Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le demandeur a fait une demande de prorogation du délai pour présenter un grief - il a déposé une plainte de harcèlement en novembre 2006 - l’employeur a tenu une enquête et l’a avisé en août 2007 que, bien qu’il y ait eu comportement inapproprié, il ne s’agissait pas de harcèlement - le demandeur a déposé son grief 14 mois après avoir porté à l’attention de son employeur la question du harcèlement dont il aurait fait l'objet et 5 mois après que l’employeur ait rejeté la plainte de harcèlement - le grief était hors délai étant donné qu'il n’avait pas été déposé à l’intérieur des 25 jours suivant la date à laquelle il a prisou aurait dûprendre connaissance de l’action ayant donné lieu au grief - il n'a pas fourni d’explication pour justifier d’avoir attendu si longtemps pour déposer son grief - il a allégué que le délai pourrait être attribuable au fait que le grief était continu - si on arrive à la conclusion qu’on est en présence d’un grief continu, cela n’exonère pas entièrement le fonctionnaire s’estimant lésé de sa responsabilité à l'égard du respect des délais - lorsqu'on conclut qu’il s'agit d’un grief continu, cela permet au grief d’être déposé dans les délais prescrits, calculés en fonction des événements les plus récents - la vice-présidente a conclu que le grief était hors délai et non continu - appliquant le critère Schenkman, la vice-présidente a conclu qu’il n’y avait pas de raison claire, logique et convaincante justifiant le délai - de plus, les délais ne devraient être prorogés que dans des circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’instance. Demande de prorogation de délai rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-03-26
  • Dossier:  568-02-0218 XR: 566-02-3634
  • Référence:  2012 CRTFP 39

Devant le président


ENTRE

CORNELL FONTAINE

demandeur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Fontaine c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant une demande de prorogation de délai visée à l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, vice-présidente

Pour le demandeur:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Jeff Laviolette, Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 26 mai et le 29 juin 2010, les 20 et 25 octobre et le 1er novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la vice-présidente

1 M. Cornell Fontaine (le « demandeur »), demande une prolongation du délai de présentation d’un grief en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement »). Le grief porte sur une violation alléguée de l’article 20 de la convention collective du groupe Services des programmes et de l’administration conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») qui venait à échéance le 20 juin 2007 (la «convention collective »).

2 En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisée, en ma qualité de vice-présidente, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlementpour entendre et trancher toute question de prorogation de délai.

II. Résumé de la preuve

3 Le demandeur est membre du groupe des Services frontaliers; il est au service de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC »). Le 25 janvier 2008, il a présenté un grief auprès de l’ASFC, dans lequel il a allégué que l’ASFC avait manqué à son obligation de lui procurer un milieu exempt de harcèlement sexuel et qu’elle violait ainsi l’article 20 de la convention collective. À titre de redressement, il a demandé, entre autres choses, que sa superviseure soit retirée du milieu de travail.

4 Le 8 février 2008, l’ASFC a rejeté le grief au premier palier de la procédure de règlement des griefs, au motif qu’il était hors délai. L’ASFC a rejeté le grief du demandeur aux deuxième et troisième paliers de la procédure de règlement des griefs, toujours au motif que le grief était hors délai. En effet, le grief n’a pas été présenté dans les vingt-cinq (25) jours suivant la date à laquelle le demandeur a pris connaissance de l’action ou des circonstances qui ont donné lieu au grief.

5 Dans sa réponse au troisième palier de la procédure, l’ASFC a précisé que les questions visées par le grief du demandeur avaient également fait l’objet d’une plainte de harcèlement. La décision se rapportant à cette plainte a été communiquée au demandeur en août 2007, soit cinq mois avant qu’il ne présente son grief. Dans sa décision, l’ASFC a conclu que la plainte n’était pas fondée.

6 Le représentant du défendeur a déclaré que l’ASFC avait été informée de la prétendue violation de la convention collective le 23 novembre 2006, alors que le demandeur déposait sa plainte de harcèlement, et que l’objet du grief avait été examiné attentivement lors de l’enquête portant sur la plainte. La décision de l’ASFC concernant la plainte a été communiquée au demandeur le 13 août 2007. Or, ce n’est que le 25 janvier 2008, soit cinq mois plus tard, que le demandeur a présenté un grief à cet égard. Le représentant du défendeur s’est opposé à la compétence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») d’entendre le grief, au motif que celui-ci était hors délai.

7 Le 26 mai 2010, l’agent négociateur a écrit à la Commission que le grief respectait les délais, car il s’agissait d’un grief continu. Il a précisé qu’après la communication des conclusions de l’enquête, l’ASFC avait réintégré la supérieure du demandeur, soit l’auteure du harcèlement allégué, à son poste. Le demandeur a aussitôt contesté, par écrit, cette situation auprès de diverses personnes, et ce, sans succès. Entre le 4 septembre et le 9 octobre 2007, lorsque ses quarts de travail co¡ncidaient avec ceux de sa superviseure, le demandeur échangeait son quart de travail ou prenait un congé de maladie. Enfin, le 25 janvier 2008, il a présenté le grief en l’espèce. Son représentant a soutenu qu’en raison de ses actions, l’ASFC avait [traduction] « continué à manquer à son obligation » envers le demandeur de lui fournir un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel.

8 Subsidiairement, le représentant du demandeur a fait valoir que s’il était jugé que le grief était hors délai, le demandeur demanderait une prorogation de délai en vertu de l’alinéa 61b) du Règlement.

9 Le 29 septembre 2011, la Commission a informé les parties qu’elles devaient lui faire parvenir leurs arguments écrits relativement à la question de la prorogation de délai.

III. Résumé de l’argumentation

10 Le 19 octobre 2011, le représentant du demandeur a déposé les arguments écrits auprès de la Commission :

[Traduction]

Depuis le début, le syndicat a adopté la même position selon laquelle le grief en question est un grief continu. L’objet du grief, soit l’obligation pour l’employeur de fournir un milieu de travail sain et sécuritaire, exempt de harcèlement sexuel, constitue une obligation continue et permanente de l’employeur. Le défaut de l’employeur de fournir un tel milieu de travail est un défaut persistant et un manquement continu, et non un manquement isolé à une disposition de la convention collective. Le préjudice à l’égard du fonctionnaire et du syndicat est récurrent, tant dans son essence que dans sa nature.

Le fonctionnaire s’estimant lésé, M. Cornell Fontaine, s’est prévalu de tous les mécanismes internes prévus pour adresser ses préoccupations. En dépit de ses efforts, l’employeur a refusé de le séparer de la personne qui le harcelait, même après la tenue d’une enquête, ou de lui accorder une protection ou un redressement adéquat.

Le fait de présenter un grief alors que des efforts étaient consacrés à la résolution du problème aurait pu être perçu comme étant prématuré ou improductif. Lorsqu’il est devenu évident et certain que la procédure de règlement des griefs et l’arbitrage étaient les seules voies pour que justice soit rendue, un grief a été présenté en temps opportun.

Le fait que le demandeur ait accordé à l’employeur toutes les possibilités de corriger la situation devrait être vu comme étant un élément favorable, même si cela s’est avéré infructueux. Cela ne peut et ne devrait pas permettre à l’employeur de se défiler de ses obligations contractuelles.

Un refus d’accorder une audience serait un outrage, un déni de justice, et ne ferait que perpétuer l’injustice subie par le membre.

11 En ce qui a trait à la question du délai, le représentant du demandeur m’a renvoyé à Brown et Beatty,dans Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 2:3128. Il m’a aussi renvoyé à McNeil c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 84, et à Galarneau et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 1.

12 Le 25 octobre 2011, le représentant du défendeur a réitéré qu’un arbitre de grief n’avait pas compétence pour entendre le grief car celui-ci était hors délai. Il m’a renvoyé à Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1, pour l’examen des critères à considérer lors d’une demande de prorogation de délai.

13 Après avoir passé en revue les cinq critères énoncés dans Schenkman, le représentant du défendeur a fait valoir qu’en l’instance il ne s’agissait pas d’un grief continu mais plutôt ce qui suit :

[Traduction]

Il s’agit plutôt d’une question découlant de l’insatisfaction continue du fonctionnaire s’estimant lésé quant aux conclusions de l’enquête menée au sujet de sa plainte de harcèlement sexuel déposée en novembre 2006, et de la façon dont l’employeur a adressé son obligation continue de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel.

14 Le représentant du défendeur a finalement déclaré que le demandeur n’avait pas donné de raisons claires, logiques et convaincantes pour justifier son retard relativement à la présentation de son grief.

15 Le représentant du défendeur a également fait valoir que les événements reliés au grief s’étaient déroulés entre 2004 et 2006. Le demandeur a porté l’affaire à l’attention de l’ASFC en déposant une plainte de harcèlement en novembre 2006. L’ASFC a enquêté sur la plainte de harcèlement. Elle a communiqué au demandeur les conclusions de son enquête en août 2007, soit cinq mois avant qu’il ne présente son grief. Le représentant du défendeur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Ainsi, le grief est hors délai, peu importe que l’action ou les circonstances donnant lieu au grief aient été des événements qui se sont déroulés entre 2004 et 2006, la date à laquelle il a pour la première fois porté cette question à l’attention de la direction (en novembre 2006), ou la date à laquelle il a été informé des conclusions de l’enquête sur sa plainte de harcèlement (en août 2007).

16 Enfin, le représentant du défendeur a conclu que si la demande de prorogation devait être accordée, le préjudice subi par l’administrateur général serait plus important que toute injustice subie par le demandeur. Il a aussi souligné que les événements qui ont donné lieu au grief avaient fait l’objet d’une enquête exhaustive et que, bien qu’on y ait relevé l’existence de comportements inappropriés, cela ne constituait pas du harcèlement sexuel.

17 Le 1er novembre 2011, le représentant du demandeur a réitéré que le grief était continu et qu’il n’était donc pas hors délai. Subsidiairement, il a passé en revue les cinq critères énoncés dans Schenkman et il a maintenu qu’une audience établirait que le demandeur avait tout d’abord tenté de régler le problème de harcèlement en s’adressant au ministre et à la haute direction de l’ASFC, mais en vain. Cela démontre qu’il a agi de manière diligente. Le représentant du demandeur a également soutenu que le grief avait été déposé en retard principalement en raison du fait que l’ASFC avait tardé ou parfois omis de répondre au demandeur en ce qui concerne sa plainte de harcèlement.

18 Le représentant du demandeur a souligné que les allégations de harcèlement sexuel étaient graves. Selon lui, dans les circonstances, le préjudice subi par le demandeur si son grief n’était pas entendu sur le fond serait nettement plus important que quelque préjudice que pourrait subir l’administrateur général.

19 Enfin, le représentant du demandeur a soutenu qu’il serait injuste de juger les chances de réussite du grief sans que l’affaire puisse être entendue dans le cadre d’une audience.

IV. Motifs

20 Avant de décider si j’accorde la prorogation de délai, je dois tout d’abord me pencher sur l’argument du représentant du demandeur voulant que le grief ne soit pas hors délai car il est continu.

21 La clause 18.10 de la convention collective est libellée comme suit :

Au premier (1er) palier de la procédure, l’employé-e peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 18.05, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief. […]

22 Le 25 janvier 2008, après avoir maintenu ses allégations au moyen d’une plainte de harcèlement et d’autres communications avec la haute direction, le demandeur a présenté son grief. Le représentant du demandeur n’a pas contesté le fait que les allégations contenues dans la plainte de harcèlement étaient les mêmes que celles donnant lieu à son grief. En l’espèce, le demandeur aurait tout d’abord pris connaissance des actions ou des circonstances donnant lieu au grief en novembre 2006, époque à laquelle il a déposé sa plainte auprès de l’ASFC. Par conséquent, à première vue, le grief est hors délai puisqu’il n’a pas été présenté dans les vingt-cinq jours suivant la date à laquelle le demandeur a pris connaissance des actions ou des circonstances donnant lieu au grief.

23 La question consiste donc à déterminer si le grief est, comme l’a soutenu le représentant du demandeur, continu.

24 Dans Canadian Labour Arbitration, onpropose, au paragraphe 2:3128, la définition suivante de la notion de « grief continu » :

[Traduction]

Lorsque la violation de la convention est continue, le respect des délais impartis pour présenter un grief n’est pas nécessairement aussi impératif, à moins que la convention collective ait prévu qu’en de telles circonstances il y a lieu de présenter le grief à l’intérieur d’un délai donné. Les violations continues consistent en des manquements répétés à la convention collective plutôt qu’en un manquement unique ou isolé […] Quoi qu’il en soit, le critère le plus communément utilisé pour déterminer s’il existe une violation continue est celui issu du droit contractuel, c’est-à-dire qu’il doit y avoir un manquement récurrent à une obligation, pas seulement des dommages récurrents.

25 À mon avis, il n’y a simplement pas d’élément de preuve ou référence, tant dans le grief que dans l’argumentation présentée à l’appui, qu’il y aurait eu des [traduction] « […] manquements répétés à la convention collective […]. »

26 De plus, bien que le fait de conclure qu’un grief est continu puisse avoir une incidence sur les délais impartis, une telle conclusion ne dispense pas un fonctionnaire s’estimant lésé de l’obligation de respecter les délais et ne lui permet pas de présenter un grief des années après la fin de la situation. Ainsi, au paragraphe 2:3128 (page 2-104), Brown et Beatty affirment ce qui suit :

[Traduction]

S’il est établi que le manquement est continu, permettant ainsi que l’on puisse calculer les délais impartis pour la présentation d’un grief à compter de l’événement le plus récent, il a été statué que le fait de ne pas avoir présenté un grief dans les délais impartis calculés à compter de la première incidence de l’événement ne fera pas en sorte que le grief ne puisse pas être renvoyé à l’arbitrage.

[Je souligne]

27 Par conséquent, le fait de conclure qu’un grief est continu ne dispensera pas complètement son auteur de l’obligation de respecter certains délais, mais lui permettra de présenter son grief à condition qu’il le fasse dans les délais impartis calculés à compter du manquement le plus récent.

28 Par exemple, considérons une situation évidente de grief continu comme celle d’un lock-out illégal. Si l’employeur décrète un lock-out le 1er juin et que les parties règlent leur différend au mois d’août, le syndicat ne dispose que de 25 jours à compter de la dernière journée du lockout pour présenter un grief alléguant que le lock-out était illégal. Il ne pourrait pas, deux ans plus tard, présenter un grief afin de contester les gestes de l’employeur. Un grief continu permet au fonctionnaire s’estimant lésé de présenter un grief au-delà des délais impartis calculés à compter du premier manquement, et lui permet de présenter un grief fondé sur des manquements subséquents.

29 À mon avis, le demandeur se plaint à propos de l’une ou l’autre des situations suivantes : (1) la poursuite du harcèlement dont il allègue avoir fait l’objet entre 2004-2006 et à l’égard duquel il avait déposé une plainte qui, après enquête, a été jugée non fondée; ou (2) le fait que son superviseur a été réintégré à son milieu de travail vers la fin du mois de septembre 2007. Dans un cas comme dans l’autre, je conclus qu’il n’y a pas de grief continu découlant de l’une ou l’autre des deux situations mentionnées ci-dessus.

30 Si son grief vise ce que je conviendrais d’appeler la situation dans son ensemble, le demandeur n’a pas établi que quelque violation a eu lieu après la date à laquelle il a reçu une copie du rapport d’enquête et été informé que sa plainte avait été jugée non fondée. La réintégration de son superviseur dans son milieu de travail n’était que le résultat des conclusions de l’enquête, et non un événement indépendant en soi.

31 Par ailleurs, étant donné le libellé des mesures de redressement demandées dans le grief et les arguments écrits déposés par le syndicat, si l’objet du grief est en fait la décision de l’employeur de réintégrer son superviseur dans son milieu de travail, alors cette décision a été prise plusieurs mois avant la présentation du grief; ainsi, ses communications avec la haute direction visant à contester cette situation ne peuvent servir à proroger les délais impartis pour présenter son grief. Il s’agissait là d’une décision ponctuelle prise par l’employeur vers la fin du mois de septembre 2007 et non d’une décision répétée quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement.

32 Je suis d’avis que l’argument voulant que les employeurs aient une obligation continue de fournir un milieu de travail sain et sécuritaire n’est pas suffisant pour conférer à un grief un caractère « continu ». Afin de pouvoir prétendre avec succès qu’il s’agit ici d’un grief continu, le demandeur devait établir qu’il faisait encore l’objet de harcèlement sexuel lorsqu’il a présenté son grief (soit le 25 janvier 2008). Là encore, aucune allégation ni élément de preuve, tant dans le grief que dans l’argumentation, ne fait état du fait que le demandeur a été l’objet de harcèlement de la part de l’employeur au cours des vingt-cinq jours précédant la présentation de son grief.

33 Ayant conclu que le grief était hors délai et qu’il n’était pas continu, je vais maintenant examiner si la Commission devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder la demande de prorogation de délai, tel qu’il a été plaidé par le représentant du demandeur.

34 Il est bien établi dans la jurisprudence de la Commission que les critères dont il faut tenir compte pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai sont les suivants :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes;
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur,
  • les chances de succès du grief.

Ces critères ont été appliqués pour la première fois dans Schenkman. Plus récemment, ils ont été appliqués dans Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2009 CRTFP 92, et Prévost c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2011 CRTFP 119. Dans Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2011 CRTFP 68, le vice-président a déclaré que « […] l’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. Il faut examiner les faits qui sont soumis afin de décider de la valeur probante à accorder à chaque critère. Il arrive que certains critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance. » Je souscris à ces commentaires.

35 J’aimerais également souligner que, comme l’a mentionné le vice-président au paragraphe 44 de Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117, « […] [l]es limites de temps sont censées être respectées par les parties et devraient être prorogées uniquement dans des circonstances exceptionnelles. Ces circonstances dépendent toujours des faits entourant chaque cas. » Dans Lagacé, on a souligné que les délais négociés par les parties devaient être respectés et ne pouvaient être prorogés que pour des raisons exceptionnelles.

A. Un retard justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes

36 En l’espèce, le fait que le demandeur a déposé pour la première fois une plainte de harcèlement en milieu de travail en novembre 2006 n’est pas contesté. La plainte a fait l’objet d’une enquête. Selon le représentant du défendeur, bien que l’enquête ait révélé que la personne visée par la plainte de harcèlement avait manifesté des comportements inappropriés, l’ASFC a jugé que cela ne constituait pas du harcèlement. Le demandeur a été informé de la décision en août 2007. Tel qu’il a été mentionné, le demandeur n’a pas contesté le fait que les événements ayant donné lieu à son grief étaient les mêmes que ceux invoqués au soutien de sa plainte de harcèlement déposée en novembre 2006.

37 Le demandeur a présenté son grief le 25 janvier 2008, soit quatorze mois après avoir porté la question du harcèlement en milieu de travail à l’attention de l’employeur, et cinq mois après le rejet de la plainte par l’ASFC, le 13 août 2007.

38 Aucune explication valide n’a été soumise pour expliquer pourquoi le demandeur a attendu si longtemps pour présenter son grief. Bien que son représentant ait longuement expliqué le bien-fondé du grief du demandeur, le retard dans la présentation du grief demeure inexpliqué, si ce n’est que par l’affirmation voulant que le demandeur ait tenté par divers moyens de porter le problème à l’attention de la haute direction de l’ASFC. J’estime qu’il ne s’agit pas là d’une raison valable. Le demandeur a choisi de soulever la question du harcèlement en milieu de travail, notamment les allégations de harcèlement sexuel, en déposant une plainte. Il a alors choisi de ne pas soulever cette question en présentant un grief à l’intérieur des délais impartis. Ce n’est qu’au bout de cinq mois, à la suite de la décision de l’ASFC de rejeter sa plainte, que le demandeur a décidé de présenter un grief. Aucune raison valable n’a été présentée pour expliquer le délai de quatorze mois écoulé entre le moment où le demandeur a déposé sa plainte et le moment où il a présenté son grief, ou le délai de cinq mois entre le moment où il a pris connaissance de la décision de l’ASFC de refuser la plainte et le moment où il a présenté son grief.

39 Ceci étant, je conclus que le demandeur n’a pas établi une raison claire, logique et convaincante pour justifier son retard. Dans Lagacé, le vice-président a conclu comme suit :

[…]

[47] Nonobstant ce qui précède, il me semble que, de façon générale, le retard doit être justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes, sans quoi les autres critères perdent tous leur pertinence. À quoi serviraient les délais dont les parties à la convention collective ont convenu si le président de la Commission pouvait les proroger à la suite d’une demande qui n’est pas solidement justifiée? Le fait d’accepter une demande de prorogation qui ne repose pas sur une justification solide du retard, équivaudrait à ne pas respecter l’entente conclue entre les parties à la convention collective. Évidemment, ce n’est pas dans cet esprit qu’a été rédigé l’alinéa 61b) du Règlement.

[…]

[53] Le demandeur ne m’a donc pas présenté une preuve voulant qu’il avait des raisons claires, logiques et convaincantes de déposer son grief 198 jours après l’expiration du délai prévu à la convention collective. À partir de là, les autres critères deviennent secondaires et je n’ai pas à en traiter.

[…]

40 Je souscris d’emblée à ces commentaires. Par conséquent, je ne traiterai pas des autres critères énoncés dans Schenkman.

41 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

42 La demande de prorogation de délai est rejetée.

43 J’ordonne la fermeture du dossier de la CRTFP 566-02-3634.

Le 26 mars 2012.

Traduction de la CRTFP

Linda Gobeil,
vice-présidente

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