de quarante (40) jours pour renvoyer l’affaire à l’arbitrage. Le défendeur a soutenu que le grief n’avait été renvoyé à l’arbitrage que le 14 décembre 2010, soit 30 jours après l’expiration des délais prescrits au Règlement.

4 Le 31 janvier 2011, la demanderesse a répliqué que l’ASFC avait accepté de proroger le délai jusqu’au 14 décembre 2010 et qu’en conséquence le grief avait été présenté dans les délais prescrits. Au soutien de son argumentation, l’agent négociateur a déposé en preuve un formulaire signé le 9 novembre 2010 par M. Pierre Fréchette de l’ASFC, intitulé [traduction] « Prorogation des délais accordée par l’ASFC ». Sous le titre du formulaire, on retrouve des cases contenant diverses informations nominatives, comme le nom de la fonctionnaire s’estimant lésée, la classification de son poste et son lieu de travail, le numéro du grief, la nature du grief, le délai actuel, le délai souhaité dans la demande de prorogation du délai, et le motif invoqué pour obtenir la prorogation. Au bas de la page, il y a une ligne pour la date et la signature de la personne accordant la prorogation. Le formulaire indique qu’un seul grief est visé (le numéro du grief délivré par le ministère est inscrit à cet endroit) et, à la ligne sur laquelle est inscrite la [traduction] « Nature du grief », l’agent négociateur a écrit [traduction] « Licenciement », et [traduction] « Révocation de la cote de fiabilité ».

5 Le 10 février 2011, le défendeur a répliqué que la demanderesse avait déposé trois griefs lesquels contestaient respectivement son licenciement, la révocation de sa cote de fiabilité et le refus de son droit à la représentation syndicale. Au nom du Conseil du Trésor, le défendeur a fait valoir que même si l’administrateur général de l’ASFC a le pouvoir d’accorder une prorogation des délais relativement aux deux premiers griefs et qu’il y a peut-être acquiescé, la prorogation de délai relativement au troisième grief, soit celui portant sur l’interprétation de la convention collective, relève de la prérogative du défendeur. Dans les faits, elle n’a jamais été accordée.

6 Au soutien de cette position et au nom du Conseil du Trésor, l’avocate a produit en preuve une copie du formulaire mentionné au paragraphe 4, dûment signé par M. Fréchette le 9 novembre 2010. Le formulaire contient également des mentions manuscrites en plus des mentions dactylographiées. Certaines des mentions manuscrites ont été ajoutées par l’employeur mais la plupart l’ont été par l’agent négociateur. Ce dernier avait notamment ajouté, à la ligne destinée aux renseignements sur la nature du grief, la phrase [traduction] « ainsi que la clause 17 – Représentation syndicale à l’audience disciplinaire ». Au bas de la page, sous la signature de M. Fréchette, l’agent négociateur avait également ajouté à la main la phrase [traduction] « ainsi que la prorogation accordée par le CT (conformément à l’accord de l’ASFC) ». À côté de cette ligne, M. Jeff Laviolette, au nom du Conseil du Trésor, avait inscrit en date du 14 décembre 2010 [traduction] « non accordée ».

7 Le 7 mars 2011, l’agent négociateur a répliqué qu’un seul grief avait été déposé, et non trois, précisant que certaines demandes de prorogation des délais étaient transmises à la fois au ministère visé et au Conseil du Trésor, alors que d’autres ne n’étaient envoyées qu’au ministère concerné, l’ASFC en l’occurrence.

8 Le 14 décembre 2010, le dernier jour de la prorogation du délai accordé par l’ASFC, l’agent négociateur s’est rendu compte qu’il devait obtenir l’accord du Conseil du Trésor pour la partie du grief visant la violation alléguée de la convention collective. Or, malgré l’accord donné par l’ASFC à la prorogation du délai se rapportant à la partie du grief portant sur le licenciement, le Conseil du Trésor a refusé d’acquiescer à la demande de prorogation du délai pour la partie du grief portant sur la violation alléguée de la convention collective.

9 Ainsi, l’agent négociateur s’est donc adressé à la Commission pour obtenir, en vertu du paragraphe 61(b) du Règlement, la prorogation du délai prescrit pour renvoyer à l’arbitrage la partie du grief portant sur la violation alléguée de la convention collective.

10 L’agent négociateur a cité à témoigner un témoin et produit cinq pièces. Le défendeur a cité à témoigner un témoin et produit trois pièces. Les deux parties ont présenté un exposé introductif.

A. Pour l’agent négociateur

11 M. Jerry Kovacs a témoigné pour la demanderesse. M. Kovacs est un analyste en griefs et en arbitrage pour l’agent négociateur. Une partie de ses fonctions consiste à étudier les dossiers communiqués par les divers éléments et à décider s’il y a lieu de les renvoyer à l’arbitrage devant la Commission. M. Kovacs a précisé que sa charge de travail était particulièrement lourde. Il traite présentement environ 150 dossiers. Il a également signalé que presque tous les dossiers à traiter nécessitaient une prorogation de délai en vue de leur renvoi à l’arbitrage.

12 En ce qui a trait au grief en l’espèce, M. Kovacs a dit que dès la réception du grief il savait qu’il lui faudrait un certain temps pour l’analyser. C’est pourquoi lui et son adjointe, Mme Chems Oka, ont demandé à l’ASFC une prorogation du délai pour la partie du grief portant sur le licenciement. M. Kovacs a par ailleurs indiqué que, même si la demande ne comprenait qu’une seule partie du grief, il avait toujours eu l’intention de renvoyer la totalité du grief à l’arbitrage, y compris la partie portant sur la violation alléguée de la convention collective.

13 Bien que le délai imparti pour déposer le grief venait à échéance le 14 novembre 2010, M. Kovacs a témoigné que Mme Oka n’avait transmis le formulaire de demande de prorogation du délai (pièce G-1) aux fins d’approbation par l’ASFC le 9 novembre 2010 seulement, soit quelques jours avant la fin du délai prescrit. La demande ne portait que sur la partie du grief se rapportant au licenciement et à la révocation de la cote de fiabilité de la demanderesse, et visait à obtenir une prorogation du délai jusqu’au 14 décembre 2010.

14 Le 9 novembre 2010, M. Fréchette a approuvé, au nom de l’ASFC, la demande de prorogation du délai jusqu’au 14 décembre 2010, et a retourné la demande dûment approuvée à M. Kovacs (pièce G-2).

15 M. Kovacs a témoigné qu’après avoir reçu la demande dûment approuvée par M. Fréchette, et alors que le délai ultime du 14 décembre approchait, il a étudié plus à fond le dossier et a décidé qu’il fallait préparer et transmettre à la Commission un formulaire 20, relativement à la prétendue violation de la convention collective, et un formulaire 21, relativement au licenciement. M. Kovacs a expliqué que même si le grief couvrait les deux allégations, la Commission exige la présentation de deux formulaires différents. En réalisant cela, M. Kovacs s’est également rendu compte qu’il lui faudrait obtenir le consentement du défendeur relativement à la prorogation du délai. M. Kovacs a expliqué qu’en vertu de l’entente entre l’agent négociateur et les défendeurs, les demandes de prorogation de délai devaient être envoyées au Conseil du Trésor et au ministère concerné, en l’occurrence l’ASFC, pour obtenir leur consentement respectif. La demande de prorogation visant la partie du grief portant sur la violation alléguée de la convention collective a été transmise le 14 décembre 2010 au Conseil du Trésor en vue d’obtenir son accord. La demande de prorogation visant la partie du grief portant sur le licenciement avait déjà été envoyée à l’ASFC. La demande transmise au Conseil du Trésor demandait une prorogation du délai jusqu’au 14 décembre 2010, comme dans le cas de la demande à laquelle l’ASFC avait consenti. Or, la même journée, et malgré le fait que l’ASFC ait déjà consenti à la prorogation, le Conseil du Trésor a répondu qu’il refusait de proroger le délai au 14 décembre 2010 en ce qui avait trait à la partie du grief portant sur la prétendue violation de la convention collective (pièce G-4).

16 M. Kovacs a indiqué que la demanderesse n’a en aucun temps été impliquée dans les discussions au sujet de la demande de prorogation. Il s’est souvenu qu’il était arrivé une fois par le passé que l’accord d’un ministère ait été requis après que le Conseil du Trésor ait déjà acquiescé à une demande de prorogation. Le ministère ne s’y était pas objecté et avait accordé la demande.

B. Pour les défendeurs

17 Mme Jan Brock, chef, Opérations commerciales, district Pacific Highway, de l’ASFC, a témoigné pour les défendeurs. Elle occupe ces fonctions depuis 21 ans.

18 Mme Brock a indiqué qu’elle connaissait la demanderesse et que cette dernière se rapportait indirectement à elle. Mme Brock a témoigné au sujet d’une rencontre qui avait eu lieu le 3 juin 2009 avec la demanderesse comprenant le représentant de son agent négociateur.

19 Le témoignage de Mme Brock portait essentiellement sur le contenu de la rencontre du 3 juin 2009, au cours de laquelle il a été allégué que la violation de la convention collective aurait eu lieu. Son témoignage n’a pas traité spécifiquement de la question du délai de présentation du grief qui a mené à la demande de prorogation de délai. D’ailleurs, en contre-interrogatoire, Mme Brock a confirmé qu’elle n’avait pas été impliquée dans la question du non respect des délais quant au renvoi du grief à l’arbitrage, et qu’elle n’avait pas été mise au fait à cet égard.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

20 Le représentant de la demanderesse a soutenu que le grief avait été présenté en temps opportun, car les événements de la rencontre du 3 juin 2009 étaient cruciaux aux fins de la décision quant à la partie du grief portant sur le licenciement de la demanderesse. Il a fait valoir que ces événements formaient partie intégrante de la partie du grief portant sur le licenciement et ne pouvaient en être dissociés. L’ASFC a consenti à la prorogation du délai pour le renvoi de cette partie du grief à l’arbitrage.

21 Le représentant de la demanderesse a soutenu subsidiairement que, si l’agent négociateur avait passé outre au délai imparti pour renvoyer à l’arbitrage la partie du grief portant sur la violation alléguée de la convention collective, la demanderesse n’était pas fautive et ne devrait donc pas être punie en raison de l’erreur de son agent négociateur.

22 De plus, le représentant de la demanderesse a soutenu que le défendeur n’avait subi aucun préjudice, alors que si la demanderesse devait être empêchée d’évoquer les événements survenus lors de la réunion du 3 juin 2009, cela la priverait d’une partie de sa défense.

23 Le représentant de la demanderesse m’a renvoyé aux critères élaborés dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1. Il a déclaré qu’il existait une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard; en effet, il s’agissait d’une simple erreur administrative de la part de l’agent négociateur. Il a également soutenu que le retard n’était pas énorme, que l’agent négociateur avait agi avec diligence raisonnable et que la demanderesse subirait un important préjudice si on devait l’empêcher d’évoquer les événements qui s’étaient produits lors de la rencontre du 3 juin 2009.

24 Le représentant de la demanderesse m’a renvoyée à Rabah c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2006 CRTFP 101; Perry c. Instituts de recherche en santé du Canada, 2010 CRTFP 8; Riche c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale), 2010 CRTFP 107.

B. Pour les défendeurs

25 La représentante des défendeurs a fait valoir que la demande de prorogation de délai devait être rejetée, car aucune raison claire, logique et convaincante n’avait été établie. L’introduction de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2005, ch. 22, art. 12 et 13, en 2005, est venue clarifier les pouvoirs distincts dévolus à l’administrateur général d’un ministère et au Conseil du Trésor. Ainsi, en matière d’interprétation d’une convention collective, le Conseil du Trésor, à titre d’employeur, a nettement préséance. Qui plus est, en l’espèce, les parties ont conclu une entente selon laquelle le Conseil du Trésor, à titre d’employeur, a le pouvoir d’accorder ou non une demande de prorogation des délais lorsqu’il s’agit d’un grief portant sur l’interprétation de la convention collective, pas l’ASFC. Le consentement donné par l’ASFC à la prorogation du délai relativement à la partie du grief portant sur le licenciement n’est pas pertinent.

26 La représentante des défendeurs a également fait valoir que, pour le maintien de relations de travail harmonieuses, il était important que les délais impartis soient respectés, et que cela devrait primer sur toute injustice que cela pourrait entraîner pour la demanderesse.

27 La représentante des défendeurs a aussi soutenu que le renvoi à l’arbitrage avait été effectué en retard uniquement à cause de l’erreur administrative de l’agent négociateur. Cette explication n’est pas claire et logique, et ne justifie pas l’intervention de la Commission. Qui plus est, l’erreur n’a été découverte que le tout dernier jour de la prorogation consentie par l’ASFC, soit le 14 décembre 2010. À aucun moment avant cette date l’agent négociateur n’a-t-il jugé qu’il y avait eu violation de la convention collective.

28 La représentante des défendeurs a par ailleurs soutenu que la raison d’être de la clause 18.22 de la convention collective, traitant des ententes entre les parties quant à la prorogation des délais, se devait d’être examinée. Il serait inadmissible qu’une simple erreur administrative suffise pour écarter une disposition qui avait été convenue par les parties.

29 La représentante des défendeurs a aussi fait valoir que malgré le faible préjudice que le Conseil du Trésor pourrait subir dans l’éventualité où une prorogation du délai était accordée, il importe de se rappeler que cela consiste néanmoins en un préjudice, en ce sens que la relation continue entre les parties sera affectée si les délais négociés ne n’étaient pas respectés.

30 La représentante des défendeurs a déclaré que, contrairement à Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11, le rejet de la demande de prorogation ne réduirait pas à néant le cas de la demanderesse. Elle m’a renvoyée à Schenkman; Mark c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2007 CRTFP 34; De Franco c. Chambre des communes, 2010 CRTFP 69; Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72; Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117; Brady c. Personnel des fonds non publics (Forces canadiennes), 2011 CRTFP 23; Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68.

B. Réplique de l’agent négociateur

31 Dans sa réplique, l’agent négociateur a soutenu qu’il y avait lieu de tenir compte du consentement de l’ASFC à la prorogation des délais. De plus, aucune preuve n’a été présentée voulant que la relation entre les parties soit compromise si la prorogation était accordée. Par ailleurs, contrairement aux arguments des défendeurs, la relation entre les parties serait affectée de façon négative si la prorogation des délais n’était pas accordée.

32 Le représentant de la demanderesse a fait valoir que le grief original avait été déposé en juin 2009, soit bien avant la présentation de la demande de prorogation des délais relativement à la partie du grief portant sur la violation alléguée de la convention collective. Le défendeur n’a donc pas été pris au dépourvu lorsque la demande de prorogation des délais lui a été faite le 14 décembre 2010.

33 Enfin, le représentant de la demanderesse a plaidé que si la demande de prorogation de délai était refusée, le droit de la demanderesse à la représentation syndicale disparaîtrait.

IV. Motifs

34 Bien que je sois d’accord avec la représentante des défendeurs qu’il importe de respecter les délais dûment négociés, j’estime qu’en l’espèce il y lieu que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 61b) du Règlement.

35 Tout compte fait, mon appréciation des critères élaborés dans Schenkman m’amène à décider que la demande de prorogation de délai devrait être accueillie.

A. Une raison claire, logique et convaincante

36 À mon avis, dès le départ, la demanderesse avait clairement fait savoir dans son grief qu’elle contestait non seulement son licenciement mais également le refus de lui accorder le droit à la représentation syndicale lors de son audience disciplinaire. Il n’est pas contesté que l’audience disciplinaire évoquée dans le grief de la demanderesse se rapportait aux événements entourant son licenciement.

37 Aussi, comme l’a déclaré le représentant de la demanderesse, le Conseil du Trésor, à titre d’employeur, n’a pas été pris au dépourvu par l’allégation de la demanderesse faisant état d’une prétendue violation de la convention collective.

38 Lors de son témoignage, M. Kovacs a indiqué qu’il avait toujours eu l’intention de renvoyer les deux allégations à l’arbitrage. Il a précisé que ce n’est que lorsqu’il s’est rendu compte qu’il devait envoyer deux formulaires différents à la Commission que son adjointe et lui-même se sont alors aperçus qu’ils devaient obtenir l’accord du Conseil du Trésor pour proroger le délai d’une partie du grief. Bien qu’en temps normal je ne sois pas portée à considérer l’erreur d’un agent négociateur comme étant une raison valable justifiant d’accorder une prorogation de délai, je dois dire que dans la présente affaire les circonstances sont uniques.

39 En effet, il s’agit ici d’une affaire dans laquelle, dès le départ, la demanderesse avait clairement fait savoir dans son grief qu’elle contestait son licenciement et qu’elle alléguait une violation de la convention collective. Non seulement cela avait été exprimé clairement dès le début de la procédure de règlement des griefs, cela avait été fait au su et au vu du Conseil du Trésor. De plus, la demanderesse n’est aucunement à blâmer pour l’erreur commise, et le Conseil du Trésor n’a par ailleurs pas établi qu’il subirait un préjudice si la demande de prorogation de délai était accordée. J’estime que les faits en l’instance se distinguent de ceux des autres décisions jurisprudentielles en la matière. En l’occurrence, la demanderesse a établi une raison convaincante justifiant le retard.

40 En ce qui a trait à la durée du retard, il a été démontré que l’adjointe de M. Kovacs avait demandé l’accord du Conseil du Trésor le 14 décembre 2010, soit trente (30) jours après l’échéance du délai imparti dans le Règlement mais également le jour auquel l’ASFC a consenti de proroger le délai pour la partie du grief portant sur le licenciement.

41 Bien que je n’estime pas que le retard de 30 jours ait été important, j’ai relevé que la prorogation demandée auprès du Conseil du Trésor correspondait à la durée de temps qui avait déjà été approuvée par l’ASFC. Sur ce point, alors que je conviens que le Conseil du Trésor, à titre d’employeur, et l’ASFC, un ministère, constituent deux entités distinctes, je me dois de souligner qu’aucune preuve n’a été présentée pour expliquer le refus du Conseil du Trésor à une prorogation des délais relativement à une question connexe, alors que l’ASFC avait consenti à la prorogation des délais relativement à une question d’une portée plus vaste et fondamentale pour la demanderesse, soit son licenciement.

42 En ce qui a trait à la question du préjudice occasionné s’il était donné droit à la demande de prorogation, j’ajouterais que malgré les vaillants efforts de la part de la représentante des défendeurs à cet égard, aucune preuve n’a été présentée quant au préjudice que subirait le Conseil du Trésor si la demande de prorogation de délai était accordée.

43 Bien que j’aie entendu le témoignage de Mme Brock dans le contexte de la présente demande de prorogation de délai, je ne me prononcerai pas sur le fond de l’affaire en ce qui concerne la pertinence ou l’admissibilité de la preuve se rapportant aux événements qui ont mené à la rencontre du 3 juin 2009 et lors de cette dernière rencontre, dans le cadre d’une audience. Ces questions seront adressées dans le cadre d’une instance subséquente.

44 Enfin, en ce qui a trait aux chances de succès du grief, je fais mienne l’opinion exprimée par le vice-président dans Featherston voulant que ce critère pourrait être pertinent dans le cas d’un grief qui serait de nature frivole ou vexatoire.

[…]

Les parties conviennent que ce critère est difficile à évaluer dans ce cas-ci. J’admets que ce critère revêt moins d’importance et qu’il entre en jeu seulement lorsqu’un grief peut être qualifié de frivole ou de vexatoire. Ce n’est pas le cas ici. Par conséquent, je n’ai pas tenu compte de ce critère pour examiner la demande.

[…]

Aucun argument n’a été présenté à cet effet en l’espèce. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte de ce critère.

45 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

46 La demande de prorogation de délai est accordée.

Le 6 mars 2012.

Traduction de la CRTFP

Linda Gobeil,
vice-présidente

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