Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le Conseil du Trésor a présenté une demande d’exclusion du poste d’agent de renseignements de sécurité (un <<ARS>>) de l’unité de négociation en vertu des deux motifs énoncés à l’alinéa59(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<LRTFP>>) - il a soutenu que les fonctions du poste étaient susceptibles de donner lieu à un conflit d’intérêts et que la nature des fonctions était incompatible avec l’appartenance à une unité de négociation - le poste visé était auparavant désigné comme étant un poste d’agent de sécurité préventive dans l’établissement, lequel était exclu de l’unité de négociation - l’alinéa59(1)g) de laLRTFP est une disposition générale destinée à englober les situations où l’exclusion d’un employé peut être justifiée par un des nombreux motifs qui ne figurent pas dans les descriptions plus précises des autres alinéas - même si l’on ne retrouve pas, en l’espèce, les critères généralement invoqués pour appuyer l’exclusion, l’ARS a un rôle unique et essentiel et ses fonctions sont étroitement liées au processus de prise de décisions en matière de sécurité aux échelons supérieurs d’un pénitencier - il existe une incompatibilité fondamentale entre le rôle de l’ARS et son appartenance à une unité de négociation - l’emploi du terme <<ou>> à l’alinéa59(1)g) de laLRTFP donne à penser qu’il y a une distinction entre les circonstances qui pourraient être considérées comme étant un conflit d’intérêts et celles qui justifieraient l’exclusion en raison des fonctions et des responsabilités d’un ARS - le poste d’ARS pourrait être exclu en vertu de l’une ou l’autre de ces descriptions. Demande accueillie. Poste exclu de l’unité de négociation.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-04-10
  • Dossier:  572-02-1308
  • Référence:  2012 CRTFP 46

Devant la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

demandeur

et

Alliance de la Fonction publique du Canada

défenderesse

Répertorié
Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada) c. Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire concernant une demande en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Beth Bilson, commissaire

Pour le demandeur:
Joshua Alcock, avocat

Pour la défenderesse:
Elisabeth Woods, Alliance de la Fonction publique du Canada

Affaire entendue à Saskatoon (Saskatchewan),
les 12 et 13 octobre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 Le Conseil du Trésor (pour le Service correctionnel du Canada) (l’« employeur ») a présenté une demande en vertu du paragraphe 59(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) afin que le poste d’agent de renseignements de sécurité (ARS), occupé par Roger Cossette (le « défendeur ») au Centre psychiatrique régional (CPR) de Saskatoon (Saskatchewan), soit exclu de l’unité de négociation auquel il appartient, dans le groupe Services des programmes et de l’administration.

2 Le paragraphe 59(1) de la LRTFP se lit comme suit :

59. (1) Après notification d’une demande d’accréditation faite en conformité avec la présente partie, l’employeur peut présenter une demande à la Commission pour qu’elle déclare, par ordonnance, que l’un ou l’autre des postes visés par la demande d’accréditation est un poste de direction ou de confiance pour le motif qu’il correspond à l’un des postes suivants :

a) poste de confiance occupé auprès du gouverneur général, d’un ministre fédéral, d’un juge de la Cour suprême du Canada, de la Cour d’appel fédérale, de la Cour fédérale ou de la Cour canadienne de l’impôt, ou d’un administrateur général;

b) poste classé par l’employeur dans le groupe de la direction, quelle qu’en soit la dénomination;

c) poste dont le titulaire dispense des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification;

d) poste dont le titulaire a des attributions l’amenant à participer, dans une proportion notable, à l’élaboration d’orientations ou de programmes du gouvernement du Canada;

e) poste dont le titulaire exerce, dans une proportion notable, des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires ou des attributions l’amenant à s’occuper officiellement, pour le compte de l’employeur, de griefs présentés selon la procédure établie en application de la partie 2;

f) poste dont le titulaire participe directement aux négociations collectives pour le compte de l’employeur;

g) poste dont le titulaire, bien que ses attributions ne soient pas mentionnées au présent paragraphe, ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur;

h) poste de confiance occupé, en matière de relations de travail, auprès des titulaires des postes visés aux alinéas b), c), d) et f).

3 Le demandeur a appuyé sa demande sur l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP. Il a soutenu que les fonctions associées au poste d’ARS entraînent un conflit d’intérêts potentiel et que la nature des fonctions et des responsabilités de ce poste ne lui permet pas d’appartenir à l’unité de négociation.

II. Résumés pour le demandeur

A. Preuves présentées par le demandeur

4 Le premier témoin du demandeur était Tim van der Hoek. Il a occupé plusieurs postes administratifs et a de l’expérience en tant qu’ARS. Quand M. van der Hoek était un employé administratif au niveau régional, le poste d’agent de sécurité préventive de l’établissement (ASPE) était éliminé et remplacé par le poste d’ARS actuel. Il devait établir une définition cohérente du poste d’ARS et s’assurer que les responsabilités associées à ce poste étaient comprises de la même manière dans toute la région. On attendait de lui qu’il crée des normes et un programme qui conviendrait aux 14 établissements et aux 2 bureaux de libération conditionnelle de district, qui étaient répartis dans une grande zone géographique dans l’Ouest canadien et les Territoires du Nord-Ouest. Les établissements étaient de sécurité minimale à maximale et comprenaient des établissements spécialisés, comme les pavillons de ressourcement. M. van der Hoek participait à la création d’un programme de formation intensive de deux semaines qui combinait du temps d’étude en classe et des jeux de rôle afin d’exposer les participants à un vaste éventail de scénarios.

5 Selon M. van der Hoek, les ARS sont [traduction] « les yeux et les oreilles » de la haute direction des établissements, et leur rôle est essentiel au processus décisionnel, particulièrement pour les directeurs et les sous-directeurs. Le travail des ARS est de transformer l’information en produits de renseignement pouvant appuyer la prise de décisions éclairées. Le mandat d’un ARS est d’évaluer les risques pour la sécurité des gens et des biens dans un établissement ainsi que du public en général, et de contribuer aux décisions concernant la manière d’atténuer ces risques. Contrairement aux ASPE, dont le travail consistait à réagir aux menaces à la sécurité, le travail des ARS est axé sur la détermination précoce des risques et sur la prévention. Les ARS gèrent aussi les scènes de crime, recueillent et administrent les preuves et gèrent le processus associé aux autorisations de sécurité pour les employés et les visiteurs.

6 M. van der Hoek a expliqué que les ARS utilisent un processus en cinq étapes pour créer des produits de renseignement utiles : recueillir l’information, évaluer sa fiabilité et son importance, la regrouper, l’analyser et la communiquer au moyen de rapports.

7 La première étape du processus est la collecte d’information, qui peut prendre diverses formes. L’ARS reçoit les Rapports d’observation ou déclarations d’un agent (RODA) que doivent soumettre les agents correctionnels lorsque se produit un incident pouvant avoir une incidence sur la sécurité, comme une bataille entre détenus, la découverte de contrebande ou des menaces verbales. L’ARS reçoit aussi de l’information du réseau d’informateurs du système correctionnel, des communications téléphoniques ou écrites interceptées avec autorisation, des autres ARS ou d’autres employés dans d’autres établissements, de bases de données ou d’organismes partenaires, comme les services de police. M. van der Hoek a insisté sur le fait que les ARS reçoivent un volume important d’information sur une base quotidienne. Pendant ses 10 ans en tant qu’ARS, il recevait habituellement entre 30 et 40 RODA par jour et 4 ou 5 appels d’ARS ailleurs au pays, de même que des rapports provenant de communications interceptées et des documents des informateurs.

8 Pour les autres étapes du processus, l’ARS transforme l’information brute en produits de renseignement utilisables. Pour ce faire, il doit évaluer l’information et déterminer si elle est fiable et exacte. L’information doit être triée et analysée. L’ARS doit décider si elle laisse supposer l’existence de risques précis et établir la gravité de ces risques. L’ARS doit également regrouper l’information dans des rapports de renseignement pouvant être utilisés par les décideurs de l’établissement. À toutes les étapes, l’ARS détermine quelle information devrait être gardée et quelle information devrait être retirée, ce qui représente un exercice de jugement complexe. Les risques associés à un jugement erroné sont importants pour tout le monde de l’établissement, et une erreur pourrait entraîner une blessure, un décès ou de graves dégâts matériels. Dans certains cas, l’ARS procède activement à une enquête plus approfondie ou demande plus d’information.

9 M. van der Hoek a donné quelques exemples de la façon dont l’ARS pourrait gérer certains renseignements. S’il reçoit un rapport sur une bataille entre détenus, l’ARS peut réaliser une enquête plus approfondie pour déterminer si la bataille pourrait donner lieu à un risque de violence accru. Quand il évalue le risque, l’ARS peut étudier les antécédents de violence des détenus, déterminer si les détenus sont associés à un « groupe menaçant la sécurité » ou à un gang et établir comment les détenus ont réagi à la bataille. Ce type d’information est essentiel à la prise de décisions sur la « gestion de la population », le processus consistant à déterminer où les détenus d’un établissement seront logés et quelles seront les conditions de leur incarcération.

10 Selon M. van der Hoek, une grande partie de l’information que reçoivent les ARS est de nature délicate, et la confidentialité est un aspect important. M. van der Hoek a expliqué que les ARS sont les gardiens du principe du « besoin de savoir » et doivent juger les circonstances dans lesquelles les produits de renseignement devraient être transmis et à qui ils doivent être transmis.

11 On a montré à M. van der Hoek la définition de travail de l’ARS (pièce E-2), et on a souligné l’aspect suivant parmi les fonctions de l’ARS :

[Traduction]

[…]

Élabore des plans d’action et des stratégies à partir de l’analyse stratégique d’informations et de produits de renseignement transmis par diverses sources, comme des délinquants, des employés, des visiteurs et des partenaires externes du système de justice, afin de prévenir ou d’atténuer les menaces pour la sécurité des individus, de l’établissement ou du bureau communautaire ainsi que pour les Canadiens.

12 M. van der Hoek a déclaré que ce paragraphe décrit le rôle indispensable de l’ARS, qui doit formuler des plans et des stratégies fondés sur l’information qui a été analysée et transformée en produits de renseignement. L’ARS transmet ces produits de renseignement au décideur concerné, habituellement le directeur ou le sous-directeur, et recommande les mesures qu’il juge appropriées. Personne dans l’établissement ne peut remettre en question le jugement de l’ARS, et le directeur ou sous-directeur doit pouvoir s’appuyer expressément sur les recommandations de l’ARS quand il prend ses décisions.

13 M. van der Hoek a décrit les séances d’information du matin auxquelles il assistait en tant qu’ARS. Habituellement, un grand nombre de gestionnaires étaient présents au début. D’abord, on présentait un aperçu général de la situation de l’établissement pour les 24 dernières heures, y compris les grandes lignes des incidents entraînant des risques. Ensuite, tous les gestionnaires qui n’avaient pas besoin de connaître plus de détails sur les incidents ou les risques partaient, et les autres poursuivaient la discussion. Plus tard, d’autres gestionnaires partaient, car ils avaient appris tout ce qu’ils avaient besoin de savoir, et seuls l’ARS, le directeur et le sous-directeur restaient pour parler des questions de nature très délicate. M. van der Hoek a reconnu que les décisions définitives revenaient au directeur et au sous-directeur. Toutefois, pendant les séances d’information, on faisait abstraction des échelons hiérarchiques; l’ARS, le directeur et le sous-directeur discutaient en toute franchise des recommandations de l’ARS. Les décisions du directeur et du sous-directeur étaient en grande partie fondées sur les produits de renseignement que l’ARS fournissait pour appuyer ses recommandations.

14 M. van der Hoek a précisé que l’ARS doit faire preuve de prudence et de discernement quand il décide quelle information devrait être divulguée aux diverses étapes du processus et à qui elle devrait être divulguée. Le fait de communiquer certains renseignements trop tôt ou à trop de personnes peut compromettre la sécurité ou la réputation de l’établissement.

15 Il est indiqué dans la description de travail de l’ARS (pièce E-2) que, même si l’ARS doit mener une enquête sur des circonstances suspectes, le [traduction] « [t]itulaire du poste ne participe pas à des enquêtes sur le personnel ». Quand on lui a demandé d’interpréter cette phrase, M. van der Hoek a répondu que l’ARS n’est pas responsable de mener des enquêtes sur les gestes du personnel pouvant avoir des conséquences sur le plan disciplinaire; il ne fait pas office d’agent des affaires internes. Toutefois, si un employé est impliqué dans des circonstances qui soulèvent des préoccupations en matière de sécurité, l’ARS qui prend connaissance de ces circonstances doit tenir compte de la participation de l’employé dans son évaluation de la situation.

16 M. van der Hoek a donné comme exemple un rapport qui révélerait la présence dans l’établissement d’objets interdits, comme des drogues. Si, en étudiant l’information de ce rapport, l’ARS découvre qu’un employé aurait peut-être facilité la circulation de ces objets, il lui serait impossible de ne pas tenir compte du comportement de l’employé au moment de formuler des recommandations quant aux étapes à suivre pour atténuer le risque. Bien qu’il reviendrait au directeur, au sous-directeur ou à d’autres gestionnaires de décider des conséquences sur l’emploi de l’employé visé, le fait qu’un employé soit impliqué dans cette affaire serait un élément important du processus relatif aux produits de renseignement. Il a aussi donné l’exemple d’un rapport révélant une relation inappropriée entre un employé et un détenu. Dans ce cas, l’ARS doit déterminer si l’information est fondée et évaluer le risque. Au moment de dénoncer une telle activité, l’ARS pourrait recommander des restrictions à imposer à l’employé pour ce qui est de son accès à certaines sections de l’établissement ou à certains renseignements, ou des restrictions concernant ses tâches en attendant les résultats d’une enquête plus poussée. Bien que ce n’est pas lui qui mènera cette enquête, l’ARS doit au moins pouvoir faire des commentaires sur la signification du comportement de l’employé dans ce type de situation.

17 Selon la description de travail, l’ARS est responsable de gérer le processus des autorisations de sécurité pour les contractants et les visiteurs. La démarche initiale pour les employés se fait à l’administration centrale du demandeur, à Ottawa. M. van der Hoek a toutefois indiqué que l’ARS pourrait être amené à examiner la cote de sécurité d’un employé si de nouveaux renseignements sont mis au jour et pourrait présenter un rapport dans lequel il établit si ces nouveaux renseignements justifient un changement de la cote de sécurité. Tout comme sa participation au début des enquêtes sur l’implication présumée d’un employé dans des situations qui compromettent la sécurité, les rapports de l’ARS sur la cote de sécurité d’un employé peuvent avoir des conséquences sur l’emploi de cet employé, même si cet aspect ne relève pas directement de sa responsabilité.

18 Les produits de renseignement créés à partir de l’information recueillie et traitée par l’ARS peuvent éclairer la prise de décisions tactiques à l’échelle locale, ou même au niveau d’un agent en particulier au sein de l’établissement. M. van der Hoek a offert comme exemple la décision de séparer des détenus qui ont été désignés comme appartenant à certains groupes. Les produits de renseignement peuvent également être transmis à l’échelle régionale ou nationale pour guider la création de stratégies sur des questions relatives aux gangs ou aux groupes menaçant la sécurité qui touchent plusieurs établissements.

19 M. van der Hoek s’est prononcé sur la question de savoir si la présence d’un ARS au sein d’une unité de négociation pourrait causer des problèmes en cas de conflit de travail. Il a expliqué que la tension provenant de la contradiction entre la responsabilité de l’ARS de recueillir de l’information et de soumettre des produits de renseignement sur les risques et son obligation de se retirer du lieu de travail durant un conflit pourrait être une source de perturbation, ce qui pourrait ajouter aux risques. Anciennement, une des tâches associées au travail de l’ASPE consistait à surveiller les piquets de grève et à négocier avec les agents négociateurs pour faire rentrer le personnel essentiel dans l’établissement. Même si cette responsabilité a été éliminée, M. van der Hoek croit qu’il y aurait un conflit d’intérêts entre l’obligation de l’ARS de soutenir la direction en lui fournissant des produits de renseignement et son rôle en tant que membre d’une unité de négociation.

20 Pendant le contre-interrogatoire, on a rappelé à M. van der Hoek que tous les agents correctionnels sont des agents de la paix selon la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, et que tout le personnel des établissements a la responsabilité de fournir de l’information sur tout incident pouvant avoir des implications sur le plan de la sécurité. M. van der Hoek a accepté ces énoncés, mais il a ajouté qu’il croit que l’ARS a un rôle distinct et spécialisé à jouer par rapport aux fonctions d’agent de la paix et a la responsabilité de transmettre de l’information.

21 Le demandeur a cité comme témoin Linda Garwood-Filbert, qui était la sous-directrice du Centre psychiatrique régional (CPR) depuis février 2010. Mme Garwood-Filbert avait acquis beaucoup d’expérience dans divers rôles correctionnels avant d’arriver au CPR. Elle avait entre autres occupé, sur une base déterminée, un poste de conseillère en services correctionnels en Afghanistan. Elle a décrit le rôle du sous-directeur. Selon elle, ce rôle comprend la prise en charge et la garde des détenus d’un établissement ainsi que la réalisation du programme de sécurité du gouvernement. Elle a ajouté que la nature des fonctions de sous-directeur peut varier en fonction de facteurs liés au contexte de l’établissement, comme le niveau de sécurité, le nombre de détenus et le profil des détenus, mais que certains aspects du travail ne changent pas, comme l’accès aux plus hauts niveaux d’information et de renseignement et le fait qu’il occupe le deuxième rang dans la chaîne de commandement de l’établissement.

22 Mme Garwood-Filbert a indiqué que le CPR est à la fois un établissement correctionnel et un hôpital agréé, ce qui lui donne un caractère distinct. La priorité du CPR est de prodiguer des soins psychiatriques aux détenus pour accroître leur stabilité et s’assurer qu’ils peuvent être réintégrés dans leur établissement d’origine. Le CPR doit également traiter les problèmes physiques des détenus. Il accueille les détenus de tous les niveaux de sécurité. Son dirigeant, qui occupe un poste équivalant à celui de directeur dans la plupart des établissements, est appelé directeur exécutif pour indiquer qu’il est le cadre responsable de surveiller toutes les activités correctionnelles et cliniques du CPR. Le double rôle du CPR signifie que, en plus des questions relatives à la gestion de la population — qui existent aussi dans les autres établissements, comme l’appartenance à un gang ou les types d’infractions — le CPR doit tenir compte des différenciations découlant de l’état psychiatrique des détenus. Les questions de santé mentale se superposent aux autres questions, ce qui exacerbe les risques. Par exemple, un grand nombre de détenus présentent un risque élevé d’automutilation, et certains pourraient avoir de la difficulté à comprendre les conséquences de leurs gestes, soit en raison de leur maladie ou de leur traitement.

23 Dans ce contexte, les décisions qui touchent la sécurité doivent souvent être prises dans des circonstances difficiles. Le rôle de l’ARS de fournir des produits de renseignement complets et détaillés est essentiel à la prise de ces décisions. Mme Garwood-Filbert a donné comme exemple le transfert au CPR d’un patient bien connu en Alberta. Le personnel du CPR avait reçu très peu d’information vérifiée sur le patient, mais le personnel de l’établissement d’origine avait répandu des rumeurs à son sujet, et le personnel du CPR attendait le patient avec beaucoup d’appréhension. Dans ce cas, l’information recueillie auprès de l’établissement d’origine par l’ARS a été très utile pour préparer le plan de traitement du patient et calmer les inquiétudes du personnel. Le rôle de l’ARS peut être essentiel pour ce qui est de déterminer où placer le patient et quel programme lui donner et de gérer certaines questions, comme celles liées aux protocoles de visite.

24 Mme Garwood-Filbert a appuyé la description de M. van der Hoek du rôle de l’ARS dans les enquêtes sur le comportement des employés. Si un employé est soupçonné d’être impliqué dans une situation qui menace la sécurité, l’ARS doit lancer une enquête et fournir des produits de renseignement sur le comportement de cette personne. Si les conséquences touchent les conditions d’emploi de l’employé, l’affaire doit être confiée à un gestionnaire; l’ARS ne s’en mêle pas. L’ARS contrôle une grande quantité d’information, et il est responsable de déterminer qui est le mieux placé pour gérer des produits de renseignement spécifiques.

25 Pendant le contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Garwood-Filbert de nommer les membres de l’équipe de gestion du CPR. En plus du directeur exécutif (le directeur), elle a nommé la sous-directrice (elle-même), le directeur adjoint des Opérations, le directeur adjoint des Interventions, le directeur adjoint des Services de gestion et l’ARS pour les services correctionnels et, pour les services médicaux, le directeur clinique, le directeur clinique adjoint, les gestionnaires de programme et le superviseur des quarts d’infirmière. Elle a déclaré qu’il y avait des différences entre l’accès à l’information de nature délicate des responsables; l’ARS a accès à l’information secrète et le directeur et le sous-directeur ont la cote très secret.

26 Le troisième témoin du demandeur était Paul Woodward, directeur général associé responsable de l’analyse et de la surveillance du renseignement. M. Woodward a indiqué que son bureau est responsable de créer les descriptions de travail et les mandats de l’ARS. Il a montré les organigrammes présentés en preuve (pièce E-3), sur lesquels on voit que l’ARS est directement sous le directeur et le sous-directeur dans la hiérarchie et au-dessus des autres gestionnaires, comme les directeurs adjoints, ce qui correspond à la nature de l’information recueillie et analysée par l’ARS et à sa contribution directe aux décisions stratégiques immédiates. L’organigramme du CPR (pièce E-4) est légèrement différent : l’ARS est au même niveau que le directeur adjoint. En faisant référence au document intitulé : « Structure de gestion des établissements : Rôles et responsabilités » (pièce E-5), M. Woodward a expliqué que l’ARS est perçu comme étant le principal agent responsable de la sécurité sur le plan du renseignement. L’ARS joue un rôle essentiel dans la détermination des menaces ou des risques importants. Les employés doivent déclarer tout ce qu’ils voient qui pourrait créer un risque, mais l’ARS évalue la signification de l’information et recommande un plan d’action. C’est un aspect clé de la gestion de la population et, selon M. Woodward, [traduction] « c’est à la base de ce que nous faisons ». Le placement des délinquants et le choix des plans pour les encadrer sont des activités qui dépendent beaucoup des produits de renseignement de l’ARS. En particulier quand il est question de gérer les questions à court terme, le sous-directeur s’appuie presque exclusivement sur les analyses et les options présentées par l’ARS.

27 M. Woodward a déclaré que le rôle actuel de l’ARS est conçu pour contribuer à l’objectif de fonder les services correctionnels sur le renseignement. Dans l’ancien modèle statique, l’établissement ne prenait des mesures que lorsqu’un risque se matérialisait. Aujourd’hui, on met l’accent sur la collecte proactive d’information et sur l’utilisation de l’information pour atténuer le risque. L’expertise de l’ARS est importante, car elle permet à la direction de prendre des décisions éclairées fondées sur une compréhension du milieu, des tendances et des risques immédiats.

28 M. Woodward a commenté les lignes directrices sur l’utilisation d’instruments de fouille discrète (pièce E-6). Selon ces lignes directrices, le directeur de l’établissement peut désigner quelqu’un pour réaliser des évaluations du risque ou des entrevues lorsque les instruments de fouille discrète, comme les détecteurs et les chiens, indiquent la présence possible d’un objet interdit ou d’une substance interdite. Logiquement, étant donné la nature de l’expertise requise, l’ARS serait désigné pour effectuer ces tâches, qui pourraient comprendre l’évaluation du personnel, des visiteurs et des délinquants. M. Woodward a expliqué que, dans de telles circonstances, il croyait qu’il y aurait des conflits d’intérêts si l’ARS était membre de l’unité de négociation. Il a également mentionné des documents (pièces E-6 et E-7) qui soulignent le rôle de l’ARS au sein de l’équipe de gestion des crises et suggèrent que l’ARS aurait de la difficulté à remplir ce rôle en tant que membre de l’unité de négociation.

29 Dans son témoignage, M. Woodward a indiqué que l’ARS a beaucoup d’autonomie pour ce qui est de décider comment recueillir et évaluer l’information. Les membres du Comité de renseignements stratégiques de l’établissement, qui est habituellement composé du directeur, du sous-directeur, du directeur adjoint des Opérations, du directeur adjoint des Interventions et de l’ARS, discutent de façon générale de l’élaboration d’un cadre général pour les questions de sécurité, mais cela ne changerait pas vraiment la nécessité pour l’ARS de décider comment procéder chaque jour.

30 M. Woodward a reconnu que l’ARS ne participe pas à la détermination des conséquences pour l’emploi de l’inconduite d’un employé, mais il a ajouté que bien des cas d’inconduite sont révélés dans le cadre d’une enquête sur les risques pour la sécurité menée par l’ARS. Ce dernier doit pouvoir examiner cette information quand il évalue les risques et enquête sur ceux-ci.

31 L’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’AFPC ou l’« agent négociateur ») a communiqué avec M. Cossette, l’ARS visé par cette demande d’exclusion. M. Cossette a déclaré qu’il avait travaillé au CPR pendant environ 22 ans. Il est devenu ASPE — le poste qui a été modifié et a été remplacé par le poste d’ARS — 16 ans avant l’audience.

32 On a demandé à M. Cossette de décrire ses tâches quotidiennes en tant qu’ARS. Il a indiqué que, généralement, une réunion a lieu le matin au début de son quart de travail. Il s’agit d’une séance d’information sur la journée précédente. Pendant le contre-interrogatoire, M. Cossette a confirmé que les participants à cette réunion proviennent des deux branches du CPR : les services correctionnels et les services cliniques. Parfois, la réunion est suivie d’une discussion entre M. Cossette, dans son rôle d’ARS, et d’autres personnes, comme le sous-directeur et un gestionnaire d’unité. Cette discussion porte sur des questions précises, comme la façon de gérer une incompatibilité entre patients.

33 M. Cossette a expliqué qu’après la réunion, il retourne normalement à son bureau et entre l’information des RODA dans le Système de gestion des délinquants. Il examine le courrier et les courriels ainsi que les rapports sur des observations délicates présentés directement à son bureau. Si quelque chose semble urgent, il peut rencontrer de nouveau le sous-directeur, son contact principal, pour discuter de la façon de gérer l’affaire. M. Cossette a insisté sur le fait que ses journées ne se ressemblent pas : [traduction] « C’est l’établissement qui décide quel genre de journée j’aurai. »

34 M. Cossette a décrit le rôle de l’ARS dans la gestion de la population. L’ARS recueille et analyse l’information et participe à l’élaboration d’un plan d’action fondé sur cette information. Habituellement, de nombreux intervenants, dont les gestionnaires d’unité et le personnel clinique, contribuent à la décision sur les mesures à prendre, qui peut comprendre un plan de traitement et un plan d’action opérationnel.

35 Pour ce qui est des enquêtes sur le personnel, M. Cossette a reconnu qu’il lui arrivait de recevoir de l’information suggérant une inconduite de la part d’un employé, parfois dans les RODA soumis par le personnel. Toutefois, il a indiqué que c’était arrivé seulement sept ou huit fois au cours de sa carrière. Il a déclaré qu’il interprétait de manière littérale le passage de la description de travail de l’ARS (pièce E-2) qui précise que l’ARS [traduction] « […] ne participe pas aux enquêtes sur le personnel », et qu’il n’enquêtait jamais sur le comportement du personnel. D’un autre côté, il a admis qu’il fallait faire quelque chose avec l’information; le plus souvent, il la confie au sous-directeur. Il a noté qu’il est important de tenir compte de la crédibilité et de la fiabilité de la source, et qu’il essaie de transmettre cette considération quand il transmet l’information. M. Cossette a indiqué que, selon les circonstances, il peut être amené à recommander une intervention immédiate, par exemple dans le cas de menaces physiques, ou si la situation justifie clairement l’intervention de la police, mais en général, il essaie de transmettre l’information de façon à permettre aux gestionnaires de prendre les décisions nécessaires concernant le personnel.

36 Il a donné comme exemple récent une allégation selon laquelle un employé entretenait une relation inappropriée avec un patient. Les cadres supérieurs ont avisé M. Cossette qu’ils avaient décidé d’intercepter les conversations téléphoniques de l’employé et avaient confié à l’administration régionale le soin de déterminer qui écouterait les conversations. Suivant la recommandation de l’administration régionale, on a décidé qu’un cadre supérieur écouterait les conversations. M. Cossette devait s’assurer que la technologie nécessaire était en place et qu’elle fonctionnait. Il devait écouter brièvement les conversations, mais uniquement pour s’assurer que la technologie fonctionnait bien. M. Cossette a expliqué qu’il supervise une employée et qu’il consulte parfois son dossier personnel, mais que, contrairement à M. van der Hoek, il ne voit pas pourquoi il irait consulter le dossier d’un employé dans le cadre de l’examen d’une allégation d’inconduite contre lui.

37 On a cité la directive du commissaire sur la désignation des agents de la paix (pièce U-1) à l’intention de M. Cossette. Ce dernier a indiqué qu’il comprenait que, selon cette directive, il est autorisé à arrêter une personne ou à employer la force nécessaire contre une personne, mais il a ajouté que cela ne le différenciait pas des autres employés. Il a aussi dit que, manifestement, tous les employés ont la responsabilité de déclarer une inconduite de la part d’un autre employé, comme il est indiqué dans un message du commissaire (pièce U-2).

38 M. Cossette a expliqué qu’il se voyait comme un conseiller pour les gestionnaires. Il fournit à ces derniers de l’information et une interprétation de l’information fondée sur l’expertise acquise tout au long de sa carrière. Il fait de son mieux pour leur offrir les meilleurs conseils possible. Il a précisé qu’il n’avait pas à s’inquiéter de ce que le directeur et le sous-directeur suivent ou non ses conseils. Toutefois, pendant le contre-interrogatoire, il a indiqué qu’il s’attendait généralement à ce que ses recommandations soient appliquées. Il a déclaré qu’il croyait que son rôle était important, mais qu’il ne se considérait pas comme faisant partie de l’équipe de gestion. Il a reconnu que son poste était considéré comme un poste de cadre. Il a dit que le fait d’être exclu de l’unité de négociation ne changerait probablement pas la façon dont il voyait son travail. Il considère qu’il aurait les mêmes obligations.

39 M. Cossette a indiqué qu’il était important pour l’ARS d’entretenir une relation étroite avec le personnel opérationnel, car ce dernier est la source d’une bonne partie de l’information dont dépend l’ARS. Le personnel opérationnel doit avoir confiance en l’ARS et être à l’aise avec lui pour continuer de lui faire part de renseignements délicats. C’est une des raisons pour lesquelles il est important pour l’ARS d’établir clairement la limite lors d’une enquête sur une allégation d’inconduite.

40 M. Cossette, comme les témoins du demandeur, convient que le principe du besoin de savoir est important pour la sécurité de l’information. Une justification est requise pour accorder l’accès à l’information, et M. Cossette n’accorde pas un droit d’accès simplement parce qu’une personne est curieuse; ce droit doit être lié aux responsabilités de la personne qui présente la demande. Pendant le contre-interrogatoire, M. Cossette a déclaré qu’il devait souvent décider qui pouvait avoir accès à l’information.

41 Pour ce qui est de la participation aux questions relatives aux relations de travail, M. Cossette a déclaré qu’il n’a jamais pris part à des négociations ou à d’autres activités de négociation collective, et que la seule fois où il a eu affaire à une grève, son poste avait été exclu et il assumait certaines fonctions du personnel, comme l’exercice des détenus. Il lui était donc difficile de se prononcer sur la question de savoir si le fait que l’ARS soit membre de l’unité de négociation créerait des problèmes en cas de conflit de travail.

42 L’AFPC a communiqué avec Barry Stolar, qui est aujourd’hui représentant régional du Syndicat des employés du Solliciteur général, la composante de l’AFPC qui représente les employés du Service correctionnel du Canada (SCC) syndiqués par l’AFPC. Le poste d’attache de M. Stolar est un poste de surveillant de blanchisserie au CPR. Il était délégué syndical et président local avant d’entrer dans ses fonctions actuelles. M. Stolar a répondu à la préoccupation du demandeur, qui croit que le fait d’inclure l’ARS dans l’unité de négociation créerait des problèmes en matière de relations de travail, y compris en privant le demandeur d’une expertise importante durant un conflit de travail.

43 M. Stolar a déclaré qu’on n’a jamais rencontré de difficulté insurmontable en gérant les risques liés à la sécurité lors d’un conflit de travail. L’agent négociateur est au courant des préoccupations du demandeur quant à la sécurité, et il a déjà négocié avec succès des protocoles qui garantissent qu’un nombre suffisant d’employés sont présents pendant une grève pour régler tout problème de sécurité. Quand des grèves sont survenues dans le passé, l’ARS n’a pas participé directement aux négociations, car le poste d’ASPE était exclu. Toutefois, M. Stolar a indiqué que, selon lui, compte tenu de la relation que l’agent négociateur et le demandeur ont entretenue jusqu’à maintenant, il ne serait pas difficile de convenir d’un moyen approprié de gérer le besoin constant du demandeur en matière de renseignement de sécurité pendant un conflit.

B. Argumentation du demandeur

44 L’avocat du demandeur a concédé que cette demande d’exclusion s’appuie sur des motifs quelque peu inhabituels et qu’aucune demande d’exclusion antérieure ne s’est penchée sur ces motifs de façon exhaustive. Le demandeur s’est appuyé sur l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP pour affirmer que le poste d’ARS « […] ne doit pas faire partie d’une unité de négociation pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Il a convenu que les affaires qu’il a citées ont un certain âge et sont d’une utilité limitée, mais qu’elles permettent tout de même d’éclairer certains aspects des questions qui nous occupent.

45 L’avocat du demandeur a fait remarquer qu’il y a des différences entre les descriptions données par M. Cossette et par M. van der Hoek quant au rôle de l’ARS. Il a avancé que M. Cossette, bien que manifestement au courant de l’importance de ce rôle, a minimisé la portée des fonctions de l’ARS ainsi que sa proximité avec les cadres occupant les niveaux les plus élevés de l’établissement, soit le directeur d’établissement (ou le directeur exécutif pour le CPR) et le sous-directeur.

46 L’avocat du demandeur a aussi parlé des efforts de l’agent négociateur pour démontrer, en s’appuyant sur des documents tels que la directive du commissaire sur la désignation des agents de la paix (pièce U-1), le Code de discipline (pièce U-4) et le message du commissaire sur le devoir de signaler les inconduites des employés, (pièce U-3), que les responsabilités de l’ARS de rapporter des renseignements et de s’occuper de questions de sécurité ne diffèrent pas de celles des autres employés. Il a soutenu que ces descriptions du rôle de l’employé ne permettaient pas de mettre en évidence — et de contredire — le fait que l’ARS a des responsabilités distinctes sur le plan de la sécurité. Il a également fait allusion au document sur la délégation de pouvoirs (pièce U-3), qui révèle que l’ARS n’a pas de pouvoirs considérables dans la hiérarchie de la direction. Cet élément pourrait être important si le demandeur fondait sa demande sur les responsabilités de gestion de l’ARS. En fait, le demandeur a convenu que l’ARS a très peu de fonctions que l’on pourrait classer comme des responsabilités de gestion, mais que la demande d’exclusion ne s’appuie pas là-dessus.

47 L’avocat du demandeur m’a renvoyée à un certain nombre de décisions, presque toutes de l’ancienne Commission des relations de travail dans la fonction publique (l’« ancienne Commission »), qui portaient sur l’exclusion d’employés en vertu de dispositions législatives équivalant à l’actuel paragraphe 59(1) de la LRTFP. Il a convenu que, comme les questions d’exclusion dépendent beaucoup des faits propres à chaque cas, il est difficile de trouver des analogies se rapportant directement aux circonstances de la présente demande. Il a également laissé entendre que l’ancienne Commission avait de la difficulté à trouver des principes précis sur lesquels appuyer une décision discrétionnaire d’exclure un employé en vertu des prédécesseurs de l’alinéa 59(1)g), et que les cas cités offraient des exemples de cette difficulté.

48 Néanmoins, l’avocat du demandeur a soutenu que trois thèmes pouvaient être tirés des cas cités pour appuyer l’applicabilité de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP dans le présent cas. Il a précisé que ces thèmes reposent sur des concepts étroitement liés que les décisions les plus anciennes ne distinguent pas toujours clairement. Le thème le plus large interprète l’alinéa 59(1)g) comme donnant à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) le pouvoir discrétionnaire d’exclure un poste en s’appuyant sur des motifs généraux selon lesquels les fonctions et obligations du poste justifient son exclusion, sans égard aux questions relatives à la gestion, à la confidentialité, ou aux conflits d’intérêts directs, mentionnés aux alinéas 59(1)a) à f) et h), et sans égard au concept de « conflits d’intérêts » de l’alinéa 59(1)g). L’avocat du demandeur a fait remarquer qu’il est difficile de trouver un cas de jurisprudence où l’on parle de cette idée. Dans Conseil du Trésor c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossiers de la CRTFP 172-02-884 A et 172-02-886 A (19971219) (Andres et Webb), le président de l’ancienne Commission a affirmé dans les termes suivants, à la page 15, qu’il était possible de formuler une telle interprétation globale de la disposition législative correspondante :

[…]

En vertu de l’alinéa 5.1(1)d), la Commission a une certaine latitude pour déterminer si les fonctions et les responsabilités d’un poste rattachent le titulaire de ce poste à l’employeur au point d’en justifier l’exclusion ou s’il y a risque d’un grave conflit d’intérêts entre les fonctions du poste et l’adhésion du titulaire à l’unité de négociation. C’est à cet égard que la notion « d’équipe de gestion » définie par la Commission au fil des années s’applique.

49 Dans ce passage, l’utilisation du mot « ou » à la quatrième ligne laisse entendre qu’il y a une distinction entre le concept de conflit d’intérêts et l’idée plus générale que les fonctions et les obligations associées à un poste, prises dans leur ensemble, peuvent servir de motifs d’exclusion. Le paragraphe 66 de Canada (Conseil du Trésor) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, dossier de la CRTFP 176-02-287 (19791009), pointe dans la même direction :

66. Bien sûr, rien n’empêche la Commission de désigner une personne en vertu de l’alinéa g) lorsque celle-ci tombe sous le coup dudit alinéa pour d’autres raisons, mais elle est d’avis que le fait d’être membre d’une équipe de gestion et d’être ainsi exposé à un conflit d’intérêts constitue un critère sûr à appliquer aux termes de l’alinéa g). La présente demande concernant M. Sisson sera donc examinée en tenant compte de ce critère.

50 L’avocat du demandeur a soutenu qu’en regardant les fonctions de l’ARS dans leur ensemble, il est justifié d’exclure ce poste de l’unité de négociation, sans égard à des conflits d’intérêts particuliers ou à des fonctions de gestion précises. Il a avancé que l’information est à la base du travail d’un décideur, et que le rôle de l’ARS dans la collecte et le traitement de l’information est crucial dans les décisions qu’un directeur et un sous-directeur d’établissement doivent prendre. En étant les yeux et les oreilles de la haute direction de l’établissement, l’ARS est plus qu’un simple agent de transmission de renseignements non filtrés. L’ARS évalue l’information et détermine ce qui doit être communiqué ou non, ainsi que l’importance de cette information. Le directeur et le sous-directeur doivent pouvoir s’appuyer sans hésitation sur les produits de renseignement qu’ils reçoivent pour prendre des décisions.

51 Le second thème est celui du conflit d’intérêts, c’est-à-dire le concept selon lequel les fonctions d’un employé pourraient créer un conflit insoutenable entre les obligations à l’endroit du demandeur et le statut de l’employé en tant que membre d’une unité de négociation. Parmi les exemples de conflits d’intérêts potentiels dont il est question dans les cas cités, mentionnons la nécessité pour l’employé de posséder et de manipuler des renseignements confidentiels, le fait que l’on s’attend de l’employé qu’il exerce un jugement professionnel à titre d’expert, ou la possibilité que l’employé soit appelé à jouer un rôle dans le processus décisionnel de la direction. L’avocat du demandeur a souligné le fait que des commissaires ont souvent fait remarquer que de tels aspects du travail d’un employé peuvent avoir entraîné des conflits d’intérêts suffisants pour justifier son exclusion de l’unité de négociation. Par exemple, dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Bureau du Vérificateur général du Canada, dossier de la CRTFP 172-14-297 (19800319) (Lalonde), aux paragraphes 19 et 20, l’ancienne Commission a indiqué que l’accès à des renseignements confidentiels n’est pas suffisant en soi pour justifier une exclusion, puisque de nombreux employés peuvent être appelés à manipuler des renseignements confidentiels en vue d’assumer un pouvoir discrétionnaire. Dans Conseil du Trésor c. Association des gestionnaires financiers de la fonction publique, dossiers de la CRTFP 172-02-1003 et 1004 (19981202), à la page 49, l’ancienne Commission a demandé si les titulaires des postes en cause se retrouveraient dans une situation où ils « sont à la fois des superviseurs et des gestionnaires ». L’ancienne Commission a ajouté que, bien que les titulaires avaient la responsabilité de fournir des renseignements techniques importants dont la direction se servirait pour prendre des décisions, ils ne jouaient aucun rôle direct dans le processus décisionnel.

52 L’avocat du demandeur a affirmé que, comme dans Lalonde, l’ARS ne fait pas que posséder des renseignements de nature délicate; il a également des responsabilités importantes sur les plans de l’évaluation et de l’utilisation de ces renseignements. L’ARS surveille l’accès à l’information en fonction du principe du besoin de savoir et il entretient une relation étroite avec la direction de l’établissement pour appuyer celle-ci dans ses décisions. La place de l’ARS dans l’organigramme de l’organisation n’est pas fondée sur sa place dans la hiérarchie, mais représente plutôt l’importance pour la haute direction des produits de renseignement qu’il peut leur fournir, ainsi que de la tension qui résulterait de son appartenance à l’unité de négociation. L’avocat du demandeur a soutenu que, comme dans Lalonde, il pourrait y avoir un conflit d’intérêts en raison [traduction] « de la participation — active ou passive — [de l’ARS] à l’élaboration de politiques, à la prise de décisions ou à la gestion administrative dans les hautes sphères du secteur de la fonction publique où il est employé ».

53 L’avocat du demandeur a également fait valoir que des conflits d’intérêts pourraient survenir en raison du rôle qu’un ARS pourrait jouer dans les affaires de l’agent négociateur si son poste faisait partie de l’unité de négociation. Il a précisé que l’ancienne Commission avait pris cela en considération dans Institut professionnel de la fonction publique du Canda c. Conseil du Trésor, dossier de la CRTFP 172-02-31 (19710714) (Gestrin et Sunga), et dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor — unité de négociation du Groupe de l’achat et de l’approvisionnement), dossier de la CRTFP 174-02-250 (19770214) (Lemieux).

54 L’avocat du demandeur a ajouté qu’un conflit d’intérêts pourrait survenir en raison de certaines des responsabilités de l’ARS. Lors de son témoignage, M. Woodward a affirmé que, depuis que le poste d’ARS a été inclus (l’ASPE était exclu), les ARS n’ont pas participé aux évaluations des menaces et des risques pour les accès des employés aux établissements, puisque le demandeur a jugé que cela les placerait dans une situation difficile. Il serait cependant logique que l’ARS effectue ces évaluations, compte tenu de la nature de leur expertise. L’avocat du demandeur a également renvoyé aux témoignages de M. van der Hoek et de M. Cossette, qui ont déclaré qu’il est déjà arrivé qu’on leur présente des renseignements impliquant des employés dans des cas d’inconduite. Leurs témoignages différaient quelque peu pour ce qui est de savoir à quel point un ARS s’intéresserait à de l’information sur un employé. Il était toutefois clair, d’après leurs témoignages, que l’on pouvait s’attendre à ce que les ARS tombent sur des renseignements concernant d’autres employés et qu’ils seraient appelés à évaluer leur crédibilité et la façon dont ils devraient être traités (même s’il était entendu qu’ils ne participeraient pas aux répercussions de ces allégations sur l’emploi de la personne). L’avocat du demandeur a avancé que l’exemple choisi par M. Cossette, au sujet d’une allégation de relation inappropriée, ne présentait pas le potentiel de conflit d’intérêts aussi clairement que d’autres exemples auraient pu le faire, par exemple des allégations selon lesquelles un employé aurait facilité l’introduction d’objets interdits à l’intérieur de l’établissement. Dans un scénario plus compliqué comme celui-là, comme l’a suggéré M. van der Hoek, il pourrait être approprié pour l’ARS de continuer de surveiller la situation et d’attendre d’avoir autant de produits de renseignement que possible à transmettre à un gestionnaire avant de le faire.

55 L’avocat du demandeur a accepté le témoignage de M. Stolar concernant le fait que l’agent négociateur et le demandeur discutent généralement des questions de sécurité et des services essentiels à fournir lors d’un conflit du travail, mais il a précisé que le demandeur pouvait avoir une opinion différente de celle de l’agent négociateur de ce qui peut être requis en matière de sécurité, et qu’il a besoin des produits de renseignements fournis par l’ARS pour évaluer les risques. Pour s’assurer que l’ARS demeure pleinement engagé et qu’il continue de fournir en toute franchise des renseignements exhaustifs lors d’un conflit du travail, il est essentiel d’éliminer le risque de loyauté partagée.

56 Le troisième thème cerné par l’avocat du demandeur est le concept d’appartenance à l’équipe de gestion. Dans Gestrin et Sunga, une décision rendue en 1971, l’ancienne Commission a fait remarquer, au paragraphe 8, que le pouvoir discrétionnaire accordé en vertu de dispositions législatives comparables devrait être invoqué « […] pour permettre la désignation de personnes qui, bien qu’elles ne soient pas autrement décrites aux sous-alinéas (iii) à (vi), doivent être considérées principalement comme membres de ce que nous pourrions appeler "l’équipe de gestion" ». Dans Lalonde, au paragraphe 16, l’ancienne Commission a avancé que « […] la Commission a considéré que faire partie de l’équipe de gestion et risquer d’être en conflit d’intérêts sont deux côtés de la même médaille », mais a ajouté que ces deux idées n’étaient pas inévitablement liées. En effet, dans Lemieux, l’ancienne Commission a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 :

[17] […] Toutefois, bien que l’on puisse dire que toute participation à l’équipe de gestion entraîne la possibilité de conflit d’intérêts, l’inverse n’est pas nécessairement vrai […].

57 L’avocat du demandeur a soutenu que, bien que cette citation laisse entendre que le critère d’appartenance à l’équipe de gestion se distingue de la question de conflit d’intérêts, ces cas ne donnent pas de définition précise de l’équipe de gestion. Il a avancé que certains indicateurs mentionnés dans Lemieux au paragraphe 14 — un certain niveau de liberté d’action, d’indépendance et de pouvoir discrétionnaire associé au poste — pouvaient servir à déterminer l’appartenance à l’équipe de gestion. De plus, d’autres concepts, comme la portée des activités de l’employé, le niveau de sensibilité de l’information que l’employé a en sa possession, le niveau auquel on consulte l’employé dans l’établissement ainsi que les pouvoirs de décision de l’employé pouvaient également être pris en considération pour déterminer si un employé devrait être jugé comme faisant partie de l’équipe de gestion.

58 Dans le cas du poste d’ARS, l’avocat du demandeur a affirmé que le titulaire possédait un niveau important d’autonomie et de pouvoir discrétionnaire, et qu’il avait le pouvoir de prendre des décisions. Plus important encore, l’ARS a une grande latitude pour déterminer quelles informations sont suffisamment importantes pour être transmises à la haute direction. Les renseignements que l’ARS transmet ont un poids considérable dans la détermination des priorités opérationnelles et même stratégiques de l’établissement. L’ARS n’est pas qu’un simple « service de courrier » qui transmet toute l’information qu’il reçoit; il doit évaluer l’information et la traiter de façon à fournir des produits de renseignement utiles à la direction. Il est vrai que le pouvoir de la décision finale revient au directeur et au sous-directeur, mais l’ARS joue un rôle important dans la prise de ces décisions et il a la responsabilité de porter des jugements critiques et complexes qui peuvent avoir des répercussions significatives sur la sécurité de l’établissement.

III. Résumés pour la défenderesse

A. Argumentation de la défenderesse

59 La défenderesse a reconnu le fait qu’un ARS est responsable de la collecte, de la protection et de l’analyse de renseignements indispensables à la sécurité de l’établissement, et que le demandeur est en droit de s’attendre à ce que l’ARS respecte des normes de qualité supérieure en matière de jugement, de pouvoir discrétionnaire, d’honnêteté et de fiabilité. Elle a soutenu cependant que le demandeur n’est pas parvenu à démontrer que ses attentes envers l’ARS à ces égards étaient qualitativement différentes des attentes fixées pour ses autres employés. Bien qu’une erreur de la part d’un ARS peut avoir de graves répercussions, on peut dire qu’il en est de même pour tous les employés du demandeur.

60 La défenderesse ajoute que la présente demande n’est pas sans soulever des difficultés et qu’il n’est pas facile, au final, de décider si le poste doit ou non être exclu en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP. Étant donné l’ampleur du doute soulevé, elle croit que la CRTFP devrait pencher pour l’inclusion du poste plutôt que pour son exclusion. Elle a mentionné Andres et Webb, dans laquelle l’ancienne Commission a stipulé que le droit d’appartenance à une unité de négociation ne devrait être retiré qu’en cas de nécessité et que le demandeur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour réduire au minimum le nombre d’employés exclus. Elle a cité, à titre d’exemple de la possibilité de réaménager des tâches pour éviter l’exclusion d’un poste, le fait que depuis que les ARS font partie de l’unité de négociation, on ne leur a pas demandé de réaliser d’évaluations du risque concernant d’autres employés en vue de permettre leur entrée dans les établissements.

61 S’il est vrai que l’ARS assiste à des réunions avec des gestionnaires afin de leur fournir des renseignements et des recommandations, ces aspects de son travail ne justifient pas son exclusion. L’ARS ne prend aucune décision finale, et si ses recommandations sont souvent retenues, on ne peut qu’enconclure que les renseignements qu’il fournit sont avisés et fiables. Il est évident, selon les preuves présentées, que l’ARS doit rapporter toute faute commise par un autre employé, ce qui peut le mener à se trouver en position délicate, mais tous les employés du demandeur sont dans la même situation, puisqu’ils sont tenus, eux aussi, de rapporter les écarts de conduite de leurs collègues.

62 La défenderesse s’est penchée sur l’argument du demandeur selon lequel l’inclusion du poste d’ARS dans l’unité de négociation entraînerait de graves difficultés en cas de conflit de travail en se rapportant au témoignage de M. Solar, qui a affirmé que le demandeur et l’agent négociateur se sont entendus avec succès, au besoin, sur la question des services essentiels. Elle a affirmé que le demandeur pouvait compter sur ce processus pour s’assurer qu’il aura accès aux produits de renseignement dont il a besoin en cas de grève.

63 La défenderesse a réfuté aussi l’affirmation selon laquelle la place donnée à l’ARS dans les organigrammes prouve qu’il devrait être considéré comme faisant partie de l’équipe de direction. Elle a soutenu plutôt que les organigrammes indiquent clairement que l’ARS ne détient aucun pouvoir hiérarchique au niveau de la direction et qu’ils ne révèlent rien de plus que le fait que l’ARS sera plus souvent appelé à être en lien avec le directeur et le sous-directeur de l’établissement qu’avec d’autres décideurs.

IV. Réplique du demandeur

64 L’avocat du demandeur a reconnu que le retrait de la représentation de l’agent négociateur pouvait être lourd de conséquences et a précisé que le demandeur ne s’attendrait pas à ce qu’une demande en ce sens soit accueillie en l’absence de motif valable. Il a fait valoir que, en l’espèce, il y avait une tension entre les fonctions de l’ARS et son inclusion dans l’unité de négociation et que le témoignage sur la façon de gérer les renseignements sur d’autres membres du personnel indiquait que l’ARS pouvait se sentir « coincé ». Le témoignage décrivant comment un ARS évalue les renseignements et les structures avant de les transmettre au directeur d’établissement et au sous-directeur illustre le fait que l’ARS a pour rôle de filtrer l’information et que la haute direction ne pourrait prendre de décisions éclairées sans son jugement et son travail de synthèse.

V. Motifs

65 Les parties ont convenu que la question de déterminer si le poste d’ARS devait être exclu de l’unité de négociation n’était pas facile à trancher. Les cas les plus typiques pour lesquels l’exclusion est demandée correspondent aux situations décrites aux alinéas 59(1)a) à f) et h) de la LRTFP, à savoir, si un employé a un pouvoir de direction, si le travail d’un employé a des incidences sur les conditions d’emploi des autres membres du personnel ou sur les relations de travail entre le demandeur et l’agent négociateur ou si un employé occupe un poste de confiance relié à la gestion des conflits en matière de relations de travail.

66 À l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP,la CRTFP est invitée à considérer les cas des employés dont les fonctions ne correspondent à aucune des catégories mentionnées dans les autres alinéas et à décider si, en dépit de l’absence des motifs d’exclusion les plus courants, l’employé devrait être exclu « […] pour des raisons de conflits d’intérêts ou en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Le demandeur souhaite faire exclure le poste d’ARS sur la base de l’un ou l’autre de ces motifs ou des deux.

67 Comme l’avocat du demandeur l’a reconnu lorsqu’il m’a soumis un grand nombre de décisions interprétant des variantes de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP, apparues successivement dans la législation, ces décisions fournissent peu d’indications quant aux critères à utiliser pour déterminer si un poste relève de cet alinéa.

68 L’emploi de « conflit d’intérêts » à l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP est quelque peu ambigu. Le raisonnement souvent présenté dans la jurisprudence pour justifier l’exclusion d’un employé aux motifs qu’il exerce « des attributions de gestion à l’égard de fonctionnaires » (alinéa 59(1)e)), qu’il « […] participe directement aux négociations collectives pour le compte de l’employeur […] » (alinéa 59(1)f)) ou qu’il dispense « […] des avis sur les relations de travail, la dotation en personnel ou la classification […] » (alinéa 59(1)c)) est que ces fonctions créent un conflit entre les obligations associées au poste d’un employé et le statut de ce dernier à titre de membre d’une unité de négociation.

69 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP est une disposition générique qui semble destinée à englober les situations pour lesquelles exclure un employé peut être justifié par un motif, parmi un large éventail, qui ne figure pas dans les descriptions plus précises des autres alinéas. Le terme « conflit d’intérêts » peut signifier soit que le conflit doit être constaté en examinant les fonctions et les obligations dont s’acquitte l’employé de façon générale (plutôt qu’en se référant à l’exercice précis de tout pouvoir de direction ou de décision ou d’une fonction reliée aux relations de travail) ou que la caractéristique particulière du poste qui donne lieu au conflit d’intérêts n’est pas visée par les autres alinéas parce qu’il est impossible de prévoir tous les cas où un conflit peut survenir au moment de rédiger une loi.

70 Le deuxième motif d’exclusion du poste d’un titulaire en vertu de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP — « […] ses fonctions auprès de l’employeur […] » — est encore moins limitatif. Cette description confère à la CRTFP un pouvoir discrétionnaire très large pour exclure un employé sur la base d’aspects de ses fonctions et de ses responsabilités et pour demander aux arbitres de grief de considérer avec soin, en vertu de cet alinéa, les relations globales entre le poste et les intérêts du demandeur. Dans ce contexte, il n’est peut-être pas surprenant que la jurisprudence ne soit pas parvenue à articuler un ensemble de critères clairs pour l’application de cette disposition. Dans Gestrin et Sunga, l’ancienne Commission avait émis l’hypothèse que l’ancienne version de cette disposition devait exiger que l’on détermine si un employé faisait partie de l’équipe de gestion. Dans des cas ultérieurs, comme Andres et Webb, on avait conclu que le concept d’équipe de gestion ne pouvait rendre compte de tous les conflits d’intérêts pouvant justifier l’exclusion en vertu de cette disposition et que les arbitres de grief devraient examiner la question de manière plus générale. Bien que les décisions qui m’ont été soumises traitent souvent des concepts d’« équipe de gestion » et de « conflit d’intérêts », qui sont considérés comme étant étroitement reliés et comme faisant partie d’une approche globale pour évaluer un poste, elles apportent peu d’éclaircissements en matière de définition ou de critères pour effectuer une telle évaluation. À dire vrai, puisque cette disposition semble avoir été conçue pour servir de clause passe-partout conférant à la CRTFP un champ d’application étendu pour considérer l’exclusion de postes peu communs et qui ne peuvent être prévus, on ne devrait pas attendre de la CRTFP qu’elle entrave son pouvoir discrétionnaire en tentant de fournir une définition plus restrictive de sa tâche.

71 À de nombreuses occasions, les arbitres de grief ont conseillé la prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si un poste devrait être exclu d’une unité de négociation. La perte de la protection de l’agent négociateur et des bénéfices découlant d’une convention collective peut avoir des répercussions importantes sur un employé. Ces avantages ne devraient pas être retirés inconsidérément.

72 D’un autre côté, dans certaines circonstances, inclure un employé dans une unité de négociation peut compromettre l’efficacité de cet employé dans l’exercice de fonctions essentielles pour le demandeur. Il ressort de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP que les raisons permettant de conclure à l’existence de ce risque peuvent comprendre des facteurs qui ne sont pas pris en compte d’ordinaire. S’il est conclu qu’il y a une incompatibilité fondamentale entre les fonctions d’un employé et son inclusion dans une unité de négociation, le poste de l’employé peut légitimement être exclu.

73 La preuve sur les fonctions associées au poste d’ARS, plus particulièrement les descriptions détaillées de M. van der Hoek et de M. Cossette de leurs expériences de pratique du métier, illustre clairement que bon nombre des caractéristiques correspondant généralement au profil d’un poste exclu ne sont pas présentes en l’espèce. Un ARS supervise peu les autres employés et n’a pas le pouvoir de prendre des décisions de gestion définitives. Bien que certains aspects de leur travail de collecte d’information peuvent les amener à porter leur attention sur des renseignements qui, au bout du compte, influent sur les décisions relatives à la discipline ou aux conditions d’emploi d’autres employés, ils ne participent pas directement à ces décisions.

74 Bien que les indicateurs généralement invoqués pour justifier l’exclusion ne sont pas présents en l’espèce, les parties ont convenu que l’ARS joue un rôle unique et essentiel au sein d’un établissement ou d’un bureau de district. L’ARS collecte et recherche des renseignements, évalue leur crédibilité et leurs implications, leur attribue un niveau de priorité et formule des recommandations sur les mesures à prendre pour contrer les menaces qu’il décrit. Mettre au point des produits de renseignement et des stratégies fiables pour atténuer les risques constitue une contribution importante pour une opération.

75 Les descriptions données par M. van der Hoek et M. Cossette du rôle de l’ARS diffèrent quelque peu. M. van der Hoek le décrit comme un employé qui jouit de la confiance absolue du directeur d’établissement et du sous-directeur, qui prend pleinement part à la prise de décisions sur les étapes à suivre en ce qui a trait aux questions de sécurité et dont les conseils ne sont pratiquement jamais ignorés ni contestés. Pour sa part, M. Cossette avait un peu plus de réserve quant au pouvoir de l’ARS de faire des évaluations définitives. Même s’il n’a pas nié que l’ARS était appelé à exercer ses compétences en matière de compilation et de classement de renseignements par ordre de priorité, selon la description donnée par M. Cossette, l’ARS ne participe pas tout à fait à la prise de décision. Il se voit davantage comme un fournisseur de renseignements — de renseignements important, certes — que comme un membre de l’équipe chargée de prendre les décisions. L’avocat du demandeur a laissé entendre que cette différence entre les témoignages de M. van der Hoek et de M. Cossette soulevait des doutes quant à la crédibilité de la preuve apportée par M. Cossette. J’ai conclu que les témoignages respectifs des deux hommes ne suscitaient en rien de tels doutes. J’estime qu’ils ont exprimé de bonne foi leur point de vue sur le rôle de l’ARS et que toute différence dans leurs témoignages reflète le fait qu’il est difficile, de par la nature de ce poste, de caractériser son statut dans un établissement.

76 L’alinéa 59(1)g) de la LRTFP m’accorde un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer si un poste devrait être exclu. Bien entendu, je ne peux tout bonnement retirer le poste de l’unité de négociation sans justification. Je partage l’avis de l’avocat du demandeur à savoir que la jurisprudence invoquant cet alinéa ou les dispositions qui l’ont précédé n’a pas apporté de définition claire de l’éventail de circonstances dans lesquelles il peut s’appliquer. Le but manifeste de cet alinéa est de permettre à la CRTFP de prendre en compte des situations qui ne correspondent à aucune des justifications habituelles pour exclure un poste d’une unité de négociation. Par conséquent, il n’est pas surprenant qu’aucune description précise des circonstances visées par cet alinéa n’ait été produite. Normalement, le recours à cette disposition législative devrait être restreint, et elle ne devrait être jugée applicable que dans des situations inhabituelles.

77 J’ai conclu que la situation présentée dans l’affaire qui nous occupe commandait l’application de l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP. Bien que les caractéristiques justifiant habituellement l’exclusion — l’exercice de fonctions de direction, le pouvoir décisionnel étendu et la participation aux dossiers relatifs aux relations de travail — ne sont pas associées au poste d’ARS, il apparaît évident, même dans la description présentée par M. Cossette, que les fonctions de l’ARS sont fortement liées au processus de prise de décisions en matière de sécurité aux échelons supérieurs de l’établissement. En dépit des efforts déployés par le représentant de l’agent négociateur pour montrer que les responsabilités de l’ARS de transmettre des renseignements et d’être à l’affut des menaces pour la sécurité ne diffèrent pas de façon marquée de celles de tous les employés, il est clair que l’ARS occupe un rôle unique. L’ARS n’est pas qu’un simple agent de transmission de renseignements aléatoires sur les risques, il est chargé d’apprécier la valeur de ces renseignements et de les structurer de manière à ce que la haute direction de l’établissement puisse les utiliser en toute confiance. Un ARS a la lourde responsabilité de s’assurer que les produits de renseignement fournis sont fondés sur une appréciation et un classement de priorités corrects, que toutes les recommandations représentent une évaluation fiable de la nature et de l’ampleur d’une menace et que la haute direction peut prendre avec confiance les décisions qui s’imposent. Ces décisions doivent souvent être prises dans des conditions difficiles où le facteur temps importe, et il est primordial que les gestionnaires et l’ARS aient une relation de confiance mutuelle.

78 Je suis consciente des mises en garde formulées dans un certain nombre de décisions antérieures auxquelles on m’a renvoyée, selon lesquelles les droits d’un employé à la représentation collective ne devraient pas être retirés inconsidérément. En prenant cette décision, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’accepter les spéculations de l’avocat du demandeur à l’appui de son argumentation au sujet des difficultés qu’un ARS peut rencontrer dans le contexte d’un conflit de travail, sur un piquet de grève ou à titre de titulaire d’un poste d’élu au sein de l’agent négociateur. Il y a de nombreuses circonstances dans lesquelles le statut d’un employé ayant accès à des renseignements importants doit être rééquilibré en faveur de la poursuite de son appartenance à une unité de négociation. Un employeur devrait alors accepter de subir un certain nombre d’inconvénients. Toutefois, dans le présent cas, il est crucial que la haute direction d’un établissement correctionnel puisse accéder en tout temps à l’aide que seul l’ARS peut fournir. Elle doit être en mesure de discuter de renseignements de nature délicate et d’analyser des options opérationnelles dans une atmosphère de confiance absolue. À mon avis, cette situation créée une incompatibilité fondamentale entre le rôle de l’ARS et son appartenance à une unité de négociation.

79 L’emploi du mot « ou » à l’alinéa 59(1)g) de la LRTFP donne à penser qu’il y a une distinction entre les circonstances qui seraient considérées comme donnant lieu à un conflit d’intérêts et celles qui justifieraient l’exclusion du poste d’un titulaire « […] en raison de ses fonctions auprès de l’employeur […] ». Il est plutôt difficile d’analyser le genre d’incompatibilité que je perçois entre les fonctions de l’ARS et son appartenance à l’unité de négociation sans la qualifier de conflit d’intérêts, mais je pense que le poste d’ARS pourrait être exclu en vertu de l’une ou l’autre de ces descriptions. Si le poste d’ARS était inclus, la relation de confiance privilégiée entre l’ARS et la haute direction de l’établissement entrerait en conflit avec les obligations de l’ARS envers les autres membres de l’unité de négociation. Justifier l’exclusion sur la base plus générale des « […] fonctions auprès de l’employeur » peut être une autre façon de dire la même chose en l’espèce, quoique je ne souhaite pas exclure la prise en compte des circonstances dans lesquelles le motif relatif aux « fonctions » n’est pas associé à un conflit d’intérêts.

80 Pour ces motifs, la CRTFP rend l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

81 La demande est accueillie, et j’ordonne que le poste d’agent du renseignement de sécurité au Centre psychiatrique régional de Saskatoon, en Saskatchewan, soit exclu de l’unité de négociation du groupe Services des programmes et de l’administration.

Le 10 avril 2012.

Traduction de la CRTFP

Beth Bilson,
commissaire

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