Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que le défendeur, un représentant régional de son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, a manqué à son devoir de représentation équitable en retirant l'appui de l'agent négociateur à son grief, lequel contestait l’omission de l’employeur de considérer sa candidature à une nomination intérimaire- le plaignant était en affectation au Mexique lorsqu’on l’a informé de vive voix de la publication d’un avis d’intérêt - les employés intéressés par une nomination intérimaire devaient présenter leur curriculum vitae au plus tard le lendemain- le plaignant a envoyé un courriel dans lequel il signifiait son intérêt et mentionnait qu’il remettrait le document en question à son retour, ce qu'il a fait- il a été informé que sa candidature ne serait pas retenue, sa demande étant parvenue après l'échéance fixée; il a présenté un grief- l’agent négociateur a présenté son grief, mais a signalé au plaignant que son seul but était de négocier un règlement- au deuxième palier de la procédure de règlement de grief, l'agent négociateur lui a fait savoir qu'il retirait son appui au grief puis le plaignant a déposé la présente plainte- la Commission est d’avis que le droit à la représentation n’est pas absolu- les agents négociateurs ont beaucoup de latitude dans leurs décisions à l'égard de la représentation et bon nombre de raisons peuvent mener à la décision de ne pas représenter un membre- le plaignant n’a pas réussi à prouver que le défendeur avait agi de façon discriminatoire, arbitraire et de mauvaise foi, contrairement à l’article187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique- il n'a apporté aucune preuve probante supportant ses allégations d’hostilité personnelle ou de collusion entre l'employeur et le défendeur- le défendeur n’a pas fait preuve de négligence. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-02-24
  • Dossier:  561-02-447
  • Référence:  2012 CRTFP 23

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

GANDHI JEAN-PIERRE

plaignant

et

PIERRE ARCAND

défendeur

Répertorié
Jean-Pierre c. Arcand

Affaire concernant une plainte fondée sur l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour le défendeur:
David Girard, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Montréal (Québec),
du 11 au 13 avril 2011 et du 28 au 29 septembre 2011.

I. Plainte devant la Commission

1 Le 10 mars 2010, Gandhi Jean-Pierre (le « plaignant ») a déposé une plainte contre Pierre Arcand (le « défendeur »), un représentant régional de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, région du Québec (l’« Alliance » ou l’« agent négociateur »). Le plaignant a allégué que le défendeur avait manqué à son devoir de représentation équitable en refusant de le représenter dans le cadre d’un grief contestant le refus de son employeur de retenir sa candidature concernant un avis d’intérêt pour une affectation temporaire.

2 La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « LRTFP »), qui se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

3 Selon l’article 185 de la LRTFP : « pratiques déloyales » s’entend « de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188, et le paragraphe 189(1) ». La disposition particulière de la LRTFP visée par l’article 185 et se rapportant à la plainte en l’instance est l’article 187, qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

4 Cette disposition a été adoptée afin de voir à ce que les organisations syndicales, ainsi que leurs représentants, soient tenues à un devoir de représentation équitable; selon le plaignant, le défendeur ne s’est pas acquitté de ce devoir.

II. Résumé de la preuve

5 Lors de l’audience, j’ai entendu les témoignages des personnes suivantes : le plaignant, François Leblanc, le défendeur, Guy Boulanger, Éric Thériault.

6 Le plaignant est agent d’immigration à Citoyenneté et Immigration Canada (« CIC » ou l’« employeur »), un poste classifié au niveau PM-03 et situé à Montréal (Québec).

7 Le 10 novembre 2009, le directeur des opérations du bureau de Montréal de CIC a fait publier un avis visant à sonder l’intérêt de candidats potentiels pour combler temporairement postes de superviseurs intérimaires, classifiés au niveau PM-04, dans la région du Québec. Les candidats intéressés devaient soumettre, au plus tard le 18 novembre 2009, leur curriculum vitae ainsi qu’une lettre de présentation précisant comment ils répondaient aux compétences recherchées. Il ne s’agissait pas, selon le plaignant, d’un processus de dotation formel.

8 À l’époque en question, le plaignant était en affectation temporaire à l’ambassade canadienne du Mexique et n’avait pas reçu l’avis d’intérêt. Il a toutefois pris connaissance de l’avis lors d’une conversation téléphonique avec un collègue de travail du bureau de Montréal le 17 novembre 2009. C’est aussi à cette date qu’il fait parvenir un courriel au directeur des opérations afin de manifester son intérêt et demander une prorogation de la date de clôcture compte tenu de son affectation au Mexique. Le plaignant a proposé de soumettre sa lettre de présentation et son curriculum vitae à son retour à Montréal, c’est-à-dire durant la semaine du 23 novembre 2009.

9 Le plaignant a indiqué qu’il avait soumis sa documentation le 25 novembre 2009. Le jour suivant, il a été informé que sa candidature ne serait pas retenue par l’employeur puisque la documentation requise avait été soumise après la date butoir. Insatisfait de ce refus, le plaignant a déposé, le 9 décembre 2009, un grief contestant la non-retenue de sa candidature. Le grief a été soumis au premier palier de la procédure de règlement de grief; le plaignant était représenté par le président du syndicat local de l’agent négociateur, Eric Thériault. Lors de son témoignage, M. Thériault a indiqué qu’il avait clairement expliqué au plaignant que son grief n’avait aucun espoir de réussite. Il a tout de même accepté de représenter le plaignant au premier palier de la procédure dans le but de tenter d’obtenir une offre de règlement quelconque de la part de l’employeur, tout en sachant très bien qu’il était peu probable que ceci se produise. Le grief a été rejeté au premier palier le 7 janvier 2010. Selon l’employeur, il en revenait aux employés intéressés, incluant ceux qui étaient en affectation à l’étranger, de s’assurer de prendre les mesures nécessaires pour s’informer des perspectives d’emploi qui pourraient les intéresser.

10 Le 8 janvier 2010, le plaignant a mandaté M. Thériault de transmettre son grief au deuxième palier de la procédure. M. Thériault l’a alors informé qu’il ne pouvait le représenter au deuxième palier de la procédure puisque ce palier relevait du bureau régional. C’est alors qu’il a transféré le dossier au défendeur. Le plaignant a alors exprimé certaines préoccupations concernant le défendeur, plus particulièrement à cause de son refus de le représenter dans un autre grief, mais il s’est résigné au fait que M. Thériault n’avait pas l’autorité de le représenter à ce palier de la procédure.

11 Bien que le défendeur ait initialement accepté de transmettre le grief au deuxième palier de la procédure le 11 janvier 2010, celui-ci a informé le plaignant, le 8 février 2010, qu’il retirait son grief puisqu’il ne soulevait aucune violation de la convention collective applicable ou de la LRTFP. Plus tard durant cette rencontre, le défendeur s’est ravisé et a clarifié qu’il ne retirait pas le grief mais plutôt sa représentation quant au grief en question. Il a toutefois encouragé le plaignant à déposer une plainte à l’administrateur général concerné et possiblement au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le « TDFP »), ce que le plaignant n’a jamais fait car, selon lui, l’avis d’intérêt visait des affectations de moins de quatre mois, n’ouvrant donc pas droit à un recours en vertu de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « LEFP »). Selon le plaignant, c’était la deuxième fois que le défendeur refusait de le représenter sans aucune raison valable. Toutefois, aucune preuve indépendante, documentaire ou autre, n’a été présentée par le plaignant quant à la non-représentation antérieure alléguée.

12 Le 27 janvier 2010, puisque le défendeur n’était pas à son bureau, le plaignant a dit avoir remis un document contenant de l’information complémentaire à son grief à M. Thériault. À son retour d’une affectation temporaire en Ha¡ti, du 15 mars 2010 au 12 avril 2010, le plaignant a rencontré M. Thériault afin de récupérer son dossier de grief. Il a alors constaté que le document en question n’était pas au dossier. Quand il a questionné le défendeur à ce sujet, celui-ci a indiqué qu’il l’avait étudié et déchiqueté quelque temps plus tard. Le plaignant n’a pas envoyé de copie du document à son employeur et il n’a pas demandé au défendeur s’il l’avait fait.

13 Le 10 mars 2010, le plaignant a déposé sa plainte à l’encontre du défendeur.

14 M. François Leblanc a témoigné pour le plaignant. Celui-ci est gestionnaire en ressources humaines, Service à la clientèle, Bureau régional du Québec, chez l’employeur. Son témoignage a été relativement bref.

15 M. Leblanc a confirmé avoir rencontré le défendeur rapidement le 12 janvier 2010 afin de discuter du grief de façon informelle, d’échanger leurs positions respectives et de discuter des procédures à venir. Le défendeur lui a alors indiqué qu’il allait préciser le fondement de ses arguments à la suite de sa révision du dossier. Aucune question de fonds n’a été discutée durant cette rencontre.

16 Quelques heures plus tard, un important séisme est survenu en Ha¡ti et puisque plusieurs membres de la famille du plaignant y résidaient, le défendeur a demandé que le grief soit mis en attente, ce que M. Leblanc a accepté de faire.

17 En février 2010, M. Leblanc a été informé que le défendeur avait cessé de représenter le plaignant et que ce dernier avait été avisé de la situation. Il a ajouté que le grief du plaignant était en suspens depuis et qu’il n’avait jamais été réactivé. Selon M. Leblanc, le plaignant n’a jamais communiqué avec lui afin de discuter du grief ou de le réactiver. Il est à noter que dans un courriel du 10 mars 2010, M. Thériault rappelait au plaignant qu’il devait assumer sa propre représentation et communiquer directement avec l’employeur s’il voulait faire avancer son dossier. M. Leblanc a également indiqué qu’il était d’avis que le grief ne soulevait aucune question portant sur une violation de la LRTFP ou de la convention collective en vigueur et qu’il ne croyait pas qu’il existait une mesure corrective appropriée dans les circonstances. M. Leblanc a également confirmé n’avoir jamais reçu une copie des motifs additionnels du plaignant datée du 27 janvier 2010.

18 Bien que le plaignant ait exprimé à maintes occasions son intention d’appeler un témoin clé qui viendrait confirmer certaines de ses allégations quant à la réelle motivation du défendeur, celui-ci a choisi de ne pas appeler ce témoin, et ce, sans soulever quelque empêchement que ce soit de procéder à son assignation.

19 Lors de son témoignage, le défendeur a indiqué qu’il travaillait à CIC depuis 25 ans et qu’il était au moment pertinent représentant syndical au bureau régional du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC), un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada. Il a été représentant syndical pendant huit ans. Il n’occupe plus ces fonctions depuis le 19 avril 2010.

20 Le défendeur a été approché en décembre 2009 par M. Thériault au sujet du grief du plaignant. Il a eu une brève discussion avec lui quant à la représentation du plaignant au premier palier de la procédure. Après son rejet au premier palier, le grief lui a été remis puisque la représentation des griefs au deuxième palier relevait de sa compétence. Sans avoir eu la chance d’analyser le dossier du plaignant, le défendeur a accepté de signer le grief du plaignant et de le transmettre à l’employeur le 11 janvier 2010. Il a indiqué avoir agi de la sorte afin de protéger les intérêts du plaignant, compte rendu des délais applicables.

21 Le lendemain, le défendeur s’est entretenu avec M. Leblanc afin de discuter du dossier du plaignant. Il ne s’agissait pas, selon lui, d’une rencontre formelle mais plutôt d’une brève rencontre initiale lui permettant d’obtenir la position de l’employeur et d’évaluer la possibilité d’un règlement. Il a indiqué à M. Leblanc durant cette rencontre qu’il n’avait pas eu l’opportunité d’étudier le dossier et qu’il allait lui communiquer sa position dans un avenir rapproché.

22 Compte tenu du séisme en Ha¡ti qui a eu lieu peu de temps après, le défendeur a de nouveau communiqué avec M. Leblanc afin de lui demander de suspendre les délais applicables à la procédure, ce qu’il a accepté de faire.

23 Vers la fin du mois de janvier 2010, le défendeur a procédé à une analyse complète du dossier du plaignant. Selon le défendeur, cette analyse comprenait une étude des faits, tels qu’ils ont été relatés par le plaignant, de la documentation disponible, des motifs complémentaires du plaignant, de la convention collective applicable, des lois pertinentes, y compris la LRTFP et la LEFP, et de la jurisprudence. À la suite de cette analyse, le défendeur a conclu que le grief du plaignant, et plus particulièrement le fait que l’employeur avait décidé de ne pas retenir l’intérêt tardif du plaignant pour un poste intérimaire de moins de quatre mois, ne traitait aucunement d’une violation de la convention collective ou de la LRTFP et que le grief n’avait aucune chance de succès à l’arbitrage. De plus, selon le défendeur, les prétentions du plaignant voulant que les gestes posés par l’employeur portaient atteintes à ses conditions d’emplois ou étaient injustes, n’étaient aucunement soutenues par les faits, la convention collective ou la LRTFP. Selon le défendeur, le plaignant n’était pas le seul candidat dont l’avis d’intérêt avait été ignoré pour cause de retard.

24 Le 8 février 2010, le défendeur a rencontré le plaignant afin de lui communiquer ses conclusions et le fondement de son analyse, une rencontre d’une durée de 30 minutes qu’il a qualifié de difficile, compte tenu du comportement colérique du plaignant. Le défendeur a admis avoir erronément indiqué au plaignant durant cette rencontre qu’il allait retirer le grief. Il a par contre indiqué s’être repris, plus tard durant ladite rencontre, en clarifiant qu’il retirait non pas le grief en question mais plutôt la représentation par l’agent négociateur; Guy Boulanger, le représentant syndical nationale principal, participait à la rencontre par téléphone. Ce dernier a confirmé, lors de son témoignage, qu’il appuyait entièrement les conclusions et le raisonnement du défendeur et qu’il avait lui-même communiqué une position similaire à M. Thériault en novembre 2009, alors que ce dernier l’avait consulté au sujet du grief du plaignant. M. Boulanger a ajouté qu’il n’aurait pas permis au défendeur de retirer la représentation de l’agent négociateur s’il avait été d’avis qu’il existait un fondement quelconque dans le grief du plaignant, ce qui n’était pas le cas, selon lui. M. Thériault a confirmé, lorsqu’il a témoigné, avoir relaté les commentaires de M. Boulanger au plaignant en novembre 2009. Le plaignant n’a jamais communiqué avec M. Boulanger à la suite de la rencontre du 8 février 2010.

25 Le défendeur a indiqué avoir informé le plaignant qu’il pouvait poursuivre son grief sans la représentation de l’agent négociateur et qu’il pouvait également déposer une plainte à l’administrateur général de CIC en vertu de la LEFP. Il lui a aussi mentionné qu’il pouvait déposer une plainte formelle au TDFP, bien qu’il ait réalisé plus tard que la dernière option n’était pas viable puisque l’avis d’intérêt visait des opportunités de quatre mois moins un jour, une situation qui échappait à la compétence du TDFP. Le défendeur a ajouté qu’il avait clairement indiqué au plaignant que son grief n’avait aucune chance de succès et que les mesures correctives recherchées par le plaignant étaient sans objet puisque les postes visés par l’avis d’intérêt avaient déjà été comblés et libérés compte tenu de leur caractère temporaire. La même journée, le défendeur a informé l’employeur du retrait de l’agent négociateur.

26 Peu de temps après la rencontre du 8 février 2010, le défendeur a reçu un courriel du plaignant, daté du 17 février 2010, lui demandant de mettre par écrit le fondement de ses conclusions, ce qu’il a refusé de faire puisqu’il avait, selon lui, clairement énoncé le contenu de son analyse lors de la rencontre du 8 février 2010. De plus, il ne voulait pas s’engager dans un débat de fondement juridique compte tenu de l’échange tumultueux qu’il avait récemment vécu avec le plaignant. Il est à noter que M. Thériault avait déjà fourni au plaignant, dans un courriel du 10 février 2010, certaines dispositions législatives qui appuyaient les options et recours restreints qui s’offraient au plaignant.

27 En ce qui a trait au document dans lequel le plaignant énonçait certains motifs complémentaires, le défendeur a indiqué en avoir reçu une copie à la fin janvier 2010 qu’il a révisé et annoté à plusieurs endroits. Selon le défendeur, il s’agissait d’une copie personnelle qu’il pouvait utiliser à sa guise afin de procéder à l’analyse du dossier. Après avoir communiqué sa décision de retirer la représentation de l’agent négociateur, il a déchiqueté le document. Il était sur le point de déménager son bureau et il voulait se défaire des documents sans incidences afin de faciliter ce déménagement. Selon lui, le document ne pouvait servir à quoi que ce soit puisqu’il contenait plusieurs annotations à caractère plutôt négatif. Le défendeur a ajouté que personne ne l’avait informé que l’employeur n’était pas déjà en possession du document; de plus, personne ne lui avait demandé de faire parvenir une copie du document en question à l’employeur et rien n’empêchait le plaignant d’en faire parvenir une copie à l’employeur lorsqu’il a pris connaissance du déchiquetage. Le grief du plaignant, selon le défendeur, était toujours actif à ce moment, bien que les délais applicables étaient suspendus.

28 En contre-interrogatoire, le défendeur a confirmé qu’il n’avait jamais refusé de représenter le plaignant dans le passé, un fait qui n’a pas été contredit, que ce soit au moyen d’un témoignage indépendant ou d’une preuve documentaire. De plus, en réponse à la suggestion du plaignant qu’il avait agi en collusion avec l’employeur lors du traitement de son grief, le défendeur a confirmé n’avoir jamais participé à un pacte ou autre forme d’entente avec l’employeur qui aurait eu pour objet de retirer la représentation de l’agent négociateur. Ce fait n’a également pas été contredit, que ce soit au moyen d’un témoignage indépendant ou d’une preuve documentaire.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

29 Les arguments du plaignant ont été brefs.

30 Le plaignant soutient que la conduite de l’employeur, lors des évènements qui ont suivi l’avis d’intérêt du 10 novembre 2010, équivaut à une injustice flagrante qui a eu pour effet de lui nier l’accès équitable à une opportunité d’emploi. Selon lui, le défendeur avait le devoir, dans de telles circonstances, de le représenter.

31 Selon lui, le défendeur ne pouvait pas retirer sa représentation sur la base que le grief était sans fondement car il avait préalablement appuyé la transmission dudit grief au deuxième palier. Il ajoute que ce changement de position de la part du défendeur démontre la mauvaise foi de celui-ci.

32 Le plaignant soutient également que la preuve démontre que le défendeur n’a procédé qu’à une analyse superficielle de son dossier et qu’il n’a considéré aucun critère objectif lors de la révision de la documentation pertinente. De plus, le fait que le défendeur n’en était pas à son premier refus de représentation envers le plaignant et qu’il ait agi en collusion avec l’employeur démontre, selon le plaignant, que celui-ci n’était pas de bonne foi.

33 Selon le plaignant, le défendeur a agi non seulement de façon arbitraire mais également de mauvaise foi.

34 Le plaignant réclame la somme de 12 500 $ pour les préjudices moraux qu’il dit avoir subi, incluant la perte de jouissance de la vie et l’anxiété. Dans l’alternative, il réclame une ordonnance enjoignant le défendeur ou un autre représentant de l’agent négociateur, de le représenter au deuxième palier de la procédure de règlement de grief.

B. Pour le défendeur

35 Le défendeur soutient que le plaignant savait dès le dépôt de son grief que ses chances de réussite étaient nulles et que la représentation fournie par l’agent négociateur visait uniquement à faire réagir l’employeur dans le but d’obtenir une résolution favorable pour le plaignant.

36 Il ajoute qu’il a agi de bonne foi et qu’il s’est livré à une analyse sérieuse et complète du dossier du plaignant, incluant une révision de l’information obtenue de M. Thériault, des motifs supplémentaires du plaignant, de la convention collective en vigueur et des articles de lois applicables.

37 Le défendeur soutient qu’il a clairement communiqué le fondement des conclusions de son analyse au plaignant lors de la rencontre du 8 février 2010 et qu’il lui a même offert des options, incluant la possibilité de déposer une plainte formelle à l’administrateur général concerné. Il ajoute que bien qu’il ait refusé de répéter cet exercice par écrit le 17 février 2010, la nature de la dispute entre le plaignant et son employeur était relativement simple et ne nécessitait pas plus qu’une explication verbale. De plus, certaines dispositions législatives pertinentes lui avaient déjà été fournies le 10 février 2010.

38 Le défendeur soutient que trois différents représentants syndicaux ont été impliqués dans le dossier du plaignant, incluant le défendeur, et que tous ont confirmé que le grief en question n’avait aucune chance de succès. Les deux autres représentants, Messieurs Thériault et Boulanger, ont appuyé, lors de leurs témoignages, les conclusions découlant de l’analyse du défendeur.

39 Selon le défendeur, le plaignant n’a présenté aucune preuve concernant ses présumés préjudices moraux ou pertes financières. De plus, il savait depuis le 10 mars 2010, au plus tard, qu’il devait lui-même assumer sa propre représentation et communiquer directement avec l’employeur, ce qu’il n’a jamais fait.

40 Pour supporter ses arguments, le défendeur m’a renvoyé à : Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39; Baun c. Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 127; Tsai c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada et Sand, 2011 CRTFP 78.

41 Selon le défendeur, le plaignant n’a pas réussi à établir une violation de la Loi. Le défendeur ajoute qu’il a agi de façon diligente et qu’il a étudié sérieusement et exhaustivement le dossier du plaignant.

IV. Motifs

42 Dans le cadre d’une plainte présentée en vertu de l’article 187 de la Loi le fardeau de la preuve incombe au plaignant. Ce fardeau exige que le plaignant présente une preuve suffisante pour établir que le défendeur a failli à son devoir de représentation équitable.

43 Tel que je l’ai indiqué ci-dessus, l’article 187 a été adopté afin de voir à ce que les organisations syndicales, ainsi que leurs représentants, soient tenues à un devoir de représentation équitable. Toutefois, bien que tout fonctionnaire a le droit de s’attendre à ce qu’une analyse appropriée de son dossier soit effectuée, il n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible.

44 Dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada,  au paragraphe 17, la Commission a rejeté l’idée que le droit à la représentation des travailleurs syndiqués puisse constituer un droit absolu, s’exprimant comme suit à cet égard:

[17] La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision.[…]

45 Tel qu’il est suggéré dans Halfacree, le rôle de la Commission est de décider si le défendeur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le cadre du processus décisionnel menant à la décision de ne pas représenter le plaignant; il ne consiste pas à décider si la décision du défendeur était correcte ou non.

46 Ce pouvoir discrétionnaire, bien qu’il puisse sembler assez large, n’est toutefois pas absolu. La portée du devoir de représentation équitable a été établie par la Cour suprême du Canada (CSC) dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre, [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527. Dans cette décision, la Cour suprême décrit en ces termes les principes sous-tendant le devoir de représentation équitable :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

47 Le sens de l’expression « conduite arbitraire » a été examiné par la Commission dans Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, aux paragraphes 22 et 23 :

[22] Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée.

[…]

[23] Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

48 Il ne fait aucun doute que la barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire — ou discriminatoire ou de mauvaise foi — est placée très haut à dessein. Les agents négociateurs et leurs représentants jouissent d’une grande latitude relativement aux décisions qu’ils doivent prendre en matière de représentation. Plusieurs raisons peuvent fonder une décision de l’agent négociateur de ne pas représenter un fonctionnaire. A ce sujet, la Commission a fait le commentaire suivant dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52 :

[…]

[44][…] Il revient à l'agent négociateur de décider des griefs qu'il traite et de ceux qu'il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l'agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l'organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l'agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[Traduction]

[…]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

49 Le plaignant devait établir qu’il y avait eu violation de l’article 187 de la Loi, ce qui exigeait qu’il présente des éléments de preuve établissant que le défaut du défendeur de le représenter au deuxième palier de la procédure était arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Mon analyse des faits et de la preuve présentée par les parties ne révèle aucun signe que le défendeur a agi de manière discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi. Aucun élément présenté par le plaignant n’a permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait eu violation de l’article 187 de la Loi.Le plaignant n’a présenté aucune preuve indépendante, documentaire ou autre, venant confirmer que le défendeur avait préalablement refusé de représenter le plaignant ni la raison de ce refus. Le défendeur a nié ce fait et n’a pas été contre-interrogé sur cette partie de son témoignage. Le plaignant n’a lui-même présenté aucune preuve ou contexte concernant cette allégation.

50 De même, le plaignant n’a présenté aucune preuve indépendante, documentaire ou autre venant supporter son argument voulant que le défendeur avait agi en collusion avec l’employeur lors du retrait de représentation de l’agent négociateur.

51 En outre, rien dans la preuve qui m’a été présentée ne m’a permis de conclure que le défendeur avait manifesté une attitude désinvolte ou cavalière envers les intérêts du plaignant ou qu’il avait agi de manière trompeuse, malveillante ou en raison de quelque hostilité à son égard. Je n’ai aucune raison de croire que ce dernier a agi de façon négligente ou qu’il a traité le plaignant différemment des autres fonctionnaires et que telle distinction, le cas échéant, aurait pu être attribuable à des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables.

52 Par ailleurs, je suis d’avis que le défendeur connaissait les circonstances entourant le grief et avait en main toute l’information nécessaire pour prendre une décision concernant la représentation du plaignant au deuxième palier de la procédure. Je suis également convaincu que le défendeur a examiné les circonstances du grief, qu’il en a apprécié le bien-fondé et qu’il a pris une décision éclairée à savoir si l’agent négociateur devait continuer de représenter le plaignant. Les conclusions du défendeur n’étaient pas différentes de celles des deux autres représentants syndicaux impliqués dans le dossier du plaignant, c’est-à-dire Messieurs Thériault et Boulanger.

53 Il va sans dire qu’il aurait été préférable que le défendeur fasse un suivi auprès du plaignant lui faisant parvenir le motif du retrait de représentation par écrit, mais ce manquement n’est pas, selon moi, fatal dans les circonstances. Les explications fournies par le défendeur durant la rencontre du 8 février 2010 ont permis au plaignant de prendre connaissance de la décision du défendeur et du raisonnement derrière cette décision.

54 Pour ces motifs, je conclus que le plaignant n’a pas établi que le défendeur s’est livré à une pratique déloyale de travail ni qu’il a contrevenu à l’article 187 de la Loi.

55 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

56 La plainte est rejetée.

Le 24 février 2012.

Stephan J. Bertrand,
commissaire

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