Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a été licenciée pour avoir falsifié des données - étant donné la nature de l’inconduite alléguée, certains des éléments de preuve présentés à l’audience contenaient de l’information protégée par la Loi sur la statistique - l’employeur a demandé que certains éléments de preuve soient mis sous scellés - l’arbitre de grief a conclu que, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, il devait agir dans les limites des critères énoncés dans le test Dagenais/Mentuck - l’arbitre de grief a conclu qu’en l’espèce, les effets bénéfiques d’une ordonnance de mise sous scellés l’emportaient sur ses effets préjudiciables à l’égard de l’intérêt public quant à la transparence et à l’accessibilité des procédures - sur le fond du grief, l’employeur a fait valoir qu’en falsifiant des données, la fonctionnaire s’estimant lésée avait violé son serment d’office ainsi que les dispositions de la Loi sur la statistique - l’employeur a soutenu que les explications de la fonctionnaire s’estimant lésée concernant les données falsifiées manquaient de crédibilité - l’employeur a soutenu qu’il avait établi qu’il y avait eu falsification de données et que la fonctionnaire s’estimant lésée avait commis une inconduite grave et un abus de confiance grave - le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué que les écarts entre les données ne signifiaient pas nécessairement que la fonctionnaire avait falsifié des données puisque ces écarts pouvaient être causés par des erreurs commises de bonne foi - le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé que les arguments de l’employeur étaient fondés uniquement sur des preuves par ouï-dire - l’employeur a maintenu que les preuves par ouï-dire, tant qu’elles étaient fiables, étaient admissibles - l’arbitre de grief a conclu que les preuves en question n’étaient pas des preuves par ouï-dire et qu’elles étaient fiables - selon la prépondérance des probabilités, l’employeur a établi que la fonctionnaire s’estimant lésée avait falsifié des données sans explication valable - sa conduite constituait de la négligence et un abus de confiance, et l’employeur était en droit de lui imposer une mesure disciplinaire - compte tenu de la preuve accablante et de la gravité de la falsification, le licenciement était la bonne mesure disciplinaire à imposer en réponse à l’inconduite. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-06-22
  • Dossier:  566-24-1216
  • Référence:  2012 CRTFP 70

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JODI PAJIC

fonctionnaire s'estimant lésée

et

OPÉRATIONS DES ENQUÊTES STATISTIQUES

employeur

Répertorié
Pajic c. Opérations des enquêtes statistiques

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Roger Beaulieu, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s’estimant lésée:
Ray Domeij, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Karen Clifford, avocate

Affaire entendue à Winnipeg (Manitoba), du 29 septembre au 2 octobre 2009, du
9 au 12 février 2010, du 23 au 25 août 2010, du 3 au 7 octobre 2011 et du 12 au
15 décembre 2011, et à Montréal (Québec), les 15 et 16 mars 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Je suis saisi d’un grief qui a été déposé le 21 août 2006 par Jodi Pajic, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») et qui a été renvoyé à l’arbitrage le 26 avril 2007 en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La fonctionnaire a contesté la cessation de son emploi et a demandé à titre de mesure corrective que la lettre de cessation d’emploi soit immédiatement retirée et toutes ses copies détruites en sa présence, et qu’on la réintègre dans son poste d’intervieweuse sur place chez son ancien employeur, Opérations des enquêtes statistiques (OES ou l’« employeur »), sans perte de salaire ou d’avantages sociaux.

2 Le grief se lit comme suit :

[Traduction]

Je conteste la lettre de cessation d’emploi datée du 2 août 2006, signée par C. Jerry Page, directeur de la Région de l’Ouest et des Territoires du Nord‑Ouest. Je demande une consultation avec mon agent syndical concernant ce grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs.

Mesure corrective :

Que la lettre susmentionnée soit immédiatement retirée et toutes ses copies détruites en ma présence, que je sois réintégrée dans mon poste d’intervieweuse sur place sans perte de salaire ou d’avantages sociaux et que je sois indemnisée intégralement.

[Je souligne]

3 À l’audience, le représentant de la fonctionnaire m’a informé que Mme Pajic ne demandait plus à être réintégrée dans son poste, mais plutôt à recevoir une indemnité financière pour son licenciement et pour les infractions de l’employeur à certaines dispositions de la convention collective entre l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC ou l’« agent négociateur ») et l’employeur pour les intervieweurs des OES et les intervieweurs principaux (la « convention collective ») (date d’expiration : le 30 novembre 2007).

4 L’employeur a formulé une objection quant à ma compétence pour trancher la question des infractions présumées à la convention collective, parce que le grief ne faisait pas mention de ces infractions, et qu’il a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, comme il est indiqué dans l’Avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel (formule 21) présenté par l’AFPC au nom de la fonctionnaire. L’alinéa 209(1)b) est clairement mentionné à la section 12 de la formule. Le renvoi à l’arbitrage a été signé par un représentant dûment autorisé de l’agent négociateur. L’avocate de l’employeur a donc soutenu que la fonctionnaire tentait de changer les motifs de son grief. Elle a cité Burchill c. Procureur général du Canada, [1981] 1 C.F. 109 (C.A.), pour m’empêcher d’examiner les arguments de la fonctionnaire. J’ai pris cette objection en délibéré. J’y reviendrai dans mes motifs.

5 La fonctionnaire a été licenciée, prétendument pour avoir falsifié des données d’enquête pendant son travail sur place dans le cadre d’une Enquête sur la population active (EPA) menée par l’employeur. Les raisons de son licenciement sont énoncées dans une lettre datée du 2 août 2006, signée par C. Jerry Page, directeur de la Région de l’Ouest et des Territoires du Nord‑Ouest :

[Traduction]

[…]

Mme Pajic,

À la suite d’une enquête menée par l’équipe de direction de la Région de l’Ouest et des Territoires du Nord‑Ouest de Statistique Canada, j’ai décidé de mettre immédiatement fin à votre emploi pour un motif suffisant. Cette décision prend effet dès aujourd’hui, le 2 août 2006.

L’enquête a démontré que vous n’avez pas respecté les procédures de collecte de données appropriées pendant la réalisation de la récente Enquête sur la population active, car il a été déterminé que vous avez falsifié des données.

Vous avez eu l’occasion d’expliquer vos actes, mais vous n’avez pas pu donner une explication valable.

[…]

6 Étant donné la nature de l’inconduite présumée en l’espèce, certains des éléments de preuve présentés à l’audience contiennent de l’information protégée par la Loi sur la statistique, L.R.C. (1985), ch. S‑19, comme des noms, des adresses et d’autres renseignements personnels sur les personnes visées par l’enquête. L’article 17 de la Loi sur la statistique prévoit ce qui suit :

17. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article et sauf pour communiquer des renseignements conformément aux modalités des accords conclus en application des articles 11 ou 12 ou en cas de poursuites engagées en vertu de la présente loi,

a) nul, si ce n’est une personne employée ou réputée être employée en vertu de la présente loi et qui a été assermentée en vertu de l’article 6, ne peut être autorisé à prendre connaissance d’un relevé fait pour l’application de la présente loi;

b) aucune personne qui a été assermentée en vertu de l’article 6 ne peut révéler ni sciemment faire révéler, par quelque moyen que ce soit, des renseignements obtenus en vertu de la présente loi de telle manière qu’il soit possible, grâce à ces révélations, de rattacher à un particulier, à une entreprise ou à une organisation identifiables les détails obtenus dans un relevé qui les concerne exclusivement.

7  L’article 11 de la Loi sur la statistique précise dans quelles conditions Statistique Canada peut conclure avec un organisme de statistique provincial un accord relatif à l’échange et à la transmission d’information statistique. L’article 12, quant à lui, précise dans quelles conditions Statistique Canada peut conclure avec « […] tout ministère ou toute municipalité ou autre personne morale […] » un accord relatif à l’échange d’information. Les deux articles prévoient des mesures pour protéger les renseignements des personnes qui répondent à des enquêtes. L’article 6 contient le serment ou l’affirmation solennelle que doit prononcer toute personne employée ou réputée être employée en vertu de la Loi sur la statistique et tout représentant officiel d’une entreprise retenue par contrat pour fournir des services en vertu de la Loi sur la statistique. Ce serment ou cette affirmation solennelle est une autre mesure adoptée par le Parlement pour protéger les données statistiques recueillies dans l’exercice de fonctions ou lors de la prestation de services en vertu de la Loi sur la statistique.

8 L’employeur m’a demandé de ne pas divulguer de renseignements protégés par la Loi sur la statistique dans ma décision. Il m’a demandé de parler des diverses situations décrites dans les éléments de preuve sans révéler les noms ou adresses des personnes dont les renseignements sont protégés afin de respecter les mesures prévues par la Loi sur la statistique.

9 Dans le même ordre d’idées, les parties ont également demandé que soient mis sous scellés certains éléments de preuve contenant de l’information protégée par la Loi sur la statistique. Pour trancher cette question, je dois suivre les paramètres qui sont devenus le critère connu sous le nom de « Dagenais/Mentuck ». Selon la règle, les audiences des cours et des tribunaux quasi judiciaires sont publiques, de même que les documents au dossier, comme les pièces. Toutefois, une cour ou un tribunal quasi judiciaire peuvent imposer des restrictions concernant l’accès à leurs audiences ou à leurs dossiers dans certaines circonstances, s’il est établi que le besoin de protéger un autre droit important a préséance sur le principe de transparence judiciaire. Dans Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, la Cour suprême du Canada a reformulé le critère Dagenais/Mentuck :

[…]

a) lorsqu’elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque, et

b) lorsque ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[…]

10 Dans Vancouver Sun (Re), 2004 CSC 43, la Cour suprême du Canada a statué que le critère Dagenais/Mentuck s’appliquait à toutes les décisions discrétionnaires qui limitent le droit à l’information pendant les procédures judiciaires. Plus récemment, la Cour suprême du Canada a confirmé dans Société Radio‑Canada c. La Reine, 2011 CSC 3 (paragraphe 13), que « [l]a grille d’analyse établie dans les arrêts Dagenais et Mentuck s’applique à toutes les décisions discrétionnaires touchant la publicité des débats ». De plus, comme je n’ai entendu dans la présente affaire aucun argument appuyant l’intérêt du public à l’égard de la transparence des débats, je dois considérer cet intérêt sans argument : R. c. Mentuck, 2001 CSC 76 (paragraphe 38) et Vancouver Sun (Re) (paragraphe 48).

11 Certains éléments de preuve dans le présent cas contiennent de l’information recueillie dans le cadre d’une EPA, dont des noms, des adresses et d’autres renseignements personnels. Les répondants étaient tenus par la Loi sur la statistique de divulguer ces renseignements, faute de quoi ils étaient passibles d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement. Je conviens que la protection de l’information permettant d’identifier les répondants sert un intérêt important pour la société canadienne : la pleine participation aux enquêtes de Statistique Canada, comme en témoignent clairement les mesures que le Parlement a jugé nécessaire d’inclure dans la Loi sur la statistique pour protéger cet intérêt. Je conviens également que, dans le contexte des audiences dans la présente affaire, l’accès du public aux renseignements permettant d’identifier les répondants pourrait gravement compromettre l’intérêt important de la pleine participation aux enquêtes de Statistique Canada, et qu’une ordonnance de mise sous scellés est nécessaire pour prévenir ce risque.

12 Je crois également que, dans la présente affaire, les effets salutaires d’une ordonnance de mise sous scellés l’emportaient sur ses effets préjudiciables à l’intérêt du public à l’égard de procédures transparentes et accessibles. Il ne fait aucun doute que les éléments de preuve qui contiennent des renseignements permettant d’identifier les répondants de l’EPA sont indispensables pour rendre une décision sur le fond de l’affaire dont je suis saisi. De plus, dans les circonstances en l’espèce, il semble plus important de protéger l’information en question que le droit du public d’y avoir accès. Par conséquent, les éléments de preuve qui contiennent des renseignements permettant d’identifier les répondants seront scellés. J’ai informé les parties à l’audience que leur demande était acceptée. Les pièces suivantes ont donc été scellées :

E-18 Rapport de Carol Irving, juin 2006;
E-19 Rapport de Carol Irving sur le « Code 70 »;
E-21 Rapport de la téléconférence de recherche des faits, 31 juillet 2006
E-22 et E-23 Annexe 1 – Formulaires de demande de suivi/transfert;
E-24 Copie papier du cas;
E-26 à E-33 Rapports « AF‑2 »;
E-34 et 34A Imprimé d’ordinateur/recherche pour « CAPI 2006_All », Enquête sur la population active, registre des tentatives;
E-35 Détails de la réponse du cas – EPA;
E-36 Détails de la réponse du cas – EPA;
E-42 Adresse et photo de résidence visitée;
E-44 et 45 Adresses et photos de résidences visitées;
E-50 et 51 Copie papier, détails du cas.

II. Résumé de la preuve

A. Pour l’employeur

13 L’employeur a assigné cinq témoins à comparaître. Leurs témoignages sont résumés ci‑dessous.

1. Témoignage d’Arlene McCreary

14 Pendant toute la période pertinente avant le licenciement de la fonctionnaire, Arlene McCreary était gestionnaire régionale de programme par intérim pour les interviews sur place assistées par ordinateur (IPAO). Elle a déposé en preuve et a expliqué en détail les pièces E‑1 à E‑36, inclusivement, qui ont été produites par l’avocate de l’employeur. Mme McCreary a plus de 22 ans d’expérience à Statistique Canada en tant qu’intervieweuse sur place et superviseure d’intervieweurs dans le cadre des IPAO (sur place) et des interviews téléphoniques assistées par ordinateur (ITAO) (téléphone). Par conséquent, elle connaissait et comprenait parfaitement le fonctionnement de Statistique Canada.

15 Le témoin a expliqué le fonctionnement des OES, un organisme distinct en vertu de la Loi sur la statistique qui est doté d’un effectif unique d’intervieweurs procédant à des IPAO et à des ITAO. Voici les principales caractéristiques des membres de l’unité de négociation des intervieweurs des OES :

  1. Ce sont des employés temporaires en vertu de la Loi sur la statistique.
  2. Ils reçoivent un salaire horaire et travaillent à temps partiel.
  3. Leurs tâches sont axées sur la charge de travail.
  4. Les intervieweurs qui procèdent aux IPAO suivent des scénarios dans un processus très bien organisé et structuré, et leur principale responsabilité est de s’assurer que les données qu’ils saisissent et envoient au bureau d’Ottawa de l’employeur sont exactes et fiables.
  5. L’EPA est réalisée tous les mois depuis 1945. Depuis 1994, elle est réalisée sous la forme d’un questionnaire informatisé qui, lorsque rempli, est automatiquement transmis au bureau d’Ottawa.
  6. Le respect des échéances et l’exactitude et la fiabilité des données sont des éléments cruciaux car les taux de chômage de Statistique Canada sont publiés dans un délai de 13 jours après la fin de la collecte de données.
  7. Les OES sont un organisme distinct. Ils sont régis par leur propre loi (la Loi sur la statistique) et n’ont pas le Conseil du Trésor comme employeur.

16 Le témoin a présenté et souligné les conditions de travail uniques et obligatoires des intervieweurs sur place, qui sont énoncées dans la Loi sur la statistique (article 30, pièce E‑8). La fonctionnaire connaissait bien ces conditions et les avait acceptées. Elle avait signé le « Serment d’office et de discrétion » (pièce E‑5), le [traduction] « contrat de travail de l’intervieweur » (pièce E‑6) et la « Déclaration de l’employé » (pièce E‑7).

17 Mme McCreary a déclaré dans son témoignage que la fonctionnaire travaillait principalement à l’EPA pendant la période pertinente à son licenciement. La fonctionnaire a assisté à toutes les séances de formation et à toutes les séances de recyclage. Elle a reçu tous les documents de formation fournis par l’employeur. De plus, tous les intervieweurs peuvent en tout temps communiquer directement avec leur intervieweur principal désigné pour obtenir de l’aide ou des conseils. Selon les éléments de preuve présentés par Mme McCreary, la fonctionnaire aurait parlé régulièrement avec son intervieweuse principale. À aucun moment elle n’aurait mentionné à son intervieweuse principale qu’elle ne comprenait pas son travail, et à aucun moment son intervieweuse principale n’aurait hésité à répondre ou n’aurait été incapable de répondre à ses questions liées au travail.

18 Le témoin a produit les pièces E‑10 à E‑12. Ce sont des bulletins mensuels à l’intention de tous les intervieweurs qui procèdent aux IPAO, comme la fonctionnaire. Ces bulletins montrent que les intervieweurs recevaient constamment de l’information sur tous les aspects de leurs fonctions et de leurs responsabilités. Leur but était de tenir les intervieweurs sur place bien renseignés sur les différentes enquêtes qu’ils réalisaient. Chaque bulletin comprenait des discussions approfondies et des détails sur les caractéristiques de l’EPA ainsi que de l’information sur les difficultés que pouvaient rencontrer les intervieweurs.

19 Le témoin a expliqué l’importance de l’EPA et ses répercussions sur les régions du Canada. Cette enquête est réalisée tous les mois à l’échelle nationale. Les statistiques sur l’emploi et le chômage sont des indicateurs clés de la performance économique du Canada. Tous les ordres de gouvernement – aux échelons fédéral, provincial et municipal – comptent sur ces statistiques et les utilisent pour mettre en œuvre des politiques et des programmes, notamment pour la création d’emplois et la formation.

20 Le témoin a indiqué que Ressources humaines et Développement des compétences Canada se sert des statistiques sur le chômage pour établir l’admissibilité à l’assurance-emploi. De plus, les entreprises, les économistes, les analystes et les organisations syndicales, entre autres, comptent sur les résultats de l’EPA. Ces résultats agissent sur l’Indice des prix à la consommation, qui à son tour influe notamment sur les régimes de pension et les prestations d’aide sociale. Les résultats de l’EPA sont du domaine de l’information publique. Ils sont publiés, utilisés en ligne et amplement cités et discutés non seulement dans tout le Canada, mais aussi dans d’autres pays. Enfin, le témoin a déclaré que les résultats de l’EPA doivent être exacts et fiables. Il y va de la réussite et de la réputation de Statistique Canada.

21 Le témoin a décrit comment les intervieweurs sur place réalisent une EPA. Quand ils sont embauchés, les intervieweurs reçoivent un numéro d’identification unique à sept chiffres qui n’est pas réutilisé s’ils quittent leur emploi. Le numéro est automatiquement codé dans tout le travail accompli par les intervieweurs pour toutes leurs tâches liées à l’EPA.

22 Les OES fournissent un ordinateur portatif à chaque intervieweur. La charge de travail pour le mois est envoyée directement sur l’ordinateur de l’intervieweur par un gestionnaire de la collecte des données du bureau d’Ottawa. Le gestionnaire attribue à chaque intervieweur un certain nombre de cas – chacun accompagné d’une adresse de ménage. Les intervieweurs reçoivent une carte de la zone qui leur est assignée, y compris une liste d’adresses attribuées qui est téléchargée sur leur ordinateur portatif. Chaque EPA reçoit un code de quatre chiffres correspondant à un mois. Les intervieweurs reçoivent aussi une trousse mensuelle contenant le bulletin.

23 Comme on l’a vu, les intervieweurs reçoivent tous de la formation, y compris des manuels et les procédures à suivre. Le bulletin mensuel les tient au courant. Ils peuvent consulter leurs manuels de formation chaque fois qu’ils en ont besoin. De plus, ils peuvent communiquer en tout temps par téléphone avec leur intervieweur principal désigné.

24 Tous les aspects de l’EPA sont scénarisés dans les moindres détails. Les intervieweurs sur place ont une liste de questions scénarisées à poser à chacun des ménages qui leur sont assignés. Leur processus de travail est également scénarisé, et leur charge de travail est hautement détaillée, comme on peut le constater à la pièce E‑13.

25 Le témoin a déclaré que les intervieweurs sont seuls sur place, mais qu’ils savent que la qualité de leur travail est contrôlée. Il est toutefois possible d’éviter certaines vérifications en omettant de fournir le numéro de téléphone d’un foyer visité. Si le numéro n’est pas fourni, le dossier d’interview ne peut pas être complété, et l’intervieweur reçoit un rappel pour cette adresse le mois suivant. Le processus d’enquête est alors retardé, puisque l’information sur un ménage ne peut être transmise au bureau d’Ottawa que lorsque l’intervieweur sur place a obtenu tous les détails requis sur ce ménage. À cause de ce retard, les intervieweurs par téléphone ne peuvent pas s’acquitter de leurs fonctions et effectuer l’interview de suivi le mois suivant.

26 Mme McCreary a déclaré que l’employeur avait constaté un [traduction] « problème de retard » dans le travail de Mme Pajic relatif à l’« Enquête sur les dépenses des ménages », sur laquelle elle a travaillé en janvier, février et mars 2006. Après une vérification de ce [traduction] « problème de respect des délais », on a mis une alerte concernant le travail de la fonctionnaire sur l’EPA. Mme McCreary a demandé à Carol Irving, l’intervieweuse principale de Mme Pajic, d’observer le travail de cette dernière sur l’EPA.

27 Mme Irving s’est acquittée de sa tâche en présence de la fonctionnaire. Elle a observé le travail de la fonctionnaire, lui a posé des questions sur les adresses des différents ménages qui faisaient partie de ses tâches et sur les codes qu’elle inscrivait. Elle a également examiné toutes les données démographiques que la fonctionnaire avait enregistrées et les a comparées avec les résultats qu’elle avait obtenus personnellement en visitant les mêmes foyers. Mme Irving a préparé un rapport sur ses observations (pièce E‑18). Elle a présenté un autre rapport révisé en juillet 2006 (pièce E‑19). Quand on lui a demandé comment elle avait réagi après avoir pris connaissance des pièces E‑18 et E‑19, Mme McCreary a déclaré qu’elle avait été [traduction] « choquée et consternée », car un grand nombre des adresses de l’EPA contenaient des données incorrectes ou incertaines. Il est primordial pour les OES que les données de l’EPA soient exactes et fiables.

28 Ces éléments de preuve en main, Mme McCreary a convoqué Mme Pajic à une audience de recherche des faits pour discuter des irrégularités que Mme Irving avait trouvées dans les données de l’EPA. Cette audience était prévue le 31 juillet 2006 par téléconférence (la « téléconférence »). La fonctionnaire et sa représentante syndicale, Donna Henry, étaient présentes, tout comme Mme McCreary et Tara Petrie Duff, représentant l’employeur. Le témoin a affirmé que la pièce E‑21 décrivait bien les discussions qui ont eu lieu pendant l’audience. Il est question dans ce document de 7 cas qui, selon elle, contenaient environ 24 irrégularités.

29 Après avoir examiné en détail les explications de la fonctionnaire, Mme McCreary a conclu que son histoire ne faisait aucun sens et que, pendant plusieurs mois, elle avait falsifié des dossiers et avait brisé le lien de confiance avec l’employeur. Mme McCreary a répété qu’il est important que Statistique Canada ait des données exactes et fiables. Par ailleurs, les OES, qui sont assujetties aux dispositions de la Loi sur la statistique, appliquent auprès de leurs employés une politique de tolérance zéro pour la falsification des données. Un employé qui ne respecte pas cette politique risque d’être licencié immédiatement.

2. Témoignage de Carole Dunstone

30 Pendant toute la période pertinente, Carole Dunstone était directrice adjointe des Opérations et relevait du directeur des Opérations, M. Page. Le témoin avait toute l’autorité nécessaire pour prendre des mesures disciplinaires, mais elle tenait toujours son directeur au courant de ses décisions. De nombreuses personnes ont été consultées tout au long du processus ayant mené à la décision de licencier la fonctionnaire. Les discussions régulières sur l’EPA de juin 2006, les observations subséquentes et la téléconférence ont eu lieu entre Mme Dunstone, Mme McCreary, Mme Irving et des représentants de la Direction générale des ressources humaines de l’employeur, et Mme Dunstone a tenu M. Page informé de tous les développements. Des copies de tous les documents pertinents et de la recommandation au directeur ont été envoyées aux Ressources humaines.

31 Mme Dunstone a déclaré que d’autres employés des OES avaient été visés par des mesures disciplinaires et avaient été licenciés pour avoir falsifié des données. En résumé, M. Page et l’équipe de direction dirigée par Mme McCreary ont convenu que, si Mme McCreary arrivait toujours aux mêmes conclusions après la téléconférence, Mme Dunstone informerait la fonctionnaire que Mme McCreary allait recommander son licenciement. Après la téléconférence, Mme Dunstone et Bonnie Holte, des Ressources humaines, ont tenu une autre téléconférence le même jour avec M. Page et ont confirmé la décision de licencier la fonctionnaire.

3. Témoignage de Carol Irving

32 Mme Irving était l’intervieweuse principale de la fonctionnaire de 2003 jusqu’à son licenciement, en août 2006. Mme Irving a été embauchée par Statistique Canada. Elle a commencé comme intervieweuse pour les OES en 1988, puis elle a accompli plusieurs mandats en tant qu’intervieweuse principale par intérim avant de devenir une intervieweuse principale à temps plein, en septembre 2001. Elle a pris sa retraite en 2009. Elle a déclaré que l’EPA était la seule enquête en cause dans le présent cas. Mme Irving avait entre autres les fonctions et les responsabilités suivantes :

  1. gérer une équipe d’intervieweurs;
  2. évaluer des rapports;
  3. prendre des mesures si des cibles n’étaient pas atteintes (p. ex. la cible de réponse de 75 % avant le mercredi lors d’une semaine d’EPA);
  4. surveiller toutes les mesures qu’elle prenait;
  5. aider les intervieweurs dans tous les aspects de leurs fonctions;
  6. offrir de la formation sur diverses enquêtes, dont l’EPA;
  7. gérer le suivi des « refus »;
  8. observer les intervieweurs;
  9. valider le travail des intervieweurs, au besoin.

33 Mme Irving a expliqué en détail comment elle se rendait toujours disponible et accessible pour tous ses intervieweurs, notamment en leur donnant son numéro de cellulaire et ses numéros de téléphone à la maison et à sa résidence secondaire. Tous ses intervieweurs pouvaient la joindre jour et nuit, y compris Mme Pajic. Par ailleurs, si un intervieweur sur place était incapable de joindre Mme Irving ou un autre intervieweur principal, il avait la liste complète des numéros de téléphone de tous les autres intervieweurs principaux de sa région. Elle a indiqué que la fonctionnaire savait qu’elle pouvait utiliser la liste – elle l’avait d’ailleurs fait – et ne s’était jamais plainte qu’elle ne pouvait pas la joindre. La fonctionnaire avait également un ordinateur portatif fonctionnel. Mme Irving n’a jamais eu connaissance d’un problème d’ordinateur.

34 L’employeur a produit les pièces E‑37 à E‑59. Mme Irving les a présentées et expliquées. Elle a expliqué que les efforts de formation et les mesures de communication continue des OES visaient à améliorer l’efficacité générale des intervieweurs procédant à des IPAO (pièces E‑38 à E‑41). Ces pièces montrent et soulignent l’importance de l’EPA ainsi que l’importance pour les OES d’atteindre un niveau d’exactitude et de fiabilité aussi élevé que possible pour ce qui est de leur collecte de données pour l’EPA. Mme Irving a également souligné l’importance de l’EPA pour les opérations générales des OES au sein de Statistique Canada. Elle a insisté sur les programmes de formation continue pour les intervieweurs procédant aux IPAO : des cours en classe de trois jours à trois jours et demi sur l’EPA, suivis d’un test pratique d’interviews sur place administré par l’intervieweur principal. Le témoin a expliqué la codification des entrées qu’utilisent les intervieweurs sur place pour l’EPA.

35 Le témoin a examiné les pièces E‑18, E‑19, E‑21, E‑34 et E‑48. Elle a indiqué de manière catégorique qu’un grand nombre des entrées de la fonctionnaire, sinon la majorité, étaient incorrectes. Si on prend la pièce E‑18 par exemple, Mme Irving a constaté après les avoir vérifiées que de nombreuses entrées « non admissibles » (en rénovation) ou « inoccupées » associées aux adresses étaient incorrectes ou fausses. Mme Irving aurait également trouvé de nombreuses entrées incorrectes dans la pièce E‑19 après les avoir vérifiées. Dans son [traduction] « rapport d’observation de l’EPA sur la vérification des logements inoccupés » signé le 25 juillet 2006 (pièce E‑48; « rapport d’observation de l’EPA »), Mme Irving a indiqué avoir découvert que de nombreuses irrégularités enregistrées par la fonctionnaire s’étaient avérées, après vérification, incorrectes ou fausses. Enfin, la téléconférence a permis de déterminer que la fonctionnaire avait effectué de nombreuses entrées de données incorrectes pour les sept cas discutés (pièce E‑21).

36 Mme Irving a déclaré que, durant une interview, si un répondant refuse de répondre à une question, l’intervieweur doit noter un refus comme résultat. L’intervieweur principal est responsable de faire le suivi de tous les refus. Cette approche est conçue pour éviter une altercation avec le répondant. L’intervieweur principal peut ainsi rendre visite au répondant pour tenter de régler le refus.

37 Selon Mme Irving, l’employeur attend de ses intervieweurs sur place, qui travaillent seuls la plupart du temps, qu’ils soient honnêtes, rigoureux et fiables. Le travail de ces employés est fondé sur une relation de confiance. Selon les éléments de preuve qu’elle a présentés, pour les sept cas mentionnés à la pièce E‑21, il est clair que la fonctionnaire n’a pas fourni les numéros de téléphone. En omettant délibérément cette information, la fonctionnaire espérait cacher le fait qu’elle falsifiait des données. De plus, le témoin a mentionné qu’elle avait validé beaucoup de travail au cours des années, mais qu’elle ne se rappelait pas avoir vu autant de données erronées auparavant. Mme Irving a parlé de beaucoup plus que quelques incidents isolés. Les preuves démontrent que, bien qu’on se soit concentré principalement sur les sept cas en question, avec les observations, les recherches des faits et les enquêtes qui ont suivi, il a fallu environ deux mois pour dresser un tableau complet. Une fois le processus d’examen terminé, Mme Irving a déclaré que la fonctionnaire avait commis de nombreuses infractions à la Loi sur la statistique qu’elle ne pouvait pas justifier. En résumé, Mme Irving était déçue et choquée de constater que la personne qu’elle avait formée avait [traduction] « fait tellement de choses de travers ».

38 En plus des pièces, qui montrent de nombreuses erreurs et entrées incorrectes, Mme Irving a souligné que son rapport d’observation de l’EPA démontrait que la fonctionnaire avait inscrit le code « inoccupé » dans 18 cas. Après un examen approfondi, Mme Irving a déterminé que seulement deux de ces foyers étaient inoccupés. De plus, Mme Irving a examiné la pièce E‑18 et a noté que la fonctionnaire avait indiqué que trois des résidences qui lui avaient été assignées étaient en rénovation. En fait, le témoin a déclaré qu’aucune de ces résidences n’était en rénovation, et que les données étaient incorrectes et erronées.

39 En conclusion, quand on a demandé à Mme Irving [traduction] « Voudriez‑vous que la fonctionnaire travaille pour vous à l’avenir? », elle a répondu [traduction] « Non. Ce travail est fondé sur une relation de confiance. Je dois avoir totalement confiance en la personne, et je ne crois pas que je pourrais avoir de nouveau confiance en Jodi Pajic. Je passerais mon temps à me demander si l’information qu’elle a inscrite est correcte et à avoir peur que ce ne soit pas le cas. » Enfin, le témoin a déclaré qu’elle [traduction] « ne ressentait aucune animosité envers Mme Pajic », mais qu’elle ne la voudrait pas dans son équipe.

4. Témoignage de Vincent Helmer Hardung

40 Au moment de son témoignage, M. Hardung travaillait auprès de l’employeur à titre de directeur national, Recensement – Projet d’envoi et de retour par la poste. De 2006 à 2010, il était chef national de la Section du soutien de l’infrastructure des enquêtes, Division de la collecte et de la planification, à Statistique Canada. En 2006, l’envoi des cas pour l’EPA aux intervieweurs procédant aux IPAO et aux ITAO faisait partie de ses responsabilités.

41 M. Hardung a déclaré que toutes les enquêtes provenaient du bureau d’Ottawa, et qu’il avait la responsabilité de superviser les opérations quotidiennes du personnel qui déplace des données et fournit un soutien technique. La Division de la collecte et de la planification emploie le « système de gestion des cas », qui comprend le « Système d’intégration des données et planification de la production ». Ces systèmes ont été lancés en 2000 et étaient utilisés pendant toute la période pertinente au présent grief.

42 M. Hardung a déclaré qu’il a donné les instructions pour la préparation des pièces E‑34 et E‑34A pour l’audience. Ces pièces contiennent un ensemble de 23 cas qui avaient été confiés à la fonctionnaire quand son travail était observé et faisait l’objet d’une enquête en raison des irrégularités découvertes dans les données qu’elle avait inscrites pour l’EPA, en 2006. La pièce E‑34 est un résumé de 9 pages des irrégularités qui ont été trouvées dans ces 23 cas, y compris les 7 cas dont il était question lors de la téléconférence (voir les pièces E‑21 et E‑24).

43 La pièce E‑34A est un examen plus approfondi de ces 23 cas, qui comprend également les 7 cas. On y explique en plus de détails toutes les entrées électroniques de la fonctionnaire. Par exemple, on mentionne si la fonctionnaire a effectué une visite à la résidence d’un répondant ou si elle lui a téléphoné. Les pièces E‑34 et E‑34A dressent un tableau complet et détaillé de toutes les entrées électroniques de la fonctionnaire. On mentionne même l’heure exacte de chaque activité.

44 Il est à noter que le contenu des pièces E‑34 et E‑34A n’a pas été remis en question et demeure incontesté.

5. Témoignage de Wayne Smith

45 Au moment de son témoignage le 15 mars 2012, Wayne Smith était statisticien en chef du Canada et sous‑ministre responsable de Statistique Canada. En 2006, pendant toute la période pertinente au présent cas, il était statisticien en chef adjoint, Communications et opérations, à Statistique Canada. Dans le cadre de ses fonctions, il était responsable du dernier palier de la procédure de règlement des griefs. Il a examiné le grief de la fonctionnaire, et il l’a rejeté le 1er février 2007.

46 L’avocate de l’employeur a cité M. Smith comme témoin en réponse à une question soulevée par un témoin, Mme Henry, que l’agent négociateur avait assignée à témoigner le 13 décembre 2011. Dans son témoignage, Mme Henry avait parlé de la réaction de M. Smith à la présentation de renseignements confidentiels protégés par la Loi sur la statistique par une représentante syndicale au dernier palier de la procédure de règlement pour le grief de Mme Pajic. Selon Mme Henry, M. Smith aurait ordonné à l’agent négociateur de détruire immédiatement les renseignements en question. Le représentant de la fonctionnaire s’est opposé à la présentation de la contre‑preuve, parce que les discussions tenues dans le cadre de la procédure de règlement des griefs sont confidentielles.

47 J’ai décidé de permettre à M. Smith de témoigner, puisque les discussions de la procédure de règlement des griefs ont été incluses par le représentant de la fonctionnaire, qui a cité Mme Henry comme témoin lors de l’interrogatoire principal.

48 L’audience au dernier palier de la procédure de règlement des griefs a eu lieu dans le bureau de M. Smith à Ottawa. Annette Marquis, de l’élément national de l’AFPC, et Sue Ross, agente des ressources humaines de l’employeur, qui assistait M. Smith, étaient sur place. La fonctionnaire et Mme Henry, pour l’agent négociateur, ont participé par téléconférence à l’audience de grief, qui a eu lieu le 27 novembre 2006, le 12 décembre 2006 et le 22 janvier 2007.

49 Dans son témoignage, Mme Henry a déclaré que, lors de la séance de décembre 2006, les participants du bureau d’Ottawa ont cru à tort que la connexion avec les participants par téléconférence avait été rompue. Elle aurait alors entendu M. Smith dire : [traduction] « On s’entend donc pour déchiqueter ces documents. » Mme Henry a mentionné les termes [traduction] « document » et [traduction] « preuve » plus d’une fois. Elle a déclaré avoir répondu qu’elle avait [traduction] « déchiqueté les siens » et qu’elle avait entendu du papier être déchiré.

50 M. Smith a nié l’existence de l’échange décrit par Mme Henry. Il a déclaré : [traduction] « Tout ce que je peux dire, c’est que c’est absolument faux. Aucune discussion semblable n’a eu lieu sur le déchiquetage de documents. Non. » M. Smith a déclaré qu’il n’avait jamais eu de déchiqueteur dans son bureau et que, si des documents confidentiels devaient être déchiquetés, il y avait une procédure en place pour permettre aux agents autorisés de déchiqueter les documents dans un contexte désigné et contrôlé dans un endroit sécurisé de l’immeuble. Mme Marquis était présente à tout moment lors des trois séances de l’audience dans le bureau de M. Smith.

51 On a demandé à M. Smith s’il avait eu des préoccupations concernant les renseignements auxquels Mme Marquis avait accès dans ce cas. Il a répondu qu’il était clair dès la première séance qu’elle avait accès à des renseignements confidentiels protégés par la Loi sur la statistique qu’elle n’aurait pas dû recevoir, dont des détails sur les répondants, ainsi que leur nom et leur adresse. Mme Marquis n’était pas une employée de Statistique Canada, mais elle possédait ces renseignements confidentiels. M. Smith a donc demandé le premier jour de l’audience du grief que lui soient retournés ces renseignements.

52 M. Smith a déclaré que, étant donné les circonstances, il est devenu clair qu’il fallait établir une procédure ou un mécanisme pour la gestion des renseignements personnels, lorsque ces renseignements étaient pertinents dans le cadre d’un grief.

53 M. Smith a déclaré qu’il a eu de la difficulté à récupérer les renseignements confidentiels auprès de Mme Marquis. Il a fallu qu’il en discute avec Heather Brooker, présidente de l’élément national de l’AFPC. Il a fini par récupérer les renseignements et, avant la fin de janvier 2007, il a conclu une entente sur la procédure qui serait appliquée à l’avenir. Il a également été convenu que l’agent négociateur détruirait les renseignements en sa possession. M. Smith a conclu en disant que l’employeur avait reçu de la part d’un représentant de l’élément national de l’AFPC un document écrit certifiant que les renseignements avaient bien été détruits.

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

54 Le représentant de la fonctionnaire a assigné trois témoins à comparaître. Voici un résumé du témoignage de chacun.

1. Témoignage de Florence Jean Tokar

55 Florence Jean Tokar est une intervieweuse sur place d’expérience qui réalise des EPA depuis près de 13 ans. Elle a déclaré qu’elle avait déjà commis des erreurs, mais qu’elle a rapporté ces erreurs à son intervieweur principal. Elle est présidente de la section locale 50140 de l’AFPC, et elle sait que d’autres intervieweurs sur place font des erreurs. Elle a affirmé de manière catégorique que lorsqu’un intervieweur commet une erreur, il doit [traduction] « avouer son erreur et en discuter avec son intervieweur principal ». Elle a convenu que la falsification de données est une infraction grave et que, dans ce cas, le licenciement est justifié.

56 Mme Tokar a présenté quelques caractéristiques importantes de l’EPA. Les intervieweurs procédant aux IPAO et aux ITAO doivent suivre un processus scénarisé pour chaque interview. À toutes les adresses, l’intervieweur doit obtenir les données démographiques pour chacun des habitants, comme il est indiqué dans la documentation. Si le répondant ouvre la porte, le processus scénarisé doit être suivi jusqu’au bout. L’intervieweur doit demander et obtenir le numéro de téléphone, sinon l’intervieweur par téléphone ne pourra pas accomplir ses propres tâches scénarisées le mois suivant, et le dossier sera retourné à l’intervieweur sur place le mois suivant. Si un répondant refuse de répondre aux questions, le refus doit être rapporté, et l’intervieweur principal doit être avisé. L’intervieweur principal devra se rendre lui‑même chez le répondant et tenter d’obtenir les réponses aux questions scénarisées. Si personne n’ouvre la porte, l’intervieweur laisse habituellement un message demandant au répondant de communiquer avec lui. Si le répondant appelle, l’intervieweur sur place effectue l’interview scénarisée par téléphone et inscrit les réponses dans son ordinateur portatif. Quand l’interview est enfin terminée, l’intervieweur transmet les résultats au bureau d’Ottawa.

57 La méthode normale pour la collecte des données sur les ménages est d’entrer les données dans l’ordinateur portatif. Dans des circonstances exceptionnelles, les données peuvent être [traduction] « inscrites sur papier » et transférées plus tard dans l’ordinateur portatif. Mme Tokar a déclaré qu’il n’est pas efficace de prendre les données sur papier pour l’EPA.

58 Mme Tokar a confirmé que le processus scénarisé était obligatoire, sans aucune exception, peu importe dans quelle partie de la ville se trouve l’intervieweur sur place. Si un intervieweur sur place croit qu’un répondant déforme un peu la vérité, il doit faire preuve de bon sens. Il doit enregistrer l’information et discuter dès que possible de l’incident avec son intervieweur principal. Mme Tokar a déclaré qu’il est primordial que l’information enregistrée dans l’ordinateur portatif soit exacte et fiable. Tout doute doit être discuté avec l’intervieweur principal avant que l’information soit transmise.

59 Pendant le contre‑interrogatoire, le témoin a déclaré que les intervieweurs sur place travaillent habituellement seuls. S’ils ont des doutes concernant des données obtenues d’un ménage, ils doivent communiquer avec leur intervieweur principal et discuter de leurs préoccupations avant de transmettre les données. S’ils ne font pas preuve de diligence et ne suivent pas le processus scénarisé, ils s’exposent aux conséquences liées à la soumission de données falsifiées.

2. Témoignage de la fonctionnaire s’estimant lésée

60 En juin 2006, la fonctionnaire avait travaillé environ trois ans comme intervieweuse sur place à Statistique Canada. Jusque-là, elle avait travaillé à différentes enquêtes : « Enquête sur les dépenses des ménages » (EPA), « Services de santé », [traduction] « Enquête sur les enfants », etc. Pendant toute la période pertinente au grief, la fonctionnaire travaillait à l’EPA. Elle a reçu toutes les séances de formation et de suivi relatifs à cette enquête. Ses fonctions générales consistaient à recueillir de l’information sur les résidents des ménages qui lui étaient assignés, à l’entrer dans son ordinateur portatif et à l’envoyer au bureau d’Ottawa.

61 Dans une semaine de travail normale, la fonctionnaire travaillait environ 20 heures. Elle a expliqué tous les aspects de ses fonctions et de ses responsabilités liées à l’EPA, y compris la [traduction] « période de naissance », la période de référence, la semaine d’enquête et les contraintes de temps. Elle a expliqué qu’elle savait que les données qu’elle recueillait et qu’elle entrait dans son ordinateur portatif devaient être exactes et fiables. Elle a confirmé qu’elle savait parfaitement qu’elle pouvait communiquer avec son intervieweuse principale pour obtenir de l’aide ou des conseils quand elle en avait besoin, et qu’elle l’avait déjà fait. Elle a ajouté que son intervieweuse principale avait reconnu qu’elle était une intervieweuse de l’EPA d’expérience et que tous ses collègues l’aimaient et l’appréciaient.

62 La fonctionnaire a expliqué en détail ses cinq zones de travail à Winnipeg, qui combinaient des quartiers aisés et d’autres moins aisés. Elle avait par exemple des zones à faible revenu, à logements sociaux et à immeubles d’habitation, ainsi que des zones à haute mobilité résidentielle. Elle a affirmé que le scénario de l’EPA était le même pour toutes les zones. Elle a expliqué et démontré qu’elle comprenait parfaitement les définitions et les codes de résultat décrits à la pièce E‑15.

63 La fonctionnaire a mentionné qu’elle avait obtenu d’excellents résultats à ses examens de rendement de la part de différents intervieweurs principaux, y compris Mme Irving, qui appréciait son travail et la considérait comme une employée très productive possédant d’excellentes qualités et aptitudes, notamment en informatique (pièces U‑3 à U‑7). Quand ces examens de rendement ont été réalisés, le dossier de la fonctionnaire ne comprenait aucune mesure disciplinaire.

64 La fonctionnaire a mentionné que les irrégularités dans ses données de l’EPA ont été portées à son attention au printemps 2006 à la suite d’une période d’observation par son intervieweuse principale, Mme Irving; le rapport d’observation de l’EPA produit par celle‑ci a été signé le 25 juillet 2006 (pièce E‑48). L’enquête à l’origine de ce rapport a révélé la présence de plusieurs irrégularités. Des 21 cas examinés, 7 seulement contenaient le numéro de téléphone des répondants questionnés. De plus, l’exercice de validation des codes « inoccupé » et « en cours de rénovation » a révélé que, des 21 cas, 17 avaient reçu le mauvais code. Mme Pajic a cité le passage du rapport qui décrit l’évaluation générale de son travail :

Jodi doit s’assurer qu’elle utilise des sources crédibles et qu’elle inscrit les noms, adresses et numéros de téléphone des personnes à contacter. C’est sa responsabilité de s’assurer que les données qu’elle transmet sont exactes et décrivent la situation réelle des foyers.

65 La fonctionnaire a reconnu avoir reçu ce rapport. Elle a assisté en juillet 2006 à la séance de formation sur les compétences des intervieweurs, qui comprenait une autre séance sur les logements inoccupés et d’autres points à améliorer pour les intervieweurs sur place.

66 La fonctionnaire a parlé des notes sur la téléconférence (pièce E‑21) et a convenu que les discussions avec l’intervieweuse principale y étaient correctement rapportées et décrites. Dans son explication de ses actions, qui ont été correctement décrites à la pièce E‑21, la fonctionnaire a déclaré qu’elle n’avait aucun remords relativement à la façon dont elle avait agi.

67 Concernant le rapport d’observation de l’EPA (pièce E‑48), la fonctionnaire a déclaré qu’elle était sans voix et sous le choc quand elle a eu connaissance des commentaires, parce qu’elle avait reçu de bonnes évaluations de travail dans le passé. Pour ce qui est des sept cas dont il était question lors de la téléconférence, la fonctionnaire a déclaré que pour les sept cas, sans exception, elle n’avait [traduction] « pas entré volontairement des données erronées ».

68 Dans son témoignage, la fonctionnaire a déclaré que, pendant toute la période pertinente avant la téléconférence, y compris la période visée par le rapport d’observation de l’EPA, Mme Irving ne lui a jamais parlé de problèmes ou d’erreurs dans son travail. Par ailleurs, la fonctionnaire a déclaré que Mme Irving n’avait jamais critiqué son travail. Elle a insisté sur le fait qu’elle n’avait pas commis délibérément des erreurs dans quelque tâche que ce soit, et qu’elle suivait toutes les pratiques et les procédures de tous les programmes de formation qu’elle avait suivis au fil des ans.

69 Le représentant de la fonctionnaire lui a posé la question suivante : [traduction] « Selon vos connaissances et vos compétences, diriez-vous que vous avez respecté le serment d’office et l’article 6 de la Loi sur la statistique? » La fonctionnaire a répondu par l’affirmative. Il lui a ensuite posé une autre question : [traduction] « Aimiez‑vous votre travail, même si vous dites aujourd’hui que vous ne voulez plus être réintégré dans votre poste? » Elle a répondu : [traduction] « Oui. J’adorais mon travail, parce que je le faisais bien. Enfin, je croyais que je le faisais bien. En tant que mère de trois enfants, ce travail me donnait de la souplesse et me permettait de sortir et de parler régulièrement avec des adultes. »

70 Enfin, la fonctionnaire a déclaré que, pendant cette période difficile, ni sa superviseure, ni toute autre personne, ne lui a parlé d’un problème précis. Elle a aussi indiqué que, avant juillet 2006, personne ne l’avait avisée qu’elle faisait l’objet d’une enquête.

3. Témoignage de Mme Henry

71 Mme Henry est fonctionnaire fédérale depuis longtemps. Elle a occupé un poste de directrice de l’information à la Société Radio‑Canada. En 1976, elle a commencé à travailler à Parcs Canada. Elle est intervieweuse sur place à Statistique Canada depuis 2003 pour diverses enquêtes. Elle a travaillé à de nombreuses EPA de 2006 à 2009, et elle a occupé un poste au sein d’un agent négociateur de 2004 à 2009, alors qu’elle travaillait à Statistique Canada. Elle a joué un rôle consultatif dans son poste de représentante de l’agent négociateur dans le présent cas. Elle a assisté la fonctionnaire lors de la téléconférence. Selon Mme Henry, pour qu’on puisse prouver qu’il y a eu falsification, il faut prouver que la personne a agi délibérément. Elle croit que sans intention, il n’y a pas de falsification possible.

72 Quand l’employeur l’a informée de la décision de la licencier ou de lui demander de démissionner, la fonctionnaire a d’abord voulu parler à son mari. Elle ne voulait pas démissionner. Elle se disait que tout le monde allait penser qu’elle était coupable si elle démissionnait. Elle a affirmé qu’elle n’était pas coupable.

73 Après le licenciement de Mme Pajic pour falsification de données, Mme Henry a communiqué avec Denis McCarthy, de l’élément national de l’AFPC à Ottawa, pour lui demander des conseils. M. McCarthy a confié à Mme Henry que son appel ne le surprenait pas, car six ou sept employés de Statistique Canada avaient été licenciés dernièrement pour avoir violé la Loi sur la statistique. Il lui a dit que le mieux que l’AFPC pouvait faire était de donner aux employés touchés la possibilité de démissionner pour éviter qu’un licenciement soit inscrit à leur dossier. Par conséquent, l’ASPC a offert de rédiger une lettre de démission pour la fonctionnaire. Cependant, elle a refusé de démissionner.

74 Mme Henry a déclaré avoir signé un contrat de travail de l’intervieweur (comme à la pièce E‑6) et l’énoncé des conditions d’emploi à Statistique Canada (pièce E‑7). Elle a convenu que ces documents étaient fondés sur l’honnêteté, ainsi que sur l’exactitude, la fiabilité et la validité des données enregistrées. Elle a ajouté que Mme Marquis n’était pas une employée de Statistique Canada, et qu’elle avait eu en main les renseignements confidentiels en question après l’audience du grief de Mme Pajic au dernier palier. Enfin, le témoin a déclaré que tout le matériel recueilli par les employés de Statistique Canada appartient à Statistique Canada.

75 En conclusion, Mme Henry a confirmé que les intervieweurs ne sont pas informés à l’avance quand leur travail est sur le point d’être validé ou vérifié. Elle a confirmé que la fonctionnaire n’avait rien dit pour contester le contenu de la pièce E‑21. Enfin, dans son témoignage, Mme Henry semblait être une personne très sensible, dévouée et honnête.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

76 L’avocate de l’employeur a commencé par réitérer l’importance cruciale de l’obligation des intervieweurs sur place de ne jamais faire de fausses déclarations ou enregistrer des données erronées dans l’exercice de leurs fonctions. Elle m’a rappelé que les intervieweurs sur place prêtent serment d’office et sont instruits des dispositions de la Loi sur la statistique qui visent à assurer l’intégrité de l’information recueillie. Une violation de cette obligation constitue une infraction à la Loi sur la statistique, et l’auteur de l’infraction présumée peut être poursuivi.

77 L’avocate de l’employeur a insisté sur l’importance de l’EPA. Les données de cette enquête sont utilisées pour établir des indicateurs clés de l’économie canadienne, comme les taux de chômage. L’intégrité des données est primordiale. Il en va de la réputation de Statistique Canada.

78 L’avocate de l’employeur a fait valoir que la question en litige dans cette affaire était de déterminer si l’employeur a réussi à démontrer qu’il avait un motif valable pour imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire et si le licenciement était une sanction appropriée. Elle a soutenu que, d’après la prépondérance des probabilités, Mme Pajic avait falsifié des données à de nombreuses reprises. Les éléments de preuve portaient sur sept cas pour lesquels la fonctionnaire a sciemment enregistré des données erronées, comme il est établi dans les témoignages très francs et crédibles de Mme McCreary et de Mme Irving.

79 L’avocate de l’employeur a examiné la preuve et les témoignages sur les données présumément erronées qui ont été enregistrées pour les sept cas et a mentionné que les explications de la fonctionnaire concernant ces données manquaient de crédibilité. Elle croit que Mme Pajic a inventé ces histoires pour cacher le fait qu’elle a entré des données erronées, c.‑à‑d. des données qui ne représentaient en rien la situation réelle des ménages qu’elle devait visiter. Elle croit que les excuses de la fonctionnaire et ses explications relatives aux intempéries et aux quartiers non sécuritaires ne tiennent simplement pas la route, et elles ne sont appuyées par aucune preuve indépendante, bien au contraire.

80 L’avocate de l’employeur a insisté sur le fait que l’employeur a justifié sa position et a réussi à établir que Mme Pajic a falsifié des données pendant qu’elle réalisait une enquête, ce qui constitue une inconduite et un sérieux abus de confiance. L’employeur doit avoir complètement confiance en ses intervieweurs, car ils travaillent de manière indépendante et sans supervision immédiate. Lorsqu’un abus grave comme celui‑ci se produit, l’employeur est en droit, non pas d’imposer une mesure disciplinaire progressive, mais bien de licencier l’employé.

81 L’avocate de l’employeur a cité les décisions suivantes : Turner c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2001 CRTFP 38; Pagé c. Administrateur général (Service Canada), 2009 CRTFP 26; Pagé c. Procureur général du Canada, 2009 CF 1299; Baptiste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 127; Air Canada v. Canadian Auto Workers, Local 2213 (1999), 86 L.A.C. (4e) 232; Canada Post Corporation v. Canadian Union of Postal Workers, [2001] C.P.A.S. No. 58 (QL); Canada Post Corporation v. Canadian Union of Postal Workers, [2001] C.P.A.S. No. 9 (QL); Basra c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 24; Biltrite Rubber (1984) Inc. v. United Steelworkers of America, Local 526, [2005] O.L.A.A. No. 91 (QL); North Bay Nugget v. North Bay Newspaper Guild, Local 30241 (2005), 143 L.A.C. (4e) 106; Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354; paragr. 7:2200 de la 4e édition de Canadian Labour Arbitration, de Brown et Beatty; Renaud c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 42; Baptiste c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2008 CRTFP 105.

82 Pour ce qui est de l’allégation de la fonctionnaire que l’employeur aurait violé les dispositions de la convention collective, l’avocate de l’employeur a fait valoir que cet argument ne faisait pas partie des motifs du grief. Il n’est pas fait mention dans le grief d’une violation présumée de la convention collective. Par ailleurs, le présent grief a été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi (mesure disciplinaire). Par conséquent, l’avocate soutient que je n’ai pas la compétence pour entendre les arguments relatifs à une violation de la convention collective. Elle a cité les décisions suivantes : Burchill; Lee c. Administrateur général (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2008 CRTFP 5; Hanna c. Administrateur général (ministères des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CRTFP 94; Shneidman c. Procureur général du Canada, 2007 CAF 192; Juba c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CRTFP 71; Babiuk et al. c. Conseil du Trésor (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CRTFP 51; Laughlin Walker c. Conseil du Trésor (ministères des Pêches et des Océans), 2010 CRTFP 62.

83 Comme autre argument, l’avocate de l’employeur a indiqué que la fonctionnaire avait été instruite de tous les documents sur lesquels l’employeur a fondé sa décision, qu’elle avait eu l’occasion d’examiner ces documents et qu’elle ne pouvait pas affirmer qu’elle avait été surprise par les raisons de son licenciement. À aucun moment Mme Pajic n’a demandé de détails ou a essayé d’avoir accès à des documents par le processus d’accès à l’information pour se défendre. L’avocate de l’employeur a conclu que, dans tous les cas, l’arbitrage, qui était une audition de novo, avait réglé tout problème de ce genre : Tipple c. Sa Majesté la Reine (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818 (C.A.) (QL); Shaver c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2011 CRTFP 43; Mohan c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2005 CRTFP 172; Brecht c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2003 CRTFP 36; East c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2007 CRTFP 21; Oliver c. Agence des douanes et du revenu du Canada, 2003 CRTFP 43; Ling c. Conseil du Trésor (Anciens combattants Canada), dossiers de laCRTFP 166-02-27472 et 27975 (19990513).

B. Pour la fonctionnaire s’estimant lésée

84 Le représentant de la fonctionnaire a convenu que la question en litige était de déterminer si l’employeur a eu raison d’imposer une mesure disciplinaire et, le cas échéant, si la mesure imposée était appropriée.

85 Le représentant de la fonctionnaire a d’abord fait valoir que la personne ayant imposé la mesure disciplinaire à Mme Pajic n’avait pas le pouvoir délégué requis. Comme aucune preuve ne montre que le représentant de l’employeur avait, selon la structure organisationnelle de ce dernier, le pouvoir délégué d’imposer une sanction à la fonctionnaire, la décision ne peut être maintenue.

86 Le représentant de la fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait changé les motifs de la mesure disciplinaire en ne limitant pas la preuve uniquement aux sept cas qui, selon mon jugement, constituaient la preuve centrale sur la falsification présumée de données, ce qui revenait à lui refuser son droit à un processus équitable et allait à l’encontre des principes de la justice naturelle. Il est d’avis que les motifs du licenciement étaient vagues et auraient dû être décrits plus en détail par écrit dans une lettre de discipline adressée à Mme Pajic.

87 Le représentant de la fonctionnaire a aussi fait valoir que l’employeur avait violé la convention collective, car il n’a pas fourni à la fonctionnaire les documents présents dans son dossier dans un délai raisonnable. Il est d’avis que tous les éléments de preuve présentés à l’audience devraient être exclus pour cette raison.

88 Le représentant de la fonctionnaire a mentionné qu’en exigeant que l’agent négociateur détruise des documents, y compris les notes de Mme Henry, l’employeur a empêché la fonctionnaire de se préparer convenablement et de présenter une bonne défense. Le représentant de la fonctionnaire a également fait valoir que la fonctionnaire n’a pas eu une audience équitable, car elle n’a pas eu la chance de comparaître devant la personne qui a pris la décision de la licencier, M. Page. Il a souligné que M. Page n’a pas même été cité comme témoin, ce qui conduit à des spéculations concernant les motifs derrière la décision de M. Page de licencier Mme Pajic.

89 Le représentant de la fonctionnaire a fait valoir que les écarts dans les données ne signifient pas que Mme Pajic les a falsifiées. Il a insisté sur le fait que ces écarts peuvent très bien avoir été des erreurs commises de bonne foi. De plus, selon lui, les arguments de l’employeur sont fondés uniquement sur des preuves par ouï‑dire; ils correspondent à ce que d’autres personnes ont dit à Mme Irving. Par conséquent, elles ne sont pas fiables. En résumé, il n’y a aucune preuve claire et solide indiquant que Mme Pajic a falsifié délibérément des données.

90 Pour ces raisons, le représentant de la fonctionnaire a insisté vivement pour que je conclue que la mesure disciplinaire était nulle d’emblée. Il a cité les décisions suivantes : Wm. Scott and Company Ltd. v. Canadian Food and Allied Workers Union, Local P­162, [1977] 1 Can. LRBR 1; United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co. Ltd. (1964), 14 L.A.C. 356; Baker c. Canada (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S 817; paragr. 3:4310, 3:5120, 7:2200, 7:2300 et 7:4422 de Brown et Beatty; Belleville General Hospital v. Service Employees International Union, Local 183 (1985), 18 L.A.C. (3e) 161; North York General Hospital v. Canadian Union of General Employees (1973), 5 L.A.C. (2e) 45; Simon Fraser University v. Association of University and College Employees, Local 2 (1990), 17 L.A.C. (4e) 129; Aerocide Dispensers Ltd. v. United Steelworkers of America (1965), 15 L.A.C. 416; Canadian Union of Public Employees, Local 1750 v. Ontario (non publiée); Nova Scotia (Department of Justice) v. Nova Scotia Government and General Employees Union, 2004 NSSC 207; Girvin et al. v. Consumers’ Gas Co. (1973), 40 D.L.R. (3e) 509; Brink’s Canada v. Independent Canadian Transit Union, Local 1 (1995), 47 L.A.C. (4e) 342; Morin c. Operations des enquêtes statistiques, 2006 CRTFP 55.

91 Pour ce qui est de son allégation que l’employeur a violé la convention collective, le représentant de la fonctionnaire a affirmé que Burchill n’est pas applicable. Comme la violation a eu lieu lors de l’audience d’arbitrage, lorsque l’employeur a produit en preuve des documents qui n’avaient pas été fournis à l’avance à la fonctionnaire, la violation n’aurait pas pu être soulevée à l’audience initiale.

92 Le représentant de la fonctionnaire a terminé en disant que, si je devais conclure qu’il y a eu inconduite, la sanction devrait être réduite. Le licenciement devrait être annulé, et une sanction plus appropriée devrait être imposée à Mme Pajic pour avoir fait une erreur.

C. Réplique de l’employeur

93 L’avocate de l’employeur est en désaccord avec l’interprétation du représentant de la fonctionnaire de la clause 21.04 de la convention collective, qu’aurait violée l’employeur. La convention collective n’exige pas de l’employeur qu’il donne à un employé les preuves documentaires dont il se servira pour l’arbitrage, mais bien les documents au dossier de l’employé qu’il compte utiliser, comme les évaluations du rendement, les documents sur les mesures disciplinaires précédentes et tout autre document au dossier de l’employé.

94 L’avocate de l’employeur a soutenu que l’employeur n’a pas changé les motifs de la mesure disciplinaire. Elle m’a renvoyé à la lettre de licenciement. La preuve portait sur sept cas particuliers de falsification. L’avocate soutient que Mme Pajic a eu amplement l’occasion de présenter ses arguments et de se défendre.

95 L’avocate de l’employeur s’est opposé à l’allégation que les arguments de l’employeur seraient fondés uniquement sur des preuves par ouï‑dire. Les faits observés par Mme Irving ne sont pas des ouï‑dire. Quoi qu’il en soit, l’avocate a souligné que les preuves par ouï‑dire sont admissibles si elles sont fiables. Elle a cité Basra.

IV. Motifs

96 Les motifs de l’employeur pour licencier la fonctionnaire sont énoncés dans plusieurs documents, dont deux lettres envoyées à la fonctionnaire, une datée du 2 août 2006 (pièce E‑49) et l’autre, du 1er février 2007 (réponse au quatrième palier de la procédure de règlement des griefs). La première lettre se lit comme suit :

[Traduction]

Le 2 août 2006

Jodi Pajic

[…]

Madame Pajic,

À la suite d’une enquête menée par l’équipe de direction de la Région de l’Ouest et des Territoires du Nord‑Ouest de Statistique Canada, j’ai décidé de mettre immédiatement fin à votre emploi pour un motif suffisant. Cette décision prend effet dès aujourd’hui, le 2 août 2006.

L’enquête a démontré que vous n’avez pas respecté les procédures de collecte de données appropriées pendant la réalisation de la récente Enquête sur la population active, car il a été déterminé que vous avez falsifié des données.

Vous avez eu l’occasion d’expliquer vos actes, mais vous n’avez pas pu donner une explication valable.

Toutes les sommes qui vous sont dues seront envoyées à votre adresse résidentielle.

Vous devez nous remettre immédiatement tout le matériel de Statistique Canada en votre possession, y compris votre carte d’identité. Envoyez le tout à l’attention de Tara Petri‑Duff, Statistique Canada, bureau de district de Winnipeg, pièce 200, 123, rue Main, Winnipeg (Manitoba) R3C 4V9.

C. Jerry Page
Directeur
Région de l’Ouest et des Territoires du Nord‑Ouest

97 La lettre du 1er février 2007 se lit comme suit :

[Traduction]

Le 1er février 2007

Jodi Pajic

[…]

Objet : Quatrième palier de la procédure de règlement des griefs

Madame Pajic,

La présente est en réponse à votre grief au quatrième palier concernant la cessation de votre emploi.

J’ai examiné toute l’information concernant votre situation, y compris les présentations et les documents connexes que vous et Annette Marquis, conseillère spéciale de l’élément national de l’Alliance de la Fonction publique du Canada, nous avez fournis le 27 novembre 2006, le 12 décembre 2006 et le 22 janvier 2007.

La direction locale vous a licenciée pour avoir falsifié des données d’enquête. Lors de mon enquête, j’ai trouvé de sérieuses preuves d’une falsification généralisée. La réussite et la réputation de Statistique Canada sont fondées sur la collecte de données exacte. L’organisme ne peut pas surveiller de près ses intervieweurs sur place. Il doit donc pouvoir compter sur le fait qu’ils accompliront fidèlement leurs fonctions. Comme ce lien de confiance a été brisé dans votre cas, la cessation de votre emploi était la seule solution appropriée.

Votre grief est donc rejeté.

Je vous prie d’accepter, Madame Pajic, l’expression de mes sentiments distingués.

Wayne Smith
Statisticien en chef adjoint
Communications et opérations

c.c. Annette Marquis

98 Après la téléconférence, en s’appuyant sur les résultats de son enquête, l’employeur a décidé de licencier Mme Pajic, à compter du 2 août 2006, pour avoir falsifié des données dans le cadre d’une récente EPA. Il s’agit de déterminer si l’employeur était en droit d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire et si le licenciement était une sanction appropriée étant donné les circonstances.

99 Le fardeau de la preuve incombait à l’employeur. La norme de preuve et les principes qui gouvernent l’évaluation de la déposition d’un témoin sont bien expliqués dans Faryna :

[Traduction]

[…]

[…] En bref, ce qui permet de vérifier réellement si le témoin dit la vérité en pareil cas, c’est la compatibilité de sa version avec la prépondérance des probabilités que reconnaîtrait d’emblée une personne pratique et informée qui se trouverait dans ce lieu et dans ces conditions […]

[…]

100 Plus récemment, la Cour suprême du Canada a confirmé qu’une seule norme de preuve est requise pour les affaires au civil. Dans F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53, la Cour suprême a noté ce qui suit :

[…]

[40] […] il n’existe au Canada, en common law, qu’une seule norme de preuve en matière civile, celle de la prépondérance des probabilités […]

[…]

[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment […]

[…]

[49] […] Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[…]

101 La norme de preuve pour les affaires au civil est la même que pour l’arbitration de griefs et les audiences d’arbitrage. Ce principe est reconnu dans la quatrième édition de l’ouvrage Collective Agreement Arbitration in Canada, de Palmer et Snyder (page 213). Cette norme doit être appliquée aux trois questions suivantes :

  1. L’employeur a‑t‑il prouvé ses allégations?
  2. La conduite de la fonctionnaire justifiait‑elle l’imposition d’une mesure disciplinaire?
  3. La conduite de la fonctionnaire justifiait‑elle son licenciement?

102 Je devrais préciser d’emblée que ce cas n’est pas fondé sur un incident isolé. Il est question ici de plusieurs incidents de falsification de données survenus dans le cadre d’une EPA réalisée en vertu de la Loi sur la statistique. D’un autre côté, la fonctionnaire était une intervieweuse d’expérience qui, pendant des années, avait reçu d’excellents résultats à ses examens de rendement et qui était aimée et appréciée par ses collègues et sa superviseure immédiate.

103 Ce cas est largement fondé sur l’importance pour l’employeur de l’intégrité des données recueillies pendant les enquêtes réalisées en vertu de la Loi sur la statistique. Quatre pièces présentées par l’employeur ont une importance particulière sur ce point (pièces E-5 à E-8). Les pièces E‑5, E‑6 et E‑7 sont tous des documents signés par la fonctionnaire le 6 janvier 2003, avant son premier jour de travail. Ces documents insistent sur le fait que l’intégrité et la fiabilité des données sont fondamentales pour les opérations et la réputation de l’employeur. Les conséquences auxquelles s’expose un employé en violant ces documents signés, par exemple en fournissant des données fausses, sont clairement énoncées, et aucun intervieweur sur place ne peut prétendre qu’il ne connaissait pas les règles et les règlements. Non seulement les intervieweurs sur place connaissent très bien les conditions strictes de leur travail, mais des preuves non contestées démontrent également que l’élément national de l’AFPC les connaissait aussi.

104 La pièce E‑8 est une copie de l’article 30 de la Loi sur la statistique, où il est indiqué qu’un employé qui fait volontairement une fausse déclaration ou un faux relevé dans l’exercice de ses fonctions commet une infraction. L’article 30 se lit comme suit :

30. Est coupable d’une infraction et passible, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, d’une amende maximale de mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines, quiconque, après avoir prêté le serment énoncé au paragraphe 6(1), selon le cas :

a) abandonne ses fonctions, ou fait volontairement une fausse déclaration ou un faux relevé dans l’exercice de ses fonctions;

b) sous prétexte de l’accomplissement de ses fonctions, obtient ou cherche à obtenir des renseignements qu’il n’est pas dûment autorisé à obtenir;

c) contrevient au paragraphe 17(1).

A. L’employeur a-t-il prouvé l’inconduite?

105 Les détails des falsifications présumées, exposés à la pièce E-21, couvrent sept cas. Mme Irving en a amplement témoigné. Je vais maintenant brièvement passer en revue les preuves pour chaque cas.

1. Premier cas - Rothesay

106 D’après la preuve documentaire, la fonctionnaire a entré comme données démographiques que les résidents étaient un homme et une femme, respectivement âgés de 74 et 70 ans. L’enquête de l’employeur a révélé que les résidents étaient un homme de 33 ans, une femme de 45 ans et un fils de 23 ans, et qu’ils vivaient à cette adresse depuis 6 ans. Il est clair que la fonctionnaire a entré de fausses données dans son ordinateur à plusieurs reprises, notamment en ce qui a trait au nom et à l’âge des résidents ainsi qu’au nombre de personnes qui habitaient à cette adresse.

2. Deuxième cas - Keenleyside

107 Les données démographiques entrées dans l’ordinateur portatif de la fonctionnaire et envoyées à Ottawa se rapportaient à une femme célibataire de 31 ans. En fait, les données exactes, telles qu’elles ont été soumises en preuve, indiquaient qu’il s’agissait d’une femme divorcée de 59 ans, qui habitait à cette adresse depuis 2005. La répondante à cette adresse a confirmé, au cours de la vérification, que personne de l’EPA ne lui avait parlé avant que Mme Irving ne l’interroge en juillet 2006.

3. Troisième cas - Oakview

108 Les données démographiques entrées dans l’ordinateur portatif de la fonctionnaire et envoyées à Ottawa se rapportaient à une veuve de 78 ans. La vérification a montré que les résidents à cette adresse étaient plutôt un homme de 48 ans et une femme de 44 ans.

109 Aux supérieurs qui l’ont interpelée au sujet des données divergentes, la fonctionnaire a offert pour toute réponse qu’elle se souvenait de ce cas où la résidente s’était montrée réticente à répondre à ses questions, si bien qu’elle avait inscrit [traduction] « Madame X » pour l’identifier. [traduction] « Cette femme était peut-être la mère de quelqu’un », a‑t‑elle dit, avant de suggérer qu’elle avait peut-être interrogé une femme habitant un autre appartement à cette adresse. L’explication de la fonctionnaire a fait l’objet d’une vérification. Or, il a été établi que l’adresse correspondait à une habitation unifamiliale.

110 Il est à noter que les intervieweurs sur place, lorsqu’ils doutent de la façon de procéder, disposent en tout temps de ressources pour les guider ou les aider afin d’éviter les erreurs.

4. Quatrième cas - Croissant Walden

111 Les données démographiques entrées dans l’ordinateur portatif de la fonctionnaire et envoyées à Ottawa indiquaient que la résidence était uniquement occupée par une veuve de 78 ans. Or, d’après les faits vérifiés, la résidente était une femme de 50 ans vivant avec un conjoint de fait. Celle-ci n’avait d’abord rien dit au sujet de son conjoint de fait par crainte d’être questionnée par l’Agence du revenu du Canada.

5. Cinquième cas - Kimberley

112 Les données démographiques entrées dans l’ordinateur portatif de la fonctionnaire et envoyées à Ottawa indiquaient que deux hommes habitaient à cette adresse, l’un de 29 ans et l’autre de 15 ans. Une vérification a permis d’établir que seul un homme de 35 ans habitait là.

113 Lorsqu’on l’a interrogée au sujet de ce cas, la fonctionnaire a répondu qu’elle se souvenait d’entrées latérales à cette adresse et qu’elle pensait qu’il y avait quatre logements. Elle a déclaré qu’un homme prénommé Pat était présent à sa première visite. Elle pensait qu’il s’agissait du propriétaire. Lors d’une deuxième visite, Pat était là, mais s’était montré réticent à participer à l’enquête et, selon la fonctionnaire, ne faisait [traduction] « guère bonne impression ». C’est lors d’une visite ultérieure que la fonctionnaire a rencontré un certain Jim qui a répondu aux questions de l’enquête.

114 La vérification a révélé que seuls deux logements, et non quatre, se trouvaient à cette adresse. Les explications données par la fonctionnaire sur ce cas m’ont semblé confuses.

6. Sixième cas - Boulevard Grassie

115 Les données démographiques entrées dans l’ordinateur portatif de la fonctionnaire et envoyées à Ottawa en juin 2006 indiquaient qu’un homme célibataire de 31 ans habitait à cette adresse. Une vérification subséquente de Mme Irving a révélé que deux personnes, un homme de 35 ans et une femme de 28 ans, y résidaient depuis 18 mois.

7. Septième cas - Kildare

116 Les données démographiques entrées dans l’ordinateur portatif de la fonctionnaire et envoyées à Ottawa en juin 2006 indiquaient qu’une femme de 20 ans et un homme de 19 ans habitaient à cette adresse. Une vérification a révélé qu’une femme célibataire résidait à cette adresse, et ce, depuis janvier 2003.

117 La fonctionnaire a ainsi expliqué les données divergentes : [traduction] « J’y suis allée tous les mois et je laissais un avis de visite. Comme on me rappelait tous les mois, je n’ai rencontré personne sur place. Je ne pouvais deviner qu’on me mentait, puisque je n’avais personne en face de moi. » Or, malgré d’excellentes compétences en informatique, la fonctionnaire a codé cette adresse comme s’il s’agissait d’une interview sur place, ce qui était inexact.

118 Les sept cas ont tous été codés « 70 », ce qui signifie que la fonctionnaire les considérait clos. Cependant, aucun numéro de téléphone n’a été enregistré, et il a été demandé que chaque cas lui soit renvoyé. Ces faits ont été portés à son attention durant la téléconférence. Mme McCreary avait alors fait remarquer à la fonctionnaire que, en codant les cas comme s’ils étaient terminés (70), elle avait falsifié les données. Mme McCreary a rappelé à la fonctionnaire que Statistique Canada considérait les falsifications comme une infraction très grave, nullement tolérée. Elle l’a informée que, à moins qu’elle n’ait quelque chose à ajouter, conformément à la Loi sur la statistique, la politique de l’employeur prévoyait le licenciement, et que des poursuites étaient possibles en vertu de cette loi. Elle a aussi expliqué à la fonctionnaire qu’elle pouvait démissionner si elle le préférait, mais qu’elle avait jusqu’au 1er août 2006 pour le faire.

119 La fonctionnaire a admis que les notes prises durant la téléconférence, qui constituaient la pièce E-21, étaient exactes. Elle a aussi reconnu que personne d’autre n’avait traité les sept cas dans une « campagne-éclair », ni n’avait utilisé son ordinateur portatif.

120 La preuve a aussi établi que les nombreuses infractions recensées dans les sept cas n’étaient pas les seules infractions graves et falsifications de données commises par la fonctionnaire. Le témoignage de Mme Irving sur les pièces E-18 et E-19 indique que bon nombre des cas relevés contenaient des données mal saisies ou fausses, et que la fonctionnaire avait donc contrevenu au « Serment d’office » (pièce E-5), au [traduction] « contrat de travail de l’intervieweur » (pièce E-6) et à la « Déclaration de l’employé » (pièce E-7). Enfin, Mme Irving a noté dans son rapport d’observation de l’EPA que la fonctionnaire a répété des erreurs de type « inoccupé » et « en cours de rénovation ». Au moment de valider ses observations, Mme Irving a noté qu’il avait été confirmé que 17 des 21 cas relevés au total avaient été mal codés par la fonctionnaire.

121 Je conclus que, même s’ils ont contesté le motif invoqué par l’employeur, la fonctionnaire et son représentant n’ont fourni aucun élément probant en ce sens.

122 Les deux principaux témoins de l’employeur, Mmes McCreary et Irving, sont des employées d’expérience des OES, qui comptent de longues d’années de service et qui comprennent tous les aspects des fonctions et des responsabilités des intervieweurs sur place. Elles ont toutes deux présenté sans hésitation des preuves directes et claires au cours de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire. Selon moi, leur preuve a été soumise sans mauvaise intention à l’égard de la fonctionnaire et était tout à fait fiable. En fait, aucun des témoins de l’employeur n’a manifesté la moindre animosité face à cette dernière. Au contraire, tous les témoins appréciaient la fonctionnaire en tant qu’amie et collègue de travail. Mme Irving était la superviseure immédiate de la fonctionnaire pour toute la durée de son emploi aux OES et n’avait que de bons mots et des louanges pour elle dans ses examens annuels du rendement et à d’autres occasions.

123 Selon mon interprétation de la preuve, cette appréciation unanime a continué jusqu’aux événements à l’origine du licenciement de la fonctionnaire. Par exemple, quand on lui a demandé comment elle réagissait aux nombreuses pièces de l’employeur, Mme McCreary a déclaré qu’elle avait été [traduction] « choquée et consternée » parce que nombre des données de l’EPA entrées par la fonctionnaire étaient erronées, fausses ou peu fiables. Pour sa part, quand on lui a demandé comment elle réagissait aux observations, recherches de faits et vérifications de toutes les pièces pertinentes, Mme Irving a déclaré qu’elle était [traduction] « déçue et choquée » de voir que la personne qu’elle avait formée avait [traduction] « fait tellement de choses de travers ».

124 Les témoins de la fonctionnaire, Mmes Tokar et Henry, sont aussi des intervieweuses de longue date, expérimentées, et toutes deux ont remis une preuve crédible, en toute franchise.

125 Chaque témoin a décrit la fonctionnaire comme étant bien organisée et dotée d’excellentes compétences en informatique, entre autres qualités. J’ai toutefois trouvé le témoignage de la fonctionnaire incohérent à plusieurs égards. Par exemple, elle pouvait se souvenir précisément du temps qu’il faisait lors d’une interview menée il y a plusieurs années dans le cadre de l’EPA. Or, la preuve indiquait que la météo, ce jour-là, n’aurait pu l’empêcher d’utiliser son ordinateur portatif et la forcer de se servir d’un questionnaire papier, comme elle le prétend.

126 De plus, malgré ses excellentes compétences en informatique, la fonctionnaire a déclaré à plusieurs reprises dans son témoignage que ses erreurs [traduction] « s’expliquaient vraisemblablement par la sélection de la mauvaise touche d’ordinateur au moment d’envoyer les données à Ottawa ».

127 Il m’apparaît plutôt inconcevable d’imputer à une simple coïncidence l’incapacité d’obtenir le numéro de téléphone dans les sept cas et le fait que, dans cinq cas, les résidents fussent [traduction] « fous ou difficiles à aborder », pour reprendre les mots de Mme Pajic. Comme l’a expliqué Mme McCreary dans son témoignage, à cause de l’absence du numéro de téléphone associé à une adresse, c’est l’intervieweur désigné pour le ménage en question qui sera appelé à y retourner le mois suivant. Autrement dit, si aucun numéro de téléphone n’est enregistré, le processus d’enquête sera retardé, puisque l’information ne peut être transmise au bureau d’Ottawa que lorsque l’intervieweur sur place a obtenu tous les détails relatifs à chaque ménage. À cause de ce retard, le prochain groupe d’intervieweurs ne peut effectuer ses interviews téléphoniques de suivi le mois suivant afin de poursuivre l’enquête. Or, Mme Irving a affirmé qu’elle n’avait eu aucune difficulté à obtenir toutes les données requises pour les personnes résidant à ces adresses.

128 Compte tenu de la prépondérance des probabilités, je conclus que l’employeur a fait la preuve de ses allégations : en vertu de la Loi sur la statistique, Mme Pajic a entré de fausses données dans son enquête aux fins de l’EPA, et ce, sans motif raisonnable. Tous les témoins de l’employeur, sans exception, ont insisté sur l’importance absolue de collecter des données exactes, fiables et valides dans le cadre de l’EPA, conformément à la Loi sur la statistique ainsi qu’aux règles et règlements auxquels renvoie la preuve. Je reconnais le caractère essentiel de la collecte de données exactes et fiables pour les activités de l’employeur, et je considère qu’il s’agit du devoir, voire d’une obligation primordiale, de l’intervieweur sur place de satisfaire à cette exigence. L’examen des sept cas a révélé un grand nombre d’anomalies et d’erreurs, notamment par rapport à l’âge, au nombre de résidents ou à l’état matrimonial. Aussi, dans l’ensemble, la conduite de la fonctionnaire constitue de la négligence et un abus de confiance. L’employeur pouvait justifier une sanction disciplinaire à son égard.

B. Questions soulevées par le représentant de la fonctionnaire s’estimant lésée

129 Avant de déterminer si le licenciement de la fonctionnaire était approprié ou non, je dois me pencher sur un certain nombre de points soulevés par le représentant de la fonctionnaire à différentes étapes de l’audience et lors de la plaidoirie finale.

130 Premièrement, le représentant de la fonctionnaire a fait valoir que, comme rien ne permettait de croire que M. Page disposait du pouvoir délégué de licencier la fonctionnaire dans le cadre de la structure organisationnelle de l’employeur, la décision de le faire ne pouvait être maintenue. Il a ajouté que, M. Page n’ayant pas témoigné, il est impossible de déterminer les faits sur lesquels il a appuyé sa décision, ce qui est injuste pour la fonctionnaire, ainsi privée de son droit de présenter une plaidoirie complète en défense.

131 Je rejette cet argument pour les motifs suivants. Mon devoir à titre d’arbitre de grief est de déterminer, selon la preuve qui m’a été présentée à l’audience, si l’employeur avait une raison valable de mettre fin à l’emploi de la fonctionnaire. Ce devoir ne me permet pas de me prononcer sur les procédures internes de l’employeur relativement à son pouvoir de prendre des mesures disciplinaires.

132 La décision Mohan, dans laquelle l’arbitre de grief a écrit ce qui suit au paragraphe 93, appuie cette proposition :

[93] Je reconnais que le fonctionnaire s’estimant lésé peut soulever la question de la délégation de pouvoir à l’audience […] Néanmoins, cet argument n’est en définitive pas convaincant parce qu’il est établi depuis longtemps dans la jurisprudence de la Commission que l’audience d’arbitrage des griefs est une audition de novo conçue pour […] déterminer si la procédure appropriée a été respectée (voir Tipple (supra)). En outre, les directives de l’employeur ne limitent pas la compétence d’un arbitre de grief, qui n’est pas tenu de se prononcer sur la validité des sanctions disciplinaires, mais seulement sur la question de savoir si elles étaient injustifiées dans les circonstances […]

[Je souligne]

133  Quoi qu’il en soit, la décision de M. Page a été accueillie au dernier palier de la procédure de règlement des griefs par M. Smith, qui, à titre de délégué de l’administrateur général, occupe le poste le plus élevé chez l’employeur. De plus, la preuve a clairement montré que les superviseurs de la fonctionnaire ont coordonné leurs constatations en consultant M. Page à plusieurs reprises avant que celui-ci ne signe la lettre de licenciement, le 2 août 2006 (pièce E-49). La preuve appuyant la décision de l’employeur a été déposée à l’audience, laquelle était une audience de novo (voir Tipple). Mme Pajic s’est vu accorder la possibilité d’y répondre en présentant une plaidoirie complète en défense.

134 Deuxièmement, le représentant de la fonctionnaire a soutenu que l’employeur avait changé la nature des motifs invoqués pour imposer des mesures disciplinaires en ne limitant pas la preuve aux sept cas que j’ai tranchés, qui constituaient la preuve centrale de la falsification présumée de données, refusant ainsi à la fonctionnaire le droit à une procédure équitable et niant les principes de justice naturelle.

135 Il est clairement écrit ce qui suit dans la lettre de licenciement (pièce E-49) :

[Traduction]

[…]

[…] [I]l a été démontré que vous n’avez pas respecté les procédures de collecte de données appropriées pendant la réalisation de la récente Enquête sur la population active, car il a été déterminé que vous avez falsifié des données.

Vous avez eu l’occasion d’expliquer vos actes, mais vous n’avez pas pu donner une explication valable.

[…]

136 Cette lettre n’est ni vague ni imprécise quant aux motifs du licenciement de la fonctionnaire.

137 J’ai décidé, sur cette question, que je ne considérerais que les éléments de preuve pertinents relativement à la falsification présumée des données par la fonctionnaire pendant l’EPA. Selon moi, la preuve présentée à l’audience n’allait pas à l’encontre de ces paramètres.

138 La modification de la nature des motifs pour lesquels une sanction disciplinaire est imposée est une question que des auteurs ont traitée de façon exhaustive dans de nombreuses décisions de jurisprudence, notamment Brown et Beatty, au paragraphe 7:2200. En 1965, dans Aerocide Dispensers Ltd., l’arbitre de différends a d’abord mis en avant le principe selon lequel les employeurs devraient s’en tenir [traduction] « […] rigoureusement aux motifs en vertu desquels [ils ont] choisi d’agir […] ». Suivant l’exemple du juge en chef Laskin, [traduction] « […] les arbitres de différends ont interdit aux employeurs de produire en preuve des événements n’étant pas étroitement liés à ceux d’abord communiqués à l’employé […] » (voir Saskatchewan Association of Health Organizations v. Canadian Union of Public Employees, Local 3967 (2011), 203 L.A.C. (4e) 1). Dans Morin, l’arbitre de grief a interdit à l’employeur de reformuler un incident pour orienter l’affaire vers une infraction différente.

139 Il importe de souligner que, dans le présent cas, la preuve a été communiquée à Mme Pajic lors de la téléconférence (pièce E-21). La fonctionnaire a alors aussi reçu des précisions sur la falsification de données dont faisait état le rapport d’observation de l’EPA (pièce E-48), qui traitait du problème durant la même période.

140 La nature des motifs n’est pas modifiée si la preuve se rapporte aux mêmes motifs que ceux invoqués au départ par l’employeur. C’est le cas dans cette affaire, puisque la preuve est demeurée la même, soit la falsification de données. Il ne fait aucun doute que Mme Pajic connaissait les motifs contre lesquels elle devait se défendre. Je rejette donc cet argument.

141 Troisièmement, le représentant de la fonctionnaire a soulevé une objection, alléguant que l’employeur avait contrevenu à la clause 21.04 de la convention collective parce qu’il n’avait pas fourni à l’avance à la fonctionnaire toute la documentation sur laquelle il s’était appuyé lors de l’audience. La clause 21.04 se lit comme suit :

L’Employeur convient de ne produire comme élément de preuve, au cours d’une audience concernant une mesure disciplinaire, aucun document extrait du dossier de l’employé/e dont le contenu n’a pas été porté à la connaissance de celui-ci ou de celle-ci au moment où il a été versé à son dossier ou dans un délai ultérieur raisonnable.

142 L’avocat de l’employeur s’est opposé à cet argument au motif qu’il constituait une tentative de modifier la nature du grief initial. Je suis d’accord avec l’employeur quant au fait que cette contestation au beau milieu de l’audience a modifié la nature du grief initial, lequel ne traitait que de l’imposition d’une mesure disciplinaire et non d’une violation présumée de la convention collective, et avait été renvoyé à l’arbitrage en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi. Comme je l’ai signalé plus tôt dans la présente décision, cela correspond à la formule 21 soumise par l’agent négociateur.

143 Le principe en vertu duquel un fonctionnaire s’estimant lésé ne peut modifier la nature de son grief une fois atteinte l’étape de l’arbitrage est exposé dans Burchill. Les arbitres de grief de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ont régulièrement suivi ce jugement au fil des ans. L’affaire Shneidman défend aussi ce principe. Dans Lee, l’arbitre de grief a écrit ce qui suit :

[…]

[33] La jurisprudence a néanmoins établi l’existence de limites très réelles de ce pouvoir discrétionnaire. Comme dans Shneidman, les tribunaux peuvent fort bien conclure qu’un arbitre de grief a erré s’il interprète trop largement un grief lorsqu’il doit se prononcer sur l’application de Burchill. De toute évidence, si le libellé du grief original et la preuve sur la façon du fonctionnaire s’estimant lésé de faire valoir sa thèse au cours de la procédure de règlement des griefs ne laissent guère de doute qu’un argument avancé ensuite dans un renvoi à l’arbitrage n’avait jamais été soulevé jusque-là, ce pouvoir discrétionnaire disparaît. L’arbitre de grief se doit d’appliquer l’article 209 de la Loi fidèlement, compte tenu des instructions de la Cour dans Burchill.

[…]

144 Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec l’interprétation de la clause 21.04 de la convention collective à laquelle souscrit le représentant de la fonctionnaire. Selon moi, cette clause fait uniquement référence aux documents que contient déjà le dossier disciplinaire d’un employé, comme les lettres disciplinaires ou les évaluations du rendement. Cette clause n’oblige pas un employeur à divulguer tous les éléments de la preuve à un fonctionnaire avant l’audience. En passant, il me semble que le représentant de l’agent négociateur a tenté d’utiliser le libellé actuel des conventions collectives avec l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (par exemple, la clause 37.04 de la convention collective du groupe Services de santé, à laquelle renvoie Baptiste, 2008 CRTFP 105). Pour ces raisons, je rejette l’argument d’une violation de la convention collective.

145 Quatrièmement, le représentant de la fonctionnaire a affirmé que les droits à l’équité et à la justice naturelle de Mme Pajic n’ont pas été respectés lorsque l’employeur a apparemment exigé la destruction de la preuve, comme l’ont fait ressortir les témoignages de Mme Henry et de M. Smith. Le représentant de la fonctionnaire a laissé entendre que celle-ci n’a peut-être pas eu accès à des éléments de preuve qui auraient pu l’innocenter.

146 Tels sont les éléments non contredits de la preuve :

  • Les pièces E-34 et E-34A contiennent toutes les données entrées par la fonctionnaire dans son ordinateur portatif, et ces données, qui n’ont pas été modifiées ni détruites, ont été déposées auprès de la fonctionnaire.
  • Dès que la fonctionnaire, à titre d’intervieweuse sur place, appuie sur le bouton « envoyer » de son ordinateur portatif, toutes les données saisies sont immédiatement envoyées et enregistrées à Ottawa.
  • Les faits relatifs aux sept cas ont été déposés et inclus dans la pièce E-24, soumise en preuve par l’employeur.
  • L’employeur n’a détruit ou effacé aucune preuve.
  • Intervieweuse principale de la fonctionnaire, Mme Irving pouvait accéder aux données entrées dans l’ordinateur et les consulter.
  • La validation par Mme Irving des anomalies relevées dans les tâches de la fonctionnaire liées à l’EPA s’est faite dans le cadre de discussions pendant la téléconférence (pièce E-21); tous les documents et pièces connexes ont été déposés et remis à la fonctionnaire et à son représentant.
  • D’autres documents incitant à penser que la fonctionnaire a falsifié des données ont été déposés et présentés en tant que pièces E-18, E-19 et E-48; tous ont été fournis à la fonctionnaire et à son représentant.

147 En bref, il ne m’a pas été démontré que des éléments de preuve ont été détruits au détriment de Mme Pajic. En ce qui a trait au déchiquetage présumé d’éléments de preuve dans le bureau de M. Smith, dont il a été fait mention lors de l’audience au dernier palierde la procédure de règlement des griefs, la preuve non contredite de M. Smith indiquait qu’il avait demandé aux représentantes de l’agent négociateur, y compris Mme Marquis, Mme Henry et la fonctionnaire, de retourner tous les renseignements confidentiels sur les répondants.

148 En conclusion, d’après la preuve non contestée, à défaut de retourner ces renseignements comme le demandait M. Smith, une entente conclue avec la présidente de l’élément national de l’AFPC exigeait la destruction des renseignements confidentiels. L’agent négociateur a attesté que ces renseignements ont été détruits.

149 Je rejette l’argument selon lequel des éléments de preuve ont été détruits, ce qui aurait nui à la défense de Mme Pajic. Cette dernière a eu plus d’une occasion de répondre aux allégations de l’employeur à son égard lors de l’arbitrage, qui consistait en une audience de novo, telle que définie la Cour d’appel fédérale dans Tipple.

150 Cinquièment, le représentant de la fonctionnaire a fait valoir qu’une part importante des arguments de l’employeur reposait sur des ouï-dire, soit que les propos rapportés par Mme Irving et constituant son témoignage lui avaient été dits. Il s’est opposé contre le fait que le licenciement de Mme Pajic pourrait n’avoir été basé que sur des ouï-dire. Aussi m’a-t-il exhorté à ignorer complètement cette preuve par ouï‑dire.

151 Je vais maintenant revenir sur cette soi-disant preuve par ouï-dire de Mme Irving. L’employeur a l’obligation de prouver, d’après la prépondérance des probabilités, que Mme Pajic a commis certaines erreurs. L’employeur a surtout cherché à établir les faits à partir du témoignage de Mme Irving et de la preuve documentaire connexe. Ce que Mme Irving a pu vérifier et observer, puis rapporter, ne constituait pas des ouï-dire. On ne peut dire du témoignage de Mme Irving relativement à ce qu’elle a observé, notamment au fait qu’elle avait parlé à un homme ou à une femme, ou que l’ameublement d’une résidence était le même au cours de différents mois, qu’il s’agit d’une preuve par ouï-dire. Ainsi, la fonctionnaire a dit « X » plusieurs fois, alors que la preuve documentaire révélait que c’était plutôt « Y ». Ce n’est pas du ouï-dire. Dans d’autres cas, la fonctionnaire a admis ce qu’elle avait fait et dit.

152 À titre d’intervieweuse principale, Mme Irving avait notamment la responsabilité de procéder à des vérifications et d’observer les intervieweurs sur place. Elle pouvait s’acquitter de cette responsabilité en parlant aux résidents d’un ménage et à d’autres personnes, puis en rapportant ses constatations – ce qui n’est pas du ouï-dire, selon moi. De plus, je rappelle que les données résidentielles de deux des sept cas sur lesquels Mme Irving a enquêté (Oakview et Grassie) ont été corroborées par des titres fonciers et que ceux-ci sont des documents administratifs sur lesquels un arbitre de grief a le droit de s’appuyer, étantvisés par l’exception de la règle du ouï-dire. Aussi, les constatations de Mme Irving ont été corroborées dans ces deux cas.

153 L’alinéa 226(1)d) de la Loi se lit comme suit :

226. (1) Pour instruire toute affaire dont il est saisi, l’arbitre de grief peut,

[…]

d) accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice […]

154 Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans Basra, la véritable question consiste à savoir si, tout compte fait, la preuve est fiable. Au paragraphe 21, la Cour s’est exprimée en ces termes :

[21] En qualifiant d’erreur judiciaire l’utilisation d’une preuve par ouï-dire pour établir un fait essentiel, l’arbitre énonçait un principe qui est contraire à l’alinéa 226(1)d) de la LRTFP, lequel prévoit qu’un arbitre peut accepter des éléments de preuve, qu’ils soient admissibles ou non en justice. L’arbitre n’est pas tenu d’accepter une preuve par ouï-dire, mais il ne peut la rejeter d’emblée simplement parce qu’elle constitue du ouï-dire. La question est de savoir si elle est fiable […]

155 Dans ce cas-ci, pour les motifs exposés plus tôt dans la présente décision, je n’ai aucune raison de remettre en question la crédibilité de Mme Irving. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, je considère cette preuve comme étant fiable. Par conséquent, je rejette l’argument du représentant de la fonctionnaire, selon lequel je devrais ignorer la preuve de Mme Irving parce qu’elle constitue du ouï-dire.

C. Le licenciement était-il une sanction appropriée dans les circonstances?

156 Les intervieweurs sur place des OES connaissent leurs conditions d’emploi et les graves conséquences qu’entraînerait l’omission de s’y soumettre. Appelés à signer plusieurs déclarations à cet égard, entre autres les pièces E-5, E-6 et E-7, les intervieweurs n’ignorent pas non plus les dispositions de la Loi sur la statistique (plus particulièrement l’article 30; pièce E-8). On leur rappelle périodiquement leurs obligations et responsabilités, ainsi que les conséquences auxquelles ils s’exposent s’ils ne s’en acquittent pas, lors de séances de formation régulières et dans les communications destinées tous les mois aux employés affectés aux IPAO. Essentiellement, aucun intervieweur sur place ne peut prétendre être surpris par les graves conséquences découlant de la découverte d’une infraction comme la falsification de données.

157 La production de données exactes, fiables et valables n’influe pas seulement sur la réussite et la réputation de Statistique Canada, mais constitue saraison d’être même. Parmi les conséquences les plus graves auxquelles s’exposent les employés qui négligent de respecter les valeurs à la base de cette raison d’être figure le risque d’un licenciement immédiat, lequel peut être suivi d’éventuelles poursuites, amendes et peines d’emprisonnent, si ces employés sont déclarés coupables d’une infraction présumée.

158 La fonctionnaire a signé les pièces E-5, E-6 et E-7 le premier jour de son emploi, le 6 janvier 2003. Elle savait ou aurait dû savoir que, en entrant de fausses données, elle risquait de perdre son emploi. Elle l’a pourtant fait plus d’une fois. Bien que je sois forcé de conjecturer quant à sa motivation, je juge à regret que la fonctionnaire n’avait aucune excuse ou explication raisonnable à donner pour l’entrée de fausses données.

159 Je conclus que, par ses gestes, la fonctionnaire a brisé le lien de confiance nécessaire entre son employeur et elle. Comme l’ont affirmé Mmes McCreary et Irving durant leur témoignage respectif, le travail de l’intervieweur sur place est en grande partie fondé sur le principe d’intégrité, et l’employeur doit avoir une confiance absolue en les employés qui assument des responsabilités connexes. Pendant l’audience, la fonctionnaire a affirmé qu’elle ne cherchait plus à être réintégrée parce qu’elle n’avait plus confiance en l’employeur. En fin de compte, le présent cas montre une désintégration complète de la relation de travail.

160 Le représentant de la fonctionnaire m’a pressé d’examiner un certain nombre de facteurs atténuants au moment d’évaluer si le licenciement était une sanction appropriée, attirant notamment mon attention sur le fait qu’il avait entraîné des difficultés économiques. J’ai tenu compte des facteurs suivants pour arriver à ma décision au sujet du licenciement de Mme Pajic :

  • Le dernier jour de l’audience, le 16 mars 2012, aucune preuve n’indiquait que la fonctionnaire avait un emploi rémunérateur depuis son licenciement, le 2 août 2006.
  • La preuve précise que la fonctionnaire, lors de son licenciement, était une mère au travail, à Winnipeg, avec trois jeunes enfants à l’école, âgés de 8, 7 et 6 ans.
  • Avant les incidents dont fait état ce cas, la fonctionnaire avait obtenu d’excellentes évaluations du rendement couvrant plus de trois années entières de service à titre d’intervieweuse sur place des OES, et n’avait encore fait l’objet d’aucune sanction disciplinaire.
  • Avant de lui remettre un avis de licenciement, l’employeur a offert à la fonctionnaire la possibilité de démissionner afin d’éviter l’inscription d’un licenciement dans son dossier. La fonctionnaire a refusé, prétendant ne pas être coupable et ne pas avoir falsifié volontairement des données.
  • Pendant l’audience du 5 octobre 2011, j’ai été informé que la fonctionnaire avait aussi été accusée d’une infraction liée aux mêmes incidents que ceux qui avaient amené son employeur à mettre fin à son emploi. Bien que des poursuites au criminel aggravent sans aucun doute les conséquences de tels gestes, nous présumons qu’elles risquent aussi d’accroître les difficultés économiques qu’a peut-être subies la fonctionnaire. Je ne peux déterminer l’importance des difficultés économiques supplémentaires qui découleraient de poursuites au criminel pour la fonctionnaire, car aucune preuve portant plus particulièrement sur ce risque n’a été présentée lors de l’audience.

161 J’ai tenu compte de ces facteurs par rapport à la nature grave et répétitive des gestes de la fonctionnaire. D’après la prépondérance des probabilités, bien qu’on puisse dire que la fonctionnaire a subi des difficultés économiques particulières après son licenciement et, plus tard, à cause des poursuites au criminel, une preuve accablante et la gravité des falsifications répétées des données présentées à l’audience surpassent l’ampleur de ces difficultés. Dans ces circonstances, j’estime que le licenciement était une sanction disciplinaire appropriée de l’employeur face à cette inconduite. Le grief est donc rejeté.

162 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

163 Le grief est rejeté.

Le 22 juin 2012.

Traduction de la CRTFP

Roger Beaulieu,
arbitre de grief

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