Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a allégué que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation équitable en retirant leur représentation relativement à deux griefs déposés par le plaignant - les défendeurs ont soulevé une objection préliminaire pour cause de non-respect des délais et ont réfuté toute violation de l’article 187 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - le plaignant a été avisé qu’on mettait fin à son emploi pour une durée déterminée en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique en raison de son inaptitude à atteindre le niveau de rendement requis - le plaignant a présenté un grief et une série de communications a par la suite été échangée avec les défendeurs - les défendeurs lui ont demandé de leur fournir de la documentation au soutien de son grief, mais ils n’étaient pas satisfaits du résultat; ils ont alors avisé le fonctionnaire qu’ils retiraient leur soutien - le plaignant s’est adressé à la présidente du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC), MmeJeannetteMeunier-McKay - elle a confirmé la décision de retirer la représentation et il a déposé une plainte à cet égard - le fait que le plaignant a supposément transmis sa plainte, par erreur, à une autre commission de relations de travail non identifiée avant de la transmettre à la Commission des relations de travail dans la fonction publique ne peut justifier la prorogation du délai prescrit pour présenter une plainte - leplaignant connaissait ou aurait dû connaître les gestes ou les circonstances donnant lieu à sa plainte contre le SEIC lorsqu’il a reçu la lettre l’avisant que le syndicat retirait sa représentation - par conséquent, sa plainte était hors délai - la lettre de MmeMeunier-McKay n’a pas prorogé les délais impartis - la plainte contre le SEIC était hors délai - la plainte contre MmeMeunier-McKay était également hors délai et n’était qu’une tentative de proroger le délai prescrit - même si la plainte avait été déposée à l’intérieur des délais prescrits, le commissaire l’aurait rejetée malgré tout - la conduite des défendeurs n’était pas arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi, et aucune preuve d’hostilité ou de négligence n’a été établie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-03-07
  • Dossier:  561-02-446
  • Référence:  2012 CRTFP 30

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

CHUCK R.U. ENNIS

plaignant

et

JEANNETTE MEUNIER-MCKAY ET
SYNDICAT DE L’EMPLOI ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeurs

Répertorié
Ennis c. Meunier-McKay et Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour le plaignant:
lui-même

Pour les défendeurs :
Tiffani Murray, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Vancouver (Colombie-Britannique),
du 5 au 7 octobre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 9 mars 2010, Chuck R. U. Ennis (le « plaignant ») a déposé une plainte contre Jeannette Meunier-McKay, présidente nationale du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (le « SEIC ») et le SEIC lui-même (les « défendeurs »). Le SEIC est un élément de l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l « AFPC » ou l’« agent négociateur »). Le plaignant a soutenu que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation équitable en lui retirant les services de représentation du SEIC pour deux griefs qu’il avait présentés en mars 2008.

2 La plainte a été déposée en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), qui se lit comme suit :

190.(1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique délo yale au sens de l’article 185.

3 L’article 185 de la Loi définit une pratique déloyale de travail comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188, et le paragraphe 189(1) de la Loi. La disposition de la Loi visée par l’article 185 qui s’applique le mieux aux faits en l’espèce (et seule disposition alléguée par le plaignant) est l’article 187, qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

Cette disposition a été édictée pour que les organisations syndicales et leurs représentants soient tenus à un devoir de représentation équitable. Selon le plaignant, les défendeurs ne se sont pas acquittés de ce devoir.

4 Les défendeurs ont soulevé une objection préliminaire, affirmant que la plainte n’avait pas été déposée en temps opportun. De plus, ils ont soutenu que même si la plainte avait été présentée en temps opportun, aucune infraction à l’article 187 de la Loi n’a été commise.

II. Résumé de la preuve

5 La preuve qui m’a été présentée comprend les témoignages du plaignant et de Leta Ruth Karen Abercrombie, présidente de la section locale 20917 du SEIC. Vingt-huit pièces justificatives, dont certaines contenant plusieurs documents, ont été présentées. Même si j’ai jugé que le témoignage du plaignant avait peu de valeur et d’utilité, j’ai néanmoins été en mesure d’apprécier les faits pertinents à sa plainte grâce au témoignage de Mme Abercrombie et à l’examen des pièces justificatives. Plutôt que de présenter une chronologie factuelle des événements pertinents qui ont mené à sa plainte et de renvoyer aux documents appuyant ses allégations, le plaignant a présenté différentes opinions, analogies et anecdotes qui n’avaient pas de lien avec la plainte.

6 Le 16 juillet 2007, le plaignant a été engagé à titre d’agent de programme, un poste de niveau PM-02, d’une durée déterminée au sein de Ressources humaines et Développement des compétences Canada/Service Canada (l’« employeur »). Son emploi d’une durée déterminée était assujetti à une période de stage de 12 mois afin d’évaluer son aptitude à assumer les fonctions du poste pour lesquelles il avait été engagé.

7 Le 25 février 2008, le plaignant a été avisé qu’on avait mis fin à son emploi d’une durée déterminée conformément au paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. (2003), ch. 22, art. 12 et 13 (la « LEFP ») et que son licenciement prendrait effet le 21 mars 2008. L’employeur a déclaré que le plaignant a été renvoyé en cours de stage en raison de sa supposée incapacité d’atteindre le niveau de rendement requis pour son poste.

8 Le 17 mars 2008, le plaignant a présenté deux griefs. Dans le premier grief, il a allégué que l’employeur avait agi de façon arbitraire, capricieuse, inéquitable et trompeuse lorsqu’il l’a renvoyé en cours de stage; il a aussi allégué que son renvoi en cours de stage constituait une mesure disciplinaire déguisée. Dans le deuxième grief, il a allégué que le traitement défavorable de l’employeur à son endroit était discriminatoire et fondé sur des motifs liés à la race et à la religion. Le plaignant a par la suite demandé au SEIC d’ajouter les origines nationale et ethnique ainsi que le genre et la couleur aux motifs; le SEIC l’a fait. Les deux griefs ont été présentés avec le soutien initial du SEIC et de l’agent négociateur.

9 Entre juin 2008 et août 2009, plusieurs courriels ont été échangés entre le plaignant, Mme Abercrombie et Julie Paul, représentante nationale du SEIC. Dans ces courriels, les représentantes du SEIC ont donné des renseignements et des explications sur leurs rôles; la procédure de règlement des griefs; la procédure suivie par l’agent négociateur pour les demandes de renvoi à l’arbitrage; le processus d’arbitrage; les pouvoirs réparateurs conférés par la Loi; l’importance de fournir des preuves à l’appui des allégations contenues dans ses griefs; le processus de règlement des plaintes de la Commission canadienne des droits de la personne pour les plaintes de discrimination fondée sur des motifs de distinction illicites.

10 Comme en témoigne le contenu de ces courriels, le plaignant s’est fait demander à maintes reprises de préparer une chronologie des faits et d’assembler tous les documents pouvant étayer ses griefs. Toutefois, selon Mme Abercrombie, très peu de documents ont été fournis et ce qui a été fourni n’avait qu’une valeur limitée. Par conséquent, les griefs du plaignant ont été mis en suspens en attendant la présentation des renseignements demandés, tel qu’il est démontré dans une lettre de Mme Paul datant du 9 décembre 2008 et qui se lit comme suit :

[Traduction]

À la suite de ma lettre du 9 juillet 2008, nous n’avons reçu aucune communication de votre part et, par conséquent, nous n’avons pas eu la confirmation que vous aviez reçu les documents que vous tentiez d’obtenir au moyen d’une demande de communication de renseignements personnels. De plus, vous n’avez toujours pas fourni les documents pour étayer vos griefs.

Veuillez nous aviser si vous avez l’intention d’aller de l’avant ou non avec vos griefs.

Nous nous sommes arrangés avec l’employeur pour que vos griefs soient mis en suspens, mais il s’est enquis de l’état de ces cas. Si nous ne recevons pas de nouvelles de vous d’ici le 4 janvier 2009, nous fermerons vos dossiers et en aviserons l’employeur.

11 En juillet 2009, l’employeur a envoyé un courriel à Mme Paul pour l’informer qu’il avait fait parvenir ce qu’il considérait être les dossiers réclamés lors de la demande de communication de renseignements personnels du plaignant depuis février 2009 et qu’il n’était plus prêt à laisser ses griefs en suspens. Ce courriel a incité Mme Paul à demander de nouveau au plaignant les documents à l’appui. Le 22 juillet 2009, le plaignant lui a remis quelques documents, notamment des lettres de son chef d’équipe, datées du 9 novembre 2007 et du 18 janvier 2008, dans lesquelles plusieurs préoccupations avaient été soulevées concernant les compétences et les aptitudes du plaignant. Dans ces lettres, le chef d’équipe est allé jusqu’à avertir le plaignant qu’il pourrait être renvoyé en cours de stage s’il ne parvenait pas à démontrer, dans un délai raisonnable, qu’il avait les compétences requises pour le poste. Après avoir examiné les documents, Mme Paul a demandé des explications et des renseignements additionnels au plaignant.

12 Le 7 août 2009, le plaignant a répondu à Mme Paul au moyen d’une déclaration de 11 pages qu’elle a décrite comme [traduction] « un long document décousu qui démontrait sa colère, et qui comprenait des opinions diverses, des analogies incompréhensibles et de comptes rendus confus de différents événements ». Je qualifierais cette description de représentative du témoignage que j’ai entendu de lui. Selon Mme Paul, le plaignant, qui avait reçu des documents de l’employeur à la suite de sa demande de communication de renseignements personnels, n’avait toujours pas produit de preuve pour étayer la prémisse voulant que son renvoi ait été motivé par autre chose qu’une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant à ses aptitudes ou qu’il ait été fondé sur un motif de discrimination illicite. À ce stade, Mme Paul a entrepris d’examiner les renseignements et les éléments de preuves dont elle disposait. Son analyse l’a amenée à conclure que le renvoi en cours de stage était basé uniquement sur des motifs liés à l’emploi.

13 Le 30 octobre 2009, Mme Paul a envoyé un courriel au plaignant l’avisant que le SEIC ne le représenterait plus dans le cadre de ses deux griefs. Dans ce courriel, Mme Paul l’a également prévenu que l’employeur serait informé de sa décision de mettre un terme à la représentation du SEIC et qu’on demanderait à l’employeur de lui accorder plus de temps pour lui permettre de préparer ses dossiers. Elle lui a transmis les dates suggérées pour l’audience au second palier de la procédure de règlement des griefs ainsi que les coordonnées du représentant de l’employeur. Enfin, et plus important encore, Mme Paul a fait parvenir au plaignant une analyse de ses griefs de 13 pages, qui faisait état de manière très détaillée (i) des faits relatifs à son rendement entre juillet 2007 et février 2008, comme il était indiqué dans les documents qui lui avaient été fournis; (ii) du manque de preuves convaincantes pour étayer le grief de discrimination; (iii) de ses conclusions quant aux chances de succès de chaque grief et (iv) du raisonnement ayant mené à ses conclusions.

14 Le plaignant a admis avoir reçu le courriel du 30 octobre 2009 de Mme Paul, ce qui est également confirmé par le fait qu’il l’a transmis à un avocat exerçant à Vancouver seulement deux jours plus tard. Le plaignant a toutefois mentionné qu’il [traduction] « ne se souvenait pas » avoir reçu l’analyse qui y était jointe. En contre-interrogatoire, il a reconnu n’avoir jamais demandé de copie de l’analyse après avoir reçu le courriel de Mme Paul, en dépit du fait que le courriel faisait référence à la pièce jointe dans l’en-tête et précisait ce qui suit dans le paragraphe d'introduction : [traduction] « Veuillez trouver ci-joint mon analyse de vos griefs ». Le plaignant a, encore une fois, admis qu’il avait reçu la copie papier de ce courriel au début de novembre 2009 et qu’il n’avait pas demandé la pièce jointe à ce moment-là non plus. Le plaignant a mentionné qu’il n’avait jamais parlé à Mme Paul et que toutes les communications qu’il avait eues avec elle s’étaient faites par courriel ou par la poste.

15 Le 12 novembre 2009, le plaignant a écrit à la présidente du SEIC au sujet de la décision de Mme Paul de ne plus le représenter dans le cadre de ses griefs. Sa lettre n’a pas été soumise en preuve et, selon les défendeurs, n’a pas été présentée dans le cadre d’un processus d’appel interne, étant donné qu’il n’y en a pas. Quoi qu’il en soit, le plaignant a reconnu ne pas avoir demandé une copie de l’analyse de Mme Paul lorsqu’il a écrit à Mme Meunier-McKay le 12 novembre 2009.

16 Le 23 novembre 2009, Mme Meunier-McKay a répondu au plaignant et a confirmé la décision de Mme Paul de lui retirer les services de représentation de l’agent négociateur, soit la même décision qui lui avait déjà été communiquée le 30 octobre 2009. Lors de son témoignage, le plaignant a prétendu n’avoir reçu cette lettre qu’au début du mois de décembre 2009, mais qu’il ne pouvait confirmer la date exacte. Lorsqu’on lui a fait remarquer que la Loi exigeait qu’il ait eu connaissance de l’action, de l’omission ou de la situation ayant donné lieu à la plainte dans les 90 jours de son dépôt, soit le 9 décembre 2009 dans son cas, il s’est souvenu avoir reçu la réponse ce jour-là exactement. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a admis avoir été au courant, dès le 30 octobre 2009, qu’il y avait un problème et que le SEIC ne le représenterait plus, et il a déclaré avoir été choqué par le retrait des services de représentation du syndicat.

17 Le 9 mars 2010, le plaignant a déposé sa plainte auprès de la Commission. La date qui apparaît au-dessus de sa signature, à la dernière page, est le 4 février 2010. Le plaignant a affirmé avoir rempli le formulaire de plainte à cette date et l’avoir envoyé quelques jours plus tard par courrier prioritaire à une commission des relations de travail à Vancouver. Il n’était pas en mesure de préciser la date à laquelle il avait envoyé la demande ni le nom et l’adresse de la commission des relations de travail en question. Aucun bordereau ou reçu de livraison n’a été produit en preuve. Le plaignant a indiqué qu’il avait par la suite reçu un appel de cette commission des relations de travail et qu’il avait été avisé qu’il n’avait pas envoyé sa plainte à la bonne commission. Il a alors demandé à la personne qui l’avait contacté de transmettre sa plainte à l’entité appropriée (la présente Commission). Le plaignant ne pouvait préciser le nom de la personne à qui il avait parlé ni la date de la conversation. J’ai également constaté que le document ne contenait pas de lettre d’accompagnement d’une autre commission ou d’un tribunal quelconque informant la présente Commission qu’on lui renvoyait la plainte.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

18 L’argumentation du plaignant était succincte. Pour ce qui est de l’objection liée au non-respect du délai, il a déclaré qu’il avait eu connaissance de la décision du SEIC de mettre un terme à sa représentation le 9 décembre 2009 seulement et que le dépôt de sa plainte à Vancouver, peu après le 4 février 2010, était à l’intérieur du délai prescrit; ainsi, sa plainte a donc été soumise en temps opportun. Le plaignant a semblé faire peu de cas de l’avis de retrait des services daté du 30 octobre 2009, parce que l’analyse de Mme Paul, a-t-il prétendu, n’y était pas jointe.

19 Pour ce qui est de la conduite des défendeurs, le plaignant a soutenu que la preuve démontrait clairement que leur conduite tenait de l’arbitraire, de la mauvaise foi et de la discrimination. Selon le plaignant, cette attitude était manifestement apparente dans le ton et le langage utilisés dans les différentes communications de Mme Paul et des défendeurs, qui dénotaient une antipathie, une hostilité et une animosité profondes à son égard.

20 Selon le plaignant, les défendeurs et Mme Paul n’ont jamais manifesté le moindre intérêt ni fourni le moindre effort lors de l’examen de ses nombreuses déclarations et de ses documents. Il a ajouté qu’à son avis ils ont tous manqué à leur devoir de défendre ses droits. Par conséquent, ils devraient être tenus responsables de leurs échecs. Je remarque que Mme Paul n’a pas été nommée comme défenderesse dans cette affaire.

B. Pour les défendeurs

21 Les défendeurs ont soutenu que la plainte était nettement hors délai et que je n’avais pas le pouvoir législatif de proroger le délai applicable. Sur ce dernier point, ils m’ont renvoyé à Cuming c. Butcher et al., 2008 CRTFP 76, au paragraphe 35, et à Panula c. Agence du revenu du Canada et Bannon, 2008 CRTFP 4.

22 Selon les défendeurs, le plaignant a été mis au courant du retrait des services de représentation par le courriel du 30 octobre 2009 de Mme Paul. Il n’a pas demandé une deuxième confirmation de la part de Mme Meunier-McKay, étant donné que le courriel indiquait clairement que la décision de retirer les services avait été prise [traduction] « en consultation avec le bureau national du SEIC » et qu’il avait été envoyé en copie conforme au vice-président du Comité exécutif national du SEIC. De plus, la lettre du plaignant du 12 novembre 2009, dans laquelle il conteste la décision de Mme Paul, n’a pas été présentée dans le cadre d’un processus d’appel interne, puisqu’un tel mécanisme n’existe pas, ce qui donne à penser que la réponse de Mme Meunier-McKay du 23 novembre 2009 ne pouvait proroger le délai applicable.

23 Les défendeurs ont fait valoir que les affirmations du plaignant, soit qu’il a eu connaissance des événements donnant lieu à sa plainte uniquement au moyen de la lettre du 23 novembre 2009, qu’il a reçu cette lettre le 9 décembre 2009 seulement et qu’il a déposé sa plainte le 4 février 2010 ou vers cette date auprès d’une commission des relations de travail non identifiée, manquaient toutes sérieusement de crédibilité.

24 Pour ce qui est du bien-fondé de la plainte, les défendeurs ont affirmé que la preuve ne démontrait pas que Mme Meunier-McKay ou tout autre représentant du SEIC avait agi de mauvaise foi ou de façon arbitraire ou discriminatoire. Selon les défendeurs, c’est le contraire qui a été démontré. La preuve a établi que tous les représentants du SEIC qui étaient intervenus dans le dossier du plaignant avaient fait preuve de diligence, de compétence et de compassion.

25 De plus, les défendeurs ont soutenu que la preuve avait également établi que c’était le ton du plaignant qui était hostile et irrespectueux à l’endroit des représentants du SEIC et non pas l’inverse. Ils ont ajouté que le plaignant n’avait simplement pas produit les renseignements et les documents qui lui avaient été demandés pour étayer ses allégations et que les efforts répétés de Mme Paul pour les obtenir s’étaient constamment heurtés à de l’hostilité.

26 À l’appui de leurs arguments, les défendeurs m’ont renvoyé à : Baun c. Élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 127; Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 64; Tsai c. Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada et Sand, 2011 CRTFP 78.

IV. Motifs

A. Respect des délais

27 Cette affaire porte en partie sur le fait que les défendeurs soutiennent que la plainte n’a pas été déposée dans le délai prescrit. Le respect des délais est un facteur fondamental, et son élément clé est décrit au paragraphe 190(2) de la Loi :

190. (2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

28 La Commission a affirmé à maintes reprises le caractère obligatoire du paragraphe 190(2) de la Loi. Le délai pour le dépôt d’une plainte doit toujours être respecté. Pour ce qui est de l’interprétation du paragraphe 190(2), la Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 55 de Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78 :

[55] Le libellé de cette disposition revêt manifestement un caractère obligatoire en raison des mots « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] ». Aucune autre disposition de la nouvelle LRTFP n'habilite la Commission à proroger le délai prescrit par le paragraphe 190(2). Par conséquent, le paragraphe 190(2) de la nouvelle LRTFP fixe une limite de temps, limitant ainsi le pouvoir de la Commission d'examiner et d'instruire toute plainte voulant qu'une organisation syndicale s'est livrée à une pratique déloyale de travail, au sens de l'article 185 (lequel est mentionné à l'alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP), et cela vaut pour les actions ou circonstances dont le plaignant avait connaissance ou, de l'avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant la date de la plainte.

29 Ma compétence se limite à déterminer, en fonction des preuves devant moi, la date de dépôt de la plainte et la date de début de la période de 90 jours. En d’autres termes, je dois déterminer la date à laquelle le plaignant a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des actions ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte, ce qui repose purement sur des questions de fait.

30 Même si la plainte a été signée par le plaignant le 4 février 2010, je conclus qu’il l’a présenté à la Commission le 9 mars 2010, tel qu’il est confirmé par le sceau de réception apposé sur chaque page. L’explication du plaignant concernant le dépôt de la plainte n’est pas très convaincante, et ne change rien au fait que la plainte n’a été déposée devant cette commission que le 9 mars 2010, peu importe son intention. Bien que l’allégation du plaignant voulant qu’il ait déposé sa plainte par erreur à la mauvaise commission pourrait être considérée dans une affaire concernant une prolongation de délai, il n’en est pas question ici, et je n’ai aucunement le pouvoir de prolonger le délai prescrit. Par conséquent, la plainte doit être fondée sur les actions et les circonstances dont le plaignant avait connaissance, ou dont il aurait dû avoir connaissance, au plus tard le 9 décembre 2009. Les actions et les circonstances attribuables aux défendeurs qui ont eu lieu avant cette date et dont le plaignant avait connaissance n’auraient pas pu donner lieu à la plainte, car elles auraient sans aucun doute eu lieu à l’extérieur de la période de 90 jours.

31 Après avoir examiné les témoignages et les preuves documentaires des parties, je suis convaincu que le plaignant avait connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des actions ou des circonstances qui ont donné lieu à la partie de sa plainte contre le SEIC le 30 octobre 2009, lorsque Mme Paul l’a avisé que le SEIC ne le représenterait plus dans le cadre de ses deux griefs et que la décision de retirer son appui avait été prise en consultation avec le bureau national du SEIC. Dans son courriel, Mme Paul a non seulement informé le plaignant que le SEIC ne le représenterait plus, mais elle lui a également donné des renseignements utiles sur les procédures à venir et les délais applicables ainsi qu’une analyse de ses griefs qui expliquait pourquoi le SEIC avait retiré son appui. Comme le plaignant n’avait pas accès à un processus d’appel interne pour contester cette décision, le seul recours dont il disposait était de déposer une plainte devant la Commission en vertu de l’article 190 de la Loi, ce qu’il a fait le 9 mars 2010.

32 Pour en arriver à la conclusion que la plainte contre le SEIC a été déposée à temps, je devrais reconnaître que le plaignant n’a pas eu connaissance des circonstances ayant donné lieu à sa plainte avant le 9 décembre 2009; je ne peux simplement pas en arriver à cette conclusion. Même si j’étais prêt à admettre que le plaignant n’a reçu la lettre du 23 novembre 2009 de Mme Meunier-McKay que le 9 décembre 2009, tel qu’il a été suggéré, rien dans cette lettre ne me permettrait de prolonger le délai pour une plainte comme celle-ci, car le courriel ne faisait que répéter, en beaucoup moins de mots, ce que Mme Paul avait déjà dit au plaignant le 30 octobre 2009 au nom du bureau national du SEIC. Je ne suis pas du tout convaincu que le plaignant avait besoin de la lettre du 23 novembre 2009 de Mme Meunier-McKay pour prendre connaissance des actions et des circonstances ayant donné lieu à sa plainte contre le SEIC, car il connaissait déjà ces actions ou ces circonstances depuis le 30 octobre 2009. Ainsi, il importe peu de déterminer si le plaignant a déposé sa plainte le 4 février 2010, comme il le soutient, ou le 9 mars 2010 comme le démontre le sceau de réception de la Commission, car la plainte contre le SEIC était en retard dans les deux cas.

33 Je rejette l’argument du plaignant selon lequel il n’aurait pas pu prendre connaissance des actions ou des manquements ayant mené à sa plainte contre le SEIC au moyen du courriel du 30 octobre, parce que l’analyse de Mme Paul n’y était prétendument pas jointe. Compte tenu de la preuve disponible dans le dossier, notamment du fait que l’analyse était mentionnée dans l’en-tête et dans le corps du courriel, cette allégation est improbable. Qui plus est, même si l’analyse n’avait pas été jointe au courriel, le plaignant n’a pas demandé qu’on lui envoie une copie de l’analyse, pas plus qu’il n’a mentionné, avant le dépôt de sa plainte, qu’il ne l’avait pas reçue. Sa version des faits implique aussi que je crois que son avocat lui a donné des conseils en se fondant uniquement sur la lettre d’accompagnement de Mme Paul, et qu’il a ignoré le fait que l’analyse était manquante.

34 Je conclus que le plaignant a reçu l’analyse de Mme Paul et le résumé de ses griefs. Le plaignant a soutenu qu’il avait reçu le courriel du 30 octobre 2009, mais qu’il ne contenait aucune pièce jointe, et que le document en question avait dû être préparé plus tard en vue de cette audience. Cependant, je note que, dans l’en-tête de son courriel du 30 octobre 2009, Mme Paul a fait référence à une pièce jointe intitulée « Ennis Grievances Analysis & Summary.pdf » (analyse et résumé des griefs - Ennis), et qu’elle a écrit dans le premier paragraphe de son courriel : [traduction] « Veuillez trouver ci-joint mon analyse de vos griefs ». Le plaignant n’a jamais demandé qu’on lui envoie une copie de la pièce jointe, ce qui laisse croire qu’il l’avait reçue. De plus, le 2 novembre 2009, le plaignant a transmis le courriel de Mme Paul à un avocat d’une firme privée reconnue de Vancouver, afin de recevoir des conseils; il en a reçu le lendemain. Je doute que l’avocat aurait donné de tels conseils sans avoir effectué un examen de l’analyse dont il est question dans l’en-tête et le corps du courriel. L’avocat ne mentionne pas dans son courriel qu’il a offert son avis sans les avantages de l’examen de l’analyse. Je remarque que le plaignant a écrit aux défendeurs le 12 novembre 2009, après avoir reçu le courriel de Mme Paul, et qu’il ne s’est pas plaint de ne pas avoir reçu une copie de l’analyse. Je remarque aussi que le plaignant n’a encore une fois pas senti le besoin de demander l’analyse quand il a reçu la réponse du 23 novembre 2009. Enfin, je remarque que le plaignant ne mentionne pas la pièce jointe manquante dans sa plainte. Je conclus que le plaignant a dû recevoir l’analyse le jour où elle semble clairement avoir été envoyée, soit le 30 octobre 2009. S’il n’a pas reçu le document en temps voulu, c’était uniquement en raison de sa propre négligence.

35 Même si le plaignant avait essayé de me convaincre que sa lettre du 12 novembre 2009 était une tentative de convaincre Mme Meunier-McKay de renverser la décision qui lui avait été communiquée par Mme Paul, ce qu’il n’a pas essayé de faire, une telle tentative ne changerait quand même pas mes conclusions. La Commission s’est prononcée sur cette question dans Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, 2010 CRTFP 7 (paragraphe 21) :

[21] […]Le délai pour déposer une plainte n’est pas pour autant prolongé par les tentatives d’un plaignant de convaincre le syndicat de revenir sur sa décision. Dans la mesure où il y a une violation de la loi, il n’y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte.

36 J’ai déclaré ce qui suit dans Lampron c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2011 CRTFP 29 :

[…]

[46] […]même si j’acceptais que le plaignant ait eu des discussions avec des représentants de l’Institut, pour renverser la décision de l’expulser tel qu’allégué durant son témoignage, ou qu’il ait tenté de convaincre le défendeur de revenir sur sa décision pendant la rencontre du 5 septembre 2009, ce que la preuve n’a pas établi, cela ne pourrait pour autant avoir l’effet de changer la date à laquelle il a eu connaissance, ou aurait dû avoir connaissance, des faits qui ont donné lieu à sa plainte. Nonobstant les efforts déployés par le plaignant en vue de résoudre ce conflit, la Loi exigeait tout de même que sa plainte soit déposée dans le délai prescrit (voir Boshra, paragraphe 47). Si la rencontre du 5 septembre 2009 avait été fructueuse, le plaignant n’aurait eu qu’à retirer sa plainte.

[…]

37 Par conséquent, je conclus que la lettre du 23 novembre 2009 de Mme Meunier-McKay ne fait pas en sorte que le délai pour le dépôt de cette plainte est prolongé.

38 Dans cette affaire, la prise de connaissance du plaignant, le 30 octobre 2009, que le SEIC avait décidé de ne plus le représenter est l’élément qui a provoqué son allégation d’infraction. C’est également à cette date qu’a commencé la période de 90 jours. Par conséquent, peu importe que la plainte ait été déposée le 4 février 2010, tel qu’il a été allégué par le plaignant, ou le 9 mars 2010, comme le démontre le sceau de réception de la Commission, je suis convaincu que le plaignant n’a pas déposé sa plainte contre le SEIC à l’intérieur du délai prescrit au paragraphe 190(2) de la Loi.

39 Pour ces motifs, je suis d’accord avec l’objection des défendeurs voulant que la plainte contre le SEIC ne soit pas admissible parce qu’elle a été déposée en retard.

40 Je vais maintenant examiner la partie de la plainte contre Mme Meunier-McKay. Le plaignant a soutenu qu’il avait reçu le 9 décembre 2009 la réponse de Mme Meunier-McKay à sa lettre du 23 novembre 2009. J’ai des doutes concernant la preuve du plaignant à ce sujet. Sur la base de ce motif uniquement, je ne suis pas prêt à conclure que le plaignant a déposé sa plainte en temps opportun. Selon la preuve, Mme Meunier-McKay, à titre de présidente nationale du SEIC, a écrit au plaignant dans le seul but de confirmer une décision qui avait déjà été prise par le SEIC. Ni la lettre de Mme Meunier-McKay ni celle du plaignant ne contenaient des faits ou des arguments différents de ceux déjà exprimés le 30 octobre 2009 ou avant. La lettre que le plaignant a envoyée à Mme Meunier-McKay n’était rien de plus qu’une tentative de reporter le délai applicable. Rien dans cet échange ne devrait permettre la prolongation du délai applicable au-delà du 30 octobre 2009. Pour ces motifs, je suis d’accord avec l’objection des défendeurs voulant que la plainte contre Mme Meunier-McKay soit également inadmissible, car elle n’a pas été déposée dans les délais prescrits.

41 Au cas où il serait décidé plus tard que ma conclusion que la plainte a été déposée en retard était erronée, je statuerai sur le bien-fondé de la plainte.

B. Bien-fondé

42 Même si j’avais conclu que la plainte avait été déposée en temps opportun, j’aurais rejeté la plainte pour les motifs suivants :

43 La Commission a souvent commenté le droit des employés syndiqués d’être représentés. Au paragraphe 17 de Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, elle rejette l’idée que ce droit est absolu :

[17] La défenderesse, en tant qu’agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n’est pas un mécanisme d’appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l’agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l’agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision. […]

44 Le rôle de la Commission est de déterminer si l’agent négociateur ou ses représentants ont agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans le cadre du processus décisionnel, et non de déterminer si la décision de ne pas représenter le plaignant était judicieuse. La Commission a, à plusieurs reprises, reconnu que les agents négociateurs et leurs représentants ont un pouvoir discrétionnaire important dans le cadre de leur processus décisionnel. Cependant, aussi important qu’il puisse être, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu.

45 La portée du devoir de représentation équitable est établie à la page 527 de Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre [1984] 1 R.C.S. 509, de la Cour suprême du Canada. Dans cette décision, la Cour décrit les principes qui sous-tendent le devoir de représentation équitable :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

46 La Commission s’est également penchée sur la signification de « conduite arbitraire » aux paragraphes 22 et 23 de Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95 :

[22] Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée.

[…]

[23]Dans International Longshore and Warehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d’appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d’une décision, écrit que, pour faire la preuve d’un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

47 Dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, la Commission a déclaré ce qui suit :

[…]

[44] […] Il revient à l'agent négociateur de décider des griefs qu'il traite et de ceux qu'il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l'agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l'organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l'agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[…]

42. Lorsqu’un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l’effet sur d’autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n’est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n’équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

48 Il ne fait aucun doute que les agents négociateurs et leurs représentants doivent avoir une grande souplesse dans leurs décisions de représentation. La Commission a d’ailleurs déclaré ce qui suit dans Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128 (paragraphe 38)9 : « La barre pour faire la preuve d’une conduite arbitraire — ou discriminatoire ou de mauvaise foi — est placée très haut à dessein. »

49 La participation de Mme Meunier-McKay dans le dossier du plaignant se limite au fait qu’elle a répondu à sa lettre du 12 novembre 2009. Dans sa réponse, elle a souligné qu’elle comprenait les questions pertinentes, elle a fait référence à l’analyse de Mme Paul et à certaines de ses conclusions clés, et elle a confirmé son appui à la décision qui a été communiquée au plaignant le 30 octobre 2009. Cette lettre ne contenait aucune information ou position qui n’avait pas déjà été communiquée au plaignant. Comme je ne peux que conclure que rien de ce qu’ont fait les représentants du SEIC entre février 2009 et novembre 2009 ne peut être qualifié de conduite arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi, je dois aussi conclure que les actions de Mme Meunier-McKay n’allaient pas à l’encontre de l’article 187 de la Loi.

50 L’analyse de Mme Paul était détaillée et complète. Elle portait sur les faits pertinents et renvoyait à de nombreuses préoccupations liées au travail soulevées à plusieurs reprises par l’employeur et passait en revue les critères pertinents en matière d’arbitrage. On y soulevait aussi des préoccupations authentiques concernant le manque d’éléments factuels clés et de preuve documentaire pour appuyer les griefs du plaignant et le peu de chance de succès de ces griefs.

51 Le plaignant devait établir qu’il y avait eu violation de l’article 187 de la Loi. Pour y arriver, il devait présenter des preuves démontrant que la décision des défendeurs de ne plus le représenter était arbitraire ou discriminatoire, ou qu’elle avait été prise de mauvaise foi. Après avoir examiné les faits et les preuves soumises par les parties, je n’ai trouvé aucune indication de comportement arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi de la part des défendeurs. Aucun des éléments de preuve présentés par le plaignant au cours de l’audience ne permet d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu violation de l’article 187.

52 De plus, rien ne m’incite à conclure que les défendeurs ont manifesté une attitude désinvolte ou cavalière à l’égard des intérêts du plaignant ou ont agi de manière frauduleuse, pour des motifs illégitimes ou avec hostilité. Je n’ai aucune raison de croire que les défendeurs ont fait preuve de négligence ou qu’ils n’ont pas traité le plaignant comme tout autre employé pour des motifs illégaux, arbitraires ou irraisonnables.

53 La preuve indique que l’employeur a soulevé de nombreuses préoccupations au sujet de la compétence et du comportement du plaignant. Il a affirmé que les représentants avaient réellement essayé d’aider le plaignant et que ce dernier avait répondu de manière fâcheuse, en démontrant de l’hostilité et en manquant de respect à l’égard des personnes qui essayaient de l’aider.

54 Je suis convaincu que le SEIC a tenté d’aider le plaignant au meilleur de ses compétences dans les circonstances, qu’il a fait preuve de persévérance pour recueillir l’information requise, qu’il a étudié le cas du plaignant en toute légitimité, qu’il a tenu compte des facteurs réels et pertinents et qu’il a pris de bonne foi une décision réfléchie pour ce qui est de continuer ou non de représenter le plaignant dans le cadre de ses deux griefs. Je suis également convaincu que l’approbation de cette décision par Mme Meunier-McKay était raisonnable dans les circonstances.

55 Pour ces motifs, je conclus que le plaignant n’a pas établi que les défendeurs ont commis une pratique déloyale de travail ou qu’ils ont violé l’article 187 de la Loi.

56 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

57 La plainte est rejetée.

Le 7 mars 2012.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
commissaire

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.