Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), alléguant que les défendeurs avaient agi de mauvaise foi, causé des retards inutiles dans la procédure de règlement des griefs et sciemment agi de manière à miner et à faire dérailler les griefs de classification - lorsqu’il a reçu sa nouvelle description de poste, le plaignant a déposé des griefs relatifs à la description de poste, à la classification et à la rémunération provisoire - le grief de classification a été mis en suspens jusqu'au règlement du grief relatif à la description de travail - le grief relatif à la description de travail n'a jamais été réglé à la satisfaction du défendeur et n’était toujours pas réglé lors de l’audition de la plainte - le grief a été prorogé en grande partie parce que l’employeur s’est engagé dans une tentative de dresser un nouveau Système de classification universelle qui a par la suite été abandonné avant sa mise en œuvre notamment en raison des nombreux griefs dont il a fait l’objet - le défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission à entendre la plainte étant donné qu’elle était hors délai, ne révélait à première vue aucune violation visée par l'article 185 de la LRTFP et portait sur une question de classification qui ne relevait pas de la compétence de la Commission - l’objection pour non-respect du délai a été rejetée - l’objection du défendeur n’équivalait pas à un vice de forme ou à un vice de procédure et ne pouvait être maintenue en vertu du paragraphe 241(1) de la LRTFP - en ce qui a trait à l’objection alléguant que la plainte ne révélait aucune violation visée par l’article 185, la Commission a statué que l’objection ne relevait pas tant de la compétence que des faits - on n'a pas fait preuve de mauvaise foi, de déni de justice naturelle ou démontrer qu’il y avait une procédure établie, et même si on parvenait à prouver une telle conduite, cela n’équivaudrait pas à des pratiques déloyales. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-02-17
  • Dossier:  561-02-155
  • Référence:  2012 CRTFP 22

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

WILLIAM COMISKEY

plaignant

et

PHILIP JENSEN, HÉLÉNE GOSSELIN,
JANICE CHARETTE, DIANE FINLEY ET MONTE SOLBERG

défendeurs

Répertorié
Comiskey c. Jensen et al.

Affaire concernant une plainte en vertu de l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, commissaire

Pour le plaignant:
Elizabeth Cannon

Pour les défendeurs:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Windsor (Ontario),
les 1er et 2 novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Questions préliminaires

A. La plainte

1 Le 22 mars 2007, William Comiskey (le « plaignant ») a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La plainte a été déposée contre les personnes suivantes :

  1. Phil Jensen, sous-ministre adjoint des Personnes et de la Culture;
  2. Hélène Gosselin, administratrice générale de Service Canada;
  3. Janice Charette, sous-ministre de Ressources humaines et Développement social;
  4. Diane Finley, ministre de Citoyenneté et Immigration;
  5. Monte Solberg, ministre des Ressources humaines et Développement social.

2 La plainte allègue que les défendeurs ont entre autres choses commis les actions suivantes :

[Traduction]

[…] [ils] ont agi de mauvaise foi, ont causé des retards inutiles et […] [ils] ont sciemment agi de manière à saper et à faire dérailler les griefs de classification présentés par le personnel de traitement de l’agent de prestation des services 2 (APS2) des programmes de la sécurité du revenu (PSR) en octobre 1995, et de nouveau en mars 1996.

3 À titre de réparation, M. Comiskey a demandé [traduction] « […] que l’on mène une enquête sur la procédure de grief de RHDCC et de Service Canada ». Dans ses arguments, il a également demandé que l’on émette une ordonnance pour que son grief de classification soit entendu immédiatement. Il a aussi demandé la [traduction] « diffusion immédiate » d’un rapport daté du 26 mai 2006 rédigé par le Comité de classification de l’agent de prestation des services 2 (APS2) des programmes de la sécurité du revenu (PSR). Les événements ont fait en sorte qu’au moment de l’audience, M. Comiskey avait réussi à obtenir une copie du rapport au moyen d’une demande d’accès à l’information. Cette partie de la réparation demandée est donc sans objet.

4 M. Comiskey a déposé sa plainte à titre personnel. Son syndicat, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (« AFPC »), n’a pas appuyé sa plainte.

5 Pour les défendeurs, j’ai entendu le témoignage de Diane McCusker. Pour le plaignant, j’ai entendu le témoignage de M. Comiskey de même que ceux d’Elizabeth Cannon, d’Anthony Tilley, président du Syndicat national de la santé (SNS), et celui de Jan Liberty, vice-présidente nationale, Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC). Le SNS et le SEIC sont des composantes de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, et ni l’un ni l’autre n’appuie la plainte.

6 Tous les témoins ont témoigné de façon honnête et avec clarté. Aucun fait n’a été contesté. En réalité, la majeure partie, sinon la totalité de la preuve concrète est tirée des nombreux documents déposés. Je ne vois donc aucune raison de rendre compte en détail des témoignages rendus par les témoins, si ce n’est la partie nécessaire pour éclairer le dossier documentaire. Voici donc mes conclusions de fait fondées premièrement sur les documents déposés, et deuxièmement sur les témoignages des témoins, notamment ceux de Mme McCusker et de M. Comiskey.

B. Processus et appels des classifications

7 Il est utile de décrire brièvement la procédure et les recours utilisés afin de classifier les descriptions de travail dans la fonction publique fédérale. Cela fournira le contexte de la présente plainte. Les parties ont souscrit à la description.

8 Au sein de la fonction publique fédérale, il existe des « groupes professionnels ». Chaque groupe est composé de un ou plusieurs « emplois » ou « professions » reliés, en gros, par leurs fonctions.

9 Chaque emploi a sa propre « description de travail », qui énonce les exigences liées au poste.

10 Chaque groupe possède une « norme de classification », qui est un ensemble de critères qui le définissent et le caractérisent. Ces normes fournissent aussi les critères visant à établir la valeur relative du travail exécuté par les groupes professionnels (et, en fin de compte, par les titulaires des emplois).

11 Il arrive que des employés estiment que la norme de classification qui définit leur travail ne reflète pas adéquatement leurs fonctions ou la valeur devant leur être attribuée. Les plaintes de classification ne sont pas couvertes par les conventions collectives. Pour traiter de telles plaintes, l’employeur, depuis 1994 ou depuis encore plus longtemps, a établi une politique visant à « […] fournir un mécanisme de recours aux employés qui sont mécontents de la classification attribuée aux fonctions qui leur sont assignées par l’employeur et qu’ils accomplissent » (Politique sur les griefs de classification, « Objectif de la politique », pièces U11 et U12).

12 Les appels ou les « griefs » de classification sont entendus par un comité composé de trois personnes :

  1. un président, qui est aussi agent de classification accrédité;
  2. un agent des griefs du Conseil du Trésor;
  3. une personne du ministère ou de l’extérieur du ministère (pièce U12).

13 Ces trois personnes doivent satisfaire aux critères suivants :

  1. ils n’ont pas pris part à la décision originale de classification;
  2. ils n’ont pas supervisé le poste en question et ne sont aucunement en conflit d’intérêts;
  3. ils sont au courant des méthodes et des normes de classification pertinentes (pièces U11 et U12).

14 La procédure du règlement des griefs de classification n’a pas été conçue pour être accusatoire. Elle a plutôt été structurée de manière à constituer un processus informel, grâce auquel l’employé s’estimant lésé peut présenter ses arguments afin de prouver que la classification est incorrecte (pièce U12).

15 Dans la présente affaire, il est bon de noter que, étant donné que les griefs de classification sont examinés « […] au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et que la décision est définitive et obligatoire, il est important que cette dernière soit fondée sur la description de travail réelle qui a été attribuée à l’employé par la direction » (pièce U12), « Examen sur place ».

16 Après l’examen et les délibérations du comité, le président rédige un rapport sur la décision et la recommandation du comité, qui est ensuite soumis à l’approbation de l’administrateur général ou de son délégué. L’administrateur général peut alors :

  1. confirmer la recommandation du comité;
  2. rejeter cette recommandation (pièce U12).

17 La décision de l’administrateur général est finale et exécutoire. Cette décision ne peut être portée en appel. Les parties au litige ont convenu que le seul recours à la disposition d’un fonctionnaire s’estimant lésé à ce stade est la demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

18 Il y a un dernier fait à noter. Comme nous l’avons mentionné, les griefs de classification dépendent de la description de travail. Les employés déposent des griefs à l’égard de descriptions de travail, mais ces griefs sont traités en vertu de la convention collective pertinente. Ils sont présentés (ou non) par le syndicat de l’employé, qui en prend le contrôle. Il faut bien distinguer ces cas des griefs de classification qui ne font pas partie de conventions collectives. Les droits procéduraux des employés liés aux griefs de classification doivent alors provenir d’une source autre qu’une convention collective.

C. Faits menant à la plainte

19 En décembre 1994, tous les « droits aux prestations » et les descriptions de travail des « analystes de SV » ont été remplacés par la description de travail des APS 2 (pièce U8, onglets A, A8 et A9). La nouvelle description de travail s’applique à M. Comiskey de même qu’à environ 1 800 autres postes au pays (pièce U8, onglet A8).

20 Le 13 octobre 1995, M. Comiskey a déposé un grief de classification (REH‑44507), ainsi qu’un grief lié à la description de travail et un autre lié à la rémunération provisoire. La décision attendue quant à l’exactitude de la nature du travail incluse à sa description de travail signifie que le grief de classification a dû être mis en suspens en attendant le règlement du grief relatif à la description de travail (pièce U8, onglet A1). Les témoignages recueillis, de même que les documents soumis en preuve, établissent que M. Comiskey n’est pas le seul à avoir déposé un grief à l’égard de la nouvelle description de travail. Plusieurs milliers de griefs ont été déposés, en partie parce que chacun des fonctionnaires s’estimant lésés a rempli trois griefs séparés, soit un grief lié à la description de travail, un grief de classification et un autre lié à la rémunération provisoire.

21 Comme nous l’avons mentionné, le grief de classification de M. Comiskey (et ceux déposés par ses pairs) a été mis en suspens en attendant le règlement des griefs liés à la description de travail. La résolution de cette question a pris plus de cinq ans, en grande partie parce que l’employeur, le ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (RHDCC ou l’« employeur »), s’est engagé dans une tentative de dresser un « Système de classification universelle (SCU) ». À l’époque, on croyait que ce système permettrait de résoudre plusieurs, sinon tous les griefs en suspens. Cette initiative a absorbé une grande partie du temps et de l’énergie de l’employeur et des différents syndicats qui représentent les employés de la fonction publique.

22 Le 4 mai 2000, Grace Cotroneo, une agente des griefs de classification et du SCU auprès de l’employeur a fait parvenir un courriel à M. Comiskey. Elle y mentionnait qu’il avait présenté un grief de classfication en octobre 1995, que ce grief avait été mis en suspens en attendant le règlement de [traduction] « la question de la nature du travail » de commis à l’admissibilité aux prestations (CR-05), et qu’il y avait eu plusieurs délais [traduction] « […] dans le traitement des griefs en attente en raison des arriérés dans les griefs de classification et de la lourde charge de travail liée au SCU ». On lui a demandé s’il souhaitait toujours présenter son grief de classification. Il a répondu par l’affirmative (pièce U8, onglet A3).

23 L’audience du grief de classification de M. Comiskey a été mise au rôle du 6 juin 2000. Toutefois, M. Comiskey se plaignait toujours de la nature du travail de sa description de travail. Par conséquent, comme l’a noté Mme Cotroneo à l’époque, on a dû annuler l’audience en attendant le règlement de [traduction] « […] la question de la nature du travail […] qui doit être résolue avant que l’on examine le grief de classification » (pièce U8, onglet A4).

24 L’audience a été de nouveau mise au rôle du 8 août 2000 (pièce U8, onglet A3). Par la suite, elle a été ajournée plusieurs fois afin de permettre l’obtention de plusieurs pièces; voir, par exemple, la pièce U8, onglet A4. Elle a ensuite été mise au rôle du 13 mars 2001. À ce moment-là, l’AFPC et le Syndicat de la Santé nationale et du Bien-être social (SSBE) ont confirmé qu’ils ne représentaient pas M. Comiskey dans le cadre de son grief de classification. Il a accepté de reporter l’audience au 24 avril 2001 (pièce U8, onglet A4).

25 Le comité des griefs de classification s’est réuni le 24 avril 2001. Toutefois, à ce moment-là, M. Comiskey (et d’autres fonctionnaires s’estimant lésés dans la même position) ont indiqué qu’ils étaient toujours en désaccord avec la description de travail de 1995. Pour ce motif, le comité n’a pas pu entendre le grief. Il a dû ajourner ses travaux en attendant le règlement de cette question (pièce U8, onglet A9). Le président du comité, M. Enns, a recommandé que le syndicat et l’employeur travaillent ensemble pour s’entendre sur la question de la description de travail (pièce U8, onglet A9).

26 Le 9 janvier 2002, M. Comiskey voulait savoir ce qui se passait avec sa description de travail et [traduction] « savoir quand il la recevrait […] de manière à poursuivre la procédure de son grief de classification d’octobre 1995 » (pièce U8, onglet A5). Cette même année, le Conseil du Trésor a décidé de mettre fin au projet du SCU. Cela a provoqué un nouvel engorgement de griefs. Leur grand nombre et la surcharge de travail qui en a résulté étaient tels, que l’employeur et le syndicat du plaignant ont commencé à travailler ensemble afin de rédiger une nouvelle description de travail générique nationale pour les APS2 (voir la pièce U8, onglet A7; lettre datée du 3 octobre 2006). Le 5 octobre 2005, on informait M. Comiskey que l’on avait rédigé une description de travail « […] qui reflète avec exactitude vos tâches actuelles de même que celles que vous avez exécutées depuis 1996 » (pièce U8, onglet A6).

27 La description de travail devait être analysée et commentée par un comité de classification. En mai 2006, un comité de classification s’est réuni afin d’examiner la nouvelle description de travail. Un rapport daté du 25 mai 2006 (le « rapport de mai 2006 ») a été remis à Phil Jensen, sous‑ministre adjoint (pièce U8, onglet A7). Ce rapport a ensuite été déposé comme élément de preuve (pièce U8, onglet A11).

28 Le 29 juin 2006, M. Jensen a rejeté la description de travail recommandée dans le rapport de mai 2006 en raison du fait qu’elle [traduction] « […] ne tenait pas adéquatement compte du travail fait au cours des trois ou quatre dernières années pour créer et édifier Service Canada, ni du changement se rapportant au type de travail fait par ces employés ». Il a demandé au comité de classification d’[traduction] « […] approfondir son analyse et de présenter une nouvelle recommandation d’ici la fin octobre 2006 » (pièce U8, onglet A7).

29 Le comité a tenu une réunion et procédé à de nouvelles recherches, en gardant à l’esprit qu’il devait présenter une recommandation à l’administrateur général dès l’automne 2006 (pièce U8, onglet A7).

30 Au cours de cette période, M. Comiskey a envoyé plusieurs courriels à l’honorable Diane Finley, ministre des RHDCC, afin de l’informer que son grief de classification n’était toujours pas réglé (pièce U8, onglet A7). Le 17 décembre 2006, il a fait parvenir un courriel au premier ministre Stephen Harper afin de se plaindre de ce qu’il considérait comme une absence de progrès dans le traitement de son grief. Dans cette lettre, il demandait au premier ministre [traduction] « […] de diffuser et de mettre en application sans délai les conclusions du rapport émis le 25 mai 2006 par le comité de classification ISP APS 2 [le « rapport de mai 2006] » (pièce U8, onglet A7). Le 22 décembre 2006, M. Comiskey a envoyé un courriel à l’honorable John Baird, président du Conseil du Trésor, plus ou moins aux mêmes motifs (pièce U8, onglet A7). M. Comiskey tentait de faire en sorte que quelqu’un [traduction] « […] s’occupe de son grief ». Il a par la suite déclaré : [traduction] « J’ai écrit au ministre afin de lui demander de reconvoquer l’audience de classification de manière à ce que l’on classifie ma description de travail […] telle était mon intention » (pièce U8, onglet A7).

31 Le 22 mars 2007, M. Comiskey a déposé la présente plainte. Malgré cette plainte, M. Comiskey et d’autres employés occupant le même poste ou un poste analogue, ont poursuivi le processus relatif aux griefs de classification de 1995. En janvier 2008, Gladys Azzam, gestionnaire de programme, Direction de la classification, les informait que les griefs de classification de 1995 n’avaient toujours pas été entendus. Elle les a assurés qu’elle ferait en sorte que l’audience soit reconvoquée « […] une fois que j’aurai reçu et approuvé une description de travail qui tient compte de la période d’août 1995 à 1996 » (pièce U8, onglet A9).

32 Pendant ce temps, l’employeur, le SNS et le SEIC ont tenté de trouver une solution pour régler les nombreux griefs découlant de la classification et des modifications apportées à la description de travail en 1994 et par la suite. En juillet 2011, les syndicats et l’employeur ont conclu un protocole d’entente (le « protocole »), rédigé en vue de régler la majorité sinon la totalité des griefs liés à la classification et à la description de travail des [traduction] « employés admissibles ». Il s’agissait des griefs ayant été présentés depuis la diffusion de la description de travail en 1995 (pièce E4). Mme McCusker a déclaré qu’au moins l’un des griefs de classification de M. Comiskey (celui présenté en 1995), et peut-être d’autres, n’était pas couvert par le protocole, car M. Comiskey ne constituait pas un « employé admissible » aux termes du protocole. Il ne m’appartient pas de déterminer lesquels des autres griefs de M. Comiskey étaient couverts par le protocole. Je dois seulement déterminer si le grief de 1995 était toujours en suspens en date de juillet 2011. Et c’est effectivement ce que je conclus.

33 Après cette mise en situation, je vais passer aux arguments des parties.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

34 L’avocate des défendeurs a présenté les arguments en deux volets, le premier se rapportant à ma compétence pour entendre la plainte, et le deuxième se rapportant au fond de celle-ci.

35 Pour ce qui est de la compétence dont je suis investi, l’avocate des défendeurs a présenté les arguments suivants :

  1. la plainte n’a pas été formulée à temps;
  2. l’essence de la plainte montre que celle-ci n’est pas couverte par l’article 185 de la Loi;
  3. la plainte porte sur un problème de classification qui, aux termes de la Loi, ne relève pas de ma compétence comme commissaire

36 Pour ce qui est du premier point, l’avocate des défendeurs a allégué que pour être valide aux termes de l’article 190 de la Loi, une plainte doit être présentée « […] dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ». Selon l’avocate des défendeurs, les faits révèlent clairement qu’au moment où il a reçu la lettre du 12 décembre 2006 du ministre Baird, si ce n’est plus tôt, M. Comiskey connaissait tous les faits ayant donné lieu à sa plainte.

37 En ce qui concerne le deuxième point, l’avocate a fait valoir que la plainte reposait sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi, qui s’énonce comme suit :

190(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

38 L’article 185 de la Loi définit une « pratique déloyale » comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1) de la Loi. Les paragraphes 186(1) et (2) interdisent à l’employeur de participer ou d’intervenir dans les activités syndicales – ou de faire des distinctions illicites à l’égard de toute organisation syndicale. Essentiellement, les articles 187 et 188 interdisent le même type de conduite aux syndicats par rapport aux employés faisant partie de l’unité de négociation. Le paragraphe 189(1) interdit à quiconque de chercher, par des menaces ou des mesures coercitives, à obliger un fonctionnaire à adhérer ou à s’abstenir d’adhérer à une organisation syndicale.

39 Aucun de ces articles ne traite de la conduite dont il est question dans la présente plainte, qui se résume au défaut allégué des défendeurs à traiter le grief de classification du plaignant dans des délais raisonnables. Dans un tel cas, la plainte est manifestement irrecevable.

40 Pour ce qui est de la troisième objection à la compétence, l’avocate des défendeurs a soumis que la plainte présentée par le plaignant se rapportait essentiellement à sa classification. L’article 7 de la Loi stipule que la Loi n’a pas pour effet :

[…] de porter atteinte au droit ou à l’autorité du Conseil du Trésor ou d’un organisme distinct quant à l’organisation de tout secteur de l’administration publique […] à l’égard duquel il représente […] l’attribution des fonctions aux postes et aux personnes employées dans un tel secteur et à la classification de ces postes et personnes.

[Je souligne]

Voir aussi l’alinéa 11.1(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques (L.R.C. (1985), ch. F-11). Comme c’est le cas dans cette affaire, un arbitre de grief nommé en application de la Loi n’a aucune compétence pour analyser, réviser ou modifier les procédures de l’employeur en ce qui a trait à la classification ou à la reclassification du travail accompli par ses employés.

41 En ce qui concerne le fond de la plainte, l’avocate des défendeurs a soumis que la preuve ne démontrait aucune mauvaise foi de la part des défendeurs. Elle a ajouté que les politiques et pratiques des défendeurs en ce qui a trait aux appels et aux griefs liés à la classification étaient claires et raisonnables. Aucun grief de ce genre ne pouvait être examiné sans qu’il y ait d’abord eu entente sur le contenu ou de la description de travail.

42 L’avocate des défendeurs a fait valoir que dans les faits, les défendeurs n’ont jamais refusé d’entendre ni rejeté le grief de classification de M. Comiskey. Le grief était tout simplement en suspens, en attendant le règlement d’un autre grief de M. Comiskey concernant sa description de travail. L’employeur et les défendeurs ont agi de manière tout à fait raisonnable. On ne pouvait analyser adéquatement la classification d’un emploi particulier sans qu’il y ait d’abord une entente sur la description de cet emploi. L’emploi doit être analysé en regard de la classification. Si le plaignant était en désaccord avec la description de travail, il était impossible d’analyser quoi que ce soit en regard de la classification. Le plaignant n’a jamais été d’accord avec la description de travail. Tant que cette question n’était pas réglée, il était impossible d’analyser le grief de classification du plaignant. Dans ces circonstances, le dépôt d’une plainte était à tout le moins prématuré et, au mieux, pas tout à fait fondé.

B. Pour le plaignant

43 En ce qui a trait à l’objection des défendeurs quant au respect des délais, la représentante du plaignant a fait référence au paragraphe 241(1) de la Loi, qui stipule que « […] les procédures prévues par la présente partie ne sont pas susceptibles d’invalidation pour vice de forme ou de procédure ».

44 La représentante du plaignant a soumis que les délais ont été causés par les promesses que les défendeurs ont répétées, au fils des ans, selon lesquelles on instruirait le grief de classification. Le plaignant était en droit de déposer un grief de classification. Il était en droit de s’attendre à ce qu’on examine son grief. Lui nier ce droit parce qu’il s’est fié aux promesses que les défendeurs lui ont faites correspondrait à un déni du droit à la justice naturelle. Cela équivaudrait à permettre aux défendeurs de violer le droit du plaignant à une procédure équitable.

45 Pour ce qui est de la question de ma compétence, la représentante du plaignant a reconnu que la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») n’avait aucune compétence pour trancher ou arbitrer un grief de classification. Elle a toutefois fait valoir que la Commission a compétence pour examiner les défauts de procédure des défendeurs et pour y remédier – surtout si cette procédure permet de refuser une procédure équitable à un employé. Sur ce point, elle a invoqué Alliance de la fonction publique du Canada et Demers c. Agence des douanes et du revenu du Canada et Tucker, 2004 CRFTP 121 (« Demers »). Dans cette affaire, la Commission, aux termes de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique a décidé que les défendeurs ne pouvaient frustrer un employé de son droit de déposer un grief de classification en créant une procédure à laquelle il est difficile de se soumettre (aux paragraphes 60 et 70).

46 La représentante du plaignant a par ailleurs fait valoir que le syndicat et l’employeur du plaignant s’étaient entendus en mai 2006 sur une description de travail acceptable. Une fois d’accord sur la description, rien n’empêchait plus les défendeurs d’examiner le grief de classification de 1995. Le refus subséquent des défendeurs de respecter cette entente constituait de la mauvaise foi de leur part. Il constituait également un déni du droit à la justice naturelle. En refusant la description de travail, les défendeurs ont, dans les faits, rendu impossible l’audience de l’appel du plaignant lié à sa classification. Par le fait même, on a violé son droit d’appel.

III. Motifs

47 Je consacre d’abord mon attention aux arguments préliminaires des défendeurs à l’égard du non-respect des délais.

48 À mon avis, on doit rejeter l’objection des défendeurs quant au respect des délais. En vertu du paragraphe 190(2) de la Loi, le temps commence à s’écouler « […] dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu ». Dans les faits, les défendeurs n’ont jamais clairement et sans équivoque indiqué qu’ils n’examineraient pas le grief de classification de M. Comiskey. On lui a plutôt fait parvenir, au fil des ans, des demandes de renseignement afin de vérifier s’il désirait toujours poursuivre la procédure (ce à quoi il a toujours répondu par l’affirmative). Ces demandes étaient conjuguées à des promesses répétées de plusieurs représentants de l’employeur que l’on procéderait à l’examen de son grief de classification aussitôt que la question de la description de travail serait résolue. On a aussi mis au rôle le grief à maintes reprises, mais les audiences étaient ensuite reportées sans que cela n’ait jamais été de la faute du plaignant. Jusqu’au 12 décembre 2006, le ministre Baird transmettait au plaignant les excuses du ministère pour les délais, et disait espérer que la situation permettrait une analyse du grief au cours de l’automne 2006.

49 Étant donné ces promesses, et étant donné qu’il fallait s’attendre à un délai en raison des milliers de griefs à examiner, on ne peut pas affirmer que M. Comiskey avait eu, ou aurait dû avoir eu connaissance en date du 12 décembre 2006, ou en définitive, en date de sa réponse du 22 décembre 2006, du fait que son employeur agissait (selon ses dires) de mauvaise foi. Étant donné les circonstances, on ne saurait affirmer que le délai prévu au paragraphe 190(2) de la Loi était écoulé pour le grief de M. Comiskey.

50 Le résultat est différent en ce qui concerne le deuxième argument des défendeurs en matière de compétence. À mon avis, cet argument n’a pas tant à voir avec la compétence qu’avec les faits. Comme nous l’avons noté, le paragraphe 190(1) de la Loi aborde la question des « pratiques déloyales » dont il est question à l’article 185. Selon la plainte, les défendeurs n’ont pas respecté ou ont frustré la procédure d’appel liée à la classification qu’ils ont mise en place. Selon moi, même si on parvenait à prouver une telle conduite, cela ne voudrait pas dire que les défendeurs se sont livrés à des pratiques déloyales, au sens de l’article 185. De plus, rien dans les faits ne vient démontrer de la mauvaise foi de la part des défendeurs, ni qu’ils ont eu recours à des pratiques déloyales aux termes de la Loi.

51 Je ne suis pas d’accord pour affirmer que l’objection des défendeurs équivaut simplement à un « […] vice de forme ou de procédure » qui peut être sauvegardé aux termes du paragraphe 241(1) de la Loi. La présente plainte ne découle pas d’une convention collective. Par conséquent, je ne détiens que les pouvoirs accordés par l’application de la Loi et des règlements connexes. Si les faits sur lesquels sont fondés cette plainte ne sont pas couverts par le paragraphe 190(1) et l’article 185 de la Loi, alors je n’ai pas la compétence pour ordonner la réparation demandée par le plaignant. Le paragraphe 241(1) pourrait parvenir à sauvegarder la plainte si les faits pouvaient démontrer la violation d’une autre disposition de la Loi (en supposant qu’une telle violation relève de la Commission). Mais le plaignant n’a pas fait la preuve d’une telle violation.

52 En rendant cette décision, je suis sensible à l’argument du plaignant fondé sur le paragraphe 60 de Demers, dans lequel la Commission, en vertu de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, a conclu que l’employeur ne pouvait nier le droit d’un employé à présenter un grief de classification personnel en créant une procédure à laquelle il est difficile de se soumettre (voir Demers aux paragraphes 60 et 70).

53 La difficulté réside dans le fait que Demers est fondée sur l’ancienne Loi, dont le texte était libellé de manière différente de celui de la Loi dont je tire ma compétence. En particulier, le paragraphe 91(1) de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique permettait à un employé de présenter un grief s’il s’estime « lésé par l’interprétation ou l’application à son égard : soit d’une disposition législative, d’un règlement – administratif ou autre – d’une instruction ou d’un autre acte pris par l’employeur concernant ses conditions d’emploi » (je souligne; tiré du paragraphe 47 de Demers). La partie soulignée du texte donne au commissaire la compétence nécessaire pour examiner la procédure que l’employeur a mise en place pour les appels liés à la classification, la classification ne relevant pas de sa compétence.

54 Un tel libellé n’existe à ma connaissance ni dans la Loi, ni dans les règlements. En d’autres mots, rien ne me donne le pouvoir d’éviter que quelqu’un s’oppose à ce que j’examine une décision ou un litige se rapportant à un grief de classification.

55 Je n’accepte pas non plus l’argument du plaignant selon lequel le défaut des défendeurs à rédiger une description de travail correspondant à ce que demandait le rapport de mai 2006 constitue une preuve de mauvaise foi ou un déni du droit à la justice naturelle ou à l’application régulière de la loi. Aucune preuve n’a été produite – et aucune loi ni aucun règlement n’a été cité – pour confirmer que le sous‑ministre était lié par la recommandation du comité ou obligé de l’accepter. En réalité, comme nous l’avons déjà mentionné, la procédure établie en vertu du processus d’appel lié à la classification indique clairement que le sous‑ministre adjoint n’était pas obligé d’accepter une telle recommandation. Il avait le droit de s’y opposer, soit en la rejetant complètement, soit en demandant au comité de revoir son travail. En fait, on pourrait se dire qu’en demandant au comité d’approfondir son analyse afin de parfaire sa recommandation plutôt que de rejeter complètement cette dernière, il a plutôt fait preuve de bonne foi.

56 Toutefois, même si j’ai tort sur ce point, et même si j’ai la compétence pour entendre la plainte, les faits présentés ne m’ont pas convaincu que la plainte de déni du droit à la justice naturelle ou à l’application régulière de la loi était fondée. Il est vrai que le processus d’appel lié à la classification était en suspens pour une très longue période. Il est compréhensible que de tels délais deviennent frustrants. Les défendeurs n’ont toutefois jamais nié le droit de M. Comiskey de présenter un appel. Les délais sont attribuables au fait que son appel faisait partie de milliers d’autres et qu’on ne pouvait pas l’analyser tant que la description de travail qui s’y rattachait n’avait pas été rédigée et acceptée. Ainsi, en toute honnêteté, on pourrait se dire que M. Comiskey a été en quelque sorte l’artisan de ces délais, dans la mesure où les objections qu’il a opposées à sa description de travail y ont contribué. Tant et aussi longtemps que la description de travail n’avait pas été revue et négociée, il était impossible d’analyser le grief de classification. Une fois la révision et la négociation complétées, il était possible de procéder à l’audience de l’appel. Les défendeurs n’ont jamais nié le droit de M. Comiskey de présenter un appel. Mme McCusker a déclaré que ce droit existait toujours. La seule chose qui entrave le processus d’appel est, comme cela a toujours été le cas, la nécessité pour M. Comiskey d’accepter sa description de travail. Une fois que cela sera fait, on pourra entendre l’appel.

57 Le dernier point que je voudrais soulever n’a pas réellement été présenté devant moi et ne fait pas nécessairement partie de ma décision. La plainte nomme Philip Jensen, Helen Gosselin, Janice Charette, Diane Finley et Monte Solberg comme défendeurs. Aucune tentative n’a été faite pour lier les faits ou la preuve présentée à l’un ou l’autre des défendeurs, à l’exception peut-être de M. Jensen. Mais même dans ce cas, la preuve démontre que ce qu’il a fait équivaut ni plus ni moins à ce dont on pouvait s’attendre s’il s’acquittait de ses devoirs et responsabilités. Une plainte voulant qu’un défendeur ait interféré avec les activités syndicales, ou commis un déni du droit à la justice naturelle constitue une plainte sérieuse. Une telle plainte ne devrait pas être portée à la légère. On ne devrait pas déposer une telle plainte à moins qu’il n’y ait des faits ou des preuves pour l’étayer. On ne devrait pas non plus avoir recours à une telle plainte, comme dans le cas présent, pour la simple raison que le plaignant n’a pas trouvé de textes légaux ni de règlements qui conviennent à sa plainte.

58 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance suivante :

IV. Ordonnance

59 La plainte est rejetée.

Le 17 février 2012.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
commissaire

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