Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Dans une décision antérieure (2007CRTFP70), l’arbitre de grief a conclu que la décision administrative initiale de suspendre le fonctionnaire s’estimant lésé sans rémunération pour une période indéterminée en attendant les résultats d’une enquête était devenue une mesure disciplinaire, compte tenu de la longue période qui s’était écoulée avant que l’administrateur général mène une enquête adéquate - l’arbitre de grief a déterminé qu’il avait compétence pour entendre ce grief et il a ordonné la réintégration du fonctionnaire s’estimant lésé avec remboursement rétroactif de tous ses avantages sociaux, plus les intérêts, à compter d’un mois suivant la suspension initiale - lors du contrôle judiciaire de la décision, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont statué que l’arbitre de grief avait erré dans le traitement de la preuve par ouï-dire - la Cour d’appel fédérale a également conclu, dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, que la décision initiale n’aurait pas dû être fondée sur les principes énoncés dans Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada - Service correctionnel), 2002 CRTFP 9, afin d’évaluer le caractère approprié d’une suspension pour une période indéterminée en attendant l’issue d’une poursuite criminelle, mais plutôt sur les principes généraux en matière disciplinaire qui sont énoncés dans Wm. Scott & Co. Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1 - la Cour d’appel fédérale a renvoyé l’affaire au même arbitre de grief pour qu’elle soit jugée de nouveau <<[traduction][...] en fonction du dossier actuel ou de toute autre preuve que l’arbitre de grief peut décider d’admettre [...]>> - l’administrateur général a demandé la tenue d’une nouvelle audience sur le fond du grief- dans 2010 CRTFP131, l’arbitre de grief a rejeté la demande, car l’objectif de la nouvelle décision ordonnée par la Cour d’appel fédérale n’était pas de repartir à zéro comme si l’audience initiale n’avait jamais eu lieu, mais de corriger les erreurs qu’elle avait relevées dans la décision initiale - quand il a examiné de nouveau la preuve par ouï-dire, soit une lettre rédigée par un coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels et procureur de la Couronne, l’arbitre de grief a pris en considération les éléments suivants: l’auteur de la lettre et ses fonctions; est-ce que les allégations contre le fonctionnaire s’estimant lésé sont résumées avec exactitude?; est-ce que la lettre contient suffisamment de détails?; est-ce que le fonctionnaire s’estimant lésé a eu l’occasion de contester le contenu de la lettre, ou d’y répondre, avant l’imposition de la suspension disciplinaire sans rémunération pour une période indéterminée? - l’arbitre de grief a conclu que la preuve par ouï-dire n’était pas suffisamment claire, cohérente et convaincante pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire s’estimant lésé avait enfreint le Code de discipline du Service correctionnel du Canada ou les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada - l’arbitre de grief a confirmé sa décision initiale. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-05-01
  • Dossier:  566-02-417
  • Référence:  2012 CRTFP 53

Devant un arbitre de grief


ENTRE

BALKAR SINGH BASRA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Paul Love, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
G. James Baugh, avocat

Pour le défendeur :
Richard E. Fader, avocat

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 21 janvier, le 29 février et le 16 mars 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Question devant l’arbitre de grief

1 Balkar Singh Basra, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire »), a été suspendu sans traitement pour une période indéterminée de son poste d’agent correctionnel (classé au niveau CX-01) à l’établissement de Matsqui après réception d’une lettre datée du 24 mars 2006 (la « lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels », pièce E-7) provenant d’un coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels et procureur de la Couronne (le « coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels ») alléguant qu’une agression sexuelle avait eu lieu. Dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 70 (la « décision initiale »), j’ai statué que la décision de suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée en attendant les résultats d’une enquête était devenue une mesure disciplinaire, compte tenu de la longue période qui s’était écoulée avant que le Service correctionnel du Canada (SCC) mène une enquête adéquate. J’ai ordonné ce qui suit :

[…]

[140] Le grief est accueilli. J’ordonne que M. Basra soit réintégré dans son poste de CX-01 à compter du 3 mai 2006, avec remboursement rétroactif de son traitement et de ses avantages sociaux, plus les intérêts. Je demeure saisi de l’affaire pendant 90 jours pour l’exécution de ma décision.

[…]

2 L’administrateur général du Service correctionnel du Canada (l’« administrateur général ») a demandé le contrôle judiciaire de la décision initiale. La Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606. Le fonctionnaire en a appelé de cette décision. Dans Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24, la Cour d’appel fédérale a déterminé que les conclusions suivantes aux paragraphes 120 et 129 de la décision initiale étaient erronées :

[120] Bien que les règles de la preuve soient assouplies dans une audience d’arbitrage de grief sous le régime de la Loi, j’errerais en ma qualité d’arbitre de grief, je pense, si je me fondais sur du ouï-dire pour prouver un fait fondamental […] Le poids qu’on peut accorder à une preuve de ouï-dire est minimal lorsqu’il s’agit de faits importants contestés, et je n’accorde donc aucun poids à la preuve de ouï-dire pour établir les faits.

[129] […] rien dans la preuve ne laisse entendre que M. Basra ait trompé la police dans son enquête. Il n’est nullement tenu d’assumer sa responsabilité s’il est innocent de l’accusation portée contre lui, et il est présumé innocent tant qu’il n’aura pas été jugé coupable […]

La Cour d’appel fédérale était d’avis que j’avais eu tort de ne pas considérer la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) « […] simplement parce qu’elle constitue du ouï-dire ». La Cour d’appel fédérale m’a renvoyé l’affaire pour que je statue de nouveau en tenant compte des directives suivantes :

[…]

[31] Par conséquent, l’appel sera rejeté, mais l’ordonnance du juge de la Cour fédérale sera modifiée de façon à ce qu’elle prévoit que l’affaire soit renvoyée à l’arbitre initial, ou à un autre arbitre s’il n’est pas disponible, pour être jugée de nouveau conformément aux présents motifs, en fonction du dossier actuel ou de toute autre preuve que l’arbitre peut décider d’admettre […]

[…]

La Cour d’appel fédérale a décrit mes tâches à titre d’arbitre de grief ainsi :

[…]

[29] Par conséquent, lorsqu’il instruit de nouveau l’affaire, l’arbitre doit d’abord déterminer si l’employeur a prouvé qu’il y a eu manquement au Code de discipline ou aux Règles de conduite professionnelle. Si l’employeur s’est acquitté de ce fardeau, l’arbitre doit ensuite déterminer si la mesure disciplinaire imposée était excessive. Dans la négative, la mesure reste valide. Si l’arbitre estime que la mesure est excessive, il doit alors décider quelle est la mesure adéquate. Ces questions sont distinctes et méritent toutes un examen attentif […]

[…]

3 Le 12 avril 2010, j’ai proposé aux parties de fonder la nouvelle décision ordonnée par la Cour d’appel fédérale sur des arguments écrits. Le 26 avril 2010, les parties ont présenté leurs points de vue. Le fonctionnaire a accepté l’approche proposée. L’administrateur général a demandé la tenue d’une nouvelle audience complète sur le fond du grief. Sur mes instructions, le greffe de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (le « greffe ») a envoyé une lettre, le 13 mai 2010, afin de fixer l’échéancier pour les arguments écrits. Le 17 mai 2010, l’administrateur général a écrit au greffe pour faire valoir qu’une procédure fondée sur des arguments écrits basés sur le dossier existant constituerait un déni d’équité procédurale et pour demander la tenue d’une conférence de gestion des cas. L’administrateur général souhaitait produire d’autres éléments de preuve et m’a renvoyé à Cie minière Québec Cartier c. Québec (arbitre des griefs), [1995] 2 R.C.S. 1095(« Québec Cartier »).

4 Après avoir organisé une conférence de gestion des cas, le 29 juin 2010, et après avoir entendu les arguments de l’administrateur général et du fonctionnaire, j’ai refusé la demande de l’administrateur général de présenter des éléments de preuve postérieurs à l’audience et j’ai ordonné que l’affaire soit tranchée sur la base d’arguments écrits. J’ai présenté des motifs de décision à la suite de la conférence préparatoire à l’audience dans Basra c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 131, et j’ai indiqué ce qui suit au paragraphe 11 :

[11] Cette nouvelle décision a pour but de corriger des erreurs que la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont relevées dans le processus décisionnel ayant mené à la décision 2007 CRTFP 70. Les deux cours ont jugé que la preuve par ouï-dire (aux paragraphes 120 et 129 de 2007 CRTFP 70) a été tenue en compte par erreur. La Cour d’appel fédérale a également conclu que le mauvais critère a été appliqué dans la décision initiale et que le cas n’aurait pas dû être tranché en conformité avec les facteurs énoncés dans Larson (Larson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 9), mais plutôt avec l’approche habituelle dans les griefs disciplinaires, étant énoncée dans Wm. Scott & Co Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 C.L.R.B.R. 1. Compte tenu du but de cette nouvelle décision, j’estime pouvoir appliquer les facteurs établis dans Wm. Scott & Co Ltd., auxquels renvoie la décision de la Cour d’appel fédérale, à la preuve produite à l’audience initiale, en m’appuyant sur les arguments des parties. Ces facteurs sont :

  • L’administrateur général a-t-il démontré qu’il y a eu infraction au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada?
  • Si l’administrateur général a démontré qu’il y a eu infraction au Code de discipline et aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada, la mesure disciplinaire imposée était-elle excessive?
  • Si la mesure disciplinaire imposée était excessive, quelle mesure aurait été appropriée dans les circonstances?

5 Je constate qu’en dépit de ma décision de rejeter sa demande de présenter des éléments de preuve postérieurs à l’audience, l’administrateur général persiste à faire référence, dans ses arguments écrits, à des faits qui sont ressortis d’une audience d’une affaire pénale après que j’ai eu instruit la décision initiale sur le présent grief. Je n’ai pas de certificat de condamnation; pas plus que je ne dispose des motifs donnés dans l’affaire pénale. Ces éléments de preuve ne sont pas recevables dans l’affaire dont je suis saisi en vertu de l’analyse exposée dans Québec Cartier. La preuve en l’espèce est décrite aux paragraphes 4 à 86 de la décision initiale. Je tiens à souligner que le présent grief porte uniquement sur la suspension disciplinaire sans traitement du fonctionnaire pour une période indéterminée et que le dossier est fondé sur la preuve présentée durant l’audience tenue du 25 au 27 octobre 2007 sur l’affaire qui nous occupe (l’« audience initiale ») et rapportée dans la décision initiale ainsi que dans les arguments écrits supplémentaires des parties. L’avocat de l’administrateur général m’a avisé que le SCC avait congédié le fonctionnaire et qu’un grief contre ce licenciement avait été déposé. Je n’ai pas été nommé pour instruire et trancher ce grief. Ma compétence se limite au grief présenté par le fonctionnaire après que le SCC l’a suspendu sans traitement pour une période indéterminée en apprenant qu’il avait été accusé d’une infraction criminelle.

II. Preuve

6 Il est essentiel que j’expose certains faits établis lors de l’audience initiale et rapportés dans la décision initiale.

7 Le fonctionnaire travaillait à l’établissement de Matsqui depuis qu’il avait été nommé pour une période indéterminée, le 24 août 1999. Cet établissement est un pénitencier pour hommes à sécurité moyenne, situé dans la région du Pacifique du SCC.

8 Lors de l’audience initiale, l’administrateur général a appelé comme seul témoin Glen Brown, directeur de l’établissement de Matsqui. M. Brown a reçu la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Elle décrivait certaines circonstances et contenait une copie d’une déclaration sous serment enregistrée le 17 mars 2006 alléguant que le fonctionnaire aurait sexuellement agressé une plaignante le 10 septembre 2004, à Surrey, en Colombie-Britannique, enfreignant ainsi l’article 271 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46. La lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) contenait la synopsis suivante des allégations :

[…]

D’après le rapport de police, M. Basra serait entré en contact avec la plaignante en clavardant. Ils s’étaient ensuite rencontrés pour une soirée où ils avaient bu et visité diverses boîtes. À leur deuxième rencontre, ils étaient chez M. Basra, où ils ont bu quelques verres avant de sortir pour souper. Après avoir avalé quelques gorgées du troisième verre que M. Basra lui avait versé, la plaignante a commencé à se sentir mal, étourdie et désorientée. Quand elle s’est réveillée le lendemain matin, elle était nue dans le lit de M. Basra. Elle était incapable de se rappeler la plus grande partie de ce qui s’était passé dans la soirée précédente après avoir commencé à boire son troisième verre.

M. Basra se serait présenté sous un faux nom à la plaignante, mais la police a réussi à le localiser à partir du relevé de téléphone cellulaire de celle-ci. Quand il a été interrogé par la police, M. Basra a nié avoir eu des relations sexuelles avec la plaignante, voire la connaître, et il a refusé de donner un échantillon d’ADN. La police a obtenu un mandat pour obtenir cet échantillon; elle a pu prouver que l’ADN de M. Basra correspondait à celui d’un échantillon prélevé sur la plaignante.

Un mandat d’arrestation a été émis contre M. Basra. Vous voudrez peut-être communiquer avec le Greffe de la Cour provinciale de Surrey […] si vous avez besoin de précisions sur le traitement de l’affaire.

Ces renseignements vous sont communiqués conformément à notre politique; vous voudrez peut-être les acheminer à M. Basra, pour lui permettre d’y réagir devant l’instance appropriée.

[…]

9 L’accusation porte sur un comportement criminel qui aurait été commis en dehors du travail, 18 mois avant la déposition sous serment. La plaignante n’est pas une employée de l’établissement de Matsqui. Rien n’indique que le fonctionnaire ait été mêlé à quelque problème que ce soit à son lieu de travail ou ailleurs depuis le comportement criminel qu’on lui reproche. La lettre du coordonnateur de l’accès à l’information de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) est le seul document écrit que le SCC ait obtenu durant son enquête. Le SCC n’a recueilli aucune information sur les conditions de libération du fonctionnaire, ni sur les conditions de sa libération judiciaire provisoire.

10 M. Brown n’était pas à l’établissement de Matsqui au moment de la réception de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). C’est Randie Scott, le directeur par intérim, qui l’a reçue. À leur rencontre du 3 avril 2006, M. Scott a suspendu le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée, en lui remettant une lettre datée du même jour (la « lettre de suspension », pièce E-6). Il est important d’analyser cette lettre (pièce E-6), puisqu’elle précise clairement, dans les passages qui suivent, que le SCC allait mener une enquête disciplinaire et que le gestionnaire chargé de l’enquête allait communiquer en temps voulu avec le fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

La présente lettre a pour but de vous informer que vous êtes désormais suspendu indéfiniment sans traitement en attendant l’issue de l’enquête disciplinaire qui a été organisée pour établir les faits relatifs à votre implication dans l’allégation que vous avez contrevenu aux Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada.

Nous avons été informés aujourd’hui par un procureur du ministère du Procureur général que vous avez été accusé d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel du Canada.

Durant votre suspension, il vous est interdit d’entrer dans les locaux du SCC sans l’autorisation du directeur ou de son représentant.

Le gestionnaire chargé de l’enquête communiquera avec vous en temps et lieu.

[…]

11 Dans un courriel (pièce G-3) qu’il a envoyé le 3 avril 2006 à Donna Mynott, une agente des Ressources humaines à l’établissement de Matsqui, M. Scott expliquait qu’il avait discuté du contenu général de la lettre de suspension (pièce E-6) avec le fonctionnaire lors de leur rencontre ce jour-là. Pendant la rencontre, le fonctionnaire a déclaré spontanément qu’il s’agissait d’une allégation datant de 2004, qu’il avait pleinement coopéré dans l’affaire en cause, qu’il n’en avait plus entendu parler depuis un an et demi et qu’il croyait l’affaire classée. M. Scott l’a informé qu’une enquête officielle sur sa conduite allait être menée et l’a invité à l’appeler s’il avait des questions.

12 Le 24 avril 2006, M. Scott a ordonné à Jason Strijack, directeur d’unité associé par intérim de l’établissement du Pacifique/Centre régional de traitement, ainsi qu’à Jim Farrell, agent des enquêtes de sécurité de l’établissement Mountain, d’entreprendre une enquête disciplinaire sur l’implication du fonctionnaire dans les deux allégations suivantes (pièce E-8) :

[Traduction]

[…]

  1. Le 17 mars 2006, M. Basra a été accusé d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel. Cette agression aurait eu lieu vers le 10 septembre 2004 dans la région de Surrey, en Colombie-Britannique.
  2. Avant de reprendre ses fonctions, M. Basra n’a pas informé son superviseur qu’il avait été accusé d’une infraction au criminel.

[…]

13 Un rapport d’enquête était censé être déposé au plus tard le 31 mai 2006. Or, au moment de l’audience initiale, aucun des enquêteurs n’avait encore rédigé de rapport relativement à l’enquête disciplinaire. M. Brown ne se trouvait pas à l’établissement de Matsqui lorsque l’ordre d’entamer l’enquête disciplinaire a été donné.

14 Le fonctionnaire a été informé dans une lettre datant du 24 avril 2006 (pièce E-9) de la nomination des enquêteurs et des allégations qui feraient l’objet de l’enquête selon le « Code de conduite professionnelle ». Les noms des enquêteurs lui ont été transmis, mais pas leurs coordonnées. La lettre précisait aussi qu’on allait communiquer avec lui en temps voulu pour le convoquer à un interrogatoire et l’informait de son droit d’être accompagné d’un représentant à cette occasion.

15 Ni M. Strijack, ni M. Farrell n’ont questionné le fonctionnaire au sujet des allégations. Ils ne l’ont pas non plus convoqué à un interrogatoire ni ne l’ont prévenu d’une date à cette fin. Tout ce qu’on peut dire de l’enquête, c’est que M. Strijack et M. Farrell se sont rendus de temps à autre au tribunal de Surrey pour suivre l’évolution de la procédure criminelle contre le fonctionnaire et qu’ils ont téléphoné à la Gendarmerie royale du Canada (GRC).

16 Aux paragraphes 111 et 115 de la décision initiale, j’ai conclu ce qui suit :

[111] Je ne suis pas convaincu que le défendeur ait démontré, conformément aux troisième [le devoir de l’administrateur général de faire enquête sur l’accusation au criminel de son mieux, en tentant réellement de déterminer les risques que garder M. Basra à son service aurait posés] et cinquième [le devoir de l’administrateur général de continuer d’envisager objectivement la possibilité de réintégration dans un délai raisonnable suivant la suspension, en tenant compte des faits nouveaux ou des nouvelles circonstances dont il est informé] critères de Larson, que le SCC a fait de son mieux pour tirer les choses au clair avant d’évaluer les risques relatifs à M. Basra. M. Scott a rapidement chargé les enquêteurs d’y voir, mais je crains que l’enquête n’ait pas généré suffisamment d’information fiable pour qu’on ait pu prendre une décision sur ces risques à partir de là. Le problème semble attribuable à la qualité de l’enquête menée par le SCC. Il me semble que les enquêteurs n’ont fait guère plus pour enquêter sur cette question disciplinaire que de se présenter au tribunal, de demander à la GRC de l’information qui n’a jamais été reçue et peut-être de demander à M. Clements, à la Cour, de dire à M. Basra qu’ils souhaitaient lui parler. Je dis « peut-être », parce que les enquêteurs n’ont pas été appelés à témoigner sur ce qu’ils ont fait ou négligé de faire.

[112] Je crains que les enquêteurs n’aient jamais tenté de communiquer directement avec M. Basra pour obtenir sa version. Je ne suis pas enclin à avancer des hypothèses sur ce qui aurait pu être dit si le SCC avait tenté de communiquer avec lui. Je n’accorde aucun poids à la pièce E-14, un courriel de Mme Mynott à Mme Chima, précisément parce qu’elle contient une hypothèse :

[Traduction]

[…]

Parfois, dans des cas comme ceux-là, les avocats disent à leurs clients de ne rien dire dans le contexte des enquêtes disciplinaires, tant que la procédure judiciaire n’est pas terminée.

[…]

[113] Les enquêteurs avaient le pouvoir de convoquer M. Basra à un interrogatoire, de le prévenir de l’heure et du lieu de cette rencontre et de l’informer qu’il pouvait se faire accompagner d’un représentant de l’agent négociateur. Ils ne l’ont jamais fait, et l’on ne m’a rien dit pour l’expliquer. Ils n’ont pas été appelés à témoigner pour expliquer ce qu’ils ont fait. J’en tire une conclusion défavorable au défendeur, faute de les avoir fait comparaître afin d’expliquer leur enquête.

[114] M. Basra a bel et bien donné des renseignements à M. Scott à la rencontre lors de laquelle il a été suspendu. Il a aussi fait fournir de l’information par M. Clements sur la date à laquelle il a été informé de l’accusation. Pour sa part, M. Scott a informé M. Basra tant verbalement que par écrit qu’une enquête avait commencé et que les enquêteurs allaient lui parler. Il appert que ces derniers ne se sont pas donné la peine de communiquer directement avec M. Basra; ils n’ont même pas présenté un rapport.

[115] En l’occurrence, M. Basra n’avait pas dit au SCC de ne pas communiquer avec lui directement, mais de s’adresser plutôt à son avocat. À mon avis, comme il ne l’avait pas fait, le SCC n’avait aucune obligation de communiquer seulement avec l’avocat de l’employé.

17 En somme, dans la décision initiale, j’ai déterminé que la décision de suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée était devenue disciplinaire à partir du 3 mai 2006, parce que 30 jours après son application, le SCC n’avait toujours pas tenté d’obtenir de l’information du fonctionnaire sur les faits allégués dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) et que ce document constituait le seul fondement de cette suspension sans traitement pour une période indéterminée.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’administrateur général

18 La mesure disciplinaire en litige était une mesure provisoire, imposée en attendant les résultats d’une enquête disciplinaire. L’administrateur général soutient que la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) fournissait un motif suffisant pour justifier la suspension disciplinaire provisoire sans traitement. L’administrateur général fait valoir que des éléments de cette lettre ne sont pas contredits et ne semblent pas controversés. Il s’appuie sur les déclarations en ce sens émises par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 21 de la décision 2010 CAF 24, qui se lisent ainsi :

[21] […] La question est de savoir si elle est fiable. À cet égard, la Cour souligne que la lettre du bureau du procureur de la Couronne contient des éléments d’information qui ne sont pas contredits et qui ne semblent pas controversés […]

19 L’administrateur général a écrit que la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) établissait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

  1. Selon la déclaration sous serment, il est évident que la Couronne a choisi de procéder par mise en accusation contre le fonctionnaire pour violation de l’article 271 du Code criminel (agression sexuelle).
  2. La lettre cite un rapport de police dans lequel il est indiqué : « Après avoir avalé quelques gorgées du troisième verre que M. Basra lui avait servi, la plaignante a commencé à se sentir mal, étourdie et désorientée […] ». Il s’agit manifestement de la déclaration que la victime a faite à la police durant son enquête sur l’allégation de la plaignante, selon laquelle elle aurait été agressée sexuellement.
  3. Quand il a été interrogé par la police la première fois, le fonctionnaire lui a donné un faux nom.
  4. Le fonctionnaire « […] a nié avoir eu des relations sexuelles avec la plaignante, voire la connaître, et a refusé de donner un échantillon d’ADN ». Ayant menti à la police sur son nom, le fonctionnaire a soutenu qu’il n’avait jamais eu de relations sexuelles avec la victime et qu’il ne la connaissait même pas.
  5. La lettre se poursuit en mentionnant : « Un mandat pour obtenir un échantillon d’ADN a été délivré, ce qui a permis de révéler que l’ADN de M. Basra correspondait à celui d’un échantillon prélevé sur la plaignante. » Il est respectueusement soumis que la preuve découlant de l’analyse d’ADN est suffisante pour justifier l’imposition de la mesure disciplinaire provisoire en l’espèce. Le fonctionnaire est un agent correctionnel (un agent de la paix au sens de l’article 2 du Code criminel du Canada). Or, il a menti à la police sur son nom et il a menti en disant qu’il ne connaissait pas la victime et qu’il n’avait pas eu de relations sexuelles avec elle. L’ADN du fonctionnaire a été prélevé sur la victime. De toute évidence, le fonctionnaire a eu des relations sexuelles avec la victime et a choisi de mentir à la police à ce sujet dans le contexte d’une enquête sur une allégation d’agression sexuelle.

[…]

20 L’administrateur général soutient avoir prouvé que les Règles de conduite professionnelle du Service correctionnel du Canada (les « Règles de conduite professionnelle ») et le Code de discipline du Service correctionnel du Canada (le « Code de discipline ») ont été enfreints. L’administrateur général affirme avoir le droit de faire évaluer la conduite des employés du SCC au regard de ces règles, que la conduite ait eu lieu pendant les heures de travail ou non : voir Tobin c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 254, au paragraphe 47. L’administrateur général fait valoir que, dans le contexte d’une enquête sur une agression sexuelle, le fonctionnaire a menti à la police sur son nom, sur le fait qu’il connaissait la victime et en prétendant ne pas avoir eu de relations sexuelles avec elle. Ces faits, ajoutés au résultat de l’analyse de l’échantillon d’ADN, constituent suffisamment d’information. Il ne s’agit pas de simples allégations. Selon la norme élémentaire de la prépondérance des probabilités (comme il est expliqué dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (C.A. C.-B.)), il est clair que le fonctionnaire a eu des relations sexuelles avec la victime, qu’il a menti à la police à ce sujet et qu’il a été accusé d’agression sexuelle. Par sa conduite, il a enfreint les Règles de conduite professionnelle et le Code de discipline. L’administrateur général soutient que même si les employeurs n’imposent généralement pas de suspension disciplinaire provisoire sans traitement, cette mesure est nécessaire dans les cas où un employé est accusé d’une infraction criminelle par la police : voir McManus c. Conseil du Trésor (Revenu Canada, Douanes et Accise), dossiers de la CRTFP 166-2-8048 et 8078) (19800310), aux pages 21 et 22.

21 L’administrateur général fait valoir ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Les faits en l’espèce dénotent une situation beaucoup plus grave pour l’employeur. Il s’agit d’un employé accusé d’agression sexuelle avec violence, qui au moment d’être interrogé par la police pour la première fois, a menti sur son nom, a menti à savoir s’il connaissait la victime et a menti en prétendant ne pas avoir eu de relations sexuelles avec elle. Ces faits augmentent la gravité du cas bien au-delà de ce qui était requis dans la décision McManus.

[…]

22 L’administrateur général affirme que la mesure disciplinaire imposée n’était pas excessive, qu’elle était raisonnable compte tenu des éléments de preuve et qu’elle ne devrait pas être modifiée par un arbitre de grief : voir Wilson c. Conseil du Trésor (Solliciteur général Canada – Service correctionnel), dossier de la CRTFP 166-02-25841 (19950301). Comme on peut le lire dans le passage suivant, l’administrateur général a déclaré que la seule preuve dont disposait le SCC provenait de la police :

[Traduction]

[…]

[…] Dans tous les cas d’agression sexuelle, il peut y avoir différentes versions des évènements et dans certains cas, comme dans celui qui nous occupe, il peut y avoir une preuve d’ADN. Le point important à noter est que l’employeur n’a accès à aucun de ces éléments. Les services de police ne compromettront pas leurs enquêtes ou n’exposeront pas les victimes à des enquêtes disciplinaires internes pendant la tenue de leurs propres enquêtes. Par conséquent, l’employeur a fait la seule chose qu’il pouvait faire dans les circonstances, soit attendre la résolution de l’affaire pénale et suivre la procédure judiciaire.

[…]

23 L’administrateur général a également déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] l’employeur maintient que le refus de lui permettre de s’appuyer sur les condamnations au criminel dont le fonctionnaire a fait l’objet pour « jeter de la lumière » sur la suspension disciplinaire en litige constitue un déni d’équité procédurale. Il importe de préciser que l’employeur n’a pas décidé sciemment de ne pas se fonder sur ces renseignements quand l’affaire a été présentée pour la première fois. Les condamnations sont survenues après l’audience initiale. L’employeur n’a pas eu la possibilité de se baser sur des condamnations qui n’existaient pas à l’époque.

Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans Toronto (Ville), une condamnation au criminel est une preuve concluante, et les questions en litige ne peuvent pas être tranchées à nouveau dans une procédure d’arbitrage de griefs. La Cour suprême a aussi clairement indiqué que la preuve relative à des événements survenus après le congédiement était pertinente : « […] lorsqu’une telle preuve aide à clarifier si le congédiement était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné ». Après avoir été suspendu (et après la tenue de l’audience initiale sur l’affaire qui nous occupe), le fonctionnaire a été reconnu coupable d’agression sexuelle avec violence, une infraction visée à l’article 271 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 : R. v. Basra (2008), 78 W.C.B. (2e) 194, décision rendue publique le 11 juillet 2008. Le 7 novembre 2008, l’appelant a été condamné à une peine de deux ans moins un jour et a été mis en probation pour une période de trois ans suivant sa libération, avec un certain nombre de conditions prévues par la loi : R. v. Basra 2008 BCSC 1526.

Il est respectueusement soumis que cette preuve est pertinente et qu’elle devrait être considérée dans le règlement du grief sur la suspension, étant donné qu’elle « jette de la lumière » sur la décision qui l’a motivée au moment où elle a été prise. De plus, le fait que le fonctionnaire ait été reconnu coupable d’agression sexuelle avec violence est déterminant quant à la résolution des questions en litige dans la présente procédure d’arbitrage, c’est-à-dire que de toute évidence, ce comportement commande une mesure disciplinaire, et la suspension disciplinaire imposée est justifiée par les faits de l’affaire.

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

24 Le fonctionnaire n’a pas contredit les faits. L’arbitre de grief peut donc accepter une preuve qui n’est pas entièrement satisfaisante, étant donné que le fonctionnaire aurait pu témoigner et faire la lumière sur l’affaire : voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, quatrième édition, au paragraphe 3:5120; Ayangma c. Conseil du Trésor (ministère de la Santé), 2006 CRTFP 64, au paragraphe 62. Une conclusion défavorable devrait être tirée à l’égard du fonctionnaire.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

25 Le fonctionnaire a soutenu que la Cour d’appel fédérale a statué que j’avais correctement examiné l’intention du SCC quand j’ai déterminé que la suspension sans traitement pour une période indéterminée que lui a imposée le SCC est devenue une mesure disciplinaire le 3 mai 2006. La Cour d’appel fédérale a confirmé que le fonctionnaire avait été visé par une suspension disciplinaire.

26 Le fonctionnaire a soutenu que la Cour d’appel fédérale a statué que je n’étais pas tenu d’accepter la preuve par ouï-dire contenue dans la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) sur laquelle s’est appuyé l’administrateur général. Cette preuve était admissible, mais c’était à moi qu’il revenait de déterminer quel poids lui donner.

27 Le fonctionnaire a soutenu que, quand elle a réentendu l’affaire, la Cour d’appel fédérale a noté ce qui suit : « Il incombe à [l’administrateur général] de prouver les faits sous-jacents invoqués pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire […] Ce fardeau s’applique tant aux faits justifiant l’imposition de la mesure disciplinaire qu’à la pertinence de la mesure même. » Comme l’administrateur général ne s’est pas acquitté du fardeau de prouver les faits ou de justifier le choix de la mesure disciplinaire, le fonctionnaire n’était pas tenu de présenter de preuve (voir Labatt Alberta Brewery v. Local 250 Brewery Workers, [2004] A.G.A.A. No. 63 (QL), paragraphes 63 et 64. J’ai énoncé des directives pour l’audition de cette affaire dans 2010 CRTFP 131. J’ai déclaré au paragraphe 10 que « […] la nouvelle décision qu’a ordonnée la Cour d’appel fédérale ne vise pas à permettre à l’administrateur général de recommencer à neuf sans tenir compte d’une audience ayant déjà eu lieu […] ».

28 Le fonctionnaire est d’avis que, en continuant de mentionner sa condamnation subséquente au criminel et sa libération, l’administrateur général s’appuie sur des preuves ne faisant pas partie du dossier, et qu’il a délibérément bafoué les directives pour l’audience. Dans tous les cas, le fonctionnaire est d’avis que [traduction] « […] l’arbitre “doit déterminer si la compagnie avait une cause ‘juste et suffisante’ pour congédier l’employé au moment où elle l’a fait” ou pour lui imposer une mesure disciplinaire à ce moment-là ». Permettre à l’administrateur général de soumettre une preuve portant sur des événements subséquents « […] reviendrait à accepter que l’issue d’un grief relatif au congédiement d’un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l’arbitre ». Le fonctionnaire soutient que l’administrateur général ne devrait pas pouvoir tirer profit des délais découlant de ses propres actions. Une condamnation subséquente ne permet aucunement de clarifier la question de savoir si la suspension sans traitement pour une période indéterminée était justifiée ou appropriée. Il faut répondre à cette question en examinant les circonstances qui étaient connues au moment de la suspension, soit en avril 2006 : voir Ayangma et Legault c. Conseil du Trésor (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2007 CRTFP 82, paragraphe 315.

29 Le licenciement du fonctionnaire en raison de sa condamnation au criminel est le sujet d’un autre grief et je n’ai pas la compétence pour l’entendre : voir Ayangma, paragraphe 82. Le fonctionnaire est d’avis que mon rôle se limite à l’examen des preuves au dossier se rattachant au grief sur la suspension disciplinaire pour une période indéterminée.

30 Le fonctionnaire a précisé que la déclaration – répétée à maintes reprises – de l’administrateur général selon laquelle il aurait donné un faux nom à la police est en contradiction avec le contenu de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) et que j’ai rejeté cette déclaration. Le fonctionnaire soutient que j’ai conclu aux paragraphes 49 et 51 de la décision initiale qu’il n’avait pas donné un faux nom à la police.

31 Selon le fonctionnaire, la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), même si elle est admissible, ne devrait avoir aucun poids, car les principaux points sur lesquels l’administrateur général a fondé son argumentation reposent sur des ouï-dire de deuxième ou de troisième main. Il est indiqué ce qui suit dans la lettre en pièce E-7 : [traduction] « M. Basra se serait présenté sous un faux nom à la plaignante […] ».

32 Le fonctionnaire note que l’administrateur général s’appuie sur un commentaire de la décision de la Cour d’appel fédérale, qui a souligné que les faits décrits dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ne sont pas contestés. Le fonctionnaire a indiqué ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] La Cour d’appel fédérale a seulement déclaré que la lettre du procureur de la Couronne contient des « éléments d’information » qui ne sont pas contredits et « ne semblent pas controversés » (paragraphe 21). On ne peut pas se fonder sur une déclaration aussi générale pour affirmer que tous les faits décrits dans la lettre du procureur de la Couronne ne sont pas contestés et doivent être considérés comme étant vrais. Le problème pour l’employeur est que la lettre du procureur de la Couronne n’est pas une preuve claire, cohérente et convaincante qui pourrait lui permettre d’établir que le fonctionnaire a menti aux policiers en leur donnant un faux nom, en leur disant qu’il ne connaissait pas la victime et en niant avoir eu des relations sexuelles avec elle. En fait, selon la preuve, le fonctionnaire n’aurait pas du tout donné un faux nom aux policiers. De plus, l’employeur n’a pas réussi à démontrer selon la prépondérance des probabilités et en présentant des preuves claires, cohérentes et convaincantes que le fonctionnaire a menti aux policiers en leur disant qu’il ne connaissait pas la victime et en niant avoir eu des relations sexuelles avec elle.

[…]

33 Plus loin, il a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je tiens à préciser qu’il est clair que l’employeur a abandonné sa justification initiale pour la longue suspension sans traitement sur laquelle il avait appuyé son argumentation lors de la première audience, à savoir son allégation selon laquelle le fonctionnaire n’a pas informé son superviseur qu’il avait été accusé d’une infraction au criminel (2007 CRTFP 70, paragraphe 16). Comme vous l’avez déclaré dans la décision initiale : « […] le défendeur n’a rien à reprocher à M. Basra parce qu’il est retourné au travail sans informer le SCC de l’accusation qui pesait contre lui. La preuve a démontré que le SCC a été informé de cette accusation avant M. Basra » (paragraphe 109).

[…]

34 Le fonctionnaire soutient que la preuve doit être suffisamment claire, cohérente et convaincante : voir F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, paragraphe 46. Il soutient que le grief devrait être maintenu et qu’on devrait confirmer le même recours qui avait été initialement prescrit, à savoir de lui permettre de réintégrer son poste de CX-01 à compter du 3 mai 2006, de lui payer une rémunération rétroactive, de lui rembourser tous ses avantages sociaux et de lui verser des intérêts jusqu’à la date de son licenciement.

35 Contrairement à l’administrateur général, le fonctionnaire soutient qu’on ne doit pas tirer une conclusion défavorable de son refus de témoigner à l’audience initiale. L’administrateur général a le fardeau de prouver les faits invoqués pour justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire et le choix de la mesure, et je dois fonder mes conclusions sur les éléments de preuve présentés. L’administrateur général n’a pas réussi à s’acquitter de son fardeau. Dans le cas présent, l’administrateur général, qui portait le fardeau de la preuve, ne peut pas utiliser un refus de témoigner pour compenser la faiblesse de son argumentation : voir Labatt Alberta Brewery et Burns Meats, a division of Burns Foods (1985) Ltd. v. United Food and Commercial Workers Union, Local 832 (1993), 38 L.A.C. (4e) 172 (« Burns Meats »), pages 183 et 184. L’administrateur général doit s’acquitter du fardeau de la preuve, et le refus du fonctionnaire de témoigner ne peut pas [traduction] « être utilisé pour souligner le “caractère répréhensible” ou la “gravité” du comportement en s’éloignant des faits établis par les preuves objectives » : voir Burns Meats, page 184.

36 Le fonctionnaire soutient que, à titre subsidiaire, s’il a transgressé le Code de discipline ou les Règles de conduite professionnelle, la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée était une mesure excessive. Une mesure aussi sévère ne peut être justifiée que s’il n’avait pas pu continuer son travail. Je me suis penché sur cette question aux paragraphes 37 et 128 à 130 de la décision initiale. Le fonctionnaire a écrit ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Comme il est indiqué dans la décision [initiale], le fonctionnaire n’a pas été détenu après que l’accusation a été portée contre lui. Il a continué de travailler pendant 18 mois après l’agression sexuelle présumée et avant que l’accusation ne soit portée, avec un dossier sans tache. Il n’avait pas un accès illimité à des renseignements confidentiels, il n’était pas un agent de liaison avec la GRC, il n’avait pas un accès non supervisé aux visiteurs, et une grande proportion des postes auxquels il avait été affecté ne nécessitaient que très peu d’interactions avec des détenus (paragraphes 128 et 129). Il y avait au moins trois postes auxquels on aurait pu affecter le fonctionnaire pour qu’il n’ait aucun contact avec des visiteurs, du personnel féminin ou des détenus (paragraphe 130). Aucune preuve au dossier ne laissait supposer que des agentes correctionnelles auraient eu de la réticence à travailler avec le fonctionnaire ou auraient craint pour leur sécurité si elles avaient travaillé avec lui. En fait, Mme Enns, une collègue du fonctionnaire, a déclaré qu’elle n’aurait eu aucun problème à travailler avec lui (paragraphe 130).

[…]

37 Le fonctionnaire a été suspendu sans traitement pour une période indéterminée le 3 avril 2006 en attendant le rapport disciplinaire. Ce rapport n’avait toujours pas été fourni lors de l’audience initiale, qui a eu lieu du 25 au 27 octobre 2006. J’ai tiré une conclusion défavorable du fait que l’administrateur général n’avait pas convoqué les enquêteurs à l’audience pour qu’ils parlent de leur enquête ou qu’ils expliquent le retard. Il y a des circonstances atténuantes à considérer, comme l’incapacité de terminer une enquête dans un délai raisonnable ainsi que le dossier sans tache du fonctionnaire, qui comprend la période de 18 mois suivant l’inconduite présumée, et sa fiche de présence supérieure à la moyenne. De plus, l’administrateur général a abandonné une des principales justifications sur lesquelles il s’était appuyé lors de l’audience initiale pour justifier la suspension sans traitement pour une période indéterminée, à savoir le fait que le fonctionnaire serait retourné au travail sans informer son superviseur qu’il avait été accusé d’une infraction au criminel (paragraphes 16 et 109 de la décision initiale).

C. Réplique de l’administrateur général

38 L’administrateur général a indiqué que ce n’était pas bafouer une décision que d’essayer d’établir la preuve d’une condamnation. Il est d’avis que les parties ne peuvent pas demander un contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire, et que l’arbitre de grief n’a pas épuisé ses attributions tant qu’une décision définitive a été rendue. Il croit toujours que l’information aurait dû être prise en considération.

39 L’administrateur général soutient que la condamnation met en lumière la décision de suspendre le fonctionnaire. Bien qu’elle soit survenue après que le fonctionnaire ait été suspendu sans traitement pour une période indéterminée, la condamnation est la preuve que les faits décrits avant la condamnation se sont bien produits. Par conséquent, elle n’est pas une nouvelle preuve. L’administrateur général soutient que le fonctionnaire a été trouvé coupable de l’infraction et qu’il n’a donc pas besoin de prouver l’infraction : Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63. Ce n’est pas parce que la condamnation occupera une place importante à l’audience sur le licenciement du fonctionnaire qu’elle ne peut pas être présentée comme preuve à l’audience sur le grief relatif à la suspension. La suspension sans traitement pour une période indéterminée était une mesure provisoire, et une suspension pour une période indéterminée et un licenciement sont une même pénalité : voir Côté c. Conseil du Trésor (Emploi et Immigration Canada), dossiers de la CRTFP 166-02-9811 à 9813 et 10178 (19831017). Selon l’administrateur général, si le fonctionnaire voulait contester la fiabilité des preuves obtenues dans le cadre du mandat de prélèvement d’ADN, il aurait pu témoigner à l’audience initiale. Les principes du droit pénal cités par le fonctionnaire ne peuvent pas facilement être appliqués aux procédures d’arbitrage sur les conflits de travail; les procédures devant un arbitre de grief sont de nature sommaire, et les arbitres de grief ne sont pas soumis aux mêmes règles en matière de preuve que les tribunaux criminels.

IV. Motifs

40 Au départ, le SCC a suspendu le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée pour les deux raisons suivantes : il était accusé d’agression sexuelle et il était retourné au travail sans informer son superviseur qu’il avait été accusé d’une infraction au criminel.

41 Dans ma décision initiale, j’ai conclu que l’administrateur général n’avait pas démontré que le fonctionnaire était retourné au travail sans divulguer qu’il faisait l’objet d’une accusation au criminel.

42 Dans la présente affaire, il faut déterminer si l’administrateur général a fourni suffisamment d’information fiable à l’audience initiale pour justifier sa décision d’imposer au fonctionnaire une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée parce qu’il était accusé d’agression sexuelle. Dans ma décision initiale, j’ai conclu que la suspension pour une période indéterminée en attendant les résultats de l’enquête est devenue une mesure disciplinaire le 3 mai 2006, soit 30 jours après qu’elle a été imposée. Dans ma décision initiale, j’ai invalidé la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée. Puisque le SCC n’a rien fait pour faire avancer l’enquête, notamment, la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée se serait prolongée jusqu’à ce qu’un tribunal rende une décision sur l’accusation au criminel. La décision du SCC était entièrement fondée sur la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Le seul témoin de l’administrateur général, M. Brown, n’a pas personnellement contribué à la décision initiale de suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée ou à la décision de lancer une enquête.

A. Éléments de preuve postérieurs à l’audience

43 Malgré la décision que j’ai rendue dans 2010 CRTFP 131, l’administrateur général persiste à soumettre de l’information sur la condamnation du fonctionnaire, qui est survenue plus de deux ans après sa suspension sans traitement pour une période indéterminée. Je ne vois aucune raison de conclure qu’un événement qui s’est produit deux ans plus tard – une condamnation – justifie la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée au moment où elle a été imposée. Clairement, le SCC ne possédait pas cette information quand il a suspendu le fonctionnaire. Je dois examiner la décision du SCC dans son contexte au moment où elle a été prise, en fonction de l’information qui était disponible à ce moment-là, et non comme faisant partie d’un ensemble de faits s’étendant jusqu’à aujourd’hui, six ans après la date de la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée : voir Québec Cartier.

44 Dans Québec Cartier, on établit comment il convient de traiter l’admission d’information concernant des événements subséquents (pages 1101 et 1102) :

[…]

Ceci m’amène à la question que j’ai soulevée plus tôt quant à savoir si un arbitre peut prendre en considération la preuve d’événements subséquents lorsqu’il statue sur un grief relatif au congédiement d’un employé par la compagnie. À mon avis, un arbitre peut se fonder sur une telle preuve, mais seulement lorsqu’elle est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné. Par conséquent, dès qu’un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où elle a été prise, il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des événements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. Dans ces circonstances, un arbitre excéderait sa compétence s’il se fondait sur une preuve d’événements subséquents pour annuler le congédiement. Conclure le contraire reviendrait à accepter que l’issue d’un grief relatif au congédiement d’un employé puisse dépendre du moment où il a été déposé et du délai écoulé entre le dépôt initial et la dernière audience de l’arbitre […]

[…]

45 Il est possible que l’information sur la condamnation du fonctionnaire soit pertinente pour son grief de licenciement, mais je n’ai pas été nommé pour entendre ce grief. Ma compétence se limite à la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée du fonctionnaire. Le présent examen est fondé sur l’information dont disposait le SCC quand il a imposé la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée et quand il a choisi de la maintenir. Conformément aux directives énoncées dans ma décision 2010 CRTFP 131, je n’ai pas tenu compte de l’information fournie par l’administrateur général sur la condamnation et le prononcé de la peine du fonctionnaire, ce qui comprend les cas qui ont été cités et qui seraient liés à l’audience du fonctionnaire sur sa condamnation et le prononcé de sa peine.

B. Lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7)

46 La Cour d’appel fédérale m’a renvoyé cette question, car elle a trouvé une erreur d’arbitrage dans la façon dont la preuve par ouï-dire a été traitée dans la décision initiale. La Cour a statué ce qui suit aux paragraphes 21 et 22 de la décision 2010 CAF 24 :

[21] En qualifiant d’erreur judiciaire l’utilisation d’une preuve par ouï-dire pour établir un fait essentiel, l’arbitre énonçait un principe qui est contraire à l’alinéa 226(1)d) de la LRTFP, lequel prévoit qu’un arbitre peut accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice. L’arbitre n’est pas tenu d’accepter une preuve par ouï-dire, mais il ne peut la rejeter d’emblée simplement parce qu’elle constitue du ouï-dire. La question est de savoir si elle est fiable. À cet égard, la Cour souligne que la lettre du bureau du procureur de la Couronne contient des éléments d’information qui ne sont pas contredits et qui ne semblent pas controversés. Il était déraisonnable pour l’arbitre de conclure que la preuve ne devait pas être examinée simplement parce qu’elle constituait du ouï-dire. Il a donc commis une erreur de droit.

[22] Plus loin dans le même paragraphe, l’arbitre indique que le poids à accorder à la preuve par ouï-dire est infime et qu’il n’accorde aucun poids à une telle preuve. Il est bien établi en droit qu’il revient à l’arbitre de soupeser la preuve dont il est saisi, mais il est tout aussi établi que pour ce faire, il doit l’examiner. Il ne peut la rejeter d’emblée parce qu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire. En l’espèce, une des questions soulevées était de savoir si l’appelant avait trompé la police. L’arbitre a conclu qu’il n’y avait aucune preuve sur cette question, ignorant ainsi le contenu de la lettre du bureau du procureur de la Couronne, qui était déterminant quant à la question.

47 Je crois que ce que la Cour d’appel fédérale voulait, c’est qu’on examine la preuve et qu’on détermine son incidence de manière rationnelle en se posant les trois questions auxquelles il faut répondre pour établir si l’administrateur général a démontré qu’il avait un motif valable pour imposer au fonctionnaire une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée, comme il est précisé dans Wm. Scott & Co Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162, [1977] 1 Can. L.R.B.R. 1 (« William Scott »). Il importe de noter que les questions dans William Scott sont disjonctives. Si l’administrateur général ne parvient pas à justifier l’imposition d’une mesure disciplinaire, les deux autres questions n’ont plus d’importance.

48 Le premier critère établi dans William Scott est principalement une enquête sur les faits afin de déterminer [traduction] « […] si l’employé a bien commis les gestes qui ont entraîné son congédiement […] ». Selon la Cour d’appel fédérale, certains éléments de preuve n’étaient « pas controversés ». Le fonctionnaire n’a confirmé aucun fait à l’audience initiale, et je n’ai été informé d’aucun fait que le fonctionnaire aurait admis devant le SCC avant l’audience, pendant le processus d’enquête ou de grief. Par conséquent, toutes les preuves ont été contestées, et il incombait à l’administrateur général de prouver, selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments de sa cause en s’appuyant sur des preuves suffisamment claires, cohérentes et convaincantes : voir F.H c. McDougall.

49 En général, une preuve est fiable si elle est endossée par un témoin qui a observé les faits et dont la capacité d’observer les faits et de se les remémorer peut être contestée pendant le contre-interrogatoire. Pour déterminer si une preuve est crédible et fiable, l’arbitre de grief applique souvent le critère d’évaluation en cas de contestation d’un témoignage établi dans Faryna. L’arbitre de grief doit déterminer si l’information fournie par un témoin est logique dans les circonstances. Je ne peux pas appliquer ce critère, car aucun témoignage n’a été offert pour ce qui est des faits entourant l’acte reproché. Je n’ai même pas de déclarations de plusieurs témoins que je pourrais possiblement utiliser pour appliquer le critère établi dans Faryna, puisque l’information contenue dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) a été censurée.

50 Les preuves par ouï-dire sont admissibles à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 226(1)d) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, édictée par l’article 2 de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 :

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut :

[…]

d) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice […]

[…]

51 La lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a été admise en preuve (pièce E-7) à l’audience initiale. Le fonctionnaire ne s’est pas objecté à ce que l’administrateur général soumette cette preuve, et il ne m’a pas demandé de me prononcer sur son admissibilité. Aucune limite n’a été imposée quant à l’utilisation de ce document. Si on m’avait demandé de trancher la question, j’aurais établi que la lettre était admissible. Elle aurait d’ailleurs été admissible devant un tribunal, soit à titre de pièce commerciale en vertu de la Loi sur la preuve au Canada, L.C.R., 1985, ch. C-5, ou dans le contexte des res gestae – questions qui mènent à l’exposé des faits ayant donné lieu à la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée et qui en font partie.

52 Il n’est pas interdit de prendre une preuve en considération uniquement parce qu’elle contient des ouï-dire. Il faut se demander ce que démontre en fait la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), et quelle conclusion peut raisonnablement en être tirée, compte tenu du fait qu’il incombe à l’administrateur général de prouver, selon la prépondérance des probabilités et en s’appuyant sur des preuves suffisamment claires, cohérentes et convaincantes, qu’il avait un motif valable pour imposer une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée. Je crois que la bonne approche à adopter à l’égard des preuves par ouï-dire est celle décrite dans Canadian Labour Arbitration, paragraphe 3:4310 :

[Traduction]

[…]

Les analyses récentes de l’admissibilité et du poids des preuves sont fondées sur l’application des critères de « nécessité » et de « fiabilité » établis dans les cas criminels de la Cour suprême du Canada. Des preuves par ouï-dire peuvent aussi être admises en vertu de la doctrine des res gestae et dans le cadre d’autres exceptions […]

Les preuves par ouï-dire sont admissibles, mais les arbitres de différents s’entendent généralement sur la raison d’être de la règle des ouï-dire. Les arbitres refusent habituellement de fonder une conclusion portant sur des faits essentiels sur une preuve par ouï-dire, surtout quand ces faits auraient pu être confirmés soit en appelant un employé ou par admission du fonctionnaire s’estimant lésé. En réalité, même lorsqu’une preuve par ouï-dire est admise, les arbitres hésitent généralement à lui donner du poids, étant donné l’injustice inhérente à l’incapacité de vérifier les faits en contre-interrogatoire. De plus, les arbitres ont tendance à se conformer à la « règle de la meilleure preuve ».

[…]

[J’omets les notes en bas de page]

53 L’approche de principe pour l’admission des preuves par ouï-dire est fondée sur les cas criminels suivants : R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, et R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915. À la page 548 de Khan, la Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit :

[…]

Je conclus que la preuve par ouï-dire d’une déclaration d’un enfant concernant des crimes dont il a été victime devrait être recevable, pourvu que les garanties de nécessité et de fiabilité soient respectées, sous réserve des garanties que le juge peut estimer nécessaires et sous réserve toujours de considérations relatives au poids qui devrait être accordé à cette preuve […]

Je conclus qu’en l’espèce la déclaration de la mère aurait dû être reçue en preuve. Elle était nécessaire puisque le témoignage de vive voix de l’enfant avait été rejeté. Elle était également fiable. L’enfant n’avait aucune raison d’inventer son histoire qu’elle a racontée naturellement sans être incitée à le faire. En outre, le fait qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’enfant connaisse ce genre d’acte sexuel confère à sa déclaration une fiabilité toute particulière.

[…]

54 Aux pages 933 et 934 de Smith, la Cour suprême du Canada a statué ce qui suit :

[…]

L’arrêt Khan de notre Cour a donc annoncé la fin de l’ancienne conception, fondée sur des catégories d’exceptions, de l’admission de la preuve par ouï-dire. L’admission de la preuve par ouï-dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. Quelques précisions sur ces critères s’imposent.

Le critère de la "fiabilité" -- ou, suivant la terminologie employée par Wigmore, la garantie circonstancielle de fiabilité -- dépend des circonstances dans lesquelles la déclaration en question a été faite. Si une déclaration qu’on veut présenter par voie de preuve par ouï-dire a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur, on peut dire que la preuve est "fiable", c’est-à-dire qu’il y a une garantie circonstancielle de fiabilité. C’est sur ce fondement qu’on a conclu à la fiabilité du témoignage de l’enfant en bas âge dans l’affaire Khan.

Le critère connexe de la "nécessité" renvoie à la nécessité de la preuve par ouï-dire pour établir un fait litigieux. Ainsi, le juge du procès dans l’affaire Khan a conclu que l’enfant en bas âge n’était pas habile à témoigner. En ce sens, la preuve par ouï-dire de ses déclarations était nécessaire parce qu’elle ne pouvait pas elle-même présenter les déclarations qu’elle avait faites à sa mère. C’est son inhabilité à témoigner qui régissait la situation.

Le critère de la nécessité n’a cependant pas le sens de "nécessaire à la preuve de la poursuite". Si c’était le cas, la preuve par ouï-dire non corroborée qui satisfait au critère de la fiabilité serait admissible si elle n’était pas corroborée, mais pourrait ne plus être "nécessaire" à la preuve de la poursuite si elle était corroborée par une autre preuve indépendante. Pareille interprétation du critère de la "nécessité" aurait donc pour résultat illogique que la preuve par ouï-dire non corroborée serait admissible, mais deviendrait inadmissible si elle était corroborée. Telle n’était pas l’intention de l’arrêt Khan de notre Cour.

Comme je l’ai déjà dit, il faut donner au critère de la nécessité une définition souple, susceptible d’englober différentes situations. Ces situations auront comme point commun que, pour différentes raisons, la preuve directe pertinente n’est pas disponible. Un certain nombre de situations peuvent engendrer pareille nécessité. Sans tenter de faire une énumération exhaustive, Wigmore propose les catégories suivantes au §1421:

[TRADUCTION] (1) Il se peut que l’auteur de la déclaration présentée soit maintenant décédé, hors du ressort, aliéné ou, pour quelque autre motif, non disponible aux fins de la vérification [par contre-interrogatoire]. C’est la raison la plus courante et la plus évidente […]

(2) La déclaration peut être telle qu’on ne peut pas, de nouveau ou à ce moment-ci, obtenir des mêmes ou d’autres sources une preuve de même valeur. […]La nécessité n’est pas aussi grande; il s’agit peut-être à peine d’une nécessité; on peut supposer qu’il s’agit d’une simple commodité. Mais le principe demeure le même.

Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas limitées. Dans l’arrêt Khan, par exemple, notre Cour a reconnu la nécessité de recevoir la preuve par ouï-dire des déclarations d’une enfant qui n’était pas elle-même habile à témoigner. Nous avons également dit que cette preuve par ouï-dire pourrait devenir nécessaire lorsque l’obligation de témoigner de vive voix causerait un traumatisme important à l’enfant. La question de savoir s’il y a une nécessité de ce genre est une question de droit qui doit être tranchée par le juge du procès.

[…]

55 Au moment de déterminer si l’administrateur général a fourni des preuves suffisamment claires, cohérentes et convaincantes pour démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’une inconduite justifiant l’imposition d’une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée, je dois décider quel poids donner à la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Je dois examiner soigneusement la lettre, car elle est la seule preuve de l’inconduite présumée du fonctionnaire. Le fonctionnaire était un bon employé. Il avait de nombreuses années de service à son actif et une bonne fiche de présence. Il avait d’ailleurs reçu des mentions élogieuses du SCC. Il semble que le fonctionnaire traitait ses collègues du sexe féminin avec respect. Une de ses collègues a déclaré qu’elle ne se sentait pas en danger quand elle travaillait avec le fonctionnaire, même si elle était au courant de l’accusation au criminel qui pesait contre lui. Il s’agissait d’une « vieille allégation » au sujet d’une inconduite qui avait eu lieu à l’extérieur du lieu de travail. On avait accordé une libération judiciaire provisoire au fonctionnaire en attendant la détermination de l’accusation criminelle. L’administrateur général n’a pas interrogé le fonctionnaire ni la plaignante. Il n’a pas non plus recueilli des preuves ou de l’information. Il avait différents moyens de vérifier la fiabilité ou le bien-fondé de l’allégation, mais il n’a rien fait. Aucune enquête en bonne et due forme n’a été réalisée, et les enquêteurs n’ont pas été appelés à témoigner pour expliquer l’enquête.

56 Pour déterminer le poids de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), j’ai examiné les points suivants, qui ont une incidence sur la fiabilité des allégations contenues dans la lettre :

  • Qui a écrit la lettre?
  • Quelles étaient les fonctions de cette personne?
  • Peut-on être certain que cette personne a résumé avec exactitude les allégations contre le fonctionnaire?
  • Les faits sont-ils suffisamment détaillés?
  • Le SCC a-t-il donné au fonctionnaire l’occasion de contester la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ou d’y répondre avant de lui imposer une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée?

Il est à noter que j’ai étudié ces questions en vase clos, car l’administrateur général n’a pas fait comparaître le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements à l’audience initiale. Il a seulement présenté la lettre (pièce E-7) et a cité comme témoin son destinataire qui, de toute évidence, ne pouvait pas faire la lumière sur la fiabilité des allégations.

1. Fonctions du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels

57 Le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels est un fonctionnaire provincial qui agit à titre de procureur de la Couronne et de coordonnateur de la protection de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels. Il aurait écrit la lettre (pièce E-7) dans l’exercice normal de ses activités, conformément à un protocole sur la communication aux employeurs de la Couronne de toute accusation touchant un employé. Il semblerait que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels doit établir un équilibre entre son devoir de relater les faits avec exactitude et son devoir de protéger la vie privée du plaignant. La lettre (pièce E-7) aurait donc été soigneusement rédigée de manière à garantir la protection de la vie privée, comme en témoigne l’abondance de censure. J’emploie le conditionnel, car je n’ai aucune information pour m’aider à répondre à cette question. J’aurais aimé entendre ce que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels aurait eu à dire à l’audience initiale, car sa lettre était la seule preuve d’inconduite.

2. Garanties que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a résumé avec précision les allégations contre le fonctionnaire

58 En ma qualité d’arbitre de grief, je prends acte qu’en Colombie-Britannique, la décision de porter une accusation au criminel repose entièrement sur la Couronne, et non sur le plaignant ou sur la police. Un procureur de la Couronne prend une décision en se basant sur l’examen qu’il a fait de la preuve, et l’on doit pouvoir présumer de sa démarche qu’elle tient compte des normes établies en matière d’examen de la preuve.

59 Rien dans la preuve dont je suis saisi ne me permet de conclure que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels est également le procureur de la Couronne ayant pris la décision de porter l’accusation. On ne m’a présenté aucune preuve quant aux normes que la Couronne a appliquées lors de l’évaluation des renseignements recueillis par la police pour déterminer si une accusation devait être portée. On ne m’a pas non plus prouvé que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a examiné les éléments de la preuve recueillie par la police afin de déterminer si ces éléments de preuve satisfont aux normes de la Couronne en vue de porter une accusation au criminel.

60 Rien dans la preuve dont je suis saisi ne me permet de conclure que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a pris connaissance de la preuve ou de quelque document pertinent que ce soit, à l’exception d’« un rapport de police », ce dernier ne constituant pas une preuve, mais un résumé. En l’absence de preuve, je ne suis pas disposé à déduire que le rapport sommaire de la police a été rédigé par un agent qui s’est adressé directement à la plaignante ou au fonctionnaire. Il peut avoir été rédigé par un agent de liaison qui n’aurait eu aucun lien avec l’enquête. Étant donné qu’aucune preuve ne m’a été présentée démontrant que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a personnellement examiné le contenu de la preuve ou le processus de mise en accusation, aucune garantie circonstancielle n’atteste la fiabilité du contenu de sa lettre (pièce E-7). Elle contient de simples allégations d’inconduite de la part du fonctionnaire dans le cadre de ses rapports avec la plaignante et avec la police.

61 Il est vrai de dire que la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) est un document administratif et, bien que les documents administratifs soient admissibles dans le cadre d’une procédure judiciaire, il n’y a aucune présomption légale attestant que les renseignements contenus dans le document sont exacts et véridiques. Un arbitre de grief est souvent appelé à prendre des décisions relativement à des documents qui sont censés contenir des éléments de preuve alors qu’il n’en est rien. En examinant la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), je constate qu’un représentant du gouvernement a mentionné au SCC le fait qu’une accusation d’acte criminel a été portée contre le fonctionnaire. Des renseignements largement censurés sont aussi fournis à propos de l’enquête et des faits sous-jacents. La présence de précisions sur les normes utilisées lors du processus d’évaluation des renseignements m’aurait aidé à évaluer si une garantie suffisante assure la fiabilité de ces allégations.

62 Puisqu’il était clair, lors de l’audience initiale, que la suspension sans traitement pour une période indéterminée faisait l’objet d’un grief alléguant qu’il s’agissait d’une sanction disciplinaire, je croyais que l’administrateur général appellerait le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels à témoigner afin qu’il fournisse des explications sur le contenu de sa lettre (pièce E-7). L’administrateur général aurait également pu appeler le procureur de la Couronne qui a approuvé l’accusation à venir témoigner ou fournir une preuve des normes utilisées lors du processus. Il aurait pu appeler un policier connaissant les détails de l’enquête à fournir son témoignage. Le point soulevé ici est particulièrement important, puisque la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) était le seul document présenté par le SCC comme preuve d’inconduite de la part du fonctionnaire, ce dernier cumulant un bon dossier et une certaine ancienneté. La décision du SCC d’imposer une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée a eu des répercussions graves sur les droits du fonctionnaire.

3. Suffisance des détails contenus dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels

63 Quand on étudie la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), il apparaît clairement qu’elle contient divers types d’information. La lettre a été massivement censurée, et elle contient de l’information pouvant être qualifiée d’ouï-dire de deuxième, troisième ou quatrième main.

a. Information sur les rapports entre la Couronne et le fonctionnaire s’estimant lésé

64 La lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) contient de l’information qui décrirait les rapports entre la Couronne et le fonctionnaire. Le fonctionnaire a été accusé d’un acte criminel (agression sexuelle), ce qui est confirmé par l’information jointe à la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ainsi que dans la lettre que l’avocat du fonctionnaire a transmise au SCC (pièce E-10). Ce fait est incontestable, et il est connu par le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels.

65 Cependant, je note que la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ne contient pas tous les détails des rapports entre la Couronne et le fonctionnaire. Il semblerait que le fonctionnaire aurait retenu les services d’un avocat pour vérifier si des accusations allaient être portées contre lui, et cette personne aurait demandé à maintes reprises d’être informée à l’avance pour que le fonctionnaire puisse comparaître et faire face aux accusations. La Couronne n’a pas informé le fonctionnaire de l’accusation, mais le SCC a été directement informé dans la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Le fonctionnaire n’a été informé de l’accusation que lorsque le SCC l’a suspendu sans traitement pour une période indéterminée (pièce E-10).

66 La pièce E-10 établit clairement que le fonctionnaire a donné une déclaration à la police en 2004, qu’il a été libéré sur promesse de comparaître, qu’aucune information n’avait encore été transmise à la date d’audience, que son avocat s’informait de la situation tous les mois pour déterminer si des accusations allaient être portées et qu’il a été avisé début de mars 2006 qu’aucun rapport n’avait été reçu et qu’aucune accusation n’avait été portée. Je note que la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) est une preuve non contestée que le fonctionnaire a été accusé d’une infraction, mais il s’agit d’une version censurée relatant les événements survenus entre la Couronne et le fonctionnaire.

b. Information sur les rapports entre le fonctionnaire s’estimant lésé et la plaignante

67 La lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) contient également de l’information sur les rapports entre le fonctionnaire et la plaignante. La seule source qui est nommée pour l’information sur ces rapports est le rapport de police. Voici l’information en question :

  • Clavardage entre le fonctionnaire et la plaignante;
  • Un rendez-vous romantique entre le fonctionnaire et la plaignante;
  • Une autre rencontre à la résidence du fonctionnaire; le fonctionnaire aurait offert quelques consommations à la plaignante; la plaignante se serait sentie « confuse et étourdie » et se serait réveillée nue dans le lit du fonctionnaire;
  • La plaignante ne connaissait pas le nom/le vrai nom du fonctionnaire;
  • La plaignante avait le numéro de téléphone du fonctionnaire;
  • L’ADN du fonctionnaire correspondait à un échantillon obtenu de la plaignante;
  • Un mandat d’arrestation contre le fonctionnaire.

Je note que si elles étaient prouvées, ces allégations pourraient correspondre à une agression sexuelle, qui est un acte criminel. Bien que ce n’est pas précisé dans la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), on aurait pu considérer les questions suivantes au procès au criminel : la plaignante avait-elle la capacité de consentir et était-elle intoxiquée par une substance?

68 La lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) a été abondamment censurée. Par conséquent, je n’ai pas pu y trouver d’indices suggérant que l’information qu’elle contient est fiable. Par exemple, dans Khan, on a considéré comme un indice de fiabilité le compte rendu présenté dans les mots d’une petite fille qui contenait des détails ne faisant pas normalement partie des connaissances d’un jeune enfant. Rien dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ne m’aide à déterminer, par exemple, après combien de temps l’infraction présumée a été rapportée à la police. Si j’avais eu la déclaration de la plaignante, j’aurais peut-être réussi à trouver des indices suggérant que l’information contenue dans la lettre (pièce E-7) est fiable.

69 Je note que dans son argumentation, l’administrateur général embellit l’information reçue par le SCC ou la tourne à son avantage pour en tirer des conclusions qui ne peuvent pas raisonnablement être tirées de la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). L’administrateur général a soutenu ce qui suit :

[Traduction]

[…]

[…] Les faits dans ce cas décrivent une situation beaucoup plus grave pour l’employeur. L’employé est accusé d’une agression sexuelle avec violence. Quand il a été questionné une première fois par la police, il a menti sur son nom, a nié connaître la victime et a nié avoir eu des relations sexuelles avec elle. Ces faits révèlent une situation beaucoup plus grave que ce qui est requis dans la décision McManus.

[…]

[Je souligne]

70 Pour ce qui est de cet argument, je note que le fonctionnaire a été accusé d’agression sexuelle. Il n’est indiqué nulle part dans la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) qu’il s’agissait d’une agression sexuelle avec violence. Selon le Code criminel, la définition d’agression sexuelle peut comprendre divers actes, d’un baiser non désiré à des attouchements ou à une pénétration vaginale. Je peux conclure que les allégations sont graves, car elles laissent entendre que le consentement de la plaignante à des actes sexuels aurait pu être vicié par l’administration d’une substance. Comme je l’ai souligné dans la décision initiale, je ne peux pas conclure qu’il s’agissait d’une agression sexuelle avec violence simplement parce que la Couronne a décidé de procéder par acte d’accusation. Il s’est écoulé beaucoup de temps entre la date de l’infraction reprochée et la date où l’accusation a été portée. Je note qu’il y a un délai de six mois pour les déclarations sommaires de culpabilité. Il est possible que la Couronne ait choisi de procéder par acte d’accusation uniquement parce que le délai prescrit était arrivé à échéance.

71 L’administrateur général a soutenu que le fonctionnaire avait donné un faux nom à la police. La lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ne contient aucune information à l’appui de cette allégation.

72 Il arrive que les preuves divulguées immédiatement après l’acte reproché soient fiables. Je n’ai pas d’information de ce genre, car les détails entourant le moment où la plaignante a divulgué l’information ne sont pas fournis dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Il arrive qu’on puisse trouver des indices à l’appui de la fiabilité intrinsèque d’une allégation. C’est le cas pour les jeunes enfants qui prétendent avoir été victimes d’une agression sexuelle et qui ne seraient normalement pas en mesure de fournir des détails. Comme la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) est abondamment censurée, je suis incapable d’y trouver un exposé détaillé ou particulier des faits pouvant être considéré comme un indice de fiabilité. Si j’avais pu examiner la déclaration initiale de la plaignante, j’aurais peut-être pu trouver un tel indice.

73 L’administrateur général mentionne l’existence d’une preuve d’ADN. Certains tests, comme les analyses d’ADN d’un échantillon de sperme prélevé dans le vagin de la victime, peuvent donner une bonne indication de la culpabilité probable d’un suspect. Dans sa lettre, le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) ne mentionne aucune partie du corps de la plaignante sur laquelle un échantillon aurait été prélevé pour le test. Étant donné le manque de détails de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), je ne peux conclure que le test d’ADN peut être considéré comme une preuve claire, cohérente et convaincante d’activité sexuelle.

74 Je ne peux pas me fier sur le résumé qu’a fait le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels d’un rapport présenté au procureur de la Couronne qui contenait un résumé de l’information fournie par la police sur la façon dont le fonctionnaire aurait réagi et les déclarations qu’il aurait faites pendant une enquête policière. Il se peut bien qu’il y ait de l’information très cohérente établissant une inconduite probable, mais je n’ai pas les détails. Il y a trop d’éléments inconnus pour considérer cette information comme fiable, car bien des conclusions peuvent être tirées des mots utilisés par le fonctionnaire ou le policier, du contexte dans lequel ces mots ont été dits, du comportement du policier ou du fait que l’entretien ait été ou non enregistré sur bande vidéo ou dans les notes du policier. Tous ces éléments sont inconnus pour moi. De plus, l’information semble avoir été censurée au cours de son cheminement du policier à la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, en passant par le rapport au procureur de la Couronne. Par conséquent, la preuve n’est pas suffisamment claire, cohérente et convaincante.

75 Un bon exemple du manque de fiabilité de l’information superposée est que l’administrateur général soutient dans son argumentation que le fonctionnaire a induit le policier en erreur en lui mentant sur son identité, une conjecture fondée sur la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), tandis que l’information ne se trouve pas dans la lettre. Je note que l’administrateur général aurait pu sans trop d’effort – ou sans aucun effort – vérifier l’identité du policier et le sommer de comparaître à l’audience initiale pour offrir un témoignage sur ce point.

76 Pour ce qui est du faux nom, il est clair que le fonctionnaire n’a pas donné un faux nom à la police, mais il se peut qu’il en ait donné un à la plaignante. Le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels ne précise pas dans sa lettre (pièce E-7) quand le fonctionnaire aurait donné un faux nom. Je crois qu’il y a une différence entre employer un « identifiant » ou un « nom d’utilisateur » en ligne et donner un faux nom lors d’une rencontre en personne ou d’un rendez-vous romantique. La plaignante avait le numéro de téléphone du fonctionnaire; elle pouvait facilement vérifier son identité. Ce point n’est toujours pas clair pour moi, surtout que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels a utilisé une formulation vague dans sa lettre (pièce E-7) : [traduction] « M. Basra se serait présenté sous un faux nom à la plaignante […] » La lettre ne contient aucun détail et aucune description des circonstances. Il s’agit manifestement d’une formulation moins probante que « M. Basra s’est présenté sous un faux nom à la plaignante ». L’administrateur général fonde son argumentation en bonne partie sur ce point, mais l’information de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) n’est pas claire. L’administrateur général aurait pu régler ce problème en communiquant avec le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels ou l’agent enquêteur pour leur demander de témoigner à l’audience initiale. Il incombait à l’administrateur général de prouver tous les faits à l’appui de sa décision d’imposer une suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée. Le SCC aurait pu sans problème obtenir ou demander la version des faits du fonctionnaire, mais il ne l’a pas fait.

77 La lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels décrit sommairement les rapports entre le fonctionnaire et la police pendant l’enquête. Certains renseignements auraient pu être recueillis par le policier ou par d’autres personnes pendant une enquête :

  • Le fonctionnaire a nié connaître la plaignante;
  • Le fonctionnaire a nié avoir eu des relations sexuelles avec la plaignante;
  • Le fonctionnaire a refusé de fournir un échantillon d’ADN;
  • Un mandat de prélèvement d’ADN a été délivré;
  • Des échantillons d’ADN ont été prélevés;
  • L’analyse des échantillons d’ADN et l’interprétation des résultats.

Au risque de me répéter, il faut une source pour ces renseignements, comme une déclaration du fonctionnaire ou, sinon, les notes prises par des policiers, un rapport envoyé au procureur de la Couronne, un mandat de prélèvement d’ADN et l’information utilisée pour obtenir le mandat, et de l’information sur les échantillons, y compris sur quelles parties du corps ils ont été prélevés, le cas échéant, et le rapport d’analyse des échantillons. Par exemple, je note que l’administrateur général a soutenu que [traduction] « […] le mandat de prélèvement d’ADN a permis d’établir que [le fonctionnaire] a effectivement eu des relations sexuelles avec la victime ». Dans sa lettre (pièce E-7), le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels dit simplement qu’un échantillon du fonctionnaire concordait avec un échantillon de la plaignante. Il ne mentionne aucune partie du corps de la plaignante sur laquelle l’échantillon aurait été prélevé.

78 Il aurait été particulièrement utile de voir dans la description sommaire les mots ou les gestes exacts employés par le fonctionnaire quand il aurait nié connaître la plaignante et avoir eu des relations sexuelles avec elle et quand il aurait refusé de fournir un échantillon d’ADN. Je note que le SCC a fondé sa décision de suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée sur ces points importants et que l’information en question a été censurée massivement par une personne qui n’avait apparemment aucune connaissance de première main de l’affaire. L’information pourrait bien être de l’information de troisième main provenant d’un enquêteur et transmise une première fois à un agent, puis au procureur de la Couronne dans un rapport. Le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels aurait enfin reçu l’information, l’aurait examinée puis aurait écrit sa lettre.

79 Pour ce qui est de la question de savoir si le fonctionnaire a menti à la police, je note des contradictions dans les preuves. Je n’ai pas l’information qui a été fournie à la police. Selon une lettre envoyée par l’avocat du fonctionnaire le 27 avril 2006 (pièce E-10), le fonctionnaire aurait fait une déclaration à la police le 18 novembre 2004.

80 J’accepte comme un fait incontesté que le fonctionnaire a été accusé d’une infraction, mais l’administrateur général a utilisé l’information de deuxième, de troisième et de quatrième main contenue dans la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) pour établir comme un fait essentiel que le fonctionnaire a probablement commis une agression sexuelle. Je note qu’une accusation d’agression sexuelle est une accusation grave et que, généralement, dans les affaires d’agression sexuelle au civil, l’accusation doit être appuyée par des preuves claires, cohérentes et convaincantes : voir F.H. c. McDougall.

4. Occasion pour le fonctionnaire de contester le contenu de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels avant l’imposition de la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée

81 Normalement, avant de tirer des conclusions, un décideur écoute les deux parties en cause. Le SCC semble avoir reconnu la gravité de la situation, puisqu’il a nommé un comité d’enquête, qui n’a pratiquement rien fait pendant des mois. Le SCC n’a pas cherché à obtenir la version des faits du fonctionnaire; il s’est contenté de le suspendre sans traitement pour une période indéterminée. Selon moi, son intention était de le suspendre sans traitement pour une période indéterminée jusqu’à ce que la question soit réglée en cour criminelle. Je crois que les enquêteurs n’avaient pas l’intention d’interroger le fonctionnaire avant le règlement de l’affaire en cour criminelle.

82 Le fait que la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) n’est pas contestée résulte directement de l’omission du SCC de procéder à une enquête et d’interroger le fonctionnaire pour obtenir sa version des faits. De plus, à l’audience initiale, l’administrateur général a présenté la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) en appelant son destinataire à témoigner. L’administrateur général n’a pas cité le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels, et il n’a pas donné au fonctionnaire l’occasion de contester les faits avancés par l’allégation d’inconduite en contre-interrogeant un témoin.

83 J’ai trouvé que cette méthode était particulièrement injuste, surtout à la lumière de la déclaration initiale de l’administrateur général selon laquelle le fonctionnaire a eu l’occasion de contester les allégations quand, en fait, il n’y a jamais eu de rencontre disciplinaire et les enquêteurs ne lui ont jamais demandé sa version des faits.

84 Le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve contestant le contenu de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Dans notre système accusatoire, un fonctionnaire n’est pas obligé de témoigner. Je note cependant que le fardeau de la preuve dans des affaires disciplinaires réside du côté de l’administrateur général, qui doit établir la valeur de ses arguments à l’aide de preuves claires et convaincantes et selon la prépondérance des probabilités. Il faut déterminer si la preuve présentée par l’administrateur général est suffisamment fiable pour justifier l’imposition de mesures disciplinaires à l’endroit du fonctionnaire, soit une suspension sans traitement pour une période indéterminée. Je demeure préoccupé par la qualité des preuves dont le SCC s’est servi pour le suspendre.

85 Il était supposément incontestable que le fonctionnaire avait été accusé d’agression sexuelle et allait passer en cour. L’agression sexuelle est un crime grave. Ce qui me préoccupe, c’est que le SCC n’a rien fait pour vérifier les faits, à part demander à M. Scott de lire la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) et nommer des enquêteurs qui ont fait très peu ou rien du tout pour vérifier les faits. Le SCC a renouvelé à quelques reprises la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée alors qu’il n’avait obtenu aucune nouvelle information. Il aurait simplement accepté la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7), comme si elle contenait des faits prouvés.

86 Par ailleurs, le SCC a tiré des conclusions qui n’étaient pas appuyées par les preuves. Par exemple, il a conclu que le fonctionnaire avait le devoir d’aviser le SCC qu’il était accusé d’une infraction au criminel et qu’il faisait l’objet d’une enquête policière, et qu’il avait été malhonnête en ne divulguant pas cette information. J’ai tranché ces questions dans ma décision initiale. J’avais alors conclu (et je maintiens ma position) que le SCC n’aurait pas dû suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée juste parce que, selon M. Scott, il [traduction] « […] n’a pas informé son superviseur, avant de réintégrer son poste, qu’il avait été accusé d’une infraction au criminel […] », car cette assertion n’est appuyée par aucun fait.

87 Je n’accepte pas l’argument de l’administrateur général selon lequel il n’y avait pas vraiment moyen de faire avancer l’enquête et qu’il n’y avait pas grand-chose d’autre à faire qu’attendre la disposition de l’accusation au criminel. J’ai fait le commentaire suivant dans la décision initiale concernant le caractère inadéquat de l’enquête :

[…]

[28] On n’a déposé aucune preuve que le SCC a obtenu une réponse de la GRC dans cette affaire. Sur la foi de ce qui m’a été soumis, il est clair que le SCC n’a jamais eu en sa possession un rapport de police ni un document de divulgation par la Couronne au sujet de l’accusation au criminel. On ne m’a avancé aucune explication claire de la raison pour laquelle le SCC n’a pas obtenu d’autres renseignements. Si les enquêteurs avaient été appelés à témoigner, peut-être aurais-je eu de l’information plus claire à l’audience sur leurs tentatives pour tirer les choses au clair.

[…]

88 Je ne comprends pas du tout pourquoi le SCC n’a pas interrogé le fonctionnaire. Je note que le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels souligne dans sa lettre (pièce E-7) qu’il est important de le faire : [traduction] « […] vous auriez intérêt à communiquer cette information avec M. Basra pour lui permettre de répondre de la manière appropriée ». On a avisé le fonctionnaire au début de sa suspension sans traitement pour une période indéterminée qu’il serait convoqué à une réunion disciplinaire. Dans une lettre datée du 24 avril 2006 (pièce E-7), on l’a avisé qu’une enquête disciplinaire avait été lancée. On lui a dit qui dirigeait cette enquête. On lui a dit ce qui suit : [traduction] « […] on communiquera avec vous en temps et lieu pour fixer une date pour un interrogatoire […] vous avez le droit d’inviter un représentant à cette rencontre ». Au moment de l’audience initiale, on n’avait toujours pas communiqué avec le fonctionnaire pour la rencontre. Les enquêteurs n’avaient toujours pas déposé leur rapport, et M. Brown n’avait pas reporté le délai pour ce rapport. À l’audience initiale, Sherry Enns, déléguée syndicale de l’agent négociateur, a décrit comme suit le processus utilisé par le SCC pour la tenue d’une rencontre disciplinaire (paragraphe 83 de la décision initiale) :

[83] Mme Enns, qui est CX-02, a témoigné pour M. Basra. Elle travaille à l’établissement de Matsqui et est aussi présidente de la section locale de l’Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN, l’agent négociateur de M. Basra. D’après son expérience, lorsque le SCC veut parler à un employé d’une question disciplinaire, il lui envoie une lettre avec copie à l’agent négociateur. Le SCC donne habituellement un préavis de 48 heures lorsqu’il convoque un employé dans ces circonstances, en fixant l’heure, la date et le lieu de la rencontre. À part les réunions relatives à son grief, Mme Enns n’est au courant d’aucune rencontre disciplinaire ou d’enquête organisée par le SCC au sujet de M. Basra à laquelle l’agent négociateur a été invité à participer; elle n’est au courant que de réunions concernant le grief.

Par ailleurs, le témoin de l’administrateur général, M. Brown, a déclaré qu’il n’avait pas reporté le délai pour l’enquête. J’ai indiqué ce qui suit au paragraphe 65 : « […] [M. Brown] a dit que la procédure normale durant l’enquête consiste à convoquer l’employé à un interrogatoire en fixant l’heure, la date et le lieu de la rencontre […] »

89 Le SCC aurait dû fournir au fonctionnaire la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7). Le SCC aurait dû convoquer le fonctionnaire à une rencontre et lui demander s’il détenait de l’information qui pourrait l’aider à prendre une décision concernant sa situation d’emploi. Le SCC aurait pu demander au fonctionnaire de lui fournir tous les documents se rapportant à l’accusation au criminel, par exemple une copie de la déclaration qu’il dit avoir donnée à la police durant l’enquête et une copie de l’information écrite que la Couronne a dû transmettre au fonctionnaire dans le cadre de l’affaire au criminel. Le SCC aurait pu demander au fonctionnaire de répondre à ses questions lors d’une rencontre. Ainsi, il aurait pu obtenir de l’information qui l’aurait aidé à évaluer le risque de le garder dans le lieu de travail. Si le fonctionnaire avait refusé de coopérer, le SCC aurait pu tenir compte de ce refus au moment de déterminer s’il était nécessaire de le suspendre sans traitement pour une période indéterminée.

90 Selon moi, quand un employé est accusé d’une infraction au criminel, son employeur devrait se demander s’il peut le garder dans son milieu de travail en attendant le règlement de l’accusation. Il devrait s’employer à déterminer si l’employé devrait être suspendu avec ou sans traitement, pendant combien de temps, et si ses fonctions devraient être modifiées pour diminuer le risque. En droit criminel, l’employé est présumé innocent à partir du moment où l’accusation a été portée jusqu’à sa condamnation. Un accusé n’est pas tenu d’aider la police durant une enquête.

91 Une accusation au criminel peut avoir des conséquences quant au droit du travail. Un employé a le droit de garder le silence lors d’une procédure pénale, à moins qu’il ait une obligation explicite de parler, mais ce droit n’est pas décrit comme un droit absolu et inconditionnel dans le droit du travail. Un employeur doit être justifié d’imposer une mesure disciplinaire à un employé. Habituellement, cela signifie qu’un employeur a l’obligation de mener une enquête s’il veut imposer une mesure disciplinaire à un employé. Un employé est tenu de répondre aux questions de son employeur, particulièrement si l’inconduite reprochée risque de compromettre les intérêts légitimes de son employeur : voir British Columbia Ferry Services Inc. v. British Columbia Ferry and Marine Workers’ Union (2007), 159 L.A.C. (4e) 165. À l’audience initiale, l’administrateur général a soutenu que le comportement du fonctionnaire compromettait les activités du SCC. M. Brown a présenté de nombreuses preuves pour appuyer ce point.

92 Je dois décider si le SCC était justifié d’imposer une mesure disciplinaire à un employé en se fondant sur une lettre écrite par le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels dans laquelle on déclare qu’une accusation a été portée concernant la perpétration présumée d’une infraction au criminel. En fait, on me demande d’accepter que la lettre du coordonnateur de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) contient des preuves suffisamment claires, cohérentes et convaincantes pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que le fonctionnaire a commis une agression sexuelle dans les circonstances décrites et a ainsi violé le Code de discipline ou les Règles de conduite professionnelle, tandis que le SCC ne s’est même pas donné la peine de l’interroger pour déterminer si l’allégation était fondée.

93 Je suis extrêmement mal à l’aise avec la proposition de l’administrateur général, qui croit qu’un employeur peut simplement recevoir une lettre d’un autre fonctionnaire l’informant qu’une accusation a été portée contre un employé et suspendre cet employé sans traitement pour une période indéterminée sans mener une enquête adéquate et, surtout, sans interroger l’employé. Le SCC a reconnu le besoin de mener une enquête disciplinaire, car il a immédiatement nommé des enquêteurs, mais ces derniers n’ont mené aucune enquête disciplinaire. Dans le cas présent, la décision du SCC de suspendre le fonctionnaire sans traitement pour une période indéterminée sans mener d’enquête était abusive, car elle ne respectait pas le concept de motif valable qui sous-tend l’imposition d’une mesure disciplinaire.

94 Je conclus que l’administrateur général n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités et en présentant des preuves suffisamment claires, cohérentes et convaincantes – preuves dont devait disposer le SCC quand il a imposé la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée – que le fonctionnaire a commis la présumée agression sexuelle. Par conséquent, l’administrateur général n’a pas non plus réussi à démontrer que le fonctionnaire a violé le Code de discipline ou les Règles de conduite professionnelle, car il n’a pas rempli la première partie du critère établi dans William Scott.

95 Dans un cas comme celui-ci, je me serais au moins attendu à ce que le SCC essaie de clarifier le contenu de la lettre du coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (pièce E-7) et cherche à obtenir plus de détails. Je me serais attendu à ce que l’administrateur général somme le coordonnateur de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels de comparaître lors d’une audience d’arbitrage. Je crois qu’il aurait aussi été prudent de la part de l’administrateur général de citer les agents enquêteurs à témoigner. Enfin, je me serais au moins attendu à ce que le SCC interroge le fonctionnaire dans un délai raisonnable.

96 Compte tenu de ma conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres parties du critère établi dans William Scott. Si l’administrateur général avait réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités et en s’appuyant sur des preuves claires, cohérentes et convaincantes – preuves dont devait disposer le SCC quand il a imposé la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée – que le fonctionnaire a violé le Code de discipline ou les Règles de conduite professionnelle, il aurait fallu déterminer si la suspension disciplinaire sans traitement pour une période indéterminée était trop sévère et, le cas échéant, trouver une mesure de remplacement plus appropriée. Le fonctionnaire doit être réintégré dans ses fonctions à compter du 3 mai 2006, soit la date à laquelle la suspension sans traitement pour une période indéterminée est devenue une mesure disciplinaire.

97 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

98 Le grief est accueilli. J’ordonne que le fonctionnaire soit réintégré dans son poste de CX-01 à compter du 3 mai 2006, avec remboursement rétroactif de son traitement et de ses avantages sociaux, plus les intérêts. Je demeure saisi de l’affaire pendant 90 jours pour l’exécution de ma décision, dans les limites des modalités précisées ci-dessus.

Le 1er mai 2012.

Traduction de la CRTFP

Paul Love,
arbitre de grief

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