Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Un négociateur de l’agent négociateur a demandé l’accès aux lieux de travail en dehors des heures de travail pour rencontrer les employés faisant partie de l’unité de négociation pour discuter d’enjeux relatifs à la négociation collective - l’employeur leur a refusé l’accès à cette fin - la Commission a conclu que la convention collective n’est pas un code complet régissant l’accès aux locaux de l’employeur - la discrétion de l’employeur de refuser à l’agent négociateur l’utilisation de ses installations à des fins autres que celles prévues dans la convention collective ne doit pas être absolue - l’employeur n’avait pas de motifs impérieux et justifiables liés au service pour empêcher une activité légitime de l’agent négociateur dans le lieu de travail - le refus de l’employeur était contraire à la Loi, particulièrement lorsqu’on tient compte des objectifs législatifs précisés explicitement dans son préambule. Plainte accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-05-11
  • Dossier:  561-02-498
  • Référence:  2012 CRTFP 58

Devant une formation de la
Commission des relations de
travail dans la fonction publique


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

plaignante

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

défendeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant une plainte visée à l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, commissaire

Pour la plaignante:
Shannon Blatt, avocate

Pour la défenderesse:
Christine Diguer, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 21 et 22 novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1 Le 2 février 2011, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») a déposé une plainte contre le Conseil du Trésor (l’« employeur ») auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique en vertu de l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). L’agent négociateur a allégué que l’employeur avait commis une pratique déloyale de travail, violant ainsi l’article 185 de la Loi. Plus précisément, l’agent négociateur a soutenu que l’employeur avait violé les alinéas 186(1)a) et b) en refusant de laisser un de ses négociateurs entrer sur les lieux de travail de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« ASFC ») pour rencontrer des employés faisant partie de l’unité de négociation du groupe Services frontaliers (l’« unité de négociation ») dans le but de discuter de questions de négociation. Les alinéas 186(1)a) et b) prévoient ce qui suit :

186. (1) Il est interdit à l’employeur et au titulaire d’un poste de direction ou de confiance, qu’il agisse ou non pour le compte de l’employeur :

  1. de participer à la formation ou à l’administration d’une organisation syndicale ou d’intervenir dans l’une ou l’autre ou dans la représentation des fonctionnaires par celle-ci;
  2. de faire des distinctions illicites à l’égard de toute organisation syndicale.

2 À l’audience, l’agent négociateur a également allégué que l’employeur n’avait pas tenu compte l’article 5 de la Loi lorsqu’il a refusé de laisser entrer le négociateur de l’agent négociateur. L’article 5 est libellé comme suit :

5. Le fonctionnaire est libre d’adhérer à l’organisation syndicale de son choix et de participer à toute activité licite de celle-ci.

3 L’employeur a réfuté les allégations de l’agent négociateur, et il a affirmé qu’à tout moment ses gestes étaient conformes à la clause 12.03 de la convention collective de l’unité de négociation (la « convention collective »), selon laquelle :

12.03 Il peut être permis à un représentant dûment accrédité de l'Alliance de se rendre dans les locaux de l'Employeur, y compris les navires, pour aider à régler une plainte ou un grief, ou pour assister à une réunion convoquée par la direction […]

II. Résumé de la preuve

4 Deux témoins ont été assignés et un total de sept documents ont été présentés à titre de preuve. L’agent négociateur a cité comme témoin Morgan Gay, et l’employeur a cité comme témoin Camille Therriault‑Power.

5 M. Gay est négociateur national auprès de l’agent négociateur depuis 2006. Il agit à titre de porte‑parole principal de l’agent négociateur pour les questions de négociation collective; il est responsable de plusieurs unités de négociation, y compris celle dont il est question dans cette affaire. Il a indiqué que pour être en mesure de représenter comme il se doit les employés de l’unité de négociation à la table de négociation, il devait les rencontrer afin de bien comprendre les problèmes en milieu de travail auxquels les employés étaient régulièrement confrontés, d’informer les employés des discussions et des développements en matière de négociation, et de se familiariser avec les activités de l’ASFC.

6 Selon M. Gay, l’unité de négociation comptait environ 10 000 membres quand il est arrivé en 2006; 70 % de ces membres étaient des agents des services frontaliers.

7 Vers la fin de l’été 2010, l’agent négociateur et l’employeur ont entamé un processus préparatoire aux négociations contractuelles afin de conclure de nouvelles conventions collectives qui entreraient en vigueur à l’expiration de leurs conventions actuelles. Selon M. Gay, ces discussions avaient été lancées à la demande de l’employeur en prévision des gels attendus du budget opérationnel par le gouvernement du Canada. La convention collective venait à échéance le 20 juin 2011.

8 Bien que de nouvelles conventions collectives aient été signées pour certaines unités de négociation, aucune n’a été conclue pour le groupe Services frontaliers. On a repris le processus de négociation normal en avril 2011. L’agent négociateur et l’employeur étaient encore en négociation lorsque cette affaire a été entendue.

9 Peu après l’échec des négociations préparatoires, en 2010, M. Gay a essayé de rencontrer les employés faisant partie de l’unité de négociation à leur lieu de travail, et ce, en dehors de leurs heures de travail. M Gay voulait discuter avec les employés directement au sujet de leurs demandes et de leurs priorités de négociation et pour comprendre le mieux possible les principaux problèmes opérationnels issus de leur milieu de travail. M. Gay est d’avis que cet objectif ne pouvait qu’être profitable au processus de négociation collective.

10 Cependant, à l’automne 2010, des représentants de l’agent négociateur qui tentaient d’organiser des visites sur place au nom de M. Gay ont été informés par l’ASFC que ce dernier n’aurait plus accès au milieu de travail pour discuter avec les employés de questions liées aux négociations. Seules les discussions concernant des sujets non liés aux négociations collectives seraient dorénavant autorisées. Puisque, de toute évidence, l’objectif de M. Gay était de discuter de questions liées aux négociations collectives avec les employés de l’unité de négociation, on lui a refusé l’accès. D’autres demandes de visite, soit à Windsor, en Ontario, et à divers endroits en Saskatchewan, ont également été rejetées.

11 Le 6 décembre 2010, Ron Moran, président national du Syndicat des douanes et de l’immigration, une des composantes de l’agent négociateur, a écrit à Luc Portelance, président de l’ASFC, dans le but de régler le problème d’accès. Mme Therriault‑Power, vice‑présidente des ressources humaines à l’ASFC, n’a pas tardé à répondre à M. Moran. Elle a indiqué que la décision de l’ASFC d’autoriser l’accès seulement s’il n’y avait pas de discussions liées aux négociations collectives était conforme à l’article 12 de la convention collective : « Utilisation des locaux de l’employeur ».

12 M. Gay a indiqué que la position de l’ASFC en octobre 2010 allait à l’encontre de la pratique établie qui lui avait permis dans le passé de rencontrer les employés de l’unité de négociation sans restriction. Il a expliqué que, entre 2007 et l’été 2010, il avait visité plus de 40 lieux de travail de l’ASFC et avait pu rencontrer les employés de l’unité de négociation pour discuter avec eux des problèmes liés au milieu de travail, répondre à leurs questions et observer les divers types d’activités. En aucun temps, on ne lui a refusé l’accès ou interdit de parler avec les employés de questions se rapportant aux négociations collectives. Il a d’ailleurs confirmé avoir eu des discussions avec les employés, en l’absence de membres de l’équipe de direction, sur les négociations collectives. M. Gay a précisé que, dans tous les cas, le chef des opérations concerné était au courant de sa présence et avait donné son accord. Il a ajouté que la direction de l’ASFC ne lui a donné aucune explication ou justification pour ce changement de position soudain. Il a eu le sentiment que ce geste était une mesure de représailles, car il est survenu peu après l’échec des négociations préparatoires. Pendant le contre‑interrogatoire, M. Gay a admis qu’il ne savait pas si sa permission d’accès antérieure provenait d’une entente officielle conclue entre l’administration centrale de l’ASFC et l’agent négociateur.

13 M. Gay a indiqué qu’on lui avait refusé l’accès une première fois le 13 octobre 2010. Il avait demandé l’accès aux bureaux de l’ASFC à Windsor (Ontario), ainsi qu’à une salle où rencontrer les employés de l’unité de négociation et discuter avec eux. L’agent des relations de travail de l’ASFC de l’époque avait répondu que M. Gay ne serait autorisé à entrer sur les lieux de travail que s’il pouvait fournir l’assurance que les discussions ne porteraient pas sur les négociations collectives ou sur des questions qui pourraient être soulevées par les employés lors de la prochaine ronde de négociation. Le deuxième refus est survenu le 29 octobre 2010. Une demande d’accès semblable avait été présentée pour quatre lieux de travail différents en Saskatchewan. Le chef des opérations du district de la Saskatchewan de l’ASFC a donné essentiellement la même raison que celle qui avait été donnée pour la demande de visite à Windsor. Pendant le contre‑interrogatoire, M. Gay a admis qu’il ignorait si l’administration centrale de l’ASFC avait été consultée au sujet de ces deux refus.

14 M. Gay a déclaré que les refus avaient entraîné des conséquences fâcheuses pour l’agent négociateur. Il a expliqué que l’unité de négociation était aux prises avec de nombreux problèmes opérationnels uniques et compliqués. Par exemple, l’horaire est établi d’une certaine manière à l’aéroport de Regina et de façon complètement différente à Windsor et à plusieurs autres endroits. M. Gay a ajouté que les refus de l’ASFC l’ont empêché d’avoir la rétroaction dont il avait besoin de la part des membres de l’unité de négociation et ont compromis sérieusement sa capacité de comprendre les nuances relatives aux problèmes afférents à chaque lieu de travail, ce qui, en retour, a nui au processus de négociation collective.

15 Enfin, M. Gay a déclaré qu’il sentait que certains des sujets de discussions qu’il pouvait aborder avec les membres de l’unité de négociations durant ses visites étaient censurés et qu’il ne savait pas si une mesure de censure avait été imposée à d’autres organisations qui avaient déjà bénéficié d’une autorisation d’accès aux lieux de l’ASFC, comme Weight Watchers, la Société canadienne du sang et Centraide.

16 Mme Therriault‑Power s’est jointe à l’ASFC en mai 2009. Elle a déclaré ne pas avoir été consultée au sujet des deux demandes d’accès qui ont été rejetées en octobre 2010 et qu’on ne l’avait pas informée immédiatement de ces refus. Selon elle, la question a été portée à son attention pour la première fois à la fin du mois d’octobre 2010. Je note que le refus pour la Saskatchewan a été communiqué à l’agent négociateur le 29 octobre 2010. Mme Therriault-Power a ajouté que, lorsque le directeur général des relations de travail de l’ASFC l’a consultée au sujet de la question de l’accès, elle était d’accord avec les refus, puisque la façon dont M. Gay proposait d’utiliser les locaux n’était pas conforme à l’article 12 de la convention collective. Cet énoncé est confirmé dans un échange de courriels entre Mme Therriault-Power et le directeur général en question, qui a eu lieu entre le 29 octobre et le 1er novembre 2010. L’échange de courriels confirme également que le rejet des demandes d’accès par les gestionnaires locaux de l’ASFC s’appuyait sur une directive provenant du service de l’administration centrale des ressources humaines de l’ASFC. Aucun nom n’a été mentionné.

17 Au début du mois de décembre 2010, on a demandé à Mme Therriault-Power de répondre à la lettre de M. Moran, laquelle alléguait que le rejet des demandes d’accès de l’ASFC portait atteinte à l’administration d’une organisation syndicale et à la représentation des employés, et représentait un acte de discrimination à l’endroit d’une organisation syndicale, ce qui allait à l’encontre de l’article 186 de la Loi. Dans sa réponse, Mme Therriault-Power a réfuté la violation alléguée et a répété qu’elle appuyait la décision de rejeter les demandes d’accès. Selon elle, la décision était conforme aux directives de la convention collective sur l’utilisation des locaux de l’employeur.

18 Selon Mme Therriault-Power, il n’y a que l’article 12 de la convention collective qui porte sur l’utilisation des locaux de l’employeur; aucune autre politique ou directive n’existe à ce sujet. Cette disposition établit clairement les conditions à respecter pour obtenir l’accès. Mme Therriault-Power a ajouté qu’il était possible d’autoriser un négociateur de l’agent négociateur à visiter les lieux de travail et à observer les opérations de l’ASFC, mais que, selon l’article 12, il n’était pas permis de donner accès au lieu de travail pour discuter avec les membres de l’unité de négociation à propos des questions liées aux négociations collectives.

19 Mme Therriault-Power a déclaré qu’elle n’était pas au courant des visites antérieures de M. Gay aux bureaux de l’ASFC pour rencontrer les membres de l’unité de négociation et discuter de questions autres que celles énoncées dans la convention collective. Elle a ajouté que l’utilisation des locaux de l’employeur avait fait l’objet de discussions animées à la table de négociation, et que l’agent négociateur essayait de négocier un droit d’accès élargi, ce qui, selon elle, était la bonne marche à suivre. Elle a cité la proposition de modification de la clause 12.03 de la convention collective déposée par l’agent négociateur (pièce 6). Cette proposition était publiée sur le site Web de l’agent négociateur :

[Traduction]

12.03 Un représentant dûment accrédité de l’Alliance peut avoir accès aux locaux de l’Employeur pour aider à régler une plainte ou un grief, assister à une réunion avec la direction, assister à une réunion avec les membres ou participer à une assemblée générale du syndicat. Dans la mesure du possible, un avis d’une (1) journée est donné à l’employeur pour lui faire part de l’objet et de la date de la réunion et du nom du représentant.

[Je souligne]

Cette proposition (pièce 6) a été déposée sur consentement au cours du contre‑interrogatoire de M. Gay. Elle n’a pas été déposée en tant que preuve extrinsèque, et je ne l’ai pas considérée comme telle.

20 Lors de son témoignage, M. Gay a admis que la proposition de modification de la clause 12.03 de la convention collective (pièce 6) visait à étendre la portée de la disposition actuelle sur l’accès. Il a toutefois ajouté que la proposition avait simplement été élaborée pour s’assurer que la convention collective accorde aux agents négociateurs les mêmes droits que ceux déjà établis aux articles 5 et 186 de la Loi.

21 Pendant le contre‑interrogatoire, Mme Therriault-Power a admis que les discussions que M. Gay voulait avoir avec les membres de l’unité de négociation étaient licites, qu’elle ne voyait pas quelles répercussions négatives pouvaient avoir ces discussions sur les opérations et qu’elle n’était au courant d’aucune plainte transmise relativement à de telles discussions par le passé. De plus, elle a admis que le fait d’autoriser M. Gay à visiter les lieux de travail permettrait à ce dernier de mieux comprendre les enjeux et pourrait être profitable au processus de négociation collective.

22 Mme Therriault-Power a également confirmé que la réponse à la plainte qui a été déposée auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, le 18 février 2011, énonçait la position officielle de l’employeur concernant le problème en question. L’essentiel de cette position est résumé dans le passage suivant de la réponse :

[Traduction]

[…]

Les défendeurs soutiennent respectueusement qu’ils se sont pliés aux dispositions négociées et que la plaignante emploie cette plainte uniquement pour étendre la portée de ce qui a été expressément convenu dans la convention collective. Puisque ni la LRTFP ni la convention collective ne contiennent de dispositions qui créent une obligation pour l’employeur de permettre l’utilisation de ses locaux pour les fins mentionnées par la plaignante, les défendeurs demandent respectueusement à la Commission d’exercer les pouvoirs que lui confère le paragraphe 40(2) et de rejeter cette plainte, qu’ils jugent frivole et vexatoire.

[…]

23 En contre‑interrogatoire, Mme Therriault-Power a également admis qu’elle n’avait pas lu ni cité l’article 5 de la Loi quand on lui a demandé de répondre à la lettre de M. Moran en décembre 2010, mais elle a indiqué qu’elle faisait toujours de son mieux en vue de se conformer à la Loi.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’agent négociateur

24 L’agent négociateur a soutenu que les refus d’accès d’octobre 2010 provenaient de l’administration centrale de l’ASFC et n’étaient pas le fait de quelques gestionnaires régionaux sans scrupule. Quoi qu’il en soit, la position adoptée par ces gestionnaires régionaux a été tolérée par l’administration centrale de l’ASFC, comme en témoignent la lettre du 10 décembre 2010 de Mme Therriault­Power et la réponse de l’employeur à la plainte.

25 Selon l’agent négociateur, la position de l’employeur est illégitime et n’est appuyée par aucune justification valable. La capacité de l’agent négociateur de rencontrer les employés faisant partie de l’unité de négociation et de discuter avec eux de questions relevant de la négociation collective est essentielle. Sans cette capacité, il ne peut convenablement administrer l’organisation syndicale ni représenter les employés faisant partie de l’unité de négociation. L’agent négociateur a prétendu que par ses actions, l’employeur avait manifestement tenté d’entraver cette capacité, contrevenant ainsi à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, et d’empêcher les employés faisant partie de l’unité de négociation de participer à une activité, contrevenant ainsi à l’article 5 de la Loi.

26 L’agent négociateur a fait valoir que la clause 12.03 de la convention collective ne devait pas être considérée comme un code régissant complètement l’accès de l’agent négociateur aux établissements de l’employeur et qu’il fallait tenir compte de la Loi, plus particulièrement des articles 5 et 186. Selon lui, ce n’est pas parce que les droits fondamentaux conférés par la Loi ne font pas partie de la convention collective qu’ils devraient être retirés à l’agent négociateur et aux employés qu’il représente. À l’appui de cet argument, l’agent négociateur m’a renvoyé à Quan c. Canada (Conseil du Trésor), [1990] 2 C.F. 191 (C.A.), où il avait été conclu, à la page 195, que l’interprétation d’une disposition de la convention collective impliquait « […] la recherche de l’intention des parties dans le contexte dans lequel se pose la question d’interprétation. Cette approche conduit nécessairement à la considération de l’effet du libellé de l’article 6 [devenu l’article 5] ».

27 De l’avis de l’agent négociateur, l’employeur a omis de prendre dûment en compte l’effet du libellé de l’article 5 de la Loi en refusant l’accès à M. Gay. Cette observation a été confirmée lors du témoignage de Mme Therriault‑Power.

28 L’agent négociateur a également affirmé que le libellé de l’alinéa 186(1)a) de la Loi « administration d’une organisation syndicale » renvoie à un concept large et inclusif, qui englobe toutes les affaires internes d’un syndicat. Pour étayer cet argument, l’agent négociateur m’a renvoyé à la partie VIII des motifs énoncés dans National Association of Broadcast Employees and Technicians – CLC v. CFTO‑TV LimitedCFTO‑TV Limited »), 97 di 35 (C.L.R.B.), qui traite de l’accès d’un syndicat aux locaux de l’employeur. Il m’a aussi renvoyé à l’alinéa 94(1)a) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2 (le « Code »), qui est pratiquement identique à l’alinéa 186(1)a) de la Loi. L’agent négociateur se fonde sur CFTO‑TV Limited pour mentionner que lorsqu’il s’agit de permettre l’accès aux locaux d’un employeur, on doit concilier les préoccupations administratives légitimes propres à l’employeur avec les droits légitimes de l’agent négociateur prévus par la loi, plutôt que de se fonder strictement sur des droits de propriété.

29 L’agent négociateur a soutenu que, par ses actions, l’employeur avait sérieusement nui à la capacité de M. Gay d’acquérir une appréciation précieuse des problèmes liés au milieu de travail et, de ce fait, avait nui à la représentation des employés faisant partie d’une organisation syndicale, contrevenant ainsi à l’alinéa 186(1)a) de la Loi.

30 L’agent négociateur a ajouté qu’étant donné qu’aucune préoccupation administrative ou opérationnelle n’avait été invoquée par l’employeur pour justifier ses refus d’accès, il pouvait raisonnablement déduire que les actions posées par l’employeur avaient été motivées par un sentiment antisyndical, qui découlait de l’échec des négociations préparatoires à la signature d’une convention collective, en 2010. Selon l’agent négociateur, cette déduction s’impose, étant donné le choix du moment où l’ASFC a changé sa position, soit peu de temps après l’échec des négociations de 2010, et du fait qu’une telle approche nuisait au processus de négociation collective dans son ensemble. Même si l’agent négociateur a affirmé qu’il était bien établi en droit que les actions de l’employeur ne devaient pas nécessairement être motivées par un sentiment antisyndical pour constituer une infraction à l’alinéa 186(1)a) de la Loi, comme il a été observé dans CFTO‑TV Limited, il a également soulevé que la preuve supposait la présence d’un sentiment antisyndical, lequel avait entaché la décision de l’ASFC de refuser l’accès de ses locaux à M. Gay.

31 L’agent négociateur m’a aussi renvoyé à Canadian Union of Postal Workers v. Canada Post Corporation, 69 di 91 (C.L.R.B.), dans laquelle on a accepté l’argument voulant que le droit d’un employé de participer aux activités licites de l’organisation syndicale dans les locaux de l’employeur ne doive pas lui être retiré sans raison d’affaires convaincantes et justifiables, à condition que ces activités n’aient pas lieu durant les heures de travail de l’employé concerné. En l’espèce, l’ASFC n’a soulevé aucune raison d’affaires ou opérationnelle convaincante et justifiable à l’appui de sa décision de refuser à M. Gay l’accès à ses locaux. À ce sujet, l’agent négociateur m’a renvoyé à National Association of Broadcast Employees and Technicians v. CFCN‑TV (CFCN Communications Ltd.), 76 di 8 (C.L.R.B.), qui a fourni des exemples de raisons d’affaires convaincantes et justifiables en renvoyant à des activités syndicales qui avaient perturbé la productivité, la discipline, l’ordre ou la sécurité, ou qui allaient à l’encontre d’un intérêt d’affaires convaincant de l’employeur.

32 L’agent négociateur a aussi affirmé que l’employeur avait agi de manière discriminatoire en imposant une censure relativement aux sujets abordés lors des réunions tenues par l’agent négociateur dans ses locaux, alors qu’il n’imposait pas une telle censure à aucune autre des organisations qui se voyaient accorder l’accès aux locaux pour rencontrer les employés afin de discuter d’autres questions, notamment des collectes de fonds et la perte de poids. Cette différence de traitement était indue, injustifiée et contraire à l’alinéa 186(1)b) de la Loi.

33 L’agent négociateur a soutenu que la preuve établissait clairement que les actions de l’employeur avaient nui à l’administration de l’organisation de l’agent négociateur et à la représentation des employés dont il défend les intérêts, en violation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi. Il a également déclaré que le traitement différentiel dont il faisait l’objet, qui consistait à lui imposer une censure à laquelle il ne soumettait aucune autre organisation, était discriminatoire et contraire à l’alinéa 186(1)b) de la Loi.

B. Pour l’employeur

34 L’employeur a soutenu qu’il ne fallait pas tenir compte de l’article 5 de la Loi, puisqu’il est de nature purement déclaratoire et qu’il n’est pas applicable. De plus, cette disposition vise des employés, non des organisations syndicales, et elle ne devrait pas servir de fondement à une plainte déposée par un agent négociateur.

35 L’employeur a aussi affirmé que, bien que l’alinéa 186(1)a) de la Loi interdise d’intervenir dans l’administration d’une organisation syndicale, il ne donne pas de droit d’accès aux locaux de l’employeur. Puisque la Loi n’apporte pas de précision sur l’accès accordé, il revient aux parties de la convention collective de déterminer, au cours des négociations, ce qui sera accordé exactement. Dans le cas présent, l’agent négociateur et l’employeur ont discuté de cette question lors des négociations et ils ont convenu que les représentants de l’agent négociateur auraient accès aux locaux de l’employeur dans seulement trois circonstances : (1) pour aider un employé faisant partie de l’unité de négociation dans le cadre d’un grief; (2) pour aider un employé faisant partie de l’unité de négociation dans le cadre d’une plainte; (3) pour participer à une réunion organisée par la direction. Selon l’employeur, les parties de la convention collective se sont entendues sur ces règles à la table de négociation, et tout accès qui n’est pas explicitement mentionné dans la convention collective est à la discrétion de l’employeur, qui est libre d’administrer ses locaux comme bon lui semble.

36 Le fait que l’agent négociateur a présenté une demande de modification visant à étendre la portée de la clause 12.03 de la convention collective (pièce 6) est, selon l’employeur, une preuve que l’agent négociateur reconnaît que l’utilisation des locaux de l’employeur est une question qui doit être négociée et réglée dans le cadre des négociations.

37 L’employeur a soutenu qu’il ne fallait pas tenir compte de la position prise par les gestionnaires locaux de l’ASFC en lien avec deux cas d’accès refusé en octobre 2010, puisque Mme Therriault-Power n’avait pas été consultée ni même mise au courant de ces refus à l’avance. Il a ajouté que puisque Mme Therriault-Power n’était pas au courant que l’accès avait été accordé par le passé à des représentants de l’agent négociateur pour des motifs autres que ceux prévus par la convention collective, et puisque l’agent négociateur n’avait pas, par le passé, pris l’habitude d’avoir un vaste accès aux locaux de l’ASFC, aucune considération ne devrait être donnée aux visites antérieures de M. Gay dans les locaux de l’ASFC.

38 L’employeur a maintenu qu’aucune preuve convaincante n’avait été produite par l’agent négociateur pour établir que l’employeur affichait un sentiment antisyndical et qu’une telle preuve est requise lors d’une allégation de violation de l’alinéa 186(1)b) de la Loi. Pour appuyer son argument, l’employeur m’a renvoyé à Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et section locale 147 de l’Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux c. Service correctionnel du Canada, 2006 CRTFP 76, aux paragraphes 97 et 98.

39 L’employeur m’a également renvoyé à Merriman et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) c. MacNeil et Justason, 2011 CRTFP 87, pour appuyer l’argument voulant qu’une organisation syndicale n’a normalement pas le droit d’utiliser les biens de l’employeur pour communiquer avec les employés qu’elle représente, à moins que ce droit ait été acquis dans le cadre de négociations collectives. Selon l’employeur, la représentation des employés aux termes de l’alinéa 186(1)a) ne donne pas nécessairement un droit d’accès. Il soutient que l’article 12 de la convention collective constitue un code complet régissant l’accès aux locaux de l’employeur.

40 Enfin, l’employeur a indiqué que je ne suis pas lié par CFTO‑TV Limited, puisque cette affaire portait sur le régime législatif prévu dans le Code, alors que la plainte en cause ici porte sur une violation de la Loi. L’employeur m’a néanmoins invité à prendre en considération les motifs appuyant l’opinion dissidente formulée dans cette affaire.

C. Réplique de l’agent négociateur

41 L’agent négociateur a déclaré qu’il n’allègue pas une violation de l’article 5 de la Loi et qu’il ne fonde pas sa plainte sur cette disposition. Il a ajouté que, bien que les violations alléguées soient liées à l’article 186, il serait bon de tenir compte de l’article 5, conformément à une approche contextuelle.

42 Enfin, l’agent négociateur a indiqué qu’il était facile d’établir une distinction avec Merriman et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) et Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et section locale 147 de l’Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux, et que ces décisions ne s’appliquaient pas aux faits en l’espèce.

IV. Motifs

43 Après avoir examiné et apprécié la preuve ainsi que les arguments des parties, je conclus que l’employeur a violé l’alinéa 186(1)a) de la Loi pour les motifs suivants :

44 Je suis d’accord avec l’employeur que je ne suis pas lié par CFTO‑TV Limited et que cette affaire faisait appel à un régime législatif différent, mais je crois malgré tout qu’il y a des ressemblances entre cette décision et la présente affaire, par exemple le fait que le libellé de l’alinéa 186(1)a) de la Loi est pratiquement identique à celui de l’alinéa 94(1)a) du Code. Je crois également que certains des principes en matière de relations de travail dont il est question dans cette décision devraient être appliqués en l’espèce, particulièrement l’examen de l’équilibre : un employeur ne peut empêcher un agent négociateur de tenir une activité licite dans ses locaux sans raison d’affaires convaincante et justifiable.

45 Je rejette l’argument de la défenderesse que la clause 12.03 de la convention collective est un code complet régissant l’accès aux locaux de l’employeur. J’ai examiné le contexte élargi dans lequel il convient d’interpréter la Loi, particulièrement les objectifs relatifs à l’établissement de relations patronales-syndicales efficaces, aux efforts de collaboration, à l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi, à la résolution crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi, à la représentation par les agents négociateurs des intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, à la participation des agents négociateurs dans la résolution des conflits en milieux de travail, dans l’établissement de relations patronales-syndicales respectueuses et harmonieuses, qui sont établis de façon explicite dans le préambule de la Loi, et je suis d’avis que la représentation des employés, telle que présentée dans la Loi, ne se limite pas à assister au règlement des plaintes et des griefs et à prendre part aux réunions organisées par la direction. L’agent négociateur doit également assumer la responsabilité, tout aussi importante, de présenter les demandes et les positions légitimes des employés à la table de négociation, ce qui ne peut être réalisé que dans le cadre d’un dialogue avec ses membres, ce qui en retour fait ressortir le besoin d’avoir accès aux employés faisant partie de l’unité de négociation. Les représentants des organisations syndicales transmettent les demandes et les positions des employés à l’employeur. Les empêcher de mieux comprendre le contexte des questions qui sont en jeu sans raison d’affaires convaincante et justifiable ne peut que nuire au processus de négociation collective.

46 Dans sa réponse à la plainte, l’employeur a mentionné que, bien qu’il soit indiqué au paragraphe 186(3) de la Loi que le fait de permettre à un agent négociateur d’utiliser les locaux de l’employeur pour les activités d’une organisation syndicale n’est pas une pratique déloyale de travail, aucune disposition de la Loi ne suggère que le contraire serait une pratique déloyale. Même si tel est le cas, je suis conscient du fait que le législateur a pris la peine d’inclure cette disposition dans la Loi, ce qui laisse supposer que cette pratique était et est toujours courante et acceptable. Le paragraphe 186(3) est libellé comme suit :

186.(3) Ne constitue pas une violation de l’alinéa (1)a) le seul fait pour l’employeur ou le titulaire d’un poste de direction ou de confiance de prendre l’une ou l’autre des mesures ci-après en faveur d’une organisation syndicale qui est l’agent négociateur d’une unité de négociation groupant ou comprenant des fonctionnaires travaillant pour lui :

  1. permettre à un fonctionnaire ou représentant syndical de conférer avec l’employeur ou la personne, selon le cas, ou de s’occuper des affaires de l’organisation syndicale pendant les heures de travail, sans retenue sur le salaire ni réduction du temps de travail effectué pour lui;
  2. permettre l’utilisation de ses locaux pour les besoins de l’organisation syndicale.

Le paragraphe 186(3) suggère également qu’une telle pratique est une réalité qui peut avoir lieu même si la convention collective ne contient aucune disposition l’autorisant. Autrement, il n’y aurait pas lieu d’utiliser le paragraphe 186(3) pour sanctionner cette pratique, car elle serait déjà autorisée dans la convention collective.

47 De nombreuses décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique et de la Cour d’appel fédérale ont reconnu que les employés peuvent légitimement exprimer leurs points de vue sur des questions relatives à la convention collective en portant des autocollants ou des macarons au travail. Je ne vois pas pourquoi on devrait empêcher les employés de formuler des points de vue semblables en privé avec un négociateur de l’agent négociateur en dehors des heures de travail, surtout si cette interdiction n’est pas motivée par une raison d’affaires convaincante et justifiable de la part de l’employeur, autre que le fait qu’une telle utilisation des locaux de l’employeur n’est pas spécifiquement mentionnée dans la convention collective.

48 Un employeur ne devrait pas unilatéralement empêcher un agent négociateur de rencontrer, dans leur milieu de travail, les membres qu’il représente pour discuter de questions de négociation en dehors des heures de travail, à moins qu’il soit en mesure de justifier une telle interdiction en invoquant des raisons d’affaires convaincantes et des faits objectifs (perturbation de la productivité ou de l’ordre, questions de sécurité ou autres intérêts d’affaires légitimes). En déclarant ceci, je pense particulièrement à Mme Therriault-Power, qui a admis que le fait d’autoriser M. Gay à entrer dans les bureaux de l’ASFC permettrait à ce dernier de mieux comprendre le contexte des questions liées au milieu de travail en cause et pourrait profiter au processus de négociation collective.

49 En l’espèce, l’employeur n’a pas réussi à démontrer qu’il avait tenté de concilier ses raisons d’affaires convaincantes et justifiables et les objectifs légitimes de l’agent négociateur. En fait, l’employeur n’a donné aucune raison pour interdire à M. Gay d’entrer dans ses locaux. Il semblerait plutôt que les refus de l’employeur étaient initialement fondés uniquement sur son droit de propriété, puis sur une interprétation stricte de la convention collective. Je suis d’accord avec la suggestion de l’agent négociateur qu’il faut s’attendre à ce que des activités syndicales aient lieu dans les locaux de l’employeur, non pas par souci de tolérance, mais parce qu’il s’agit d’une attente raisonnable dans une société démocratique. C’est manifestement ce que laisse entendre le paragraphe 186(3) de la Loi.

50 Je ne suis pas d’accord avec l’argument de l’employeur qu’il ne faut porter aucune considération aux raisons fournies par les gestionnaires locaux de l’ASFC pour expliquer les deux refus d’octobre 2010. Même si on accepte que Mme Therriault­Power n’a pas été consultée ni informée de ces refus avant qu’ils ne soient transmis à l’agent négociateur, la preuve établit clairement que les gestionnaires suivaient les directives des représentants de l’administration centrale de l’ASFC, comme le démontrent les courriels échangés entre les gestionnaires et les représentants de l’administration centrale (pièce 7). La preuve établit que les refus n’étaient pas fondés sur des raisons d’affaires convaincantes et justifiables ou même sur la clause 12.03 de la convention collective.

51 Je rejette aussi l’allégation de l’employeur selon laquelle il ne faut porter aucune considération aux visites antérieures de M. Gay dans les bureaux de l’ASFC uniquement parce que Mme Therriault-Power n’était pas au courant de ces visites ou parce que l’agent négociateur n’avait pas démontré l’existence d’une pratique générale d’accès aux locaux de l’ASFC. Cette suggestion ne tient pas compte des faits suivants : Mme Therriault-Power était arrivée à l’ASFC récemment, en mai 2009; les chefs régionaux des opérations avaient approuvé les visites antérieures de M. Gay; d’autres cadres supérieurs à l’administration centrale pourraient avoir eu connaissance des visites antérieures de M. Gay; l’agent négociateur n’a pas invoqué le principe de préclusion dans cette affaire. Selon le témoignage de M. Gay, entre 2007 et l’automne 2010, il a été autorisé à utiliser les locaux de plus de 40 établissements de l’ASFC au pays à d’autres fins que celles énoncées à l’article 12 de la convention collective, et ce, à la connaissance et avec l’autorisation du chef des opérations de ces établissements. Ces faits n’ont pas été contredits par l’employeur et ne peuvent être ignorés. Je reconnais que l’employeur peut refuser l’accès à un représentant syndical qui n’est pas connu dans le milieu de travail, mais ce n’est pas le cas ici. L’employeur connaissait M. Gay. Pendant trois ans, il a eu accès à plus de 40 établissements différents. M. Gay était le porte‑parole principal désigné de l’agent négociateur pour les questions de négociation collective relatives à l’unité de négociation. Je suis d’avis que cette pratique antérieure est conforme à ce qui est entendu par « représentation des fonctionnaires » à l’alinéa 186(1)a) de la Loi ainsi qu’à l’objet et à l’esprit de l’article 5 de la Loi, surtout si les objectifs de celle‑ci, qui sont énoncés expressément dans son préambule, et le contexte élargi dans lequel il convient de l’interpréter, doivent avoir un sens.

52 L’employeur appuie son argumentation sur Merriman et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN) et Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et section locale 147 de l’Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux. Selon moi, ces décisions sont distinctes de l’affaire en cause et ne sont que d’une aide limitée dans la décision que je dois prendre. Dans Merriman et Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada (UCCO-SACC-CSN), le différend portait sur l’utilisation du système téléphonique d’un établissement correctionnel par un employé, en dehors de ses heures de travail, pour communiquer avec le représentant de son agent négociateur, lequel était au travail. Il convient de préciser qu’on n’avait pas interdit à l’employé de parler à son agent négociateur; on lui avait interdit d’utiliser le système téléphonique de l’employeur pour le faire, et l’employeur avait soulevé des préoccupations légitimes concernant la sécurité et le bien‑être de l’employé et de ses collègues. Le litige au cœur de Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale et section locale 147 de l’Association nationale des travailleurs correctionnels fédéraux portait sur le droit d’une organisation syndicale de solliciter des membres potentiels sur les lieux de travail de l’employeur pendant les heures normales de travail.

53 Je conclus que l’activité que l’agent négociateur souhaitait réaliser, telle qu’elle a été décrite par M. Gay lors de son témoignage, était licite et qu’elle s’inscrivait dans son administration de l’organisation syndicale et de ses fonctions de représentant des employés faisant partie de l’unité de négociation.

54 Je conclus également que les gestes de l’employeur ont nui à l’administration de l’organisation par l’agent négociateur et à la représentation des employés faisant partie de l’unité de négociation, ce qui va à l’encontre de l’alinéa 186(1)a) de la Loi et qu’ils ont été effectués sans égard à l’article 5 de la Loi. En fait, les gestes de l’employeur étaient contraires à l’établissement de relations patronales-syndicales efficaces, aux efforts de collaboration, à l’expression de divers points de vue dans l’établissement des conditions d’emploi, à la résolution crédible et efficace des problèmes liés aux conditions d’emploi, à la représentation par les agents négociateurs des intérêts des fonctionnaires lors des négociations collectives, ainsi qu’à l’établissement de relations patronales-syndicales respectueuses et harmonieuses, qui sont des objectifs établis de façon explicite dans le préambule de la Loi.

55 Je suis d’accord avec l’agent négociateur quand il dit que les gestes de l’employeur n’ont pas besoin d’être motivés par un sentiment antisyndical pour enfreindre l’alinéa 186(1)a) de la Loi. Bien que les gestes posés par l’employeur puissent facilement être vus comme étant des mesures de représailles, il n’est pas nécessaire de parvenir à cette conclusion pour déterminer qu’il y a eu violation de l’alinéa 186(1)a) dans ces circonstances.

56 Je ne souhaite pas ouvrir la voie à un accès sans restriction des locaux de l’employeur par l’agent négociateur pour qu’il puisse rencontrer des employés faisant partie de l’unité de négociation et discuter avec eux de questions relatives à la convention collective, mais je ne crois pas que le pouvoir de l’employeur de refuser à l’agent négociateur de se servir de ses locaux devrait être absolu. Ce pouvoir devrait être exercé de façon à atteindre un équilibre entre les ambitions de l’agent négociateur, qui souhaite faire avancer les intérêts légitimes des employés faisant partie de l’unité de négociation, et les raisons d’affaires convaincantes et justifiables de l’employeur que ce type d’accès compromettrait les intérêts légitimes du milieu de travail.

57 Enfin, mes conclusions ne doivent pas être interprétées comme signifiant que, à l’avenir, toutes les fois où un employeur refuse l’accès à ses locaux, il sera en violation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi, ni que les parties ne devraient pas continuer de chercher à s’entendre, dans le cadre des négociations collectives, sur des modalités d’utilisation des locaux de l’employeur qui soient adaptées aux intérêts légitimes de chacun.

58 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V.Ordonnance

59 Je déclare que la décision de refuser l’accès de M. Gay aux locaux de l’ASFC, les 13 et 29 octobre 2009, alors qu’il souhaitait rencontrer des employés faisant partie de l’unité de négociation, en dehors de leurs heures de travail, pour discuter de questions liées à la convention collective, constitue une violation de l’alinéa 186(1)a) de la Loi et a été prise sans égard à l’article 5 et aux objectifs de la Loi, qui sont explicités dans son préambule.

60 J’ordonne au Conseil du Trésor et à l’ASFC de cesser de refuser l’accès de cette façon en l’absence de raisons d’affaires convaincantes et justifiables selon lesquels ce type d’accès compromettrait les intérêts légitimes du milieu de travail.

Le 11 mai 2002.

Traduction de la CRTFP

Stephan J. Bertrand,
une formation de la Commission des
relations de travail de la fonction publique

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