Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte de pratique déloyale de travail contre un représentant de son agent négociateur, alléguant que ce dernier avait manqué à son devoir de représentation équitable en omettant de répondre à un de ses courriels - le défendeur s’est opposé à la plainte aux motifs qu’elle était hors délai et que la plaignante n’avait allégué aucun fait pouvant constituer un manquement à son devoir de représentation équitable - la Commission a jugé que la plainte était hors délai pour ce qui est de la décision du défendeur de ne pas représenter la plaignante - puisque la plaignante a admis que l’objet de son courriel était d’offrir au défendeur une deuxième chance de la représenter, le défaut du défendeur de répondre à ce courriel ne pouvait prolonger le délai prévu par la loi pour contester la décision de ne pas la représenter ni équivaloir à un manquement distinct au devoir de représentation équitable - de plus, la preuve n’a pas démontré que la décision du défendeur de ne pas représenter la plaignante était discriminatoire, arbitraire ou empreinte de mauvaise foi. Objection accueillie. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-03-23
  • Dossier:  561-02-468
  • Référence:  2012 CRTFP 36

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

AYESHA MOHID

plaignante

et

RAYMOND BROSSARD

défendeur

Répertorié
Mohid c. Brossard

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour le défendeur:
Helen Nowak, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 22 et 23 août 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 8 juin 2010, Ayesha Mohid (la « plaignante ») a déposé une plainte contre Raymond Brossard (le « défendeur »), un représentant de l´Élément national de son agent négociateur, l´Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). La plaignante a allégué que le défendeur avait manqué à son devoir de représentation équitable en refusant de la représenter en lien avec un différend portant sur une question d´interprétation et d´application de la Directive sur la réinstallation (la « Directive ») du Conseil national mixte (CNM) par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC ou l´« employeur »).

2 La plainte a été déposée en vertu de l´alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »), qui se lit comme suit :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l´employeur, l´organisation syndicale ou toute personne s´est livré à une pratique déloyale au sens de l´article 185.

3 L´article 185 de la Loi définit une « pratique déloyale » comme étant tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1) de la Loi. La disposition particulière de la Loi visée par l´article 185 et se rapportant à la plainte en l´instance est l´article 187, qui se lit comme suit :

187. Il est interdit à l´organisation syndicale, ainsi qu´à ses dirigeants et représentants, d´agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l´unité dont elle est l´agent négociateur.

Cette disposition a été adoptée afin de voir à ce que les organisations syndicales, ainsi que leurs représentants, soient tenus à un devoir de représentation équitable; selon la plaignante, le défendeur ne s´est pas acquitté de ce devoir.

4 Dans sa réponse écrite à la plaignante et lors de l´audience, le défendeur a soulevé des objections préliminaires, affirmant que la plainte était irrecevable et qu´elle devait être rejetée de façon sommaire puisqu´elle n´avait pas été déposée à l'intérieur du délai prévu par le paragraphe 190(2) de la Loi, qui se lit comme suit :

190. (2) Sous réserve des paragraphes (3) et (4), les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

Le défendeur a aussi fait valoir que la plainte ne faisait état d´aucun fait à l´appui d´une prétendue violation de l´article 187 de la Loi.

5 Les parties ont présenté leur preuve et leurs arguments à la fois en ce qui trait aux objections préliminaires et aux mérites de la plainte.

II. Résumé de la preuve

A. Pour la plaignante

6 La plaignante travaillait pour l´Agence des services frontaliers du Canada à Lacolle (Québec) et résidait dans le nord de l´État de New York. À un moment au cours de l´automne 2009, la plaignante a participé à un concours dans le cadre d´un processus de dotation avec TPSGC et s´est vue offrir un poste d´une durée indéterminée à titre d´agente de communications de groupe et niveau IS-03. Le nouveau poste était situé à Gatineau (Québec), soit à environ 300 kilomètres de Lacolle.

7 La lettre d´offre stipulait que la première journée de travail de la plaignante à TPSGC serait le 7 décembre 2009 et que toute mesure d´aide à la réinstallation serait fournie par TPSGC aux termes de la Directive. La plaignante a admis que la lettre recommandait de communiquer avec une personne-ressource de TPSGC avant de faire des démarches en vue de sa réinstallation ou d´engager des dépenses à cet égard, étant donné qu´elle pouvait être tenue responsable pour ces dépenses si elle faisait fi de cette recommandation. En dépit de cela, elle ne l´a pas fait. La plaignante a indiqué qu´elle a lu la Directive et qu´elle croyait que tous les frais engagés relativement à la réinstallation, y compris les dépenses liées à la vente de sa résidence seraient couverts.

8 La plaignante a été en mesure de trouver un logement temporaire à Gatineau et s´est présentée au travail le 7 décembre 2009, comme convenu. Au moment de son arrivée au travail, elle a immédiatement été avisée par son superviseur que tous les frais liés à la vente de sa propriété résidentielle située dans le nord de l´État de New York ne seraient vraisemblablement pas couverts par la Directive puisque la propriété se trouvait aux États-Unis et que de telles propriétés étaient expressément exclues de la Directive.

9 La plaignante s´est sentie lésée et a écrit à la Direction générale des finances pour obtenir des précisions. Le 8 janvier 2010, TPSGC a confirmé que, bien que la Directive couvrait certains frais, les dépenses associées avec la vente de sa maison dans l´État de New York en étaient exclues. Toutes les autres dépenses liées à sa réinstallation étaient couvertes par la Directive, à condition d´être approuvées.

10 Selon la plaignante, TPSGC était au courant que sa maison était située aux États‑Unis avant de lui faire une offre d´emploi et ne l´a jamais avisée que les dépenses associées à la vente de sa maison n´étaient pas couvertes par la Directive. Elle sentait qu´elle n´avait pas été traitée de manière équitable et qu´on n´avait pas mis en pratique l´esprit de la Directive, en l´instance. Peu après avoir été avisée que les dépenses afférentes à la vente de sa maison n´étaient pas couvertes, la plaignante a communiqué avec le représentant de la section locale de l´AFPC, Pierre Perron-Desormeaux, pour lui demander de l´aide et des conseils pour contester la décision de l´employeur de ne pas couvrir les dépenses issues de la vente de sa résidence aux fins de réinstallation. M. Perron‑Desormeaux à son tour a communiqué avec le défendeur, un agent des relations de travail de l´Élément national de l´AFPC.

11 Les 4 et 11 février 2010, le défendeur a écrit un courriel à M. Perron‑Desormeaux, qui à son tour a transmis les courriels à la plaignante. Dans ses courriels, le défendeur faisait état de sa position selon laquelle, à la lumière de l´information et de la documentation dont il disposait, il n´existait pas de motifs justifiant de contester la décision de l´employeur de ne pas couvrir les dépenses associées à la vente de la maison de la plaignante, étant donné qu´il n´y avait pas apparence de violation ou de fausse interprétation de l´article 1.4.5 de la Directive. En contre-interrogatoire, la plaignante a indiqué que l´information et la documentation fournies au défendeur en janvier et en février 2010 étaient complètes et détaillées, incluant le fait qu´elle souhaitait que le défendeur tienne compte de l´esprit de la Directive et son effet discriminatoire dans sa situation.

12 Le 25 mai 2010, un collègue a avisé le défendeur que, lors d´une conversation ayant eu lieu le jour même, la plaignante a exprimé son insatisfaction quant aux services qu´il lui a fournis relativement à l´affaire concernant sa réinstallation. Il a écrit à la plaignante pour tirer les choses au clair et réaffirmer sa position précédente. Selon la plaignante, il s´agit du moment où elle a pris conscience que le défendeur n´était pas disposé à la représenter relativement à la réinstallation. Une semaine plus tard, la plaignante a déposé sa plainte. En contre-interrogatoire, elle a admis que, à cette époque, elle espérait que le défendeur changerait d´idée et la représenterait éventuellement.

13 À ce jour, la plaignante n´a pas vendu sa maison. Elle continue de louer une chambre à Gatineau et de retourner à sa demeure dans l´État de New York les fins de semaine. Elle a affirmé que son but ultime est de conserver sa résidence américaine, de recevoir l´équivalent de 6 % en frais immobiliers qu´elle aurait dû engager si elle avait vendu sa maison et d´affecter la somme du remboursement à l´achat d´un condominium à Gatineau.

14 La plaignante a indiqué qu´elle avait l´impression qu´elle ne pouvait pas contester la décision de l´employeur relativement à la réinstallation avant d´avoir reçu la réponse finale de celui-ci. Selon elle, elle ne l´a reçue que juste avant une rencontre avec l´employeur, le 7 juin 2010. Je note que la réponse de l´employeur, que la plaignante a versée au dossier pour étayer sa déclaration, est datée du 16 avril 2010. Après cette rencontre, elle a déposé un grief, avec l´aide de M. Perron-Desormeaux. Son grief a été rejeté au premier et au second paliers de la procédure de règlement des griefs et n´a pas été renvoyé au troisième palier puisque l´Élément national de l´AFPC ne l´appuierait pas. La plaignante n´était pas en mesure de se rappeler si elle avait mentionné l´esprit de la Directive et son effet discriminatoire au premier et au second paliers de la procédure de règlement des griefs. La plaignante a confirmé en contre-interrogatoire qu´aucune plainte distincte n´avait été déposée en lien avec le refus de l´Élément national de l´AFPC de la représenter au troisième palier de la procédure de règlement des griefs à l´égard du grief daté du 7 juin 2010.

B. Pour le défendeur

15 Deux personnes ont témoigné pour le défendeur, M. Perron‑Desormeaux et le défendeur lui-même.

16 M. Perron-Desormeaux est vice-président de la section locale 71200 de l´AFPC. En janvier 2010, la plaignante l´a consulté au sujet de sa réinstallation, plus précisément à propos de la décision de l´employeur de ne pas couvrir les coûts associés à la vente de sa maison dans l´État de New York.

17 Comme il ne connaissait pas la Directive, M. Perron-Desormeaux a communiqué avec le défendeur le 28 janvier 2010 pour obtenir son avis. Il a reçu la réponse du défendeur le 4 février 2010 et l´a transmise à la plaignante. Par suite de cette réponse, la plaignante s´est informée afin de savoir si elle avait des motifs légitimes pour présenter un grief, en se fondant sur l´esprit de la Directive et sur son impact discriminatoire. M. Perron‑Desormeaux a fait parvenir cette demande de renseignement au défendeur.

18 Le 11 février 2010, le défendeur a répondu que selon les renseignements qu´il avait analysés, aucun motif ne venait étayer un grief. M. Perron‑Desormeaux a transmis cette réponse à la plaignante le jour même.

19 M. Perron-Desormeaux a déclaré qu´il avait aussi eu une discussion avec le défendeur lors de la communication des courriels et que le défendeur avait clairement indiqué que l´Élément national de l´AFPC n´appuierait pas le grief de la plaignante puisqu´aucun manquement à la Directive n´était survenu. M. Perron-Desormeaux a communiqué cette information à la plaignante ce jour-là, ou autour du 11 février 2010.

20 M. Perron-Desormeaux n´a pas participé à la communication de courriels entre la plaignante et le défendeur en mai 2010. Il a toutefois accepté d´aider la plaignante à remplir un grief contre la façon dont TPSGC interprète et applique la Directive. Il a déclaré avoir dit clairement à la plaignante que sans l´appui de l´Élément national de l´AFPC, son grief ne mènerait probablement nulle part. Lorsqu´on lui a demandé pourquoi il avait appuyé le grief de la plaignante, il a indiqué qu´il avait espéré que l´employeur accepte de faire quelque chose pour la plaignante au premier palier de la procédure de règlement des griefs, par compassion. M. Perron-Desormeaux a ajouté qu´il n´était pas au courant que la plaignante avait aussi porté plainte contre le défendeur lorsqu´il a accepté de l´aider à présenter son grief. Selon lui, le défendeur n´a pas agi de manière arbitraire lorsqu´il s´est occupé de la question de la réinstallation de la plaignante dans le passé.

21 La plaignante n´a pas contre-interrogé M. Perron-Desormeaux.

22 Le défendeur est agent des relations de travail au sein de l´Élément national de l´AFPC depuis six ans. Une de ses tâches consiste à orienter et à conseiller les représentants locaux, comme M. Perron-Desormeaux. Selon sa déclaration, aussitôt que M. Perron-Desormeaux l´a consulté, il a analysé les renseignements et les documents pertinents, pris en compte les commentaires de la plaignante, notamment ceux relatifs à l´esprit et à l´impact discriminatoire de la Directive, et a communiqué la réponse qu´il estimait appropriée dans les circonstances. Il a ajouté que, même s´il était conscient des répercussions financières de la décision de l´employeur, qu´il a prises en compte, il ne trouvait tout simplement pas de motifs légitimes pour soulever un grief à l´encontre de cette décision.

23 Le défendeur a clarifié le fait que la référence à une réinstallation récente du conjoint de la plaignante, qu´il a faite dans son courriel du 4 février 2010, n´était qu´une supposition, ce qui explique le point d´interrogation qu´il a inséré entre crochets. Il a ajouté que cette information, qu´elle soit juste ou non, n´a eu aucun impact sur son évaluation du bien-fondé d´un éventuel grief présenté par la plaignante, ni sur son interprétation de la Directive.

24 Jusqu´en mai 2010, toutes les communications entre le défendeur et la plaignante sont passées par M. Perron-Desormeaux. Toutefois, le 25 mai 2010, le défendeur est entré directement en communication avec elle. Il a indiqué qu´il avait décidé d´agir ainsi après qu´un collègue lui eut dit que la plaignante avait exprimé de l´insatisfaction à l´égard des services qu´il lui avait rendus en février. Son objectif était de communiquer avec la plaignante et de la rassurer sur le fait que l´on ne pouvait rien faire de plus, étant donné les circonstances. Il lui a indiqué qu´il n´agirait pas de manière éthique s´il la guidait dans une direction allant à l´encontre des termes de la Directive, et s´est excusé au cas où elle trouverait son opinion choquante.

25 Même si la plaignante lui a répondu le même jour, le défendeur a indiqué qu´il n´avait pas répondu au courriel qu´elle lui avait envoyé puisque celui-ci reprenait les mêmes arguments que ceux soulevés en février, c.-à-d. l´esprit de la Directive et son impact discriminatoire sur elle, arguments qu´il avait déjà pris en compte des mois plus tôt.

III. Résumé de l´argumentation

A. Pour la plaignante

26 La plaignante a déclaré qu´elle n´avait pris connaissance du refus du défendeur de la représenter que le 25 mai 2010, par suite d´un échange de courriels, ce qui signifie que sa plainte, présentée une semaine plus tard, respectait le délai imparti. Toutefois, la majorité de ses arguments avaient trait aux événements survenus en février 2010, et au refus du défendeur de la représenter à ce moment-là. Selon la plaignante, le défendeur ne s´est pas acquitté de son devoir de représentation équitable.

27 La plaignante n´a pas nié que la Directive exclut la vente ou l´acquisition d´une propriété en dehors du Canada, mais elle estime que la Directive est discriminatoire, puisqu´elle empêche les employés du gouvernement qui possèdent de telles propriétés d´obtenir le remboursement des coûts associés à leur vente. Elle a ajouté que la manière dont TPSGC met la Directive en application va à l´encontre de l´esprit de celle‑ci.

28 Selon la plaignante, elle n´aurait pas dû avoir le fardeau de déterminer ce que la Directive couvrait avant d´accepter l´offre d´emploi de TPSGC. Elle ne conteste pas le fait que la Directive exclut les propriétés situées en dehors du Canada. Elle estime toutefois que son employeur aurait dû lui révéler ce fait et que le défendeur aurait dû la représenter dans sa lutte pour faire reconnaître l´effet discriminatoire que la Directive a eu sur elle et sur d´autres fonctionnaires qui résident aux États-Unis ainsi que l´esprit véritable de la Directive.

29 Pour étayer ses arguments, la plaignante m´a renvoyé à Webb c. Conseil du Trésor (Affaires étrangères et Commerce international), dossier de la CRTFP 166‑02‑28379 (19981221).

B. Pour le défendeur

30 Selon le défendeur, bien que TPSGC ait accepté de fournir de l´aide à la plaignante pour sa réinstallation, ce ministère a clairement dit qu´il le ferait conformément à la Directive. D´après le défendeur, la Directive est le seul texte faisant autorité en matière de réinstallation pour tous les employés de la fonction publique, et elle a été élaborée par des représentants des agents négociateurs et des employeurs de la fonction publique fédérale. De l´avis du défendeur, la Directive est réputée faire partie des conventions collectives entre les parties représentées au CNM, ce qui fait qu´elle doit être respectée par tous les ministères. Comme la Directive ne couvre pas la vente ni l´acquisition de propriétés situées en dehors du Canada, la propriété de la plaignante dans l´État de New-York ne peut être couverte par celle-ci.

31 Dans les courriels transmis en février 2010, la plaignante a clairement indiqué qu´elle voulait que le défendeur prenne en compte l´esprit de la Directive et l´impact discriminatoire qu´elle avait sur elle. Le défendeur a tenu compte de ces facteurs avant de confirmer sa position le 11 février 2010. La plaignante n´a émis aucun nouvel argument en mai 2010. Le défendeur a simplement réitéré sa position d´origine après qu´on lui ait dit que la plaignante avait exprimé son insatisfaction à un de ses collègues.

32 Le 11 février 2010 au plus tard, le défendeur a clairement communiqué sa décision de ne pas représenter la plaignante. Une plainte à l´encontre de cette décision devait être présentée dans les 90 jours suivant cette date. Par conséquent, la plainte, signée le 2 juin 2010, soit longtemps après cette date, ne respecte pas le délai imparti.

33 De plus, même si la plainte respectait le délai imparti, le défendeur a déterminé que la plaignante n´avait pas réussi à démontrer que quelqu´un avait agi d´une manière qui pourrait être considérée comme arbitraire ou de mauvaise foi. De l´avis du défendeur, la preuve démontre clairement qu´il a analysé l´information et la documentation qu´on lui a remises, qu´il a pris en compte les commentaires et les préoccupations de la plaignante et qu´il en est arrivé à une conclusion qui était appropriée dans les circonstances.

IV. Motifs

A. Délai de présentation

34 Le défendeur a soulevé une objection préliminaire selon laquelle la plainte est hors délai. Le délai de présentation constitue un facteur déterminant, et son élément clé est énoncé au paragraphe 190(2) de la Loi, qui se lit comme suit :

190. (2) […] les plaintes prévues au paragraphe (1) doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date à laquelle le plaignant a eu — ou, selon la Commission, aurait dû avoir — connaissance des mesures ou des circonstances y ayant donné lieu.

35 La Commission a souvent réaffirmé le caractère obligatoire du paragraphe 190(2) de la Loi. On doit toujours respecter le délai imparti pour déposer une plainte, comme cela est énoncé au paragraphe 55 de Castonguay c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 78, qui se lit comme suit :

[55] Le libellé de cette disposition revêt manifestement un caractère obligatoire en raison des mots « […] doivent être présentées dans les quatre-vingt-dix jours […] ». Aucune autre disposition de la nouvelle LRTFP n´habilite la Commission à proroger le délai prescrit par le paragraphe 190(2). Par conséquent, le paragraphe 190(2) de la nouvelle LRTFP fixe une limite de temps, limitant ainsi le pouvoir de la Commission d´examiner et d´instruire toute plainte voulant qu´une organisation syndicale se soit livrée à une pratique déloyale de travail, au sens de l´article 185 (lequel est mentionné à l´alinéa 190(1)g) de la nouvelle LRTFP), et cela vaut pour les actions ou circonstances dont le plaignant avait connaissance ou, de l´avis de la Commission, aurait dû avoir connaissance, dans les 90 jours précédant la date de la plainte.

36 Ma compétence me permet de déterminer, en me fondant sur la preuve produite, la date à laquelle le délai de 90 jours débutait, ou en d´autres mots, la date à laquelle la plaignante a eu, ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant donné lieu à sa plainte, ce qui est purement une question de faits.

37 La plaignante a déposé sa plainte le 8 juin 2010, ce qui signifie que celle-ci doit découler de mesures ou de circonstances dont elle a eu, ou aurait dû avoir connaissance le 9 mars 2010, au plus tôt. En me fondant sur les déclarations et sur la preuve écrite produites par les parties, je suis d´avis que la plaignante a eu, ou aurait dû avoir connaissance des mesures ou des circonstances ayant mené à sa plainte le 11 février 2010, lorsqu´elle a reçu le courriel que le défendeur lui a envoyé à cette date, qui doit être lu en conjonction avec son courriel du 4 février 2010. Par conséquent, la plainte a été déposée en dehors du délai de 90 jours.

38 Je ne peux accepter l´argument de la plaignante selon lequel l´échange de courriels du 25 mai 2010, dont elle n´est pas l´initiatrice, a donné lieu à sa plainte. De fait, la plainte elle-même, à la case 8, réfère à l´objet du courriel du 25 mai 2010, qui était [traduction] « d´offrir à l´AFPC une deuxième chance de la représenter ». Cela indique clairement qu´elle avait déjà connaissance du refus du défendeur de la représenter et qu´elle espérait que le défendeur change la décision qu´il avait prise précédemment. La plaignante n´a rien appris de nouveau dans le courriel que le défendeur lui a envoyé le 25 mai 2010, car elle connaissait déjà les faits pertinents depuis le 11 février 2010.

39 La Commission a émis des commentaires sur cette question précise dans Éthier c. Service correctionnel du Canada et Union of Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN, 2010 CRTFP 7, au paragraphe 21, qui se lit comme suit :

[21] […] Le délai pour déposer une plainte n´est pas pour autant prolongé par les tentatives d´un plaignant de convaincre le syndicat de revenir sur sa décision. Dans la mesure où il y a une violation de la loi, il n´y a pas de norme minimale ou maximale pour ce qui est du degré de connaissance que doit avoir un plaignant avant de déposer sa plainte.

40 Rien dans le courriel envoyé par le défendeur le 25 mai 2010 ne pourrait être considéré comme l´élément ayant donné lieu à la plainte. Et personne ne peut faire une erreur d´interprétation quant au contexte dans lequel le courriel en question a été envoyé. Il s´agissait d´une initiative du défendeur qui cherchait à joindre la plaignante et à s´excuser pour la nature potentiellement choquante de la décision qu´il avait prise en février.

41 Par conséquent, je conclus que les circonstances de cette affaire n´ont pas été élargies en raison de la volonté apparente de la plaignante d´offrir au défendeur une deuxième chance de la représenter. De plus, toute allégation d´avoir omis de répondre à ce courriel ne pouvait prolonger le délai imparti ni équivaloir à un manquement du défendeur à son devoir de représentation équitable.

42 Dans cette affaire, le fait que la plaignante a eu connaissance le 11 février 2010 de la décision du défendeur de ne pas la représenter constitue l´élément qui a donné lieu au présumé manquement et le début des 90 jours. Je suis par conséquent convaincu qu´elle n´a pas déposé sa plainte dans le délai imparti aux termes du paragraphe 190(2) de la Loi.

43 Pour ces motifs, je suis d´accord avec l´objection soulevée par le défendeur, qui affirme que la plainte est inadmissible parce qu´elle est hors délai.

44 Dans l´éventualité où l´on estimerait que j´ai erré en concluant que la plainte n´a pas été présentée dans le délai imparti, je vais examiner le bien-fondé de la plainte.

B. Bien-fondé de la plainte

45 Pour les motifs énoncés ci-dessous, je ne partage pas l´opinion de la plaignante lorsqu´elle affirme que le défendeur a manqué à son devoir de représentation équitable lorsqu´il a refusé de la représenter en février 2010 et lorsqu´il a par la suite omis de répondre au courriel qu´elle lui a envoyé en mai 2010.

46 Comme la Commission l´a établi dans Ouellet c. Luce St-Georges et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 107, dans le cas d´une plainte présentée aux termes de l´article 187 de la Loi, le fardeau de la preuve repose sur le plaignant. Pour s´acquitter de ce fardeau, le plaignant doit présenter une preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que le défendeur ne s´est pas acquitté de son devoir de représentation équitable.

47 La Commission a souvent émis des commentaires sur le droit des employés syndiqués d´être représentés. Dans Halfacree c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 28, au paragraphe 17, elle a rejeté l´idée qu´il s´agisse d´un droit absolu, en s´exprimant comme suit :

[17] La défenderesse, en tant qu´agent négociateur, a le droit de refuser de représenter un membre, et une plainte devant la Commission n´est pas un mécanisme d´appel contre un tel refus. La Commission ne va pas remettre en question la décision de l´agent négociateur. Le rôle de la Commission est de statuer sur le processus décisionnel de l´agent négociateur et non sur le bien-fondé de sa décision […]

48 Le rôle de la Commission n´est pas de déterminer si la décision du défendeur de ne pas représenter la plaignante était correcte; il s´agit plutôt de déterminer si le défendeur a agi de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire dans son processus décisionnel. Toutefois, aussi étendue que cette discrétion puisse être, elle n´est pas absolue.

49 La portée du devoir de représentation équitable a été établie par la Cour suprême du Canada (CSC) dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, à la page 527. Dans cette décision, la CSC décrit comme suit les principes sous-jacents au devoir de représentation :

[…]

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l´importance du grief et des conséquences pour le salarié, d´une part, et des intérêts légitimes du syndicat d´autre part.

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

[…]

50 La Commission a aussi examiné attentivement la signification de « conduite arbitraire » comme le montre l´extrait tiré de Ménard c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 95, aux paragraphes 22 et 23 :

[22] Sur le terme arbitraire, la Cour suprême du Canada, dans Noël c. Société d´énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, écrit au paragraphe 50 :

Se reliant étroitement, les concepts d´arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L´élément de l´arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d´un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n´a cependant pas droit à l´enquête la plus poussée […]

[…]

[23] Dans International Longshore and Wharehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F. no 1929 (C.A.) (QL), la Cour d´appel fédérale, sur la question du caractère arbitraire d´une décision, écrit que, pour faire la preuve d´un manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient sommaires et superficielles ».

51 Dans Mangat c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 52, la Commission a émis les commentaires suivants :

[…]

[44] […] Il revient à l´agent négociateur de décider des griefs qu´il traite et de ceux qu´il ne traite pas. Pour prendre ces décisions, l´agent négociateur peut se fonder sur les ressources et les besoins de l´organisation syndicale dans son ensemble (Bahniuk c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2007 CRTFP 13). Ce processus décisionnel de l´agent négociateur a été décrit comme suit dans Judd v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 2000, 2003 CanLII 62912 (BC L.R.B.) :

[Traduction]

[…]

42. Lorsqu´un syndicat décide de ne pas poursuivre un grief pour des considérations pertinentes concernant le lieu de travail – par exemple, vu son interprétation de la convention collective, vu l´effet sur d´autres fonctionnaires ou vu son évaluation selon laquelle le fondement du grief n´est pas suffisant – il accomplit son travail consistant à représenter les fonctionnaires. Le fonctionnaire en cause, dont le grief a été abandonné, peut estimer que le syndicat ne le « représente » pas. Toutefois, décider de ne pas poursuivre un grief en se basant sur ces genres de facteurs est une partie essentielle du travail syndical consistant à représenter les fonctionnaires dans leur ensemble. Quand un syndicat agit en se fondant sur des considérations se rapportant au lieu de travail ou à son travail de représentation des fonctionnaires, il est libre de déterminer la meilleure voie à suivre, et une telle décision n´équivaut pas à une violation du [devoir de représentation équitable].

[…]

52 À n´en pas douter, on devrait accorder aux agents négociateurs et à leurs représentants une grande latitude quant à leurs décisions de représentation. Comme la Commission l´a établi récemment dans Manella c. Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada et Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CRTFP 128, au parag. 38 : « La barre pour faire la preuve d´une conduite arbitraire — ou discriminatoire ou de mauvaise foi — est placée très haut à dessein […] ».

53 La lettre d´offre d´emploi se lisait comme suit :

[Traduction]

[…]

Travaux publics et Services gouvernementaux Canada accepte de vous fournir de l´aide pour votre réinstallation, conformément à la Directive sur la réinstallation du Conseil national mixte (CNM), que vous trouverez à l´adresse : http://www.tbs-sct.gc.ca/pol/doc-eng.aspx?id=14662. Avant de prendre des arrangements ou d´engager des dépenses liées à votre réinstallation, veuillez communiquer avec Michel Matte au (819) 953‑3790 ou par courriel à michel.t.matte@tpsgc-pwgsc.gc.ca.

Les employés qui concluent des transactions liées à leur réinstallation avant d´obtenir une autorisation ou qui engagent des dépenses plus élevées que celles permises ou après le délai imparti par la Directive sur la réinstallation du CNM sont personnellement responsables de ces dépenses et pourraient être disqualifiés d´une participation à la Directive sur la réinstallation du CNM.

[…]

54 L´article 1.4.5 de la Directive établit qu´une réinstallation admissible consiste en une réinstallation d´un contribuable, dans laquelle :

[Traduction]

[…]

2. la résidence que le contribuable habitait ordinairement avant la réinstallation (appelée « ancienne résidence » à l´article 62 et au présent paragraphe) et celle qu´il habitait ordinairement après la réinstallation (appelé « nouveau lieu de travail » à l´article 62 et au présent paragraphe) sont toutes deux situées au Canada […]

[…]

55 La plaignante avait le fardeau de démontrer qu´il y a eu un manquement à l´article 187 de la Loi, ce qui commandait qu´elle présente une preuve démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que le refus du défendeur de la représenter dans son conflit avec TPSGC lié à la mise en application de l´article 1.4.5 de la Directive constituait une conduite arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Mon analyse des faits et de la preuve soumise par les parties n´a révélé aucun signe d´un comportement discriminatoire, arbitraire ou de mauvaise foi de la part du défendeur. Rien dans ce que la plaignante a présenté en cours d´audience n´a établi, selon la prépondérance des probabilités, un manquement aux termes de l´article 187.

56 Par exemple, rien dans la preuve ne me porte à conclure que le défendeur a fait preuve d´une attitude cavalière ou indifférente envers les intérêts de la plaignante ni qu´il a agi de manière frauduleuse, avec des motivations douteuses ou avec hostilité envers elle. Je n´ai aucune raison de croire que le défendeur a agi de manière négligente, ni qu´il a traité la plaignante de manière différente aux traitements qu´il réserve à d´autres employés, ni qu´une telle distinction était fondée sur des motifs illégaux, arbitraires ou déraisonnables. Bien que je ne suggère pas qu´une telle conduite établisse nécessairement un manquement au devoir de représentation équitable, cela serait certainement pris en compte dans le cadre d´une telle détermination.

57 En contrepartie, je suis convaincu que le défendeur a analysé le dossier de la plaignante de manière légitime, qu´il a soupesé les facteurs pertinents et authentiques et qu´il a pris une décision mûrie quant à sa représentation. Je suis par ailleurs convaincu qu´il n´était pas tenu de répondre au courriel que la plaignante lui a envoyé le 25 mai 2010, car ce dernier avait manifestement comme objectif de lui donner la chance de remettre en question sa décision antérieure.

58 De plus, la preuve démontre que la plaignante a bénéficié de l´appui et de la représentation de son agent négociateur après le présumé manquement, nommément lors du dépôt de son grief contre l´employeur le 7 juin 2010, et aux deux premiers paliers de la procédure de règlement des griefs. Bien que le défendeur ait refusé de la représenter après le deuxième palier de la procédure, aucune plainte n´a été présentée concernant ce refus. Je ne suis donc pas saisi d´une telle plainte.

59 Pour ces motifs, je conclus que la plaignante n´a pas réussi à établir que le défendeur s´est prêté à une pratique de travail inéquitable ni qu´il a commis un manquement à l´article 187 de la Loi.

60 Pour ces motifs, la Commission rend l´ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

61 L´objection du défendeur liée au délai de présentation est accueillie.

62 La plainte est rejetée.

Le 23 mars 2012.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
commissaire

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