Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Des portions de l’audience se sont déroulée, en partie par vidéoconférence, conformément à des règles précises - la fonctionnaire s’estimant lésée a reçu une suspension disciplinaire de 20jours, parce qu’elle a violé les politiques du défendeur relativement aux urgences médicales - le défendeur a allégué que les actes de la fonctionnaire s’estimant lésée avaient <<contribué>> à la lenteur de la réaction d’autres employés lorsqu’une détenue sous garde est décédée - la fonctionnaire s’estimant lésée a allégué qu’elle ne travaillait pas le jour où la détenue est décédée et qu'elle n'avait plus de responsabilité opérationnelle à l'égard des agents correctionnels - elle a contesté la preuve des témoins du défendeur concernant ses actes, et ce, pour plusieurs motifs - la fonctionnaire s’estimant lésée a indiqué qu’une conclusion défavorable devait être tirée à l’endroit du défendeur, parce qu’il n’avait déposé comme preuve aucun des rapports ou des vidéos de l'incident l'impliquant - elle a déclaré que les procédures disciplinaires et les procédures d'enquête du défendeur comportaient de nombreuses erreurs importantes - la fonctionnaire s’estimant lésée a affirmé que d’autres personnes avaient reçu des mesures disciplinaires moindres ou même pas du tout - la fonctionnaire s’estimant lésée a demandé le retrait de sa suspension de 20jours et des dommages en guise de réparation pour la perte de ses possibilités de promotion - le défendeur a indiqué que la mesure disciplinaire était justifiée dans les circonstances - l’arbitre de grief a conclu que les témoins avaient des souvenirs précis des événements en question - il a conclu que même si la lettre de mesure disciplinaire contenait une erreur, celle-ci ne constituait pas une modification aux motifs disciplinaires de la part du défendeur - toutes les questions de procédure aux étapes décisionnelles ou disciplinaires ont été réglées lors de la nouvelle audience devant l’arbitre de grief - l’arbitre de grief a conclu qu’une inconduite s’est produite qui justifiait une mesure disciplinaire - la fonctionnaire s’estimant lésée a violé les politiques du défendeur - la suspension de 20jours était excessive dans les circonstances - peu ou pas d’information a été présentée concernant les mesures disciplinaires imposées aux autres employés - la fonctionnaire s’estimant lésée a agi de manière conforme aux directives de ses superviseurs durant la période pertinente, et la décision du défendeur d’imposer une suspension de 20jours ne prenait pas ce fait en considération - la fonctionnaire s’estimant lésée est en partie responsable des incidents décrits en preuve - une suspension de 10jours a été jugée juste et équitable dans les circonstances. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-09-07
  • Dossier:  566-02-2747
  • Référence:  2012 CRTFP 92

Devant un arbitre de grief


ENTRE

MICHELLE BRIDGEN

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Bridgen c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John Steeves, arbitre de grief

Pour la fonctionnaire s'estimant lésée:
Christopher Edwards, Melissa Seal, avocats

Pour le défendeur:
John Jaworski, avocat

Affaire entendue à Kingston (Ontario),
le 29 novembre 2011 et du 7 au 10 mai 2012;
vidéoconférence, Kingston/Vancouver, le 19 juillet 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Il s’agit de déterminer si le Service correctionnel du Canada (le « défendeur ») avait un motif valable pour imposer à Michelle Bridgen, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire »), une suspension de 20 jours parce qu’elle avait contrevenu aux politiques concernant la gestion des incidents de sécurité, les services de santé (y compris les urgences médicales), les urgences médicales et la prévention des comportements d’automutilation et suicidaires, et parce que ces contraventions avaient contribué au suicide d’une détenue. En outre, s’il y avait un motif valable pour imposer une sanction disciplinaire, la suspension de 20 jours était-elle juste et équitable dans les circonstances?

2 Les observations préliminaires et la preuve ont été entendues à Kingston, en Ontario, le 29 novembre 2011 et du 7 au 10 mai 2012. Les arguments ont été entendus, avec le consentement des parties, au moyen d’une vidéoconférence; les parties étaient à Kingston et j’étais à Vancouver. L’audience par vidéo s’est déroulée selon les lignes directrices générales suivantes (ces lignes directrices s’appliquent à une audience complète; seules les parties générales de ces lignes directrices et les parties concernant l’argumentation ont été appliquées dans le présent cas :

[Traduction]

a) L’audience par vidéoconférence est une procédure judiciaire qui comporte les mêmes exigences qu’une audience ordinaire. La Commission doit approuver les installations et les arrangements techniques avant la date de l’audience. Les pièces doivent être calmes et privées; l’audience doit être la seule activité qui s’y déroule.

b) Les objections doivent être énoncées clairement, et les représentants doivent s’arrêter immédiatement lorsqu’ils entendent une objection.

c) L’arbitre de grief doit être seul pendant l’audience. Il ne serait pas approprié que l’arbitre de grief soit avec l’un des représentants et que l’autre représentant soit dans un autre endroit.

d) Il est difficile ou impossible d’échanger des documents pendant l’audience par vidéo. L’échange de documents entre les parties et avec l’arbitre de grief doit donc se faire avant la vidéoconférence.

e) Les représentants doivent éviter le plus possible les apartés. Les autres personnes se trouvant dans la pièce ne doivent pas parler avec les représentants ou les distraire d’une autre façon. Les bruits de papier doivent être limités autant que possible.

f) Les exemples de jurisprudence et les arguments écrits doivent être échangés entre les avocats et avec la Commission avant le 10 juillet 2012 afin que l’arbitre de grief et les avocats les aient en leur possession avant l’audience.

II.  Positions des parties

3 Le défendeur soutient que la fonctionnaire a contrevenu aux politiques sur la gestion des incidents de sécurité, les services de santé, les urgences médicales, la prévention du suicide et l’automutilation lorsqu’elle a dit à des employés de ne pas entrer dans la cellule d’une détenue de 19 ans, Mme Ashley Smith, qui avait une ligature autour du cou. La détenue avait essayé de nombreuses fois de se suicider au moyen de ce genre de ligature. L’ordre donné par la fonctionnaire, selon le défendeur, était de ne pas entrer dans la cellule de cette détenue si elle respirait encore. Le défendeur a présenté trois témoins qui ont déclaré que la fonctionnaire les avait empêchés d’entrer dans la cellule de la détenue lorsqu’elles avaient décidé qu’il était nécessaire de le faire. Le 19 octobre 2007, la détenue s’est suicidée.

4 Le défendeur soutient que la fonctionnaire avait le rôle important de protéger la détenue contre son comportement d’automutilation et qu’elle savait, ou aurait dû savoir, que la directive erronée qu’elle a donnée au personnel a augmenté le risque de décès. D’autres agents correctionnels ont déterminé que les situations mettant en cause la détenue étaient des urgences médicales et la fonctionnaire n’aurait pas dû les empêcher d’entrer dans la cellule de la détenue. Selon le défendeur, la suspension de 20 jours imposée à la fonctionnaire était une sanction appropriée dans les circonstances, et le défendeur demande le rejet du grief.

5 Dans ses arguments, la fonctionnaire invoque le fait qu’elle n’était pas au travail le jour où la détenue est décédée et qu’elle avait aussi commencé un nouvel emploi avant la date du décès; dans ce nouvel emploi, elle n’avait plus de responsabilité opérationnelle par rapport aux agents correctionnels. La fonctionnaire conteste aussi à plusieurs égards les preuves qu’ont données les témoins du défendeur sur les actions de la fonctionnaire. On a allégué, par exemple, que dans un cas la fonctionnaire avait empêché les agents d’entrer dans la cellule de la détenue pour lui retirer une ligature, mais la fonctionnaire l’avait fait parce que la détenue était agressive. Dans d’autres cas, les témoins du défendeur se trompent, selon la fonctionnaire. De plus, la fonctionnaire soutient que les preuves données par les témoins du défendeur devraient être rejetées catégoriquement pour diverses raisons. Par exemple, le défendeur n’a appelé à comparaître aucun témoin qui était au travail le jour du décès de la détenue. De plus, on devrait tirer une conclusion défavorable à l’égard du défendeur parce qu’il n’a déposé en preuve aucun rapport ou vidéo des incidents mettant en cause la fonctionnaire.

6 La fonctionnaire soutient aussi qu’il y a eu plusieurs erreurs graves dans l’enquête et les processus disciplinaires du défendeur. En outre, certains employés du défendeur qui avaient des responsabilités équivalant à celles de la fonctionnaire ou des responsabilités plus grandes relativement au décès de la détenue se sont vu imposer une sanction disciplinaire moins importante ou n’ont reçu aucune sanction. La fonctionnaire met en évidence la nature extrêmement difficile de la détenue, notamment ses nombreuses tentatives de suicide et ses nombreuses tentatives de blesser le personnel. Elle prétend avoir perdu plusieurs possibilités de promotion à cause de sa suspension. Cette situation lui a causé de l’embarras parmi ses pairs de même qu’une perte de revenu importante pour elle. La fonctionnaire demande l’annulation de la suspension de 20 jours ainsi que des dommages pécuniaires comme compensation pour la perte de possibilités de promotion.

7 Il est convenu que, dans la présente décision, nous examinerons si le défendeur avait des motifs pour imposer une sanction disciplinaire. La question de la réparation sera entendue si le grief est admis sur le fond et une décision sera rendue.

III. Résumé de la preuve

A.  Contexte général

8 La conduite des audiences de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») se fait selon le principe de transparence judiciaire, tel qu’il est décrit dans son document intitulé « Politique sur la transparence et la protection de la vie privée ». Il est précisé dans cette politique que dans des circonstances exceptionnelles, il peut être justifié de limiter le concept de transparence pour la protection de la vie privée des personnes, qu’il s’agisse de personnes qui sont parties ou témoins. Dans le présent cas, comme nous le verrons, les preuves comprennent des faits de nature très délicate qui concernent d’autres employés que la fonctionnaire qui ont fait (ou non) l’objet de mesures disciplinaires à la suite du décès de Mme Smith. Toutefois, aucune de ces personnes n’a comparu devant moi. On n’a pas non plus fait valoir de questions juridiques liées aux décisions d’imposer ou de ne pas imposer des mesures disciplinaires à ces personnes. C’est pourquoi je conviens avec les parties que des mesures de protection de la vie privée sont appropriées dans le cas de ces personnes.

9 Par conséquent, tout au long de la présente décision, j’ai supprimé les noms des personnes qui n’étaient pas directement touchées par la procédure d’arbitrage. Dans les cas où il est souvent question de ces personnes, j’ai utilisé « AA », « BB », « CC » ou « MM » et « NN », et ainsi de suite. Pour les personnes dont il est question moins souvent, j’ai utilisé « [nom de la personne] ».

10 Le défendeur administre des services correctionnels dans l’ensemble du Canada. Les événements qui ont donné lieu au grief se sont déroulés à l’Établissement Grand Valley (« EGV »), situé à Kitchener, en Ontario, et ils concernent la gestion d’une détenue dans l’unité de garde en milieu fermé de l’EGV en octobre 2007. La détenue s’est suicidée le 19 octobre 2007.

11 L’EGV est un établissement pour femmes qui héberge environ 80 détenues à sécurité minimale, moyenne et maximale. La direction de l’établissement est constituée d’un directeur et d’un sous-directeur qui travaillent durant le quart de jour, du lundi au vendredi (il y avait un directeur intérimaire pendant la période visée par le grief). Avant le suicide de la détenue, en octobre 2007, il y avait aussi des gestionnaires correctionnels, qui relevaient du sous-directeur et qui travaillaient durant des quarts de travail différents. En septembre 2007, à la suite d’une réorganisation, le poste de gestionnaire correctionnel a été remplacé par celui de surveillant correctionnel; le surveillant correctionnel n’avait pas les mêmes tâches et responsabilités. Dans le cadre de la réorganisation, on a aussi établi à l’EGV un poste de gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive (GSII). Comme nous le verrons, la fonctionnaire occupait ce poste au moment des événements qui ont donné lieu au grief. Avant la réorganisation, la fonctionnaire occupait le poste de chef d’équipe. Le personnel à l’EGV était également composé (et l’est encore) d’agents correctionnels, de psychologues et d’autres employés. Les agents qui travaillent directement auprès des détenues dans les cellules ou dans les environs sont aussi appelés des intervenants de première ligne.

12 La partie de l’EGV qui héberge des détenues à sécurité maximale, et où les événements visés ici se sont déroulés, s’appelle unité de garde en milieu fermé. Dans cette unité, il y a une unité d’isolement où les détenues peuvent être surveillées constamment, par exemple parce qu’elles risquent de s’automutiler. Certaines détenues doivent être observées de façon continue jour et nuit. L’unité d’isolement comporte quatre cellules, chacune avec une porte, une toilette en acier inoxydable (avec une petite cloison pour l’intimité) et une caméra. À l’extérieur des cellules de l’unité d’isolement, il y a une rangée, un passage où les employés se déplacent dans le cadre de leurs fonctions, soit pour apporter des repas aux détenues, pour s’occuper des visites médicales ou pour observer les détenues dans les cellules. Les employés qui observent les détenues dans les cellules le font à partir de la rangée, en regardant par une fenêtre ou par la fente à aliments de la porte. On peut aussi utiliser la caméra située à l’intérieur de la cellule pour la surveillance des détenues, mais il faut la mettre en marche manuellement. À une courte distance de là, derrière une porte verrouillée, il y a un poste de contrôle où sont situés les écrans vidéo des caméras des cellules. Chaque cellule de l’unité d’isolement a une fenêtre sécurisée qui donne sur l’extérieur et qui est située sur le mur opposé à la porte; le personnel peut aller à l’extérieur pour observer la détenue dans sa cellule par cette fenêtre. Il y a tout de même des zones non visibles dans les cellules, par exemple sous le lit ou à la toilette ou, si le personnel regarde par la fenêtre de la porte, en bas de la porte.

13 Il y a toujours du personnel à l’unité d’isolement; les employés y travaillent par roulement. Il y avait un gestionnaire correctionnel, puis, après septembre 2007, un surveillant correctionnel, qui travaille essentiellement le quart de jour, du lundi au vendredi. Pendant le quart de jour, il peut y avoir environ cinq employés dans l’unité de garde en milieu fermé, dont deux qui travaillent dans la rangée de l’unité d’isolement. Le soir, il y a environ trois employés. D’autres employés peuvent être appelés des autres unités de l’EGV pour effectuer diverses tâches, comme entrer dans une cellule avec force pour maîtriser une détenue.

14 La fonctionnaire travaille au Service correctionnel, pour le défendeur, depuis 1984. Elle a occupé divers postes comportant des niveaux de responsabilité de plus en plus élevés et, comme elle l’a déclaré dans son témoignage, elle s’attendait à être promue à un poste de cadre supérieur. En février 2007, elle a présenté une demande et a été choisie pour être placée dans un bassin de candidats pouvant être promus au niveau de la gestion supérieure du Service correctionnel. La même année, on lui a demandé si elle voudrait travailler à l’EGV; elle a accepté et a commencé à y travailler en juin 2007 en tant que chef d’équipe dans l’unité de garde en milieu fermé. Elle avait la responsabilité de tout le personnel de cette unité et elle relevait de la sous-directrice.

15 En septembre 2007, il y a eu une réorganisation au Service correctionnel, et la fonctionnaire est devenue GSII. Elle a déclaré que c’était [traduction] « un énorme changement sur le plan de [s]on autorité » parce qu’elle n’avait alors plus les responsabilités opérationnelles qu’elle avait en tant que chef d’équipe. Elle relevait alors de la sous-directrice, mais elle ne supervisait pas d’employés; c’est le surveillant correctionnel qui assumait désormais ce rôle et qui était, sur le plan organisationnel, son égal (contrairement à l’organisation antérieure dans laquelle le gestionnaire correctionnel devait rendre des comptes à la fonctionnaire, qui était chef d’équipe). Pour montrer qu’elle n’avait plus de responsabilités opérationnelles, la fonctionnaire a donné comme exemple qu’un après-midi, elle avait appris pour la première fois que des employés étaient entrés cinq fois dans la cellule d’une détenue ce matin-là pour enlever des ligatures qu’elle avait autour du cou. Il s’agissait de la détenue qui s’est suicidée par la suite, Ashley Smith.

16 Je reproduis ici des extraits de la description de travail pour le poste de GSII, qu’occupait la fonctionnaire au moment du suicide de Mme Smith :

[Traduction]

[…]

Gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive

Effective Date – Date d’entrée en vigueur
2007-09-04

[…]

Client Service Results – Résultats axés sur le service à la clientèle

Mise en œuvre et gestion de la Stratégie nationale d’intervention intensive dans un établissement fédéral pour femmes, qui consiste à offrir des options de traitement aux délinquantes qui ont des limitations cognitives importantes ou de graves problèmes de santé mentale ou de comportement.

La Stratégie d’intervention intensive (SII) s’adresse aux délinquantes qui ont besoin d’interventions intensives à tous les niveaux de sécurité. La SII assure aux femmes un logement sécuritaire tout en leur fournissant des interventions intensives, des programmes, des traitements et des possibilités. La SII est composée de deux composantes distinctes : l’unité de garde en milieu de vie structuré (UGMVS) et l’unité de garde en milieu fermé (UGMF).

Key Activities – Activités principales

Administrer la Stratégie nationale d’intervention intensive (et le cadre) pour la prestation du traitement des femmes présentant des troubles de santé mentale, des limitations cognitives ou des problèmes de comportement, et pour les délinquantes présentant un risque et des besoins élevés, quel que soit leur niveau de sécurité, détenues dans un établissement fédéral pour femmes.

[…]

Gérer les modalités de traitement (dans un milieu de vie structuré (MVS) pour les délinquantes à sécurité minimale et à sécurité moyenne, et dans une unité de garde en milieu fermé (UGMF) pour les délinquantes à sécurité maximale), des femmes qui ont des problèmes de santé mentale, des limitations cognitives et des problèmes de comportement et pour les femmes présentant un risque et des besoins élevés. Gérer aussi la supervision des délinquantes soumises à des mesures disciplinaires ou en isolement préventif dans l’établissement, et intervenir à leur égard.

Planifier et diriger les équipes multidisciplinaires, généralement composées de psychologues, de membres du personnel infirmier, d’agents de libération conditionnelle, de conseillers en comportement, d’intervenants de première ligne et d’autres membres du personnel au besoin. Ces équipes se concentrent sur la prestation de traitements et de services et sur la réinsertion sociale adaptés aux besoins des délinquantes, ainsi que sur l’intervention directe, au besoin, en ce qui concerne les cas difficiles.

Surveiller les divers éléments des activités du programme afin de veiller à ce qu’ils respectent les principes et politiques du Service ainsi que les normes de l’établissement qui régissent l’élaboration et la prestation des programmes et services de santé mentale aux délinquantes; cerner les problèmes et apporter les mesures correctives.

[…]

Skills - Habiletés

[…]

Le travail nécessite une connaissance des rôles des organismes partenaires et des équipes multidisciplinaires en santé mentale, ainsi que des relations avec eux, […] afin de pouvoir coordonner les services et les traitements et d’échanger de l’information.

[…]

Le travail nécessite la connaissance des principes des soins et des évaluations en santé mentale, des interventions d’urgence, du counselling, des services de santé, ainsi que de tous les programmes et services qui appuient le bien-être mental des délinquantes, conformément aux principes régissant la prestation de services de santé mentale aux délinquantes, c’est-à-dire une prestation holistique du programme.

Le travail nécessite des connaissances et des habiletés en gestion générale et dans le domaine des pratiques et des principes administratifs afin de superviser le travail et de surveiller les ressources affectées à l’unité, tout en favorisant et en appuyant des relations et des interactions respectueuses.

[…]

Le travail nécessite des habiletés en communication afin de donner des conseils, des orientations et de la formation aux gestionnaires et au personnel, et de maintenir le contact avec les membres des équipes en santé mentale.

Efforts – Efforts

Des efforts sont nécessaires pour planifier et diriger les activités des équipes interdisciplinaires en santé mentale de la Stratégie d’intervention intensive qui participent à la prestation d’un continuum de soins coordonné qui répond aux divers besoins en santé mentale et troubles de comportement des délinquantes afin de maximiser leur bien-être et de favoriser leur réinsertion dans la collectivité, dans un environnement restrictif propice à assurer la sécurité publique.

Des efforts sont nécessaires pour diriger la philosophie de la Stratégie d’intervention intensive et intégrer toutes les activités connexes, notamment l’évaluation, l’intervention thérapeutique, l’intervention en cas de crise et la prestation de soins de santé et de services de sécurité, lorsqu’il faut souvent faire preuve de créativité pour la résolution de problèmes afin d’élaborer des stratégies visant à répondre aux besoins individuels dans toutes les disciplines.

[…]

Responsibilities – Responsabilités

Superviser de neuf à quatorze (9–14) employés dans un établissement pour femmes.

Consulter le surveillant clinique – psychologie et services de santé – en ce qui concerne la prestation de traitements et de services aux délinquantes.

Assurer la supervision fonctionnelle de cinq à dix (5–10) employés (personnel infirmier et psychologues).

[…]

Offrir des conseils et de la formation au personnel et à la direction de l’établissement sur les stratégies d’intervention en santé mentale et en comportement, ainsi que sur les questions connexes.

Tous les employés du SCC sont tenus de transmettre immédiatement au personnel de sécurité tout renseignement ou toute observation concernant la conduite d’un détenu ou d’une détenue qui pourrait compromettre la sécurité d’autrui ou de l’établissement.

[…]

17 Mme Smith avait 19 ans lorsqu’elle a été transférée d’un autre établissement à l’EGV, en juin 2007. Elle avait d’abord été incarcérée pour des infractions mineures, mais sa conduite durant son incarcération avait donné lieu à d’autres accusations et condamnations, ce qui a augmenté considérablement la durée de sa peine. Au dire de tous, Mme Smith était une détenue extrêmement difficile à gérer. Apparemment, on l’avait transférée à l’EGV pour donner une pause au personnel d’un autre établissement. Elle est demeurée à l’EGV jusqu’à son décès, survenu le 19 octobre 2007 dans l’unité de garde en milieu fermé de l’EGV, sauf pendant une courte période passée dans un autre établissement.

18 Pendant quelques jours alors qu’elle était à l’EGV, peut-être une semaine, Mme Smith a été hébergée dans l’une des sous-unités de l’unité d’isolement ordinaire, et non dans l’unité de garde en milieu fermé. Toutefois, il y a eu des problèmes; elle a fracassé l’écran d’un téléviseur et agressé le personnel. On s’inquiétait aussi de son comportement d’automutilation. Le reste du temps qu’elle a passé à l’EGV, elle était dans une cellule de l’unité de garde en milieu fermé. Sa cellule comportait une toilette en acier et un lit avec un matelas de sécurité, qu’il est très difficile de séparer du lit. Son seul vêtement était une robe « de sécurité », qui est un vêtement carré fait d’un tissu difficile à déchirer. Elle était considérée à risque de suicide la plus grande partie du temps qu’elle a passé à l’EGV, et le plus souvent elle était classée comme présentant un risque élevé ou très élevé de suicide.

19 La principale difficulté que présentait la gestion de Mme Smith est qu’elle avait l’habitude de mettre des ligatures autour de son cou. La preuve semble indiquer qu’on ne savait pas du tout, en septembre et octobre 2007, à quel endroit elle se procurait le tissu qu’elle utilisait pour les ligatures, et cela demeure un mystère. Un témoin, la fonctionnaire, croyait qu’il s’agissait d’un drap que Mme Smith avait réussi à prendre sur un chariot à linge près de la porte de sa cellule laissée ouverte. Elle avait déchiré le drap en deux et en avait remis la moitié à l’employé. Toutefois, on n’a jamais retrouvé l’autre moitié, même si on avait souvent fouillé la détenue ainsi que sa cellule. Selon la preuve, l’examen des cavités corporelles des détenus n’est pas permis. Quoi qu’il en soit, Mme Smith avait apparemment accès à du tissu parce qu’en de nombreuses occasions, elle a fabriqué une ligature qu’elle se mettait autour du cou. Un témoin croyait que Mme Smith avait réussi d’une façon ou d’une autre à cacher des morceaux de vitre d’un écran de téléviseur cassé et qu’elle avait utilisé ces morceaux pour couper la moitié du drap manquant en bandelettes pour faire des ligatures. Cela ne concerne pas directement les questions visées par le présent arbitrage, mais personne n’a pu expliquer avec certitude comment elle s’y est prise pour se procurer du tissu pour faire des ligatures.

20 Parfois, Mme Smith nouait la ligature de manière lâche en mettant le nœud sur sa poitrine. Quand les employés observaient cette situation, ils engageaient une conversation, et souvent des négociations prolongées, avec Mme Smith, essayant de la convaincre de défaire la ligature et de la leur remettre. Dans les politiques du défendeur, une ligature est considérée comme un objet interdit. Durant la conversation, il arrivait parfois que Mme Smith leur dise des choses comme [traduction] « Je veux seulement la sentir autour de mon cou, ça me met à l’aise ». D’autres fois, elle ramenait le nœud près de sa gorge, ce qui causait plus d’inquiétude chez les employés et les amenait à négocier plus sérieusement avec Mme Smith pour qu’elle enlève la ligature. Enfin, dans d’autres occasions, Mme Smith plaçait la ligature très serrée autour de son cou, ce qui la faisait haleter; son visage bleuissait et elle montrait d’autres symptômes de suffocation. Dans ces situations, il était urgent que le personnel enlève la ligature de son cou et la retire des mains de Mme Smith. Parfois, les négociations donnaient des résultats positifs et Mme Smith enlevait la ligature et la donnait au personnel. À d’autres occasions, elle n’enlevait pas la ligature et sa condition devenait assez critique pour que le personnel entre dans sa cellule et enlève la ligature.

21 Dans les politiques du défendeur (que nous verrons ci-dessous), le fait d’entrer dans la cellule de Mme Smith était considéré comme un [traduction] « recours à la force » nécessité par une [traduction] « urgence médicale ». Cette intervention était faite par trois ou quatre employés, et pouvait être déclenchée par tout intervenant de première ligne. Les employés se rassemblaient dans la rangée à l’extérieur de la cellule de Mme Smith et déterminaient rapidement quelles seraient les tâches de chacun. Par exemple, une personne immobiliserait le ou les bras de Mme Smith, une autre la ou les jambes, une autre actionnerait la caméra vidéo et une autre couperait la ligature avec un « couteau 911 ». Les employés ont ce type de couteau à leur disposition pour ces genres de situations. Pendant cette intervention, Mme Smith injuriait souvent le personnel, elle résistait vigoureusement à l’intervention et se montrait agressive; parfois, elle attaquait les employés au moment où ils entraient dans la cellule. Quand il avait enlevé la ligature, le personnel faisait une fouille rapide de la cellule, fouillait rapidement Mme Smith et s’assurait qu’elle respirait normalement. Les employés sortaient ensuite de la cellule et prenaient des dispositions pour qu’un membre du personnel infirmier vienne évaluer Mme Smith. La politique du défendeur exige aussi qu’un rapport soit préparé après ce genre d’intervention.

22 Selon la preuve, le personnel devait entrer fréquemment dans la cellule de Mme Smith et faire usage de la force pour retirer la ligature nouée autour de son cou. Un matin, cela est arrivé cinq fois. Il y avait aussi de courtes périodes pendant lesquelles Mme Smith était relativement calme et coopérative, faisant même des blagues. Pendant ces périodes, elle ne plaçait pas de ligature autour de son cou, ou encore les employés obtenaient d’elle, au moyen de négociations, qu’elle enlève les ligatures sans qu’ils aient à entrer dans la cellule et à avoir recours à la force.

23 Avec le temps, la condition de Mme Smith s’est aggravée. D’abord placée dans l’unité d’isolement, elle a ensuite été placée dans l’unité de garde en milieu fermé. Le 9 octobre 2007, un psychologue a dit que Mme Smith n’utilisait plus seulement les ligatures pour [traduction] « […] le frisson que cela lui donnait. Maintenant, […] elle semble utiliser les ligatures pour se suicider ».

24 La direction du défendeur semblait s’inquiéter de l’usage de la force par le personnel dans le cas de Mme Smith. Par exemple, « AA », de l’administration régionale du défendeur, a animé une séance de formation à l’intention du personnel avant le décès de Mme Smith, au cours de laquelle il posait la question de savoir si le personnel entrait trop souvent dans la cellule de Mme Smith et faisait un usage abusif de la force, contrevenant ainsi aux politiques. Selon la fonctionnaire, AA était à l’EGV vers le 9 ou le 10 octobre 2007. Heather Magee, agente correctionnelle et témoin du défendeur, a déclaré lors de son contre-interrogatoire qu’elle se souvenait de cette séance de formation. Elle se souvenait que AA avait dit que le personnel, selon les mots de Mme Magee, [traduction] « frôlait un usage abusif de la force parce qu’il entrait [dans la cellule de Mme Smith] trop tôt et trop souvent ». Mme Magee était d’avis que cette affirmation semblait [traduction] « contradictoire » pour les intervenants de première ligne parce que [traduction] « ce n’était pas une question de nombre de fois […], c’était [fondé sur] les incidents ». On lui a aussi demandé durant le contre-interrogatoire si AA avait parlé de ne pas entrer dans la cellule si Mme Smith respirait. Mme Magee a répondu : [traduction] « il me semble qu’il a dit quelque chose comme ça, mais je n’en suis plus certaine ».

25 Un autre témoin du défendeur, Angelique Fancey (depuis octobre 2007, le nom de famille de Mme Fancey a changé; comme c’est son nom antérieur qui figure dans les documents, je vais utiliser ce nom aussi), se souvenait aussi de la séance de formation et elle se rappelait que AA avait dit que le personnel faisait [traduction] « trop souvent usage de la force » et qu’il [traduction] « se devait d’être prudent parce qu’il courait trop de risques ». Une autre agente correctionnelle a été interrogée pendant l’enquête sur le rôle de la direction de l’EGV et, selon le rapport d’enquête, elle a dit que AA avait souligné que l’on avait fait usage de la force plus souvent [traduction] « […] qu’à Millhaven [un établissement à sécurité maximale pour hommes] dans un mois ». Mme Fancey se souvenait que le personnel qui participait à la séance de formation était [traduction] « très frustré d’entendre ce qu’on nous disait » et que quelqu’un avait dit à AA qu’il [traduction] « faudrait qu’il voit par lui-même ce qui se passe », selon les mots de Mme Fancey.

26 Il y a aussi deux courriels datés du 10 octobre 2007 qui ont été envoyés par le directeur intérimaire de l’EGV aux « gestionnaires correctionnels ». Une copie de ces courriels a été envoyée à la fonctionnaire, entre autres. Le premier est daté du 10 octobre 2007 et est reproduit ci-dessous :

[Traduction]

[…]

Objet : Recours à la force et évaluation médicale

Aux gestionnaires correctionnels,

Aujourd’hui, les examens du recours à la force ont révélé vos nombreux efforts pour vous assurer qu’une évaluation en bonne et due forme soit effectuée par un membre du personnel infirmier après tous les incidents qui ont nécessité un recours à la force. Veuillez prendre note que vous pouvez aussi recourir à l’option d’ouvrir la porte de la cellule d’environ six pouces (et de la bloquer avec le nouveau dispositif installé récemment) et de placer un bouclier devant l’ouverture. Cette façon de faire permettrait au membre du personnel infirmier de voir complètement la détenue. Il faut un nombre minimal de trois intervenants de première ligne pour pouvoir gérer le risque. Dans le cas où le risque est jugé impossible à gérer, le membre du personnel infirmier et le GC [gestionnaire correctionnel] doivent l’indiquer sur l’enregistrement vidéo.

La seule circonstance dans laquelle ce genre de mesure serait considérée comme inappropriée serait si Ashley avait une arme qu’elle pourrait lancer/utiliser par-dessus le bouclier.

Eric a placé les boucliers de six pieds de hauteur dans le poste de sous-contrôle de l’unité de garde en milieu fermé vendredi dernier, ce qui facilitera le recours à cette stratégie.

L’application de cette procédure permettra de réduire la durée de la période durant laquelle la caméra vidéo devra tourner et permettra de fermer le dossier du recours à la force.

Je vous remercie.

27 Le deuxième courriel est aussi daté du 10 octobre 2007 et a été envoyé aux gestionnaires correctionnels, avec copie conforme à la fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

Objet : […] Réunion des gestionnaires correctionnels à planifier

Aux gestionnaires correctionnels,

Aujourd’hui, nous avons examiné un certain nombre de bandes vidéo sur les situations de recours à la force des dernières semaines. Nous examinerons quelques-unes des bandes à notre prochaine réunion. Comme par le passé, vous êtes invités à visionner les bandes dans le bureau de [nom effacé] lorsque vous en aurez le temps. D’ici là, je vous fournis l’information qui suit et qui concerne les situations où l’on n’a pas respecté le Modèle de gestion de situations (usage abusif de la force).

Les enregistrements vidéo montrent des situations où votre personnel suit le plan de gestion et ouvre la porte de la cellule d’Ashley de six pouces pour voir la détenue et déterminer si elle est en sécurité et si elle respire. Il semble toutefois que lorsqu’Ashley se met à parler ou à se relever, le personnel ne fait pas de réévaluation de la situation. Vous devez assister votre personnel et communiquer avec lui pour lui faire comprendre qu’il faut respecter le Modèle de gestion de situations et pour qu’il prenne garde à cette grave violation de la politique.

Veuillez aussi prendre note que les séances d’information relatives à l’incident et à l’évaluation par un membre du personnel infirmier doivent se faire devant sa cellule (car l’enregistrement vidéo doit se poursuivre jusqu’à ce que l’évaluation par l’infirmier ou l’infirmière soit terminée). Le fait de s’éloigner de la cellule et de ne pas enregistrer ces séances sur vidéo est une violation de la directive du commissaire sur le recours à la force. Ne vous inquiétez pas si elle peut vous entendre; elle sait ce qu’elle a fait et pourquoi elle est évaluée par un membre du personnel infirmier.

Dans un autre enregistrement vidéo, on voit cinq intervenantes de première ligne. Un intervenant de première ligne de sexe masculin actionne la caméra. L’intervenant donne la caméra à une intervenante et prend le contrôle de la situation. Cette façon de faire est en contradiction directe avec la directive du commissaire qui porte sur le Protocole de dotation mixte. Il y a des vidéos où l’on voit des intervenantes qui sont présentes, mais où ce sont les intervenants de sexe masculin qui font usage de la force pendant qu’une intervenante actionne la caméra. Vous devez parler de cette question avec chacun des intervenants des deux sexes affectés à l’unité, car cela concerne le Protocole sur la dotation mixte.

Les IPL semblent aussi renforcer de plus en plus souvent des comportements négatifs. On peut observer qu’après avoir eu recours à la force, certains IPL interagissent avec Ashley, lui parlent ou bavardent avec elle, plutôt que de garder une attitude neutre.

Dans presque tous les cas, des IPL parlent avec la détenue pendant une intervention où il y a recours à la force. Bien que l’un des intervenants semble avoir pris la direction de la procédure, toutes les agentes donnent des directives à Ashley ou l’implorent de rester calme.

[Nom effacé] a été affecté comme gestionnaire correctionnel de l’unité de garde en milieu fermé cette fin de semaine pour aider et informer davantage et assurer la conformité relativement à cette question délicate et importante.

J’espère que vous avez tous posé de nombreuses à Ken Allen ces deux derniers jours. Après la réunion d’aujourd’hui sur les opérations, j’ai soulevé une question à propos de l’inquiétude exprimée régulièrement par votre groupe en ce qui concerne la signature des RODA par les IPL à la suite d’une situation de recours à la force. Veuillez prendre note que dans le cas où vous devez partir en raison d’une contrainte de temps (après plus de 16 heures de travail consécutives ou après avoir été libéré), vous devez remplir un RODA et indiquer que vous avez été libéré, et le GC qui vous a libéré signera/examinera le RODA pour le verser au dossier du recours à la force.

28 Le directeur par intérim de l’EGV a aussi envoyé la note qui suit à l’administration régionale du défendeur le 11 octobre 2007 :

22 et 23 septembre 2007 – Recours abusif et inapproprié à la force

Pendant l’examen des situations de recours à la force qui se sont déroulées les 22 et 23 septembre 2007, on a constaté que la détenue Smith a continué à nouer des ligatures autour de son cou, ce qui a nécessité l’intervention du personnel pour enlever les ligatures et sauver sa vie.

Pendant ces incidents, on a observé un recours abusif et inapproprié à la force. En particulier, trois agents sont entrés dans la cellule de la détenue Smith, un agent de sexe masculin a maîtrisé la détenue en plaçant son genou sur l’abdomen de la détenue et en immobilisant le bras gauche de la détenue entre ses jambes pendant qu’il coupait la ligature qu’elle avait autour du cou à l’aide d’un couteau 911.

Dans un autre incident, le même agent de sexe masculin a abandonné sa fonction d’opérateur de caméra, a passé la caméra à une agente et est entré dans la cellule pour aider les agentes et il a maîtrisé physiquement la détenue. Pendant cet incident, il y avait cinq agentes, dont deux faisaient partie de l’EPIU, et il n’y avait aucune nécessité que l’agent de sexe masculin intervienne.

Il y a des incidents où le recours à la force n’était pas nécessaire, puisqu’on a observé que la détenue respirait et parlait; le personnel est quand même entré dans sa cellule pour lui enlever la ligature. Le personnel aurait plutôt dû rester en alerte et réévaluer la situation avant de recourir à la force.

Compte tenu de la gravité de ces incidents et du fait que les mêmes employés y ont participé et ont contrevenu à la politique, la sous-directrice conduira des audiences disciplinaires. De plus, un membre de l’EPIU sera interrogé et sera peut-être retiré de l’EPIU.

29 Tôt le matin du 19 octobre 2007, Mme Smith était en observation constante dans sa cellule parce qu’elle était considérée à risque très élevé de suicide. Selon un rapport d’enquête subséquent (dont il sera question ci-dessous) et la preuve présentée, elle avait des difficultés avec sa famille et, après une comparution récente devant le tribunal, sa peine d’incarcération avait été prolongée. Elle devrait donc passer Noël à l’EGV. La fonctionnaire ne travaillait pas ce jour-là parce qu’elle était à Ottawa pour assister à une séance de formation pour son nouvel emploi comme GSII. Mme Smith avait dit auparavant qu’elle se suiciderait durant le quart de travail d’un gestionnaire qu’elle n’aimait pas. Cette personne était de service le 19 octobre 2007.

30 Le personnel a remarqué que Mme Smith avait une ligature autour du cou. Elle était à genoux, puis étendue sur le sol et elle ne réagissait pas aux demandes du personnel. On a averti l’agent responsable (pas la fonctionnaire), qui a ordonné à une équipe de patrouille de se rendre à l’unité de garde en milieu fermé. Selon le rapport d’enquête subséquent, on avait dit au personnel de ne pas entrer dans la cellule si Mme Smith respirait; c’est-à-dire que le personnel ne devait pas entrer tant que la détenue n’avait pas cessé de respirer. On a actionné une caméra vidéo pour surveiller Mme Smith; sa figure était bleue, elle semblait chercher sa respiration et elle ne répondait pas verbalement au personnel. Les employés sont entrés dans la cellule et ont enlevé la ligature. La détenue ne respirait plus et on lui a administré la RCR. Mme Smith a été transportée à l’hôpital, où son décès a été constaté.

B. Preuve relative à la sanction disciplinaire

31 Le défendeur a cité trois témoins à comparaître de la conduite de la fonctionnaire, et les éléments de preuve qu’elles ont apportés sont invoqués pour justifier l’application de la sanction disciplinaire en l’espèce, soit la suspension de 20 jours. Dans la présente section, je me pencherai sur ces témoignages ainsi que sur les passages du témoignage de la fonctionnaire qui ont trait aux évènements rapportés par les trois témoins du défendeur. Ces dernières ainsi que la fonctionnaire ont été interrogées lors d’une enquête ultérieure, et les notes des interrogatoires seront également présentées ci-dessous. Enfin, la fonctionnaire a préparé une déclaration en date du 12 mars 2008, dont il sera aussi question plus loin.

32 Nancy Dickson était agente correctionnelle à l’EGV à l’automne 2007. Elle était affectée au secteur d’admission et de libération, situé à deux ou trois minutes de marche de l’unité d’isolement. Elle travaillait également à l’unité d’isolement, où elle aidait au déroulement des activités quotidiennes des détenues qui y étaient placées, comme les douches, les repas et l’exercice. Elle savait que la fonctionnaire travaillait à l’EGV, mais elle ne la connaissait pas personnellement. Mme Dickson a décrit la formation sur la prévention du suicide qu’elle avait suivie au début de sa carrière ainsi que sa formation en premiers soins. Elle n’était pas au travail le 19 octobre 2007, le jour où Mme Smith est décédée.

33 Mme Dickson a déclaré avoir été appelée un certain nombre de fois à l’unité d’isolement pour intervenir auprès de Mme Smith [traduction] « habituellement parce qu’elle avait une ligature autour du cou ». À ces occasions, elle avait de la difficulté à respirer, son visage avait [traduction] « un teint gris-bleu », ses yeux présentaient des pétéchies (vaisseaux sanguins éclatés, observables à travers la peau) et ses lèvres avaient perdu leur couleur. Mme Dickson a affirmé que ces incidents [traduction] « semblaient se produire assez souvent, peut-être quelques fois par semaine » et elle faisait partie de l’équipe qui entrait dans la cellule de Mme Smith pour enlever les ligatures. On procédait de la façon suivante : un membre du personnel comme elle était appelé pour aider les agents correctionnels dans l’unité de garde en milieu fermé et on déterminait rapidement qui allait faire quoi (qui immobiliserait les bras, qui immobiliserait les jambes, qui couperait la ligature et qui actionnerait la caméra vidéo); [traduction] « chacun avait une tâche ».

34 Lorsqu’ils pénétraient dans la cellule, Mme Smith était habituellement recroquevillée, puis elle agitait les bras ou les serrait contre son corps. Elle agressait les employés, elle pouvait même les mordre, et elle proférait des obscénités à leur endroit. Alors, le personnel la maîtrisait et l’immobilisait (parfois en utilisant du matériel de contrainte), la ligature était enlevée, Mme Smith faisait l’objet d’une [traduction] « fouille sommaire » visant à s’assurer qu’elle ne dissimulait pas d’autres objets interdits, puis le personnel quittait la cellule.

35 Mme Dickson a témoigné au sujet de son travail avec la fonctionnaire. Comme Mme Dickson l’a rapporté, [traduction] « un jour », Mme Smith avait du mal à respirer en raison d’une ligature qui lui enserrait le cou, et Mme Dickson a été appelée du secteur d’admission et de libération pour faire partie de l’équipe qui se rendrait dans la cellule de Mme Smith pour enlever la ligature. Lorsqu’elle est arrivée, Mme Dickson a remarqué que Mme Smith avait du mal à respirer, son visage avait [traduction] « un teint gris-bleu », et ses yeux étaient exorbités. La fonctionnaire était là et, lorsque l’équipe a été prête à pénétrer dans la cellule, la fonctionnaire a levé le bras et leur a dit que Mme Smith respirait et qu’ils ne devaient donc pas entrer. Mme Dickson a déclaré s’être sentie frustrée et avoir [traduction] « dit quelque chose de complètement déplacé » à la fonctionnaire; [traduction] « lorsqu’une personne est en difficulté, que vous voyez qu’elle ne peut respirer, mais qu’on vous dit de ne pas entrer, c’est très dur à accepter ». Mme Dickson a quitté l’unité de garde en milieu fermé pour retourner au secteur d’admission et de libération. Très peu de temps après être sortie de l’unité de garde en milieu fermé – environ 30 secondes – Mme Dickson a reçu un appel sur sa radio lui demandant de revenir, ce qu’elle a fait. Mme Dickson et d’autres employés sont entrés dans la cellule de Mme Smith et ont réussi à enlever la ligature. La fonctionnaire n’était pas là lorsque Mme Dickson est retournée sur les lieux.

36 En contre-interrogatoire, Mme Dickson a admis qu’elle n’avait pas mentionné la date précise de l’incident; elle n’a pas indiqué de date non plus lorsqu’elle a été interrogée par les enquêteurs après le décès de Mme Smith. On a demandé à Mme Dickson si l’incident pouvait avoir eu lieu en juin 2007. Elle a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas, mais qu’il [traduction] « pouvait avoir eu lieu en juin ». Elle a également été confrontée à la version des faits de la fonctionnaire. On a indiqué à Mme Dickson que la seule fois où la fonctionnaire avait vu Mme Smith avoir la figure bleue, Mme Dickson n’était pas présente. De plus, la fonctionnaire a empêché Mme Dickson d’entrer dans la cellule de Mme Smith parce que cette dernière agitait les bras et qu’il y avait un risque d’agression. À ces affirmations, Mme Dickson a répondu qu’à son souvenir, les évènements ne s’étaient pas passés ainsi. On lui a redemandé si elle était en désaccord avec cette version des faits et elle a répondu : [traduction] « Sauf votre respect, oui. » Elle a également été interrogée pour savoir si elle avait rédigé un rapport relativement à cet incident et à Mme Smith, et elle n’a pu expliquer l’absence de rapport.

37 De plus, Mme Dickson a convenu que Mme Lepage et Mme Lajoie ne lui avaient pas transmis la version des faits de la fonctionnaire dans le cadre de leur enquête. Mme Dickson a aussi admis estimer que le défendeur rejetait injustement le blâme sur le personnel de première ligne pour ce qui s’était passé avec Mme Smith. Lorsqu’on lui a demandé si elle souhaitait que la direction porte une part du blâme, elle a répondu : [traduction] « Je crois que tous ceux qui ont joué un rôle dans la prise de décisions concernant le cas d’Ashley devraient être tenus responsables. »

38 La fonctionnaire s’est elle aussi exprimée sur l’incident auquel Mme Dickson a fait référence. Elle a affirmé : [traduction] « Je ne me rappelle pas les circonstances de la façon dont [Mme Dickson] les a décrites, je crois qu’elle fait référence à plusieurs situations. » Selon la fonctionnaire, en juin 2007, elle a vu seulement une fois le visage de Mme Smith devenir bleu et Mme Dickson n’était pas présente. La fonctionnaire a également donné son avis sur la version des faits de Mme Dickson dans une note de service datée du 12 mars 2008, dont il sera question plus loin.

39 La deuxième intervenante de première ligne qui a comparu à titre de témoin pour le défendeur est Heather Magee. Elle est gestionnaire correctionnelle à l’EGV depuis 2005 (elle porte peut-être le titre de surveillante correctionnelle maintenant). Elle n’a pas participé directement aux interventions au cours desquelles le personnel entrait dans la cellule de Mme Smith, mais elle était dans l’unité de garde en milieu fermé à différents moments lorsque cela s’était produit. Elle n’était pas au travail le 19 octobre 2007, le jour où Mme Smith est décédée.

40 Mme Magee a confirmé les symptômes que manifestait Mme Smith lorsqu’elle avait une ligature nouée étroitement autour du cou, notamment la fois où on avait pu voir des vaisseaux sanguins éclater sur le visage de Mme Smith pendant qu’elle suffoquait. Tantôt Mme Smith était agressive lorsque le personnel entrait dans la cellule, tantôt elle ne l’était pas; [traduction] « chaque fois, il était difficile de prévoir quel comportement elle adopterait ». On discutait régulièrement du cas de Mme Smith lors des réunions sur les opérations tenues au début de chaque quart pour informer le personnel qui rentrait au travail.

41 Lors de son témoignage, Mme Magee a décrit un incident au cours duquel la fonctionnaire était intervenue auprès de Mme Smith. À l’époque, la fonctionnaire était chef d’équipe, et Mme Magee occupait un poste équivalant à celui d’assistante chef d’équipe et avait des responsabilités de supervision des employés. Elle ne se souvenait pas de la date exacte, mais c’était durant un quart de jour, et le personnel avait été appelé à se rendre à l’unité de garde en milieu fermé parce que Mme Smith avait une ligature autour du cou. Mme Magee a déclaré qu’elle pensait que la fonctionnaire était arrivée à l’unité derrière elle juste au moment où le personnel s’apprêtait à entrer dans la cellule. La porte de la cellule était ouverte. Selon Mme Magee, la fonctionnaire a ordonné au personnel de ne pas entrer dans la cellule parce que la détenue [traduction] « respir[ait] encore ». Le personnel a fermé la porte de la cellule et a commencé à se disperser. Ensuite, Mme Magee et la fonctionnaire sont restées dans la rangée devant la porte de la cellule et après environ 10 à 30 secondes, elles ont entendu Mme Smith suffoquer. Mme Magee a dit à la fonctionnaire qu’elle allait rappeler le personnel pour qu’il pénètre dans la cellule et, toujours selon Mme Magee, la fonctionnaire lui a répondu : [traduction] « C’est ton quart. » Mme Magee a utilisé sa radio pour rappeler le personnel, elle a ouvert une porte et a crié au personnel du poste de contrôle de revenir. Le personnel est revenu, est entré dans la cellule et a enlevé la ligature. Mme Magee a déclaré avoir été [traduction] « surprise » par cet incident, parce qu’elle s’était demandé : [traduction] « Pourquoi ne pas avoir simplement ordonné au personnel d’entrer? »

42 En contre-interrogatoire, Mme Magee a été interrogée au sujet d’une séance de formation tenue en 2007, avant le 19 octobre 2007, que AA avait animée. AA faisait partie de l’administration régionale. La gestion de Mme Smith avait fait l’objet de discussions lors de cette séance de formation et Mme Magee se souvenait que AA avait dit, selon les termes de Mme Magee, que le personnel [traduction] « frôlait un usage abusif de la force parce qu’il entrait [dans la cellule de Mme Smith] trop tôt et trop souvent ». Mme Magee a affirmé que ce commentaire était [traduction] « contradictoire », selon elle, parce que [traduction] « ce n’était pas une question de nombre de fois […], [c’était] fondé sur les incidents ». Lorsqu’on a demandé à Mme Magee si AA avait dit au personnel d’attendre que Mme Smith ait arrêté de respirer avant d’entrer dans sa cellule, Mme Magee a répondu : [traduction] « Cinq ans plus tard, c’est difficile à dire, mes souvenirs auraient été plus nets à l’époque [octobre 2007]. Il me semble qu’il a dit quelque chose comme ça, mais je n’en suis plus certaine. » Elle ne se rappelait pas si l’incident impliquant la fonctionnaire, Mme Smith et elle-même était survenu avant la séance de formation avec AA. Mme Magee a été interrogée au sujet de l’absence de rapport rédigé par elle. Elle a convenu qu’un rapport était exigé. Elle a déclaré en avoir rédigé un, mais elle ne se souvenait pas à qui elle l’avait remis; elle a dit qu’il [traduction] « devrait être dans le dossier ».

43 L’incident décrit par Mme Magee a été abordé au cours du témoignage de la fonctionnaire, lorsqu’on lui a demandé si Nancy Stapleforth, sous-commissaire régionale, région de l’Ontario, l’avait interrogée à ce sujet durant l’enquête disciplinaire. La fonctionnaire a répondu ne pas s’en souvenir. Elle a toutefois formulé des observations sur l’incident dans sa note de service du 12 mars 2008, comme nous le verrons ci-dessous.

44 La troisième intervenante qui a comparu à titre de témoin pour le défendeur est Mme Fancey. En octobre 2007, Mme Fancey était agente correctionnelle et travaillait à l’unité de garde en milieu fermé à l’EGV. De façon générale, ses fonctions consistaient à assurer la sécurité des détenues et à leur offrir des services de counselling. Mme Fancey n’était pas au travail le jour où Mme Smith est décédée, le 19 octobre 2007.

45 Mme Fancey a eu affaire à Mme Smith à plusieurs reprises, notamment pour intervenir auprès d’elle lorsqu’elle était en crise. Ces situations étaient souvent provoquées par l’utilisation des ligatures, mais Mme Fancey intervenait également auprès de Mme Smith lorsqu’elle se cognait la tête ou qu’elle causait différents problèmes de sécurité, comme lorsqu’elle recouvrait la caméra de sa cellule de papier de toilette. À plusieurs occasions, Mme Fancey a été [traduction] « l’agente chargée de faire la surveillance directe » et a été appelée à observer Mme Smith pendant de longues périodes. La surveillance peut s’effectuer à travers une fenêtre de la porte de la cellule, par la fente à aliments ou à travers une fenêtre sécurisée située à l’arrière de la cellule, à laquelle le personnel peut accéder de l’extérieur.

46 Plusieurs fois, Mme Fancey a fait partie de l’équipe qui entrait dans la cellule de Mme Smith pour enlever les ligatures. En général, pour qu’une équipe entre dans la cellule, il fallait qu’auparavant un membre du personnel ait remarqué que Mme Smith avait une ligature autour du cou et qu’il ait ensuite tenté d’obtenir une réaction de sa part. Si elle ne réagissait pas ou si elle présentait des symptômes physiques, par exemple si son visage changeait de couleur ou qu’elle suffoquait, alors, les membres du personnel se rassemblaient rapidement et pénétraient dans la cellule. Mme Smith réagissait habituellement de façon agressive, notamment en donnant des coups de pied aux membres du personnel, ou en les frappant et en leur criant de sortir de la cellule. Mais il arrivait que ce soit Mme Smith qui demande au personnel d’entrer dans la cellule pour lui retirer une ligature, parce que le nœud était trop serré et qu’elle ne parvenait pas à l’enlever elle-même.

47 À l’EGV, Mme Fancey a travaillé à différentes occasions avec la fonctionnaire. Avant septembre 2007, celle-ci était chef d’équipe et dirigeait les opérations de l’unité de garde en milieu fermé. Au cours de son témoignage, Mme Fancey s’est souvenue d’une fois où elle avait été l’agente chargée de surveiller étroitement Mme Smith. Mme Fancey ne se rappelait pas la date. Il était impossible de faire une évaluation visuelle adéquate à partir de la rangée, parce que Mme Smith s’était cachée dans le bas de la porte ou sous le lit. Cependant, Mme Fancey pouvait entendre Mme Smith respirer à fond et suffoquer. Elle est sortie rapidement pour vérifier si elle pouvait voir la détenue à travers la fenêtre extérieure et elle a [traduction] « fait des allers-retours en courant » entre la rangée et l’extérieur. Elle ne pouvait toujours pas voir si Mme Smith respirait.

48 En contre-interrogatoire, Mme Fancey a été interrogée relativement à l’absence de rapport d’observation rédigé par elle sur l’incident. Elle a répondu que quelqu’un avait dû faire un rapport. Aussi, il est possible que le nom de Mme Smith n’y figure pas et qu’on ait seulement fait référence à un incident impliquant une ligature. Mme Fancey a nié prendre la décision d’entrer dans la cellule d’une détenue placée dans l’unité de garde en milieu fermé, comme celle de Mme Smith, de façon [traduction] « instinctive »; ses décisions étaient plutôt fondées sur ses observations à titre d’intervenante de première ligne. Elle a reconnu que des intervenants de première ligne peuvent entrer dans une cellule dans des circonstances où d’autres ne le feraient pas.

49 Lors de son témoignage, la fonctionnaire a affirmé se souvenir de l’incident rapporté par Mme Fancey. Selon la fonctionnaire, Mme Fancey [traduction] « avait de la difficulté à déterminer si elle devait entrer [dans la cellule de Mme Smith] ou non ». En outre, AA se trouvait dans l’unité d’isolement, lui qui, lors d’une séance de formation, avait critiqué le recours à la force par les intervenants de première ligne dans le cas de Mme Smith. La fonctionnaire a mentionné à Mme Fancey que ce serait une bonne occasion pour AA de constater par lui-même la situation. On a proposé à AA d’observer l’incident, mais, aux dires de la fonctionnaire, il a répondu qu’il n’était pas là pour donner de la formation ou pour dire aux employés quoi faire. AA n’a pas témoigné dans le présent arbitrage. La fonctionnaire a déclaré avoir alors ordonné à Mme Fancey [traduction] « de vérifier si elle pouvait voir à travers la fenêtre extérieure si elle [Mme Smith] respirait afin de déterminer si on devait entrer » dans la cellule. Lors de son témoignage, la fonctionnaire ne se rappelait pas si Mme Lepage et Mme Lajoie lui avaient posé des questions sur cet incident quand elles l’avaient interrogée.

50 Mme Fancey a déclaré que la fonctionnaire lui avait dit de ne pas entrer dans la cellule et qu’elles avaient commencé à mesurer la fréquence des respirations de Mme Smith. À un certain point, ses respirations étaient espacées de deux minutes, et Mme Fancey a affirmé que la fonctionnaire continuait de lui dire de ne pas entrer dans la cellule. Ensuite, la fonctionnaire s’est rendue au poste de contrôle pour prendre la clé de la cellule, elle est retournée dans la rangée, et au moins trois employés sont entrés dans la cellule pour enlever la ligature autour du cou de Mme Smith. Au début, la détenue était assise, ensuite elle s’est levée, et Mme Fancey a indiqué qu’il y avait une petite goutte de sang sur sa robe. Mme Fancey ne se souvenait pas que Mme Smith ait été [traduction] « excessivement agressive », mais elle a dit qu’elle ne [traduction] « [pouvait] pas affirmer qu’elle n’était pas agressive ».

51 En contre-interrogatoire, Mme Fancey a convenu que Mme Smith était une détenue très difficile, mais lorsqu’on lui a demandé si elle avait été la détenue la plus difficile de sa carrière, elle a répondu qu’elle avait été [traduction] « l’une des plus difficiles ». Elle a été interrogée au sujet de la séance de formation donnée par AA et elle a déclaré que [traduction] « l’essentiel » de son propos était que le personnel [traduction] « faisait trop souvent usage de la force » à l’endroit de Mme Smith et qu’il [traduction] « se devait d’être prudent parce qu’il courait trop de risques ». Mme Fancey a admis qu’il s’agissait d’une directive provenant de l’administration régionale, mais elle a ajouté [traduction] « nous étions très frustrés d’entendre ce qu’on nous disait » et que quelqu’un avait dit à AA qu’il [traduction] « faudrait qu’il voit par lui-même ce qui se passe ».

52 Pour ce qui est du témoignage de la fonctionnaire de façon plus générale, elle a décrit son premier contact avec Mme Smith à l’été 2007, quand elle était chef d’équipe à l’unité d’isolement. Lorsqu’elle occupait ce poste, elle avait la responsabilité de tout le personnel de l’unité, et le gestionnaire correctionnel de même que les agents correctionnels relevaient d’elle. Par la suite, le 4 septembre 2007, une réorganisation au Service correctionnel est entrée en vigueur. Dans le cadre des changements qui ont été mis en œuvre, la fonctionnaire est devenue GSII, et le poste de gestionnaire correctionnel a été remplacé par un poste de surveillant correctionnel. Durant son témoignage, la fonctionnaire a passé en revue la description du poste de GSII et elle a déclaré que cette réaffectation représentait [traduction] « un énorme changement sur le plan de mon autorité », parce qu’elle n’avait plus les responsabilités opérationnelles qu’elle avait avant; elle estimait qu’environ la moitié des responsabilités qu’elle avait eues en tant que chef d’équipe lui avaient été retirées. Le surveillant correctionnel (l’ancien poste de gestionnaire correctionnel) ne relevait plus d’elle et elle n’était la supérieure immédiate d’aucun agent correctionnel. Dans l’ensemble, son nouveau poste de GSII était [traduction] « davantage axé sur les programmes » que sur les opérations. En outre, la fonctionnaire a affirmé ne pas avoir participé activement à la gestion du cas de Mme Smith après qu’elle a commencé à occuper son poste de GSII.

53 Aucune formation n’a été donnée dès le départ pour le poste de GSII; cette formation a eu lieu la semaine du 15 octobre 2007, à Ottawa. La fonctionnaire a quitté l’EGV le 11 octobre 2007 pour participer à cette formation et, par conséquent, elle n’était pas à l’établissement quand Mme Smith est décédée. La fonctionnaire a également indiqué que c’était le surveillant correctionnel, dans le cadre de la nouvelle organisation après septembre 2007, qui avait le contrôle opérationnel des employés et était globalement responsable de Mme Smith.

54 Dans l’ensemble, la fonctionnaire était d’accord avec les descriptions données par les autres témoins concernant les difficultés que présentait Mme Smith. En dépit de ces difficultés, la fonctionnaire a affirmé avoir eu [traduction] « une très bonne relation » avec Mme Smith; la fonctionnaire parlait avec elle plusieurs fois par jour et elle a renforcé les comportements positifs de la détenue. La fonctionnaire a expliqué que de façon générale, Mme Smith portait ses ligatures autour du coup de trois façons : parfois, une ligature était nouée de manière lâche autour de son cou, et le nœud se trouvait sur sa poitrine; parfois, elle était nouée de manière lâche, et le nœud se trouvait au niveau du cou; enfin, dans la troisième situation, la ligature était nouée serrée et Mme Smith présentait des symptômes physiques, parce que sa respiration avait été coupée. Chacune de ces situations requérait différents niveaux d’intervention; il n’y avait pas nécessairement d’urgence médicale toutes les fois où Mme Smith se mettait une ligature autour du cou. Lors d’un incident, le personnel déterminait s’il devait entrer ou non dans la cellule de Mme Smith, et lorsqu’il décidait d’entrer dans la cellule, c’était généralement en raison d’une urgence médicale ou d’une menace pour la sécurité de Mme Smith. La fonctionnaire n’a jamais fait partie de l’équipe qui entrait dans la cellule de Mme Smith et elle n’a pas participé à l’enlèvement des ligatures autour de son cou non plus.

55 La fonctionnaire a déclaré que [traduction] « la seule fois où [elle a] dit [aux employés] de ne pas entrer [dans la cellule de Mme Smith] c’était parce que ce n’était pas sécuritaire pour eux », étant donné que Mme Smith avait un comportement agressif. Par exemple, une fois, la fonctionnaire a mis son bras devant des employés qui étaient en train de pénétrer dans la cellule, parce que Mme Smith était sur le point de les agresser. La fonctionnaire a nié avoir déjà ordonné au personnel de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith lorsqu’elle était [traduction] « en détresse », mais si le personnel pouvait voir qu’elle respirait, alors il ne s’agissait peut-être pas d’une situation de détresse physique ni d’une urgence médicale.

56 En contre-interrogatoire, la fonctionnaire a admis n’avoir reçu aucune formation médicale. La fonctionnaire a également convenu que l’utilisation que faisait Mme Smith des ligatures pouvait entraîner des situations très graves, même lorsque la ligature était lâche, parce qu’elle pouvait être serrée rapidement. De plus, Mme Smith aurait pu trop serrer la ligature par erreur, et il aurait été impossible d’anticiper cet évènement. De même, il n’a parfois pas été possible de déterminer si la ligature était serrée ou non, parce que Mme Smith s’était cachée sous le lit ou dans le bas de la porte, hors de vue. La fonctionnaire a été témoin d’incidents lors desquels Mme Smith avait une ligature et présentait des symptômes de suffocation, et la fonctionnaire a reconnu qu’il s’agissait [traduction] « indiscutablement » de situations d’urgence médicale.

57 Dans une note de service datée du 12 mars 2008, la fonctionnaire a déclaré : [traduction] « Bien que l’utilisation d’une ligature ait provoqué son décès, il n’y avait pas de sentiment de danger immédiat toutes les fois où elle était en possession d’une ligature. » Lorsqu’on a affirmé à la fonctionnaire, en contre-interrogatoire, que de telles situations représentaient tout de même une menace, même si elle n’était pas immédiate, elle s’est montrée en désaccord et elle a maintenu qu’à son avis, une ligature lâche ne constituait pas une menace. Pour la fonctionnaire, le fait que Mme Smith [traduction] « […] n’a jamais dit qu’elle allait se suicider ou qu’elle avait un plan pour le faire » revêtait une importance significative. On a fait valoir à la fonctionnaire que le fait que Mme Smith n’avait pas dit qu’elle avait un plan ne permettait pas nécessairement de conclure qu’elle n’en avait pas. La fonctionnaire a alors répondu : [traduction] « On nous enseigne qu’ils auront un plan. » Elle a admis que le comportement adopté par Mme Smith pouvait entraîner un accident mortel.

58 Les questions concernant le poste de GSII occupé par la fonctionnaire et la description de travail pour ce poste ont été abordées lors de son interrogatoire principal et de son contre-interrogatoire. Elle a admis avoir été au courant de son changement de poste, de chef d’équipe à GSII, avant son entrée en vigueur en septembre 2007 et qu’elle avait également eu la description de travail avant ce moment-là. Elle a reconnu que la section « Service à la clientèle » de la description de travail s’appliquait à la gestion de Mme Smith et que sa responsabilité de planifier et de diriger les activités des équipes interdisciplinaires composées de psychologues, de membres du personnel infirmier et d’autres intervenants concernait Mme Smith. De la même façon, elle était chargée de [traduction] « donner des conseils, des orientations et de la formation aux gestionnaires et au personnel, et de maintenir le contact avec les membres des équipes en santé mentale », relativement au cas de Mme Smith, comme le décrit la partie « Habiletés » de la description de travail pour le poste de GSII. La fonctionnaire a admis qu’elle avait donné de la formation au personnel sur des situations impliquant des problèmes de comportement, comme ceux que présentait Mme Smith.

C. Politiques et autres documents du défendeur

59 Le défendeur a un certain nombre de politiques liées aux services correctionnels au Canada. Ces politiques sont appelées des « directives du commissaire », ou « DC ». Comme nous l’avons mentionné plus haut, la fonctionnaire a fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir, selon le défendeur, enfreint trois politiques : la DC 567, la DC 800 et la DC 843. La fonctionnaire a admis qu’elle connaissait ces politiques à l’époque pertinente.

60 La DC 567, intitulée « Gestion des incidents de sécurité », est datée du « 2007-03-09 ». Je reproduis ici quelques extraits pertinents :

[Traduction]

GESTION DES INCIDENTS DE SÉCURITÉ

OBJECTIFS DE LA POLITIQUE

1.  Assurer la sécurité du personnel, du public et des détenus.

2.  Maintenir un climat de respect mutuel qui favorise des interactions dynamiques continues entre le personnel et les détenus.

3.  Après un incident, rétablir les activités normales de l’établissement de façon à encourager les détenus à participer activement aux programmes et à favoriser la mise en œuvre de leur plan correctionnel.

[…]

DÉFINITION

6. Urgence médicale : blessure ou état pathologique qui présente une menace immédiate pour la santé ou la vie d’une personne et requiert une intervention médicale.

PRINCIPES

7. Toutes les procédures liées à cette politique doivent être exécutées de façon à favoriser un milieu sécuritaire tout en respectant le principe de la primauté du droit.

8. Toutes les interventions utilisées pour gérer ou maîtriser les incidents qui compromettent la sécurité d’un établissement :

  1. favoriseront le règlement paisible de l’incident par la négociation et une intervention verbale;
  2. respecteront le Modèle de gestion de situations;
  3. seront fondées sur les mesures les plus sécuritaires et raisonnables possible pour prévenir ou régler la situation ou réagir à celle-ci;
  4. seront adaptés pour réagir aux changements qui surviennent dans la situation.

9. Une personne ne doit jamais consentir ni participer à un traitement cruel, inhumain ou dégradant à l’égard d’un détenu.

CADRE DE GESTION ET DE MAÎTRISE DES SITUATIONS

10. La gestion et la maîtrise des situations doivent se faire à l’aide d’un cadre d’action qui comprend notamment les éléments suivants :

  1. le recours à la force, pour faire en sorte que l’intervention et la façon dont la force est utilisée soient adaptées aux circonstances et conformes aux lois applicables et aux politiques du SCC (DC 567-1);
  2. l’utilisation de dispositifs d’alarme et l’intervention en cas d’alarme afin d’offrir un milieu sécuritaire et assurer la sécurité du personnel, des détenus, des visiteurs et du public (DC 567-2);
  3. l’utilisation appropriée du matériel de contrainte afin d’assurer la sécurité des détenus et de l’établissement (DC 567-3);
  4. l’utilisation sécuritaire d’agents chimiques et d’aérosols inflammatoires au besoin (DC 567 4);
  5. l’utilisation d’armes à feu comme recours ultime pour protéger la vie du personnel, des autres détenus et du public (DC 567-5);

RÔLES ET RESPONSABILITÉS

11. Le commissaire ou son délégué a le pouvoir de formuler des directives verbales et écrites concernant la sécurité au sein du SCC.

[…]

17. Les membres du personnel doivent s’assurer qu’ils :

  1. connaissent et comprennent les dispositions législatives, les politiques et les procédures applicables;
  2. font preuve d’équité, de discernement et de professionnalisme au moment de rétablir un environnement sûr et sécuritaire au sein de l’établissement;
  3. prendront toutes les mesures raisonnables pour rétablir le plus rapidement possible un environnement sûr et sécuritaire au sein de l’établissement dès qu’ils prennent connaissance d’une situation qui compromet la sécurité de l’établissement ou de toute personne dans celui-ci;
  4. interagissent de façon positive et constructive avec les autres membres du personnel et les détenus;
  5. régleront les conflits et les problèmes au niveau le plus bas possible.

SITUATIONS D’URGENCE MÉDICALE

18. Lors d’une intervention justifiée par une urgence médicale, le but principal est la préservation de la vie, et chaque employé a un rôle important à jouer :

  1. le personnel non médical qui arrive sur les lieux d’une urgence médicale potentielle doit immédiatement appeler à l’aide, sécuriser les lieux et entamer les manœuvres de RCR/administrer les premiers soins;
  2. le personnel non médical doit entamer les manœuvres de RCR/administrer les premiers soins lorsque cela est possible, même en l’absence de signes vitaux apparents (selon les lois provinciales, seuls le personnel médical autorisé ou les ambulanciers peuvent prendre la décision de cesser les manœuvres de RCR/les premiers soins);

[…]

MODÈLE DE GESTION DE SITUATIONS

20. Ce modèle est une représentation graphique [voir l’annexe A] qui sert à aider le personnel à déterminer les modes d’intervention à adopter pour gérer les incidents de sécurité. Le but de ces modes d’intervention est de maintenir la sécurité à l’intérieur des établissements et de protéger le public, le personnel et les détenus en maîtrisant les détenus à l’aide des interventions les plus sécuritaires et les plus raisonnables en fonction de chaque situation.

ÉVALUATION DE LA SITUATION

21. Chaque situation doit être évaluée selon le modèle de résolution de problèmes CAPRA.

22. L’acronyme CAPRA représente les éléments suivants :

  • Clients;
  • Acquisitions et analyse de renseignements;
  • Partenaires;
  • Réponses;
  • Auto-évaluation.

23. Le modèle facilite l’acquisition et l’analyse de renseignements sur le client et la situation, et permet d’évaluer les stratégies d’intervention en consultation avec des partenaires. L’évaluation continue de l’efficacité de la réponse fait partie intégrante du modèle CAPRA.

24. Le comportement actuel du détenu, les facteurs situationnels (p. ex., l’endroit, la possibilité d’utiliser des armes, la présence d’autres détenus et les antécédents sociaux), les considérations stratégiques (soit le comportement antérieur du détenu, sa taille, les habiletés de l’agent, le secours disponible, etc.) et le risque que pose la situation seront évalués de façon continue.

25. La réponse à la situation doit être repensée de façon à tenir compte des changements importants et des risques que la nouvelle situation pose. Chaque situation doit être gérée à l’aide de la réponse la plus sécuritaire et la plus raisonnable possible compte tenu de l’incident.

26. Lorsqu’il est nécessaire et possible de le faire, les membres du personnel envisageront de se retirer, de réévaluer la situation et de planifier de nouvelles interventions afin que les meilleures mesures soient prises. Ils tiendront compte de l’efficacité des interventions antérieures dans leur évaluation continue de la situation.

COMPORTEMENT DES DÉTENUS

27. Coopératif – le détenu n’oppose aucune résistance verbale ou physique et il réagit à la présence de membres du personnel, communique verbalement avec eux et obéit volontairement aux instructions ou aux ordres qui lui sont donnés verbalement.

28. Résiste verbalement – le détenu tient des propos injurieux ou railleurs à l’endroit de membres du personnel, refuse de communiquer avec eux ou adopte d’autres comportements similaires, mais obéit aux ordres qui lui sont donnés.

29. Physiquement non coopératif – le détenu refuse de suivre les instructions ou les ordres que le personnel lui donne ou refuse de quitter un endroit ou de sortir d’une cellule. Il peut opposer une résistance physique, sans toutefois être violent, en s’éloignant, en s’enfuyant ou en résistant aux efforts déployés par le personnel pour l’amener à se tenir debout.

30. Violent – Le détenu fait des menaces verbales ou laisse entendre, par son comportement, ses actions ou ses gestes, qu’il a l’intention d’avoir recours à la force pour faire du mal à autrui. Le détenu utilise directement ou indirectement la force contre autrui d’une manière qui occasionne ou qui risque d’occasionner des blessures.

31. Potentiel de blessures graves ou de décès – Le détenu affiche un comportement qui permet au personnel de croire qu’il y a un risque que le détenu ou toute autre personne subisse des blessures corporelles graves ou perde la vie.

32. Évasion – le détenu s’évade de l’établissement, d’une garde légale, ou fait une tentative dans ce sens, ou encore, pour toute autre raison, est illégalement en liberté avant la fin de la peine à laquelle il a été condamné.

CHOIX DES STRATÉGIES DE GESTION APPROPRIÉES

33. Les stratégies de gestion appropriées doivent être choisies à la suite de l’évaluation initiale et des évaluations continues de la situation, décrites aux paragraphes 21 à 26.

34. Les stratégies peuvent notamment comprendre le recours aux suivants : personnel de première ligne, Aînés autochtones/conseillers spirituels, Services d’aumônerie, équipes chargées de l’extraction des cellules, négociateurs dans les situations d’urgence, équipes d’intervention en cas d’urgence, équipes de gestion des situations d’urgence, police ou forces armées.

INTERVENTIONS VERBALES, RÉSOLUTION DE CONFLITS ET NÉGOCIATION

35. Le personnel gérera les situations, autant que possible, en ayant recours à des mesures de sécurité active, à la présence de membres du personnel, aux interventions verbales, à la résolution de conflits, aux négociations ou aux ordres verbaux.

MATÉRIEL DE CONTRAINTE

36. Le matériel de contrainte peut être utilisé dans des situations courantes (par exemple quand un détenu doit être escorté ou transféré), lorsqu’il est prévu dans les politiques pertinentes que de tels dispositifs peuvent être employés dans le cas de détenus coopératifs.

37. Le matériel de contrainte peut être utilisé comme l’une parmi plusieurs mesures prises pour gérer une situation où le comportement d’un détenu se situerait dans le spectre allant de coopératif à violent.

AGENTS CHIMIQUES OU INFLAMMATOIRES ET CONTRÔLE PHYSIQUE

38. Les trois mesures suivantes sont généralement prises les unes en combinaison avec les autres afin de gérer les situations où un détenu oppose une résistance physique.

39. Ces mesures peuvent être prises lorsque l’intervention verbale et l’utilisation de matériel de contrainte se sont révélées inefficaces ou sont jugées impropres à la situation.

BÂTONS ET AUTRES ARMES INTERMÉDIAIRES

[…]

ARMES À FEU

[…]

SÉANCES D’INFORMATION ET RAPPORTS

47. Les gestionnaires et leurs subalternes feront rapport du déroulement de la situation tout au long du processus de gestion, de façon à faciliter l’évaluation continue des facteurs situationnels et des stratégies de gestion. À la suite du règlement de la situation, les personnes compétentes feront les rapports verbaux et écrits nécessaires, conformément à la DC 567-1.

48. Des services de gestion du stress à la suite d'un incident critique seront offerts aux membres du personnel, au besoin.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

61 La DC 800 est intitulée « Services de santé » et porte la date « 2007-03-09 ». La section « Soins courants et urgences médicales » (paragraphe 25) contient des [traduction] « situations d’urgence médicale » tirées du paragraphe 18 de la DC 567 ci-dessus. Le paragraphe 3 de la DC 800 donne aussi la même définition d’une « urgence médicale » que le paragraphe 6 de la DC 567.

62 La DC 843, intitulée « Prévention, gestion et intervention en matière de suicide et d’automutilation » et porte la date « 2007-03-09 ». Le paragraphe 28 ([traduction] « Situations d’urgence médicale ») contient le même libellé que le paragraphe 25 de la DC 800 et le paragraphe 18 de la DC 567. La DC 843 contient également la même définition du terme « urgence médicale » que les deux autres directives. Voici d’autres extraits de la DC 843 :

[Traduction]

GESTION DES COMPORTEMENTS D’AUTOMUTILATION ET SUICIDAIRES CHEZ LES DÉTENUS

OBJECTIFS DE LA POLITIQUE

1. Assurer la sécurité des détenus qui ont des comportements d’automutilation ou suicidaires.

[…]

DÉFINITION

4. Urgence médicale : blessure ou état pathologique qui présente une menace immédiate pour la santé ou la vie d’une personne et requiert une intervention médicale.

5. Suicide : acte intentionnel commis pour s’enlever la vie et qui cause la mort.

6. Tentative de suicide : blessure qu’une personne s’inflige intentionnellement ou acte qu’elle a posé dans le but de s’enlever la vie sans toutefois y parvenir.

7. Automutilation : blessure intentionnelle que s’inflige une personne sans avoir l’intention de s’enlever la vie.

8. Observation pour risque de suicide : mise en isolement d’un détenu découlant d’une évaluation selon laquelle il pose un risque imminent de s’automutiler ou de se suicider.

PRINCIPES

9. La protection de la vie a préséance sur la conservation de la preuve.

10. Les délinquants qui affichent un comportement d’automutilation ou suicidaire ne doivent pas faire l’objet de mesures disciplinaires visant leur comportement d’automutilation.

[…]

MATÉRIEL DE CONTRAINTE

16. Le matériel de contrainte, y compris les vêtements de sécurité, peut être utilisé pour réduire le risque d’automutilation. L’utilisation de ce matériel doit respecter les dispositions de la Directive du commissaire 567-3 – Utilisation de matériel de contrainte.

INTERVENTION AUPRÈS DE DÉLINQUANTS AFFICHANT UN COMPORTEMENT SUICIDAIRE OU D’AUTOMUTILATION

17. Le personnel doit prendre les mesures nécessaires pour aiguiller d’urgence les délinquants affichant un comportement suicidaire ou d’automutilation vers un psychologue ou un professionnel de la santé pour qu’il fasse l’objet d’une intervention appropriée.

[…]

22. Le psychologue ou les membres désignés de l’équipe interdisciplinaire de santé mentale qui gèrent le cas doivent fournir au personnel des directives sur les conditions précises dans lesquelles l’observation pour risque de suicide doit se faire, notamment les procédures à suivre pour surveiller les activités du détenu.

[…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

63 Le défendeur possède aussi des politiques intitulées « Code de discipline » et « Gestion des cas d’urgence ».

64 Il y a aussi un document de novembre 1994 intitulé « Guide d’application – Sanctions disciplinaires et rétrogradation ou licenciement non disciplinaire ». La fonctionnaire s’appuie sur des sections précises de ce document.

65 Selon ce guide, un ouï-dire n’est pas la meilleure des preuves et une enquête disciplinaire devrait être effectuée dans les plus brefs délais après réception de l’information requise. Le paragraphe 4 indique qu’il est important pour un employé d’être [traduction] « avisé de la nature exacte des allégations » et qu’il est important de [traduction] « formuler » les questions pertinentes pour l’enquête. Aussi, un employé a [traduction] « le droit de répondre à des allégations [formulées contre lui] et de fournir de l’information à leur sujet », et l’enquête devrait [traduction] « établir les faits en tenant compte de la version de l’employé ». Le paragraphe 4(h) du guide indique que [traduction] « [t]outes les déclarations pertinentes des témoins et de l’employé doivent être consignées et, si possible, signées et datées par l’auteur de la déclaration ». Le paragraphe 2(d) du guide précise que [traduction] « toute nouvelle preuve et toute preuve contradictoire devrait faire l’objet d’une enquête, et les conclusions devraient être consignées ».

D. Enquête

66 Dans son témoignage, Mme Stapleforth, sous-commissaire régionale de l’Ontario, a dit avoir appris le décès de Mme Smith lorsqu’elle a reçu un appel sur son téléphone cellulaire le jour du décès, le 19 octobre 2007. L’information qu’elle a reçue était que Mme Smith avait été transportée à l’hôpital; plus tard au cours de la journée, on l’a informée que Mme Smith était décédée. Mme Stapleforth a ordonné immédiatement que l’on recueille de l’information sur ce qui était arrivé et elle a téléphoné au commissaire du Service correctionnel pour l’informer. Pour chaque décès en établissement, il faut convoquer un comité d’enquête. Le comité a procédé à l’enquête et a remis son rapport en février 2008.

67 Mme Stapleforth a déclaré qu’après la collecte et l’examen de l’information liée à la mort de Mme Smith, y compris les enregistrements vidéo, on a eu de [traduction] « graves préoccupations » à l’administration régionale à propos du temps que le personnel avait mis pour intervenir auprès de Mme Smith au cours de l’incident qui avait entraîné sa mort. Par conséquent, on a pris la décision d’ordonner la tenue d’une enquête sur le rôle du personnel et des gestionnaires.

68 La fonctionnaire fait partie du personnel de gestion, et non de l’unité de négociation; par conséquent, l’enquête sur le rôle du personnel de gestion présente un intérêt dans le cadre du présent grief. Le 7 janvier 2008, Mme Stapleforth a signé l’ordre de convocation suivant pour l’enquête :

[Traduction]

ORDRE DE CONVOCATION

ENQUÊTE DISCIPLINAIRE

En vertu de mes pouvoirs généraux de gestion, je demande par la présente la tenue d’une enquête disciplinaire sur les circonstances entourant la mort de la détenue Ashley Smith […] survenue dans l’unité d’isolement de l’Établissement pour femmes Grand Valley, le 19 octobre 2007.

L’enquête disciplinaire sera menée conformément à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et à son règlement, aux directives du commissaire pertinentes, au Code de discipline du SCC, aux Règles de conduite professionnelle du SCC, aux Lignes directrices concernant la discipline du CT, aux instructions régionales, aux règles régissant la classification/l’autorisation de sécurité des employés et à leurs modifications.

Les résultats de cette enquête disciplinaire pourront entraîner la prise de mesures disciplinaires.

Le comité d’enquête sera composé des personnes suivantes :

Présidente : Brenda Lepage, directrice, Pénitencier de la Saskatchewan
Membre : Lynn Lajoie, administratrice régionale, Ressources humaines (Ont.)

Le Comité fera enquête sur les questions suivantes :

  1. s’il existait des pré-indicateurs immédiats de l’incident faisant l’objet de l’enquête et, le cas échéant, quelle est la pertinence et l’opportunité des directives données par la direction;
  2. si la consignation des renseignements pertinents ainsi que les rapports concernant les incidents impliquant Ashley Smith ont été effectués de façon appropriée et pertinente du 31 août au 19 octobre 2007;
  3. le bien-fondé et la pertinence des communications entre le personnel de première ligne et la direction – gestionnaires intermédiaires et gestionnaires supérieurs – et entre les gestionnaires supérieurs à l’EGV, en ce qui concerne la gestion d’Ashley Smith du 31 août au 19 octobre 2007;
  4. si les gestionnaires ont respecté leur obligation de veiller à ce que le personnel soit bien formé et outillé et reçoive l’information et la supervision nécessaires pour exécuter ses responsabilités principales;
  5. si les gestionnaires ont donné des directives appropriées et pertinentes pour ce qui est de la gestion des urgences médicales;
  6. la pertinence des réponses des gestionnaires par rapport à l’incident;
  7. le respect des politiques, des procédures et des responsabilités;
  8. toute question de non-conformité par les membres du Service;
  9. toute autre question relative à l’incident survenu le 19 octobre 2007.

J’ORDONNE DE PLUS que le Comité me fournisse les conclusions découlant de la conduite de l’enquête sur les questions énoncées ci-dessus.

[…]

69 L’ordre de convocation autorisait aussi les enquêteurs à [traduction] « adopter les procédures et mesures jugées nécessaires pour la bonne conduite de l’enquête » et leur accordait des pouvoirs étendus pour chercher l’information et y avoir accès.

70 Comme on le voit dans l’ordre de convocation, Brenda Lepage était la présidente du comité d’enquête. Mme Lepage a déclaré qu’au moment de sa nomination, elle était directrice du Pénitencier de la Saskatchewan et n’avait eu auparavant aucune expérience ou aucun contact avec Mme Smith. Avant de devenir directrice du Pénitencier de la Saskatchewan, elle avait occupé divers postes dans le système correctionnel et avait une grande expérience des services correctionnels pour femmes.

71 C’est en décembre 2007, au cours d’un appel téléphonique, qu’on a demandé à Mme Lepage de présider le comité d’enquête. À ce moment, on lui a donné des renseignements très généraux. Elle a accepté de jouer ce rôle. Mme Stapleforth, qui a ordonné la tenue de l’enquête, a déclaré que la pratique était de faire appel à des cadres supérieurs du Service correctionnel travaillant à l’extérieur de la région où était survenu l’incident qui ferait l’objet de l’enquête et aussi d’inclure dans le comité une personne de la région possédant de l’expérience des ressources humaines. On avait donc nommé Lynn Lajoie, administratrice régionale des ressources humaines, pour travailler avec Mme Lepage à l’enquête. Mme Lepage a bien compris dès le départ que son rapport et ses conclusions pourraient entraîner la prise de mesures disciplinaires contre des membres du personnel, mais que quelqu’un d’autre prendrait les décisions relatives à ces mesures. De plus, durant le contre-interrogatoire, Mme Lepage a convenu que son mandat était très large et n’était pas limité aux incidents ou aux personnes à l’EGV.

72 Après les nominations de Mmes Lepage et Lajoie, Mme Lepage s’est rendue à Kingston, en Ontario, pour rencontrer le personnel de la région, y compris Mme Stapleforth et Mme Lajoie. Comme on le voit dans l’ordre de convocation, l’idée à l’origine était que le rapport soit terminé en deux semaines. Au début, toutefois, Mme Lepage se demandait si ce délai serait suffisant et elle a averti ses supérieurs qu’elle réclamerait peut-être une prolongation de délai. Finalement, les interrogatoires et le rapport ont été terminés en trois semaines, ce qui comprend une prolongation d’une semaine. Mme Stapleforth a reconnu dans son témoignage qu’il s’agissait d’une courte période, mais elle était d’avis que l’enquête devait être effectuée le plus rapidement possible.

73 Dans son témoignage, Mme Lepage a décrit le processus qu’elle a utilisé pour l’enquête. Le premier jour où elle était à Kingston, elle a reçu de l’information du personnel régional et on lui a dit qu’elle devait enquêter sur le rôle des gestionnaires dans le décès de Mme Smith. Son enquête ne devait pas porter sur le décès en soi ou sur le rôle des membres du personnel; ces questions faisaient l’objet d’enquêtes distinctes. Mme Lepage et Mme Lajoie ont alors dressé une liste de personnes qu’elles jugeaient nécessaire d’interroger. La plupart de ces personnes étaient à l’EGV, mais d’autres étaient à Kingston et à Ottawa. Dans son témoignage, Mme Lepage a estimé à 80 % environ le pourcentage de personnes à interroger qui étaient déterminées dès le début, à Kingston. Les deux femmes ont aussi rédigé au cours des premiers jours les questions qui serviraient de guide pour les interrogatoires. Mme Lepage a déclaré avoir laissé ces questions à l’administration régionale après l’enquête, et elle n’était pas certaine si on les avait conservées.

74 On a communiqué par téléphone, par courriel ou en personne avec chaque personne que l’on voulait interroger afin de prévoir une date et une heure pour l’interrogatoire, et on a avisé chaque personne qu’elle pouvait se faire accompagner d’un représentant. Les interrogatoires n’ont pas été enregistrés, mais les deux enquêteuses ont pris des notes, et un résumé de ces notes a été inclus dans le rapport final. Les personnes interrogées pouvaient enregistrer l’entrevue si elles le désiraient, mais Mme Lepage ne se souvenait pas que quelqu’un l’ait fait. On a visionné les enregistrements vidéo de l’EGV, notamment l’enregistrement de l’incident ayant mené au décès de Mme Smith. On a aussi examiné des courriels. On a demandé aux personnes interrogées de fournir de l’information écrite, y compris des courriels, si elles estimaient l’information pertinente.

75 Durant le contre-interrogatoire, Mme Lepage a dit que la norme de preuve qu’elle a utilisée était la norme civile de « raisonnabilité » et qu’elle n’a pas appliqué la norme de la preuve claire et convaincante. De plus, les personnes interrogées ont eu droit à l’équité procédurale et ont eu l’occasion de répondre à l’information les concernant. Aucune des personnes interrogées n’a reçu une copie des notes prises sur son témoignage ni une version préliminaire du rapport avant sa publication. De même, Mme Stapleforth, à l’administration régionale, n’a reçu que la version définitive du rapport. Comme il est écrit dans le rapport, 21 personnes ont été interrogées. Durant le contre-interrogatoire, Mme Lepage a admis qu’aucun des membres du personnel qui travaillaient le jour du décès de Mme Smith n’a été interrogé. Elle a expliqué qu’elle avait eu accès aux rapports qu’ils avaient rédigés, mais elle a admis que ces rapports n’étaient pas énumérés dans son rapport. Elle a aussi déclaré que la question de la sécurité dans l’unité de garde en milieu fermé où Mme Smith était décédée ne faisait pas partie du cadre de son enquête.

76 Les enquêteuses ont passé une semaine à Kitchener pour interroger des personnes à l’EGV, puis elles ont interrogé d’autres personnes à Kingston et à Ottawa. La troisième et dernière semaine, elles ont passé [traduction] « 16 heures par jour, enfermées dans un bureau, à écrire le rapport », selon le témoignage de Mme Lepage.

77 Le rapport d’enquête est daté du 25 février 2008. Il s’agit d’un document volumineux dans lequel les auteures présentent plusieurs conclusions à propos de diverses personnes, dont la fonctionnaire. En gros, le rapport est divisé en deux parties, un exposé narratif et un résumé des notes prises par Mme Lepage et Mme Lajoie pendant les entrevues avec les 21 personnes. Les entrevues avec Mme Magee, Mme Dickson, Mme Fancey et la fonctionnaire concernent directement le grief dont il est question ici.

78 Je reproduis ci-dessous les parties pertinentes des notes des interrogatoires avec Mme Magee, Mme Dickson et Mme Fancey, qui se trouvent dans le rapport d’enquête :

[Traduction]

[Heather Magee]

Heather Magee, gestionnaire correctionnelle (GC), a été interrogée le 9 janvier 2008 à l’Établissement Grand Valley. Cet interrogatoire n’a pas été enregistré.

[…]

La GC [gestionnaire correctionnelle] Magee a donné au comité d’enquête un aperçu de la formation sur le recours à la force qui a été offerte par AA de l’AR de l’Ontario. Ce dernier avait dit que le comportement du personnel frôlait le recours abusif à la force parce qu’on entrait trop souvent dans la cellule pour enlever les ligatures. AA leur avait peut-être dit qu’ils avaient une minute pour entrer si la détenue Smith avait cessé de respirer. La GC Magee a dit au comité d’enquête que depuis 1997, la détenue Smith était la première détenue avec qui elle avait dû utiliser un aérosol capsique [brouillard poivré].

La GC Magee s’est dite préoccupée du fait qu’elle et d’autres membres du personnel avaient dit à maintes reprises à la direction qu’il s’agissait d’un problème de santé mentale, mais qu’on n’avait cessé de leur répéter qu’il s’agissait d’un problème de comportement. Elle a dit que lorsque la détenue Smith avait été envoyée à l’hôpital Grand River, elle n’y était pas restée, et Mme Magee estimait que cela n’avait pas amélioré la situation. Elle était d’avis que la détenue Smith avait besoin d’une intervention en santé mentale. Elle a aussi déclaré que le personnel de première ligne et les GC ne sont pas du personnel infirmier psychiatrique. À cause du stress que le personnel ressentait à s’occuper constamment de la détenue Smith, qui utilisait continuellement des ligatures, le personnel a demandé que l’on transfère certaines détenues à besoins élevés de l’EGV à un autre établissement, parce qu’il fallait s’occuper d’elles aussi et que le personnel commençait à s’épuiser.

La GC Magee a informé le comité d’enquête que si le personnel voyait que la détenue avait une ligature et entrait dans la cellule pour la lui enlever, cela était considéré comme un recours à la force. À une occasion, la CX 2 Angie Fancey était intervenue dans le cadre d’un recours à la force et avait retiré une ligature que la détenue Smith s’était nouée autour du cou. La CX 2 avait aussi remarqué la présence d’une autre ligature autour de la cuisse de la détenue et l’avait enlevée, et elle a eu des ennuis pour avoir fait cela parce qu’elle avait enfreint les droits de la détenue Smith. Les gestionnaires correctionnels recevaient continuellement des notes de la sous-directrice; « BB » qui leur soulignait les insuffisances et les avertissait de conseiller leurs employés. Des employés croyaient que les notes de BB constituaient des mesures disciplinaires. Certaines mesures disciplinaires en suspens ont été retirées par la suite lorsque des membres du personnel de l’AR et de l’AC ont examiné la vidéo de l’incident du recours à la force.

La GC Magee estimait que le comportement de la détenue Smith était un jeu qu’elle faisait pour avoir des contacts physiques. Elle a déclaré qu’on jetait le blâme sur le SCC pour ce qui arrivait, mais que tout ça avait commencé bien avant. Elle se sentait très triste que la détenue Smith ait à adopter un comportement inacceptable pour obtenir de l’attention.

Lorsqu’on lui a demandé si elle estimait qu’il y avait eu confusion parmi les membres du personnel, à savoir s’ils devaient entrer dans la cellule ou non, elle a répondu qu’on leur avait dit qu’ils entraient dans la cellule trop tôt; si la ligature était autour du cou de la détenue, mais que la détenue respirait encore, le personnel ne devait pas entrer dans la cellule. Elle a déclaré que BB et Michelle Bridgen avaient donné cette directive. Elle se souvenait d’une occasion où on l’avait appelée pour qu’elle se rende à l’unité à sécurité maximale et où Michelle Bridgen avait dit à tous « sortez, sortez », parce que la détenue respirait. La GC Magee a déclaré qu’il était courant qu’elle se rende à l’unité d’isolement s’il y avait une situation où la détenue Smith avait utilisé une ligature. Elle se souvenait qu’à une autre occasion, elle avait reçu un appel pendant qu’elle était l’agente responsable et elle s’était rendue à l’unité. La détenue Smith était entre le lit et la porte de la cellule, et les employés ne pouvaient pas la voir; la GC Magee leur avait donné l’ordre d’entrer dans la cellule. Les employés sont entrés, puis Michelle Bridgen leur a dit de sortir et a dit « elle respire, elle va bien ». Les employés sont sortis et quelques-uns ont quitté l’unité. La GC est demeurée dans l’unité d’isolement et a entendu la détenue Smith prendre quelques respirations profondes et suffoquer. À ce moment-là, la détenue Smith s’était rapprochée de la porte. La GC Magee a donné aux employés l’ordre d’entrer dans la cellule, et Michelle Bridgen a dit qu’elle était d’accord.

La GC Magee a informé le comité d’enquête qu’à la réunion après les opérations, on leur a dit qu’ils entraient trop souvent dans la cellule. Après cette réunion, les GC se sont communiqué cette directive. La GC Magee a souligné qu’elle avait très peur de ce que la détenue Smith allait faire, et elle ne savait pas comment le personnel était censé réagir. Elle a déclaré « je voulais aider la détenue Smith de toutes les fibres de mon corps ». Elle estimait que la direction ne comprenait pas le stress que les GC et le personnel de première ligne ressentaient lorsqu’ils s’occupaient continuellement de la détenue Smith.

[…]

[Nancy Dickson]

L’agente Dickson a été interrogée le 14 janvier 2008 à Kitchener, en Ontario. Cet interrogatoire n’a pas été enregistré.

Le comité d’enquête a demandé à l’agente Dickson comment, selon elle, on s’attendait à ce que le personnel réagisse lorsque la détenue Smith avait des ligatures, et si ces attentes avaient changé. L’agente Dickson a déclaré qu’elle devait entrer dans la cellule de la détenue Smith pour enlever les ligatures. À deux occasions, l’agente Dickson avait été retenue par Michelle Bridgen (qui avait mis sa main devant l’agente). La détenue Smith était près de la porte; son visage était bleu et on pouvait observer la présence de pétéchies. L’agente avait enfilé ses gants et dit qu’elle était prête à entrer dans la cellule. Michelle Bridgen avait dit non, que la détenue respirait encore et qu’elle allait bien. L’agente avait été interloquée, mais elle s’était éloignée. La détenue Smith était étendue derrière la porte de sa cellule. On l’entendait respirer avec difficulté. L’agente Dickson avait quitté l’unité et passait à côté du gymnase lorsqu’on l’a rappelée par radio pour qu’elle entre dans la cellule et enlève la ligature du cou de la détenue. Une autre fois, le GC « CC » avait dit que la détenue Smith voulait attirer l’attention et qu’il ne fallait pas entrer dans sa cellule. On leur avait dit d’observer la détenue par la fenêtre arrière (pas facile de l’observer de cette fenêtre). Les employés ont négocié avec la détenue et l’ont surveillée pendant quelques heures, et finalement sont entrés dans la cellule. CC était parti et le personnel a décidé d’entrer.

Le comité d’enquête a demandé à l’agente Dickson quelle directive elle recevait durant les réunions préparatoires au quart de travail. L’agente Dickson a répondu qu’on disait au personnel que si la détenue respirait encore, il ne fallait pas entrer dans sa cellule. Il s’agissait d’un comportement visant à attirer l’attention; il fallait donc attendre et observer. L’agente avait demandé à son supérieur d’où cette directive provenait. La réponse avait été vague, mais il semblait que la directive venait de la sous-directrice et du directeur intérimaire.

L’agente Dickson a déclaré que le GC « DD » avait indiqué que la détenue Smith présentait un risque élevé de suicide après l’incident de recours à la force du 15 octobre 2007. La directive n’a pas changé par la suite.

Le jour où les agents ont été suspendus, la sous-directrice BB a dit à l’agente Dickson qu’il était abusif de couper la ligature que la détenue Smith avait autour de la cuisse. L’agente Dickson referait la même chose aujourd’hui, connaissant les antécédents d’utilisation de ligatures de la détenue.

L’agente Dickson n’a jamais participé à la réunion suivant les opérations au cours de laquelle on aurait discuté de la détenue Smith ou des plans de gestion. Elle n’a jamais vu les plans de gestion, mais les principaux éléments étaient placés sur le tableau blanc à l’entrée des véhicules de l’unité d’isolement. Elle a eu des discussions avec CC, où elle a indiqué que cette nouvelle directive était une connerie. Elle n’était pas aussi à l’aise avec Michelle Bridgen, car elle était nouvelle. Le jour où Michelle Bridgen l’a empêchée d’entrer dans la cellule, il y a eu des discussions au sujet de la situation, et Michelle Bridgen a essayé de justifier sa décision. Environ une semaine auparavant, la sous-directrice avait indiqué que toute la situation avec la détenue Smith était une question d’auto-érotisme.

Le comité d’enquête a demandé à l’agente Dickson si elle croyait que la direction avait joué un rôle dans la mort de la détenue Smith et, le cas échéant, de quelle façon. L’agente Dickson a déclaré que pendant son premier séjour, [nom de la personne] essayait de montrer que les agents pouvaient gérer la détenue Smith de façon à l’aider à se contrôler. La plupart des rapports de situation ne correspondent pas à la réalité. On ne l’a pas renvoyée à Nova parce que les agents de l’établissement faisaient un bon travail. Pendant le deuxième séjour, les directives n’étaient pas pertinentes – ne pas entrer dans la cellule si la détenue respirait. Les agents ne savaient pas à quoi s’en tenir et avaient peur de se voir imposer des sanctions disciplinaires ou de perdre leur emploi. Les gestionnaires n’accordaient pas assez d’importance au bien-être psychiatrique de la détenue. La motivation qui guidait la direction était la réduction des incidents de recours à la force et de l’attention accordée à la détenue. L’agente Dickson a déclaré qu’elle était dégoûtée par le manque de responsabilité et l’absence de mesures contre [la fonctionnaire, « EE », BB et CC]. Le SCC protège ses gestionnaires. Le blâme retombe toujours sur ceux en bas de l’échelle. Les quatre doivent aller au bâton et admettre qu’ils ont fait des erreurs de jugement et ont donné de mauvaises directives. Depuis des années, l’EGV ne respecte pas les politiques.

[…]

L’agente Dickson a donné un exemple de la façon dont la GC intérimaire [nom de la personne] a enlevé de la caméra les enregistrements sur le recours à la force parce qu’elle n’était pas satisfaite de la façon dont elle avait mené sa séance d’information. Elle a retiré les bandes de la caméra et les a déchirées – deux fois en deux heures. À cause de cela, il y avait seulement une bande vidéo d’un incident à cette date, alors qu’il y aurait dû y en avoir trois. L’agente Dickson a demandé à la GC intérimaire [nom de la personne] ce qu’elle faisait et la GC intérimaire [nom de la personne] lui a répondu « Oh, on fait toujours ça au Pénitencier de Kingston. »

[Angelique Fancey]

Angie Fancey a été interrogée le 14 janvier 2008 à Kitchener, en Ontario. L’interrogatoire n’a pas été enregistré.

Le comité d’enquête a demandé à l’agente Fancey de décrire l’approche utilisée pour la gestion de la détenue Smith. L’agente Fancey a dit qu’au début, les agents entraient dans la cellule et enlevaient les ligatures. Lorsque les agents ont appris à connaître le comportement de la détenue, ils vérifiaient d’abord si elle respirait, si elle avait une ligature et si elle était debout sur son lit. Si elle semblait aller bien, les agents n’entraient pas. La situation a peut-être changé durant le premier séjour de la détenue à l’EGV. Durant le deuxième séjour de la détenue à l’EGV, les agents pouvaient utiliser l’aérosol capsique après lui avoir d’abord donné trois ordres directs puis ouvert la porte. Si elle n’obéissait pas aux ordres, alors les agents pouvaient utiliser le vaporisateur. La directive venait de EE parce qu’elle se trouvait à l’unité et a donné cette directive elle-même. Après cette première fin de semaine, les agents avaient utilisé le vaporisateur un certain nombre de fois, et cette approche ne semblait pas efficace; le plan a changé. L’agente Fancey a dit que les agents devaient donner trois ordres et que si la détenue n’obéissait pas, ils devaient ouvrir la porte, voir si la détenue bougeait et vérifier si elle respirait, puis refermer la porte – éviter les contacts physiques. La norme était qu’à moins qu’on ne la voie pas respirer ou bouger, il ne fallait pas entrer dans la cellule.

L’agente Fancey a déclaré que la détenue Smith nouait des ligatures autour de son cou, hyperventilait et retenait son souffle pendant des périodes de plus en plus longues. Ça devenait très angoissant. L’agente observait la détenue par la fenêtre arrière et chronométrait ses respirations – 10 à 15 à la minute. Elle ne l’avait pas vue respirer depuis plus d’une minute. Il fallait entrer, mais Michelle Bridgen a dit non. L’agente est retournée à la fenêtre; encore une fois, elle ne voyait pas la détenue respirer, et ça faisait maintenant deux minutes. L’agente est retournée voir Michelle Bridgen et d’autres agents étaient d’avis eux aussi qu’il fallait entrer; alors Michelle Bridgen a donné son accord. Michelle Bridgen est allée au poste de contrôle pour libérer un agent. Les agents ont remarqué la présence de sang sur le nez de la détenue Smith. Les quelques dernières fois, elle n’a pas opposé de résistance.

[…]

Le comité d’enquête a demandé à l’agente Fancey de décrire la formation sur le recours à la force. L’agente Fancey a répondu que AA avait indiqué qu’il y avait trop de recours à la force et a dit aux agents qu’à moins qu’ils voient que la détenue ne respire pas, ils ne devaient pas entrer dans la cellule.

[…]

79 Je reproduis aussi les notes des enquêteuses sur leur interrogatoire de la fonctionnaire, telles qu’on les trouve dans leur rapport :

[Traduction]

Michelle Bridgen a été interrogée à Kingston le 15 janvier 2007. Elle était accompagnée d’un collègue [nom de la personne]. L’interrogatoire n’a pas été enregistré.

On a demandé à Michelle Bridgen de décrire comment elle comprenait l’approche que devait utiliser le personnel à propos de l’utilisation de ligatures par la détenue Smith. Elle a dit que si la détenue Smith avait une ligature, les membres du personnel devaient essayer de la convaincre de l’enlever et de la leur remettre. Les intervenants de première ligne devaient réévaluer constamment la situation pour voir s’il y avait une menace imminente; s’ils jugeaient que oui, ils devaient entrer dans la cellule et retirer la ligature (recours à la force spontané). Ensuite, à la réunion après les opérations, on discutait du recours à la force. Chaque fois, le plan de gestion devait être examiné, puis révisé en conséquence. Les membres du personnel qui étaient présents étaient elle-même, CC ou d’autres GC qui étaient de service, le psychologue principal, le psychologue, la sous-directrice, le directeur, le chef des Services de santé, le GEI ou le GP [noms des deux personnes]. Lorsque les plans étaient modifiés, ils étaient communiqués par courriel au personnel de l’unité à sécurité maximale à partir du compte du directeur.

Mme Bridgen a informé le comité d’enquête qu’avant le 4 septembre 2007, elle avait été affectée à l’unité de sécurité maximale comme chef d’équipe, mais qu’à partir du 6 septembre 2007, elle était affectée comme gestionnaire de la Stratégie d’intervention intensive (GSII) et n’avait alors aucun rôle de supervision à l’égard du personnel. Elle ne faisait que donner des conseils au personnel, et non des directives. Elle a déclaré n’avoir jamais reçu de commentaires de la part du personnel. Elle a ajouté que les membres du personnel ne lui avaient jamais dit s’ils étaient satisfaits de cette situation ou non ou qu’ils avaient des préoccupations au sujet de la détenue Smith.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà participé à des incidents concernant la détenue Smith. Elle a répondu oui. On lui a demandé quel avait été son rôle, et elle a répondu que c’est là que son bureau était situé et qu’elle y était parfois. Elle se souvenait d’avoir été présente dans la rangée de l’isolement en tant que représentante de la direction, mais elle n’était jamais intervenue. Lorsqu’on lui a demandé quel était son rôle dans cette situation, elle a dit que son rôle était d’observer et de veiller à ce que les choses soient faites correctement. Elle se souvenait d’un incident où l’IPL [nom de la personne] était responsable de l’unité d’isolement et où les agents avaient de la difficulté à voir la détenue Smith et ont dit qu’ils allaient devoir entrer parce que la détenue s’était mise en cocon sous sa robe. Ils ont ouvert la porte et ont observé que la détenue Smith allait bien. Les agents ont quitté la rangée. Mme Bridgen est allée voir comment la détenue Smith se portait; cette dernière l’a injuriée. L’IPL [nom de la personne] est revenue dans la rangée. À ce moment, la détenue Smith respirait avec difficulté et les agents voulaient entrer dans la cellule. Mme Bridgen leur a dit de s’assurer de savoir ce qu’ils faisaient lorsqu’ils entraient dans la cellule.

Mme Bridgen a déclaré qu’elle a eu de nombreuses interactions avec les IPL Fancey et [nom de la personne] et qu’elles ont parlé de la gestion de la détenue Smith. Elles lui ont aussi parlé de la formation sur le recours à la force. Mme Bridgen leur a dit de veiller à ce que leurs rapports correspondent bien à ce qui s’était produit réellement et à ce que l’on voyait sur l’enregistrement. Elle a aussi parlé d’un autre incident (les 22 et 23 sept. 2007) où elle avait dû demeurer à Kitchener pour la fin de semaine afin d’assumer le rôle de représentante de la direction. Elle s’est rendue à l’EGV le samedi et a parlé au personnel de l’unité. On lui avait dit que son rôle consistait à réconforter le personnel. Le directeur intérimaire lui avait demandé de veiller à ce que les membres du personnel se sentent bien, et elle avait pensé que c’était probablement parce qu’il y avait eu beaucoup de situations où l’on avait recouru à la force.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà eu des discussions avec la direction à propos du fait que la détenue Smith utilisait de plus en plus souvent des ligatures. Elle a répondu qu’elle était au courant de cette situation, mais qu’elle ne se souvenait pas d’avoir eu des discussions à ce sujet. Selon ce qu’elle comprenait, le personnel devait entrer dans la cellule s’il y avait un danger imminent. Elle a dit que tous pensaient que le risque était de plus en plus grand et qu’il fallait être plus vigilant. Elle a dit que « FF » a rédigé quelques contrats de comportement pour la détenue Smith et que ces contrats avaient été utilisés avant et après le déplacement de la détenue Smith à la sous-unité. Certains jours, la détenue Smith se comportait bien, et d’autres jours c’était différent. Elle a aussi déclaré que quand la détenue Smith ne nouait qu’une seule ligature autour de son cou pendant la journée, c’était une bonne journée. Elle n’a pas participé à la formation sur le recours à la force. Elle a toutefois parlé avec l’IPL [nom de la personne] après la formation, et les membres du personnel étaient préoccupés parce qu’on leur avait donné des conseils sur la façon de remplir leurs rapports; cependant, les jours où les membres du personnel intervenaient pour de nombreux incidents avec la détenue Smith, il était difficile de séparer tous ces incidents.

Mme Bridgen a indiqué que lorsqu’elle avait des discussions avec le personnel à propos des interventions dans la cellule de la détenue Smith, il était question de ce que les agents feraient s’ils entraient dans la cellule. Mme Bridgen leur a dit que si une personne prend toujours la détenue par le bras droit, alors cette personne peut prévoir lorsqu’elle commence son quart de travail de toujours prendre son bras droit, et que si la détenue doit être menottée, il faut noter pourquoi on l’a menottée. Elle a dit aux membres du personnel que leurs rapports devaient expliquer pourquoi ils avaient fait ce qu’ils avaient fait.

Lorsqu’on lui a demandé s’il avait été question durant les discussions d’autres dispositifs de contrainte, elle a dit se souvenir qu’une fois, le directeur intérimaire « GG » avait fait appel à l’EPIU deux fois et qu’on avait soumis la détenue Smith à une fouille à nu pour lui enlever les morceaux de verre qu’elle avait sur elle, et elle avait noué une ligature autour de son cou et son visage bleuissait. Le directeur intérimaire GG avait autorisé l’utilisation de la chaise, mais le temps de recevoir l’approbation, la détenue Smith s’était endormie. Lorsqu’on lui a demandé si elle avait déjà participé aux tentatives faites pour obtenir différentes sortes de robes pour la détenue Smith, elle a dit qu’elle avait fait l’essai d’une robe en papier, mais cette robe contenait des fibres sur toute sa longueur et c’était pire que la robe de sécurité, car la détenue aurait pu s’en servir pour fabriquer des ligatures.

Mme Bridgen a déclaré que lorsqu’il y avait recours à la force, on en discutait à la réunion suivante sur les opérations, et puis encore à la réunion après les opérations. On essayait de voir pourquoi la détenue se comportait ainsi et comment on pourrait la gérer. Quand on lui a demandé si elle était au courant que la détenue Smith représentait un risque élevé de suicide, elle a dit que non, car elle était à Ottawa, en formation, la semaine précédant le 19 octobre 2007. Elle a ajouté que le protocole de gestion ne s’appliquait pas et que c’est la raison pour laquelle les plans de gestion ont été créés.

Lorsqu’on lui a demandé de décrire son rôle en tant que GSII, elle a répondu que ce nouveau rôle était plus axé sur les programmes et comprenait aussi l’environnement de garde en milieu fermé. Elle devait s’assurer que les détenues suivaient le plan opérationnel et elle travaillait auprès des détenues de l’unité à sécurité maximale pour qu’elles puissent passer au niveau de sécurité moyenne. Elle a déclaré que la détenue Smith ne faisait pas l’objet d’un protocole de gestion et que l’EGV n’utilisait pas réellement la TCD, mais plutôt des concepts de la TCD. Elle a expliqué que l’on avait essayé plusieurs choses pour aider la détenue Smith, comme la peinture d’un ours en peluche, les appels téléphoniques à ses parents, l’achat de livres audio, la radio ou la télévision à l’extérieur de sa cellule, du papier et des crayons à dessiner qu’elle devait rendre. Lorsqu’on lui a demandé qui décidait ce que la détenue Smith pouvait ou ne pouvait pas faire, elle a répondu que cette information provenait des contrats de comportement et que si la détenue Smith se comportait bien, elle pouvait choisir ce qu’elle voulait faire. Les IPL qui travaillaient dans l’unité à sécurité maximale avaient la responsabilité de lui remettre des récompenses. Les plans de gestion ont été établis par la sous-directrice BB, avec la collaboration du directeur, du service de psychologie et des gestionnaires correctionnels.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà eu des conversations à propos de ce qui serait considéré comme une urgence médicale. Elle a dit que c’est l’agent qui décidait à quel moment il fallait entrer dans la cellule ou non, après avoir constamment réévalué la détenue. Les membres du personnel devaient évaluer si la détenue respirait, marchait, parlait, si la ligature était serrée, et il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise décision. Mme Bridgen a dit aux membres du personnel que cela « mettra à l’épreuve vos convictions », car il est humain de vouloir entrer immédiatement dans la cellule, et elle leur a expliqué que si un membre du personnel était posté depuis 12 heures dans l’aire d’isolement et qu’il avait besoin d’une pause à cause des nombreux incidents mettant en cause la détenue Smith, il n’en était pas un moins bon agent pour ça et devait dire qu’il était fatigué et avait besoin d’une pause. Elle leur a dit aussi que s’ils entraient dans la cellule, ils devaient avoir un plan et toujours assurer leur propre sécurité.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà dit à une agente de ne pas entrer dans la cellule, ce à quoi elle a répondu par la négative. Elle se souvenait d’une fois où elle avait parlé avec l’IPL [nom de la personne] et que cette dernière voulait entrer, mais Mme Bridgen lui avait dit que l’IPL [nom de la personne] était la personne responsable de l’unité d’isolement et que c’était lui qui devait prendre la décision, et ils sont entrés deux fois dans la cellule. Elle se sentait à l’aise avec la directive donnée au personnel. Elle a déclaré que cette fois-là, elle était demeurée dans la rangée environ sept minutes seulement.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle se souvenait d’avoir relevé un agent dans le poste de contrôle de l’unité à sécurité maximale pour une intervention suivant un incident. Elle a répondu que oui, mais elle ne se souvenait pas des événements et a ajouté qu’elle n’avait plus accès à l’information. Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà dit « tant que la détenue respire encore, vous n’avez pas à entrer »; elle a répondu que oui, mais qu’elle ajoutait toujours quelque chose. Si les membres du personnel faisaient les rangées et que la détenue Smith était cachée sous sa robe et qu’ils ne pouvaient pas la voir, alors ils devaient entrer dans la cellule et évaluer la situation. Elle a dit qu’elle n’avait jamais participé à une discussion concernant le retrait des ligatures de la détenue Smith. Mme Bridgen a informé le comité d’enquête qu’elle n’avait pas non plus participé à des discussions sur d’autres dispositifs de contrainte et qu’elle n’avait parlé à aucun IPL des dispositifs de contrainte.

Le comité d’enquête a questionné Mme Bridgen à propos des conditions de détention de la détenue Smith. Elle a répondu qu’on ne donnait pas de couvertures à la détenue Smith, parce qu’elle les utilisait pour fabriquer des ligatures. Elle était au courant que la détenue Smith se servait du papier hygiénique pour recouvrir la caméra et elle savait qu’on lui en donnait une quantité limitée, mais elle ne savait pas qui déterminait, et de quelle façon, la quantité de papier qu’on remettait à la détenue. Mme Bridgen a informé le comité d’enquête que lorsqu’elle avait été nommée GSII, elle avait continué à faire des rondes dans l’unité d’isolement et à signer le journal d’isolement jusqu’à ce qu’on détermine qui avait la responsabilité de ces tâches, car c’est elle qui, en tant que chef d’équipe, exécutait ces tâches auparavant. Elle a déclaré qu’elle devait faire rapport sur toute situation préoccupante; cependant, a-t-elle ajouté, elle n’a jamais soulevé de problèmes auprès du directeur ou de la sous-directrice à la suite de ses rondes dans l’unité d’isolement.

Mme Bridgen a déclaré qu’après s’être procuré des morceaux de verre, la détenue Smith fabriquait continuellement des ligatures, alors qu’auparavant, le personnel pouvait contrôler combien de ligatures elle avait en sa possession. Mme Bridgen croyait que la détenue Smith avait fait de bons progrès pendant environ une semaine, puis elle a été déplacée à la sous-unité et, à ce moment-là, elle a abandonné sa dernière ligature. Son déplacement vers la sous-unité était un plan de Mme Bridgen. Elle en avait discuté avec l’IPL Fancey et [nom de la personne], qui en ont ensuite parlé avec leurs pairs. À leur retour, ils ont informé Mme Bridgen qu’ils étaient tous d’accord. Ensuite, Mme Bridgen a présenté le plan au directeur intérimaire, à la sous-directrice, aux GC, au psychologue principal et au chef des Services de santé. Tous se demandaient si ce déplacement n’était pas trop précoce; certains pensaient qu’il fallait courir le risque, d’autres croyaient qu’il ne le fallait pas. Finalement, c’est le directeur intérimaire qui devait prendre la décision, et il a donné son approbation.

Mme Bridgen a déclaré au comité d’enquête qu’elle ne se souvenait pas de discussions sur les urgences médicales durant les réunions sur les opérations ou les réunions après les opérations. Elle a ajouté qu’elle n’avait pas participé non plus à des discussions sur le nombre trop élevé de recours à la force. Elle a dit qu’elle n’avait pas participé à des discussions opérationnelles. Elle a dit qu’elle avait assisté à une séance de formation sur la TCD/EED, mais qu’elle ne l’avait pas suivie au complet.

Mme Bridgen a parlé au comité d’enquête de sa frustration à propos des conditions de détention des délinquantes et du manque d’établissements pour les femmes. Elle était frustrée à propos du processus de transfèrement des détenues et a souligné qu’on leur avait dit que la détenue Smith était transférée à l’EGV parce que l’Établissement Nova avait besoin d’une pause. Le directeur intérimaire avait dit qu’à cause d’une prise d’otages survenue récemment à Nova, l’établissement n’avait pas suffisamment de personnel pour surveiller la détenue Smith. Selon Mme Bridgen, la détenue Smith aurait dû rester à Nova, vu sa mise en liberté imminente. Elle a dit que le Secteur des délinquantes à l’AC avait examiné les plans de gestion.

L’interrogatoire s’est terminé, et environ 10 minutes plus tard, Mme Bridgen est revenue pour donner au comité d’enquête d’autres renseignements. Elle a dit que ce samedi-là, lorsque le directeur intérimaire lui avait demandé de rentrer au travail et de parler avec le personnel, elle avait le sentiment que ce n’était pas là son rôle, étant donné qu’elle ne supervisait pas de personnel, mais le directeur intérimaire GG et la directrice intérimaire EE l’avaient choisie en raison de son expérience au SCC. Elle a indiqué qu’elle avait continué à dire que ce n’était pas son rôle, mais qu’on lui avait ordonné de rester à Kitchener pour la fin de semaine.

Durant cet incident, c’était la première fois que la détenue Smith avait le visage bleu. Le GC [nom de la personne] était l’agent responsable et Mme Bridgen avait rencontré le personnel et passé en revue avec lui le modèle CAPRA et le MGS. Les employés l’ont remerciée et Mme Bridgen estimait qu’ils voulaient seulement savoir s’ils agissaient correctement. Les employés lui ont posé d’autres questions sur les choses à faire dans différentes situations, et Mme Bridgen a expliqué le concept de danger imminent ainsi que leur rôle. Les employés se demandaient s’ils devaient entrer dans la cellule. La GC [nom de la personne] a dit que chaque fois que le visage de la détenue était bleu, elle entrait dans la cellule. Mme Bridgen a dit à la GC [nom de la personne] que c’était correct, mais qu’il fallait être capable de justifier pourquoi on était entré et savoir à l’avance ce qu’on allait faire dans la cellule et avoir un plan. Lorsqu’on lui a demandé si elle croyait que les employés étaient peut-être mêlés, elle a dit qu’elle ne croyait pas qu’il y avait de la confusion, car les employés hochaient la tête et la remerciaient de son explication. Elle leur a dit que prendre la décision d’entrer dans la cellule impliquait plusieurs choses, qu’ils devaient savoir pourquoi ils entraient. Selon elle, c’était ça que les employés avaient besoin de savoir.

E. Le rapport d’enquête

80 Le rapport d’enquête préparé par Mme Lepage et Mme Lajoie, intitulé [traduction] « Enquête disciplinaire sur la gestion de la détenue Ashley Smith […] 31 août 2007 – 19 octobre 2007 », est daté du 25 janvier 2008. Malgré son titre, le rapport ne contient aucune conclusion sur les mesures disciplinaires. Comme il est indiqué plus haut, Mme Lepage a déclaré qu’elle savait que des mesures disciplinaires pourraient être prises en fonction des conclusions du rapport, mais que ce serait une autre personne qui déciderait de ces mesures.

81 Le rapport concluait que le long passé de comportement d’automutilation de Mme Smith était un signe précurseur. Aussi, les plans de gestion en place, combinés avec l’ordre de permettre à Mme Smith de fabriquer des ligatures, de les utiliser et de les garder, représentaient [traduction] « un facteur de risque immédiat et proximal que les plans de gestion ne traitaient pas adéquatement ». Le rapport concluait également que les évaluations psychologiques et leurs résultats, présentés lors d’une comparution de Mme Smith devant les tribunaux juste avant le 19 octobre 2007, étaient des signes précurseurs. De même, la menace de Mme Smith de se suicider pendant le quart d’un agent en particulier était un signe précurseur. Pour ce qui est de la communication au sein de la direction, le rapport concluait que la communication était mauvaise, et que tous les membres de l’équipe de direction étaient à blâmer.

82 Je reproduis des extraits du rapport d’enquête se rapportant à la fonctionnaire et à certaines des discussions et des conclusions générales des enquêteurs qui sont pertinentes au regard de la présente procédure d’arbitrage :

[Traduction]

[…]

c. Le bien-fondé et la pertinence des communications entre le personnel de première ligne et la direction – gestionnaires intermédiaires et gestionnaires supérieurs – et entre les gestionnaires supérieurs à l’EGV, en ce qui concerne la gestion d’Ashley Smith du 31 août au 19 octobre 2007.

[…]

Les communications de la direction avec son personnel et les communications parmi les membres de l’équipe de direction, du 31 août au 19 octobre 2007, portaient principalement sur la gestion d’Ashley Smith. Ce sujet était dominant dans les séances d’information pendant les réunions du matin sur les opérations, les réunions après les opérations, les réunions de l’équipe interdisciplinaire, les réunions sur les plans de gestion, les examens du recours à la force et de nombreuses discussions individuelles et en petits groupes.

Les GC et les IPL qui ont été interviewés ont tous mentionné un changement dans la stratégie de gestion concernant Mme Smith et son utilisation de ligatures pendant son séjour.

La première fin de semaine après son arrivée, on a dû intervenir plusieurs fois et utiliser la force pour retirer des ligatures à Mme Smith. Selon un examen des bandes vidéo sur les situations de recours à la force et selon des renseignements obtenus en entrevue, le personnel et les GC semblaient avoir appliqué une approche consistant à entrer rapidement dans la cellule de Mme Smith pour retirer les ligatures si on ne la voyait pas ou si son visage était bleu, ce qui pouvait nécessiter un recours à la force. Les IPL qui étaient en poste cette fin de semaine-là ont indiqué qu’EE était sur les lieux et avait approuvé l’utilisation d’aérosol capsique pour retirer les ligatures. EE a indiqué qu’elle était sur les lieux et qu’elle se souvenait d’une discussion générale où on disait que l’aérosol capsique était un outil ou une option disponible au besoin, mais elle ne se rappelait pas avoir donné une directive précise. Les agents ont utilisé l’aérosol capsique dans leurs interventions quand Mme Smith devenait agressive (elle se jetait sur un agent et essayait de mordre le personnel ou de cracher sur le personnel) ou si elle refusait d’obéir quand on lui ordonnait de retirer les ligatures. Les agents trouvaient qu’il était important d’utiliser la force pour couper les ligatures, car le comportement d’automutilation de Mme Smith mettait sa vie en danger, comme le démontrent les signes qu’ils ont décrits : difficulté à respirer et visage bleu. L’examen ultérieur de la documentation sur le recours à la force par le directeur, le 6 septembre 2007, a révélé ce qui suit :

Documentation no 1 : « Il ne semble pas qu’il y ait eu une raison d’entrer dans la cellule, car la détenue parlait et se tenait debout devant la fenêtre. Il ne semblait pas y avoir d’urgence médicale, et les agents ne se sont pas retirés pour réévaluer la situation avant d’entrer dans la cellule. »

Documentation no 2 : « Il ne semble pas que l’aérosol capsique était la mesure la moins restrictive que pouvait prendre le personnel dans cette situation. Le personnel ne s’est pas retiré pour réévaluer la situation avant d’entrer dans la cellule. »

La sous-directrice a ordonné aux GC de tous les employés impliqués de conseiller ces employés et de leur expliquer les procédures adéquates.

Le directeur intérimaire et la sous-directrice ont répété à maintes reprises aux intervieweuses qu’ils ont toujours dit clairement aux employés et aux gestionnaires qu’ils devaient « utiliser leur propre jugement » pour déterminer quand entrer dans la cellule de Mme Smith pour retirer les ligatures. BB a déclaré avoir dit aux gestionnaires que si on ne voyait pas Mme Smith ou si elle semblait en détresse, il fallait ouvrir la porte de sa cellule, vérifier son état, suivre le Modèle de gestion de situations et évaluer, puis réévaluer la situation. Un courriel envoyé le 10 octobre 2007 par BB aux GC, à Michelle Bridgen (GSII) et à [nom de la personne] (commis de la sous-directrice), indiquait ce qui suit :

« Quelques-uns des enregistrements vidéo montrent des situations où votre personnel suit le plan de gestion et ouvre la porte de la cellule d’Ashley de six pouces pour voir la détenue et déterminer si elle est en sécurité et si elle respire. Il semble toutefois que lorsqu’Ashley se met à parler ou à se relever, le personnel ne fait pas de réévaluation de la situation. Vous devez assister votre personnel et communiquer avec lui pour lui faire comprendre qu’il faut respecter le Modèle de gestion de situations, et pour qu’il prenne garde à cette grave violation de la politique. »

En plus des directives écrites (courriels ainsi que commentaires et notes sur le recours à la force), le personnel et les gestionnaires recevaient une rétroaction verbale directe du directeur intérimaire, de la sous-directrice, de la GSII Bridgen et de CC. Voici un extrait des échanges décrits au comité pendant l’enquête :

On a demandé à la GC Heather Magee si elle estimait qu’il y avait eu confusion parmi les membres du personnel quant à savoir s’ils devaient entrer dans la cellule ou non, et elle a répondu qu’on leur avait dit qu’ils entraient dans la cellule trop tôt; si la ligature était autour du cou de la détenue, mais que la détenue respirait encore, le personnel ne devait pas entrer dans la cellule. Elle a déclaré que la sous-directrice et Michelle Bridgen avaient donné cette directive. Elle se souvenait d’une occasion où on l’avait appelée pour qu’elle se rende à l’unité à sécurité maximale et où Michelle Bridgen avait dit à tous « sortez, sortez », parce que la détenue respirait. La GC Magee a déclaré que c’était sa pratique courante de se rendre à l’unité d’isolement s’il y avait une situation où la détenue Smith avait utilisé une ligature. Elle se souvenait qu’à une autre occasion, elle avait reçu un appel pendant qu’elle était l’agente responsable et elle s’était rendue à l’unité. La détenue Smith était entre le lit et la porte de la cellule, et les employés ne pouvaient pas la voir; la GC Magee leur avait donné l’ordre d’entrer dans la cellule. Les employés sont entrés, puis Michelle Bridgen leur a dit de sortir et a dit « elle respire, elle va bien ». Les employés sont sortis et quelques-uns ont quitté l’unité. La GC est demeurée dans l’unité d’isolement et a entendu la détenue Smith prendre quelques respirations profondes et suffoquer. À ce moment-là, la détenue Smith s’était rapprochée de la porte. La GC Magee a donné aux employés l’ordre d’entrer dans la cellule, et Michelle Bridgen a dit qu’elle était d’accord.

La GC Magee a relaté un autre incident où la détenue Smith avait une ligature autour du cou. Son visage bleuissait. Elle était étendue dans un coin et bougeait les pieds. Les vaisseaux sanguins de son visage ont éclaté, ce qui à ce moment-là avait effrayé la GC Magee. Le personnel est entré immédiatement dans la cellule et a retiré la ligature. La GC Magee a ensuite parlé à la détenue Smith pour lui expliquer les dommages qu’elle pouvait infliger à son corps. La détenue Smith a refait la même chose deux heures plus tard. Après ces incidents, la GC Magee a communiqué avec BB pour la mettre au courant, et elle a informé BB qu’elle sentait que la détenue Smith « faisait monter les enchères » et que la situation devenait dangereuse. BB a dit à la GC Magee que le personnel avait attendu trop longtemps avant d’entrer. La GC Magee a indiqué au comité d’enquête qu’ils étaient perdants quoi qu’ils fassent.

Le comité d’enquête a demandé à la GC [nom de la personne] si le plan ou la stratégie concernant l’utilisation de ligatures par la détenue avait changé. La GC [nom de la personne] a répondu qu’aucun changement notable n’avait été apporté aux plans de gestion et qu’on s’inquiétait de l’usage fréquent de la force. Elle a indiqué qu’elle avait rencontré personnellement EE pour discuter du fait que de nombreux employés avaient été blessés. EE a indiqué à la GC [nom de la personne] qu’elle voulait qu’on fasse plus d’encadrement. Le personnel devait ouvrir la porte pour évaluer la situation et déterminer si elle était gérable, puis il devait se retirer et réévaluer la situation. La GC [nom de la personne] a relaté un incident survenu le 22 septembre 2007, alors qu’elle était l’agente responsable. À 10 h 10, le personnel est entré dans la cellule. La détenue Smith était debout, mais son visage était bleu. Le personnel a donc coupé la ligature. BB a jugé que ce geste représentait un usage excessif de la force, car il n’y avait pas d’urgence médicale. BB lui a dit au téléphone qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir si la détenue respirait, et qu’elle s’exposait à des mesures disciplinaires si elle intervenait. La GC [nom de la personne] a informé le comité d’enquête qu’elle avait dit à BB qu’elle ne suivrait pas cet ordre.

Le comité d’enquête a demandé à [nom de la personne] quelle était l’approche de la direction pour le traitement de la détenue Smith et de son utilisation de ligatures. Il a répondu qu’il y avait eu de nombreuses discussions à ce sujet et que ces discussions étaient axées sur une approche réactive. Il ne croyait pas qu’il avait été question d’une approche proactive. Il a mentionné que la GC Magee lui avait transmis une directive de BB qui disait que si la détenue Smith avait des ligatures sous sa robe, il ne fallait pas les enlever, même si on pouvait les voir, car ce geste représentait une atteinte à la vie privée de la détenue Smith. Il a ajouté que BB l’avait appelé directement pour s’assurer qu’il comprenait cette directive. Il a déclaré avoir dit à BB qu’il pensait que la détenue Smith ne devrait pas porter cette robe, car elle était considérée comme modifiée et il est interdit aux détenues de posséder des choses modifiées. Il croyait se rappeler que cette discussion était survenue en octobre 2007.

CM/C a informé le comité d’enquête que pendant les premières semaines après l’arrivée de la détenue Smith, le personnel réagissait toujours et se rendait à sa cellule, mais après que la haute direction a examiné plusieurs ensembles de documents sur le recours à la force, la directive était désormais d’évaluer la situation. On nous a dit qu’on avait trop recours à la force et qu’on devait se retirer pour réévaluer la situation. CM/C a déclaré qu’il avait en sa possession un courriel du 10 octobre 2007 contenant des directives à l’intention du personnel.

L’IPL [nom de la personne] a déclaré que les directives sur la question de savoir s’il fallait entrer ou non dans la cellule provenaient surtout de CC. Pendant l’incident du 15 octobre 2007, la directive est venue de DD. L’IPL [nom de la personne] a indiqué que CC ouvrait la porte, puis la refermait quand il voyait la détenue Smith bouger. Il ne vérifiait pas l’état de la détenue.

L’IPL [nom de la personne] a déclaré que la détenue était sous surveillance constante et que les agents devaient se retirer, réévaluer la situation et vérifier si la détenue respirait. Il était difficile de voir si la détenue respirait, car elle réussissait bien à se cacher sous sa robe. L’IPL a déclaré que les agents de première ligne « pouvaient voir que la situation empirait, mais les gestionnaires leur donnaient l’ordre d’attendre ».

L’IPL Fancey a déclaré que la directive de la direction était initialement d’entrer dans la cellule et de couper les ligatures. Après qu’on a compris un peu son comportement, on nous a dit de vérifier d’abord si elle respirait. Si elle avait une ligature et se tenait debout sur son lit et allait bien, il n’y avait pas lieu d’entrer. On pouvait utiliser un aérosol capsique. Il fallait lui donner trois ordres directs et, si elle n’obéissait pas, ouvrir la porte et utiliser l’aérosol. La directive venait d’EE; elle était à l’unité et a donné cette directive elle-même. Les agents ont utilisé l’aérosol plusieurs fois pendant la première fin de semaine. On s’est ensuite rendu compte que ce n’était pas efficace, et le plan a changé.

L’agente Fancey a déclaré que la détenue Smith nouait des ligatures autour de son cou, hyperventilait et retenait son souffle pendant des périodes de plus en plus longues. Ça devenait très angoissant. L’agente observait la détenue par la fenêtre arrière et chronométrait ses respirations – 10 à 15 à la minute. Elle ne l’avait pas vue respirer depuis plus d’une minute. Il fallait entrer, mais Michelle Bridgen a dit non. L’agente est retournée à la fenêtre; encore une fois, elle ne voyait pas la détenue respirer, et ça faisait maintenant deux minutes. L’agente est retournée voir Michelle Bridgen et d’autres agents étaient d’avis eux aussi qu’il fallait entrer; alors Michelle Bridgen a donné son accord. Michelle Bridgen est allée au poste de contrôle pour libérer un agent.

L’IPL Fancey a relaté un autre incident (9 octobre 2007) où elle a dû tenir la tête de la détenue Smith après que des ligatures avaient été coupées. La détenue saignait pas mal du nez, avait de la difficulté à respirer et avait mal à la gorge, mais les Services de santé ne semblaient pas prendre la situation au sérieux. Elle a entendu que la réponse de la direction était qu’il fallait être plus vigilant. Les Services de santé n’ont même pas regardé la gorge de la détenue pour savoir quel genre de dommage elle s’infligeait. La chef des Services de santé, [nom de la personne], était parmi les intervenants, et elle a seulement vérifié si la détenue respirait, puis elle est partie et a envoyé une autre infirmière, [nom de la personne], pour nettoyer le sang.

L’IPL Fancey avait compris que l’objectif quand on entrait dans la cellule de la détenue Smith était de retirer la ligature et de sortir rapidement. Il ne fallait pas rester plus longtemps que nécessaire, car la détenue aimait avoir de l’attention.

L’IPL Fancey a déclaré que si le GC Broadbent ou la GSII Bridgen était à l’unité, la directive changeait parfois en cours de quart comparativement à ce que l’agent responsable avait dit. Elle a donné comme exemple une fois où elle avait de la difficulté à déterminer si la détenue respirait, car celle-ci était sous sa couverture. Elle voulait entrer dans la cellule, mais CC a vérifié et lui a dit qu’il ne fallait pas entrer, parce que la détenue respirait.

L’agente Dickson a déclaré au comité qu’elle devait entrer dans la cellule de la détenue Smith pour enlever les ligatures. À deux occasions, elle se rappelait que Michelle Bridgen l’avait retenue (en mettant sa main devant l’agente). Elle a précisé qu’elle travaillait alors dans l’aire d’admission et de libération et qu’on lui a demandé d’intervenir dans l’unité à sécurité maximale. Lorsqu’elle est arrivée, la détenue Smith était près de la porte de sa cellule; son visage était bleu et on pouvait observer la présence de pétéchies. L’agente a enfilé ses gants et dit qu’elle était prête à entrer dans la cellule. Michelle Bridgen a dit non, que la détenue respirait encore et qu’elle allait bien. L’agente était interloquée, mais elle s’est éloignée. La détenue Smith était étendue derrière la porte de sa cellule. On l’entendait respirer avec difficulté. L’agente Dickson a quitté l’unité d’isolement et passait à côté du gymnase lorsqu’on l’a rappelée par radio pour qu’elle entre dans la cellule et enlève la ligature du cou de la détenue. Une autre fois, CC a dit que la détenue Smith voulait attirer l’attention et qu’il ne fallait pas entrer dans sa cellule. CC leur a dit d’observer la détenue par la fenêtre arrière (ce qui n’est pas facile). Les employés ont négocié avec la détenue et l’ont surveillée pendant quelques heures, et finalement sont entrés dans la cellule après le départ de CC.

L’agente Dickson a déclaré que, durant les réunions préparatoires au quart de travail par un GC (on ne sait pas lequel), on lui a dit que si la détenue Smith respirait encore, il ne fallait pas entrer dans sa cellule, parce qu’il s’agissait d’un comportement visant à attirer l’attention; il fallait donc attendre et observer. L’agente avait demandé à son supérieur d’où cette directive provenait. La réponse était vague, mais il semblait que la directive venait de la sous-directrice et du directeur intérimaire. L’agente Dickson a affirmé que la directive n’a pas changé, même après que DD a déclaré que la détenue Smith représentait un risque élevé de suicide (un peu après le recours à la force du 15 octobre 2007, selon l’agente Dickson).

En réaction à ce témoignage, le comité d’enquête a demandé à CC, à la GSII Bridgen, à BB et à EE s’ils se rappelaient les incidents susmentionnés ou toute discussion connexe avec le personnel.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà eu des conversations à propos de ce qui serait considéré comme une urgence médicale. Elle a dit que c’est l’agent qui décidait à quel moment il fallait entrer dans la cellule ou non, dans le cadre du processus de réévaluation continue de la détenue. Les membres du personnel devaient évaluer si la détenue respirait, marchait, parlait, si la ligature était serrée, et il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise décision. Mme Bridgen a dit aux membres du personnel que cela « mettra à l’épreuve vos convictions », car il est humain de vouloir entrer immédiatement dans la cellule, et elle leur a expliqué que si un membre du personnel était posté depuis 12 heures dans l’aire d’isolement et qu’il avait besoin d’une pause à cause des nombreux incidents mettant en cause la détenue Smith, il n’en était pas un moins bon agent pour ça et devait dire qu’il était fatigué et avait besoin d’une pause. Elle leur a dit aussi que s’ils entraient dans la cellule, ils devaient avoir un plan et toujours assurer leur propre sécurité.

Le comité d’enquête a demandé à Mme Bridgen si elle avait déjà dit à un agent de ne pas entrer dans la cellule, et elle a répondu que non.

Mme Bridgen a informé le comité d’enquête qu’avant le 4 septembre 2007, elle était affectée à l’unité de sécurité maximale comme chef d’équipe, mais qu’à partir du 6 septembre 2007, elle était affectée comme gestionnaire de la Stratégie d’intervention intensive (GSII) et n’avait alors aucun rôle de supervision à l’égard du personnel. Elle ne faisait que donner des conseils au personnel, et non des directives. Elle a déclaré n’avoir jamais reçu de commentaires de la part du personnel. Elle a ajouté que les membres du personnel ne lui avaient jamais dit s’ils étaient satisfaits de cette situation ou non ou qu’ils avaient des préoccupations au sujet de la détenue Smith.

BB et EE ont déclaré lors de leur entrevue respective qu’il incombait aux agents de l’unité d’isolement de déterminer quand il convenait d’intervenir. Le comité d’enquête croit que la rétroaction que ces agents et les GC ont reçue plus tard ne leur offrait aucun appui, même quand ils ont documenté clairement les risques associés au comportement de la détenue et les conséquences de ce comportement ou les signes d’urgence médicale (visage bleu, difficulté à respirer, sang, visage enflé et pétéchies).

CONCLUSION C2

BB, la GSII Bridgen et CC ont donné aux GC et aux IPL la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith tant que cette dernière respirait encore.

La directive était fondée sur la rétroaction d’EE aux gestionnaires susmentionnés : elle croyait que les agents utilisaient une force excessive à l’endroit de Mme Smith et que leurs interventions n’étaient pas conformes au Modèle de gestion de situations.

La directive, qui traduisait l’opinion d’EE, était bien connue parmi le personnel et les gestionnaires de l’EGV, et EE n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour clarifier ce qu’elle qualifie aujourd’hui de malentendu, de problème de communication ou de mauvaise interprétation de sa directive.

La directive d’EE et les mesures de suivi prises par BB, la GSII Bridgen et CC ont contribué à ce que le personnel et les GC croient qu’ils ne devaient pas entrer dans la cellule de Mme Smith tant que cette dernière respirait encore.

d. Si les gestionnaires ont respecté leur obligation de veiller à ce que le personnel soit bien formé et outillé et qu’il reçoive l’information et la supervision nécessaires pour exécuter ses responsabilités principales.

[…]

Surveillance

Un gestionnaire correctionnel est posté à l’unité de garde en milieu fermé pendant la semaine, à raison de 250 jours par année, pour assurer une supervision constante et guider le personnel de première ligne affecté à l’unité. Pour les quarts de soir et de fin de semaine, l’agent responsable faisant office de GC est affecté au bureau de service du GC. Il est chargé d’assurer la surveillance et de guider les employés pendant les rondes à l’unité, les appels téléphoniques et les interactions avec le personnel de l’unité.

Avant le 4 septembre 2007, il y avait un chef d’équipe à l’unité de garde en milieu fermé, mais après le 4 septembre 2007, ce poste a été supprimé, et le poste de gestionnaire de la Stratégie d’intervention intensive (GSII) a été créé. Le bureau du GSII est situé dans l’unité de garde en milieu fermé. Cependant, depuis le 4 septembre 2007, ce poste n’a plus de rapport hiérarchique direct avec le personnel de l’unité.

Le directeur et la sous-directrice ont effectué les rondes obligatoires à l’unité de garde en milieu fermé et, selon l’information obtenue par le comité d’enquête, à ces occasions, le directeur intérimaire répondait à des questions directes des employés, les guidait et leur donnait au besoin de la rétroaction sur certains points.

[…]

e. Si les gestionnaires ont donné des directives appropriées et pertinentes pour ce qui est de la gestion des urgences médicales.

DC 800 – Services de santé

S’assurer que les détenus ont accès aux services médicaux, dentaires et de santé mentale essentiels, conformément aux pratiques généralement admises dans la collectivité.

3. Urgence médicale : blessure ou état pathologique qui présente une menace immédiate pour la santé ou la vie d’une personne et requiert une intervention médicale.

Les gestionnaires de l’EGV, y compris tous les GC, le chef des Services de santé, le psychologue principal, Mme Bridgen, BB et EE, savaient tous que le problème d’utilisation de ligatures de Mme Smith s’était aggravé depuis que la détenue était revenue dans une cellule d’isolement après un court séjour (deux jours) à la sous-unité, où elle avait fracassé l’écran de son téléviseur.

La documentation sur le recours à la force contient de nombreux RODA et documents qui décrivent la détérioration de la situation et les blessures physiques de plus en plus graves que s’infligeait la détenue Smith. Le risque que représentait le comportement de la détenue est devenu un « risque très élevé de suicide » (voir l’évaluation psychologique du 12 octobre 2007 effectuée par FF) après sa comparution devant un tribunal extérieur le 12 octobre 2007.

Les employés et les gestionnaires qui ont été interviewés ont déclaré que la haute direction (CC, Michelle Bridgen, BB et EE) ont indiqué clairement pendant les réunions du matin sur les opérations, pendant les réunions après les opérations et lors de discussions individuelles, qu’ils croyaient que les agents devaient se retirer et réévaluer la situation, et qu’ils ne devaient pas être si pressés d’utiliser la force pour enlever les ligatures si Mme Smith n’était pas en détresse. Cette directive a été transmise aux employés (les IPL) et aux gestionnaires (les GC) lors des réunions préparatoires au quart de travail.

Un examen de la documentation sur le recours à la force a permis de confirmer que le directeur intérimaire et la sous-directrice étaient d’avis que le fait d’intervenir en utilisant la force pour retirer les ligatures alors que Mme Smith respirait et parlait représentait un usage excessif de la force, et que ce geste allait à l’encontre du Modèle de gestion de situations. Dans certains cas, il est clairement indiqué dans les RODA des agents que ces derniers ne pouvaient pas voir Mme Smith ou que, quand ils la voyaient, ils remarquaient qu’elle était livide (son visage était bleu). Les agents ont jugé que les signes physiques qu’ils observaient étaient des signes de détresse physique. Par conséquent, ils ont utilisé la force pour retirer les ligatures.

Dans la documentation sur le recours à la force pour les 22, 23 et 30 septembre 2007, la sous-directrice et le directeur intérimaire étaient en désaccord avec les agents, qui avaient jugé que Mme Smith était en détresse. Ils ont indiqué dans leurs commentaires/notes sur le recours à la force que les agents n’auraient pas dû entrer dans la cellule, et qu’ils auraient plutôt dû se retirer dès que Mme Smith a interagi avec eux ou s’est débattu pour les empêcher de retirer les ligatures. Cette directive a été donnée verbalement et a été confirmée plus tard par écrit, malgré le fait que Mme Smith avait le visage bleu et avait attaché les ligatures très serré.

CONCLUSION E1

L’utilisation que faisait Mme Smith des ligatures s’inscrivait dans la définition d’urgence médicale en raison des blessures physiques visibles qu’elle s’infligeait par son comportement d’automutilation (elle était livide, avait de la difficulté à respirer, avait des pétéchies, saignait du nez ou avait le visage ou le cou enflé) ainsi que du risque de décès accidentel associé à ce genre de comportement à risque élevé.

Le directeur intérimaire, la sous-directrice, la GSII Bridgen et CC ont mal interprété ce qui constituait une urgence médicale ou un cas de détresse physique et ont eu tort d’ordonner au personnel de ne pas intervenir et de se retirer pour réévaluer la situation (commentaires, notes et directives verbales sur le recours à la force). Cette directive allait à l’encontre des DC 800, 843 et 567.

Les directives et les commentaires erronés transmis aux employés et aux gestionnaires ont contribué indirectement et implicitement à la lenteur des interventions visant à gérer le comportement d’automutilation de Mme Smith le 15 octobre 2007 et le 19 octobre 2007.

[…]

g. Le respect des politiques, des procédures et des responsabilités.

On a examiné les lois, les politiques et les procédures suivantes pour déterminer si, du 31 août au 19 octobre 2007, les gestionnaires de l’EGV ont commis des erreurs dans leur application.

LSCMLC  
RSCMLC  
DC 844 Utilisation de matériel de contrainte pour des raisons de santé
DC 843 Prévention, gestion et intervention en matière de suicide et d’automutilation
DC 800 Services de santé (examiné séparément dans la section e. du rapport, conformément à l’ordre de convocation)
DC 590 Isolement préventif (politique qui était en vigueur pendant la période pertinente)
DC 568-1 Consignation et signalement des incidents de sécurité
DC 567-1 Recours à la force
DC 567 Gestion des incidents de sécurité
DC 566 Prévention des incidents de sécurité

[…]

Ashley Smith a eu un comportement très perturbateur pendant toute la durée de son emprisonnement. Elle a fait des menaces verbales au personnel. Elle a attaqué les employés qui intervenaient normalement, s’est battue contre eux et a résisté à leurs tentatives de lui enlever les ligatures ou les objets tranchants qu’elle avait en sa possession. Elle a aussi attaqué les employés de l’EGV en leur jetant de l’eau ou en empoignant leurs vêtements (chandails, bas de pantalons). Une fois, elle a coupé légèrement un membre du personnel infirmier en essayant de lui prendre ses lunettes pour en utiliser les verres comme « objets tranchants ».

Ashley Smith était considérée comme une délinquante à sécurité maximale, et les gestes décrits ci-dessus (agressions mineures, menaces verbales, jeter de l’eau et agripper les employés) confirment ce classement. Aucun des gestes de la détenue n’était suffisamment grave pour justifier de lui imposer un protocole de gestion officiel. Selon la politique, aucun de ses gestes non liés à son utilisation autodestructrice et répétitive de ligatures ne justifiait un isolement à long terme.

Il convient alors de se demander si la direction a utilisé les mesures les moins restrictives pour gérer Mme Smith, en fonction du risque réel que représentait la détenue.

On a limité considérablement les objets personnels d’Ashley Smith, et on a sérieusement restreint ses droits fondamentaux dans le but d’éliminer ses comportements inadéquats (comme couvrir la fenêtre et la caméra de sa cellule) et de l’empêcher de produire des ligatures.

On savait que la détenue aimait écrire et dessiner, mais on ne la laissait pas habituellement avoir en sa possession quoi que ce soit en papier (livres, feuilles lignées, magazines, etc.) ou quoi que ce soit pour écrire, car elle couvrait continuellement la fenêtre et la caméra de sa cellule. Malheureusement, lui enlever l’accès à ces objets n’a pas permis de mettre fin à ce comportement. La détenue a seulement trouvé d’autres moyens de couvrir la caméra (du dentifrice, un collant pris sur une banane, de la nourriture, etc.).

Il semble qu’on ait adopté une approche ou un système similaire pour empêcher la détenue Smith d’utiliser les objets de sa cellule pour fabriquer des ligatures (matelas, robe, couvertures, etc.). Il est noté dans le journal et dans les plans de gestion qu’on a limité l’accès de la détenue à ces objets en fonction du comportement de cette dernière. On laissait souvent la détenue dans sa cellule sans matelas, couvertures ou oreillers pour l’empêcher, complètement ou en partie, de fabriquer des ligatures. Ces restrictions extrêmes se sont avérées inefficaces, car on a permis à la détenue de continuer de fabriquer, de porter et d’utiliser de nombreuses ligatures faites à partir de sa robe de sécurité.

Ashley Smith avait très peu de liberté de mouvement à l’extérieur de sa cellule […].

Les employés et les gestionnaires ont indiqué que ces restrictions étaient justifiées par le risque évident que posait la détenue pour elle-même et le personnel. EE a déclaré qu’elle ne savait pas du tout que le papier de toilette de la détenue était rationné. Elle se fiait à l’expertise opérationnelle et les consignes de Mme Bridgen à l’unité. Elle a précisé que ce sont CC et Mme Bridgen qui prenaient les décisions de l’unité concernant l’accès de la détenue Smith au personnel dans les salles d’entrevue, ses déplacements et les objets qui étaient autorisés dans sa cellule en fonction de son comportement/du risque qu’elle posait.

En soirée, le 21 septembre 2007, Mme Smith était en isolement à la sous-unité de l’unité de garde en milieu fermé. Elle a fracassé l’écran de son téléviseur. Pour ramener la détenue dans une cellule d’isolement, CC est entré dans sa cellule, lui a passé les menottes, l’a escortée jusqu’à l’unité d’isolement et l’a fait entrer dans la cellule no 1. Lorsqu’on a retiré les menottes à la détenue, de nombreux morceaux de verre sont tombés de sous sa robe. On a plus tard transporté la détenue à un hôpital extérieur pour une fouille des cavités corporelles, mais elle a tout de même réussi à conserver quelques morceaux de verre.

Le personnel a essayé d’interagir avec Mme Smith et de socialiser avec elle en lui parlant, en jouant aux cartes avec elle par l’ouverture dans la porte pour les plateaux-repas et en lui faisant la lecture. Le 11 octobre 2007 (le jour précédant la comparution de la détenue devant un tribunal – on jugeait alors qu’elle représentait un risque élevé de suicide), le psychologue l’a rencontrée dans une salle d’entrevue et a préparé des cartes avec elle. La participation de la détenue à cette activité était quelque peu limitée, car elle était menottée, les mains dans le dos.

La contradiction la plus surprenante par rapport au besoin de gérer le risque que posait Mme Smith en limitant ses droits est le manque récurrent de fouilles (fouilles de cellule, fouilles par palpation et fouilles à nu) pour retirer les morceaux de verre et les ligatures qu’elle utilisait activement pour s’automutiler.

Un examen des journaux, des courriels envoyés par la sous-directrice et de nombreuses entrevues a permis de confirmer que Michelle Bridgen et CC prenaient les décisions et donnaient des consignes au personnel concernant les activités quotidiennes se rapportant à la détenue Smith et à la façon de répondre à son comportement. Par ailleurs, il semble que les IPL de l’unité d’isolement avaient reçu l’autorisation de déterminer quelles parties du plan de gestion allaient ou non être appliquées (p. ex. amener Mme Smith dans une salle d’entrevue ou dans la cour ou lui donner des récompenses, comme un téléviseur, et répondre à ses demandes de base pour des objets comme du papier de toilette) selon qu’ils jugeaient que la détenue s’était bien comportée.

CC a noté qu’il a informé la sous-directrice BB de sa décision de retirer les carreaux dans la cellule de Mme Smith, car cette dernière avait commencé à les détruire et à les lancer au personnel. Il a indiqué que la sous-directrice avait appuyé cette décision/mesure.

Bien que les plans de gestion élaborés par la sous-directrice et approuvés par le directeur intérimaire représentent un régime de détention beaucoup moins restrictif, ces derniers auraient dû savoir, grâce aux visites à l’unité d’isolement, aux réunions sur les opérations, aux RODA et aux commentaires des employés et des gestionnaires, que les conditions de détention et les activités quotidiennes étaient en fait très restrictives.

CONCLUSION G1

Le comité d’enquête évalue que ce sont la GSII Bridgen et CC qui donnaient au personnel les directives concernant les conditions de détention, etc., telles qu’elles ont été décrites, puisqu’ils étaient les gestionnaires responsables des opérations et des activités quotidiennes courantes à l’unité.

Le comité d’enquête est d’avis que les mesures utilisées n’étaient pas toujours les moins restrictives possible compte tenu du risque que présentait la détenue, et qu’à certains moments, ces mesures ont entraîné le « traitement inhumain ou humiliant » d’Ashley Smith, ce qui contrevient aux articles 4 et 7 de la LSCMLC et à la DC 590.7. Il incombait à la directrice intérimaire de veiller à ce que les dispositions concernant la protection des droits de la détenue Smith soient respectées, tout comme les directives qu’elle avait émises en tant que responsable de l’établissement et qui étaient énoncées dans les plans de gestion.

[…]

CONCLUSION G3

Le directeur intérimaire et la sous-directrice n’ont pas donné la directive de fouiller Mme Smith, notamment après qu’on a déterminé qu’elle présentait un risque élevé de suicide, pour lui retirer les ligatures, morceaux de verre et autres objets qu’elle utilisait pour s’automutiler et limiter son accès à ces objets tant que cela ne contrevenait pas aux articles 48, 49 et 50. L’omission de formuler une telle directive a permis à la détenue de poursuivre son comportement à risque élevé, ce qui a en définitive conduit à son décès.

[…]

CONCLUSION G4

Les évaluations psychologiques quotidiennes du risque de suicide n’ont pas toutes été effectuées ou consignées (le dossier psychologique de la détenue ne contient pas de compte rendu ou de notes certains jours, ce qui indique un taux de conformité de moins de 100 %) comme il est exigé dans le plan de gestion.

[…]

Après le 9 octobre 2007, on avait jugé que la détenue présentait un risque élevé de suicide, et certaines interventions/évaluations du risque quotidiennes n’étaient pas consignées (les 10, 14, 15 et 18 octobre) dans les évaluations psychologiques/notes […]

[…]

DC 567 Gestion des incidents de sécurité

[Extraits de la DC 567 supprimés]

Les plans de gestion et la documentation sur le recours à la force (comprenant de nombreux récits de première main inscrits dans des RODA, des heures de bandes vidéo et les commentaires fournis après les faits par l’agent du renseignement de sécurité, la sous-directrice et le directeur intérimaire) offrent un aperçu de l’application du Modèle de gestion de situations et de l’approche qui a été adoptée pour gérer le comportement difficile de Mme Smith, particulièrement son utilisation de ligatures à l’EGV.

EE et BB se préoccupaient du fait que les intervenants de première ligne, les membres du personnel infirmier et les gestionnaires correctionnels ne respectaient ni le Modèle de gestion de situations ni la politique sur le recours à la force. Selon les notes de service, les examens sur le recours à la force et leurs interactions personnelles avec les employés et les gestionnaires, EE et BB s’inquiétaient surtout parce qu’« il ne semblait pas y avoir de raison d’entrer dans la cellule et les agents ne se retiraient pas pour réévaluer la situation ».

Le Modèle de gestion de situations est un excellent outil pour gérer les comportements dirigés vers l’extérieur. Le comportement de Mme Smith correspondait certainement aux définitions de la politique d’une personne qui résiste verbalement, est physiquement non coopérative et est parfois violente. Quand ils ont décrit le comportement de Mme Smith, les employés et les gestionnaires ont dit que la détenue était combative plutôt que violente, car ce comportement se manifestait presque exclusivement dans le contexte de son comportement d’automutilation.

Le Modèle de gestion de situations a été conçu pour aider les employés et les gestionnaires à « déterminer les modes d’intervention à adopter pour gérer les incidents de sécurité ». Dans le cas de Mme Smith, on renvoie constamment au volet « réévaluation » du Modèle, qui semble être devenu la priorité du directeur intérimaire, des gestionnaires de l’unité de garde en milieu fermé (Michelle Bridgen et CC) et de la sous-directrice de l’EGV. Cette priorité a été clairement communiquée au personnel, directement et indirectement. Les employés et les GC ont indiqué que cette directive avait influé sur leur capacité de gérer le comportement de Mme Smith en utilisant une approche fondée sur la préservation de la vie. À l’EGV, en raison des directives transmises par les gestionnaires a/n, l’application du Modèle était axée davantage sur la réévaluation que sur l’intervention immédiate.

CONCLUSION G11

Le GC, unité de garde en milieu fermé (CC), la chef d’équipe/GSII de l’unité de garde en milieu fermé (Michelle Bridgen), BB et EE ont tous transmis des directives contraires au Modèle de gestion de situations en indiquant aux employés qu’ils n’avaient aucune raison d’entrer dans la cellule et de retirer les ligatures de Smith, puisque le directeur intérimaire et la sous-directrice ne convenaient pas qu’elle était en détresse en dépit des signes qui révélaient clairement qu’elle l’était. Ces actes contreviennent à la DC 567.

[…]

DC 567-1 – Recours à la force

[Extrait de la DC 567-2 supprimé]

[…]

CONCLUSION G13

Les agents intervenaient conformément au cadre de politiques (DC 567, DC 567-1, DC 800 et DC 843) lorsqu’ils avaient recours à la force pour retirer les ligatures afin d’empêcher la détenue de s’infliger des blessures graves ou de se suicider.

CONCLUSION G14

La sous-directrice et le directeur intérimaire ont transmis, par l’entremise de leurs examens des recours à la force et des mesures correctives (voir la documentation du 23 septembre 2007 en particulier), de mauvaises directives au sujet du Modèle de gestion des situations à l’intention du personnel qui devait ensuite intervenir auprès de Smith dans une atmosphère de directives erronées et de crainte de faire l’objet de mesures disciplinaires, contrevenant ainsi aux paragraphes 1 et 2 de la DC 567-1.

[…]

CONCLUSION

Le comité d’enquête conclut que les employés et les gestionnaires de l’EGV étaient dévoués, extrêmement motivés et exempts de mauvaises intentions dans leur gestion d’Ashley Smith. Dans les semaines qui ont précédé le décès de cette dernière, l’EGV gérait plusieurs délinquantes présentant un risque et des besoins élevés, et Smith n’a fait que siphonner encore plus leurs ressources déjà limitées. En outre, l’équipe de direction était dans une période de transition, puisqu’elle était composée d’un directeur intérimaire, d’un DAO intérimaire et d’une GSII intérimaire.

Le comité d’enquête conclut que le leadership, particulièrement pour ce qui est de dire au personnel comment gérer l’utilisation de ligatures par Mme Smith, était nettement inadéquat. Les communications et les consignes du directeur intérimaire, de la sous-directrice, de la GSII et du GC de l’unité de garde en milieu fermé, explicites ou implicites, directes ou indirectes, ont créé de la confusion, particulièrement pour ce qui est de savoir si l’on pouvait ou non entrer dans la cellule de la détenue Smith pour retirer les ligatures.

Le comité d’enquête conclut ce qui suit :

  1. Les gestionnaires ont enfreint la première règle de conduite, Responsabilité dans l’exécution des tâches, en omettant de respecter ou d’appliquer une loi, une directive du commissaire, un ordre permanent ou une autre directive quelconque ayant trait à leurs fonctions, comme en témoignent les conclusions suivantes :
    • EE : conclusions B2, B3, E1, G1, G2, G5, G11, G12 et G14
    • BB : conclusions B3, E1, G1, G5, G11, G12 et G14
    • Michelle Bridgen : conclusions E1, G1 et G11
    • CC : conclusions E1, G1 et G11
    • [Nom de la personne] : conclusion E2
    • FF : conclusions G4, G5, G6 et G7
  2. Les gestionnaires ont enfreint la première règle de conduite, Responsabilité dans l’exécution des tâches, en négligeant de prendre, au mieux de leurs capacités, les mesures appropriées lorsqu’un détenu : c) se livre à des actions qui mettent en péril la sécurité des personnes et des biens, comme en témoignent les conclusions suivantes :
    • EE : conclusions A3, A4, C2, G3, G11, G12 et G14
    • BB : conclusions A3, A4, C2, G3, G11, G12 et G14
    • Michelle Bridgen : conclusions C2 et G11
    • CC : conclusions C2 et G11

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

83 Le 3 mars 2008, la fonctionnaire a reçu une version expurgée du rapport d’enquête (les extraits ci-dessus proviennent de la version intégrale). Elle a rédigé une réponse sous la forme d’une note non datée et accompagnée d’une pièce jointe, qu’elle a envoyée à Mme Stapleforth. Elle porte la date du 12 mars 2008. Voici la note en question :

[Traduction]

Réponse à la recherche des faits dans le cadre de l’enquête disciplinaire

Le 3 mars 2008, [nom de la personne] m’a remis en main propre les résultats de la recherche des faits dans le cadre de l’enquête disciplinaire.

Je suis consternée d’apprendre que, selon cette recherche des faits, on a tiré des conclusions sur les actes que j’ai commis à l’Établissement Grand Valley en lien avec le décès d’Ashley Smith. Ces conclusions ne sont pas cohérentes avec les conclusions de l’enquête nationale. Plus précisément, la Section 13 qui me concerne n’a soulevé aucune violation des politiques de ma part.

En examinant le contenu de la documentation qu’on m’a remise, j’en ai conclu qu’il est évident que le comité de discipline n’a pas compris le rôle du gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive (GSII), et qu’il l’a plutôt confondu avec celui du directeur adjoint, Opérations (DAO). Je me dois de vous préciser que le GSII :

  • n’a aucun pouvoir hiérarchique sur le personnel chargé des opérations/de la sécurité (intervenants de première ligne ou gestionnaires correctionnels);
  • ne fait pas partie de l’équipe de la haute direction;
  • n’a aucun pouvoir de décision sur les questions opérationnelles/de sécurité;
  • est chargé de faciliter la stratégie d’intervention intensive pour l’unité de garde en milieu de vie structuré;
  • est chargé de faciliter la stratégie d’intervention intensive pour l’unité à sécurité maximale de l’établissement pour femmes en poursuivant l’objectif ultime de réduire le niveau de sécurité des délinquantes;
  • a une responsabilité hiérarchique sur les conseillers en comportement et une responsabilité fonctionnelle sur une équipe multidisciplinaire (composée d’intervenants de première ligne, de personnel infirmier, de psychologues, d’agents de libération conditionnelle et autres).

Je n’ai jamais assumé les fonctions du DAO, je n’ai jamais occupé ce poste à titre intérimaire et je n’avais pas la responsabilité de diriger du personnel de sécurité ou des gestionnaires correctionnels. Je n’ai donné au personnel de sécurité ou aux gestionnaires aucune directive sur le recours à la force – cela relève de la responsabilité du directeur adjoint, Opérations. En fait, le directeur intérimaire s’est organisé, avec l’administration régionale, pour qu’une formation sur le recours à la force soit donnée au personnel de sécurité et aux gestionnaires correctionnels par Ken Allen, de l’administration régionale, en octobre 2007. Si les employés n’étaient pas certains de leurs obligations en matière de recours à la force, ils auraient eu l’occasion de parler de leurs préoccupations au cours de cette formation.

Le directeur intérimaire m’a demandé de l’aider à perfectionner le personnel en offrant, de façon générale, de l’encadrement et du mentorat. Les recommandations que j’ai données au personnel étaient toujours claires et concises. J’ai toujours encouragé les employés à intervenir lorsqu’Ashley était en détresse; j’ai précisé qu’ils devaient avoir un plan d’action et qu’il fallait que ce qu’ils consignent rende clairement compte ce qui s’est passé.

Je n’étais pas à l’établissement du 12 octobre 2007 à une date ultérieure au décès. On ne m’a pas consultée au sujet de l’observation directe ou du risque élevé de suicide d’Ashley, et je n’ai donc pas eu l’occasion de donner des conseils. Jusqu’au jour de mon départ, le 11 octobre 2007, le personnel intervenait lorsqu’Ashley était en détresse, et négociait avec elle pour qu’elle lui remette ses ligatures lorsqu’elle n’était pas en situation de détresse. Je ne doute pas que les employés comprenaient leur rôle, ce qui se reflétait clairement dans leurs rapports d’observation et par le fait qu’Ashley était en sécurité.

Le décès d’Ashley Smith est un événement très tragique. Il m’a affectée au plus haut point. J’en étais arrivée à connaître Ashley plutôt bien et j’éprouvais de l’affection pour elle; elle avait un grand sens de l’humour et c’était vraiment une petite fille, au fond. Malheureusement, Ashley était une personne très troublée. La préservation de sa vie était ma principale préoccupation. Je prenais toujours en considération la sécurité du personnel et d’Ashley lorsque j’encadrais le personnel. L’objectif ultime consistait à assurer la survie d’Ashley et la sécurité de tous. Je regrette sincèrement le décès d’Ashley Smith. Je n’ai pas l’impression que mes actes ont contribué à son décès.

Je suis une employée dévouée et loyale du SCC. Tout au long de mes 24 années de carrière, j’ai aidé l’organisation lorsque le besoin se faisait sentir, et je me suis rendue dans des établissements à l’extérieur de la région de Kingston chaque fois que cela s’avérait nécessaire. Je suis fière de pouvoir dire que j’ai le plus grand respect pour le personnel et la haute direction d’un bout à l’autre de la région.

Je vous conjure d’examiner les responsabilités associées au poste de GSII et au poste de directeur adjoint, Opérations. Je suis convaincue que vous constaterez que je n’avais aucune autorité hiérarchique sur le personnel correctionnel, et que bon nombre des responsabilités décrites dans le rapport ne relèvent pas du GSII, comme le révèle la structure organisationnelle. Je vous demande de revoir vos conclusions, de même que la décision de poursuivre cette audience disciplinaire.

J’ai joint ma réponse à l’enquête disciplinaire.

Je vous remercie de votre temps et de votre considération.

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

84 Je reproduis également les passages pertinents de la pièce jointe à la note de la fonctionnaire, en date du 12 mars 2008 :

[Traduction]

[…]

Le décès d’Ashley Smith était et est un événement tragique. La direction et le personnel de l’Établissement Grand Valley ont fait leur possible pour maintenir Ashley en vie et en santé. Elle était un cas extrêmement difficile à gérer et, avec du recul, on constate qu’une approche différente aurait peut-être été plus efficace.

Il y a bien des années, le SCC a admis qu’il fallait modifier la façon d’administrer les délinquantes et a fini par procéder à la fermeture de la Prison des femmes et à l’ouverture de cinq établissements répartis d’un bout à l’autre du pays. Cette décision a permis aux délinquantes de demeurer plus près de leur lieu d’origine et de leur famille, ainsi que de recevoir les traitements dont elles ont besoin pour devenir des citoyennes respectueuses des lois. Le SCC a alors reconnu qu’il fallait traiter les femmes à l’aide d’une approche holistique et que bon nombre d’entre elles souffraient de troubles de santé mentale. En 2002, le SCC a élaboré la Stratégie en matière de santé mentale pour les délinquantes, et la santé mentale est demeurée l’une des priorités de l’organisation depuis six ans. En tant qu’organisation, le SCC n’est toujours pas équipé pour gérer des délinquantes comme Ashley Smith. Il est vrai que le SCC possède des établissements psychiatriques régionaux, mais si un délinquant ne souhaite pas y être transféré et qu’il ne satisfait pas aux critères du formulaire 1, ce sont les établissements carcéraux qui doivent, dans les limites de leurs possibilités, élaborer des plans et surveiller ce type de délinquant.

À mesure que le personnel des établissements commençait à ressentir de l’épuisement et à perdre sa capacité à maîtriser Ashley, il la déplaçait d’un établissement à l’autre, dans différentes régions. Ces transfèrements n’ont pas été bénéfiques pour Ashley. Elle a perdu son soutien familial, elle ne pouvait recevoir souvent la visite de sa famille, elle devait s’adapter à de nouveaux milieux, etc. Ces décisions de la déplacer d’un bout à l’autre du pays ont été prises par le Secteur des délinquantes. Le SCC demeure aux prises avec un problème systémique concernant les problèmes de santé mentale.

L’organisation dans son ensemble fait l’objet d’une restructuration en profondeur. Celle-ci a commencé le 4 septembre 2007 et se poursuit encore aujourd’hui. Les rôles et les responsabilités de certains postes ont été grandement affectés, et on a procédé à la création de deux nouveaux postes de gestionnaires supérieurs au sein de la structure de l’établissement. L’équipe de la haute direction n’a pas bien planifié ce changement de responsabilités. L’Établissement Grand Valley n’avait pas tous ses gestionnaires supérieurs en poste. Le directeur de l’établissement occupait son poste de façon intérimaire pour une période de quatre mois moins un jour, en attendant qu’un directeur soit embauché à temps plein. Le poste de directeur adjoint, Opérations, n’était pas occupé par un employé nommé pour une période indéterminée; c’est le directeur adjoint, Services de gestion, qui occupait ce poste au moyen d’une affection entrée en vigueur le 4 septembre 2007. Le poste de directeur adjoint, Services de gestion, est occupé de façon intérimaire depuis juillet et l’est encore aujourd’hui. Au départ, la directrice adjointe, Interventions, n’occupait pas ce poste; elle a repris ses fonctions le 15 octobre 2007. L’ajout de ces deux postes de directeurs adjoints a accru la taille de l’équipe de la haute direction et a permis à la sous-directrice de déléguer certaines tâches liées aux opérations et aux interventions. Ces directeurs adjoints sont les experts en matière d’opérations et d’interventions et ils sont les ultimes responsables de leur secteur. Les rôles de gestionnaire correctionnel et de chef d’équipe sont ceux qui ont été les plus affectés par ce changement. Le chef d’équipe est devenu un gestionnaire, Évaluation et interventions, un gestionnaire, Programmes, ou un gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive. Le titulaire de ce poste ne supervise plus directement les gestionnaires correctionnels ni les agents correctionnels. Il doit se concentrer sur l’aspect intervention des services correctionnels : les programmes, les rapports sur la libération conditionnelle, la gestion des cas, la gestion des peines, la Stratégie d’intervention intensive. Les gestionnaires correctionnels sont responsables des opérations de l’établissement et des fonctions de sécurité, et ils supervisent directement le personnel opérationnel.

Le rapport n’est pas basé sur des preuves factuelles, mais sur des ouï-dire du personnel ainsi que sur l’opinion des membres du comité d’enquête. Aucun élément probant ne vient appuyer les conclusions ou leur véracité.

Commentaires généraux

Deux raisons m’ont amenée à me rendre à l’EGV pour offrir mon aide. D’abord, je souhaitais ardemment devenir directrice de l’EGV et je devais me refamiliariser avec les services correctionnels pour femmes. Ensuite, j’ai une grande loyauté envers le SCC et je n’hésite pas à offrir mon aide lorsque le besoin se fait sentir.

Responsabilités décrites dans la DC 005

Le gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive, est responsable de la mise en œuvre et de la gestion de la Stratégie nationale d’intervention intensive dans un établissement pour délinquantes sous responsabilité fédérale. Il exerce une autorité hiérarchique sur les conseillers en comportement et une autorité fonctionnelle sur une équipe interdisciplinaire composée, entre autres, d’intervenants de première ligne, d’infirmières, de psychologues et d’agents de libération conditionnelle.

Selon la nouvelle structure, l’équipe de gestion de l’établissement est formée du directeur de l’établissement, du sous-directeur et de tous les directeurs adjoints ou titulaires de postes équivalents.

Les directeurs adjoints sont chargés de transmettre des directives précises. Les séances d’information entre les quarts portent principalement sur les situations opérationnelles nécessitant une attention spéciale et sur toute activité non courante qui est prévue. Il est important que les unités continuent d’y inclure le plus grand nombre possible de gestionnaires (gestionnaire correctionnel, gestionnaire, Évaluation et interventions, et gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive), afin de planifier conjointement les opérations quotidiennes de l’unité.

Isolement – La gestion de l’unité d’isolement incombe au directeur adjoint, Opérations. À cette fin, celui-ci visite l’unité quotidiennement, s’assurant que les détenus y ont accès aux activités quotidiennes, aux douches, aux services, etc. Les comités d’examen des cas d’isolement sont présidés par le GEI/GSII ou le GC pour l’examen des cas de moins de 60 jours.

Matrice des responsabilités – Opérations

Dans les établissements pour femmes, le GEI/GSII n’a aucune responsabilité liée aux opérations.

Matrice des responsabilités – Interventions

Gestion du programme/de l’unité d’isolement – Directeur adjoint, Opérations

La haute direction de l’EGV n’a pas préparé de plan pour assurer une transition en douceur vers la nouvelle structure organisationnelle. En guise de mesure intérimaire, la GSII a effectué des rondes quotidiennes dans l’unité d’isolement, et le GC était responsable des opérations quotidiennes. Durant la semaine du 15 au 19 octobre, la GSII et le GC étaient tous deux à Ottawa pour participer à une réunion avec le Secteur des délinquantes afin de déterminer les rôles et responsabilités de chacun. Un autre GC a été affecté à l’unité de garde en milieu fermé/l’unité d’isolement pendant ce temps.

[« Le directeur adjoint, Interventions (DAI) »], a exercé le rôle de directeur adjoint, Opérations, du 4 septembre 2007 à novembre 2007. J’étais absente de l’établissement du 11 octobre 2007 au dimanche 21 octobre 2007, puis à nouveau à compter du 25 octobre 2007, après quoi je n’y suis jamais retournée, ayant été réaffectée ailleurs. Mon rôle à titre de GSII ne devrait pas être perçu à tort comme un rôle de gestionnaire supérieur, puisque j’étais en fait une gestionnaire intermédiaire de même rang et niveau que tous les GC, le DAI et le gestionnaire, Programmes. Je n’avais aucune autorité hiérarchique sur les GC, et encore moins sur les IPL. À titre de gestionnaire intermédiaire, mon rôle était de poser des questions à la haute direction à l’étape des consultations. Cependant, lorsque le directeur, la sous-directrice ou l’un des directeurs adjoints prenait une décision, mon rôle en tant que gestionnaire intermédiaire était d’appuyer les gestionnaires supérieurs tout en assurant la sécurité du personnel et des délinquantes.

Conclusion C2

BB, la GSII Bridgen et CC ont donné aux GC et aux IPL la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith tant que cette dernière respirait encore.

La directive était fondée sur la rétroaction d’EE aux gestionnaires susmentionnés : elle croyait que les agents utilisaient une force excessive à l’endroit de Mme Smith et que leurs interventions n’étaient pas conformes au Modèle de gestion de situations.

La directive, qui traduisait l’opinion d’EE, était bien connue parmi le personnel et les gestionnaires de l’EGV, et EE n’a pas pris les mesures qui s’imposaient pour clarifier ce qu’elle qualifie aujourd’hui de malentendu, de problème de communication ou de mauvaise interprétation de sa directive.

La directive d’EE et les mesures de suivi prises par BB, la GSII Bridgen et CC ont contribué à ce que le personnel et les GC croient qu’ils ne devaient pas entrer dans la cellule de Mme Smith tant que cette dernière respirait encore.

Veuillez accepter les points suivants en tant que facteurs aggravants/atténuants :

  • On m’a souvent demandé de fournir des conseils sur des questions liées à la sécurité/aux opérations, alors qu’il ne s’agissait pas de mon domaine de responsabilité.
  • Le directeur intérimaire a donné des directives aux GC : ouvrir la porte, évaluer et, s’il est possible de gérer la situation, réévaluer.
  • Je n’ai jamais donné la directive de ne pas entrer si la délinquante respirait; j’ai toujours indiqué qu’il fallait déterminer si elle était en situation de détresse (si elle pouvait respirer, marcher, parler, bouger, etc.), ce qui semblait fonctionner; les RODA rédigés le samedi où je me suis rendue sur place pour discuter avec les employés indiquent clairement comment ils étaient en mesure d’évaluer la situation et d’intervenir au besoin (en retirant les ligatures de la délinquante).
  • À titre de gestionnaire intermédiaire sans autorité hiérarchique, je me suis sentie obligée de suivre les directives de mes gestionnaires supérieurs.
  • Ma tâche consistait à transmettre au personnel les directives de la haute direction de façon à ce que le personnel respecte ses propres obligations en vertu de la loi et à ce qu’il exerce ses fonctions de façon sécuritaire.
  • Dans une note de service datée du 12 octobre 2007 (après mon départ de l’EGV), le psychologue principal a déclaré ce qui suit : « Je recommande qu’un agent soit affecté à l’extérieur de sa cellule pour s’assurer qu’elle respire, puisqu’elle peut avoir tendance à se cacher pour se mettre des ligatures autour du cou. » Cette note de service a été envoyée à tout le personnel (je crois que c’est à ce moment que le personnel a commencé à se concentrer uniquement sur sa respiration).

Conclusion E1

L’utilisation que faisait Mme Smith des ligatures s’inscrivait dans la définition d’urgence médicale en raison des blessures physiques visibles qu’elle s’infligeait par son comportement d’automutilation (elle était livide, avait de la difficulté à respirer, avait des pétéchies, saignait du nez ou avait le visage ou le cou enflé) ainsi que du risque de décès accidentel associé à ce genre de comportement à risque élevé.

Le directeur intérimaire, la sous-directrice, la GSII Bridgen et CC ont mal interprété ce qui constituait une urgence médicale ou un cas de détresse physique et ont eu tort d’ordonner au personnel de ne pas intervenir et de se retirer pour réévaluer la situation (commentaires, notes et directives verbales sur le recours à la force). Cette directive allait à l’encontre des DC 800, 843 et 567.

Veuillez accepter les points suivants en tant que facteurs aggravants/atténuants :

  • À titre de GSII, je n’ai jamais participé à des examens du recours à la force, à la prise de sanctions, etc.; je n’examinais pas la documentation relative aux incidents de recours à la force, les enregistrements vidéo, etc. Cette responsabilité incombait au directeur adjoint, Opérations, à la sous-directrice et au directeur intérimaire.
  • Je n’ai jamais envoyé de notes de service.
  • Le 22 septembre 2007, j’étais présente à l’établissement, à la demande de la [« DAI »] pour donner des conseils au personnel sur la façon de s’y prendre avec la détenue Smith – j’ai dit aux membres du personnel qu’ils devaient entrer dans sa cellule lorsqu’ils jugeaient qu’elle était en situation de détresse, qu’ils devaient déterminer si elle était en détresse ou non, élaborer un plan d’action, exécuter le plan et veiller à tout consigner dans leurs RODA. Je leur ai dit que cela mettrait leurs convictions à l’épreuve, car il est humain de vouloir entrer précipitamment dans la cellule pour porter assistance à la détenue; ils devaient toutefois s’assurer qu’elle était en détresse et assurer la sécurité de tous avant d’entrer. Je leur ai dit aussi que de s’occuper de la détenue mettrait aussi leurs convictions à l’épreuve en ce qui a trait à leur travail d’agent, qu’ils n’en étaient pas de moins bons agents s’ils avaient besoin d’une pause, car travailler 12 heures d’affilée à l’unité d’isolement peut s’avérer très pénible, et qu’il était justifié de demander d’être remplacé ou de changer de poste avec quelqu’un.
  • Les RODA qui ont été remplis par les employés le 23 septembre 2007 montrent clairement qu’ils avaient bien compris le message que je leur avais livré la veille, ce qui indique qu’il n’y avait pas de confusion relativement aux conseils que j’avais donnés.
  • Les employés ne sont jamais venus me voir pour me demander des éclaircissements à propos des conseils que je leur avais donnés.
  • Il y a une contradiction dans le rapport disciplinaire en ce qui concerne l’intervention du 15 octobre, puisqu’on dit de cette intervention qu’elle a été à la fois bonne et faite avec lenteur.
  • La DC 567 définit l’urgence médicale comme une blessure ou un état qui présente une « menace immédiate » – avoir une ligature autour du cou ne constitue pas nécessairement une menace immédiate; à certaines occasions, la détenue portait la ligature comme un collier au ras du cou, avec le nœud sur le côté, mais pas serré, etc. C’est le personnel qui devait évaluer si la détenue était en situation de détresse et s’il était ou non en présence d’une urgence médicale, et qui devait ensuite intervenir en conséquence.
  • Je n’étais pas à l’établissement lorsqu’on a déterminé qu’Ashley présentait un risque élevé de suicide, c’est-à-dire qu’elle avait élaboré un plan et était très déprimée.
  • Je n’ai pas été consultée en ce qui concerne l’observation directe de la détenue à cause du risque élevé de suicide; par conséquent, je n’ai pas eu la possibilité de donner des conseils à ce sujet.
  • Selon le Modèle de gestion de situations, il faut évaluer et réévaluer la situation, intervenir verbalement et négocier avant d’avoir recours au contrôle physique.
  • Le non-respect des DC 800, 843 et 567, selon ce que je comprends, se rapporte à la définition de l’urgence médicale – il n’est indiqué nulle part que les ligatures doivent toujours être considérées comme une urgence médicale. La façon dont la détenue utilisait les ligatures ne mettait pas toujours sa vie en danger.

Conclusion G1

Le comité d’enquête évalue que ce sont la GSII Bridgen et CC qui donnaient au personnel les directives concernant les conditions de détention, etc., telles qu’elles ont été décrites, puisqu’ils étaient les gestionnaires responsables des opérations et des activités quotidiennes courantes à l’unité.

Le comité d’enquête est d’avis que les mesures utilisées n’étaient pas toujours les moins restrictives possible compte tenu du risque que présentait la détenue et qu’à certains moments, ces mesures ont entraîné le « traitement inhumain ou humiliant » d’Ashley Smith, ce qui contrevient aux articles 4 et 7 de la LSCMLC et à la DC 590.7. Il incombait à la directrice intérimaire de veiller à ce que les dispositions concernant la protection des droits de la détenue Smith soient respectées, tout comme les directives qu’elle avait émises en tant que responsable de l’établissement et qui étaient énoncées dans les plans de gestion.

Veuillez accepter les points suivants en tant que facteurs aggravants/atténuants à prendre en considération :

  • Il était nécessaire, à cause du risque de suicide que présentait la détenue, de prendre des précautions afin de conserver un environnement sécuritaire.
  • La protection de la vie est notre plus grande responsabilité, comme il est souligné dans la LSCMLC.
  • L’une de nos priorités stratégiques est d’assurer la sécurité du personnel et des délinquants.
  • Le risque élevé de suicide que présentait la détenue et son comportement manipulateur qui consistait à se nouer des ligatures autour du cou causaient des inquiétudes, qui étaient dûment consignées.
  • Ashley était capable de détruire, à mains nues, son bureau en métal.
  • À cause des antécédents d’Ashley, il fallait avoir recours à ces mesures pour assurer sa sécurité et celle du personnel.
  • C’est pour qu’elle conserve un certain niveau de dignité que nous lui fournissions toujours une robe de sécurité.
  • Je me suis renseignée pour savoir s’il serait possible de fournir à la détenue une robe en papier, un vêtement qu’elle ne pourrait pas déchirer pour en faire des ligatures. Les robes en papier ne figurent pas sur le barème de distribution; on ne peut pas facilement s’en procurer au SCC; il a fallu un certain temps pour en trouver une. Nous l’avons mise à l’essai; ce n’était pas une vraie robe en papier. On pouvait tordre le tissu et le nouer encore plus serré que le tissu dont Ashley disposait.
  • L’enquêteur correctionnel est venu à l’établissement pendant cette période; à ma connaissance, il n’a exprimé aucune préoccupation en ce qui concerne les conditions de détention; on ne trouve pas cette information dans l’enquête disciplinaire.
  • À ma connaissance, Ashley ne s’est jamais plainte de ses conditions de détention à l’enquêteur correctionnel.
  • C’est le directeur adjoint, Opérations, qui a la responsabilité ultime de la gestion de l’unité d’isolement.
  • Le directeur adjoint, Opérations, n’a jamais exprimé de préoccupations à propos des conditions de détention de la détenue.
  • Je n’examinais pas le journal, cela n’entre pas dans mon domaine de responsabilité. Par conséquent, je n’étais pas au courant si les employés ne respectaient pas le plan.
  • Je travaillais durant le quart de jour, en général de 7 h à 16 h; il y avait beaucoup d’autres gestionnaires correctionnels qui donnaient des directives au personnel pendant les 16 autres heures de la journée, et pendant les 24 heures que comptait chaque jour de fin de semaine; je n’ai aucun moyen de savoir si ces personnes donnaient des directives contradictoires. Encore une fois, je n’ai pas d’autorité hiérarchique sur les gestionnaires correctionnels.
  • Il était rare que des employés s’adressent à moi pour avoir des conseils lorsque CC était présent à l’unité.
  • Je demandais aux IPL leurs commentaires et je leur donnais les moyens de prendre les décisions qui concernaient les activités courantes pour la journée; je leur demandais ce qui avait bien fonctionné, comment la détenue s’était comportée, si elle avait utilisé des ligatures, et je les laissais établir le plan de la journée, en fonction du plan de gestion – cette façon de faire équivaut à la prise de décision au niveau le plus bas possible.
  • Il y a beaucoup de documents qui montrent que la détenue se servait de papier hygiénique, de carreaux de sol, de serviettes, etc., pour couvrir les fenêtres et la caméra afin qu’on ne puisse pas l’observer ou pour faire des ligatures.
  • Le 11 octobre 2007, j’ai participé à une discussion avec le directeur intérimaire, la sous-directrice et [nom de la personne], de l’AC. Il s’agissait de déterminer si Ashley devrait porter sa robe de sécurité ou ses vêtements personnels pour se présenter au tribunal à l’extérieur. Je crois que c’est mon argument relatif à sa dignité qui a influencé le directeur dans sa décision de laisser Ashley aller au tribunal dans ses vêtements de ville.

Toutes les mesures qui ont été mises en place pendant qu’Ashley était en isolement visaient à assurer sa sécurité et la protection de sa vie. Il était très difficile de déterminer ce qui était le plus important – sauver sa vie, assurer sa sécurité ou conserver sa dignité. Les mesures qui ont été prises, comme limiter la quantité de papier hygiénique, retirer de sa cellule les carreaux brisés, ne pas lui donner de couvertures de sécurité ou de serviettes pour se sécher, etc., ont toutes été prises dans l’intention d’assurer sa sécurité. Il n’y a jamais eu de mauvaise intention ou d’intention de porter atteinte à sa dignité. Je n’ai pas reçu de directives du directeur adjoint, Opérations, sur la façon de gérer ce cas. Il était de ma responsabilité d’examiner les journaux quotidiens. J’ai assumé la responsabilité de faire les tournées quotidiennes dans l’unité d’isolement à titre de déléguée du directeur. Chaque jour où j’étais à l’établissement, j’effectuais ces tournées et je signais le registre des visiteurs.

Conclusion G11

Le GC, unité de garde en milieu fermé (CC), la chef d’équipe/GSII de l’unité de garde en milieu fermé (Michelle Bridgen), BB et EE ont tous transmis des directives contraires au Modèle de gestion de situations en indiquant aux employés qu’ils n’avaient aucune raison d’entrer dans la cellule et de retirer les ligatures de Smith, puisque le directeur intérimaire et la sous-directrice n’ont pas reconnu qu’elle était en détresse en dépit des signes qui révélaient clairement qu’elle l’était. Ces actes contreviennent à la DC 567.

Veuillez accepter les points suivants en tant que facteurs aggravants/atténuants à prendre en considération :

  • Je n’étais pas chef d’équipe; il y a une erreur dans la conclusion de l’équipe disciplinaire, car on me qualifie de chef d’équipe et de GSII; je crois que cela confirme ce que je pensais, à savoir que le comité n’a pas bien compris le rôle de la GSII.
  • Quand la situation s’est aggravée, on a encouragé les employés à établir des plans d’action immédiats lorsqu’ils arrivaient à l’unité, de façon qu’ils puissent intervenir rapidement. J’ai eu ce genre de conversation avec les employés la semaine précédant mon départ, le 11 octobre 2007.
  • Dans la DC 567, on définit une urgence médicale comme une blessure ou un état pathologique qui présente une menace immédiate pour la santé ou la vie d’une personne et requiert une intervention médicale.
  • Il arrivait souvent que la ligature d’Ashley ne soit pas attachée autour de son cou ou qu’elle ne soit pas serrée. Elle se tenait debout devant la fenêtre et parlait aux employés, qui essayaient de la convaincre de leur remettre la ligature. Elle leur disait que le nœud n’était pas serré, qu’elle se mettait une ligature seulement pour se sentir en sécurité.
  • De nombreuses fois, les employés obtenaient de la détenue qu’elle leur remette la ligature sans qu’ils aient à entrer dans la cellule.
  • Chaque situation devait être évaluée séparément. On ne peut pas suivre rigoureusement un plan établi lorsqu’on a affaire à une personne suicidaire très émotive. La situation change et évolue de façons différentes selon l’environnement, la réaction du personnel, les changements de quarts, etc. Tout changement mineur dans la routine, dans le ton, peut mener à des résultats différents.
  • Les employés ont été clairement avisés que lorsqu’ils croyaient qu’Ashley était en danger, leur première responsabilité était d’entrer dans la cellule et de retirer la ligature afin de protéger sa vie.
  • Un aspect difficile dans la gestion d’Ashley était de déterminer s’il s’agissait de problèmes de comportement, de problèmes psychiatriques, d’une quête d’attention ou d’une tentative de suicide.
  • Dans les premiers temps après son arrivée, Ashley a commencé à être réceptive à la TCD. Elle avait beaucoup d’interactions avec le personnel. Elle se réjouissait à l’idée de recevoir des récompenses pour ses bons comportements et de pouvoir choisir ses activités.
  • Elle a remis sa dernière ligature; elle regardait la télévision, écoutait des livres audio, etc. Elle a fait de grands progrès par rapport à toutes ses autres peines d’incarcération. Le directeur a donc décidé de la placer dans la sous-unité.
  • Il y a eu beaucoup de consultations avec le personnel, les détenues et les gestionnaires supérieurs à propos de ce placement.
  • Elle a été très heureuse les deux jours où elle a vécu dans la sous-unité.
  • Elle sortait de sa cellule, prenait des bains, jouait au basketball dans la cour de l’unité avec les IPL, elle riait, s’amusait, faisait des blagues avec le personnel.
  • La situation s’est ensuite détériorée, Ashley a fracassé l’écran de son téléviseur et on a fini par la retourner en isolement.
  • Elle avait en sa possession des morceaux de verre qu’elle cachait sur elle.
  • On a essayé de lui enlever ces morceaux de verre : deux extractions de cellule par l’EPIU, négociations.
  • Elle avait désormais la capacité de fabriquer elle-même ses ligatures.

Bien que ce soit l’utilisation d’une ligature qui a entraîné son décès, ce n’est pas toutes les fois qu’elle était en possession d’une ligature qu’il y avait un sentiment de menace immédiate. Pendant que j’étais en fonction, l’utilisation de ligatures par Ashley a fluctué. Je remarque qu’il y a eu de nombreux recours à la force entre le 31 août 2007 et le 19 octobre 2007. La plupart de ces recours à la force ont eu lieu la première fin de semaine, c’est-à-dire celle du 31 août, puis la fin de semaine du 22 septembre, la fin de semaine du 29 septembre et, enfin, la fin de semaine du 15 octobre. Je ne peux parler que des incidents qui ont eu lieu avant le 11 octobre 2007, pendant que j’étais présente à l’établissement. Ashley a été placée en observation pour risque de suicide le 24 septembre et y est demeurée. Il n’y a pas eu d’interventions avec recours à la force du 23 au 29 septembre, ni du 30 septembre aux 8 et 9 octobre. En de nombreuses occasions, les employés réussissaient à négocier avec Ashley pour qu’elle leur remette les ligatures et quittaient la cellule en sachant qu’Ashley était en sécurité. Le conseil que j’ai donné en ce qui concerne l’utilisation des ligatures et la nécessité de déterminer si elle était en détresse ou non était conforme à la définition d’une urgence médicale. Les employés entraient dans la cellule lorsqu’il le fallait, retiraient la ligature et s’assuraient qu’Ashley était en sécurité.

Ma participation aux plans de gestion d’Ashley se limite à la période qui a précédé le moment où l’on a évalué qu’elle présentait un risque élevé de suicide. Après cette évaluation, je n’ai participé à aucun plan ni à aucune directive qui lui a été donnée. Lorsque j’ai quitté l’établissement le 11 octobre 2008, Ashley était vivante et les employés entraient dans sa cellule et lui retiraient les ligatures si elle était en détresse.

Du 15 au 19 octobre 2007, j’étais à Ottawa avec le gestionnaire correctionnel pour participer à une discussion de travail d’une semaine avec le Secteur des délinquantes afin de déterminer nos rôles et responsabilités dans la nouvelle structure organisationnelle. En notre absence, un autre gestionnaire correctionnel était responsable de l’unité de garde en milieu fermé et de l’unité d’isolement.

Conclusion

Pas une journée ne se passe sans que je pense que si j’avais fait quelque chose de différent, la situation ne se serait peut-être pas terminée de cette façon. J’ai passé beaucoup de temps avec Ashley Smith, et son décès m’a énormément affectée. C’est la perte tragique d’une jeune personne aimable pour qui j’en étais arrivée à avoir de l’affection. Je me console à l’idée que les deux jours qu’elle a passés à la sous-unité ont probablement été les jours les plus heureux et joyeux qu’elle a eus durant toute sa peine d’incarcération. Avec le recul, je crois qu’une approche différente aurait peut-être été plus efficace pour gérer une personne comme Ashley Smith. Cette période a été très compliquée et éprouvante pour toutes les personnes touchées. Même si d’autres mesures auraient pu s’avérer plus adéquates, le principal objectif était de protéger la vie d’Ashley, d’assurer la sécurité des employés qui entraient continuellement dans sa cellule et d’essayer de maintenir un environnement de travail positif et productif. J’estime avoir bien rempli mes fonctions dans cette situation très compliquée et difficile. Je ne crois pas avoir fait quoi que ce soit qui ait contribué à la mort tragique d’Ashley. Je suis certaine que le système sera juste et équitable.

Annexe de la réponse à l’enquête disciplinaire

J’ai passé en revue les témoignages sur les questions qui ont été examinées dans le cadre de l’enquête disciplinaire. Je ne ferai pas de commentaires sur les opinions exprimées au cours des interrogatoires. Il s’agit simplement d’opinions, et elles n’auraient pas dû figurer dans le rapport. Je trouve qu’il est regrettable qu’elles y figurent, et je ne ferai pas d’autres commentaires. Je vais plutôt répondre au sujet des événements et des situations où j’étais présente. La présente annexe constitue ma réponse.

EE

EE indique qu’elle n’était pas au courant qu’Ashley ne sortait pas de sa cellule, que « personne de l’équipe de gestion ne [lui] a dit qu’elle ne se déplaçait pas ».

Tous les jours de la semaine de travail, nous avions des réunions opérationnelles et nous discutions de la situation d’Ashley. Nous demandions aux employés d’écrire chaque jour (à la fin de chaque quart) des rapports d’observation sur son comportement afin de raconter comment elle s’était conduite pendant leur période de travail. Bien que je n’aie pas accès à tous les RODA qui ont été rédigés, je peux affirmer que chaque RODA sur Ashley était examiné aux réunions opérationnelles, puis plus en détail aux réunions après les opérations. La plupart des renseignements écrits dans ces RODA étaient examinés lorsque venait le temps d’élaborer les plans de gestion d’Ashley.

Les évaluations quotidiennes de la menace et des risques étaient approuvées par la directrice intérimaire, en ce qui concerne les déplacements de la détenue, comment elle devait être déplacée et si elle devait être déplacée ou non.

En ce qui concerne mon rôle après le 4 septembre 2007 – j’étais alors la GSII; j’ai eu de nombreuses discussions avec la directrice intérimaire au sujet de ce rôle –, j’ai souligné à son intention, à différentes occasions, que je n’avais pas de pouvoir hiérarchique, que je me sentais à l’aise de conseiller et d’encadrer le personnel et de donner des conseils sur des questions opérationnelles, car j’ai de nombreuses années d’expérience, mais que je n’avais pas d’autorité hiérarchique. Elle m’a fait remarquer qu’elle ne faisait pas confiance à la sous-directrice ou au GC, que l’expertise faisait cruellement défaut dans le secteur opérationnel à l’établissement et qu’elle comptait sur moi pour veiller à ce que les opérations se déroulent sans heurts, en particulier dans l’unité à sécurité maximale. À de nombreuses occasions, je lui ai dit que je n’avais pas de pouvoir hiérarchique, que j’étais disposée à encadrer les employés, mais qu’elle devrait trouver un moyen d’améliorer les points forts des autres gestionnaires, qu’il s’agisse des gestionnaires supérieurs ou intermédiaires.

En ce qui concerne la fin de semaine où l’on m’a ordonné de rester à Kitchener et de me présenter à l’établissement. J’ai fait valoir à EE (au téléphone) et au directeur intérimaire GG que je n’étais pas une gestionnaire supérieure, que je n’avais pas d’autorité hiérarchique sur les gestionnaires correctionnels et que ma présence à l’établissement compromettrait l’autorité de l’agent responsable. La seule chose que je pourrais faire serait d’offrir mon soutien à l’agent responsable et d’encadrer et d’orienter les employés. Les deux tenaient à ce que je reste, et GG m’a ordonné de rester à Kitchener. Lorsqu’elle est revenue à Kitchener le lundi, je l’ai rencontrée de nouveau et je lui ai indiqué qu’on ne m’avait pas appelée à l’établissement pour aider l’agent responsable dans le cadre d’interventions auprès d’Ashley. Je lui ai mentionné que j’étais allée à l’établissement plus tard au cours de l’avant-midi du samedi (la sous-directrice m’avait appelée et demandé de rentrer au travail). Les employés étaient épuisés et frustrés d’avoir dû s’occuper d’Ashley tout l’avant-midi. J’ai apporté du café et des beignes, et je suis allée dans la salle des programmes avec les employés pour discuter avec eux des événements qui avaient eu lieu au cours de l’avant-midi et de leur plan d’action pour les futures interventions, et pour leur dire qu’il était correct d’être humain, de se sentir frustré, de demander de l’aide, etc., s’ils n’en pouvaient plus. Les employés m’ont remerciée d’être venue; le GC m’a aussi remerciée, et je suis partie. On m’a aussi demandé de rentrer au travail pour quelques heures le dimanche. Lorsque je suis arrivée à l’établissement le dimanche, Ashley dormait et elle a dormi pendant tout le temps où j’ai été là.

EE souligne qu’elle n’était pas au courant qu’on limitait la quantité de papier hygiénique que l’on remettait à Ashley. Je suis certaine qu’elle était au courant. On discutait beaucoup durant les réunions après les opérations du fait qu’Ashley se servait de papier hygiénique pour couvrir la caméra et les fenêtres. Je suis presque certaine que la directrice intérimaire parlait de la période où Ashley était à l’Établissement de Millhaven, où ils ont dû en de nombreuses occasions limiter la quantité de papier hygiénique pour assurer la sécurité de la détenue. Je suis certaine que, tout comme moi, elle ne savait pas que les employés ne donnaient à Ashley que deux carrés de papier ou qu’ils ne lui en donnaient pas lorsqu’elle en demandait à moins qu’elle enlève le papier qui recouvrait la caméra.

[…]

GG

GG dit que les stratégies pour la gestion de la détenue durant la fin de semaine étaient généralement établies le vendredi; habituellement, je ne travaillais pas le vendredi, car j’avais une semaine de travail comprimée.

Les commentaires de GG au sujet de mon dévouement à l’établissement sont déplacés et manquent sérieusement de professionnalisme. Mon affectation à l’EGV était en tant que GSII. Cette affectation ne m’obligeait pas à demeurer à Kitchener les fins de semaine. J’étais éloignée de ma famille pendant la semaine de travail et je tenais à être à la maison avec mon mari et mes enfants durant les fins de semaine. Les gestionnaires supérieurs de l’EGV savaient très bien que j’avais la responsabilité d’être l’agente de service régionale une fois toutes les 5 semaines. La fin de semaine où l’on m’a ordonné de rester, nous avions prévu faire du camping en famille. Et quand je dis en famille, je veux dire mes six enfants, deux de leurs conjoints, mes deux petits-enfants et mon mari. C’était notre voyage de fin de saison et nous en avions tous très envie. D’avoir à appeler les membres de ma famille pour leur dire que je ne pourrais pas y aller parce qu’on m’ordonnait de rester à Kitchener au cas où l’on aurait besoin de moi a été très difficile.

FF

Je rencontrais FF pratiquement tous les jours. Nous discutions du cas d’Ashley et nous essayions de trouver des solutions pour gérer la situation. Beaucoup de ces rencontres ont eu lieu à l’unité de garde en milieu fermé et beaucoup d’autres dans mon bureau à l’unité de garde en milieu fermé. La psychologue Wilma Stern-Cavalcante a aussi participé à un grand nombre de ces réunions.

Heather Magee

Je me souviens de l’incident durant lequel je me trouvais dans la rangée d’isolement et la GC Magee était là pour déterminer s’il fallait ou non entrer dans la cellule d’Ashley. Les employés ne pouvaient pas bien voir Ashley, car elle était entre le lit et la porte de la cellule. Lorsqu’ils ont ouvert la porte, Ashley leur a dit de sortir; elle parlait clairement, n’avait pas de difficulté à respirer et était agitée. Je leur ai dit à ce moment-là qu’ils ne devraient pas entrer, mais plutôt continuer à la surveiller et établir un plan d’action pour assurer la sécurité de tous. Je suis restée dans la rangée avec les employés jusqu’à ce qu’ils aient élaboré un plan et qu’ils soient entrés dans la cellule, qu’ils aient retiré la ligature et vérifié qu’Ashley était en sécurité.

Tous les GC ont une obligation de diligence et sont responsables de l’état des cellules et du respect des normes, et tous ont leur mot à dire à une occasion ou une autre. J’étais à l’établissement pendant le quart de jour, du lundi au jeudi. Je n’étais pas responsable de l’isolement et je n’avais pas d’autorité hiérarchique sur le personnel. L’agent responsable est la personne qui avait la responsabilité ultime du quart de travail. Le reste du temps, l’agent responsable avait la responsabilité de l’établissement, y compris l’unité de garde en milieu fermé et l’unité d’isolement.

Angie Fancey

Je me souviens que j’étais à l’unité pour représenter la direction, ce soir-là. C’était l’un des jours où AA donnait sa formation sur le recours à la force. Au moment où l’IPL Fancey avait de la difficulté à voir Ashley, AA est arrivé à l’unité avec le GC Broadbent. J’ai demandé à l’IPL Fancey d’amener AA à la fenêtre extérieure pour qu’il observe la détenue. AA a dit qu’il n’irait pas avec elle, qu’il n’était pas là pour cette raison. L’IPL Fancey a dit qu’elle avait de la difficulté à voir Ashley; je lui ai demandé d’utiliser d’autres moyens pour voir ce qu’Ashley faisait (par la fenêtre arrière, par la fente à aliments, en entrouvrant la porte). D’autres employés étaient à côté ensemble, ils ont déterminé qu’Ashley était en détresse. J’ai relevé l’agent qui était au poste de contrôle pour qu’il y ait assez d’agents pour l’intervention; le GC Broadbent a aussi aidé les agents pour l’intervention. Les agents ont enlevé la ligature, puis Ashley s’est endormie pour la nuit.

[Nom de la personne]

On donnait du papier hygiénique à Ashley lorsqu’elle en avait besoin. On n’autorisait pas Ashley à avoir un rouleau de papier hygiénique dans sa cellule, parce qu’elle s’en servait pour couvrir la caméra et la fenêtre. Ashley pouvait avoir du papier quand elle en avait besoin. Je n’ai jamais donné la directive de lui donner seulement deux carrés de papier et de ne pas consigner cela dans le journal. Comme l’équipe disciplinaire l’indique, il y a plusieurs inscriptions dans le journal qui concernent la quantité de papier hygiénique. (Je n’ai pas reçu de copie de ces inscriptions dans le journal; je ne peux donc pas m’y reporter.)

En ce qui concerne l’utilisation d’une autre robe de sécurité comme serviette, cela est clairement documenté dans les plans de gestion.

Je n’ai jamais ordonné qu’on porte une accusation contre Ashley pour des colorations qu’elle avait faites sur les murs; je n’étais pas d’accord pour qu’on porte des accusations contre Ashley alors qu’elle traversait cette période de crise.

Nancy Dickson

Je trouve le témoignage de l’IPL Dickson très déconcertant. Je crois qu’elle confond plusieurs interventions auprès d’Ashley Smith. L’IPL Dickson dit qu’elle ne me connaissait pas vraiment parce que j’étais nouvelle. Il est difficile de savoir exactement de quel incident elle parle et si cela s’est passé ou non pendant la période en question ou lors de son séjour précédent à l’EGV.

Il y a eu seulement une occasion où j’ai été témoin que le visage d’Ashley était bleu; c’était durant un quart de soir où j’étais présente pour représenter la direction et où l’intervenant de première ligne [nom de la personne] était responsable de l’unité d’isolement. Cette fois-là, il a dit qu’il croyait qu’Ashley était en détresse, et les employés sont entrés dans la cellule et ont retiré la ligature. L’IPL Dickson n’était pas présente ce soir-là; elle travaillait durant le quart de jour.

Chaque fois que les employés me demandaient s’ils devraient entrer dans la cellule, je donnais mon opinion et mes motifs. Si je disais à une agente de ne pas entrer, c’était ou bien parce que ce n’était pas sécuritaire, ou bien parce que je ne croyais pas qu’Ashley était en détresse. Je restais ensuite avec les employés et je continuais d’exercer une surveillance jusqu’à ce que l’on puisse déterminer qu’Ashley était en sécurité et qu’elle n’avait plus de ligature autour du cou.

F. Sanction disciplinaire

85 Mme Stapleforth, de l’administration régionale, a indiqué avoir reçu le rapport d’enquête préparé par Mme Lepage et Mme Lajoie vers le 25 février 2008 et l’avoir examiné avec d’autres employés, dont des responsables des Ressources humaines. Elle a jugé que les conclusions du rapport appelaient à considérer la prise de mesures disciplinaires, et il a été décidé de tenir des audiences disciplinaires. Les avis nécessaires ont été envoyés à la fonctionnaire et aux autres membres de la direction. En contre-interrogatoire, Mme Stapleforth a reconnu qu’elle s’était largement fondée sur le rapport d’enquête de Mme Lepage et de Mme Lajoie et qu’elle s’attendait à ce que ces dernières aient mené une enquête adéquate.

86 L’audience disciplinaire de la fonctionnaire a eu lieu en avril 2008, à Kingston. Étaient présentes lors de cette rencontre, Mme Stapleforth, la fonctionnaire et une personne qui accompagnait la fonctionnaire. Au départ, un membre de la direction avait accepté d’accompagner la fonctionnaire, mais cette personne s’est ravisée après avoir prévenu la fonctionnaire qu’il y avait un conflit d’intérêts. Une autre personne a donc accompagné la fonctionnaire à l’audience.

87 Mme Stapleforth a déclaré avoir dirigé l’audience et avoir, dans un premier temps, examiné les conclusions du rapport d’enquête avec la fonctionnaire. Comme nous l’avons vu précédemment, la fonctionnaire a préparé une réponse au rapport d’enquête, datée du 12 mars 2008, et Mme Stapleforth a également discuté de ce document avec la fonctionnaire. Les déclarations de Mme Magee, Mme Dickson et Mme Fancey qui sont consignées dans le rapport ont également fait l’objet de discussions. Selon Mme Stapleforth, la fonctionnaire était en désaccord avec les conclusions du rapport d’enquête et les déclarations des trois agentes correctionnelles.

88 Durant son témoignage, la fonctionnaire a indiqué que lors de l’audience disciplinaire, Mme Stapleforth lui a essentiellement posé des questions sur les conclusions de l’enquête de Mme Lepage et Mme Lajoie. On lui a demandé si elle souscrivait à ces conclusions. À titre d’exemple, la fonctionnaire a cité la conclusion selon laquelle elle n’avait pas compris ce qu’est une [traduction] « urgence médicale ». Elle a expliqué durant son témoignage comment elle avait décrit à Mme Stapleforth des situations où il y aurait eu une urgence médicale et d’autres situations où il n’y en aurait pas eu. Par exemple, lorsqu’une ligature était nouée de manière lâche et que le nœud se trouvait sur la poitrine de Mme Smith, il n’y avait pas d’urgence médicale.

89 Mme Stapleforth a déclaré qu’après l’audience disciplinaire, elle avait conclu que l’imposition d’une sanction disciplinaire était justifiée dans le cas de la fonctionnaire (d’autres employés ont également fait l’objet de mesures disciplinaires). Le problème était que les membres de la direction, dont la fonctionnaire, avaient dit au personnel de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith pour enlever les ligatures.

90 Il a été question de savoir si Mme Smith respirait ou non avant que le personnel entre dans sa cellule. Trois témoins ont donné des renseignements [traduction] « plutôt concordants », pour reprendre les mots de Mme Stapleforth, selon lesquels la fonctionnaire avait dit au personnel de ne pas entrer dans la cellule (ou de quitter la cellule) si Mme Smith respirait; si elle respire, [traduction] « elle est correcte », toujours selon les termes de Mme Stapleforth. De plus, les employés ont expliqué qu’à certaines occasions, ils ne s’étaient pas estimés en mesure de déterminer si Mme Smith respirait sans entrer dans la cellule, mais qu’ils avaient hésité à le faire, en raison d’instructions données par des membres de la direction, dont la fonctionnaire. Mme Stapleforth a expliqué, au cours de son témoignage, avoir visionné les vidéos et avoir observé que le visage de Mme Smith était livide, mais elle ne pouvait [traduction] « absolument pas déterminer si elle respirait ». La directive de la fonctionnaire a eu pour conséquence de [traduction] « retarder le moment » d’entrer dans la cellule de Mme Smith. Mme Stapleforth a conclu que les instructions données par la direction de ne pas entrer, ou selon lesquelles il n’était pas nécessaire d’entrer, n’étaient pas appropriées et ne tenaient pas compte de l’état médical de Mme Smith.

91 Selon Mme Stapleforth, ces instructions étaient contraires aux politiques du défendeur sur la gestion des comportements suicidaires et d’automutilation chez les détenus; plus particulièrement, la fonctionnaire a commis une erreur d’interprétation de ce qu’est une [traduction] « urgence médicale ». Comme nous l’avons vu précédemment, les politiques du défendeur (la DC 567, la DC 800 et la DC 843) comportent toutes la même définition d’une [traduction] « urgence médicale ». Dans cette définition, il est précisé que la préservation de la vie doit l’emporter sur les autres considérations, et les politiques exigent d’intervenir en cas d’urgence médicale. D’après le témoignage de Mme Stapleforth, la fonctionnaire pensait que si Mme Smith [traduction] « […] respirait, alors ça allait ». Toutefois, Mme Smith présentait d’autres signes de détresse physique, notamment le fait que son visage était livide, qu’elle suffoquait et qu’à certains moments, le personnel ne l’entendait pas respirer. De plus, le personnel n’arrivait pas toujours à voir Mme Smith, parce qu’elle se cachait dans le bas de la porte, sous son lit ou s’allongeait sur le plancher face contre terre. Mme Stapleforth a conclu que l’intervention appropriée dans les situations d’urgence médicale est d’entrer dans la cellule et d’enlever la ligature.

92 Après avoir consulté les Ressources humaines et d’autres membres du personnel, Mme Stapleforth a déterminé qu’une suspension de 20 jours constituait une sanction appropriée dans le cas de la fonctionnaire. Cette décision a été communiquée à la fonctionnaire dans une lettre datée du 5 mai 2008, qui se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

La présente a pour but de vous faire part de l’issue du processus disciplinaire concernant le rôle que vous avez joué dans l’incident survenu le matin du 19 octobre 2007, à l’Établissement Grand Valley (EGV), à l’issue duquel la détenue Smith est décédée.

J’ai soigneusement considéré l’information probante sur l’incident susmentionné, et je suis d’accord avec le rapport d’enquête disciplinaire et ses conclusions, notamment votre défaut de vous conformer à bon nombre de directives du commissaire (DC).

Je suis d’avis qu’à titre de gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive (GSII), vous avez donné aux gestionnaires correctionnels et aux intervenants de première ligne la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule d’une détenue placée en observation pour risque élevé de suicide tant qu’elle respirait ou qu’elle parlait, et que cette directive a contribué à leur confusion quant à savoir dans quelles circonstances il était nécessaire d’intervenir auprès de la détenue Smith.

Vous avez commis une erreur d’interprétation de ce que constitue une urgence médicale ou un état de détresse physique. La directive que vous avez donnée au personnel de ne pas intervenir ou de se retirer et de réévaluer la situation contrevient à la DC 800, à la DC 843 et à la DC 567. J’estime que la directive erronée que vous avez donnée aux employés et aux gestionnaires a contribué à la réaction tardive du personnel en réponse au comportement d’automutilation de la détenue, le 15 et le 19 octobre 2007.

Pour déterminer la sanction disciplinaire appropriée, j’ai pris en considération les renseignements recueillis pendant le processus d’enquête disciplinaire et pendant l’audience disciplinaire du 19 mars 2008. J’ai tenu compte du fait que vous n’étiez pas à l’EGV lors de l’incident du 19 octobre 2007 et de la période qui l’a précédé, lorsque la détenue Smith a été reconnue comme présentant un risque élevé de suicide. J’ai également considéré vos nombreuses années de service au sein du Service correctionnel du Canada (SCC), votre rendement antérieur et votre coopération durant l’enquête.

Le comportement dont vous avez fait montre est incompatible avec la conduite attendue d’un gestionnaire du SCC. Par conséquent, en vertu de l’alinéa 12(1)c) de la Loi sur la gestion des finances publiques et de l’autorité qui m’est déléguée par le commissaire, je vous suspends sans traitement pendant vingt (20) jours, à compter de la fermeture des bureaux le 5 mai 2008.

Si vous estimez que la sanction disciplinaire est injustifiée, vous avez le droit de contester la décision conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

93 Durant son témoignage, Mme Stapleforth a expliqué certaines parties de cette lettre. En ce qui a trait à la référence, au deuxième paragraphe, au poste de GSII occupé par la fonctionnaire, Mme Stapleforth a expliqué que conformément à ses fonctions de gestionnaire, la fonctionnaire avait la responsabilité de diriger le personnel, mais la consigne était de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith, et ce, même si la détenue était placée en [traduction] « observation pour risque élevé de suicide ». La fonctionnaire n’était pas à l’EGV le jour où Mme Smith est décédée, mais une observation pour risque élevé de suicide signifie qu’un détenu est placé en isolement et sous surveillance constante pour sa propre protection. Mme Stapleforth n’a pas été contre-interrogée au sujet de la référence au poste de GSII contenue dans la lettre.

94 Lors de son témoignage, Mme Stapleforth a expliqué la phrase du paragraphe 4 de sa lettre du 5 mai 2008, où elle déclare ce qui suit : [traduction] « J’estime que la directive erronée que vous avez donnée aux employés et aux gestionnaires a contribué à la réaction tardive du personnel en réponse au comportement d’automutilation de la détenue [Mme Smith], le 15 et le 19 octobre 2007. » Par [traduction] « directive erronée », Mme Stapleforth a affirmé avoir fait référence à ses préoccupations au sujet de ce qu’elle considérait être des erreurs dans l’application des politiques du défendeur, comme il en a été question plus haut. En ce qui concerne la [traduction] « réponse tardive », Mme Stapleforth a déclaré avoir examiné tous les renseignements et [traduction] « ce qui est ressorti, c’est qu’avec le temps, les employés sont devenus préoccupés par l’avis qu’ils ont reçu de la direction », selon lequel ils entraient dans la cellule de Mme Smith trop tôt et faisaient un usage abusif de la force. Ce message a amené les employés [traduction] « […] à remettre leurs actes en question », ce qui a retardé leur entrée dans la cellule, parce qu’ils [traduction] « craignaient de faire l’objet de mesures disciplinaires ». Selon Mme Stapleforth, deux vidéos montrent qu’il y avait [traduction] « manifestement un long retard » dans l’intervention du personnel, alors que Mme Smith gisait sur le plancher, une ligature autour du cou, et qu’on ne pouvait déterminer si elle respirait; [traduction] « cette situation a duré très longtemps ».

95 Le cinquième paragraphe de la lettre du 5 mai 2008 fait mention des nombreuses années de service de la fonctionnaire au sein du Service correctionnel du Canada, au cours desquelles elle n’a jamais fait l’objet de sanction disciplinaire. Mme Stapleforth a affirmé être au courant que la fonctionnaire ne se trouvait pas à l’EGV durant la dernière semaine de la vie de Mme Smith (incluant le 15 et le 19 octobre 2007). De même, la fonctionnaire n’était pas à l’EGV quand une évaluation psychologique de Mme Smith a conclu que cette dernière pensait que sa vie était sans espoir et qu’elle n’avait pas de raison de vivre. Toutefois, Mme Stapleforth a examiné [traduction] « l’ensemble de la preuve », dont les déclarations de la fonctionnaire à l’audience disciplinaire ainsi que les documents et les renseignements fournis par les autres employés.

96 Comme il est indiqué au sixième paragraphe de la lettre, la décision du défendeur a été d’imposer une suspension de 20 jours à la fonctionnaire. D’après Mme Stapleforth, la directive erronée donnée par la fonctionnaire au personnel a créé [traduction] « une situation très grave ». Mme Stapleforth était [traduction] « extrêmement préoccupée » du fait que même en situation d’urgence médicale, le personnel avait reçu la directive de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith. Cette directive était [traduction] « mal avisée » et [traduction] « inexplicable ». Après consultation avec le personnel des Ressources humaines, il a été déterminé qu’une suspension de 20 jours constituait une sanction appropriée.

97 En contre-interrogatoire, Mme Stapleforth a été interrogée au sujet d’un document du défendeur intitulé « Guide d’application – Sanctions disciplinaires et rétrogradation ou licenciement non disciplinaires ». Mme Stapleforth connaissait ce document. Elle n’était pas certaine que les renseignements qu’il contient sont exacts, mais elle ne pensait pas qu’il existe de version plus récente que celle de novembre 1994, qui a été déposée en preuve. Elle a reconnu que l’enquête menée par Mme Lepage et Mme Lajoie correspondait aux [traduction] « Entrevues et audiences disciplinaires » dont il est question à la section D du guide disciplinaire. Elle a admis que la fonctionnaire avait vu le rapport d’enquête de Mme Lepage et Mme Lajoie pour la première fois le 3 mars 2008. Mme Stapleforth a également affirmé que la fonctionnaire était en désaccord avec les déclarations des témoins interrogés dans le cadre de cette enquête et l’a fait savoir lors de l’audience disciplinaire.

98 Durant le contre-interrogatoire, Mme Stapleforth a convenu que la section du guide disciplinaire intitulée [traduction] « Étapes du processus disciplinaire » décrit les étapes qui doivent être suivies, que les employés ont droit à l’équité procédurale, que des allégations précises doivent être présentées aux employés, que le ouï-dire ne constitue pas la meilleure des preuves et qu’une enquête disciplinaire doit être effectuée dans les plus brefs délais à partir du moment où les renseignements sont disponibles. De même, comme le prévoit le document (au paragraphe 4), il est important pour un employé [traduction] « d’être avisé de la nature exacte des allégations » et il est important de [traduction] « formuler » les questions pertinentes. Mme Stapleforth n’était pas en mesure de dire si les questions posées par Mme Lepage et Mme Lajoie avaient été détruites ou si elles avaient été conservées. Mme Stapleforth a reconnu que selon le guide disciplinaire, un employé [traduction] « a le droit de répondre à des allégations [formulées contre lui] et de fournir de l’information à leur sujet » et que l’enquête devait [traduction] « établir les faits en écoutant la version de l’employé ».

99 Le paragraphe 4(h) du guide indique que [traduction] « [t]outes les déclarations pertinentes des témoins et de l’employé doivent être consignées et, si possible, signées et datées par l’auteur de la déclaration ». Mme Stapleforth ne se souvenait pas si les déclarations des témoins avaient été signées dans le cas qui nous occupe, mais elle a admis que lorsqu’elle les a vues, elles n’étaient pas signées. Les déclarations ont été incluses dans la partie narrative du rapport. Mme Stapleforth a été interrogée sur le paragraphe 2(d) du guide, qui précise que [traduction] « toute nouvelle preuve et toute preuve contradictoire devraient faire l’objet d’une enquête, et les conclusions devraient être consignées »; on lui a fait remarquer que les déclarations de Mme Magee, Mme Dickson et Mme Fancey constituaient des preuves contradictoires. Elle a répondu que leurs déclarations n’étaient pas nouvelles et que la fonctionnaire les avait commentées dans sa note de service de mars 2008. En ce qui a trait à la note de service de la fonctionnaire du 12 mars 2008, Mme Stapleforth a déclaré l’avoir examinée et en avoir discuté avec la fonctionnaire lors de l’audience disciplinaire. Elle a nié qu’il aurait été nécessaire d’approfondir l’enquête après que la fonctionnaire a présenté sa note de service et a affirmé que le rapport préparé par Mme Lepage et Mme Lajoie et d’autres documents produits étaient suffisants pour fonder sa décision. Mme Stapleforth jugeait toute la documentation [traduction] « convaincante ».

100 Pour ce qui est des renseignements consignés dans le rapport d’enquête de Mme Lepage et Mme Lajoie, Mme Stapleforth a nié qu’une mention dans la déclaration de Mme Magee faisant état de [traduction] « confusion chez les employés » constituait un ouï-dire. Elle a admis qu’aucune date n’était inscrite dans le rapport relativement aux incidents décrits par Mme Magee, Mme Dickson et Mme Fancey et elle a reconnu qu’il était impossible de savoir s’il y avait eu trois incidents ou moins de trois incidents, étant donné que Mme Magee et Mme Fancey pouvaient avoir décrit le même incident. Mme Stapleforth n’a pas communiqué avec Mme Magee, Mme Dickson ou Mme Fancey dans le cadre du processus disciplinaire qu’elle a mené.

101 En contre-interrogatoire, Mme Stapleforth a été interrogée au sujet de la lettre disciplinaire du 5 mai 2008. Elle ne se rappelait pas les dates précises au cours desquelles Mme Smith a été placée en observation pour risque de suicide, puis sous surveillance pour risque élevé de suicide, mais elle a convenu que l’observation pour risque élevé de suicide implique des niveaux d’intervention élevés. Elle a admis qu’aucune des personnes interrogées par Mme Lepage et Mme Lajoie n’était au travail le 19 octobre 2007, le jour où Mme Smith est décédée. On a laissé entendre à Mme Stapleforth qu’il n’y avait pas de preuve voulant que les directives données aux employés par la fonctionnaire aient eu une influence sur leur conduite le 19 octobre 2007. Elle a répondu que [traduction] « les directives données [par la fonctionnaire] au fil du temps constituaient un facteur ». En outre, on a constaté une [traduction] « tendance constante » de la part des gestionnaires à dire aux employés de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith, qu’ils devaient plutôt [traduction] « se retirer et réévaluer la situation ». Mme Stapleforth a reconnu qu’elle ne pouvait dire ce qui avait influencé le personnel de service dans l’unité de garde en milieu fermé le 19 octobre 2007.

102 Lors du contre-interrogatoire de Mme Stapleforth, il a également été question de la séance de formation animée par AA, de l’administration régionale. On lui a fait part d’une déclaration tirée des notes de l’interrogatoire de Mme Fancey mené par Mme Lepage et Mme Lajoie, selon laquelle [traduction] « […] [AA] a indiqué qu’il y avait un usage abusif au recours à la force et a dit aux agents qu’à moins qu’ils voient que la détenue ne respire pas, ils ne devaient pas entrer dans la cellule ». De plus, une autre personne interrogée a dit que AA avait déclaré au personnel, lors d’une séance de formation, que l’on avait fait usage de la force plus souvent à l’EGV que dans un établissement à sécurité maximale comme l’Établissement de Millhaven, et que Mme Smith [traduction] « […] mourra d’un accident ». Mme Stapleforth a reconnu que AA avait tenu ces propos, qu’il s’agissait de [traduction] « son point de vue » et que ses déclarations [traduction] « avaient pu » contribuer à semer la confusion chez les employés. AA n’a pas fait l’objet d’une sanction disciplinaire. Mme Stapleforth a convenu qu’elle était une défenderesse (parmi d’autres) dans une poursuite en justice intentée par la famille de Mme Smith. Elle a été interrogée au sujet de plusieurs déclarations contenues dans une défense présentée en son nom et elle a précisé que les déclarations représentaient la position du défendeur dans le litige.

103 Comme nous l’avons mentionné plus haut, plusieurs autres employés ont fait l’objet de mesures disciplinaires à la suite du décès de Mme Smith. La liste présentée ci-dessous a été fournie par l’avocat d’employés autres que la fonctionnaire ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires à la suite du décès de Mme Smith. Comme je l’ai expliqué précédemment, pour des raisons de confidentialité, j’ai protégé l’anonymat de ces personnes en les désignant par les lettres « M », « N » et ainsi de suite. La liste montre la sanction disciplinaire initialement imposée par le défendeur à l’endroit de ces employés, puis la sanction disciplinaire [traduction] « définitive » à l’issue d’évènements comme des changements apportés lors de la procédure de règlement des griefs. Je n’ai reçu aucune preuve concernant les circonstances individuelles de chacun de ces autres employés, ni aucun détail expliquant pourquoi la sanction disciplinaire imposée à l’une ou l’autre de ces personnes a été modifiée. Voici la liste :

Employé Sanction disciplinaire initiale Sanction disciplinaire définitive
« M » Licenciement Rétrogradation
« N » Sanction pécuniaire de 20 jours Sanction retirée
« O » Réprimande écrite Retirée du dossier
« P » Licenciement Licenciement
« Q » Licenciement Réintrégration
« R » Licenciement Suspension de 20 jours
« S » Licenciement Démission
« T » Licenciement Réintrégration (acune sanction)
« U » Suspension de 60 jours Suspension de 15 jours
« V » Suspension de 60 jours Suspension de 15 jours
« W » Suspension de 60 jours Suspension de 15 jours
« X« Suspension de 60 jours Suspension de 15 jours
« Y« Suspension de 10 jours Suspension de 10 jours
« Z » Rétrogradation Rétrogradation

L’avocat a indiqué qu’en octobre 2007, certains de ces employés détenaient un poste de niveau hiérarchique équivalent ou supérieur à celui de la fonctionnaire et que certains étaient de service dans l’unité d’isolement lorsque Mme Smith est décédée, le 19 octobre 2007. D’autres employés n’étaient pas de service ce jour-là, et certains employés sont des intervenants de première ligne.

IV. Analyse

104 J’aimerais d’abord souligner que la présente procédure d’arbitrage a pour objet de déterminer si le défendeur avait raison d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire et, dans l’affirmative, quel niveau de sévérité il fallait donner à cette mesure dans les circonstances. La procédure ne porte pas sur la cause du décès de Mme Smith, le 19 octobre 2007, ou sur les événements de cette journée. Elle ne porte pas non plus sur la responsabilité éventuelle d’autres employés dans le décès de Mme Smith ou sur les événements ayant mené à son décès.

105 J’appliquerai les critères habituels pour trancher les questions relatives à des mesures disciplinaires en répondant à trois questions (Wm. Scott & Company Ltd. and Canadian Food and Allied Workers Union, Local P-162 [1977] 1 CLRBR 1) : La fonctionnaire a-t-elle commis une inconduite? Si oui, la suspension de 20 jours imposée par le défendeur représentait-elle une sanction adéquate dans les circonstances? Si la suspension de 20 jours n’était pas une sanction adéquate, quelle autre sanction aurait été juste et équitable dans les circonstances?

A. Y a-t-il eu inconduite?

106 En général, pour ce qui est d’établir ce qui représente une inconduite dans le cas d’un agent correctionnel, il ressort clairement de la jurisprudence que les agents correctionnels sont soumis à des règles de conduite plus rigoureuses que les employés qui assument d’autres fonctions (McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, paragraphe 80). Il en est ainsi parce que [traduction] « les personnes engagées au sein des services correctionnels savent que leur employeur attend davantage de leur part que d’autres types de travailleurs » (Govt. of the Province of British Columbia v. B.C. Government Employees’ Union (Larry Williams Grievance), [1985] B.C.C.A.A.A. No. 26 (Chertkow) (QL); affaire citée dans Government of British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees’ Union (Jaye Grievance), [1997] B.C.C.A.A.A. No. 813 (Hope), paragraphe 28 (QL)).

107 Le défendeur soutient qu’il avait un motif valable pour imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire. Ses raisons sont énoncées dans le passage suivant, tiré de la lettre disciplinaire que Mme Stapleforth a envoyée à la fonctionnaire le 5 mai 2008 :

[Traduction]

[…]

Je suis d’avis qu’à titre de gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive (GSII), vous avez donné aux gestionnaires correctionnels et aux intervenants de première ligne la directive explicite de ne pas entrer dans la cellule d’une détenue placée en observation pour risque élevé de suicide tant qu’elle respirait ou qu’elle parlait, et que cette directive a contribué à leur confusion quant à savoir dans quelles circonstances il était nécessaire d’intervenir auprès de la détenue Smith.

Vous avez commis une erreur d’interprétation de ce que constitue une urgence médicale ou un état de détresse physique. La directive que vous avez donnée au personnel de ne pas intervenir ou de se retirer et de réévaluer la situation contrevient à la DC 800, à la DC 843 et à la DC 567. J’estime que la directive erronée que vous avez donnée aux employés et aux gestionnaires a contribué à la réaction tardive du personnel en réponse au comportement d’automutilation de la détenue, le 15 et le 19 octobre 2007.

[…]

108 On a fait valoir pour la fonctionnaire que ce document comprend des erreurs, dont certaines invalident entièrement la mesure disciplinaire. J’étudierai ces questions à la fin de cette section. Je résumerai également la question de déterminer si la fonctionnaire a commis une inconduite.

1. Ce qui a été dit

109 Il est essentiel de déterminer si la fonctionnaire a dit ce que le défendeur prétend qu’elle a dit. Si la fonctionnaire n’a pas dit ces choses, cela signifie que dans les circonstances, il n’y avait aucune raison d’imposer une mesure disciplinaire. Le défendeur a présenté trois témoins pour appuyer son argument voulant que la fonctionnaire ait donné des directives erronées au personnel. Les détails des témoignages de ces témoins ainsi que de celui de la fonctionnaire sont énoncés plus haut, et je les examine ici.

110 Mme Dickson, agente correctionnelle, a déclaré qu’elle travaillait au secteur d’admission et de libération de l’EGV, et non à l’unité d’isolement. Il arrivait qu’on l’appelle pour venir à l’unité d’isolement prêter main-forte à d’autres agents qui se préparaient à entrer dans la cellule de Mme Smith afin de retirer des ligatures. Une fois, Mme Smith avait du mal à respirer, son visage était livide et elle avait les yeux exorbités. La fonctionnaire était sur les lieux. Selon Mme Dickson, juste avant que l’équipe entre dans la cellule, la fonctionnaire a levé le bras et a dit aux agents que Mme Smith respirait encore et qu’il ne fallait pas entrer. Mme Dickson a déclaré qu’elle s’était sentie frustrée. Elle a dit quelque chose de [traduction] « déplacé » et a quitté l’unité. Moins d’une minute après être partie, on lui a demandé de revenir à l’unité pour entrer dans la cellule avec les autres agents et retirer les ligatures qui étaient autour du cou de Mme Smith.

111 Lors de son témoignage, la fonctionnaire a déclaré qu’elle ne se [traduction] « [rappelait] pas les circonstances de la façon dont [Mme Dickson] les a décrites », et elle a ajouté qu’elle pensait que Mme Dickson [traduction] « [faisait] référence à plusieurs situations ». Cet énoncé correspond à ce que la fonctionnaire a indiqué dans sa déclaration écrite du 12 mars 2008 :

[Traduction]

Chaque fois que les employés me demandaient s’ils devaient entrer dans la cellule, je donnais mon opinion et mes motifs. Si je disais à une agente de ne pas entrer, c’était ou bien parce que ce n’était pas sécuritaire, ou bien parce que je ne croyais pas qu’Ashley était en détresse. Je restais ensuite avec les employés et je continuais d’exercer une surveillance jusqu’à ce que l’on puisse déterminer qu’Ashley était en sécurité et qu’elle n’avait plus de ligature autour du cou.

112 Comme on l’a mentionné plus haut, Mme Lepage et Mme Lajoie ont pris des notes sur ce que leur disaient les témoins pendant l’enquête. Dans les notes sur Mme Dickson, il est indiqué ce qui suit : [traduction] « À deux occasions, l’agente Dickson avait été retenue par [la fonctionnaire] (qui avait mis sa main devant l’agente) » pour l’empêcher d’entrer dans la cellule de Mme Smith. [Traduction] « Mme Dickson avait mis ses gants et dit qu’elle était prête à entrer dans la cellule. [La fonctionnaire] avait dit non, que la détenue respirait encore et qu’elle allait bien. »

113 Je conclus par cette preuve que Mme Dickson a le souvenir le plus clair de ce qui s’est passé. Elle se rappelait qu’on l’avait appelée à l’unité d’isolement, que la fonctionnaire l’avait empêchée d’entrer dans la cellule, qu’elle avait quitté l’unité et qu’elle était revenue pour entrer dans la cellule. De son côté, la fonctionnaire a affirmé qu’elle ne se [traduction] « rappelle pas les circonstances de la façon » dont Mme Dickson les a décrites et qu’elle croyait qu’elle faisait référence à plusieurs situations. Selon les notes des enquêteuses, Mme Dickson aurait dit qu’il y avait plus qu’un incident, mais il est clair dans son témoignage qu’il est question d’un incident en particulier.

114 À mon avis, il y a des passages équivoques dans le témoignage de la fonctionnaire. De plus, la réplique écrite de mars 2008 de la fonctionnaire à la déclaration donnée par Mme Dickson pendant l’enquête (menée par Mme Lepage et Mme Lajoie) comprenait une référence au fait qu’elle disait [traduction] « à une agente de ne pas entrer ». Elle aurait donné cette consigne parce que Mme Smith n’était pas en détresse ou que ce n’était pas sécuritaire. Cette déclaration ne contredit pas le témoignage de Mme Dickson; elle laisse en fait planer la possibilité que la situation décrite par Mme Dickson soit juste. Enfin, selon les notes de Mme Lepage et de Mme Lajoie, on aurait demandé à la fonctionnaire pendant l’enquête si elle avait déjà dit au personnel de ne pas entrer dans la cellule tant que Mme Smith respirait. La réponse de la fonctionnaire était : [traduction] « […] oui, mais pas juste ça », ce qui laisse également planer la possibilité que le témoignage de Mme Dickson soit juste.

115 Je me penche ensuite sur le témoignage de Mme Magee, un autre témoin pour le défendeur. Elle était gestionnaire correctionnelle à l’EGV, où elle travaillait avec la fonctionnaire. Elles avaient toutes les deux des responsabilités de supervision des IPL, au moins quand la fonctionnaire était chef d’équipe. Mme Magee était au courant de la difficulté qu’on avait à gérer Mme Smith et de son comportement imprévisible, mais elle ne faisait pas normalement partie de l’équipe qui entrait dans la cellule de Mme Smith. Une fois, pendant un quart de jour, la fonctionnaire était chef d’équipe, et Mme Magee a déclaré que la fonctionnaire [traduction] « était responsable de l’unité de garde en milieu fermé ». Une équipe s’apprêtait à entrer dans la cellule de Mme Smith pour retirer une ligature. La porte de la cellule était ouverte. C’est à ce moment qu’est arrivée la fonctionnaire. Elle a dit au personnel de ne pas entrer dans la cellule, parce que Mme Smith respirait encore. Quelqu’un a fermé la porte, et l’équipe a commencé à se disperser. Mme Magee se tenait debout près de la porte de la cellule, et elle pouvait entendre que Mme Smith cherchait sa respiration. Elle a dit à la fonctionnaire qu’elle allait rappeler l’équipe pour entrer dans la cellule. La fonctionnaire a répondu : [traduction] « C’est ton quart ». Mme Magee a utilisé sa radio et a crié à l’équipe de revenir. L’équipe est alors entrée dans la cellule et a retiré la ligature.

116 Selon les notes de Mme Lepage et de Mme Lajoie, Mme Magee aurait dit qu’elle [traduction] « se souvenait d’une occasion où on l’avait appelée pour qu’elle se rende à l’unité à sécurité maximale et où [la fonctionnaire] avait dit à tous "sortez, sortez", parce que [Mme Smith] respirait encore ». Elle aurait dit également qu’elle [traduction] « se souvenait qu’à une autre occasion, elle avait reçu un appel pendant qu’elle était [l’agente responsable] et elle s’était rendue à l’unité ». Comme les agents ne pouvaient pas voir Mme Smith dans la cellule, Mme Magee [traduction] « leur avait donné l’ordre d’entrer dans la cellule. Les employés sont entrés, puis [la fonctionnaire] leur a dit de sortir et a dit "elle respire, elle va bien" ».

117 Dans cette affaire, le témoignage de la fonctionnaire concernant le récit des événements de Mme Magee se limitait à sa réponse à une question. On lui a demandé s’il avait été question de cet incident lors de l’enquête disciplinaire de Mme Stapleforth, et elle a répondu qu’elle ne s’en souvenait pas. La fonctionnaire a commenté comme suit la version des faits de Mme Magee dans sa note de service du 12 mars 2008 :

[Traduction]

[…]

Je me souviens de l’incident durant lequel je me trouvais dans la rangée d’isolement et la GC Magee était là pour déterminer s’il fallait ou non entrer dans la cellule d’Ashley. Les employés ne pouvaient pas bien voir Ashley, car elle était entre le lit et la porte de la cellule. Lorsqu’ils ont ouvert la porte, Ashley leur a dit de sortir; elle parlait clairement, n’avait pas de difficulté à respirer et était agitée. Je leur ai dit à ce moment-là qu’ils ne devraient pas entrer, mais plutôt continuer à la surveiller et établir un plan d’action pour assurer la sécurité de tous. Je suis restée dans la rangée avec les employés jusqu’à ce qu’ils aient élaboré un plan et soient entrés dans la cellule, aient retiré la ligature et vérifié qu’Ashley était en sécurité.

Tous les GC ont un devoir de diligence et sont responsables de l’état des cellules et du respect des normes, et tous ont leur mot à dire à une occasion ou une autre. J’étais à l’établissement pendant le quart de jour, du lundi au jeudi. Je n’étais pas responsable de l’isolement et je n’avais pas d’autorité hiérarchique sur le personnel. L’agent responsable est la personne qui avait la responsabilité ultime du quart de travail. Le reste du temps, l’agent responsable avait la responsabilité de l’établissement, y compris l’unité de garde en milieu fermé et l’unité d’isolement.

118 Ce document fait partie de la preuve, mais son contenu n’est pas inclus dans les déclarations sous serment de la fonctionnaire. La fonctionnaire a affirmé dans sa déclaration écrite qu’elle n’avait essentiellement aucune responsabilité à l’unité d’isolement, ce qui est en contradiction avec les déclarations d’autres témoins, qui ont indiqué qu’un chef d’équipe avait une grande responsabilité avant octobre 2007, et la preuve de la fonctionnaire appuie ces déclarations. Par exemple, dans le récit d’un incident impliquant Mme Fancey (voir ci-dessous), la fonctionnaire a indiqué qu’elle était la [traduction] « représentante de la direction » pendant ce quart.

119 Je note également que la fonctionnaire ne nie pas dans sa déclaration avoir ordonné au personnel de ne pas entrer dans la cellule ou, selon ses dires, de se retirer. Elle ne nie pas non plus que la raison pour laquelle elle a ordonné à l’équipe de se retirer est qu’elle croyait que Mme Smith respirait. La question en litige est de déterminer si Mme Smith respirait ou s’il y avait une urgence médicale, pour reprendre les termes des politiques du défendeur. Mme Magee, une gestionnaire correctionnelle d’expérience, et les membres de son équipe croyaient qu’il y avait une urgence médicale. L’équipe serait entrée dans la cellule si la fonctionnaire n’était pas intervenue. La fonctionnaire soutient dans sa déclaration qu’aucun problème n’est survenu, que l’équipe s’est retirée, a préparé un autre plan et est entrée de nouveau dans la cellule. Je conclus qu’il y avait effectivement une urgence médicale, et que la différence entre les approches de Mme Magee et de la fonctionnaire était le temps de réaction. L’équipe croyait qu’il y avait une urgence médicale, mais pas la fonctionnaire. Plus précisément, la fonctionnaire ne croyait pas qu’il y avait une urgence médicale au début de l’incident, mais selon sa propre déclaration, après avoir réévalué la situation, elle est arrivée à la même conclusion que ses collègues.

120 Mme Fancey, agente correctionnelle à l’unité de garde en milieu fermé de l’EGV, était le troisième témoin pour le défendeur. Elle avait beaucoup d’expérience avec Mme Smith. Elle avait fait partie d’une équipe qui était entrée plusieurs fois dans la cellule de Mme Smith pour retirer des ligatures. Mme Fancey connaissait la fonctionnaire, car cette dernière était une chef d’équipe responsable de l’unité de garde en milieu fermé.

121 À une occasion, Mme Fancey avait été désignée agente chargée de surveiller étroitement Mme Smith, et il était impossible de bien voir la détenue à partir de la rangée (par la porte de la cellule), car elle s’était cachée quelque part dans la cellule. Mme Fancey pouvait entendre Mme Smith prendre de profondes respirations et suffoquer. Elle est allée regarder par la fenêtre arrière (à l’extérieur, en arrière de la cellule), mais elle ne pouvait toujours pas voir clairement la détenue. Mme Fancey a alors rassemblé une équipe pour entrer dans la cellule. La fonctionnaire était aussi dans la rangée, et elle a dit à Mme Fancey de ne pas entrer dans la cellule, parce que Mme Smith respirait encore. L’équipe n’est pas entrée dans la cellule, et elle a commencé à chronométrer les respirations de Mme Smith. Après un certain temps, les respirations étaient toutes les deux minutes. Selon Mme Fancey, la fonctionnaire ne voulait toujours pas envoyer l’équipe à l’intérieur. La fonctionnaire a fini par obtenir la clé de la cellule. L’équipe est entrée et a retiré une ligature qui se trouvait autour du cou de Mme Smith. Mme Fancey a remarqué qu’il y avait une petite goutte de sang sur la robe de Mme Smith.

122 Lors de son témoignage, la fonctionnaire a affirmé se souvenir de l’incident et que Mme Fancey [traduction] « avait de la difficulté à déterminer si elle devait entrer ou non » dans la cellule de Mme Smith. Une personne de l’administration régionale se trouvait également dans la rangée à ce moment-là (AA) et quelqu’un (possiblement la fonctionnaire) a suggéré de demander à ce dernier de s’impliquer dans la situation. Il est à noter que, lors d’une séance de formation sur le traitement de Mme Smith, AA avait critiqué la façon dont le personnel gérait la situation. Il considérait notamment que le personnel faisait usage d’une force excessive. Selon la fonctionnaire, AA a refusé de participer. La fonctionnaire a alors dit à Mme Fancey d’observer de son mieux Mme Smith. Mme Lepage et Mme Lajoie ont pris les notes suivantes pendant leur entrevue avec Mme Fancey : [traduction] « Ça devenait très angoissant. […] Elle ne l’avait pas vue respirer depuis plus d’une minute. […] Il fallait entrer, mais [la fonctionnaire] a dit non. »

123 Dans sa déclaration du 12 mars 2008, la fonctionnaire a dit ce qui suit :

[Traduction]

Je me souviens que j’étais à l’unité pour représenter la direction, ce soir-là. C’était l’un des jours où AA donnait sa formation sur le recours à la force. Au moment où l’IPL Fancey avait de la difficulté à voir Ashley, AA est arrivé à l’unité avec le GC Broadbent. J’ai demandé à l’IPL Fancey d’amener AA à la fenêtre extérieure pour qu’il observe la détenue. AA a dit qu’il n’irait pas avec elle, qu’il n’était pas là pour cette raison. L’IPL Fancey a dit qu’elle avait de la difficulté à voir Ashley; je lui ai demandé d’utiliser d’autres moyens pour voir ce qu’Ashley faisait (par la fenêtre arrière, par la fente à aliments, en entrouvrant la porte). D’autres employés étaient près; ensemble, ils ont déterminé qu’Ashley était en détresse. J’ai relevé l’agent qui était au poste de contrôle pour qu’il y ait assez d’agents pour l’intervention; le GC Broadbent a aussi aidé les agents pour l’intervention. Les agents ont enlevé la ligature, puis Ashley s’est endormie pour la nuit.

124 On semble s’entendre sur le fait qu’il était difficile de faire une évaluation visuelle fiable de Mme Smith. L’équipe a fini par entrer dans la cellule. Cependant, la fonctionnaire a déclaré dans son témoignage que Mme Fancey avait de la difficulté à déterminer si elle devait ou non entrer dans la cellule, ce qu’elle n’a pas mentionné dans sa déclaration écrite de mars 2008, environ six mois après le décès de Mme Smith. Je conclus que la situation décrite dans la déclaration écrite de la fonctionnaire et le témoignage de Mme Fancey était juste : Mme Fancey avait en fait de la difficulté à voir clairement Mme Smith. Mme Fancey n’avait pas de la difficulté à déterminer si elle devait entrer dans la cellule. En fait, elle avait décidé d’entrer avec ses collègues, et l’équipe serait entrée plus tôt si la fonctionnaire n’était pas intervenue.

125 On a fait valoir au nom de la fonctionnaire que les témoignages de Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey ne sont pas fiables et ne devraient pas être pris en considération pour plusieurs raisons. Je me pencherai dès maintenant sur l’une de ces raisons, et plus tard sur les autres.

126  Il est vrai qu’aucun de ces trois témoins ne pouvait préciser la date des incidents qu’ils ont décrits. Cependant, Mme Dickson était certaine que l’incident s’était produit avant le décès de Mme Smith. Elle a également fait remarquer que l’incident avait eu lieu il y a cinq ans ou plus et qu’elle ne pouvait pas se rappeler les dates après tout ce temps. Mme Magee se rappelait qu’il s’agissait d’un quart de jour, et elle a mentionné qu’il s’était passé cinq ans depuis l’automne 2007 (dans le contexte de la séance de formation avec AA), mais elle était certaine que l’incident qu’elle décrivait avait eu lieu alors que la fonctionnaire était chef d’équipe. Quand on lui a demandé s’il se pouvait qu’elle confonde deux incidents, elle a répondu : [traduction] « […] l’incident [avec la fonctionnaire] se démarque dans mon esprit, parce que c’était la première fois qu’un chef d’équipe me donnait cette directive ». Lors du contre-interrogatoire, on a demandé à Mme Fancey si, pendant l’enquête, elle avait mentionné à Mme Lepage et à Mme Lajoie quand s’était produit l’incident avec la fonctionnaire, ou si les enquêteuses lui avaient demandé une date. Mme Fancey a répondu qu’elle ne se le rappelait pas. On lui a aussi demandé si l’incident qu’elle avait décrit avait eu lieu en juin ou en juillet 2007, et elle a répondu : [traduction] « après août sans aucun doute, mais probablement à la fin de septembre ».

127 Je reconnais que cette affaire a pris beaucoup de temps avant d’être renvoyée en arbitrage. Cependant, je n’ai devant moi aucune preuve pouvant expliquer ce laps de temps. Je n’ai donc rien sur quoi me fonder pour tirer quelque conclusion que ce soit concernant le temps écoulé. Il est évident qu’un tel laps de temps amène des difficultés, puisque les témoins doivent se rappeler des événements qui se sont produits cinq ans plus tôt, mais je ne suis pas d’accord avec la fonctionnaire qu’il y aurait lieu de rejeter complètement les témoignages des trois témoins du défendeur parce qu’ils ne pouvaient pas donner de dates précises. Je conviens qu’il faut examiner attentivement les preuves de tous les témoins en tenant compte du temps écoulé. D’après la prépondérance des probabilités, je suis convaincu que les éléments de preuve présentés par Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey sont assez fiables quant à la période où les incidents décrits se sont produits. De plus, et on en a discuté en détail plus haut, dans l’ensemble, la preuve n’est pas toute blanche ou toute noire. Par exemple, le fait que la fonctionnaire a déclaré qu’elle ne se souvenait pas de l’incident avec Mme Dickson laisse planer la possibilité que la preuve de Mme Dickson soit juste. De plus, dans ses déclarations et son témoignage, la fonctionnaire renvoie à divers incidents sans mentionner de dates. Par ailleurs, il est important de noter que dans ses déclarations et son témoignage, la fonctionnaire a affirmé qu’elle avait en effet ordonné aux agents de réévaluer certaines situations alors qu’ils étaient prêts à entrer dans la cellule de Mme Smith. Dans ces incidents, la question en litige est de déterminer s’il convenait en effet de réévaluer la situation, ce qui est également discuté ci-dessous.

128 En résumé, les éléments de preuve de la fonctionnaire ne contredisent pas directement au moins deux des témoins du défendeur. Pour ce qui est de Mme Dickson, la fonctionnaire a déclaré qu’elle ne se rappelait pas l’incident, ce qui contraste avec le récit détaillé de Mme Dickson. Dans l’ensemble, je conclus que les témoignages de Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey sont cohérents dans le temps, et qu’il faut y accorder plus de poids que le témoignage de la fonctionnaire.

129 Par conséquent, je conclus que le défendeur a démontré, d’après la prépondérance des probabilités, que la fonctionnaire a fait les déclarations que le défendeur soutient qu’elle a faites.

2. Documents et enregistrements

130 La fonctionnaire a également fait valoir que je dois ignorer complètement les témoignages de Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey parce qu’aucun enregistrement et aucun rapport d’incident n’est associé aux incidents décrits. Quelques rapports d’incident ont été déposés en preuve, mais aucun ne portait sur les situations décrites par les témoins. On a fait valoir au nom de la fonctionnaire qu’il était [traduction] « inconcevable » que le défendeur ait pris une [traduction] « décision pouvant mettre fin à la carrière » de la fonctionnaire sans produire ces rapports et enregistrements. Bien sûr, comme il s’agit d’une question de réglementation, je n’ai pas le pouvoir de tirer des conclusions concernant la façon dont le défendeur tient ses dossiers.

131 La fonctionnaire a toutefois poussé son argument plus loin. Elle a fait valoir que je devais tirer une conclusion défavorable, puisque le défendeur n’a pas fourni l’information pertinente qui était en sa possession (Vieczorek v. Piersma, [1987] 58 O.J. No. 124 (Ont. C.A.), paragraphe 17; Bryan, Lederman et Fuerst, The Law of Evidence in Canada, troisième édition, 2009, page 377). Selon l’interprétation de la fonctionnaire, je devrais conclure que le défendeur a de l’information sous forme de rapports et de bandes vidéo qui appuie la version des faits de la fonctionnaire, et qu’il a dissimulé cette information dans le cadre de la présente procédure. Par conséquent, je devrais accorder plus de poids au témoignage de la fonctionnaire qu’à ceux d’autres témoins, comme Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey.

132 On a formulé un commentaire préliminaire sur cette question. On a fait valoir qu’il n’y avait aucune preuve que le défendeur aurait tenté délibérément de dissimuler des éléments de preuve. J’ai participé à des discussions sur la divulgation de preuve, et la Commission a émis une ordonnance sur cette question. Toutes ces discussions portaient sur des préoccupations relatives à la vie privée. De plus, dans son témoignage, la fonctionnaire n’a pas indiqué que le défendeur avait agi avec malhonnêteté. Dans le cas de Mme Dickson, la fonctionnaire ne pouvait pas se [traduction] « rappeler » les faits de la façon dont Mme Dickson les avait décrits. Dans le cas de Mme Magee et de Mme Fancey, il y avait une différence d’opinions pour ce qui est de déterminer s’il fallait ou non entrer dans la cellule de Mme Smith.

133 Après avoir consulté la jurisprudence, je note que le juge des faits n’est pas tenu de tirer une conclusion défavorable quand une des parties ne fournit pas de l’information pouvant être pertinente (Vieczorek, paragraphe 17). De plus, il ne s’agit pas ici d’une affaire où le défendeur n’a soumis aucune preuve sur un point important, comme lorsqu’un employé refuse de fournir quelque preuve que ce soit à l’audience sur les mesures disciplinaires qui ont été prises contre lui. Dans la présente affaire, on me demande plutôt de préférer une version des faits à une autre. À mon avis, les principes qui sous-tendent le concept de conclusion défavorable ne me forcent pas à rendre une conclusion en faveur de la fonctionnaire et contre le défendeur. La conclusion défavorable fait partie de la procédure d’arbitrage, comme la considération de tous les autres éléments de preuve.

134 Cela étant dit, je prends en note la description détaillée qu’ont donnée Mme Lepage et Mme Lajoie, par exemple, en se fondant sur les rapports et les bandes vidéo qu’elles ont examinés. Comme il est indiqué plus haut, je n’ai pas devant moi une description directe des événements du 17 octobre 2007. Pour ce qui est des incidents décrits par Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey, encore une fois, si on exclut le rapport d’enquête, je n’ai pas reçu de rapports ou de bandes vidéo sur les événements qu’elles décrivent. Mais c’est un risque que le défendeur assume, et ce sont les éléments de preuve qu’il a soumis qui détermineront si sa défense sera ou non suffisante.

135 En résumé, je n’accepte pas l’argument présenté au nom de la fonctionnaire que je devrais rejeter tous les éléments de preuve du défendeur parce qu’il a omis de soumettre des documents ou des bandes vidéo dans le cadre de cette affaire.

3. Gestionnaire, Stratégie d’intervention intensive

136 La fonctionnaire soulève également une autre préoccupation : selon la lettre disciplinaire du 5 mai 2008, la fonctionnaire, [traduction] « à titre de » GSII, a donné une [traduction] « directive erronée » aux autres agents sur le fait de ne pas entrer dans la cellule de Mme Smith si cette dernière respirait encore.

137 Comme on l’a mentionné ci-dessus, la fonctionnaire était chef d’équipe jusqu’à la fin de septembre 2007, puis elle est devenue GSII. Selon la fonctionnaire, ce poste supposait différentes responsabilités, qui ne comprenaient pas le contrôle opérationnel des agents correctionnels de l’unité d’isolement (j’analyse ce point plus en détail ci-dessous). Ce point de vue est entre autres présenté dans sa note de service datée du 12 mars 2008. De plus, le décès de Mme Smith est survenu le 19 octobre 2007 et, dans la semaine précédente, la fonctionnaire était absente de l’EGV, car elle se trouvait à Ottawa pour suivre une formation pour son poste de GSII.

138 La preuve du défendeur est principalement axée sur le fait que la fonctionnaire a donné la directive erronée au personnel alors qu’elle était chef d’équipe, c’est-à-dire avant la fin de septembre 2007. La question n’est pas tout à fait claire, car la plupart des témoins (y compris la fonctionnaire) n’ont pas fourni de dates précises. Mme Fancey était catégorique quant au fait que l’incident qu’elle a rapporté s’est produit après la fin du mois d’août 2007. Selon elle, il s’est produit à la fin de septembre. De plus, Mme Magee a indiqué clairement que l’incident qu’elle a relaté s’est produit pendant que la fonctionnaire était chef d’équipe. Je conclus qu’il est au moins probable que les allégations pesant sur la fonctionnaire portent sur des événements qui se sont produits pendant qu’elle était chef d’équipe, c’est-à-dire avant qu’elle occupe le poste de GSII. À la fin de cette section, je conclus qu’elle pourrait avoir donné certaines directives au personnel pendant qu’elle était GSII, mais qu’il n’en existe aucune preuve.

139 Par conséquent, je conclus que la mention, dans la lettre disciplinaire du 5 mai 2008, selon laquelle la fonctionnaire a donné une directive erronée pendant qu’elle occupait le poste de GSII constitue une erreur. Il est toutefois plus difficile de déterminer l’importance de cette erreur.

140 Selon la fonctionnaire, cette erreur signifie que les motifs de la sanction disciplinaire imposée à son endroit ont changé. Selon ce que je comprends, cela veut dire que le défendeur a, à l’origine, affirmé que la fonctionnaire avait donné la directive erronée au personnel pendant qu’elle était chef d’équipe et qu’il indique maintenant qu’elle l’a donnée pendant qu’elle était GSII. Pour cet argument, la fonctionnaire invoque un ouvrage important (Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, au paragraphe 7:2200) : [traduction] « Les arbitres exigent généralement que les employeurs justifient les sanctions qu’ils imposent par les mêmes motifs que ceux qu’ils ont donnés au moment où les sanctions ont été imposées à un employé,même si, en common law, un employeur peut se fonder sur n’importe quel motif pour justifier un renvoi. » De plus, un employeur ne devrait pas pouvoir élargir les motifs de sanctions disciplinaires en ajoutant de nouvelles allégations.

141 La décision faisant autorité pour cette question est Aerocide Dispensers Ltd., (1965) 15 L.A.C. 416 (Laskin). Dans ce cas, l’arbitre a refusé que le défendeur justifie la sanction disciplinaire en invoquant le fait qu’un employé avait tenté de [traduction] « convaincre » une autre travailleuse de participer à une grève lorsqu’il n’a pas réussi à prouver qu’il le lui avait [traduction] « ordonné », comme le défendeur l’avait affirmé à l’origine. Il est également souligné dans le texte de Brown et Beatty que les arbitres ont refusé de transformer un incident ayant entraîné une sanction disciplinaire en une infraction différente. Le même texte indique que depuis 1965, il y a eu [traduction] « un grand nombre d’exceptions et de restrictions » associées à ces affirmations. Par exemple, un défendeur pourrait ajouter des motifs qui étaient inconnus et difficiles à déceler au moment où la décision d’imposer une sanction disciplinaire a été prise, et, dans certains cas, des [traduction] « faits ultérieurs aux sanctions disciplinaires » peuvent être introduits par les employeurs.

142 À mon avis, il y a des problèmes associés au fait de définir l’erreur du défendeur concernant le poste de GSII comme une modification des motifs justifiant la sanction disciplinaire. Comme on peut le constater dans la lettre du 5 mai 2008, les motifs de la sanction disciplinaire dans ce cas sont l’allégation selon laquelle la fonctionnaire a enfreint les politiques du défendeur et sa [traduction] « directive erronée […] a contribué à » retarder la réponse au comportement d’automutilation de Mme Smith. Ce motif n’est pas modifié par le fait que le défendeur a commis une erreur quant au poste que la fonctionnaire occupait lorsqu’elle a donné la [traduction] « directive erronée ».

143 Le texte de Brown et Beatty qualifie la situation dans l’affaire dont je suis saisi comme étant une question d’avis (paragraphes 7:2110, 7:2200). Les auteurs décrivent l’importance fondamentale de fournir aux employés un avis indiquant quelle mesure sera prise par l’employeur. De plus, [traduction] « [e]n règle générale,les exigent que les employés reçoivent suffisamment de renseignements pour connaître les allégations qui pèsent contre eux et y répondre adéquatement ». À moins qu’il en soit indiqué autrement dans la convention collective d’un milieu de travail syndiqué :

[Traduction]

[…]

[…] généralement, les arbitres ont adopté la position selon laquelle, en fournissant un avis, l’employeur doit communiquer les raisons et les objectifs desa décision, mais pas nécessairement tous les renseignements et détails sur l’affaire. La quantité de renseignements devant être incluse dans l’avis dépend du libellé de la convention collective et des faits propres à chaque cas. Dans certains cas, il peut être essentiel de fournir l’heure, l’endroit et la date de l’événement, alors que dans d’autres cas, ces renseignements peuvent ne pas être essentiels.

[…]

144 Je remarque également que même les motifs d’une sanction disciplinaire peuvent être modifiés si un avis suffisant est fourni. En général, les documents qui font part des décisions en matière de sanctions disciplinaires dans un contexte de relations de travail ne sont pas interprétés de façon strictement technique, comme ce pourrait être le cas des plaidoyers dans les tribunaux civils. Une décision de la Commission a permis de conclure qu’il faut déterminer s’il y a un doute à savoir si la question faisant l’objet du différend a été soulevée précédemment (Lacoste c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 68, paragraphes 28 à 30).

145 Beaucoup de choses se sont passées dans l’affaire dont je suis saisi avant son renvoi à l’arbitrage, notamment en ce qui concerne l’enquête et les processus disciplinaires du défendeur.

146 Par exemple, des notes provenant de l’enquête menée par Mme Lepage et Mme Lajoie présentent un compte rendu détaillé d’une discussion avec la fonctionnaire au sujet de la situation concernant Mme Smith et de questions générales connexes. Elle a indiqué aux enquêteuses qu’elle occupait le poste de GSIIavant le décès de Mme Smith et qu’elle [traduction] « […] n’avait pas un rôle de supervision auprès des employés […] ». Elle ne fournissait [traduction] « que des conseils au personnel, et non des directives ». Lors de l’entrevue, on a discuté des interactions de la fonctionnaire avec différents agents, y compris de la façon dont ils intervenaient lorsque Mme Smith se mettait des ligatures. La fonctionnaire a été interrogée au sujet des situations de détresse médicale, et elle a expliqué qu’il [traduction] « s’agissait d’un choix personnel de la part de l’agent, fondé sur une évaluation constante […] ». Les agents responsables de Mme Smith [traduction] « devaient évaluer si la détenue respirait, marchait, parlait, si la ligature était serrée, et il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise décision ». La fonctionnaire a dit aux enquêteuses qu’elle avait [traduction] « dit aux membres du personnel que cela "mettra à l’épreuve vos convictions", car il est humain de vouloir entrer immédiatement […] ». Ces extraits montrent clairement que la fonctionnaire se voyait comme une chef d’équipe donnant des directives aux employés pendant la période à l’étude.

147 Le rapport d’enquête daté du 25 janvier 2008 comprenait un certain nombre de conclusions ainsi que les notes des enquêteuses sur les déclarations des témoins ayant été interrogés. Certaines conclusions blâmaient la fonctionnaire. Elles sont indiquées clairementdans la conclusion du rapport, comme le sont les conclusions blâmant d’autres employés. Dans les notes sur l’entrevue auprès de la fonctionnaire, il est indiqué que celle-ci a répondu par l’affirmative lorsqu’on lui a demandé si elle avait participé à des incidents concernant Mme Smith. Quand on lui a demandé quel était son rôle, elle a indiqué que son bureau se trouvait près de la cellule de Mme Smith et elle s’est [traduction] « rappelé avoir été dans la rangée d’isolement en tant que représentante de la direction, mais elle n’est jamais intervenue […] » [je souligne]. Elle a indiqué que son [traduction] « rôle consistait à observer et à s’assurer que les choses étaient faites correctement ». En fait, comme il est indiqué dans les témoignages de la fonctionnaire et des autres personnes, elle est effectivement intervenue lors de certains incidents pendant lesquels elle était la gestionnaire.

148  Selon la conclusion E1 du rapport d’enquête, la fonctionnaire et d’autres employés [traduction] « […] ont mal interprété ce qui constituait une urgence médicale ou un cas de détresse physique et ont eu tort d’ordonner au personnel de ne pas intervenir et de se retirer pour réévaluer la situation ». La conclusion G1 indique que la fonctionnaire et un autre employé [traduction] « donnaient au personnel les directives » et [traduction] qu’« […] ils étaient les gestionnaires responsables des opérations et des activités courantes à l’unité ». L’exposé des faits à la conclusion G11 parle de l’utilité du Modèle de gestion de situations, et il semble que la fonctionnaire et d’autres employés ont mis la [traduction] « priorité » sur le volet [traduction] « réévaluation » de ce modèle. De plus :

[Traduction]

[…]

[c]ette priorité a été clairement communiquée au personnel, directement et indirectement […] À l’EGV, en raison des directives transmises par les gestionnaires a/n [sic], l’application du Modèle était axée davantage sur la réévaluation que sur l’intervention immédiate.

[…]

149 Le 15 mars 2008, la fonctionnaire a fourni une réponse très détaillée au rapport d’enquête et à certaines déclarations des témoins, dont Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey. Elle a entre autres décrit les directives qu’elle a données aux IPL en tant que gestionnaire. Elle a aussi répété qu’en tant que GSII, elle n’avait pas de responsabilité opérationnelle par rapport à ce qui se passait dans l’unité de garde en milieu fermé.

150 À la suite de tous ces événements (l’entrevue de la fonctionnaire avec les enquêteuses, la publication de leur rapport, puis la présentation de la réponse de la fonctionnaire), Mme Stapleforth a remis la lettre de sanction disciplinaire du 5 mai 2008. Elle contenait une erreur quant au poste occupé par la fonctionnaire pendant la période en question. Cependant, je ne peux pas conclure que la fonctionnaire n’a pas reçu d’avis l’informant des allégations pesant sur elle. En particulier, elle savait en janvier 2008 ou avant que le défendeur croyait qu’en tant que membre de l’équipe de direction et qu’en tant que chef d’équipe, elle avait violé ses politiques et donné une directive erronée aux employés sous sa responsabilité. En fait, ses propres déclarations indiquent de quelle façon elle supervisait le personnel, y compris comment elle donnait des directives et exigeait que le personnel n’ait pas recours à la force dans certaines circonstances (notamment si Mme Smith respirait). De plus, il ne fait aucun doute que le défendeur était préoccupé par les actes de la fonctionnaire dans le contexte du décès de Mme Smith et à savoir s’il existait un certain lien entre ses actes et ce décès. Après tout, il s’agissait au départ de l’objet de l’enquête. En conclusion, il ne s’agit pas d’une affaire où le défendeur a commis dès le début une erreur au sujet du poste de la fonctionnaire; l’erreur a été commise à la fin d’un processus ayant défini correctement la fonctionnaire comme une gestionnaire ayant des responsabilités opérationnelles.

151 En résumé, je ne suis pas en mesure de conclure que l’erreur commise par le défendeur dans sa lettre du 5 mai 2008, c’est-à-dire lorsqu’il a indiqué que la fonctionnaire occupait le poste de GSII lorsqu’elle a donné une directive erronée aux employés, constituait une modification des motifs justifiant la suspension disciplinaire de 20 jours. De plus, l’erreur a été commise bien après que la fonctionnaire a été informée des allégations pesant sur elle. Elle ne pouvait douter du fait que les allégations pesant sur elle étaient liées à son travail en tant que chef d’équipe, avant qu’elle devienne GSII. S’il est nécessaire de le préciser, le passage au poste de GSII ne permet pas à la fonctionnaire de se soustraire aux conséquences des gestes qu’elle a commis peu de temps avant, pendant qu’elle était chef d’équipe.

152 Pour conclure cette question, j’admets que le travail de la fonctionnaire a changé lorsqu’elle est passée du poste de chef d’équipe à celui de GSII. J’admets également que le changement a fait en sorte que la fonctionnaire avait un moins grand contrôle opérationnel sur les employés de l’unité d’isolement.

153 Cependant, je n’admets pas que le fait qu’elle soit devenue GSII signifiait, pour la fonctionnaire, qu’elle n’avait aucune responsabilité quant à ce qui se passait dans l’unité d’isolement. Par exemple, la description de travail pour le poste de GSII indique que la fonctionnaire devait fournir [traduction] « des conseils, des orientations et de la formation aux gestionnaires et au personnel » et qu’elle est chargée de [traduction] « [p]lanifier et diriger les équipes multidisciplinaires […] ces équipes se concentrant sur la prestation de traitements et de services et sur la réinsertion sociale […] et intervient de manière directe, au besoin, en ce qui concerne les cas difficiles ». De plus, la GSII doit gérer :

[Traduction]

[…]

[…] les modalités de traitement dans un milieu de vie structuré (MVS) […] dans une unité de garde en milieu fermé […] pour les délinquantes à sécurité maximale […] qui ont des problèmes de santé mentale, […] des problèmes de comportement et pour les femmes présentant un risque et des besoins élevés. Gérer aussi la supervision des délinquantes soumises à des mesures disciplinaires ou en isolement préventif dans l’établissement, et intervenir à leur égard.

[…]

154 Comme l’indique la fonctionnaire, à la suite de la restructuration en septembre 2007, le poste de chef d’équipe qu’elle occupait auparavant a été transformé en poste de GSII. Elle avait une responsabilité opérationnelle importante en tant que chef d’équipe, mais celle-ci a été réduite considérablement lorsqu’elle est devenue GSII, et le contrôle opérationnel exercé par les gestionnaires correctionnels s’est accru après septembre 2007. Cependant, je conclus également que la fonctionnaire définit son rôle de GSII de façon trop limitée. En tant que GSII, elle était chargée de fournir des conseils et de la formation. Selon la description de travail, une GSII fournit une [traduction] « intervention directe, au besoin, en ce qui concerne les cas difficiles ». La fonctionnaire devait aussi gérer la surveillance des délinquantes difficiles. De plus, lors d’un contre-interrogatoire, la fonctionnaire a été interrogée sur la description de travail du poste de GSII et elle a reconnu que Mme Smith était une délinquante qui présentait un [traduction] « risque élevé » et qui avait des [traduction] « besoins élevés ». Par conséquent, la fonctionnaire pouvait n’avoir [traduction] « aucun pouvoir hiérarchique », comme elle l’a indiqué dans sa note de service du 12 mars 2008, mais elle avait une part de responsabilité pour la gestion de Mme Smith et pour la supervision du personnel à cet égard, tout en tenant compte du fait que le gestionnaire correctionnel est le principal responsable. Autrement dit, on ne peut pas affirmer que la fonctionnaire n’avait aucune responsabilité.

4. Autres points

155 La fonctionnaire évoque plusieurs questions de procédure dans le rapport d’enquête et le processus disciplinaire du défendeur. Nombre d’entre elles portent sur des mesures prises par le défendeur qui paraissent non conformes aux exigences du guide disciplinaire de novembre 1994, qui était applicable selon Mme Stapleforth. D’autres allégations soulèvent des questions sur la valeur probante de certains éléments de preuve plutôt que sur leur admissibilité. À titre d’exemple, lors de l’enquête menée par Mme Lepage et par Mme Lajoie, aucun des agents interrogés n’était en poste au moment du décès de Mme Smith, le 19 octobre 2007; néanmoins, leur rapport a établi que la fonctionnaire, à cause de ses actes, a contribué au décès de Mme Smith. Je remarque que le rapport d’enquête concernait surtout la direction de l’EGV, plutôt que le décès de Mme Smith lui-même.

156 Globalement, je dirai que ces questions ont été minutieusement décortiquées lors de l’examen de la preuve du présent arbitrage, notamment au moyen d’un contre-interrogatoire vigoureux. Par conséquent, toute injustice au plan de la procédure précédente se trouve « entièrement réparée » par l’audience de novo de cet arbitrage (Tipple c. Canada (Conseil du Trésor), [1985] A.C.F. no 818).

157 On soutient également au nom de la fonctionnaire que les témoignages des témoins du défendeur ne devraient pas être pris en considération, en raison de leur partialité découlant du fait que le défendeur jetait le blâme sur les IPL pour le décès de Mme Smith. Mme Dickson, lors de son contre-interrogatoire, s’est fait poser directement la question, ce à quoi elle a répondu qu’elle croyait que l’on rejetait injustement le blâme sur les IPL. Lorsqu’on lui a demandé si elle croyait que la direction devait porter une part du blâme, elle a répondu : [traduction] « Je crois que tous ceux qui ont joué un rôle dans la prise de décisions concernant le cas d’Ashley devraient être tenus responsables. » Cette réponse m’apparaît comme étant équitable et raisonnable, et aucune autre preuve ne permet de conclure qu’il y a eu partialité de la part des témoins du défendeur.

5. Résumé : Y a-t-il eu inconduite?

158 En prenant en compte tous les éléments présentés, je reviens à la question posée au début de cette section : y a-t-il eu inconduite de la part de la fonctionnaire?

159 Tout d’abord, je dois déterminer si les actes de la fonctionnaire, tels qu’ils sont décrits, ont enfreint les politiques du défendeur, comme le soutient ce dernier.

160 La DC 567, la DC 800 et la DC 843 décrivent toutes la notion d’« urgence médicale » de la même façon : [traduction] « blessure ou état pathologique qui présente une menace immédiate pour la santé ou la vie d’une personne et requiert une intervention médicale ». De plus, la DC 843 traite de la gestion et de la prévention des comportements d’automutilation et suicidaires et définit les termes suivants : [traduction] « suicide : acte intentionnel commis pour s’enlever la vie et qui cause la mort »; [traduction] « tentative de suicide : blessure qu’une personne s’inflige intentionnellement ou acte qu’elle a posé dans le but de s’enlever la vie sans toutefois y parvenir »; [traduction] « automutilation : blessure intentionnelle que s’inflige une personne sans avoir l’intention de s’enlever la vie »; [traduction] « observation pour risque de suicide : mise en isolement d’un détenu découlant d’une évaluation selon laquelle il pose un risque imminent de s’automutiler ou de se suicider ».

161 Du 9 au 19 octobre 2007, Mme Smith était considérée à risque très élevé de suicide. Comme l’indiquent les notes résumant les dires de la fonctionnaire lors de l’enquête menée par Mme Lepage et Mme Lajoie, elle n’était pas au courant de ce niveau de risque, car elle était [traduction] « […] en formation la semaine précédant le 19 octobre 2007 ». Néanmoins, la preuve révèle qu’avant même que la fonctionnaire évolue vers le poste de GSII, Mme Smith a toujours été considérée à risque de suicide (même si le niveau pouvait varier), et ce, de son placement à l’unité de garde en milieu fermé jusqu’au 19 octobre 2007. Selon les notes des enquêteuses, la fonctionnaire a mentionné qu’elle était au courant de que Mme Smith utilisait de plus en plus souvent des ligatures, ajoutant : [traduction] « […] nous croyions tous que le risque augmentait et que nous devions être plus vigilants ». J’estime que la fonctionnaire savait, avant d’arriver au poste de GSII, que Mme Smith était considérée à risque de suicide, voire à risque élevé à certains moments.

162 La DC 567 énonce un certain nombre d’interventions possibles pour la gestion des incidents de sécurité, notamment lors d’urgences médicales. Le paragraphe 17 précise que les membres du personnel doivent connaître et comprendre les dispositions législatives, les politiques et les procédures applicables et qu’ils doivent [traduction] « prendre toutes les mesures raisonnables pour rétablir le plus rapidement possible un environnement sûr et sécuritaire au sein de l’établissement dès qu’ils prennent connaissance d’une situation qui compromet la sécurité de l’établissement ou de quiconque s’y trouve ».

163 Très peu de doutes subsistent quant au fait que lorsque Mme Smith plaçait des ligatures autour de son cou et que cela la faisait suffoquer ou lui causait d’autres problèmes respiratoires graves, il s’agissait d’incidents de sécurité au sens de la DC 567. Selon la preuve, ce qui constituait une [traduction] « mesure raisonnable » pour rétablir un environnement sûr et sécuritaire dépendait d’un certain nombre de facteurs, notamment du résultat des négociations pour que la détenue retire la ligature et la remette au personnel. Dans le cas où elle affichait des symptômes graves et que les tentatives de négociation échouaient, il était raisonnable, en vertu de la DC 567, d’entrer dans la cellule et d’utiliser la force pour retirer les ligatures.

164 En tant que membre de la direction, la fonctionnaire jouait un rôle important en supervisant ces prises de décision difficiles et en veillant à ce que la force ne soit pas utilisée plus que nécessaire. La force est un outil radical et son utilisation doit être supervisée. De la même façon, la direction a la responsabilité de s’assurer que la force est utilisée à l’endroit et au moment appropriés. Dans certains cas, les décisions des IPL seront légitimement annulées, parce qu’un gestionnaire voit ou sait des choses que les IPL ne voient ou ne savent pas. Il s’agit bien sûr de cas complexes qui font appel au jugement et, comme dans le présent cas, ces situations comportent toujours des risques. Mais ces situations font partie du travail des agents correctionnels et de leurs gestionnaires. Tous les agents sont tenus de respecter les politiques (et la loi) afin de réduire les risques autant que possible lorsqu’ils exercent leur jugement.

165 Apparemment, la possibilité qu’il y ait eu un usage abusif de la force dans le cas de Mme Smith était une source de préoccupation pour AA, de l’administration régionale, de même que pour la directrice intérimaire, comme en témoignent les courriels qu’elle a envoyés aux gestionnaires correctionnels et ses rapports à l’administration régionale. On pourrait avancer que la fonctionnaire a annulé les décisions des IPL en raison de ces préoccupations (je traiterai aussi cette question plus loin). Quoi qu’il en soit, elle est personnellement responsable des décisions qu’elle a prises et des directives qu’elle a données au personnel. J’ajouterais que je ne souscris pas à l’affirmation faite au nom de la fonctionnaire, selon laquelle il revient au défendeur de prouver que la fonctionnaire a donné une [traduction] « directive générale » au personnel de ne pas intervenir auprès de Mme Smith. La référence à la [traduction] « directive explicite » dans la lettre disciplinaire du 5 mai 2008 peut signifier qu’il y a eu des incidents précis, comme ceux dont la preuve fait état.

166 Je dispose également du témoignage de Mme Lepage, une agente correctionnelle de niveau supérieur très expérimentée, qui a mené l’enquête sur la gestion de Mme Smith. Mme Lepage a déclaré (je reviendrai sur son rapport ci-après) que la fonctionnaire a donné au personnel [traduction] « des directives incomplètes » sur les urgences médicales, ce qui allait à l’encontre des politiques du défendeur. Mme Lepage s’est gardée de faire des commentaires, dans son rapport ou au cours de son témoignage, sur la sanction disciplinaire qui serait appropriée dans le cas de la fonctionnaire, même si elle savait que son rapport pouvait mener à l’imposition de mesures disciplinaires à l’endroit d’employés.

167 En considérant dans leur ensemble les incidents rapportés par Mme Dickson, Mme Magee et Mme Fancey, je conclus qu’il s’agissait de cas où il y avait urgence médicale. J’en tiens pour preuve les décisions prises par les IPL qui travaillaient dans la rangée à l’époque, lorsqu’ils décidaient d’entrer dans la cellule de Mme Smith, et le consentement que la fonctionnaire finissait par donner en ce sens. Je partage l’avis de Mme Lepage, selon lequel les directives données par la fonctionnaire au personnel constituaient des erreurs au regard de l’application des politiques du défendeur.

168 On a fait valoir au nom de la fonctionnaire que le jugement ne faisait pas partie de l’analyse des problèmes soulevés dans la lettre disciplinaire du 5 mai 2008, puisque celle-ci n’en faisait pas mention. Cependant, j’estime que la lettre ne doit pas être interprétée de façon aussi restrictive ou technique et je suis convaincu que pour déterminer si la fonctionnaire a donné des directives erronées au personnel ou a contribué au décès de Mme Smith, la question du jugement doit être considérée. De même, une bonne part du travail des agents correctionnels, particulièrement à un niveau supérieur, fait appel au jugement. C’est pourquoi le fait d’évaluer les décisions qu’ils prennent sans tenir compte des dimensions complexes qui interviennent dans le jugement constituerait un exercice artificiel. Par exemple, la décision d’entrer ou non dans une cellule en recourant à la force est essentiellement une question de jugement. Il s’agit également d’une décision qui doit être prise dans le contexte de la formation, des politiques et de la loi, et le défendeur a le droit d’évaluer le jugement des agents correctionnels dans ce contexte. Le jugement peut être exercé différemment d’une personne à une autre; aussi, le rôle des politiques et de la loi est de réduire les écarts dans la façon dont le jugement est exercé. Je ne suis cependant pas d’accord avec l’affirmation de la fonctionnaire, selon laquelle des décisions comme celle d’entrer ou non dans une cellule en recourant à la force pour faire cesser un comportement d’automutilation pouvant mener au suicide sont fondées seulement sur [traduction] « l’instinct ». Je suis d’accord avec la fonctionnaire lorsqu’elle affirme qu’il n’y avait pas nécessairement d’urgence médicale, selon les politiques du défendeur, toutes les fois où Mme Smith avait une ligature autour du cou. Toutefois, les éléments de preuve présentés en l’espèce rendent compte d’urgences médicales.

169 Dans le présent cas, on avait affaire à une détenue qui était déterminée à s’infliger des blessures, et il y avait des indications évidentes de la présence de dommages corporels. Il était raisonnable de se demander si Mme Smith respirait ou non et si on pouvait le vérifier de l’extérieur de la cellule, mais ce n’était pas la question déterminante. Les réévaluations sont appropriées dans certains cas, mais dans d’autres, elles augmentent le risque à un niveau critique. En l’espèce, l’intervention de la fonctionnaire dans les décisions déjà prises par les IPL a retardé le recours à la force pour entrer dans la cellule de Mme Smith et a augmenté de ce fait le risque de blessures graves. Pour paraphraser la conclusion des enquêteuses dans leur rapport de janvier 2008, la fonctionnaire (et d’autres) avait davantage le souci de réévaluer la situation que de s’assurer qu’une intervention appropriée et immédiate était effectuée conformément aux exigences des politiques. Je souscris à cette conclusion. Heureusement, rien dans la preuve n’indique que les incidents décrits dans le cadre du présent arbitrage ont entraîné des conséquences graves pour la santé. Nous ne connaissons pas et nous ne pouvons pas déterminer les conséquences d’une absence d’intervention lors de ces incidents.

170 Se pose alors la question de savoir si, comme le défendeur l’a affirmé dans sa lettre du 5 mai 2008, la fonctionnaire [traduction] « a contribué » à semer la confusion chez les IPL sur les circonstances où ils devaient intervenir auprès de Mme Smith en recourant à la force. À mon avis, cette déclaration est fondée. À l’évidence, il ressort des témoignages de Mme Dickson, de Mme Magee et de Mme Fancey qu’elles étaient frustrées que la fonctionnaire insiste pour faire des réévaluations et qu’elles n’en comprenaient pas l’utilité. Cette frustration s’est transformée en confusion quand la fonctionnaire s’est finalement rangée à l’avis des IPL ou qu’elle les a laissés suivre leur plan initial. Je tiens à souligner que cette conclusion précise est indépendante de toute considération relative au décès de Mme Smith.

171 Dans la lettre du 5 mai 2008, il est également allégué que la [traduction] « directive erronée » donnée par la fonctionnaire au personnel [traduction] « […] a contribué à la réaction tardive du personnel en réponse au comportement d’automutilation de la détenue [Mme Smith], le 15 et le 19 octobre 2007 ». Il s’agit là d’une question plus complexe à trancher. Tout d’abord, il n’y a aucune preuve établissant que la conduite de la fonctionnaire a eu des effets directs sur ce qui s’est passé à ces dates. Aucun témoin n’a affirmé avoir travaillé le 19 octobre 2007 lorsque Mme Smith est décédée (ou le 15 octobre 2007). On n’a pas non plus avancé la moindre preuve que ce que la fonctionnaire, en tant que gestionnaire, a dit avant ces dates a eu une influence sur ce qui s’est produit le jour du décès. Aucun des témoins appelés par le défendeur dans la présente affaire ne travaillait le 19 octobre 2007.

172 Si l’on examine de façon plus générale la situation qui avait cours à l’EGV en septembre et en octobre 2007, la preuve indique qu’il y avait une réelle tension au sein de l’établissement concernant la gestion de Mme Smith.

173 D’un côté, les IPL étaient pour un recours plus fréquent à la force. On peut sans doute le comprendre, étant donné qu’ils sont à l’avant-scène des opérations du défendeur et qu’ils doivent gérer les conséquences directes des comportements d’automutilation. Ces conséquences touchent essentiellement les détenus, mais les comportements d’automutilation ont également des répercussions émotionnelles sur les IPL. Les notes prises par Mme Lepage et Mme Lajoie rendent compte de l’état d’esprit d’un des IPL concernés (et de la complexité de la situation) : [traduction] « […] les IPL aimaient bien [Mme Smith]. Ils étaient humains. Ils étaient frustrés. Ils faisaient souvent des blagues avec elle, elle avait un bon sens de l’humour. Lorsqu’ils recouraient à la force, ils ne faisaient que leur travail, on devait enlever ces ligatures. »

174 D’un autre côté, les membres de la direction exhortaient les employés à ne pas utiliser la force aussi souvent. Il semble que la situation ait atteint un point culminant lorsque la directrice intérimaire a envoyé à l’administration régionale une note de service en date du 11 octobre 2007, indiquant que la direction envisageait de tenir des audiences disciplinaires sur la question. De plus, un autre membre de la direction a envoyé un courriel aux gestionnaires correctionnels le 10 octobre 2007 pour leur signaler que [traduction] « […] lorsqu’Ashley se mettait à parler ou à se relever, le personnel sous leur responsabilité ne se retirait pas pour réévaluer pas la situation ». Les gestionnaires devaient s’assurer que le personnel suive les directives, respecte le Modèle de gestion de situations et [traduction]« […] prenne garde à cette grave violation de la politique ». Qui plus est, AA, de l’administration régionale, a reproché aux employés, lors d’une séance de formation, de faire trop souvent usage de la force à l’endroit de Mme Smith.

175 Comme on pouvait s’y attendre, la fonctionnaire était davantage du côté de la direction dans cette situation. Je nuance cette déclaration, parce qu’au bout du compte, elle approuvait (après avoir insisté sur les réévaluations) l’évaluation initiale des IPL ou elle déclarait : [traduction] « c’est ton quart » et les laissait suivre leur plan. Les courriels du 10 octobre 2007 envoyés par la sous-directrice aux gestionnaires correctionnels et à la fonctionnaire (et la note de service du 11 octobre 2007) indiquent expressément que les IPL devaient faire davantage de réévaluations plutôt que de recourir systématiquement à la force. Ces consignes ont été émises après que la fonctionnaire a commencé à occuper son poste de GSII et au moment où tout le monde savait que la gestion de Mme Smith devenait critique. Mais il est évident que cette idée faisait l’objet de discussions lorsque la fonctionnaire était chef d’équipe. À cet égard, je signale que la note de service du 11 octobre 2007 se rapporte à des incidents survenus les 22 et 23 septembre 2007. Bien entendu, le fait d’avoir suivi des ordres ne disculpe personne dans ces situations, et la fonctionnaire n’a pas invoqué cet argument non plus.

176  La preuve m’amène donc à conclure que la fonctionnaire a participé à créer une situation qui a eu pour effet de retarder les interventions auprès de Mme Smith. Les actes posés par la fonctionnaire ont ralenti la réaction du personnel en réponse aux urgences médicales. Dans cette mesure, elle [traduction] « a contribué » à la situation globale, à tout le moins au sens où les directives qu’elle a données au personnel concordaient avec l’approche générale de la direction.

B. La suspension de 20 jours était-elle appropriée dans les circonstances?

177 Comme je l’ai expliqué précédemment, j’estime que la fonctionnaire a posé des actes qui justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire. En résumé, la fonctionnaire a violé les politiques du défendeur lorsqu’elle a donné des directives erronées aux employés pour ce qui est de savoir s’ils devaient entrer dans la cellule ou non; des interventions étaient requises en vertu de ces politiques, mais on a considéré qu’il était plus important de faire des réévaluations. Avant le 19 octobre 2007, la fonctionnaire a également créé de la confusion parmi les IPL quant à savoir dans quelles circonstances ils devaient entrer dans la cellule de Mme Smith.

178 Le défendeur soutient qu’une suspension de 20 jours constitue une sanction raisonnable dans le cas de la fonctionnaire, compte tenu des circonstances en l’espèce. Pour sa part, la fonctionnaire prétend qu’elle ne devrait faire l’objet d’aucune sanction. Puisque j’ai conclu à une inconduite, je ne partage pas l’avis de la fonctionnaire, selon qu’aucune sanction ne devrait lui être imposée. Il me reste donc à trancher si je devrais souscrire à la décision du défendeur et imposer une suspension de 20 jours ou si je devrais en imposer une autre.

179 J’ai relevé plus haut la tension qui régnait à l’EGV jusqu’au 19 octobre 2007 au sujet de la gestion de Mme Smith. Pour résumer, les IPL voulaient intervenir en faisant usage de la force, et ce, plus fréquemment, tandis que la direction, dont la fonctionnaire, cherchait à réduire le nombre d’interventions comportant un recours à la force. En ce qui a trait à la dernière position, la directrice intérimaire, par exemple, a écrit dans une note datée du 11 octobre 2007 : [traduction] « […] on a observé que la détenue [Mme Smith] respirait et parlait; le personnel est quand même entré dans sa cellule pour lui enlever la ligature. Le personnel aurait plutôt dû rester en alerte et réévaluer la situation avant de recourir à la force. » Plus loin, elle ajoutait [traduction] « […] la sous-directrice conduira des audiences disciplinaires […] », parce que le personnel ne s’est pas retiré. Il va de soi que le fait de se retirer et de réévaluer la situation retarde les interventions et ralentit la réaction du personnel. Encore une fois, ce document a été écrit après que la fonctionnaire est devenue GSII, mais la date de ce changement n’a aucun lien avec la gestion de Mme Smith, si ce n’est que de façon générale, la gestion de la détenue devenait plus difficile et critique avec le temps.

180 Le défendeur n’a pas prétendu que les actes posés par la fonctionnaire étaient directement liés au décès de Mme Smith. Il a plutôt affirmé dans la lettre disciplinaire du 5 mai 2008 que la [traduction] « directive erronée » que la fonctionnaire a donnée au personnel [traduction] « […]a contribué à la réaction tardive du personnel en réponse au comportement d’automutilation de la détenue [Mme Smith], le 15 et le 19 octobre 2007 » [je souligne].

181 Si l’on compare cette lettre aux documents d’octobre 2007 mentionnés précédemment, on constate un manque de cohérence de la part des représentants du défendeur sur la façon dont il aurait fallu gérer Mme Smith. Avant le 19 octobre 2007, le personnel devait se retirer et réévaluer la situation, mais après cette date, le retrait et la réévaluation ont été considérés comme des mesures qui expliquaient en partie la réponse tardive. À mon avis, il est pertinent de tenir compte de cette contradiction dans l’évaluation de la sanction imposée en l’espèce, parce qu’on peut manifestement affirmer que la fonctionnaire a bel et bien été induite en erreur quant à la façon de gérer Mme Smith. Avant octobre 2007, elle agissait apparemment en conformité avec les directives du défendeur, mais ensuite, les mêmes actes préconisés jusqu’alors ont été considérés comme ayant contribué à la réaction tardive du personnel le 19 octobre 2007. Il n’y a aucune preuve indiquant qu’on a envisagé d’imposer des mesures disciplinaires, ou qu’on a simplement formulé des commentaires, relativement aux risques associés au fait de ne pas recourir suffisamment à la force avant le décès de Mme Smith. De façon générale, le défendeur a le droit d’évaluer rétrospectivement les évènements à des fins disciplinaires. Mais il convient également de souligner que les interventions dans la gestion de Mme Smith, comme celles effectuées par la fonctionnaire, ne posaient pas problème au défendeur avant le décès de la détenue.

182 Pour revenir à la lettre disciplinaire du 5 mai 2008, je ne parviens pas à déceler, chez le défendeur, une reconnaissance du fait que la fonctionnaire faisait ce que l’on attendait d’elle en tant que gestionnaire. Je conviens que la fonctionnaire doit assumer une part de responsabilité pour le rôle qu’elle a joué. J’estime cependant que la déclaration [traduction] « a contribué » devrait être atténuée en précisant que la conduite de la fonctionnaire s’inscrivait dans une initiative globale de la direction. Je conclus qu’il s’agit d’un important facteur atténuant en faveur de la fonctionnaire. En tant que membre de la direction de l’EGV, la fonctionnaire n’est pas sans reproche, mais à mon avis, il y a lieu d’annuler la suspension de 20 jours, parce que cette sanction disciplinaire n’était pas appropriée à toutes les circonstances de son cas.

C. Quelle sanction est raisonnable et juste dans les circonstances?

183 Après avoir décidé qu’une suspension de 20 jours est excessive, je dois maintenant déterminer quelle sanction est juste et raisonnable dans les circonstances de cette affaire. Plus précisément, quelle sanction moins sévère convient-il d’imposer?

184 Du côté des facteurs atténuants que l’on prend généralement en considération (United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co., [1964] O.L.A.A. No. 5 (Reville)), la fonctionnaire est agente correctionnelle depuis 1984 et n’a jamais fait l’objet de mesures disciplinaires pendant toutes ces années de service. Elle a occupé un certain nombre de postes de responsabilité auprès du défendeur au fil des ans et prévoyait travailler un jour dans un poste de direction dans les services correctionnels. Elle a affirmé que la suspension de 20 jours qu’on lui a imposée a eu des répercussions importantes sur sa carrière, notamment une perte financière. Un autre facteur à considérer est le fait que la fonctionnaire n’accepte aucune responsabilité pour ses actes; elle nie avoir commis une faute. Elle reconnaît sincèrement que le décès de Mme Smith était une tragédie, comme le font tous les autres témoins.

185 Comme nous l’avons expliqué en détail précédemment, et comme on peut le constater dans les documents volumineux présentés en preuve, il ne fait aucun doute que la gestion de Mme Smith a entraîné une situation très difficile et complexe et que tous les employés qui ont eu affaire à elle ont été mis à rude épreuve. D’un autre côté comme on l’a indiqué plus haut, les agents correctionnels savent ce que l’on attend d’eux, ce qui inclut le risque de devoir gérer des détenus très difficiles, et ils sont assujettis à une norme de conduite plus élevée que les employés occupant d’autres types d’emplois (McKenzie).

186 La fonctionnaire n’était pas la seule à qui on a imposé des mesures disciplinaires en raison du décès de Mme Smith. J’ai reproduit plus haut la liste des autres employés visés (en protégeant leur anonymat). Un avocat m’a indiqué que certains employés travaillant à l’EGV en octobre 2007 et qui avaient des responsabilités plus grandes ou équivalentes à celles de la fonctionnaire n’ont pas fait l’objet de mesures disciplinaires. L’une des personnes qui avaient des responsabilités équivalentes ou plus grandes est toujours licenciée, mais on a annulé les mesures disciplinaires imposées à deux employés qui avaient été licenciés. Dans certains cas, on a transformé une suspension de 60 jours en une suspension de 15 jours, dans un autre cas on a substitué une suspension de 20 jours à un licenciement, et un employé a été rétrogradé au lieu d’être licencié. Apparemment, les mesures disciplinaires imposées n’ont pas été modifiées dans le cas de deux employés seulement. La fonctionnaire mentionne également le cas de AA, qui ne s’est apparemment vu imposer aucune mesure disciplinaire, même s’il a donné de la formation aux IPL dans laquelle il a critiqué l’usage excessif de la force auprès de Mme Smith.

187 L’avocat m’a donné des renseignements limités concernant les circonstances propres à chacun de ces employés. Cela s’explique par le fait qu’il faut protéger leur vie privée, ce qui est légitime, et parce que, logiquement, mon rôle ne consiste pas à évaluer les circonstances de ces cas, ni quelles mesures disciplinaires s’imposent. Le seul témoignage se rapportant à ces employés est celui de Mme Stapleforth, un témoin du défendeur, qui a affirmé en contre-interrogatoire qu’elle ne pouvait pas [traduction] « expliquer les motifs » des décisions définitives prises dans leurs cas. Il en ressort que je ne sais pas pourquoi on a modifié les mesures disciplinaires imposées à ces employés. En ce qui concerne AA, je n’ai aucune information sur sa situation.

188 On a insisté vivement au nom de la fonctionnaire sur le fait que ce qui est arrivé aux autres employés revêt une importance considérable pour la fonctionnaire dans cette affaire. En fait, on a avancé que la fonctionnaire ne devrait par conséquent faire l’objet d’aucune mesure disciplinaire. Je ne vois pas le fondement de cet argument. Selon les preuves, on a imposé des mesures disciplinaires à certaines personnes mais pas à d’autres, et dans certains cas les mesures disciplinaires imposées ont été réduites par la suite. Je ne considère pas que la sanction disciplinaire imposée à la fonctionnaire doive être complètement annulée.

189 Selon moi, il n’est pas possible de discerner des tendances dans les mesures disciplinaires imposées aux autres employés; et encore moins, des tendances qui pourrait aider à réduire celle imposée à la fonctionnaire. Encore une fois, sauf pour souligner le fait que certains agents et gestionnaires ont fait l’objet de mesures disciplinaires (et d’autres non), il m’est impossible d’établir des comparaisons utiles, puisque je ne connais pas les circonstances propres à chacun de leurs cas. Ce que j’ai devant moi, c’est un compte rendu exhaustif du rôle de la fonctionnaire dans les événements survenus à l’EGV avant le décès de Mme Smith. Et je ne peux que prendre ce compte rendu en considération pour rendre une décision.

190 J’en conclus d’après ce qui précède que la sévérité de la sanction disciplinaire imposée à la fonctionnaire devrait être réduite. J’en arrive à cette conclusion parce que le défendeur n’a pas pris en considération le contexte dans lequel la fonctionnaire a agi et, surtout, parce que la fonctionnaire est tenue responsable d’actes que la haute direction a ordonné au personnel de commettre. Il s’agit là d’une grave lacune dans la décision du défendeur d’imposer une mesure disciplinaire à la fonctionnaire. Cette omission ne justifie pas l’élimination pure et simple de la mesure disciplinaire, mais elle justifie une réduction importante de celle-ci. Un autre facteur pertinent, bien que moins important, est qu’aucune preuve ne lie directement la fonctionnaire aux événements du 19 octobre 2007, lorsque Mme Smith est décédée.

191 Dans les circonstances, je conclus qu’il convient que substituer une suspension de 10 jours à la suspension de 20 jours imposée par le défendeur. Selon moi, cette sanction correspond bien à la gravité de l’inconduite de la fonctionnaire, est appropriée dans le contexte dans lequel son inconduite a eu lieu et tient compte des autres circonstances atténuantes, que j’ai expliquées ci-dessus.

V. Sommaire et conclusions

192 Le défendeur a imposé à la fonctionnaire une suspension de 20 jours en guise de sanction disciplinaire pour avoir enfreint les politiques du défendeur sur les urgences médicales impliquant une détenue, en l’occurrence Mme Smith. Mme Smith était une détenue extrêmement difficile à gérer. À de nombreuses reprises, le personnel a dû entrer dans sa cellule et faire usage de la force pour lui enlever des ligatures qu’elle s’était mises autour du cou.

193 Selon la preuve du défendeur, à au moins deux occasions, le personnel était prêt à entrer dans la cellule de Mme Smith et à faire usage de la force pour lui enlever des ligatures, mais la fonctionnaire est intervenue et a ordonné au personnel de réévaluer la situation, notamment en vérifiant si Mme Smith respirait toujours. Le défendeur prétend que les actes de la fonctionnaire ont [traduction] « contribué » à retarder l’intervention du personnel lorsque Mme Smith est décédée, alors qu’elle était sous garde, le 19 octobre 2007, après avoir enserré son cou d’une ligature. Le présent arbitrage ne porte pas sur le décès de Mme Smith.

194 Selon la preuve présentée par le défendeur, les situations où la fonctionnaire est intervenue constituaient des urgences médicales, puisque Mme Smith étouffait, suffoquait et son visage affichait d’autres symptômes de suffocation. Selon le défendeur, la fonctionnaire, en tant que gestionnaire, a donné une plus grande priorité à la réévaluation qu’à l’intervention. J’accepte ces conclusions. À la fin, la fonctionnaire convenait qu’il était nécessaire d’entrer dans la cellule et de recourir à la force ou permettait au personnel d’entrer dans la cellule.

195 La fonctionnaire a contesté les témoignages de trois témoins du défendeur. J’estime que leur témoignage devrait avoir priorité sur celui de la fonctionnaire. Ces témoins avaient des souvenirs précis des événements en question, alors que la fonctionnaire a témoigné en des termes suffisamment généraux pour pouvoir abonder dans le même sens que les déclarations des témoins. Par exemple, à deux occasions, la fonctionnaire n’a pas nié le fait qu’elle était intervenue pour empêcher le personnel d’entrer dans la cellule de Mme Smith. Elle a plutôt dit que c’était justifié dans les circonstances. Les témoins du défendeur n’ont pas pu préciser les dates de ces incidents, ce qui a une certaine valeur probante, sans toutefois être suffisant pour rejeter complètement leurs témoignages.

196 Au sujet des événements mentionnés en preuve, on a aussi mentionné que la haute direction (à un niveau plus élevé que la fonctionnaire) a indiqué après coup que le personnel entrait trop souvent dans la cellule de Mme Smith et faisait trop souvent usage de la force. On envisageait d’imposer des mesures disciplinaires aux employés qui ne suivraient pas la directive de la direction de ne pas intervenir aussi souvent et de ne pas recourir autant à la force. Le personnel a aussi été critiqué pour cette raison lors d’une séance de formation.

197 La fonctionnaire n’était pas au travail le jour où Mme Smith est décédée; elle était absente la semaine d’avant pour assister à une formation sur un nouveau poste (GSII) qui était entré en vigueur à la fin de septembre 2007. Ce nouveau poste avait des responsabilités opérationnelles plus limitées que le poste de chef d’équipe que la fonctionnaire occupait précédemment.

198 La lettre disciplinaire du 5 mai 2008 envoyée par le défendeur contenait une erreur. Elle visait des incidents dont le défendeur se servait pour justifier la sanction disciplinaire alors que la fonctionnaire assumait son [traduction] « rôle » de GSII. En fait, la fonctionnaire a commencé à occuper ce poste à une date ultérieure aux événements décrits par les témoins du défendeur, comme ils l’ont indiqué dans leurs témoignages. L’erreur dans la lettre disciplinaire du défendeur ne constitue toutefois pas un changement des motifs justifiant la mesure disciplinaire prise par le défendeur. Les motifs demeurent l’allégation selon laquelle la fonctionnaire a enfreint les politiques du défendeur. De plus, l’erreur est survenue à la fin du processus d’enquête et du processus disciplinaire. Au cours de ces processus, on a avisé la fonctionnaire que les allégations à son endroit portaient sur des événements survenus alors qu’elle était chef d’équipe. En fait, au cours du processus d’enquête, la fonctionnaire s’est décrite comme une gestionnaire ayant des responsabilités envers le personnel.

199 Il n’y avait aucun rapport ou enregistrement vidéo pour appuyer les témoignages des témoins du défendeur. Cette lacune peut avoir une certaine valeur probante, mais elle ne permet pas de rejeter d’emblée la mesure disciplinaire. Toutes les questions de procédure aux étapes de l’enquête ou de la prise de mesures disciplinaires ont été entièrement réglées lors de cette nouvelle procédure d’arbitrage. De plus, les témoins du défendeur n’ont pas fait preuve de partialité parce qu’ils pensaient que les IPL avaient été sanctionnés plus sévèrement que les gestionnaires.

200 En ce qui a trait à la mesure disciplinaire, il y a bien eu une inconduite justifiant l’imposition d’une sanction disciplinaire à l’endroit de la fonctionnaire. Elle a enfreint les politiques du défendeur lorsqu’elle a mis la priorité sur la réévaluation plutôt que sur l’intervention, et elle a entraîné de la confusion chez le personnel sur la façon d’intervenir en cas d’urgence médicale. Rien ne prouve toutefois que la fonctionnaire ait été directement impliquée dans le décès de Mme Smith.

201 La suspension de 20 jours était excessive dans les circonstances. En effet, le contexte dans lequel la fonctionnaire est intervenue auprès du personnel et a exigé une réévaluation de la situation de Mme Smith concordait avec les directives de ses supérieurs à l’époque. La décision du défendeur d’imposer une suspension de 20 jours ne tenait pas compte de ce facteur. La fonctionnaire porte tout de même une certaine part de responsabilité pour les incidents décrits en preuve, c’est pourquoi il est juste et équitable, dans les circonstances, de substituer une suspension de 10 jours à celle de 20 jours.

202 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

(L’ordonnance apparaît à la page suivante)

VI. Ordonnance

203 Le grief est accueilli en partie, comme je l’ai indiqué précédemment. Je substitue une suspension de 10 jours à la suspension de 20 jours imposée par le défendeur.

Le 7 septembre 2012.

Traduction de la CRTFP

John Steeves,
arbitre de grief

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