Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans une décision précédente (2011CRTFP107), la Commission a conclu que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation dans le cadre du grief de harcèlement présenté par la plaignante et de son renvoi en cours de stage, en omettant d’analyser la situation de la plaignante et d’agir en son nom - la Commission a épuisé la compétence qu’elle s’était réservée pour traiter de la question du redressement - elle a rejeté la réclamation de dommages de la plaignante, statuant que la réclamation n’était pas appuyée par des preuves indépendantes crédibles, n’était pas liée logiquement aux manquements reprochés aux défendeurs, et aurait constitué une mesure punitive - la Commission a ordonné aux défendeurs de représenter la plaignante dans le cadre de son grief de harcèlement et de son renvoi en cours de stage, et de procéder à une analyse appropriée des circonstances pertinentes. Décision complétée. Ordonnance comportant des mesures de redressement.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-02-10
  • Dossier:  561-02-450
  • Référence:  2012 CRTFP 15

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

LISE SUZANNE JUTRAS OTTO

plaignante

et

RAYMOND BROSSARD et ALEX KOZUBAL

défendeurs

et

CONSEIL DU TRÉSOR (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien) et
ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL (ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien)

intervenants

Répertorié
Jutras Otto c. Brossard et Kozubal

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour la plaignante:
Elle‑même

Pour les défendeurs:
Helen Nowak, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour les intervenants:
Diane Bodnar, ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba),
les 9 et 10 novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Contexte

1 La présente décision fait suite aux ordonnances rendues dans Jutras Otto c. Brossard et Kozubal, 2011 CRTFP 107.

2 Lise Suzanne Jutras Otto (la « plaignante ») travaillait au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) comme agente de soutien au processus d’évaluation indépendant du Secrétariat d’adjudication des pensionnats indiens. Elle a occupé ce poste, classifié au niveau PM‑3, du 10 novembre 2008 au 3 octobre 2009.

3 Le 14 juillet 2009, la plaignante a présenté, avec le soutien initial des défendeurs, un grief dans lequel elle réclamait un milieu de travail sans harcèlement. Le 3 septembre 2009, AINC l’a informée qu’elle était renvoyée en cours de stage et que son emploi prendrait fin le 3 octobre 2009.

4 Le 23 mars 2010, la plaignante a déposé une plainte en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, dans laquelle elle alléguait que Raymond Brossard et Alex Kozubal (les « défendeurs ») ont agi de manière arbitraire lorsqu’ils ont omis de transmettre son grief de harcèlement au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et de présenter un grief portant sur son renvoi en cours de stage. Les défendeurs étaient des représentants de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, l’agent négociateur de la plaignante.

5 Dans 2011 CRTFP 107, j’ai accueilli la plainte et ordonné qu’une audience soit fixée pour régler la question du redressement, tout en incitant les parties à en arriver à un accord au moyen de la médiation ou autrement. Les parties ayant été incapables d’en arriver à un accord, une audience a été fixée pour les 9 et 10 novembre 2011, à Winnipeg, au Manitoba, durant laquelle j’ai invité les parties à présenter des preuves et des arguments à l’appui de leurs positions respectives.

II. Question

6 La question est de déterminer quel est la réparation appropriée dans les circonstances, lesquelles sont présentées en détail dans 2011 CRTFP 107.

III. La preuve

7 Seule la plaignante a présenté des éléments de preuve pendant l’audience. Les défendeurs n’en ont pas présenté, mais ils ont contre‑interrogé la plaignante.

8 La plaignante a déclaré qu’on l’avait privée de son droit de contester son renvoi en cours de stage et qu’elle devrait être dédommagée pour les pertes futures associées à cet acte fautif. Elle a ajouté avoir souffert d’accès d’anxiété, de stress et de symptômes de dépression à cause de la négligence des défendeurs.

9 La plaignante a produit six pièces justificatives qui établissent essentiellement ses états de service antérieurs à AINC, le salaire qu’elle a reçu en 2009, le montant des cotisations syndicales qu’elle a payées en 2009 et les projections des taux de contribution au Régime de pensions du Canada (RPC) et au Régime de pension de retraite de la fonction publique fédérale en vertu de la Loi sur la pension de la fonction publique (la « LPFP »), L.R.C. (1985), ch. P‑36.

10 La plupart des preuves documentaires de la plaignante proviennent du site Web de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada et du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada. La plaignante n’a produit aucune preuve indépendante pour établir l’étendue des pertes subies.

IV. Les arguments

A. Pour les intervenants

11 Bien qu’AINC n’ait pas participé activement à l’audience, Diane Bodnar, directrice des ressources humaines pour la région du Manitoba d’AINC, a assisté à l’audience et s’est adressée à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») à propos des délais associés à la procédure de règlement des griefs. Elle a indiqué à la Commission que le ministère serait disposé à accepter une demande de prolongation du délai imparti pour présenter un grief, si la plaignante souhaitait présenter un grief sur son renvoi en cours de stage, et qu’il n’invoquerait pas le non‑respect du délai dans ce cas, pas plus que dans le cas du grief de harcèlement en cours.

B. Pour la plaignante

12 La plaignante a prétendu avoir subi des pertes et des dommages qui découlaient directement de son renvoi en cours de stage et de la négligence des défendeurs. Elle a résumé ainsi ces pertes et dommages :

- perte de salaire (du 4 octobre 2009 au 1er novembre 2018)
537 206,80 $
- cotisations syndicales payées (pour 2009)
687,54 $
- cotisations au RPC – part de l’employeur (2010-2018)
21 264,20 $
- pension du RPC (2 % par année d’emploi jusqu’en 2018)
180 000,00 $
- cotisations de pension de retraite – part de l’employeur)
31 585,20 $
- prestations de retraite en vertu de la LPFP (2 % par année de service jusqu’en 2018)
216 000,00 $
- perte des avantages sociaux offerts aux employés du gouvernement fédéral
10 800,00 $
- préjudice moral
102 456,26 $
Total :
1 100 000,00 $

13 La plaignante a ajouté avoir tenté d’atténuer ses pertes et dommages en cherchant du travail dans le secteur public et le secteur privé, mais qu’elle n’avait rien trouvé jusqu’à maintenant. Elle a prétendu avoir subi de graves difficultés financières, qui ont eu des répercussions importantes sur sa santé et son bien‑être.

14 Selon la plaignante, la seule mesure de réparation appropriée serait une compensation financière pour les pertes et dommages qu’elle prétend avoir subis et qu’elle continuera de subir jusqu’au 1er novembre 2018, date à laquelle elle avait toujours prévu prendre sa retraite. Toutefois, la plaignante a reconnu dans ses arguments en réfutation que le dédommagement demandé devrait probablement être réclamé, en grande partie, à l’employeur plutôt qu’aux défendeurs. À son avis, les défendeurs, ne sont qu’en partie responsables des pertes et dommages allégués.

C. Pour les défendeurs

15 La représentante des défendeurs a indiqué qu’elle était fondamentalement d’accord avec les conclusions de la Commission dans 2011 CRTFP 107 et que les défendeurs avaient effectivement manqué à leur devoir de représentation. Selon les défendeurs, les mesures de réparation appropriées dans ces circonstances consistent à prolonger le délai pour permettre la présentation du grief de la plaignante relatif à son renvoi en cours de stage, à faire en sorte qu’elle soit représentée pour la présentation de ce grief et la réactivation de son grief de harcèlement, et à faire en sorte que les défendeurs effectuent une analyse entière et complète de ses griefs lorsqu’ils auront en main tous les documents pertinents. Avec ces mesures, la plaignante se retrouverait dans la situation qui aurait été sienne n’eût été de l’inconduite des défendeurs. Selon ces derniers, cette solution représente aussi les mesures correctives qui sont les plus   logiquement liées aux manquements qu’ils ont commis. À l’appui de leurs affirmations, les défendeurs m’ont renvoyé à Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 124.

16 Les défendeurs ont soutenu aussi que même s’il serait approprié d’ordonner que la plaignante soit représentée pour ses deux griefs pendant le processus de règlement des griefs et, peut‑être, à l’arbitrage si l’analyse par les défendeurs du bien‑fondé des griefs justifiait un renvoi à l’arbitrage, il ne serait pas approprié d’ordonner la représentation à l’arbitrage, car la plaignante se retrouverait alors dans une meilleure situation que s’il n’y avait pas eu les contraventions. À l’appui de leur affirmation, les défendeurs m’ont renvoyé à Peacock c. Syndicat des agents correctionnels du Canada – Union of Canadian Correctional Officers – CSN, 2005 CRTFP 9.

17 Les défendeurs ont allégué que les mesures correctives proposées par la plaignante sont de nature punitive et n’ont pas de lien logique avec les contraventions qui se sont produites. Ils ont ajouté que la période des pertes futures définie par la plaignante, soit d’octobre 2009 à novembre 2018, est arbitraire et n’est pas appuyée par une justification logique. Ils ont aussi prétendu que la plaignante n’avait pas établi de lien de causalité entre les pertes et dommages subis et les contraventions commises. Enfin, ils ont maintenu que tous les calculs et projections qu’elle a fournis ne sont pas crédibles, car elle n’a déposé aucun rapport actuariel ni rapport médical à l’appui. Selon les défendeurs, il n’existe aucun précédent pour étayer le genre de compensation réclamée par la plaignante.

V. Motifs

18 Les mesures de réparation que la Commission peut ordonner lorsqu’une plainte est bien fondée sont énoncées à l’alinéa 192(1)d) de la LRTFP, qui est formulé de la façon suivante :

192. (1) Si elle décide que la plainte présentée au titre du paragraphe 190(1) est fondée, la Commission peut, par ordonnance, rendre à l’égard de la partie visée par la plainte toute ordonnance qu’elle estime indiquée dans les circonstances et, notamment :

[…]

d) en cas de contravention par une organisation syndicale de l’article 187, lui enjoindre d’exercer, au nom du fonctionnaire, les droits et recours que, selon elle, il aurait dû exercer ou d’aider le fonctionnaire à les exercer lui‑même dans les cas où il aurait dû le faire;

19 Dans Ménard, la Commission a donné des précisions sur la signification et l’objet de cette disposition dans les paragraphes qui suivent :

[…]

[28] Les alinéas 192(1)a) à f) de la Loi renvoient aux ordonnances particulières en lien avec les diverses contraventions de la Loi qui peuvent faire l’objet d’une plainte selon le paragraphe 190(1). Une analyse sommaire des alinéas 192(1)a) à f) de la Loi révèle que l’intention du législateur est de prévoir des ordonnances spécifiquement adaptées aux différentes contraventions de la Loi. De façon générale, l’ordonnance vise à rendre au plaignant ou à la plaignante ce qui a été perdu ou non reçu à la suite de la contravention de la Loi. Dans le cas particulier d’un manquement au devoir de représentation, l’alinéa 192(1)d) de la Loi stipule que la Commission peut enjoindre le syndicat à exercer, au nom du plaignant ou de la plaignante, les droits et recours qu’il aurait dû exercer ou de l’aider à les exercer lui‑même. Il est clair que la mesure de réparation vise directement la contravention commise.

[29] Dans ce cadre juridique, le mot « notamment » du paragraphe 192(1) de la Loi sert à introduire ou à « noter » les mesures particulières adaptées à diverses contraventions de la Loi. Il ne doit cependant pas être compris comme limitant les pouvoirs de la Commission d’ordonner d’autres mesures pourvu que ces mesures aient un lien logique avec la contravention commise.

[30] Le paragraphe 99(1) du Code canadien du travail (le « Code ») comprend des dispositions en bonne partie comparables à celles prévues au paragraphe 192(1) de la Loi. Eu égard aux limites du pouvoir de réparation du Conseil canadien des relations industrielles, la Cour suprême du Canada, dans Royal Oak Mines Inc. c. Canada (C.R.T.), [1996] 1 R.C.S. 369, a écrit ce qui suit :

[…]

La réparation imposée par le Conseil n’était pas manifestement déraisonnable, mais au contraire était très judicieuse et convenait parfaitement aux données du cas. Une ordonnance réparatrice est tenue pour manifestement déraisonnable : (1) lorsque la réparation est de nature punitive; (2) lorsque la réparation accordée porte atteinte à la Charte; (3) lorsqu’il n’y a pas de lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation; (4) lorsque la réparation va à l’encontre des objectifs du Code. En l’espèce, il y avait un lien rationnel entre la violation, ses conséquences et la réparation, et la réparation réaffirmait les objectifs du Code.

[…]

Dans Ménard, on laisse entendre que, bien que les mesures de réparation qui peuvent être ordonnées dans ce genre de cas ne soient pas limitées à celles qui sont énoncées à l’alinéa 192(1)d) de la LRTFP, elles ne doivent pas être de nature punitive ni porter atteinte à la Charte canadienne des droits et libertés, promulguée en tant que Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, et elles doivent avoir un lien logique avec la contravention de la LRTFP et ses conséquences.

20 Les dommages réclamés par la plaignante sont pour la plupart des pertes futures qui s’étendent sur dix ans. Sa réclamation n’est pas appuyée par des preuves indépendantes et crédibles d’une perte réelle. Elle n’est pas étayée par une justification raisonnable et n’est pas liée logiquement à la contravention de la LRTFP et à ses conséquences. De plus, il serait certainement punitif de tenir les défendeurs responsables des différentes pertes alléguées qui s’étendent sur une si longue période.

21 Comme on le laisse entendre dans Ménard, les dommages punitifs ne devraient être accordés que dans les cas d’inconduite malicieuse, oppressive et despotique, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas ici. Bien que je trouve que les défendeurs ont été inattentifs et négligents, rien dans la preuve que j’ai entendue dans 2011 CRTFP 107 ne m’a amené à conclure qu’ils ont agi de façon malicieuse, oppressive ou despotique.

22 En fait, la plaignante a admis dans ses arguments en réfutation que la plupart des montants réclamés pour dédommagement devraient être réclamés à l’employeur plutôt qu’aux défendeurs. Toutefois, elle n’a fourni aucune preuve ni argument pouvant m’aider à déterminer quelle proportion des montants réclamés pourrait ou devrait, le cas échéant, être attribuée aux défendeurs; elle n’a pas non plus établi de lien de causalité entre la conduite des défendeurs et les montants qu’elle réclame.

23 Aucuns des calculs financiers proposés par la plaignante n’étaient étayés par des preuves indépendantes et crédibles. Par exemple, le montant demandé pour préjudice moral est basé seulement sur la différence entre le montant total réclamé par la plaignante, soit 1,1 million de dollars, et les autres montants spécifiques réclamés. Elle n’a soumis aucun rapport médical ni aucun autre élément de preuve indépendant pour appuyer la réparation demandée pour préjudice moral.

24 Pour ce qui est du remboursement des cotisations syndicales réclamé par la plaignante, je considère que, pour les mêmes raisons que celles qui sont évoquées au paragraphe 34 de Ménard, cette réclamation n’est pas justifiée compte tenu que la plaignante a continué de bénéficier, pendant la période en cause, de tous les avantages et de toutes les protections de la convention collective.

25 Dans Ménard, la Commission a déclaré :

[…]

[34] La plaignante réclame toutes les cotisations syndicales qu’elle a versées pendant la période en question. Elle n’a pas précisé cette période, mais elle ne peut couvrir, à la limite, que de janvier à novembre 2010. Certes, la plaignante n’a pas bénéficié de la représentation syndicale à l’égard de son grief de novembre 2009 car la défenderesse a retiré son grief. Par contre, la plaignante a bénéficié de tous les avantages et de toutes les protections de la convention collective. Elle aurait pu avoir recours aux services syndicaux si elle avait vécu d’autres problèmes au travail. En somme, elle a tiré bénéfice de son statut de membre de l’unité de négociation. Je ne suis donc pas prêt à accepter sa demande de remboursement des cotisations qu’elle a versées.

[…]

26 Je ne crois pas que l’indemnisation pécuniaire réclamée par la plaignante est appropriée ou justifiée en l’espèce. Toutefois, les mesures correctives proposées par la représentante des défendeurs semble avoir un lien logique beaucoup plus fort avec les contraventions commises par les défendeurs, compte tenu en particulier des probabilités de succès associées aux cas de renvoi en cours de stage et du fait que la plaignante aurait pu, sans l’aide des défendeurs, déposer un grief pour contester ce renvoi dès mars 2010, lorsqu’elle s’est rendu compte qu’ils ne l’avaient pas fait en son nom.

27 Après avoir examiné les arguments des parties, je conclus que la réparation appropriée dans le présent cas est de donner à la plaignante la possibilité de poursuivre les démarches relatives à son grief de harcèlement avec l’aide des défendeurs ou de son agent négociateur, sous réserve d’une évaluation de son grief par les défendeurs lorsqu’ils auront reçu toute l’information pertinente. Je prends également note qu’AINC a consenti à prolonger le délai pour la présentation du grief concernant le renvoi de la plaignante en cours de stage et je conclus que cette dernière devrait être représentée pour la présentation de ce grief. Pour la même raison, je conclus aussi que la plaignante devrait être représentée pour le renvoi de son grief de harcèlement au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

28 Bien que je sois d’avis que les défendeurs devraient représenter la plaignante et qu’ils devraient renvoyer le grief de harcèlement au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et présenter un nouveau grief relativement au renvoi de la plaignante en cours de stage, je ne suis pas disposé à ordonner aux défendeurs de porter ces deux griefs à l’arbitrage. Aux paragraphes 67 et 68 de Peacock, la Commission a commenté cette question de la façon suivante :

[67] À mon avis, si j’ordonnais à l’agent négociateur de porter directement le grief à l’arbitrage, je mettrais Mme Peacock dans une meilleure position que celle où elle aurait été s’il avait présenté son grief au deuxième palier. Comme je l’ai déjà dit, ni l’agent négociateur, ni Mme Peacock n’ont avancé beaucoup d’éléments de preuve quant au bien‑fondé de son grief. Il ne s’agit d’ailleurs pas ici de savoir si l’agent négociateur n’a pas porté un grief à l’arbitrage, mais plutôt s’il a manqué à son devoir de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que le grief serait présenté à chaque palier de la procédure de règlement des griefs afin que la position de la plaignante soit protégée. L’agent négociateur n’est pas tenu de présenter des griefs chaque fois que ses membres voudraient le faire, mais il est tenu d’étudier sérieusement la situation avant de décider de ne pas présenter un grief. Dans ce cas‑ci, l’agent négociateur ne s’est pas rendu jusqu’à la phase de l’examen sérieux de la validité du grief à cause de la négligence du président de sa section locale.

[68] D’après ce que j’ai compris de l’intimé, il semble bien que, si je levais l’obstacle de l’expiration du délai de présentation du grief dans le cas de Mme Peacock, il entend la représenter à n’importe quelle audience d’arbitrage. J’estime qu’il serait prématuré que je lui ordonne de porter le grief à l’arbitrage à ses frais, comme Mme Peacock l’a demandé. Il ne m’apparaît pas évident, si j’en crois la preuve produite à l’audience, que l’agent négociateur a fait un examen sérieux du bien‑fondé du grief. Il est bien possible qu’il l’ait fait, mais, comme je l’ai dit, il ne s’agit pas ici d’une affaire où l’agent négociateur a déclaré dans sa défense contre la plainte qu’il avait examiné sérieusement le grief pour déterminer s’il était fondé et qu’il avait décidé de ne pas aller plus loin. Je rappelle que les agents négociateurs ont passablement de latitude pour décider de porter un grief à l’arbitrage. Selon moi, ordonner à l’agent négociateur de le faire quand il n’a pas présenté le grief au deuxième palier serait accorder à la plaignante un redressement disproportionné. En outre, une ordonnance comme celle‑là ne serait pas compatible avec le régime d’arbitrage des griefs, puisqu’il exige que la procédure de règlement des griefs de la convention collective soit épuisée avant que le grief ne soit porté à l’arbitrage. Sur la foi de la preuve dont je suis saisi, le redressement que je dois accorder consiste à […] permettre à l’agent négociateur de présenter le grief au deuxième palier. Je ne suis donc pas disposé pour le moment à rendre une ordonnance lui enjoignant de porter le grief à l’arbitrage, et ce à ses frais.

29 Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés dans Peacock, je crois qu’ordonner aux défendeurs de porter les deux griefs à l’arbitrage mettrait la plaignante dans une meilleure situation que si les défendeurs avaient donné suite au grief de harcèlement et présenté un nouveau grief relativement à son renvoi en cours de stage.

30 Quant à savoir à qui les ordonnances suivantes devraient être adressées, je me fie au paragraphe 192(3) de la LRTFP, qui prévoit ce qui suit :

192. (3) Lorsqu’elle vise une personne qui a agi ou prétendu agir pour le compte d’une organisation syndicale, l’ordonnance est en outre adressée au dirigeant attitré de l’organisation.

31 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

32 Je déclare que l’employeur a renoncé à son droit de contester le délai de renvoi du grief de harcèlement de la plaignante au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs.

33 Je déclare que l’administrateur général du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien a consenti à prolonger le délai pour la présentation d’un grief relatif au renvoi de la plaignante en cours de stage et qu’il a renoncé à son droit de contester le délai de présentation de ce grief.

34 J’ordonne aux défendeurs et à l’administrateur principal de l’Alliance de la Fonction publique du Canada de faire en sorte que la plaignante soit représentée pour le renvoi de son grief de harcèlement au deuxième palier de la procédure de règlement des griefs et qu’une analyse appropriée de ce grief soit effectuée.

35 J’ordonne aux défendeurs et à l’administrateur principal de l’Alliance de la Fonction publique du Canada de faire en sorte que la plaignante soit représentée pour la présentation d’un nouveau grief relatif à son renvoi en cours de stage et qu’une analyse appropriée de ce grief soit effectuée.

Le 10 février 2012.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
commissaire

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