Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a allégué que son agent négociateur s’était livré à une pratique déloyale de travail en étant négligent lors de la transmission tardive de ses deux griefs contestant des sanctions disciplinaires à la fois au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et à l’arbitrage - l’employeur a soulevé une objection quant au respect des délais après que les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage - le défendeur a reconnu les faits tels que présentés par la plaignante et a admis avoir commis une erreur, mais a nié avoir enfreint la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique - le défendeur a déposé une demande de prorogation du délai pour les deux griefs auprès du président de la Commission - l’erreur avait été causée par les problèmes entourant la révocation du représentant syndical de la section locale - la plaignante n’a fait aucune allégation disant que le défendeur avait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire - la question était de savoir si le défendeur avait agi de manière arbitraire - l’erreur n’était pas le résultat de choix aléatoires ou de caprices personnels de l’agent négociateur - l’agent négociateur n’a pas fait preuve de négligence grave - il n’y a pas eu d’ignorance délibérée, volontaire ou flagrante de l’obligation juridique de l’agent négociateur ou des conséquences pour la plaignante. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-08-13
  • Dossier:  561-02-555
  • Référence:  2012 CRTFP 85

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

CARLA CALLEGARO

plaignante

et

UNION OF CANADIAN CORRECTIONAL OFFICERS - SYNDICAT DES AGENTS CORRECTIONNELS DU CANADA - CSN

défendeur

Répertorié
Callegaro c. Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Affaire concernant une plainte fondée sur l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour le défendeur:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés le 27 avril, le 1er juin et le 7 août 2012.
(Traduction de la CRTFP)

Plainte devant la Commission

1 Le 21 mars 2012, Carla Callegaro (la « plaignante ») a déposé une plainte contre son agent négociateur, le Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « défendeur », ou UCCO-SACC-CSN). Elle a allégué que le défendeur s’était livré à une pratique déloyale de travail à son endroit en raison de sa négligence, ayant renvoyé tardivement ses deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et à l’arbitrage de griefs.

2 La plaignante avait déposé deux griefs en 2010. Le 28 mars, elle déposait un premier grief, contestant une suspension d’une journée que lui avait imposée le Service correctionnel du Canada (l’« employeur »). Le défendeur a accepté de la représenter. L’employeur a rejeté le grief au dernier palier de la procédure de règlement des griefs en invoquant une transmission tardive du grief à ce dernier palier de la procédure. De plus, l’employeur s’est opposé à ce que le grief soit entendu à l’arbitrage, le grief ayant été renvoyé à l’arbitrage 14 mois après la date limite. Le 22 avril, la plaignante a déposé un deuxième grief, contestant cette fois une suspension de 10 jours qui lui avait été imposée. L’employeur a également rejeté ce grief parce qu’il avait été présenté hors délai, et a soulevé une objection quant au respect des délais après le renvoi du grief à l’arbitrage.

3 Dans ses arguments, le défendeur a indiqué qu’il avait étudié la plainte et qu’il était d’accord avec les faits énoncés par la plaignante. Il a reconnu l’erreur de ne pas avoir transmis ses griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs dans les délais impartis dans la convention collective pertinente. L’erreur était due aux problèmes engendrés par la révocation du représentant syndical élu de la section locale du syndicat par les membres de la section locale. Le défendeur a notamment écrit ce qui suit à ce sujet : [traduction] « […] le grief est passé au second plan en raison de la situation chaotique que cela avait engendré. Cette période avait été très difficile à traverser au plan émotif pour le président de la section locale à l’époque, qui en était bouleversé ». Par la suite, le coordonnateur des griefs nouvellement élu a omis de transmettre au bureau régional du défendeur une copie du formulaire dûment déposé et signé afin de renvoyer les griefs à l’arbitrage dans les délais impartis. Le défendeur a mentionné que ces omissions étaient déplorables et qu’elles n’étaient pas le fait [traduction] « d’une quelconque mauvaise foi ou de discrimination ».

4 En janvier 2012, le défendeur a communiqué avec un agent des relations de travail de l’employeur pour lui expliquer la situation et demander une prorogation du délai. L’employeur a alors refusé d’accorder une prorogation du délai et a maintenu sa position. En février 2012, le défendeur a présenté au président de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») une demande de prorogation du délai pour chacun des deux griefs. Le défendeur a alors fait valoir les mêmes faits que ceux pour expliquer la question du respect des délais dans ces dossiers.

5 À titre de mesure corrective, la plaignante a demandé qu’il soit ordonné au défendeur d’instruire ses deux griefs et de la représenter à l’arbitrage. Elle a aussi demandé [traduction] « […] une ordonnance dispensant des délais impartis ou prévoyant la prorogation des délais impartis dont le non-respect empêcherait UCCO-SACC-CSN de porter [ses] griefs à l’arbitrage ». À la lecture de cette demande, j’en ai compris que la plaignante cherchait à obtenir une ordonnance de prorogation des délais impartis pour le renvoi à l’arbitrage de ses griefs.

6 Le défendeur a indiqué qu’il souscrivait aux mesures correctives proposées par la plaignante et qu’il se ferait un plaisir de la représenter si la Commission devait rendre une ordonnance prorogeant tout délai qui empêcherait que ces griefs puissent être renvoyés à l’arbitrage.

7 La Commission a demandé à la plaignante de présenter une réfutation des arguments écrits soumis par le défendeur. Elle a écrit ce qui suit à cet égard : [traduction] « […] Je suis d’accord avec les arguments écrits présentés par leur auteure, Mme Corinne Blanchette, de la CSN. Je ne réfute aucunement la réplique du défendeur datée du 27 avril 2012. » Le 10 juillet 2012, la Commission a avisé les parties qu’il serait statué sur la plainte sur la base des arguments écrits déposés au dossier. Elle a invité les parties à déposer tout argument écrit final au plus tard le 17 juillet 2012. Les parties n’ont déposé aucun nouvel argument écrit en réponse à la demande de la Commission formulée le 10 juillet 2012.

Motifs

8 Les faits dans ce cas ne sont pas contestés. De plus, le défendeur a souscrit à la plainte, sauf qu’il n’a pas reconnu avoir contrevenu aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). La plaignante a indiqué qu’elle était d’accord avec les arguments du défendeur. Elle avait présenté deux griefs contestant deux suspensions qui lui avaient été imposées par l’employeur. Elle reprochait au défendeur d’avoir transmis tardivement ses deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et également de ne pas les avoir renvoyés à l’arbitrage dans les délais impartis. Le défendeur a reconnu son retard à renvoyer les griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, puis à l’arbitrage, en fournissant des explications afin de justifier son retard.

9 La question à trancher est de savoir si les omissions du défendeur constituaient une pratique déloyale de travail. Pour trancher cette question, il convient d’examiner les dispositions suivantes de la Loi :

190. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle :

[…]

g) l’employeur, l’organisation syndicale ou toute personne s’est livré à une pratique déloyale au sens de l’article 185.

[…]

185. Dans la présente section, « pratiques déloyales » s’entend de tout ce qui est interdit par les paragraphes 186(1) et (2), les articles 187 et 188 et le paragraphe 189(1).

[…]

187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

10 La plaignante n’a formulé aucune allégation voulant que le défendeur ait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire à son égard. En fait, le défendeur a fait valoir dans ses arguments écrits qu’il n’avait pas agi d’une telle manière, et la plaignante a indiqué qu’elle approuvait la teneur des arguments écrits du défendeur. J’en conclus que le défendeur n’a pas agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire dans sa représentation de la plaignante. Il reste maintenant à déterminer si le défendeur a agi de manière arbitraire.

11 Le Concise Oxford Dictionary donne la définition suivante du terme « arbitraire » : [traduction] « fondé sur un choix aléatoire, ou un caprice personnel, (en rapport avec une autorité, ou une instance dotée d’un pouvoir de décision) autocrate ». Le Black’s Law Dictionary définit comme suit le terme « arbitraire » : [traduction] « […] tributaire du pouvoir discrétionnaire d’une personne; plus précisément, décidé par un juge plutôt qu’en vertu d’une règle ou d’une procédure établies ou d’une disposition législative précise […], fondé sur un préjugé plutôt que sur la raison ou un fait ». La Cour suprême du Canada s’est notamment prononcée en ces termes quant au concept d’« arbitraire », dans Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 R.C.S. 39, au paragraphe 50 :

50 Se reliant étroitement, les concepts d’arbitraire et de négligence grave définissent la qualité de la représentation syndicale. L’élément de l’arbitraire signifie que, même sans intention de nuire, le syndicat ne saurait traiter la plainte d’un salarié de façon superficielle ou inattentive. Il doit faire enquête au sujet de celle-ci, examiner les faits pertinents ou obtenir les consultations indispensables, le cas échéant, mais le salarié n’a cependant pas droit à l’enquête la plus poussée possible […]

12 Dans International Longshore and Warehouse Union, Ship and Dock Foremen, section locale 514 c. Empire International Stevedores Ltd. et al., [2000] A.C.F no 1929 (C.A.F.) (QL), la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’afin d’étayer le caractère arbitraire d’une décision et d’établir un cas de manquement au devoir de représentation équitable, « […] le plaignant doit convaincre le Conseil que les investigations faites par le syndicat au sujet du grief étaient juste pour la forme ».

13 Dans Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509, la Cour suprême du Canada a statué qu’un agent négociateur devait étudier les circonstances du grief, entendre ce grief au fond et prendre une décision éclairée quant à la suite à donner au cas. La Cour s’est alors exprimée en ces termes à cet égard :

De la jurisprudence et de la doctrine consultées se dégagent les principes suivants, en ce qui touche le devoir de représentation d’un syndicat relativement à un grief :

  1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.
  2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.
  3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.
  4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.
  5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

14 Comme je l’ai indiqué précédemment, aucune allégation n’a été formulée par la plaignante disant que le défendeur aurait agi de mauvaise foi ou de manière discriminatoire envers elle, ou qu’il n’aurait pas tenu compte de l’importance du grief et de ses conséquences pour la plaignante. Les faits, tout comme les arguments écrits qui m’ont été présentés, font plutôt apparaître que le retard dans le renvoi des griefs aux paliers supérieurs résultait d’omissions ou d’erreurs de la part des représentants du défendeur, et non de choix aléatoires ou de caprices personnels de la part de ces mêmes représentants. Cela étant, ces omissions ou ces erreurs peuvent-elles être considérées comme constituant une négligence grave ou majeure, comme envisagé par la Cour suprême dans Gagnon et al. et aussi dans Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du Travail, [1990] 1 R.C.S. 1330?

15 Dans Wionzek v. International Brotherhood of Electrical Workers, Local 2067, [2011] S.L.R.B.D., no 18, la Saskatchewan Labour Relations Board a affirmé qu’une faute, une erreur de jugement, ou une simple négligence ne suffisent pas pour qualifier un acte d’arbitraire, mais plutôt [traduction] « […] que le critère de la négligence grave était celui à retenir » dans l’appréciation d’une plainte de cette nature. Dans Rousseau v. International Brotherhood of Locomotive Engineers (1995), 98 di 80 (C.L.R.B.), l’on établit une distinction entre la négligence et la négligence grave, cette dernière étant vue comme constituant une violation du devoir de représentation équitable. L’extrait ci-après de Rousseau est particulièrement digne d’intérêt pour la question qui nous occupe :

[Traduction]

[…]

Une conduite négligente se distingue de celle d’une conduite arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi. Le concept de négligence se décline de la simple négligence à la négligence grave. Le tort occasionné au plaignant n’est pas à lui-seul le critère à apprécier. En effet, une simple négligence peut occasionner un tort considérable. La négligence, quelle que soit sa gravité, est caractérisée par une conduite ou une omission attribuable à une inadvertance, une insouciance ou une inattention. Le motif n’est pas une caractéristique de la négligence. La négligence ne requiert pas la présence d’un état d’esprit subjectif quelconque, contrairement à la mauvaise foi. Il arrive toutefois un point charnière où la négligence simple ou bénigne se transforme en négligence flagrante ou grave, et il nous faut alors apprécier quand ce point charnière a été atteint, en tout état de cause.

Quand alors la négligence devient-elle « grave » ou « flagrante»? La négligence grave est une négligence à ce point arbitraire qu’elle traduit une complète absence de considération des conséquences. Bien que l’article 37 du Code ne définisse pas explicitement ce qui constitue de la négligence, ce Conseil a déjà eu l’occasion de formuler des commentaires à propos du concept de négligence au fil de ses décisions. Alors qu’une simple négligence ou une négligence bénigne ne constitue pas une violation du Code, le devoir de représentation équitable prescrit à l’article 37 a été élargi de manière à englober la négligence flagrante ou grave […]

[…]

16 On retrouve ce qui suit dans la septième édition du Black’s Law Dictionary relativement au concept de négligence :

[Traduction]

[…]

Négligence, n. 1. Le défaut d’exercer le degré de diligence qu’une personne raisonnablement prudente aurait exercé dans une situation semblable.

[…]

Négligence grave. 1. L’absence d’une attention ou d’une diligence minime. 2. Une conduite ou une omission délibérée ou intentionnelle, au complet mépris des obligations juridiques et des conséquences occasionnées à un tiers, lequel pourrait notamment avoir droit à des dommages-intérêts exemplaires en raison d’une telle négligence.

[…]

Négligence ordinaire. L’absence d’une diligence ordinaire; le défaut d’exercer une diligence ordinaire. Cette expression est couramment employée pour différencier la négligence de la négligence grave.

[…]

17 Le présent cas porte sur des omissions ou des erreurs de la part de dirigeants syndicaux d’une section locale dans les démarches qu’ils devaient faire pour renvoyer deux griefs au dernier palier de la procédure de règlement des griefs et à l’arbitrage. Les parties s’entendent sur le fait que ces omissions ou ces erreurs étaient dues à la révocation du représentant de la section locale du syndicat et par le coordonnateur des griefs nouvellement élu, qui avait omis de transmettre au défendeur les documents requis. Ce contexte n’excuse pas totalement le défendeur qui, à mon avis, a manqué à son obligation d’exercer le degré de diligence qu’il aurait dû afin de s’assurer que les délais impartis dans le cadre de la procédure de règlement des griefs étaient respectés. Cependant, ces manquements ne constituent pas de la négligence grave. Il n’y a pas eu méconnaissance délibérée, intentionnelle de la part du défendeur de ses obligations juridiques envers la plaignante ni des conséquences que cela pouvait lui occasionner. Le défendeur n’a pas sciemment dépassé les délais et, lorsqu’il s’en est rendu compte, il a essayé de corriger la situation en s’adressant à l’employeur pour lui demander de lui accorder une prorogation du délai et en présentant une demande de prorogation du délai pour renvoyer les griefs à l’arbitrage.

18 Compte tenu de l’absence de négligence grave dans ce cas, je conclus que le défendeur n’a pas agi de manière arbitraire envers la plaignante et que, par conséquent, il ne s’est pas livré à une pratique déloyale de travail.

19 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

Ordonnance

20 La plainte est rejetée.

Le 13 août 2012.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

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