Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

L’agent négociateur a déposé des griefs collectifs au nom d’employés de centres d’appels situés dans quatre villes du Canada, alléguant que l’employeur ne maintenait pas un taux sain de 80% d’activité, ce qui violait l’article22 de la convention collective concernant la santé et la sécurité au travail - l’employeur a soulevé une objection préliminaire concernant la compétence de l’arbitre de grief pour entendre ces questions, affirmant que l’article22 ne confère aucun droit substantif et ne pouvait donc servir de fondement à un grief collectif - il s’agit d’une clause de consultation qui entraîne une obligation de l’employeur à l’endroit de l’agent négociateur et non envers les employés pris individuellement - il a aussi affirmé que, selon le paragraphe215(4) de la Loi, l’arbitre de grief doit décliner sa compétence, puisqu’il existe d’autres recours administratifs de réparation en vertu du Code canadien du travail (CCT) et de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État - l’agent négociateur a admis que leCCT s’appliquait aux fonctionnaires s’estimant lésés, mais il a affirmé qu’il n’offrait pas la possibilité d’obtenir des dommages et que, par conséquent, il ne fournissait pas une réparation véritable ou avantageuse pour les fonctionnaires s’estimant lésés - l’arbitre de grief a maintenu que les mécanismes de réparation prévus à la partieII du CCT s’appliquaient bel et bien aux fonctionnaires s’estimant lésés. Objection préliminaire accueillie. Dossier clos.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-08-13
  • Dossier:  567-02-68 to 71
  • Référence:  2012 CRTFP 84

Devant un arbitre de grief


ENTRE

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

agent négociateur

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

employeur

Répertorié
Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant des griefs collectifs renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Joseph W. Potter, arbitre de grief

Pour l’agent négociateur:
Amarkai Laryea, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Sean Kelly, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
le 28 juin 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs collectifs renvoyés à l’arbitrage

1 Ces griefs collectifs ont été présentés en 2009 par l’Alliance de la Fonction publique du Canada (l’« agent négociateur ») au nom d’employés du ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences (l’« employeur ») travaillant dans plusieurs centres d’appels situés à Toronto, Hamilton, Edmonton et Vancouver. Tous les griefs contiennent essentiellement les mêmes allégations :

[Traduction]

Nous contestons le refus de la direction de maintenir le taux d’activité à 80 % par demi-heure pendant notre journée de travail, un taux qu’elle a elle-même qualifié de sain et qui est recommandé par des spécialistes des centres d’appels. Ce faisant, l’employeur a omis de prendre des mesures raisonnables en ce qui concerne notre santé et notre sécurité au travail, contrevenant ainsi à l’article 22 de la convention collective.

2 Les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), dont les noms apparaissent dans le dossier de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), ont demandé à l’arbitre de grief de rendre une ordonnance contenant essentiellement les cinq éléments suivants :

  1. Maintenir un taux d’activité sain de 80 %;
  2. Embaucher plus de personnel pour réduire le taux d’activité;
  3. Offrir de la formation sur le taux d’activité à tout le personnel;
  4. Informer chaque semaine les employés de leur taux d’activité;
  5. Indemniser les employés en leur remboursant des congés de maladie sur la base d’une formule précisée dans les griefs.

3 À noter que le taux d’activité est [traduction] « […] le pourcentage de temps que les employés passent à répondre à des appels par rapport à celui qu’ils passent à attendre des appels […] », comme il est indiqué dans la réponse au premier palier pour le grief du groupe de Toronto.

4 L’affaire devait être entendue à Ottawa les 28 et 29 juin 2012.

5 Le 23 mai 2012, l’avocat de l’employeur a envoyé à la Commission une lettre dans laquelle il affirmait ce qui suit : [traduction] « […] nous comptons soulever une objection concernant la compétence de l’arbitre de grief pour entendre ces questions […] ». L’employeur a demandé une conférence préparatoire à l’audience pour discuter de son objection et d’autres questions préliminaires.

6 Pendant la conférence préparatoire à l’audience qui a eu lieu le 15 juin 2012, les parties ont convenu que l’audience ne porterait que sur l’objection préliminaire de l’employeur, et non sur le bien-fondé des griefs. La décision concernant cette question déterminerait si l’affaire serait mise au rôle ou non.

7 Cette décision porte sur l’objection à la compétence de l’arbitre de grief soulevée par l’employeur.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

8 L’avocat de l’employeur a présenté des arguments écrits sur la question de compétence. La Commission conserve une copie de ce document dans ses dossiers.

9 L’argumentation de l’employeur concernant la compétence comprend deux volets. Tout d’abord, l’employeur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…] l’article 22 de la convention collective ne peut être utilisé pour justifier un grief collectif, car cet article ne confère aucun droit individuel substantif pouvant donner ouverture à un grief en vertu du paragraphe 215(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « LRTFP ») […]

10 Ensuite, il a affirmé ce qui suit :

[Traduction]

[…] Le Code canadien du travail (le « CCT ») et la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État (la « LIAE ») offrent des recours administratifs de réparation pour ces griefs collectifs. Par conséquent, l’arbitre de grief doit décliner sa compétence pour trancher ces griefs collectifs en vertu du paragraphe 215(4) de la LRTFP, de l’article 12 de la LIAE et de l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (la « LRCECA »). […]

11 Dans leurs griefs, les employés ont allégué une violation de l’article 22 de la convention collective applicable (onglet 1 du cahier de textes faisant autorité présenté par l’agent négociateur) (la « convention collective »). Le passage du recueil se lit comme suit :

22.01  L'Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé- e- s. Il fera bon accueil aux suggestions de l'Alliance à cet égard, et les parties s'engagent à se consulter en vue d'adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d'accidents de travail.

12 Il est clairement établi dans la jurisprudence que l’article 22 de la convention collective ne confère aucun droit aux employés pris individuellement, et donc ne s’inscrit pas dans les limites du paragraphe 215(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP), qui est libellé comme suit :

215.(1)    L’agent négociateur d’une unité de négociation peut présenter un grief collectif à l’employeur au nom des fonctionnaires de cette unité qui s’estiment lésés par la même interprétation ou application à leur égard de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale.

13 L’article 22 de la convention collective est une disposition de consultation au terme duquel l’employeur et l’agent négociateur ont convenu de se consulter concernant les questions portant sur la santé et la sécurité au travail. L’employeur a une obligation envers l’agent négociateur et non envers les employés pris individuellement (Parsons et al. c. Conseil du Trésor (Défense nationale), 2004 CRTFP 160, au paragraphe 38; Spacek c. Agence du revenu du Canada, 2006 CRTFP 104, aux paragraphes 25, 36 et 40; Kolski c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossiers de la CRTFP 166-2-25899, 25900 et 26020 (19941206); Breault c. le Conseil du Trésor (Agriculture Canada), dossier de la CRTFP 166-2-24186 (19940428).

14 L’article 22 de la convention collective doit être interprété dans son ensemble. Ainsi, cet article fait en sorte que l’employeur a une obligation à l’égard de l’agent négociateur, mais pas à l’égard de l’employé pris individuellement.

15 Pour ce qui est du deuxième volet de l’argumentation de l’employeur sur la question de la compétence, la partie II du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le « CCT »), est un « recours administratif de réparation » pour les griefs collectifs comme ceux dont il est question dans la présente affaire. Ainsi, l’arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre cette affaire, conformément au paragraphe 215(4) de la LRTFP.

16 Quand le paragraphe 215(4) de la LRTFP s'applique, le recours administratif devient le processus exclusif, et l’arbitre de grief doit décliner sa compétence (voir Brown c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1205, au paragraphe 28).

17 La Cour d’appel fédérale a clairement indiqué que si le fonctionnaire peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être utilisé dans la mesure où il fournit une réparation véritable. Le processus en question ne doit pas nécessairement offrir une réparation équivalente, identique ou supérieure, mais il doit traiter la plainte de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief (voir Canada (Procureur général) c. Boutilier, [2000] 3 C.F. 27 (C.A.) : permission d’en appeler rejetée dans [2000] A.C.S.C. no 12; Byers Transport Ltd. c. Kosanovich, [1995] 3 C.F. 354 (C.A.) : permission d’en appeler rejetée dans [1995] A.C.S.C. no 444).

18 La partie II du CCT établit clairement les obligations de l’employeur envers ses employés en matière de santé et de sécurité. La Cour d’appel fédérale a reconnu que les plaintes en matière de santé et de sécurité alléguant qu’un milieu de travail est stressant s’inscrivent clairement dans la portée de la partie II du CCT (voir Canada (Gendarmerie royale du Canada) c. Prentice, 2005 CAF 395).

19 Dans ces griefs, les fonctionnaires soutenaient que le taux d’activité au travail leur causait un stress de plus en plus élevé.

20 Galarneau et al. c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 70, portait sur la même question, mais l’arbitre de grief dans cette affaire a jugé qu’il avait compétence. De toute évidence, cette décision était erronée.

21 Ces griefs collectifs s’inscrivent dans la portée de la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État, L.R.C. 1985, ch. G-5 (la « LIAE »). Par conséquent, conformément à l’article 12 de la LIAE, à l’article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50 (la « LRCECA »), et au paragraphe 215(4) de la LRTFP, un arbitre de grief n’a pas compétence pour les entendre.

22 L’article 12 de la LIAE interdit tout recours (y compris un grief) contre l’employeur pour un accident de travail. La jurisprudence établit clairement qu’une allégation de stress de plus en plus élevé au travail s’inscrit dans les limites de la LIAE.

B. Pour l’agent négociateur

23 Le représentant de l’agent négociateur a présenté des arguments écrits au sujet de la question de compétence. Une copie de ces arguments a été versée au dossier de la Commission.

24 La Commission a compétence pour entendre cette question. La question en litige dans les griefs peut faire l’objet d’un grief en vertu de la clause 18.27 de la convention collective et du paragraphe 208(1) de la LRTFP, qui se lit comme suit :

208.(1)    Sous réserve des paragraphes (2) à (7), le fonctionnaire a le droit de présenter un grief individuel lorsqu’il s’estime lésé :

  1. par l’interprétation ou l’application à son égard :
    1. soit de toute disposition d’une loi ou d’un règlement, ou de toute directive ou de tout autre document de l’employeur concernant les conditions d’emploi,
    2. soit de toute disposition d’une convention collective ou d’une décision arbitrale;
  2. par suite de tout fait portant atteinte à ses conditions d’emploi.

25 Comme on le voit ci-dessous, aux termes du paragraphe 208(2) de la LRTFP, un employé ne peut présenter un grief individuel si un recours administratif de réparation est offert par une autre loi du Parlement :

208.(2)    Le fonctionnaire ne peut présenter de grief individuel si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

26 Dans la présente affaire, il faut déterminer si un recours administratif de réparation est offert par une autre loi du Parlement. Voici un extrait de Galarneau :

[…]

[42] Pour déterminer s’il existe un autre recours administratif, l’arbitre de grief doit cerner l’objet du litige et déterminer si cet objet peut être raisonnablement et efficacement traité par le biais du recours administratif. Pour cerner l’objet du grief, l’arbitre de grief doit s’attarder à l’essence des allégations des fonctionnaires. L’interdiction de déposer un grief s’appliquera si le recours administratif porte sur les questions principales soulevées par le grief et non sur les questions secondaires ou accessoires. Le cas échéant, les recours et réparations auxquels donnent lieu le grief et le recours administratif n’ont pas à être identiques, mais le recours administratif doit offrir au fonctionnaire une réparation véritable et avantageuse.

[…]

27 Pour répondre à cette question, il faut déterminer l’essence du grief, qui a été présenté ainsi par l’agent négociateur dans son argumentation :

[Traduction]

[…]

Les griefs portent sur des préoccupations en matière de santé et sécurité découlant des taux d’activité dans le milieu de travail d’un centre d’appel. Le taux d’activité représente le temps qu’un agent passe au téléphone, ou à faire du travail après un appel, par rapport au temps où il est branché et en attente d’un appel. Par exemple, pour une période de 30 minutes, si 27 minutes sont consacrées à travailler, le taux d’activité équivaudrait à 90 % de la période de 30 minutes (27/30).

Selon les griefs déposés dans le cadre de cette affaire, un taux d’activité est jugé sain s’il est de 80 %, mais l’employeur refuse de se conformer à ce taux, ce qui fait qu’il n’offre pas des conditions de santé et de sécurité raisonnables. Les auteurs des griefs demandent que l’employeur maintienne un taux d’activité de 80 %. Ils demandent également que l’employeur embauche plus d’employés et fournisse davantage de formation à l’ensemble du personnel. Enfin, ils demandent des dommages-intérêts en raison de leur exposition à un milieu de travail malsain. Dans cette affaire, les dommages-intérêts sont exprimés en termes de remboursement de congés de maladie.

Le syndicat soutient dans ses arguments que l’essence du grief doit être déterminée en examinant le grief dans son ensemble, ce qui signifie qu’il faut également tenir compte de la mesure corrective demandée. Comme nous le verrons plus loin, les objectifs des recours administratifs de réparation offerts en vertu des lois invoquées par l’employeur diffèrent de ceux des griefs et proposent des mesures de réparation différentes de celles demandées dans les griefs présentés.

[…]

28 La LIAE sert à indemniser les employés qui ont été victimes d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle. Les fonctionnaires dans la présente affaire n’ont pas déclaré avoir été victimes d’un accident de travail ni avoir souffert d’une incapacité découlant d’une maladie professionnelle, et ils ne cherchent pas à être indemnisés en vertu de la LIAE. Par conséquent, la LIAE ne s’applique pas aux fonctionnaires.

29 La partie II du CCT porte sur la prévention en matière de santé et de sécurité au travail. Les deux principaux mécanismes offerts aux employés en vertu du CCT sont le refus de travail en cas de danger et le droit de présenter une plainte.

30 Les fonctionnaires n’ont pas refusé de travailler et ils n’ont pas indiqué avoir l’intention d’exercer leur droit de refuser de travailler en vertu de l’article 128 du CCT. L’agent négociateur a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

[…]

En vertu du Code, les employés ont le droit de présenter une plainte, et cette plainte doit être examinée en vertu de l’article 127.1. La plainte peut être renvoyée à l’agent de santé et de sécurité dans les cas énumérés au paragraphe 127.1(8). L’agent de santé et de sécurité possède certains pouvoirs en vertu de l’article 145. Les décisions rendues par l’agent de santé et de sécurité peuvent être portées en appel auprès d’un agent d’appel en vertu de l’article 145.1 du Code.

Le syndicat convient qu’un agent de santé et de sécurité aurait compétence pour examiner si les fonctionnaires sont exposés à un milieu de travail malsain et si cette situation constitue un manquement de la part de l’employeur à son devoir aux termes de l’article 124 du Code. Toutefois, la question consiste à déterminer si ce recours offre aux fonctionnaires une réparation véritable et avantageuse.

Le syndicat soutient que le recours proposé par le Code pourrait mener à une ordonnance obligeant l’employeur à respecter le taux d’activité de 80 % afin d’éliminer l’exposition à un milieu de travail malsain. Cependant, il ne pourrait pas accorder les dommages réclamés dans les griefs.

Comme il est indiqué dans Galarneau [2009 CRTFP 70], les demandes de dommages des fonctionnaires ne peuvent être considérées comme des éléments accessoires ou secondaires des griefs.

[59] […] Les fonctionnaires recherchent deux mesures de réparation, l’une ayant une perspective prospective qui vise l’élimination de la fumée secondaire pour l’avenir alors que l’autre vise à compenser des préjudices allégués qui auraient déjà été subis. Je ne vois pas sur quelle base on pourrait accorder moins d’importance ou de valeur à la réclamation en dommages ou encore la qualifier de secondaire.

[60] Or, conclure en l’espèce que le mécanisme de plainte constitue un recours administratif de réparation au sens du paragraphe 208(2) de la Loi équivaudrait à priver les fonctionnaires du droit de réclamer des dommages s’il s’avérait que l’employeur a contrevenu à la convention collective. Je considère qu’une telle interprétation du paragraphe 208(2) de la Loi restreindrait indûment le droit des fonctionnaires de faire valoir leurs prétentions.

[…]

Compte tenu de ce qui précède, le syndicat soutient que le Code ne propose pas de mesure de réparation aussi complète et avantageuse que les griefs, puisqu’il ne couvre pas un élément clé de la réparation demandée par les fonctionnaires, soit les dommages. Le syndicat ajoute que le Code n’offre pas de réparation suffisamment complète pour être jugée véritable et avantageuse pour les fonctionnaires, et c’est pourquoi les fonctionnaires avaient raison de déposer leurs griefs individuels en vertu du paragraphe 208(1) de la LRTFP, et ces griefs ont été correctement renvoyés en vertu de l’article 209(1) de la LRTFP.

[…]

L’article 22 de la convention collective applicable donne clairement des droits substantifs et des droits individuels, et la violation de cet article peut servir de fondement à des griefs. Cet article est libellé comme suit :

L'Employeur prend toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Il fera bon accueil aux suggestions de l'Alliance à cet égard, et les parties s'engagent à se consulter en vue d'adopter et de mettre rapidement en œuvre toutes les procédures et techniques raisonnables destinées à prévenir ou à réduire les risques d'accidents de travail.

La première phrase de l’article 22 crée clairement pour l’employeur une obligation substantive à l’endroit de chacun de ses employés. Dans Galarneau [2009 CRTFP 70], on a dit :

[66] À mon sens, la première phrase de la clause 18.01 de la convention collective crée clairement pour l’employeur une obligation substantive à l’endroit de chacun des employés : l’employeur doit prendre toute mesure raisonnable concernant la santé et la sécurité au travail des employé-e-s. Bien qu’il s’agisse d’une obligation énoncée en termes généraux, il s’agit, à mon avis, d’un engagement non moins substantif, dont la portée s’étend à chacun des employés de l’employeur. Dans la deuxième phrase de la clause, les parties énoncent les moyens qu’elles s’engagent à prendre pour assurer le respect de l’obligation prévue à la première phrase. Pour permettre à l’employeur de respecter son obligation de prendre des mesures raisonnables pour protéger la santé et la sécurité de ses employés, les parties se sont imposées l’obligation de se consulter et de collaborer en vue de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour ce faire. Je ne vois pas sur quelle base ce deuxième volet de la clause devrait éclipser l’obligation de l’employeur, et le droit corollaire des employés, prévus dans la première phrase de la clause.

[67] Je considère au contraire que l’objet principal de la clause 18.01 de la convention collective se trouve dans l’obligation de l’employeur qui est énoncée dans la première phrase de la clause, alors que la deuxième phrase prévoit la mise en œuvre de mécanismes qui favoriseront le respect de cette obligation. Ces mécanismes, créés sous forme d’engagements respectifs de l’employeur et de l’agent négociateur, ne sont pas exclusifs et n’ont pas pour effet de réduire le caractère substantif de l’obligation clairement établie dans la première phrase de la clause. Au surplus, je ne vois pas ce qui empêcherait les parties de prévoir dans une même clause une obligation de l’employeur à l’égard de ses employés et des obligations mutuelles pour l’employeur et pour l’agent négociateur. J’estime, avec respect, que conclure que la clause 18.01 de la convention collective ne confère pas de droits individuels aux employés propose une interprétation trop restrictive qui vide de son sens la première phrase de cette clause.

Dans Gaignard v. Canada (Attorney General) [2003 Canlii 40299], il était question d’une clause identique à celle qui nous intéresse dans la convention collective. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario avait jugé qu’elle n’avait pas compétence parce qu’elle considérait qu’un arbitre de grief de la CRTFP serait en mesure de régler ce type de problème. Voici un extrait de cette décision :

[Traduction]

[23] Les faits donnent lieu à une plainte déposée par des personnes qui reconnaissent être visées par la convention collective. Leur plainte, portée contre leur employeur et son équipe de direction, concerne la façon dont le lieu de travail était géré par la direction. L’employeur aurait mené une opération secrète pour faire cesser l’introduction d’objets interdits au Pénitencier de Kingston. Les méthodes employées, aux dires des appelants, empoisonnaient leur environnement de travail et leur causaient un préjudice physique et moral. Ces allégations font clairement intervenir l’obligation de l’employeur – prévue à l’article 18 de la convention collective – de prendre des dispositions raisonnables pour assurer la santé et la sécurité des employés au travail.

[24] En suivant ce même raisonnement, il est clair que le champ d’application de l’article 18 englobe les faits qui, de l’avis des appelants, sont à l’origine de ce litige. L’obligation de l’employeur, en vertu de la convention collective, d’assurer la sécurité du lieu de travail est directement impliquée en raison de l’opération secrète et de ses conséquences pour les appelants, ainsi qu’on le fait valoir dans la déclaration.

[25] Si ce différend faisait l’objet d’un arbitrage et qu’on établissait que la convention collective avait été enfreinte, le redressement ordonné comprendrait assurément un dédommagement des employés blessés qui auraient déposé le grief. Cela remédierait aux torts causés d’une façon très semblable à l’octroi de dommages dans une poursuite en justice. Il n’y aurait pas de privation du recours ultime.

[26] Enfin, globalement, il me semble que ce différend correspond précisément au genre de litiges que les parties envisageaient comme aboutissant à l’arbitrage lorsqu’elles se sont entendues sur l’article 18. Les faits renvoient à un conflit en milieu de travail entre des syndiqués et la direction. La convention collective prévoit une obligation qui s’applique assez clairement au problème. Et l’arbitrage peut donner lieu à un redressement efficace. Dans ces circonstances, le caractère essentiel du litige implique l’application du principe de la compétence exclusive. Les tribunaux ne sont donc pas habilités pour instruire une action fondée sur ce différend.

Quelques années plus tard, la Cour fédérale, sans pour autant rendre de jugement sur la question, a eu l’occasion d’examiner une autre clause presque identique dans Galarneau c. Canada (procureur général) [2005 CF 39]. Dans cette décision, la Cour a mentionné Gaignard et a déclaré ce qui suit :

[35] Pourtant, le langage de l'article 18.01 et des dispositions étudiées dans ces affaires, est très similaire à celui de l'article 124 du Code canadien du travail qui lui crée l'obligation générale des employeurs vis à vis chacun de ses employés et qui se lit comme suit :

124. L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

[…]

[38] Donc même s'il est très probable que l'interprétation adoptée par la Cour d'appel de l'Ontario soit suivie particulièrement eu égard au langage de l'article 124 du Code canadien du travail et de l'interprétation large et libérale que l'on donne généralement aux conventions collectives, la Cour ne peut conclure que la position de la demanderesse n'a aucune chance de succès.

Si l’article 22 ne donnait pas de droits substantifs et de droits individuels, les fonctionnaires n’auraient pas de recours administratifs grâce auxquels ils pourraient obtenir une réparation véritable et avantageuse pour les préoccupations soulevées dans leur grief. Ce n’est pas là l’intention qu’auraient pu avoir les parties lorsqu’elles ont négocié la convention collective, ni l’intention des législateurs lorsqu’ils ont rédigé le paragraphe 208(2) de la LRTFP.

[…]

[Les passages soulignés le sont dans l’original]

III. Motifs

31 Pour commencer mon analyse, je me pencherai sur l’argument concernant « l’autre recours administratif de réparation ». Le paragraphe 215(4) de la LRTFP prévoit ce qui suit :

215.(4)    L’agent négociateur ne peut présenter de grief collectif si un recours administratif de réparation lui est ouvert sous le régime d’une autre loi fédérale, à l’exception de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

32 L’employeur a déclaré que les dispositions de la partie II du CCT s’appliquaient, et que cette partie est un recours administratif de réparation pour traiter les griefs collectifs. Par conséquent, il a soutenu qu’un arbitre de grief n’a pas compétence pour entendre les griefs collectifs.

33 L’agent négociateur a convenu que le CCT s’appliquait et qu’une ordonnance pourrait être rendue pour forcer l’employeur à respecter le taux d’activité de 80 %. Toutefois, cette ordonnance ne pourrait pas donner lieu au versement de dommages. L’agent négociateur a donc déclaré que le CCT n’offrait pas une réparation aussi complète et avantageuse que la procédure de règlement de griefs, car elle n’accorde pas de dommages.

34 Les faits dans cette affaire démontrent qu’il est entendu que la partie II du CCT peut être appliquée aux fonctionnaires. On pourrait penser que ce fait est suffisant pour trancher la question et décider que le paragraphe 215(4) de la LRTFP empêche le dépôt des présents griefs. Toutefois, l’agent négociateur a déclaré que la partie II du CCT ne prévoit pas le versement de dommages. Par conséquent, la réparation qu’elle offrirait ne pourrait pas être jugée véritable et avantageuse pour les fonctionnaires.

35 Dans Boutilier (paragraphe 23), la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit :

Essentiellement, c'est le principe énoncé dans l'arrêt Byers Transport qui détermine l'issue des affaires en l'espèce. Ce principe est compatible avec le libellé et l'objet de la loi, avec la décision rendue dans Cooper, de même qu'avec presque toute la jurisprudence de la Cour. Le mode de règlement des litiges en matière de relations de travail sous le régime fédéral n'est donc pas aussi simple qu'on pourrait être porté à le croire. Si le plaignant peut se prévaloir d'un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation "véritable". Ce recours n'a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu'il traite la plainte "de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l'employé"7. Les délais qui peuvent survenir au cours du processus administratif menant à l'obtention de la réparation ne sont pas en soi significatifs, à moins d'être à ce point excessifs que la situation équivaut à priver le plaignant d'une réparation véritable. Que le recours administratif soit différent, même s'il s'agit d'une "réparation moindre", il n'en demeure pas moins un recours.

36 Si le CCT traite le grief [traduction] « […] de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief […] », on doit alors conclure qu’un [traduction] « […] autre recours administratif de réparation […] » existe, et que ce dernier annule ma compétence dans cette affaire.

37 L’agent négociateur a déclaré que, en vertu du CCT, un agent de santé et sécurité pourrait mener une enquête qui [traduction] « […] pourrait mener à une ordonnance obligeant l’employeur à respecter le taux d’activité de 80 % afin d’éliminer l’exposition à un milieu de travail malsain ». Il a ainsi reconnu que le processus du CCT offre tout de même une sorte de réparation, mais il soutient que celle-ci est insuffisante, car elle ne prévoit pas le versement de dommages.

38 Je suis d’avis que le processus du CCT offre en effet un mécanisme permettant de traiter cette affaire [traduction] « de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief ».

39 L’agent négociateur a déclaré que la demande de dommages des fonctionnaires ne peut être considérée comme un élément accessoire ou secondaire des griefs. Il a cité Galarneau pour appuyer son argument.

40 Même si c’était le cas dans Galarneau , je ne crois pas que les faits sont les mêmes en l’espèce.

41 Comme l’a noté l’agent négociateur, [traduction] « […] pour déterminer s’il existe un autre recours administratif, il faut déterminer l’essence du grief […] ». L’agent négociateur a aussi déclaré que l’essence du grief doit être déterminée en examinant le grief dans son ensemble, ce qui signifie qu’il faut également tenir compte de la mesure corrective demandée. Je suis d’accord avec cette proposition.

42 Dans tous les griefs, la mesure corrective demandée contient cinq volets.

43 Premièrement, les fonctionnaires demandent [traduction] « […] que la direction s’assure dès maintenant de respecter de manière constante un taux d’activité sain de 80 % ["] ».

44 Je note qu’il s’agit de la première demande des fonctionnaires. Je crois qu’il est raisonnable de conclure que cette demande est prioritaire pour les fonctionnaires, car elle est directement liée à l’énoncé du grief en plus d’être la première de la liste.

45 L’agent négociateur a reconnu qu’un enquêteur du CCT pourrait régler la question du taux d’activité. Comme on l’a vu, la première demande de mesure corrective concerne le taux d’activité, qui est une priorité pour les fonctionnaires.

46 Deuxièmement, les fonctionnaires demandent [traduction] « […] que la direction embauche plus de personnel pour réduire le taux d’activité […] ». L’arbitre de grief n’a pas compétence pour ordonner à l’employeur d’embaucher plus de personnel (p. ex. Brown c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 127, au paragraphe 13).

47 Troisièmement, les fonctionnaires demandent que tout le personnel reçoive une formation sur le taux d’activité.

48 Quatrièmement, les fonctionnaires demandent que tous les employés reçoivent l’information sur leur taux d’activité.

49 Enfin, les fonctionnaires demandent que la direction fournisse des indemnités sous forme de remboursement de congés de maladie.

50 Quatre des cinq demandes renvoient directement au taux d’activité, une question que le processus de règlement des plaintes du CCT peut régler. Je peux donc conclure que, dans la présente affaire, « l’essence du grief », pour utiliser les mots de l’agent négociateur, se rapporte au taux d’activité de 80 % et non aux dommages.

51 Par conséquent, je peux conclure sans problème que, dans la présente affaire, comme dans Boutilier, le CCT est effectivement « un autre recours administratif de réparation » qui peut traiter cette affaire « […] de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief […] ». Je n’ai donc pas compétence pour entendre les griefs.

52 Suivant cette conclusion, il est inutile que je me penche sur les autres arguments de l’employeur.

53 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

54 L’objection de l’employeur concernant ma compétence est accueillie.

55 J’ordonne la fermeture des dossiers.

Le 13 août 2012.

Traduction de la CRTFP

Joseph W. Potter,
arbitre de grief

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