Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté la décision de l’employeur de refuser de leur rembourser des indemnités de repas et le remboursement erroné du taux par kilomètre pour des jours pour lesquels ils avaient effectué de la surveillance à l’escouade des hôpitaux en dehors de leur zone d’affectation - l’employeur a appliqué les dispositions énoncées à l’appendice D de la convention collective intitulée <<Escorter des détenus>> - les fonctionnaires s’estimant lésés étaient d’avis que la Directive sur les voyages du Conseil national mixte (CNM) s’appliquait - l’arbitre de grief a conclu que le travail de surveillance à l’escouade des hôpitaux n’était pas un travail d’escorte de détenus selon l’appendiceD de la convention collective - la Directive sur les voyages du CNM s’appliquait - puisque le CNM avait statué qu’il n’avait pas compétence pour instruire les griefs, il n’en avait pas disposé aux termes de la clause20.01 de la convention collective - l’arbitre de grief a renvoyé les griefs devant le CNM, afin qu’il les tranche conformément aux dispositions de sa Directive sur les voyages. Griefs accueillis en partie. Instructions données.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique,
L.R.C. (1985), ch. P-35

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-03-07
  • Dossier:  166-02-37744 à 37758
  • Référence:  2012 CRTFP 31

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHAEL LANNIGAN, CLARENCE CORMIER, BRUCE READE, PIERRE VAUTOUR, VALMOND BABINEAU, SCOTT LUTES, JASON ULTICAN, DERICK CORMIER, MICHAEL JAMES LEBLANC, GUSTAVE JOSHUA ET DENIS SAVOIE

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Lannigan et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés:
John Mancini, Union of Canadian Correctional Officers- Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour l'employeur:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
le 14 février 2012.
Arguments écrits déposés le 20 février 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Michael Lannigan, Clarence Cormier, Bruce Reade, Pierre Vautour, Valmond Babineau, Scott Lutes, Jason Ultican, Derick Cormier, Michael James Leblanc, Gustave Joshua et Denis Savoie, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), sont ou étaient, selon le cas, des agents correctionnels travaillant auprès du Service correctionnel du Canada (le « SCC » ou l’« employeur ») à l’Établissement Dorchester situé à Dorchester, au Nouveau-Brunswick (« Dorchester »). Entre août 2003 et mai 2004, les fonctionnaires ont déposé 15 griefs contre la décision de l’employeur de refuser de leur rembourser des indemnités de repas et le remboursement erroné du taux par kilomètre alors qu’ils travaillaient à l’« escouade des hôpitaux » de l’employeur.

2 Les fonctionnaires demandent le remboursement des indemnités de repas impayées et des indemnités liées à la totalité du kilométrage parcouru lors de leurs déplacements entre leur résidence et les hôpitaux pour du travail à l’escouade des hôpitaux. L’employeur a affirmé les avoir rémunérés correctement. La convention collective pertinente est celle conclue entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur ») visant l’unité de négociation du groupe Services correctionnels (CX) échue le 31 mai 2002 (la « convention collective »).

3 Les griefs portent tous sur les mêmes questions. Les parties ont convenu que la preuve serait présentée relativement aux deux griefs de M. Lannigan, mais que ma décision vaudrait pour tous les griefs. Tous les fonctionnaires demandent d’être remboursés soit pour [traduction] « les frais de repas impayés » ou [traduction] « la totalité du remboursement du taux de kilométrage réclamé », sinon pour les deux à la fois.

4 L’employeur a rejeté tous les griefs à tous les paliers de la procédure de règlement des griefs lors desquels il a effectivement fourni une réponse. Le 10 mai 2010, le Conseil national mixte (le « CNM ») a également rejeté les griefs pour manque de compétence. Selon le CNM, la disposition de la convention collective intitulée « Escorter des détenus » s’appliquait, et non la Directive sur les voyages du CNM (la « Directive sur les voyages »).

5 Le 1er avril 2005, la nouvelle Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, a été proclamée en vigueur. En vertu de l’article 61 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, ces renvois à l’arbitrage de grief doivent être décidés conformément à l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (l’« ancienne Loi »).

II. Résumé de la preuve

6 Les parties ont soumis en preuve six documents. Un des fonctionnaires, M. Lannigan, a témoigné. Les fonctionnaires ont également cité à témoigner Derick Cormier. À l’époque visée par les griefs, ce dernier était le coordonnateur des griefs agissant pour le compte de l’agent négociateur à Dorchester. Depuis 2005, il agit à titre de coordonnateur régional des griefs de l’agent négociateur pour la région de l’Atlantique de l’employeur. L’employeur a cité à témoigner Roger Savoie et Roger Poirier. M. Savoie est le directeur adjoint de Dorchester. À l’époque visée par les griefs, il travaillait à l’Établissement Westmorland. M. Poirier est le contrôleur régional pour la région de l’Atlantique de l’employeur. À l’époque visée par les griefs, il était le directeur des Opérations financières pour la région de l’Atlantique.

7 La région de l’Atlantique compte six établissements du SCC. Certains assurent des fonctions ou des services spécialisés pour l’ensemble de la région. Par exemple, l’Établissement Springhill reçoit des détenus pour la région, celui de Renous fournit des services d’escorte des détenus lors du transfert de détenus entre les établissements, alors que Dorchester offre les services de surveillance en milieu hospitalier. Ces services sont assurés par l’escouade des hôpitaux, constituée de 18 agents correctionnels de Dorchester qui se portent volontaires pour cette fonction.

8 Les fonctionnaires étaient ou sont encore membres de l’escouade des hôpitaux. La plupart du temps, ils exercent leurs fonctions à Dorchester, et seulement à l’occasion dans un centre hospitalier. Quand un détenu de la région de l’Atlantique est hospitalisé, des membres de l’escouade des hôpitaux sont affectés à l’hôpital en question pour surveiller le détenu, pour assurer sa sécurité, celle du personnel hospitalier et de la population en général, et pour contrôler les déplacements du détenu entre les divers services de l’hôpital.

9 L’escouade des hôpitaux est généralement affectée à des hôpitaux situés au Nouveau-Brunswick ou en Nouvelle-Écosse. Toutefois, ses membres sont habituellement affectés à l’hôpital de Moncton. Il arrive à l’occasion que ce soit à d’autres hôpitaux, notamment à Halifax ou à Saint-Jean. Aucun hôpital n’est situé dans la zone d’affectation des fonctionnaires.

10 Selon M. Lannigan et M. Cormier, les fonctions de surveillance à l’hôpital sont différentes de celles consistant à escorter des détenus. Selon M. Savoie, au contraire, les fonctions de surveillance à l’hôpital font partie des fonctions consistant à escorter des détenus, car il s’agit essentiellement de surveiller un détenu pendant qu’il est temporairement absent de son établissement. Ces fonctions sont effectuées sur deux quarts de travail. Le premier quart est de 6 h 30 à 19 h.

11 M. Lannigan a témoigné qu’avant 2003, les agents correctionnels recevaient une indemnité pour le kilométrage parcouru à partir de leur résidence jusqu’à l’hôpital, ainsi que pour trois repas par jour pendant un quart de travail de 12,5 heures. Il a également témoigné que M. Poirier l’avait informé au milieu de l’année 2003 qu’il n’avait plus le droit de réclamer le remboursement des frais pour son déjeuner lorsqu’il était en service pour l’escouade des hôpitaux. M. Lannigan ne se rappelait pas précisément de la date à laquelle il avait obtenu cette information, mais que ce devait être une semaine, peut-être deux, avant de présenter sa demande de remboursement des dépenses le 6 juillet 2003. Sa demande de remboursement visait le travail à l’hôpital entre le 2 novembre 2002 et le 26 mars 2003. M. Lannigan a témoigné qu’il n’avait pas alors demandé le remboursement de ses frais pour le déjeuner car il savait qu’on lui aurait refusé de les rembourser. Il a déposé un grief le 7 août 2003 (dossier 566-02-3916).

12 Avant 2003, les fonctionnaires avaient droit à une indemnité de kilométrage pour se rendre de leur résidence jusqu’à l’hôpital. M. Poirier a témoigné qu’il avait envoyé une note de service le 8 mars 2004 informant que des modifications importantes avaient été apportées à la Directive sur les voyages en octobre 2002. Il en résultait que les fonctionnaires n’étaient remboursés à compter de ce moment que pour la différence du kilométrage parcouru pour se rendre à l’hôpital et se rendre à Dorchester. En pratique, pour l’employeur, cela revenait à cesser de rembourser aux fonctionnaires leur taux de kilométrage pour se rendre à l’hôpital de Moncton, lequel se trouvait plus près de leur résidence que Dorchester. Lorsqu’ils devaient se rendre à l’hôpital de Halifax ou de Saint-Jean, l’employeur déduisait du kilométrage parcouru le kilométrage entre leur résidence respective pour se rendre à Dorchester.

13 M. Savoie et M. Poirier ont témoigné que l’employeur n’était pas tenu d’appliquer la Directive sur les voyages dans le cas du travail de surveillance dans les hôpitaux; c’était plutôt l’appendice D de la convention collective, « Escorter des détenus », qui s’appliquait alors. Cependant, puisque l’appendice D ne contient pas de taux par kilomètre ni de barème d’indemnité de repas, l’employeur « empruntait » les principes et les taux de remboursement prévus dans la Directive sur les voyages. M. Poirier a témoigné que le déjeuner n’était plus remboursé aux fonctionnaires lors de travail de surveillance à l’hôpital de Moncton parce qu’ils pouvaient déjeuner avant de partir de chez eux. L’employeur avait un contrat avec l’hôpital de Moncton en vertu duquel les repas du midi et du soir étaient fournis aux fonctionnaires qui y travaillaient durant leur quart de jour. Pour le quart de nuit, l’employeur payait aux fonctionnaires une indemnité de repas pour le déjeuner et le diner, en transposant le montant de l’indemnité prévu au barème figurant dans la Directive sur les voyages.

14 Après l’audience, j’ai écrit aux parties en leur demandant de me préciser si les agents correctionnels étaient indemnisés pour le kilométrage parcouru lorsqu’ils étaient rappelés au travail pour effectuer un quart de travail en heures supplémentaires à Dorchester et, si c’était le cas, quelle politique, ligne directrice ou directive était appliquée par l’employeur pour rembourser les frais de kilométrage. Les parties ont confirmé que les frais de kilométrage étaient payés suivant le barème des taux par kilomètre énoncé dans la Directive sur les voyages, à partir de la résidence du fonctionnaire s’estimant lésé jusqu’à son lieu de travail, lorsqu’il ou elle était appelé à travailler en temps supplémentaire lors d’un jour de repos ou de congé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

15 Le travail de surveillance effectué par l’escouade des hôpitaux est différent du travail consistant à escorter des détenus. Le travail d’escorte implique d’escorter des détenus se déplaçant d’un lieu à un autre, alors que le travail à l’escouade des hôpitaux implique de surveiller à un hôpital. La surveillance en milieu hospitalier n’est pas une extension du travail d’escorte. La Directive sur les voyages s’applique au travail de surveillance en milieu hospitalier, alors que l’appendice D de la convention collective s’applique au travail d’escorte.

16 Par ailleurs, la Directive sur les voyages fait partie intégrante de la convention collective et y revêt la même valeur que toute autre clause qui s’y retrouve. Puisque la convention collective ne traite pas du taux par kilomètre ou de l’indemnité de repas en service commandé, la Directive sur les voyages est la seule disposition faisant foi à cet égard. Durant leur travail à l’escouade des hôpitaux, les fonctionnaires étaient en service commandé car ils travaillaient en dehors de leur zone d’affectation. Ils auraient dû avoir droit au remboursement de leurs frais de kilométrage et de repas conformément aux paragraphes 3.2.9 et 3.2.11 de la Directive sur les voyages. Pendant un quart de travail de 12 heures, ils mangent trois repas, alors ils auraient dû être remboursés pour trois repas. Ils utilisaient également leur voiture pour se rendre de leur résidence aux hôpitaux, et donc ils auraient dû être remboursés pour le kilométrage.

17 Les fonctionnaires ont fait valoir que leurs griefs étaient de nature continue, car le même différend prévaut toujours depuis le dépôt de leurs griefs. Les fonctionnaires m’ont demandé de trancher les questions soulevées dans leurs griefs et de me réserver compétence pour décider du montant dû à chacun des fonctionnaires.

18 Les fonctionnaires m’ont renvoyé au paragraphe 2:3128 de l’ouvrage de Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, quatrième édition. Ils m’ont également renvoyé aux décisions suivantes : Baker c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 34; Currie c. Administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2010 CRTFP 10; Galarneau et al. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 1.

B. Pour l’employeur

19 L’employeur a soutenu que le travail effectué à l’escouade des hôpitaux était un travail d’escorte. Le travail d’escorte consiste en la surveillance des détenus lorsqu’ils se trouvent en dehors d’un établissement. Les fonctions d’escorte continuent lorsqu’un détenu se trouve à l’hôpital. Ainsi, l’employeur n’a pas à appliquer la Directive sur les voyages pour rembourser les frais de repas et de kilométrage aux agents correctionnels travaillant à l’escouade des hôpitaux parce qu’il s’agit d’un travail d’escorte, un travail visé par l’appendice D de la convention collective. L’employeur s’est inspiré de la Directive sur les voyages pour le guider dans les remboursements des frais de voyage, bien qu’il ne soit pas tenu de l’appliquer ni s’y confirmer.

20 La Directive sur les voyages a pour objet de compenser les fonctionnaires pour les pertes et les frais qu’ils encourent. L’employeur a compensé les pertes et les frais des fonctionnaires en leur remboursant uniquement les frais se rapportant à la distance supplémentaire parcourue pour se rendre à un hôpital et en ne leur remboursant pas les frais de déjeuner lorsqu’ils travaillaient à l’hôpital de Moncton. Selon l’employeur, il s’agit là d’une interprétation raisonnable des paragraphes 3.2.9 et 3.2.11 de la Directive sur les voyages, et cela devrait être respecté par l’arbitre de grief.

21 L’employeur a retiré son opposition pour non-respect des délais qu’il avait présentée le 29 juillet 2010. Il souligne toutefois qu’aucune mesure de redressement ne devait s’appliquer relativement à la période antérieure au délai de 25 jours précédant le dépôt d’un grief. À cet égard, l’employeur m’a renvoyé à Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813 (C.A.) (QL). Toutefois, l’employeur a consenti à l’argument des fonctionnaires voulant que les griefs étaient de nature continue.

22 L’employeur m’a également renvoyé aux décisions suivantes : Clerveaux et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 7; Hovey et Gayger c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 56.

IV. Motifs

23 La première question soulevée par ces griefs consiste à savoir si le travail effectué par les agents correctionnels à l’escouade des hôpitaux est du travail d’escorte des détenus. Le cas échéant, les frais de voyage des agents devraient être remboursés conformément à l’appendice D de la convention collective. Dans le cas contraire, selon les fonctionnaires, les frais de voyage devraient être remboursés conformément à la Directive sur les voyages. Les dispositions suivantes de la convention collective et de la Directive sur les voyages sont pertinentes à l’examen de cette question :

Convention collective

[…]

41.01 Les ententes conclues par le Conseil national mixte de la fonction publique (CNM) sur les sujets qui peuvent figurer dans une convention collective et que les parties à la présente convention ont ratifiées après le 6 décembre 1978, feront partie intégrante de la présente convention, sous réserve de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) et de toute loi du Parlement qui, selon le cas, a été ou peut être établie en application d’une loi stipulée à l’annexe II de la LRTFP.

[…]

41.03

a) Les directives suivantes, qui peuvent être modifiées de temps à autre par suite d’une recommandation du Conseil national mixte et qui ont été approuvées par le Conseil du Trésor du Canada, font partie de la présente convention :

[…]

Directive sur les voyages

[…]

APPENDICE « D »

ESCORTER DES DÉTENUS

L’Employeur convient des dispositions suivantes pendant la durée de la convention collective du Groupe des agents correctionnels (dont les fonctions comportent ou non la supervision d’autres employé-e-s) échue le 31 mai 2002.

[…]

3. Lorsque l’agent est tenu d’escorter un détenu à l’extérieur de la région de son lieu d’affectation, il est assujetti aux conditions de voyage suivantes :

a) les dépenses raisonnables engagées, selon la définition habituelle de l’Employeur, lui sont remboursées;

[…]

Directive sur les voyages (date d’entrée en vigueur : le 1er octobre 2002)

[…]

Champ d’application

La présente directive s’applique aux fonctionnaires de la fonction publique, au personnel exonéré et à d’autres personnes voyageant en service commandé, y compris à des fins de formation. Elle ne s’applique pas aux personnes dont les voyages sont régis par d’autres autorisations.

[…]

24 La convention collective ne définit pas ce qu’on y entend par « escorter un détenu ». L’appendice D prévoit toutefois que les employés ont droit au remboursement des dépenses raisonnables engagées lorsqu’ils escortent un détenu à l’extérieur de la région de leur lieu d’affectation. Par ailleurs, il est précisé à la Directive sur les voyages que celle-ci ne s’applique pas aux voyages régis par d’autres autorisations. Puisque la convention collective est l’une de ces « autorisations », il ressort clairement que l’employeur n’est pas tenu d’appliquer la Directive sur les voyages dans le cas d’un travail consistant à escorter des détenus. Cette conclusion de ma part est notamment fondée sur Clerveaux et al.

25 L’employeur m’a également renvoyé aux paragraphes 3 et 28 de la décision rendue dans Hovey et Gayger quant à la définition des fonctions d’escorte. Ces paragraphes se lisent comme suit :

[…]

[3] Le 7 mars 2000, l’agent de sécurité a produit le rapport suivant, qui a été communiqué à la Commission des relations de travail dans la fonction publique le 6 avril 2000 :

[…]

[Traduction]

Deux gardiens, MM. Gayger et Hovey, étaient censés escorter le détenu B à l’Hôpital général de Chilliwack, où il avait rendez-vous à 11 h 30. Ils ont refusé de le faire à moins que l’un d’eux ne soit armé, en invoquant les deux raisons suivantes pour justifier leur refus.

[…]

[28] M. Hovey a reçu une formation au sujet des fonctions d’escorte sur le tas ainsi qu’au Collège du personnel de correction. Les responsabilités de l’agent consistent alors à maintenir le détenu sous garde, à l’empêcher de s’évader, à le protéger et à protéger aussi le public. Ces responsabilités découlent essentiellement du Codecriminel du Canada, qui l’oblige à garder le détenu sous bonne garde, en sécurité, de même qu’à protéger le public. L’agent a aussi une responsabilité criminelle, car s’il ne fait pas assez bien son travail, il pourrait écoper d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement.

26 En toute déférence pour l’opinion de l’employeur, cet extrait ne vient pas nous éclairer en quoi constitue du travail d’escorte de détenus, alors que les fonctions décrites au paragraphe 28 dans Hovey et Gayger ont trait aux fonctions exercées en tout temps par un agent correctionnel, que cela soit à l’intérieur ou à l’extérieur des murs d’un établissement. Les témoins des deux parties ont décrit en termes généraux que le travail des agents correctionnels à l’escouade des hôpitaux impliquait la garde du détenu, l’empêchant de s’évader et protégeant le détenu et le public en général. Pour les témoins des fonctionnaires, cela ne correspond pas au travail d’escorte de détenus, alors qu’au contraire, pour les témoins de l’employeur, cela correspond au travail d’escorte.

27 Selon le Concise Oxford Dictionary, le terme escort (escorte) désigne [traduction] « […] une personne ou un véhicule (ou un groupe de personnes ou de véhicules) accompagnant une autre personne ou un autre véhicule afin d’en assurer la protection […] ». Dans la sixième édition du Roget’s International Thesaurus, on donne entre autres synonymes pour le verbe « escorter », les termes suivants : [traduction] « conduire, avoir sous son aile, guider, mener, véhiculer, ou garder ». Le terme « escorter » comporte la notion de mouvement. Ce terme correspond effectivement au travail des agents correctionnels accompagnant des détenus dans leurs déplacements d’un établissement à un autre endroit. Cet autre endroit, cela peut être n’importe où ailleurs, ce qui inclut nécessairement un autre établissement ou un hôpital. Cela consiste à déplacer des détenus. J’ajouterais également que le libellé du paragraphe 2e) de l’appendice D sous-entend que l’escorte d’un détenu débute et s’achève à l’établissement, l’escorte y étant considérée comme étant un voyage à destination d’un autre lieu et en provenance de ce lieu vers le lieu de départ, c’est-à-dire un voyage aller-retour.

28 La preuve a établi que des établissements de la région de l’Atlantique fournissent des fonctions et des services spécialisés pour l’ensemble de la région. Notamment, l’Établissement Renous fournit des services d’escorte de détenus lors du transfert de détenus d’un établissement à un autre, alors que Dorchester fournit des services de surveillance des détenus en milieu hospitalier. Ainsi, il appert que l’employeur lui-même, en spécialisant les fonctions des divers établissements, établit une distinction entre le fait d’« escorter » et de « surveiller les détenus dans un hôpital », établissant ainsi qu’il s’agit à ses yeux de deux fonctions distinctes.

29 Tout cela considéré, je conclus que le travail de surveillance à l’escouade des hôpitaux n’est pas un travail d’escorte de détenus tel qu’envisagé à l’appendice D de la convention collective. Par conséquent, l’appendice D ne s’applique pas en ce qui a trait à ces griefs, et donc les frais de voyage des fonctionnaires doivent être remboursés conformément à la Directive sur les voyages. La définition de voyageur en service commandé énoncée à la Directive sur les voyages correspond aux éléments caractérisant les circonstances de l’affaire en l’instance.

30 Reste maintenant à décider si l’employeur a violé la convention collective. Afin de trancher cette question, il convient d’analyser la Directive sur les voyages, en particulier les dispositions traitant du remboursement des frais de repas et de kilométrage.

31 Puisque le CNM a statué qu’il n’avait pas compétence pour instruire ces griefs, il n’en a pas été disposé comme il se doit, notamment selon ce qui est prévu à la clause 20.01 de la convention collective, laquelle se lit comme suit :

[…]

20.01 En cas de fausse interprétation ou d’application injustifiée présumée découlant des ententes conclues par le Conseil national mixte (CNM) de la fonction publique au sujet de clauses qui peuvent figurer dans une convention collective et que les parties à la présente convention ont ratifiées, la procédure de règlement des griefs sera appliquée conformément à l’article 7.0 des règlements du CNM.

[…]

32 La procédure de règlement des griefs du CNM se distingue de manière significative de la procédure habituellement suivie à cet égard, étant plutôt axée sur l’intention d’une directive donnée et non sur le strict libellé de ses dispositions. Règle générale, dans le cadre de la procédure normale de règlement des griefs, l’examen de l’intention d’une disposition n’entre en jeu que si son libellé n’est pas suffisamment limpide. La procédure de règlement des griefs du CNM est résumée comme suit dans l’extrait ci-après de son site Internet (http://www.njc-cnm.gc.ca/doc.php?sid=37&lang=fra) :

[…]

Processus des griefs

La méthode que le Conseil national mixte applique pour trancher les griefs est une procédure de règlement des griefs au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP). Les parties représentées au Conseil ont convenu que cette procédure s’applique aux griefs portant sur les directives et politiques relevant du CNM.

  • Les griefs doivent être appuyés par l’agent négociateur concerné. Si un grief n’est pas réglé dans le cadre du processus régi par le CNM, l’employé, avec l’accord et le soutien de son agent négociateur, peut renvoyer le dossier à l’arbitrage sous le régime de la LRTFP.
  • Les employés occupant des postes exclus ne peuvent avoir recours à la procédure de règlement des griefs du CNM.

La procédure du CNM diffère sur trois points de la procédure normale de règlement des griefs :

  1. La procédure appliquée par le CNM ne comporte que trois paliers, quel que soit le ministère ou l’organisme auquel le fonctionnaire s’estimant lésé appartient.
  2. Le Comité exécutif du CNM, qui se compose de trois membres de la partie patronale (l’employeur) et de trois membres de la partie syndicale (l’agent négociateur), constitue le troisième palier de la procédure du CNM.
  3. Les griefs sont tranchés en fonction de l’esprit de la directive ou de la politique en cause et non pas uniquement d’après le libellé de cette directive ou politique.

[…]

33 La Directive sur les voyages, à l’instar des autres directives du CNM, a été élaborée et rédigée conjointement par ou pour le compte de tous les agents négociateurs et employeurs membres du CNM. Selon le site Internet de l’organisme, il compte parmi ses membres officiels 18 agents négociateurs, le Conseil du Trésor et 4 « employeurs distincts ». En toute équité envers ces membres, leurs représentants respectifs devraient avoir l’occasion d’examiner un grief portant sur l’une de leurs directives et de statuer à l’égard de ce grief, en ayant à l’esprit l’intention des parties au moment de l’élaboration et de la rédaction de la directive visée. À mon avis, c’est là justement la raison d’être de la clause 20.01 de la convention collective, et pourquoi elle prévoit une procédure de règlement des griefs différente dans le cas de griefs mettant en cause une directive du CNM.

34 Tout compte fait, ces griefs n’ont pas été traités conformément aux modalités prévues à la convention collective. Ils auraient dû être tranchés par le CNM après que celui-ci eut entendu les arguments de l’agent négociateur et de l’employeur. Dans l’éventualité où les fonctionnaires n’étaient pas satisfaits de la décision du CNM, ils disposeront d’un délai de 40 jours pour renvoyer leurs griefs à l’arbitrage tel que prescrit au Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79.

35 Les fonctionnaires ont fait valoir le caractère continu de leurs griefs, puisque le différend à cet égard a continué à exister après le dépôt de leurs griefs. L’employeur a retiré son objection au non-respect des délais qu’il avait présentée le 29 juillet 2010, tout en plaidant, en se fondant sur Coallier, qu’aucun redressement ne devrait s’appliquer relativement à la période antérieure au délai de 25 jours précédant le dépôt d’un grief. Étant donné ma conclusion voulant que ces griefs devraient être tranchés par le CNM, il serait prématuré à ce stade-ci de disposer de cette dernière question.

36 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

37 Les griefs sont accueillis en partie.

38 J’ordonne que les griefs soient renvoyés devant le CNM, afin qu’il les tranche conformément aux dispositions de sa Directive sur les voyages.

Le 7 mars 2012.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
arbitre de grief

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