Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La demanderesse a demandé la prorogation du délai imparti pour présenter son grief - elle a allégué avoir fait l’objet de discrimination en raison de son invalidité - suivant les conseils de son avocat, elle a tout d’abord déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne; cette dernière a rejeté sa plainte et lui a conseillé de présenter un grief - elle a communiqué avec son agent négociateur, mais son grief n’a été présenté qu’après un certain temps - la demanderesse a reçu un diagnostic de cancer et a été traitée; elle s’est retrouvée seule à s’occuper de ses deux enfants, dont l’un était atteint du trouble de déficit d’attention avec hyperactivité, alors que son mari était déployé en Afghanistan puis ensuite à Toronto, et elle était suivie par un psychiatre et un psychologue dans les mois précédant la présentation de sa demande - la demanderesse a justifié de façon claire, logique et convaincante le retard dans la présentation de son grief - en raison des circonstances uniques de l’affaire, la vice-présidente a décidé d’exercer son pouvoir discrétionnaire et d’accorder la prorogation du délai - la demanderesse n’était pas en mesure de respecter les délais impartis pour présenter son grief. Demande accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-05-10
  • Dossier:  568-02-205
  • Référence:  2012 CRTFP 56

Devant le président de la
Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

LEANNE COLEMAN-KAMPHUIS

demanderesse

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Coleman-Kamphuis c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant une demande visant la prorogation d'un délai visée à l'alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, vice-présidente

Pour la demanderesse:
Allan Phillips, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Pour le défendeur:
Mathieu Giroux, Conseil du Trésor

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 28 novembre et le 13 décembre 2011 et le 6 janvier 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant le président

1  Le 30 novembre 2009, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (le « représentant de la demanderesse ») a présenté au président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») au nom de Leanne Coleman-Kamphuis (la « demanderesse »), une demande de prorogation du délai prescrit dans la convention collective pour la présentation d’un grief. La convention collective pertinente est celle conclue entre le Conseil du Trésor (le « défendeur ») et le représentant de la demanderesse, qui est également l’agent négociateur du groupe Services de santé (la « convention collective »). La convention collective vient à échéance le 30 septembre 2011

2 En vertu de l’article 45 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « nouvelle Loi »), édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, le président m’a autorisée, en ma qualité de vice‑présidente, à exercer tous ses pouvoirs ou à m’acquitter de toutes ses fonctions en application de l’alinéa 61b) du Règlement de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « Règlement ») pour entendre et trancher toute demande de prorogation de délai. L’article 61 du Règlement se lit comme suit :

61. Malgré les autres dispositions de la présente partie, tout délai, prévu par celle-ci ou par une procédure de grief énoncée dans une convention collective, pour l’accomplissement d’un acte, la présentation d’un grief à un palier de la procédure applicable aux griefs, le renvoi d’un grief à l’arbitrage ou la remise ou le dépôt d’un avis, d’une réponse ou d’un document peut être prorogé avant ou après son expiration :

  1. soit par une entente entre les parties;
  2. soit par le président, à la demande d’une partie, par souci d’équité.

II. Résumé de la preuve

3 Le 30 novembre 2009, le représentant de la demanderesse a écrit à la Commission, faisant valoir que la demanderesse avait été en congé de maladie depuis 2008 et que le défendeur avait agi de manière discriminatoire à son égard en raison de son invalidité. Il a expliqué qu’elle avait tout d’abord déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») relativement à cette discrimination. Cependant, le 26 août 2009 la CCDP a rejeté sa plainte et lui a plutôt conseillé de présenter un grief en vertu de sa convention collective.

4 Dans la lettre précitée, le représentant de la demanderesse a informé la Commission et le défendeur que la demanderesse était sur le point de présenter son grief pour discrimination. Le représentant de la demanderesse a également mentionné qu’il s’attendait à ce que le défendeur s’y oppose en invoquant qu’il était hors délai. Le représentant de la demanderesse a donc présenté, dans le cadre de cette même lettre, une demande de prorogation du délai prescrit pour présenter le grief.

5 La demanderesse a présenté son grief contre le défendeur le 1er décembre 2009.

6 Le 16 décembre 2009, le défendeur s’est opposé au grief de la demanderesse en alléguant qu’il avait été présenté hors délai et que la demanderesse n’avait pas fourni à la Commission des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant son retard.

7 Le défendeur a ajouté que la CCDP avait informé la demanderesse le 26 août 2009 du rejet de sa plainte et qu’elle devrait communiquer dans les meilleurs délais avec le représentant de son agent négociateur au sujet de son grief.

8 Le défendeur a fait valoir que la demanderesse avait attendu jusqu’au 1er décembre 2009 avant de présenter son grief, soit trois mois après avoir reçu la réponse de la CCDP et après que soit écoulé le délai de 25 jours prévu à la convention collective pour la présentation d’un grief. Le défendeur a également fait valoir que le fait qu’elle ait été malade en 2008 ne pouvait constituer une raison valable justifiant son retard à présenter son grief, puisqu’elle avait été en mesure de déposer une plainte à la CCDP à la même époque.

9 Les parties ont convenu de procéder sur la base d’arguments écrits.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la demanderesse

10 En plus des précisions données dans sa lettre du 30 novembre 2009, le représentant de la demanderesse, dans ses arguments écrits déposés le 28 novembre 2011 et le 6 janvier 2012, s’est efforcé d’expliquer les faits qui ont mené à la demande de prorogation de délai.

11 Le représentant de la demanderesse a ainsi expliqué que la demanderesse travaillait à Halifax comme gestionnaire de cas au sein du ministère de la Défense nationale. Elle était classifiée au groupe et niveau NU-CHN-3 et elle travaillait à Halifax depuis 2004. Elle est en congé de maladie depuis 2008 et ne sait pas quand elle pourra retourner travailler. Elle est actuellement considérée comme étant en période d’invalidité totale et reçoit des prestations de la Sun Life. Le représentant de la demanderesse a en outre expliqué qu’en raison de l’état de santé de la demanderesse, cette dernière n’a pas été en mesure de l’aider dans la préparation de la demande de prorogation.

12 En 2005, la demanderesse a fait l’objet d’une plainte de harcèlement déposée par des collègues de travail. Un an plus tard, la plainte a été jugée sans fondement à la suite d’une enquête.

13 Le représentant de la demanderesse a indiqué que la demanderesse avait reçu un diagnostic de cancer en mai 2006. Un an plus tard, alors qu’elle se rétablissait à la suite du traitement de son cancer, elle s’est retrouvée seule à s’occuper de ses deux enfants, son mari ayant été affecté à Kandahar, en Afghanistan.

14 En 2009, la demanderesse s’est de nouveau retrouvée seule à s’occuper de ses enfants alors que son mari suivait des cours au Collège d’état-major à Toronto.

15 Le représentant de la demanderesse a notamment fait valoir que, depuis le début de son emploi à Halifax, en 2004, la demanderesse a fait l’objet [traduction] « […] de rumeurs, d’insinuations et d’attaques vicieuses de la part de ses collègues de travail. » Le représentant de la demanderesse a soutenu qu’elle avait tenté en vain de résoudre ce problème par elle-même, ne recevant aucun soutien de son employeur à cet égard.

16 Le 2 juin 2009, alors qu’elle était représentée par un conseiller juridique externe, elle a déposé une plainte auprès de la CCDP, alléguant être victime de discrimination.

17 Le 26 août 2009, la CCDP a informé la demanderesse qu’elle rejetait sa plainte et lui a conseillé de communiquer avec son agent négociateur. Le représentant de la demanderesse a expliqué qu’à l’époque, la demanderesse était suivie par un psychiatre et un psychologue.

18 Le représentant de la demanderesse a indiqué que la demanderesse avait communiqué avec lui en novembre 2009. Il a alors réalisé qu’elle n’était pas du tout en état de l’aider dans le cadre de sa représentation. Le 1er décembre 2009, un grief de discrimination fondée sur sa maladie a été présenté auprès du défendeur, lequel s’y est opposé au motif qu’il n’avait pas été présenté dans les délais impartis.

19 Le représentant de la demanderesse a soutenu que la décision de la CCDP de ne pas accueillir la plainte de la demanderesse ainsi que le fait que la demanderesse était très malade et qu’elle était seule pour s’occuper de deux enfants, dont l’un était atteint du trouble de déficit d’attention avec hyperactivité (TDAH), ont déclenché la dépression de la défenderesse. Ce n’est qu’après avoir été traitée pour cette dépression qu’elle a communiqué avec son agent négociateur.

20 Le représentant de la demanderesse m’a invitée à appliquer les critères employés par la Commission afin de décider s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai. Il a essentiellement soutenu que le retard de la demanderesse était justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes. Lorsqu’elle a appris la décision de la CCDP, elle était suivie par un psychiatre et était seule pour s’occuper de la maisonnée. Dès que sa thérapie a commencé à avoir un effet bénéfique, elle a communiqué avec son agent négociateur. C’était vers la fin de novembre 2009. Le 1er décembre, elle a présenté son grief et la demande de prorogation en l’instance.

21 En ce qui a trait à la diligence dont elle a fait preuve, le représentant de la demanderesse a fait valoir que le fait qu’elle ait déposé une plainte auprès de la CCDP témoigne de son intention de régler le problème.

22 Qui plus est, à l’époque du dépôt de sa plainte auprès de la CCDP, elle bénéficiait des conseils d’un conseiller juridique externe. Elle ne devrait pas subir un préjudice à cause des conseils qu’elle a obtenus. Le représentant de la demanderesse a soutenu que les seules discussions que l’agent négociateur a eues avec la demanderesse avant le dépôt de son grief avaient trait à un autre dossier devant le Collège d’Infirmières Immatriculées de la Nouvelle-Écosse, ou encore au sujet de l'embauche de son conseiller juridique externe.

23 Le représentant de la demanderesse m’a renvoyée à Anderson c. Conseil du Trésor (Revenu Canada), dossier de la CRTFP 149-02-49 (19830708), Vincent c. Conseil du Trésor (Soliciteur général – Service correctionnel Canada), dossier de la CRTFP 166-02-21022 (19910515), et Riche c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 157.

24 Le représentant de la demanderesse a plaidé qu’en vertu de la jurisprudence de la Commission en la matière, le retard dans la présentation du grief en l’instance était acceptable. Bien qu’il n’ait pas précisé la durée du retard, le représentant de la demanderesse a laissé entendre soit une durée de trois mois, selon que l’on retienne l’hypothèse suivant laquelle le calcul du délai de 25 jours commence le jour du rejet de la plainte par la CCDP (le 26 août 2009), soit une durée de six mois, si ce délai commence à courir le jour du dépôt de la plainte de la demanderesse auprès de la CCDP (le 2 juin 2009).

25 Enfin, le représentant de la demanderesse a conclu son argumentation en soutenant que le refus de la demande de prorogation de la demanderesse ne ferait que perpétuer l’injustice subie par la demanderesse depuis cinq ans dans un milieu de travail malsain. Bien que les chances de succès du grief soient inconnues, il a déclaré que la demanderesse méritait d’avoir le droit de présenter son grief. Le représentant de la demanderesse m’a renvoyée à Jarry et Antonopoulos c. Conseil du Trésor (ministère de la Justice), 2009 CRTFP 11.

B. Pour le défendeur

26 Dans ses arguments écrits déposés auprès de la Commission le 13 décembre 2011, le représentant du défendeur a soutenu que la demanderesse n’avait pas soulevé la question de la discrimination avant de s’en plaindre auprès de la CCDP en juin 2009.

27 Le représentant du défendeur a également passé en revue les critères élaborés par la Commission dans Schenkman c. Conseil du Trésor (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada), 2004 CRTFP 1,et a conclu en soulignant que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle avait une raison claire, logique et convaincante justifiant son retard. Plus précisément, il a déclaré que la demanderesse avait communiqué avec son agent négociateur au sujet des problèmes dans son milieu de travail en novembre 2008, en février 2009 puis en juin 2009. Or, elle n’a présenté son grief que le 1er décembre 2009.

28 Le représentant du défendeur a également fait valoir que, le 26 août 2009, la CCDP avait informé la demanderesse que sa plainte était rejetée, qu’à titre de fonctionnaire, elle avait droit de présenter un grief en vertu de la Loi, et qu’elle devrait sans délai communiquer avec le représentant de son agent négociateur. Le représentant du défendeur a plaidé qu’elle avait néanmoins attendu 98 jours avant de présenter son grief.

29 En ce qui a trait à la durée du retard, le représentant du défendeur a soutenu qu’en vertu de la clause 34.12 de la convention collective, la demanderesse disposait d’un délai de 25 jours pour présenter son grief. Le représentant du défendeur a fait valoir que les événements menant au dépôt du grief se sont produits avant juillet 2008. Ainsi, la présentation du grief est en retard d’environ dix-huit mois. Subsidiairement, il a déclaré que si on devait calculer le délai à partir de la journée du dépôt de la plainte de la demanderesse auprès de la CCDP, soit le 2 juin 2009, le grief aurait alors été présenté sept mois en retard, puisqu’il a été présenté le 1er décembre 2009. Le représentant du défendeur a par ailleurs souligné que même si on calculait le délai à partir du jour du rejet de la plainte par le CCDP, soit le 26 août 2009, le grief n’en serait pas moins hors délai. Le représentant du défendeur a conclu en affirmant que, quel que soit le scénario retenu, la durée du retard était inacceptable, car le grief avait été présenté bien au-delà des délais prescrits. Le représentant du défendeur m’a renvoyée à Riche.

30 Le représentant du défendeur a fait valoir que la demanderesse n’avait pas fait preuve de diligence. Ainsi, bien que la CCDP lui ait conseillé le 26 août 2009 de présenter un grief et de communiquer avec son agent négociateur à cet effet, elle a attendu jusqu’en décembre 2009 avant d’agir.

31 Le représentant du défendeur a conclu que la demanderesse devait subir les conséquences de sa propre inaction et que le défendeur ne pouvait être tenu responsable des erreurs ou des mauvais conseils qu’elle aurait reçus de son conseiller juridique externe. Le représentant du défendeur m’a renvoyée à cet égard à Vidlak c. Conseil du Trésor (Agence canadienne de développement international), 2006 CRTFP 96; Featherston c. Administrateur général (École de la fonction publique du Canada) et Administrateur général (Commission de la fonction publique), 2010 CRTFP 72; Dumas c. Personnel des fonds non publics, Forces canadiennes, 2007 CRTFP 74.

32 Par ailleurs, le représentant du défendeur a souligné que si les allégations invoquées au soutien de son grief avaient été portées à la connaissance du défendeur dès l’année 2008, ce dernier aurait alors eu l’occasion de procéder à une enquête approfondie à ce sujet. Or, le passage du temps rend difficile la réalisation d’une telle enquête et nuit à la capacité du défendeur de la mener comme il se doit.

33 Enfin, le représentant du défendeur a fait valoir que les chances de succès du grief étaient minces, puisque le grief de la demanderesse ne peut porter que sur des événements survenus au cours des 25 jours précédant le 1er décembre 2009. Étant donné que la demanderesse a été absente du travail depuis 2008, cela pourrait s’avérer difficile.

34 En outre, le représentant du défendeur m’a renvoyée à Lagacé c. Conseil du Trésor (Commission de l’immigration et du statut du réfugié), 2011 CRTFP 68.

IV. Motifs

35 Je souligne tout d’abord qu’aucune des parties ne conteste le fait que le grief a été présenté en dehors des délais impartis.

36 Il est bien établi dans la jurisprudence de la Commission que les critères ci­après sont ceux dont il convient de tenir compte pour déterminer s’il y a lieu d’accorder une prorogation de délai, à savoir :

  • le retard est justifié par des raisons claires, logiques et convaincantes
  • la durée du retard;
  • la diligence raisonnable du demandeur;
  • l’équilibre entre l’injustice causée au demandeur et le préjudice que subit le défendeur si la prorogation est accordée,
  • les chances de succès du grief.

37 Ces critères ont été appliqués pour la première fois dans Schenkman. Plus récemment, ils ont notamment été appliqués dans Grouchy c. Administrateur général (ministère des Pêches et Océans), 2009 CRTFP 92, et Prévost c. Bureau du surintendant des institutions financières, 2011 CRTFP 119. Dans Lagacé, au paragraphe 46, alors qu’il examinait les critères précités le vice-président a opiné que « [p]ar ailleurs, l’importance accordée à chacun de ces critères n’est pas nécessairement la même. Il faut examiner les faits qui sont soumis afin de décider de la valeur probante à accorder à chaque critère. Il arrive que certains critères ne s’appliquent pas ou qu’il y en ait seulement un ou deux qui pèsent dans la balance. » Je souscris à ces commentaires.

38 La clause 34.12 de la convention collective se lit comme suit :

34.12 L'auteur du grief peut présenter un grief au premier palier de la procédure de la manière prescrite au paragraphe 34.06, au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle l'auteur du grief est informé ou devient conscient de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief […]

[Je souligne]

39 En juillet 2008, la demanderesse a pris un congé de maladie. Elle est encore en congé de maladie, et son retour au travail ne se fera pas dans un avenir prévisible.

40 Le 2 juin 2009, la demanderesse a déposé une plainte auprès de la CCDP contre le défendeur, alléguant avoir fait l’objet de discrimination en raison de son état de santé.

41 Le 26 août 2009, la CCDP a informé la demanderesse qu’elle ne pouvait pas accueillir sa plainte à ce moment-là. Après avoir reçu cette lettre, la demanderesse a attendu jusqu’au 1er décembre 2009 pour déposer son grief.

42 Je dois tout d’abord décider si la justification fournie par le représentant de la demanderesse afin d’expliquer le retard dans la présentation du grief, à savoir que la demanderesse avait été gravement malade, qu’elle ne bénéficiait d’aucun soutien et qu’elle s’était fiée à l’avis d’un conseiller juridique externe, constitue une raison claire, logique et convaincante pouvant justifier son retard.

43 Après un examen minutieux des arguments écrits et de la jurisprudence, j’ai conclu que, dans la présente affaire, la demanderesse avait établi une raison claire, logique et convaincante justifiant son retard et qu’en raison des circonstances particulières et exceptionnelles en l’instance, je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire et accorder la prorogation du délai.

44 Je souscris entièrement aux commentaires formulés par le vice-président dans Salain c. Agence du revenu du Canada, 2010 CRTFP 117, au paragraphe 44 : « [l]es limites de temps sont censées être respectées par les parties et devraient être prorogées uniquement dans des circonstances exceptionnelles. Ces circonstances dépendent toujours des faits entourant chaque cas. » En l’occurrence, les circonstances de la présente affaire m’apparaissent comme étant exceptionnelles. Les raisons invoquées par la demanderesse constituent certes des raisons claires, logiques et convaincantes justifiant son retard.

45 Dans cette affaire, il n’est pas contesté que durant les mois précédant la date à laquelle le grief aurait dû être présenté, la demanderesse recevait des traitements contre le cancer et devait s’occuper seule de ses deux enfants, dont l’un était atteint du trouble de déficit d’attention avec hyperactivité (TDAH), alors que son mari suivait des cours au Collège d’état-major. De surcroît, elle était confrontée à d’autres problèmes devant le Collège d’Infirmières Immatriculées de la Nouvelle-Écosse. Il s’agissait là d’épreuves difficiles, de circonstances indépendantes de sa volonté et sur lesquelles elle n’avait aucune emprise. À mon avis, ces événements expliquent pourquoi elle n’était pas en mesure de respecter les délais impartis pour présenter son grief. Bien que j’aie dûment noté que sa situation ne l’avait pas empêchée de déposer une plainte auprès de la CCDP, je persiste à croire que sa situation était exceptionnelle et que, cela étant, elle traversait à l’époque une période particulièrement éprouvante de sa vie au point qu’elle n’était pas en mesure de réfléchir posément à tous les recours dont elle pouvait se prévaloir et se conformer aux diverses exigences à cet égard.

46 Quant à l’argumentation du défendeur voulant que la demanderesse ait attendu cinq mois après avoir été informée par la CCDP qu’elle n’accueillait pas sa plainte et qu’elle devrait sans tarder communiquer avec son syndicat, je retiens de l’énoncé non contesté du représentant de la demanderesse qu’elle était à l’époque en dépression et qu’elle recevait des soins de deux professionnels de la santé. Il m’appert encore une fois qu’il serait injuste d’exiger de la demanderesse qu’elle présente un grief alors qu’elle reçoit à la fois des soins psychiatriques et psychologiques. Dans les circonstances, il serait difficile de conclure qu’elle n’a pas fait preuve de diligence.

47 En ce qui a trait à la durée du délai, le représentant du défendeur a soutenu que le grief était en retard, soit de dix-huit mois, soit de cinq mois, un retard excessif à tout événement selon ce dernier. À mon avis, bien que le retard ait de beaucoup dépassé les délais prescrits, les circonstances de cette affaire sont telles qu’il convient d’accorder une valeur probante moins importante à ce critère.

48 Quant au préjudice que subirait le défendeur si la prorogation était accordée, ce facteur demeure difficile à évaluer. Bien qu’il ait soulevé cette question dans sa plaidoirie écrite, le défendeur n’a pas présenté de faits concrets étayant sa position voulant qu’il subisse un préjudice dans le cadre de sa contestation du grief. Par exemple, il n’a pas déclaré que des témoins importants n’étaient pas disponibles ou que des documents essentiels auraient été détruits. Il a plutôt soutenu qu’il lui serait plus difficile de se défendre contre ce grief, ce qui est le cas dans toute affaire où le passage du temps est en cause.

49 Le critère des chances de succès est difficile à mesurer, en particulier en l’absence d’une preuve quant au bien-fondé des allégations formulées. Je ne me fonderai donc pas sur ce critère pour statuer sur le bien-fondé de la demande.

50 Enfin, ayant conclu par ailleurs que la demanderesse avait une raison claire, logique et convaincante justifiant le retard dans la présentation de son grief, je me dois de souligner que les circonstances de cette affaire sont singulières et se distinguent des circonstances des autres affaires auxquelles les parties m’ont renvoyée. Ceci étant, à la lumière du fait que la demanderesse est en congé de maladie depuis 2008, sans date de retour au travail prévisible et alors que son état de santé ne lui permet toujours pas d’aider à la présentation de son grief à l’heure actuelle, j’incite les parties à collaborer afin d’en arriver à un règlement acceptable de part et d’autre.

51 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

52 La demande de prorogation du délai pour présenter le grief est accueillie.

Le 10 mai 2012.

Traduction de la CRTFP

Linda Gobeil,
vice-présidente

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