Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a fait l'objet d'une suspension sans traitement pour une période indéfinie en attendant l'issue de l'enquête entourant un incident survenu en dehors des heures de travail - la fonctionnaire s’estimant lésée s'est enivrée dans un bar, a agressé un policier, a été arrêtée et accusée de deux infractions à la loi, soitd’être en état d’ébriété dans un lieu public et de refuser d’obéir à l'ordre de quitter les lieux - elle n’a pas avisé l’employeur de son arrestation ni des accusations d’infractions à la loi portées contre elle - elle a été renvoyée en cours de stage - la fonctionnaire s’estimant lésée a contesté à la fois la suspension et le renvoi en cours de stage - elle a allégué que la suspension était de nature disciplinaire et que la suspension et le licenciement étaient discriminatoires en ce sens que les deux étaient liés à l’invalidité résultant de son alcoolisme - l’employeur a contesté la compétence de l'arbitre de grief d’instruire les griefs - il a allégué que la suspension sans traitement était de nature administrative plutôt que disciplinaire, de sorte qu’elle n’aurait pas pu être renvoyée à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<LRTFP>>) - il a déclaré que le renvoi en cours de stage avait été effectué conformément à l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (la <<LEFP>>), et que le paragraphe 211a) de la LRTFP interdit le renvoi à l'arbitrage d'un grief relatif à un licenciement aux termes de la LEFP - l’arbitre de grief a précisé que la suspension était de nature administrative et que l’employeur n’avait pas d’intention disciplinaire - la décision de l’employeur de procéder à son renvoi en cours de stage était fondée sur des motifs liés à l’aptitude à l’emploi de la fonctionnaire s’estimant lésée - le fait que son représentant syndical lui ait dit qu'il n'était pas nécessaire de déclarer les infractions qui n'étaient pas de nature criminelle ne libérait pas la fonctionnaire s’estimant lésée de ses obligations à l’égard du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle de l’employeur - la fonctionnaire s’estimant lésée n’a pas fait la preuve qu’elle souffrait d’une invalidité. Dossiers clos par ordonnance.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-03-26
  • Dossier:  566-02-4083 et 4280
  • Référence:  2012 CRTFP 37

Devant un arbitre de grief


ENTRE

SHAINA CASSIN

fonctionnaire s’estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Cassin c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Steven B. Katkin, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Sheryl Ferguson, Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN

Pour le défendeur:
Anne-Marie Duquette, avocate

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
les 15 et 16 novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Shaina Cassin, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») travaillait à l’époque pertinente comme agente correctionnelle auprès du Service correctionnel du Canada (l’« employeur », ou SCC) au Pénitencier de Kingston, en Ontario (l’« établissement »). Selon sa lettre d’offre d’emploi (pièce E-1, onglet 1), son embauche aux groupe et niveau CX-01 prenait effet le 1er juin 2009 et elle était assujettie à un stage de 12 mois, se terminant le 31 mai 2010. Sa candidature ayant été retenue à la suite d’un processus de sélection, elle a été promue aux groupe et niveau CX-02 en date du 9 mars 2010 (pièce E-1, onglet 3).

2 Dans une lettre datée du 9 avril 2010, l’employeur a suspendu la fonctionnaire de ses fonctions sans solde pour une période indéfinie (pièce E-1, onglet 8), en attendant la conclusion d’une enquête sur un incident survenu le 3 avril 2010 pendant qu’elle n’était pas en service et qui sera plus amplement décrit plus loin dans cette décision. Il était précisé dans la lettre que le dossier de la fonctionnaire ferait l’objet d’une évaluation avant le 30 avril 2010. Le 15 avril 2010, l’employeur a transmis à la fonctionnaire une lettre de suspension indéfinie sans solde portant une modification visant à corriger la date de l’incident en cause (pièce E-1, onglet 9). Dans une lettre datée du 30 avril 2010 (pièce E-1, onglet 11), l’employeur a informé la fonctionnaire qu’il maintenait la suspension sans solde en attendant un examen plus approfondi de l’incident, qui serait effectué au plus tard le 21 mai 2010. Le 19 avril 2010, elle a déposé un grief contestant sa suspension pour une période indéfinie, portant le numéro de dossier 566-02-4083 de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP, ou la « Commission »).

3 Dans une lettre datée du 27 mai 2010, l’employeur a avisé la fonctionnaire de son renvoi en cours de stage (pièce E-1, onglet 4) et qu’il était mis fin à son emploi, moyennant le versement d’un mois de salaire à titre de préavis. Le 31 mai 2010, la fonctionnaire a déposé un grief contestant son renvoi en cours de stage (dossier de la CRTFP 566-02-4280), alléguant que la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi était discriminatoire et en violation des dispositions de la convention collective pertinente et de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. Les deux griefs ont été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), lequel se lit comme suit :

209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire;

[…]

4 L’agent négociateur de la fonctionnaire, le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN (le « syndicat »), a donné le préavis requis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) conformément à l’article 210 de la LRTFP, alléguant que les griefs soulèvent une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, à savoir que l’employeur avait suspendu la fonctionnaire de ses fonctions pour une période indéfinie et avait mis fin à son emploi pour des motifs se rapportant à son comportement directement lié à son invalidité, soit l’alcoolisme. Dans une lettre datée du 8 septembre 2010, la CCDP a informé la CRTFP qu’elle n’avait pas l’intention de présenter des arguments à cet égard.

II. Objection à la compétence

5 L’employeur s’est opposé à ma compétence d’instruire ces griefs en invoquant les motifs ci-après. En premier lieu, il a fait valoir que la suspension sans solde pour une période indéfinie était une mesure de nature administrative, destinée à donner l’occasion à l’employeur de recueillir de l’information au sujet de l’incident en cause. Ne s’agissant donc pas d’une mesure disciplinaire, elle ne pouvait faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage selon l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP. En deuxième lieu, en ce qui a trait au renvoi en cours de stage, l’employeur a fait valoir que ce licenciement a été effectué conformément aux dispositions de l’article 62 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (LEFP), qui se lit comme suit :

62. (1) À tout moment au cours de la période de stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de mettre fin à son emploi au terme du délai de préavis :

a) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par règlement du Conseil du Trésor dans le cas d’une administration figurant aux annexes I ou IV de la Loi sur la gestion des finances publiques;

b) fixé, pour la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie, par l’organisme distinct en cause dans le cas d’un organisme distinct dans lequel les nominations relèvent exclusivement de la Commission,

Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de ce délai.

(2) Au lieu de donner l’avis prévu au paragraphe (1), l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de la cessation de son emploi et du fait qu’une indemnité équivalant au salaire auquel il aurait eu droit au cours de la période de préavis lui sera versée. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire à la date fixée par l’administrateur général.

6 L’employeur a soutenu qu’étant un organisme désigné à l’annexe IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, et étant donné que l’alinéa 211a) de la LRTFP ne permet pas le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur un licenciement prévu sous le régime de la LEFP, la fonctionnaire ne peut procéder au renvoi à l’arbitrage de son renvoi en cours de stage. L’alinéa 211a) de la LRTFP prévoit ce qui suit :

211. L’article 209 n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel portant sur :

a) soit tout licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique […]

7 J’ai informé les parties que je prendrais en délibéré les objections portant sur ma compétence d’instruire les griefs et que je procéderais à entendre les griefs sur le fond.

III. Résumé de la preuve

8 Les faits importants de l’incident ayant mené à la suspension indéfinie sans solde de la fonctionnaire et à son renvoi en cours de stage ne sont pas contestés. La fonctionnaire et deux de ses consœurs agentes correctionnelles ont passé la soirée du 2 avril 2010, laquelle s’est poursuivie jusqu’aux petites heures du matin du 3 avril 2010, dans un bar situé au centre-ville de Kingston. Peu avant la fermeture du bar, une de ses collègues lui a dit qu’elle avait été agressée par un homme. Elle a communiqué avec les policiers avec son téléphone cellulaire. Les policiers sont rapidement arrivés sur les lieux. À ce moment-là, la fonctionnaire et ses collègues se trouvaient à l’extérieur du bar. La collègue qui avait été agressée s’est présentée ainsi que ses deux autres collègues aux policiers comme étant des agentes correctionnelles. Les policiers sont entrés avec elle dans le bar afin de tenter d’identifier l’homme en question. La fonctionnaire a alors tenté d’entrer dans le bar afin de vérifier si sa collègue allait bien, mais le portier l’en a empêchée. L’un des policiers est venu à la porte, et la fonctionnaire a alors réitéré la raison pour laquelle elle voulait retourner dans le bar. Le policier a refusé de la laisser entrer, en raison de la fermeture du bar, et a averti la fonctionnaire qu’elle était en situation d’entrée sans autorisation et devait quitter l’endroit. Cette mise en garde a été réitérée et la fonctionnaire a continué de refuser d’obtempérer en criant des injures tout en faisant valoir qu’elle était une agente correctionnelle. À un moment donné, un policier a tenté de déplacer physiquement la fonctionnaire. La fonctionnaire l’a repoussé. Elle a alors été mise en état d’arrestation et amenée au poste. La fonctionnaire a été inculpée de deux infractions prévues par une loi, la première en vertu de la Loi sur les permis d’alcool, L.R.O. 1990, ch. L. 19, pour avoir été en état d’ébriété dans un lieu public, et l’autre en vertu de la Loi sur l’entrée sans autorisation, L.R.O. 1990, ch. T. 21, pour ne pas avoir quitté les lieux après se l’être fait demandé (pièce E-1, onglet 5). La fonctionnaire a été détenue dans une cellule au poste de police pour le reste de la nuit et a été libérée vers 9 h 30 le lendemain matin, le 3 avril 2010. Elle n’a pas signalé son arrestation ni les inculpations à son superviseur.

9 Le 9 avril 2010, la fonctionnaire a été convoquée au bureau du directeur intérimaire du pénitencier afin d’y remplir un rapport d’observation ou déclaration d’un agent (RODA) au sujet de l’incident. Elle a alors rencontré deux représentants syndicaux, après quoi on lui a remis une lettre l’avisant de sa suspension indéfinie en attente de la réalisation d’une enquête. Le jour même, le directeur intérimaire a délivré un ordre de convocation pour l’établissement d’un comité d’enquête sur les faits se rapportant à l’incident. Le rapport d’enquête (pièce E-2) a été finalisé le 28 avril 2010, et ses conclusions communiquées à la fonctionnaire le 12 mai 2010. Une audience disciplinaire a été tenue le 25 mai 2010, à laquelle étaient notamment présents la fonctionnaire et ses représentants syndicaux. Dans une lettre datée du 27 mai 2010, la fonctionnaire a été avisée de son renvoi en cours de stage et qu’il était mis fin à son emploi moyennant une indemnité d’un mois de salaire tenant lieu de préavis (pièce E‑1, onglet 4).

A. Pour l’employeur

10 Au moment de l’incident, Mike Jensen était le directeur intérimaire de l’établissement. Il a été avisé de l’incident impliquant la fonctionnaire le 8 avril 2010 en recevant un appel téléphonique du directeur adjoint intérimaire de l’établissement, Tim Hamilton. M. Hamilton avait lui-même été alerté de l’incident par Lisa Blasko, une agente de renseignement de sécurité du SCC, laquelle en avait été informée par une personne qualifiée de « source crédible ». Ni Mme Blasko ni la source crédible n’ont été cités à comparaître. Puisque M. Jensen n’était pas présent ce jour-là à l’établissement, il a parlé au téléphone à plusieurs occasions avec M. Hamilton, ainsi qu’avec des conseillers en relations de travail de l’employeur. Ayant appris que la fonctionnaire devait travailler le lendemain, M. Jensen a pris des dispositions pour la rencontrer à son arrivée au travail en présence d’un représentant syndical. Après avoir rempli le RODA, la fonctionnaire a rencontré son représentant syndical dans une autre pièce. Après cette rencontre, M. Jensen a remis à la fonctionnaire la lettre de suspension indéfinie datée du 9 avril 2010, dont voici un extrait :

[Traduction]

[…]

[…] [V]euillez noter que vous êtes suspendue sans solde de vos fonctions à compter du 9 avril 2010 et ce, jusqu’à nouvel ordre. La raison de cette suspension est votre comportement pendant que vous n’étiez pas de service le matin du 2 avril 2010, notamment le fait d’avoir été ivre dans un lieu public et d’avoir agressé un policier. Des accusations auraient été portées contre vous à la suite de cet incident. Si cela devait s’avérer vrai, vos actions, de même que le fait d’avoir omis de rapporter ces faits à l’employeur avant de reprendre vos fonctions, constituent des manquements graves aux Règles de conduite professionnelle.

[…]

Votre dossier sera étudié d’ici le 30 avril 2010 et vous serez avisée par écrit des conclusions de cet examen.

[…]

11 M. Jensen a témoigné que, le 8 avril 2010, M. Hamilton avait préparé un document appelé [traduction] « critères Larson » (pièce E-1, onglet 8), lequel énonçait les critères utilisés par la direction du SCC pour justifier une suspension en fonction d’une évaluation du risque à la réputation de l’établissement, de son personnel, des détenus ou de la population. Il s’agit d’un document interne de l’employeur, élaboré en reprenant les critères énoncés dans la décision rendue par la Commission dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9. M. Jensen a affirmé que la fonctionnaire avait été suspendue parce que son comportement mettait en cause son jugement, sa fiabilité, la confiance à son égard, et son honnêteté. Il a précisé qu’en raison du fait que les agents correctionnels devaient obtenir une habilitation de sécurité, la question de la confiance envers ses agents était un facteur clé pour l’employeur quant à la protection des renseignements sensibles conservés dans le milieu de travail. En se fondant sur l’information disponible jusqu’alors au sujet de l’incident, il avait conclu qu’il était indiqué de mitiger les risques à l’établissement jusqu’à ce qu’on ait recueilli tous les faits pertinents. Le 9 avril 2010, M. Jensen a délivré un ordre de convocation pour l’établissement d’un comité d’enquête sur les faits se rapportant à l’incident.

12 M. Jensen a témoigné que, plus tard le 9 avril 2010, le président du syndicat, Mike Roberts, était venu à son bureau afin de s’enquérir des renseignements que l’employeur avait en sa possession au sujet de l’incident impliquant la fonctionnaire. M. Roberts a dit à M. Jensen qu’il n’était pas au courant des faits entourant l’incident, mais qu’il représenterait la fonctionnaire.

13 Le 15 avril 2010, M. Jensen a envoyé à la fonctionnaire une lettre de suspension modifiée, identique à la lettre de suspension remise à l’origine à la fonctionnaire le 9 avril 2010 sauf quant à la date de l’incident, indiquée à l’origine comme étant le 2 avril 2010 et maintenant changée au 3 avril 2010. M. Jensen a indiqué qu’il régnait une certaine confusion à savoir si l’incident s’était produit le 2 avril en soirée ou au petit matin le 3 avril 2010.

14 M. Jensen a témoigné que le 23 avril 2010, il avait rempli le deuxième document d’évaluation énonçant les critères Larson (pièce E-1, onglet 10) pour s’assurer de l’exactitude de la première évaluation. Sur la foi de cette deuxième évaluation, il a décidé de maintenir la suspension indéfinie de la fonctionnaire.

15 Durant son contre-interrogatoire, M. Jensen a affirmé qu’il n’avait pas communiqué avec la source de Mme Blasko ni avec le service de police, mais qu’il avait vu la copie des documents sur lesquels figuraient les accusations portées contre la fonctionnaire. M. Jensen n’avait jamais rencontré la fonctionnaire avant qu’elle arrive dans son bureau le 9 avril 2010.

16 M. Jensen a indiqué que la lettre de suspension datée du 9 avril 2010 avait été préparée cette journée-là et avait été remise à la fonctionnaire après leur rencontre à 7 h 15.

17 M. Jensen a dit qu’entre le 8 avril et le 23 avril 2010, il était revenu à son poste d’attache à titre de directeur adjoint de l’établissement.

18 Jay Pyke a été nommé directeur intérimaire de l’établissement durant le mois d’avril 2010 et a été affecté au poste d’attache à titre de directeur de l’établissement le 1er octobre 2010. Le 30 avril 2010, M. Pyke a étudié le dossier en fonction des critères Larson. Dans une lettre datée du même jour, il a avisé la fonctionnaire que sa suspension était maintenue jusqu’à nouvel ordre (pièce E-1, onglet 11), comme suit :

[Traduction]

[…]

La raison de cette suspension est votre comportement pendant que vous n’étiez pas de service le matin du 3 avril 2010, l’enquête à ce sujet faisant état notamment du fait d’avoir été ivre dans un lieu public, d’avoir physiquement poussé un policier, d’entrée sans autorisation, et de manquement aux valeurs de la fonction publique. Cet incident a résulté en l’émission de sommations par le service de police. L’employeur étudiera plus à fond le dossier, puisque vos actions de même que le défaut de votre part de signaler ces événements à l’employeur constituent des manquements graves aux Règles de conduite professionnelle et au Code de discipline.

[…]

19 Lors de son témoignage, M. Pyke a justifié le maintien de la suspension indéfinie de la fonctionnaire en invoquant que son comportement avait porté atteinte au lien de confiance, témoignait d’un manque d’honnêteté de sa part et d’un manque de jugement. Le recours approprié à ces aptitudes est essentiel dans un milieu de type correctionnel. M. Pyke a affirmé que la conformité aux protocoles dûment établis était de la plus haute importance afin d’éviter des situations potentiellement dangereuses. Il a pris en compte le fait que la fonctionnaire avait reconnu être au courant du Code de discipline du SCC.

20 Les motifs du renvoi en cours de stage de la fonctionnaire ont été énoncés comme suit dans la lettre de l’employeur, signée par M. Pyke et datée du 27 mai 2010 :

[Traduction]

[…]

Vous avez travaillé à titre d’agente correctionnelle au Pénitencier de Kingston, pour une durée indéterminée, depuis le 1er juin 2009. Il était précisé dans votre lettre d’offre que vous seriez en stage durant une période probatoire de 12 mois, devant prendre fin le 31 mai 2010.

À l’occasion de la préparation récente du rapport d’évaluation du rendement et du programme de formation au poste d’agent correctionnel, on vous a informé des fonctions, des exigences, des normes de rendement et de la conduite attendue des agents correctionnels. Avec votre lettre d’offre d’emploi, on vous a remis un exemplaire des Règles de conduite professionnelle du SCC, du Code de discipline du SCC, et du Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Vous avez signé une déclaration à savoir que vous « avez lu et pris connaissance des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline » et vous vous êtes engagée à vous y conformer. Il vous incombait de demander conseil auprès de votre superviseur au sujet de quelque question pour laquelle vous aviez besoin d’éclaircissements ou d’explications.

En décembre 2009, vous avez reçu des conseils de la part d’un directeur intérimaire des services correctionnels au sujet de divers constats signalés à la direction relativement à des préoccupations portant sur les limites à respecter en regard des détenus. On vous a conseillé et mis en garde au sujet des demandes de la part de détenus visant à obtenir des renseignements personnels au sujet des membres du personnel, y compris à votre propre sujet.

Un ordre de convocation a été délivré le 9 avril 2010 afin d’enquêter sur des allégations de comportement inapproprié que vous auriez manifesté dans la communauté pendant que vous n’étiez pas de service le ou vers le 3 avril 2010. L’enquête a révélé que, le matin du 3 avril 2010, vous avez été inculpée de deux infractions prévues par une loi, soit d’avoir été en état d’ébriété dans un lieu public, et d’être entrée sans autorisation dans un lieu public fréquenté. De plus, vous avez omis de signaler l’existence de ces inculpations à votre superviseur avant de reprendre vos fonctions. Les conclusions de l’enquête sur les faits vous ont été communiquées le 12 mai 2010, et une rencontre subséquente a eu lieu avec vous et vos représentants du UCCO-SACC-CSN le 25 mai 2010, durant laquelle vous avez apporté des précisions au contenu du rapport de recherche des faits et fourni des renseignements supplémentaires dont il y avait lieu de tenir compte. Vous avez fourni une réponse que j’ai prise en compte; cependant, je ne peux pas passer outre à la gravité de vos gestes.

Compte tenu des considérations ci-dessus, il a été décidé que vous n’êtes plus jugée apte à occuper un poste au sein du Service correctionnel du Canada ni de la fonction publique du Canada en raison de votre inaptitude à vous conformer à la règle 1 (Responsabilité dans l’exécution des tâches), la règle 2 (Conduite et apparence) et la règle 4 (Relations avec les détenus) des Règles de conduite professionnelle du SCC. De plus, vous avec commis des infractions visées aux paragraphes 6) c, d et e du Code de discipline.

Il est attendu des agents correctionnels travaillant au sein du Service correctionnel du Canada qu’ils se comportent de manière professionnelle et responsable, qu’ils soient de service ou non. Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés en vertu du paragraphe 62(1) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, j’ordonne votre renvoi en cours de stage du poste que vous occupiez au sein de la fonction publique du Canada, ce renvoi prenant effet le 27 mai 2010. Vous recevrez un mois de salaire à titre de préavis, du 28 mai 2010 jusqu’au 28 juin 2010.

[…]

21 La première règle de conduite énoncée dans les Règles de conduite professionnelle des employés du Service correctionnel du Canada (pièce E-1, onglet 7) (les « Règles de conduite professionnelle ») se lit en partie comme suit :

[…]

RESPONSABILITÉ DANS L’EXÉCUTION DES TÂCHES

Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada, en travaillant ensemble pour atteindre les objectifs du Service correctionnel du Canada.

[…]

22 La deuxième règle du même document s’énonce comme suit :

[…]

CONDUITE ET APPARENCE

Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes.

[Traduction]

[…]

Le personnel doit veiller, qu’il soit de service ou non, à projeter l’image d’individus responsables et respectueux des lois.

Les employés qui commettent des actes criminels ou d’autres types d’infractions, en particulier si ces délits sont suffisamment graves ou s’il y a récidive et qu’ils sont passibles d’emprisonnement, ne manifestent pas ainsi le type de comportement personnel ou éthique convenable aux fins d’un poste au sein du Service. Par conséquent, un employé inculpé d’un acte criminel ou d’une infraction prévue dans une loi fédérale, provinciale ou territoriale doit en aviser son superviseur avant de reprendre ses fonctions.

Il peut arriver à l’occasion qu’un employé soit aux prises avec des problèmes personnels pouvant affecter son rendement au travail. Le Service s’engage à offrir de l’aide à ses membres qui sont aux prises avec de telles difficultés. Malgré cette offre d’aide, les problèmes personnels ne sont pas considérés comme étant des raisons justifiant d’ignorer ou de ne pas prendre des mesures qui s’imposent en cas de rendement insatisfaisant ou de comportement inadéquat d’un employé.

23 Les dispositions du Code de discipline (pièce E-1, onglet 6) invoquées par l’employeur se lisent comme suit :

Conduite et apparence

6. Le comportement des employés, qu’ils soient de service ou non, doit faire honneur au Service correctionnel du Canada et à la fonction publique. Tous les employés doivent se comporter d’une façon qui projette une bonne image professionnelle, tant par leurs paroles que par leurs actes.[…]

Infractions

Commet une infraction l’employé qui :

[…]

c. se conduit d’une manière susceptible de jeter le discrédit sur le Service, qu’il soit de service ou non;

d. commet un acte criminel ou une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité en vertu d’une loi du Canada ou d’un territoire ou d’une province, qui pourrait jeter le discrédit sur le Service ou avoir un effet préjudiciable sur son rendement au travail;

e. omet d’avertir son superviseur, avant de reprendre ses fonctions, qu’il a été accusé d’une infraction criminelle ou autre infraction à une loi;

[…]

24 M. Pyke a témoigné que sa décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage était fondée sur les conclusions de l’enquête sur les faits, laquelle a conclu que la fonctionnaire avait contrevenu aux dispositions précitées du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle, qu’elle connaissait par ailleurs. Il était d’avis que son comportement et son omission de signaler l’incident signifiaient pour lui qu’il ne pouvait pas justifier le maintien de son emploi à titre d’agente correctionnelle.

25 M. Pyke a affirmé que lors de l’audience disciplinaire du 25 mai 2010, la fonctionnaire avait admis que, le soir en question, elle était ivre, avait agressé un policier, et avait le lendemain été inculpée de deux infractions prévues dans une loi et qu’elle n’avait pas signalé ces faits à un superviseur. Elle a admis également que son comportement n’était pas approprié à titre d’agente correctionnelle. M. Pyke a témoigné que, en ce qui avait trait au fait d’avoir repoussé le policier, la fonctionnaire avait affirmé qu’elle avait ainsi réagi à l’invasion de son espace personnel conformément à la formation qu’elle avait reçue comme agente correctionnelle, soit en [traduction] « créant de l’espace ». Quant à son omission de signaler qu’elle avait été inculpée de deux infractions prévues dans une loi, la fonctionnaire lui avait dit qu’elle avait été informée par un représentant syndical qu’elle n’était pas tenue de le faire, ne s’agissant pas d’accusations criminelles. La fonctionnaire lui avait également affirmé qu’elle s’était identifiée à l’agent responsable de la prise en charge des détenus comme étant une agente correctionnelle pour éviter qu’elle soit placée dans une cellule commune.

26 Lors de son contre-interrogatoire, M. Pyke a témoigné que, lors de l’audience disciplinaire, la fonctionnaire lui avait dit qu’elle suivait une thérapie avec un psychologue pour régler son problème de consommation d’alcool, son psychologue estimant que son problème allait au-delà d’un simple problème de consommation d’alcool lors d’occasions sociales. En réponse à une question cherchant à savoir quel poids il attribuait à l’aveu de la fonctionnaire à savoir qu’elle suivait une thérapie pour régler son problème de consommation d’alcool, M. Pyke a affirmé qu’il s’agissait d’un élément parmi d’autres dont il avait tenu compte en arrivant à sa décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage.

27 M. Pyke a affirmé qu’il n’avait jamais rencontré la fonctionnaire avant l’audience disciplinaire, et qu’on n’avait jamais porté à son attention auparavant quelque problème en ce qui avait trait à son rendement au travail.

28 Quant à l’omission de la fonctionnaire de signaler à son superviseur qu’elle avait été inculpée de deux infractions prévues dans une loi, M. Pyke a déclaré que M. Roberts, le représentant syndical, lui avait dit qu’il avait effectivement conseillé à la fonctionnaire de ne pas signaler ces infractions, ne s’agissant pas d’accusations criminelles. M. Pyke a affirmé qu’il lui avait alors répondu que le fait d’en aviser le syndicat ne la relevait pas de l’obligation d’en aviser la direction.

29 M. Pyke a également précisé qu’en arrivant à sa décision, il avait également pris en compte le fait que la fonctionnaire avait été mise en garde en décembre 2009 au sujet des préoccupations à son égard quant aux limites à ne pas franchir dans les relations avec les détenus.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

30 Lors de son témoignage, la fonctionnaire a reconnu qu’elle était ivre la soirée et la nuit du 2 au 3 avril 2010, qu’elle avait été inculpée de deux infractions prévues dans une loi, qu’elle avait repoussé un policier, et qu’elle avait passé la nuit dans une cellule, et qu’elle n’avait pas signalé l’incident à son superviseur bien qu’elle avait travaillé les 5 et 6 avril 2010. La fonctionnaire a témoigné qu’elle n’avait pas signalé qu’elle avait été inculpée de deux infractions prévues dans une loi parce qu’elle avait été informée par un représentant syndical qu’elle n’était pas tenue de le faire, ne s’agissant pas d’accusations criminelles.

31 La fonctionnaire a affirmé que lorsqu’elle était arrivée au bureau de M. Jensen, celui-ci lui avait demandé si elle avait été impliquée dans des événements fâcheux la fin de semaine précédente. Elle lui a répondu par l’affirmative. La fonctionnaire a reconnu avoir rempli le formulaire RODA à la demande de M. Jensen le 9 avril 2010 (pièce E-2, annexe F) et le compte-rendu de sa rencontre avec les enquêteurs le 23 avril 2010 (pièce E-2, annexe B) dans le cadre de l’enquête sur les faits. La fonctionnaire a souligné qu’elle avait été franche avec les enquêteurs et leur avait dit qu’elle suivait une thérapie pour son alcoolisme. La fonctionnaire a également affirmé qu’elle n’avait pas fourni à la direction des copies des inculpations et qu’elle n’avait pas autorisé le service de police de communiquer quelque information au sujet de l’incident.

32 La fonctionnaire a témoigné qu’elle avait présenté sa candidature à un poste de niveau CX-02 dans le cadre d’un concours en novembre 2009 et qu’elle avait été promue à ce niveau en date du 9 mars 2010.

33 En ce qui a trait au troisième paragraphe de la lettre de licenciement, alléguant que la fonctionnaire avait été mise en garde en décembre 2009 au sujet des préoccupations à son égard portant sur les limites à respecter en regard des détenus, elle a admis avoir été avertie à cet égard, mais que le directeur intérimaire des services correctionnels lui avait dit que cette mise en garde ne serait pas inscrite à son dossier.

34 Lors de son contre-interrogatoire, la fonctionnaire a affirmé qu’elle avait téléphoné à M. Roberts le soir du 3 ou du 4 avril 2010 et qu’il l’avait informée qu’elle n’était pas tenue de signaler les inculpations parce qu’il ne s’agissait pas d’accusations criminelles. La fonctionnaire a reconnu que M. Roberts ne faisait pas partie de la direction de l’établissement.

35 La fonctionnaire a acquiescé qu’il s’agissait bien de sa signature sur les documents attestant qu’elle avait reçu un exemplaire du Code de discipline et des Règles de conduite professionnelle et qu’elle s’était engagée à maintenir les normes de professionnalisme et d’honnêteté énoncées dans ces documents (pièce E-1, onglet 2).

36 La fonctionnaire a témoigné que, lors de la rencontre du 23 avril 2010, elle avait reconnu que son comportement avait été inapproprié et que cela avait entaché la réputation du SCC.

IV. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

37 L’avocate de l’employeur a soutenu que la suspension indéfinie sans solde imposée à la fonctionnaire était une mesure de nature administrative et que, par conséquent, je n’avais pas compétence pour statuer à cet égard.

38 L’avocate de l’employeur a soutenu que pour m’autoriser à exercer ma compétence dans cette affaire, il doit être établi que l’intention de l’employeur était de prendre des mesures disciplinaires envers la fonctionnaire. L’avocate a fait valoir qu’aucune preuve n’avait été présentée par la fonctionnaire à cet égard. L’avocate de l’employeur m’a renvoyé aux lettres de suspension ainsi qu’aux documents énonçant les critères de Larson (pièce E-1, onglets 8 à 11) comme faisant foi que l’employeur avait uniquement pris en considération le fait à savoir s’il estimait que cela constituait un risque pour l’établissement que la fonctionnaire y travaille pendant le déroulement de l’enquête sur les faits. Au soutien de son argumentation, l’avocate m’a renvoyé à King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 45.

39 En ce qui a trait au renvoi en cours de stage, l’avocate de l’employeur m’a renvoyé aux dispositions législatives citées antérieurement dans la présente décision, notamment à l’article 62 de la LEFP et à l’alinéa 209(1)b) et au paragraphe 211(1) de la LRTFP.

40 L’avocate a cité Tello c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 134, celle-ci établissant le fardeau de preuve incombant tant à l’employeur qu’à la fonctionnaire dans les cas de renvoi en cours de stage sous le régime de la nouvelle LEFP, me renvoyant en particulier au paragraphe 111 de cette décision, dans lequel l’arbitre de grief s’est exprimé en ces termes à cet égard :

111 Selon moi, le changement entre l’ancienne LEFP et la nouvelle LEFP, considéré dans le contexte de la jurisprudence récente de la Cour suprême du Canada sur l’approche adéquate à adopter en matière d’emploi dans le secteur public, ne modifie pas considérablement la substance de l’approche que les arbitres de grief devraient prendre à l’égard des griefs sur le renvoi d’un employé en cours de stage. Toutefois, l’omission des mots « pour un motif déterminé » dans l’article 62 de la nouvelle LEFP modifie les exigences du fardeau de la preuve. Le fardeau de la preuve qui incombe à l’administrateur général a été allégé. L’administrateur général n’a maintenant qu’à établir que l’employé était en stage, que la période de stage était encore en vigueur au moment du licenciement et qu’un préavis ou une indemnité en guise de préavis a été donné. L’administrateur général n’est plus tenu de prouver « un motif déterminé » pour le renvoi en cours de stage. En d’autres termes, l’administrateur général n’a pas à établir, selon la prépondérance des probabilités, un motif légitime lié à l’emploi pour le licenciement. Toutefois, les Lignes directrices sur le renvoi en cours de stage du Conseil du Trésor exigent que la lettre de licenciement d’un employé en stage énonce le motif de la décision de licenciement. L’administrateur général demeure tenu de produire la lettre de licenciement comme pièce (généralement par l’intermédiaire d’un témoin) pour prouver qu’il a rencontré les exigences législatives du préavis et du statut de stagiaire. Cette lettre énonce habituellement le motif de la décision de licencier l’employé qui est en cours de stage. Le fardeau de la preuve devient alors celui du fonctionnaire. Il incombe au fonctionnaire de prouver que le licenciement reposait artificiellement sur la nouvelle LEFP, un subterfuge ou un camouflage. Si le fonctionnaire établit qu’il n’y avait pas de « motifs liés à l’emploi » légitimes justifiant le licenciement (autrement dit, si la décision ne reposait pas sur une insatisfaction éprouvée de bonne foi quant aux aptitudes de l’employé : Penner, à la page 438), le fonctionnaire se sera acquitté de son fardeau de la preuve. Outre ce changement au niveau du fardeau de la preuve, la jurisprudence rendue sous l’ancienne LEFP demeure pertinente pour déterminer la compétence sur les griefs à l’encontre du licenciement d’un employé en stage.

41 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la lettre de renvoi en cours de stage signée par M. Pyke et la preuve présentée par l’employeur satisfaisaient aux exigences prescrites par la loi et la jurisprudence à savoir que l’employeur avait un motif valable lié à l’emploi justifiant le renvoi de la fonctionnaire en cours de stage, en raison de son comportement fautif alors qu’elle n’était pas de service. L’avocate a aussi fait valoir que la fonctionnaire avait admis son inconduite et reconnu que cela avait entaché la réputation du SCC

42 L’avocate de l’employeur a ensuite analysé le témoignage rendu par M. Roberts, le représentant syndical de la fonctionnaire, qui l’a avisée le 3 ou le 4 avril 2010 qu’elle n’était pas tenue de signaler à l’employeur les infractions prévues à une loi. L’avocate de l’employeur a relevé le témoignage de M. Jensen à savoir que, lors de sa rencontre avec M. Roberts le 9 avril 2010, ce dernier lui avait affirmé ne pas être au courant de l’incident qui s’était produit le 3 avril 2010. L’avocate a soutenu que le paragraphe 6e) du Code de discipline stipulait clairement que les employés devaient signaler à leur superviseur toute infraction dont ils étaient inculpés. L’avocate de l’employeur a cité Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CFA 254, au soutien de son argument voulant que le Code de discipline et les Règles de conduite professionnelle s’appliquaient également à la conduite des employés pendant qu’ils ne sont pas de service.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

43 La représentante de la fonctionnaire a renvoyé au compte-rendu de la rencontre de la fonctionnaire avec un enquêteur du SCC le 23 avril 2010, annexé au rapport de l’enquête sur les faits, dans lequel la fonctionnaire a admis avoir agressé un policier. La représentante de la fonctionnaire a souligné que la fonctionnaire n’avait pas été accusée de voies de fait et qu’elle avait réagi au fait d’avoir été poussée par le policier de la manière qui lui avait été enseignée lors de sa formation d’agent correctionnel.

44 La représentante de la fonctionnaire a ensuite évoqué l’argument de l’employeur voulant que, lors de leur rencontre du 9 avril 2010, M. Roberts avait dit à M. Jensen que c’était la première fois qu’il avait eu connaissance de l’incident impliquant la fonctionnaire. La représentante de la fonctionnaire a soutenu que M. Roberts n’avait pas divulgué sa conversation avec la fonctionnaire du 3 ou 4 avril 2010, parce que les discussions entre les représentants syndicaux et les fonctionnaires sont confidentielles et ne peuvent être divulguées que dans des circonstances particulières.

45 La représentante de la fonctionnaire a soutenu que le témoignage de M. Pyke voulant qu’il n’avait pas communiqué avec le service de police ni lu les rapports officiels des policiers au sujet de l’incident, ainsi que le témoignage de M. Jensen à savoir qu’il ne connaissait pas l’identité de la source crédible, sont contredits par le libellé du premier document des critères Larson préparé par M. Hamilton, dans lequel il est affirmé que M. Hamilton a parlé aux policiers impliqués dans l’incident. La représentante de la fonctionnaire a fait valoir que les policiers n’avaient pas été autorisés par la fonctionnaire à communiquer au SCC quelque information au sujet de l’incident. Par conséquent, l’employeur a eu accès à de l’information à laquelle il n’avait pas droit. La représentante de la fonctionnaire a soutenu qu’en conséquence, le SCC n’avait pas le droit d’utiliser de l’information obtenue des policiers aux fins de gestion interne des ressources humaines.

46 La représentante de la fonctionnaire a en outre soutenu que la fonctionnaire ne représentait pas un risque réel pour l’établissement, son personnel et ses détenus. Elle a fait valoir que l’employeur n’avait pas établi quelque préjudice ayant été porté à la réputation du SCC ou à ses relations avec ses partenaires du système de justice pénale. Elle a également soutenu que M. Jensen avait décidé de suspendre la fonctionnaire le 8 avril 2010, soit avant même qu’il ait reçu son RODA.

47 Quant à l’exigence voulant que les agents correctionnels soient tenus de signaler les infractions prévues dans une loi, la représentante de la fonctionnaire a fait référence au paragraphe 44 de Tello, dans lequel un agent syndical responsable du traitement des griefs a témoigné qu’il n’était pas au courant que les employés devaient signaler les constats d’infraction qu’ils recevaient relativement à des infractions prévues au Code de la route de l’Ontario, L.R.O. 1990, ch. H-8.

48 La représentante de la fonctionnaire a soutenu que l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation relativement à l’alcoolisme de la fonctionnaire, citant au soutien de son argument Dhaliwal c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2004 CRTFP 109. La représentante de la fonctionnaire a également souligné que la fonctionnaire avait reconnu ses erreurs et que son comportement avait été inapproprié et demandé que je substitue au licenciement une mesure disciplinaire moins sévère.

C. Réplique de l’employeur

49 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas présenté de preuve ni plaidé que la suspension indéfinie constituait une mesure de nature disciplinaire. De la même manière, elle a soutenu qu’il n’y avait pas de preuve ou d’argument voulant que le renvoi en cours de stage constituait un subterfuge ou un camouflage.

50 Quant à l’argument de la fonctionnaire au sujet du témoignage de son représentant syndical en me renvoyant à Tello, l’avocate de l’employeur a signalé que cet argument avait été rejeté par l’arbitre de grief dans cette décision au paragraphe 132, alors qu’il s’est exprimé comme suit :

132 Le fait que l’administrateur général s’est appuyé sur le Code de discipline pour faire rapport d’infractions d’origine législative que ne connaissaient pas les agents correctionnels au Pénitencier de Kingston ne constitue pas de la mauvaise foi. Le fonctionnaire a été informé de son obligation de respecter le Code de discipline.

51 En ce qui a trait à l’argument de la fonctionnaire voulant que le SCC aurait dû lui accorder des mesures d’adaptation relativement à son alcoolisme, l’avocate de l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas présenté de preuve quant à l’existence d’une telle invalidité, et que, de plus, son alcoolisme n’avait pas été révélé avant l’incident du 3 avril 2010. L’avocate a souligné le libellé du dernier paragraphe de la deuxième règle des Règles de conduite professionnelle et soutenu que la fonctionnaire n’avait jamais porté un problème personnel de cette nature à l’attention de l’employeur. L’avocate a distingué Dhaliwal du cas en l’instance en faisant valoir que cette affaire portait sur un recours excessif aux congés pour des raisons familiales, et que l’employeur était au courant de cette situation.

V. Motifs

A. La suspension indéfinie – dossier de la CRTFP 566-02-4083

52 Tel que mentionné précédemment, l’employeur s’est opposé à ma compétence d’instruire ce grief en soutenant que la mesure prise par l’employeur était de nature administrative et non disciplinaire. L’employeur a plaidé que, par conséquent, le grief portant sur la suspension indéfinie sans solde de la fonctionnaire ne pouvait être renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP.

53 Bien qu’un employeur puisse caractériser une suspension comme étant de nature administrative, un arbitre de grief doit néanmoins vérifier cette affirmation et examiner les circonstances entourant l’intention de l’employeur lorsqu’il a décidé de suspendre un fonctionnaire s’estimant lésé, selon le cas. Cette exigence a d’ailleurs été judicieusement confirmée par l’arbitre de grief dans King, s’exprimant ainsi à cet égard au paragraphe 62 :

62. Le point essentiel que je retiens de Frazee et des décisions Basra est que je dois examiner les circonstances du présent cas en fonction de la preuve révélatrice de l’intention du défendeur au moment de la suspension du fonctionnaire sans traitement et par la suite. Si je suis convaincu que le défendeur a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, l’intention sous-tendant sa décision « administrative » n’était pas disciplinaire au moment où la décision a été prise et qu’elle est demeurée non disciplinaire pendant la suspension en découlant, je dois donc refuser d’exercer ma compétence. À l’inverse, si le défendeur ne s’est pas acquitté de son fardeau, alors je dois conclure que sa décision était disciplinaire dans son essence, peu importe la description qu’en fait le défendeur, et que, par conséquent, j’ai la compétence nécessaire pour examiner le grief aux termes de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

54 Le document d’analyse fondé sur Larson, rempli par l’employeur à trois reprises dans le cadre de son enquête, énonce plusieurs critères extraits de cette décision dont la direction doit tenir compte dans son évaluation. À chacun de ces critères, la direction peut intégrer des faits propres au cas en l’espèce expliquant le lien entre chacun des critères et la situation faisant l’objet de l’analyse. Voici les critères énoncés dans le document en question :

[Traduction]

1. La question n’est pas de savoir si la fonctionnaire s’estimant lésée est coupable ou innocente mais de déterminer si sa présence, en tant que fonctionnaire travaillant pour le SCC, peut être considérée comme posant un risque raisonnablement sérieux et immédiat aux intérêts légitimes de l’employeur.

2. C’est au SCC qu’il incombe de convaincre la Commission de l’existence d’un tel risque, et le simple fait qu’une accusation au criminel a été portée n’est pas suffisant pour s’acquitter de ce fardeau. Le SCC doit aussi établir que la nature de l’accusation est telle qu’elle risque d’avoir un effet dommageable, préjudiciable ou nuisible pour la réputation du SCC ou du produit, qu’elle peut rendre la fonctionnaire inapte à s’acquitter correctement de ses fonctions, qu’elle aura un effet préjudiciable sur les autres fonctionnaires du SCC ou sur sa clientèle, ou encore qu’elle entachera la réputation générale du SCC.

3. Le SCC doit prouver qu’il a bel et bien enquêté du mieux qu’il le pouvait sur l’accusation au criminel, en essayant sincèrement d’évaluer le risque que présente le maintien de la fonctionnaire s’estimant lésée dans ses fonctions. Sur ce point, le fardeau de la preuve imposé à SCC est bien moindre lorsque la police a déjà enquêté sur l’affaire et qu’elle a déjà obtenu des preuves suffisantes pour que des accusations soient portées que lorsque c’est SCC qui entame les procédures.

4. Il incombe également à SCC de démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour s’assurer si le risque lié au maintien de la fonctionnaire dans ses fonctions pouvait être réduit par des moyens tels qu’une surveillance plus serrée ou une mutation dans un autre poste.

5. Durant la période de suspension, il incombe toujours à SCC d’envisager objectivement la possibilité d’une réintégration de la fonctionnaire dans son poste dans un délai raisonnable suivant la suspension, à la lumière des nouveaux faits ou des nouvelles circonstances qui pourraient être portés à l’attention de SCC pendant la suspension. Là encore, ces aspects doivent être évalués compte tenu de l’existence d’un risque raisonnable pour les intérêts légitimes de SCC.

[…]

55 Tel que mentionné précédemment, la direction du SCC a rempli ce document à trois reprises durant la suspension de la fonctionnaire, soit les 8, 23 et 30 avril 2010. Après examen de ces documents, il m’apparaît que les motifs formulés pour justifier les critères précités ont été davantage élaborés à chacune de ces occasions à mesure que l’employeur recueillait plus d’information. À cet égard, la fonctionnaire a produit un RODA le 9 avril 2010 et, selon le rapport d’enquête, elle a été rencontrée dans le cadre de l’enquête sur les faits le 23 avril 2010. Le rapport d’enquête indique par ailleurs que l’une des collègues de la fonctionnaire qui était présente le soir de l’incident a produit un RODA le 23 avril 2010 et a été rencontrée par les enquêteurs le même jour, alors que l’autre collègue présente a produit un RODA le 9 avril 2010 et a été rencontrée le 26 avril 2010.

56 Les documents d’évaluation de l’employeur mentionnent clairement que l’employeur a appris l’existence de l’incident impliquant la fonctionnaire de l’un des policiers présents à cette occasion et que la fonctionnaire avait agressé. Bien que le document d’évaluation daté du 8 avril 2010 indique que la direction avait l’intention d’obtenir une copie du rapport d’incident officiel dressé par le service de police, les documents d’évaluation subséquents ne font état d’aucun rapport d’incident obtenu auprès du service de police. Les seules mentions au sujet d’un rapport d’incident dressé par le service de police n’apparaissent que lors des contre-interrogatoires de M. Jensen et de M. Pyke. M. Jensen a affirmé qu’il n’avait jamais communiqué avec le service de police à ce sujet, et M. Pyke a témoigné qu’il n’avait jamais communiqué avec le service de police à ce sujet ni examiné quelque rapport émanant du service de police au sujet de l’incident avant d’en arriver à la décision de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage.

57 La représentante de la fonctionnaire a fait valoir que le service de police n’aurait pas dû communiquer quelque information à l’employeur au sujet de l’incident sans l’autorisation de la fonctionnaire. Or, aucune preuve n’a été présentée à savoir que le service de police aurait communiqué son rapport d’incident à quiconque ou que l’employeur avait demandé au service de police de lui communiquer de l’information au sujet de l’incident. Bien que M. Jensen avait été mis au courant de l’incident avant de convoquer la fonctionnaire à son bureau pour la rencontrer le 9 avril 2010, il ne l’a pas confrontée immédiatement avec cette information. Lors de son témoignage, M. Jensen a indiqué que lorsqu’il avait demandé à la fonctionnaire si elle avait été impliquée dans des événements fâcheux la fin de semaine précédente, elle lui avait immédiatement répondu par l’affirmative. Je suis d’avis que l’argument avancé à cet égard n’a pas été soutenu par la preuve. Bien que la représentante de la fonctionnaire ait contesté la communication, par le service de police, de quelque information se rapportant à l’incident en l’instance, elle n’a pas soutenu le bien-fondé de son argument en renvoyant à quelque interdiction de nature législative ni à quelque jurisprudence pertinente.

58 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la fonctionnaire n’avait pas présenté de preuve ni plaidé que la suspension indéfinie était une mesure de nature disciplinaire. La fonctionnaire a toutefois effectivement formulé cette allégation lors du renvoi de son grief à l’arbitrage et aussi en réplique à l’objection préliminaire présentée par l’employeur. Dans cette lettre, il est allégué que selon le syndicat, tout retrait du milieu de travail sans solde d’un fonctionnaire constituait une mesure disciplinaire. J’ai donc décidé de me pencher sur cette allégation et, tel qu’il a été affirmé dans King, d’aborder la question à savoir si l’intention de l’employeur lors de l’imposition de la suspension était administrative plutôt que disciplinaire.

59 J’accepte que l’employeur a satisfait au fardeau de preuve qui lui incombait à cet égard. Les témoignages de M. Jensen et de M. Pyke ont tous les deux établi qu’ils n’étaient pas arrivés à une conclusion quant à la position à adopter par l’employeur envers la fonctionnaire avant d’avoir recueilli, enquêté et évalué tous les faits se rapportant à l’incident. Il n’y avait aucune preuve d’une intention de l’employeur d’imposer une mesure disciplinaire. Cette conclusion est appuyée en outre sur les documents d’évaluation Larson, lesquels indiquent le cheminement de l’employeur dans l’ajout d’information au fur et à mesure qu’elle est disponible tout au long du processus d’enquête et d’évaluation de cette information dans l’optique du risque posé à l’établissement. La preuve présentée par l’employeur n’a pas été contredite. Par conséquent, je conclus que la suspension indéfinie sans solde imposée à la fonctionnaire était de nature administrative et, par conséquent, je n’ai pas compétence pour instruire ce grief.

B. Le renvoi en cours de stage – dossier de la CRTFP 566-02-4280

60 Tel que mentionné dans Tello, le fardeau de la preuve visant à établir si le renvoi en cours de stage était un subterfuge ou un camouflage incombe à la fonctionnaire. Si la fonctionnaire peut démontrer que la décision de l’employeur n’était pas justifiée par un motif valable lié à l’emploi, elle se sera acquittée de son fardeau.

61 Il n’est pas contesté que la fonctionnaire était en cours de stage au moment de son renvoi, et qu’elle a reçu un salaire à titre de préavis tel qu’autorisé en vertu de l’article 62 de la LEFP.

62 Les motifs invoqués par l’employeur ayant trait à l’aptitude de la fonctionnaire à occuper son emploi sont son défaut de signaler à son superviseur le fait qu’elle avait été inculpée de deux infractions prévues dans une loi; son manquement eu égard des règles 1 et 2 des Règles de conduite professionnelle;ses contraventions aux paragraphes 6c), d) et e) du Code de discipline. Ces dispositions s’appliquent également à la conduite pendant que l’employé n’est pas de service; voir Tobin. La fonctionnaire a admis ses manquements relativement à tous ces motifs. Par conséquent, elle n’a pas établi que la décision de l’employeur était fondée sur des motifs non liés à son aptitude à occuper son emploi.

63 Le troisième paragraphe de la lettre de licenciement contient une affirmation à savoir que la fonctionnaire avait été mise en garde relativement à [traduction] « des préoccupations portant sur les limites à respecter en regard des détenus ». Lors de son témoignage, la fonctionnaire a affirmé que le directeur intérimaire des services correctionnels de l’établissement lui avait dit que cette mise en garde ne serait pas inscrite à son dossier disciplinaire. L’employeur n’a pas contredit son témoignage à cet égard. Bien que la fonctionnaire ait soulevé cette question durant son témoignage, son représentant ne l’a pas soulevée dans le cadre de son argumentation, ce qui me laisse quelque peu perplexe quant à la pertinence de cette question. Je présume que la fonctionnaire a vu dans cette mise en garde une première étape dans le processus disciplinaire de l’employeur, la deuxième étape ayant été son renvoi en cours de stage. Je ne partage pas sa perspective à cet égard. Étant donné le témoignage non contesté de la fonctionnaire à savoir qu’après cette mise en garde, elle a néanmoins été promue au niveau CX‑02 à la suite d’un concours, je conclus que cette mise en garde ne constituait pas, dans l’esprit de l’employeur, une faute suffisamment grave pour refuser sa promotion. J’ai également conclu que l’employeur n’avait pas, en renvoyant la fonctionnaire en cours de stage, agi dans l’intention de lui imposer une mesure disciplinaire. Je suis convaincu que la décision de l’employeur était motivée par l’existence de préoccupations véritables quant à l’aptitude de la fonctionnaire à occuper son poste, et que les [traduction] « préoccupations portant sur les limites à respecter en regard des détenus » mentionnées dans la lettre de renvoi en cours de stage constituaient des éléments supplémentaires, quoique moins graves (même dans l’esprit de l’employeur) de son inaptitude à occuper cet emploi. Je conclus que, pour l’employeur, l’incident qui s’est produit durant la nuit du 2 au 3 avril 2010 était, à lui seul, une preuve suffisante de cette inaptitude.

64 En ce qui a trait au défaut de la fonctionnaire de signaler à son superviseur les infractions prévues dans une loi, elle a témoigné qu’elle s’était fiée au conseil obtenu auprès d’un représentant syndical qu’elle n’était pas tenue de signaler les infractions à moins qu’elles soient de nature criminelle. Cela ne pouvait cependant pas la relever de son obligation de signaler ces infractions à son superviseur, conformément à ce qui est clairement énoncé dans le Code de discipline. La fonctionnaire a admis qu’elle avait été mise au courant de son obligation de se conformer au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle. Tel qu’il est mentionné au paragraphe 132 de Tello, le fait que l’employeur s’est appuyé sur la disposition du Code de discipline sur le signalement des infractions d’origine législative, même si les agents correctionnels n’étaient pas au courant de cette exigence, ne constitue pas de la mauvaise foi. Et même si la fonctionnaire avait signalé à son superviseur qu’elle avait été inculpée relativement à ces infractions, cela n’aurait pas empêché l’employeur, à mon avis, de renvoyer la fonctionnaire en cours de stage, puisqu’il aurait tout aussi bien avoir conclu que sa conduite cette soirée-là était une preuve de son inaptitude à occuper son poste.

65 La représentante de la fonctionnaire a cité Dhaliwal au soutien de son argument voulant que l’employeur aurait dû prendre des mesures d’adaptation relativement à l’alcoolisme de la fonctionnaire. Je ne vois pas en quoi cette décision puisse être d’un secours utile en l’instance. Cette affaire portait sur le renvoi en cours de stage d’un agent correctionnel qui avait fait un recours excessif des congés pour des raisons familiales et des congés de maladie. Dans Dhaliwal l’arbitre de grief avait conclu que la conduite du fonctionnaire s’estimant lésé n’était pas en cause et que la décision de l’employeur n’avait pas été prise en tenant compte de tous les faits pertinents. L’arbitre de grief s’est saisi de l’affaire en se fondant sur sa conclusion à savoir que le fonctionnaire s’estimant lésé avait établi la mauvaise foi de l’employeur. Or, la décision de l’employeur en l’instance n’a pas été prise avant qu’il ait recueilli et évalué tous les faits pertinents. Ce qui plus est, dans le présent cas, il s’agit uniquement de la conduite de la fonctionnaire qui est en cause.

66 J’aborderai maintenant l’allégation de la fonctionnaire voulant que la suspension indéfinie de la fonctionnaire et son licenciement étaient discriminatoires et en violation des dispositions de la convention collective pertinente et de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Puisque les griefs n’ont pas été renvoyés à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)a) de la LRTFP, je ne suis pas saisi comme il se doit de l’allégation portant sur la clause « d’élimination de la discrimination » prévue dans la convention collective, mais je demeure saisi de l’allégation de violation de la LCDP. Lors de l’audience, la seule preuve directe de l’existence d’un problème de consommation d’alcool de la fonctionnaire provient de son propre témoignage à savoir qu’elle a informé les enquêteurs qu’elle suivait une thérapie avec un psychologue pour régler son problème de consommation d’alcool qui, selon son psychologue [traduction] « allait au-delà d’un simple problème de consommation d’alcool lors d’occasions sociales », et le témoignage de M. Pyke voulant qu’elle avait mentionné ce sujet lors de l’audience disciplinaire tenue le 25 mai 2010. Aucune preuve émanant d’un médecin n’a toutefois été présentée lors de l’audience. La fonctionnaire avait le fardeau de démontrer qu’elle était atteinte d’une telle invalidité. Je conclus qu’elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau et, par conséquent, je dois rejeter cet argument.

67 Ayant examiné l’ensemble de la preuve, je conclus que la fonctionnaire n’a pas établi que son renvoi en cours de stage par l’employeur était le fruit d’un subterfuge ou d’un camouflage. Par ailleurs, elle n’a pas non plus établi que son licenciement était attribuable à quelque autre motif que l’insatisfaction de bonne foi de l’employeur quant à son aptitude à occuper son emploi. Par conséquent, je conclus que je n’ai pas compétence pour instruire ce grief.

68 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

69 J’ordonne la fermeture de ces dossiers.

Le 26 mars 2012.

Traduction de la CRTFP

Steven B. Katkin,
arbitre de grief

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