Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés sont des agents des services frontaliers de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’<<Agence>>) - ils ont présenté un grief pour contester le fait que l’Agence a exigé qu’ils apportent leurs chemises d’uniforme chez le tailleur pour y faire apposer de nouveaux insignes d’épaule, et ce, sans être indemnisés pour le temps consacré à cette tâche - l’Agence a distribué les nouveaux insignes d’épaule dans le cadre de son nouveau programme d’image de marque et a demandé à ses employés de les faire coudre sur leur chemise d’uniforme par un tailleur approuvé - il y avait un tailleur approuvé à cinq minutes du lieu de travail et, selon la preuve, il ne fallait pas plus de cinq minutes pour y déposer sa chemise - la disposition sur les heures supplémentaires de la convention collective limite le paiement d’heures supplémentaires aux périodes de travail d’une durée de 15minutes ou plus, et ces périodes de travail ne peuvent être combinées pour créer des blocs de 15minutes ou plus - par conséquent, le temps requis pour se rendre chez le tailleur le plus proche fait en sorte que les dispositions sur les heures supplémentaires ne s’appliquent pas - en outre, le terme <<travail>> n’est pas défini dans la convention collective - le temps requis pour aller faire apposer un insigne d’épaule ne correspond pas à du temps de <<travail>> selon l’emploi de ce terme dans la convention collective - enfin, l’exigence de la convention collective selon laquelle la durée des heures supplémentaires travaillées est contrôlée par l’employeur ne s’applique pas puisque ce sont les fonctionnaires s’estimant lésés qui contrôlaient et déterminaient la durée des heures supplémentaires prétendument effectuées. Le grief est rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-06-29
  • Dossier:  566-02-2940 et 2941
  • Référence:  2012 CRTFP 72

Devant un arbitre de grief


ENTRE

CLÉMENT TRUDEAU ET FRED MILLIGAN

fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Agence des services frontaliers du Canada)

employeur

Répertorié
Trudeau et Milligan c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Augustus Richardson, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Helen Nowak, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Léa Bou Karam, avocate

Affaire entendue à Niagara Falls (Ontario),
le 3 février 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Le 10 juin 2006, Fred Milligan, un agent des services frontaliers, a présenté un grief dans lequel il conteste le fait que Mark Strasser, chef des opérations au pont Rainbow à Niagara Falls (Ontario), avait exigé [traduction] « […qu’il] aille faire coudre de nouveaux insignes sur [ses] chemises en dehors de [ses] heures de travail ». Il allègue que cette exigence constituait [traduction] « de l’intimidation » et que cela contrevenait à la convention collective, [traduction] « laquelle prévoit notamment […qu’il] soit rémunéré pour le travail [qu’il] effectue ». À titre de mesure corrective, il réclame le paiement [traduction] « […] d’au moins trois (3) heures pour aller porter [ses] chemises et d’au moins trois (3) autres heures pour aller les récupérer en dehors de [ses] heures de travail ». Il réclame également l’indemnité de kilométrage [traduction] « […] pour être allé porter et récupérer les chemises » (pièce U1). La convention collective pertinente est celle conclue entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la Fonction publique du Canada (le « syndicat ») pour tous les employé­e-s du groupe Services des programmes et de l’administration, venant à échéance le 20 juin 2007 (la « convention collective »).

2 Le 30 juin 2006, un autre agent des services frontaliers, Clément Trudeau, a présenté un grief portant sur le même sujet. Il y allègue que le 2 juin, on lui a demandé [traduction] « […] d’aller porter [ses] vieilles chemises chez le tailleur pour y faire coudre de nouveaux insignes ». Il avait demandé [traduction] « […] de s’y rendre pendant [ses] heures de travail, mais on lui a dit d’y aller en dehors de [ses] heures de travail ». Il a réclamé le paiement du temps consacré à cette activité [traduction] « […] en dehors de [ses] heures de travail », ce qui lui a été refusé par son surintendant. À titre de mesure corrective, il a réclamé le paiement [traduction] « […] d’au moins trois (3) heures supplémentaires pour aller porter [ses] chemises, en plus de l’indemnité de kilométrage » (pièce U1).

3 Les deux griefs ont été rejetés par l’Agence des services frontaliers du Canada (l’« employeur » ou l’« ASFC »), au motif qu’il était attendu des employés qu’ils fassent apposer leurs nouveaux insignes sur leur uniforme en dehors de leurs heures de travail.

4 J’ai instruit ces deux griefs lors d’une audience tenue à Niagara Falls, le 3 février 2012. Les parties ont déposé en preuve un exposé conjoint des faits (pièce U1), dont je ferai état plus tard. J’ai également entendu deux témoins, M. Jason McMichael, premier vice-président national du syndicat et agent des services frontaliers au port de Sarnia (Ontario), témoignant pour le compte des fonctionnaires s’estimant lésés, et M. Strasser, témoignant pour le compte de l’employeur.

II. Résumé de la preuve

A. Exposé conjoint des faits

5 En 2006, au moment du dépôt des griefs, M. Milligan et M. Trudeau, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), étaient agents des services frontaliers. Ils étaient nommés pour une période indéterminée, auprès de l’ASFC, dans la région du sud de l’Ontario (anciennement la région Niagara/Fort-érié).

6 La convention collective pertinente est celle visant le groupe des Services des programmes et de l’administration et conclue entre le Conseil du Trésor et l’agent négociateur accrédité, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, paraphée par les parties le 14 mars 2005.

7 Le 12 décembre 2003, l’ASFC a été constituée dans le cadre de la fusion de trois fonctions frontalières névralgiques : les douanes, l’immigration et l’inspection des aliments. À l’époque, les agents de ces trois services portaient des uniformes distincts. Dans la foulée de la fusion, une image de marque distinctive a été établie pour l’ensemble de l’ASFC. Dès 2006, tous les agents de l’ASFC étaient tenus de porter des uniformes réglementaires identiques.

8 En avril 2006, les agents de l’ASFC de l’ancienne région Niagara/Fort-érié, dont font partie les fonctionnaires, ont reçu de nouveaux insignes de l’ASFC pour leurs chemises d’uniforme, ou avec de nouvelles chemises. Les nouveaux insignes devaient être cousus sur les chemises d’uniforme. Tous les agents devaient disposer d’au moins deux chemises arborant le nouvel insigne de l’ASFC au plus tard le 19 mai 2006, en vue du lancement à l’échelle nationale du nouveau programme d’image de marque de l’ASFC.

9 Les agents ont été avisés que les insignes devaient être cousus sur leurs chemises d’uniforme par un tailleur approuvé. Un « tailleur approuvé » en est un qui a présenté une soumission pour effectuer les travaux requis et qui a obtenu le droit de facturer à l’employeur directement les frais de couture des insignes sur les chemises des uniformes. Ainsi, les employés devaient aller porter leurs chemises chez l’un de ces tailleurs approuvés et les récupérer une fois les nouveaux insignes posés. L’employeur s’attendait à ce que les démarches requises pour aller porter les chemises et les récupérer chez le tailleur soient accomplies par les agents, et ce, en dehors de leurs heures de travail.

10 Au printemps 2006, les employés en uniforme de la région du sud de l’Ontario de l’ASFC ont été avisés qu’ils devaient, à compter du 1er juin 2006, porter le nouvel uniforme bleu marin de l’ASFC arborant les nouveaux insignes d’épaule.

11 Les fonctionnaires ne figuraient pas à l’horaire de travail entre le 1er juin et le 4 juin 2006.

12 Le 2 juin 2006, M. Milligan a eu une conversation téléphonique avec M. Strasser, au cours de laquelle il l’a qu’il s’attendait à être rémunéré en heures supplémentaires pour son aller-retour chez le tailleur en dehors de ses heures de travail, conformément à la convention collective. M. Strasser n’était pas d’accord avec l’interprétation de la convention collective de M. Milligan et il l’a avisé que ces heures supplémentaires ne seraient pas rémunérées.

13 Le 5 juin 2006, M. Milligan s’est présenté au travail en portant une chemise d’uniforme arborant les anciens insignes. Le surintendant, Paul Morrison, a alors avisé M. Milligan, par écrit, en ces termes: [traduction] « […] [vous] ne travaillerez pas tant que cette situation ne sera pas corrigée et que vous ne porterez pas l’uniforme tel qu’il est prescrit (arborant le nouvel écusson). Cette situation de type "pas de travail, pas de salaire" prévaudra jusqu’à ce que vous vous conformiez. »

14 M. Milligan a demandé qu’on lui verse l’équivalant de six heures supplémentaires pour le temps consacré, les 2 et 4 juin 2006, à aller porter et récupérer ses chemises d’uniforme chez le tailleur pendant ses jours de repos. M. Trudeau a demandé qu’on lui verse l’équivalant de trois heures supplémentaires pour le temps consacré, le 2 juin 2006, à aller porter et récupérer ses chemises d’uniforme chez le tailleur pendant son jour de repos. Les deux fonctionnaires ont également demandé une indemnité de kilométrage pour le déplacement aller-retour entre leurs résidences respectives et la boutique du tailleur. L’employeur a rejeté leurs demandes, tant celles relatives à la rémunération des heures supplémentaires que celles relatives à l’indemnité de kilométrage.

B. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

15 M. McMichael a témoigné que l’uniforme des agents des services frontaliers constituait une partie importante de [traduction] « la reconnaissance de l’image de marque » de l’employeur. Il s’agit là d’une composante essentielle de la reconnaissance du rôle de [traduction] « première ligne de défense » confié aux agents des services frontaliers, qui permet à la population de mieux comprendre le rôle des agents des services frontaliers dans l’application des lois frontalières du Canada. Les agents des services frontaliers, du moins ceux et celles postés en première ligne, sont tenus de porter leur uniforme. M. McMichael a affirmé que c’était là [traduction] « une composante de leur emploi et une exigence de l’employeur ». Tout employé qui se présente au travail sans son uniforme se verra offrir l’occasion de se conformer à la consigne concernant les uniformes, faute de quoi il ou elle serait passible de sanctions disciplinaires.

16 M. McMichael a témoigné que la fourniture, l’utilisation et l’entretien des uniformes faisaient partie de la « Directive sur les uniformes » (la « Directive », pièce U2). Cette directive est considérée comme faisant partie de la convention collective (pièce U2, page 1). Les uniformes sont fournis par l’employeur. Par ailleurs, la clause 7.7 de la Directive stipule ce qui suit :

7.7 Lorsqu'un fonctionnaire reçoit, en vertu de ses conditions d'emploi et à titre particulier, un article d'habillement il doit le porter, et le faire nettoyer, le repasser et le raccommoder, selon les directives des ministères et les instructions d'entretien fixées à chacun.

17 La clause 13.3 de la Directive prévoit en outre « [qu’] on ne verse aucune indemnité pour : la réparation, le nettoyage, le repassage et le blanchissage […] ». M. McMichael a témoigné que, selon sa compréhension de la politique de l’employeur, le temps requis pour [traduction] « de petites retouches » apportées aux uniformes devait être consacré par les employés en dehors de leurs heures de travail, précisant toutefois [traduction] « qu’en pratique, on avait accordé du temps aux employés » pour certaines activités comme faire un ourlet ou ajuster une chemise.

18 M. McMichael a témoigné que les employés avaient été avisés en avril 2006 que la nouvelle image de marque de l’ASFC prendrait effet le 1er juin 2006. On leur avait alors fourni quatre nouveaux insignes d’épaule de l’ASFC. On leur a demandé d’aller porter leurs chemises et leurs insignes chez un tailleur dont le nom figurait sur la liste des tailleurs approuvés, lequel était chargé de coudre les insignes aux chemises. Les frais de couture étaient assumés par l’employeur (pièce U1, appendice B).

19 M. McMichael a reçu les insignes. Il a demandé que le paiement des heures supplémentaires soit autorisé conformément à la convention collective afin que, selon ses propres termes, [traduction] « [ses] insignes soient cousus sur [son] uniforme ». Il estimait que sa demande était justifiée et qu’il avait droit à une rémunération, parce que l’insigne [traduction] « fait partie intégrante de l’uniforme, et qu’il ne s’agit donc pas d’une petite retouche – en fait, l’insigne fait partie de l’image de marque de l’employeur; puisqu’elle fait partie intégrante de l’uniforme, la pose de l’insigne devrait être considérée comme faisant partie de son travail ». Il a témoigné que sa première demande avait été rejetée. Il est allé voir son directeur, qui lui a dit que s’il se présentait au travail sans ses insignes après le lancement du 1er juin, il serait passible de sanctions disciplinaires. M. McMichael a témoigné qu’il avait alors dit à son directeur [traduction] « [qu’il] estimait que l’employeur n’avait pas le droit de [l’]obliger à travailler en dehors de [ses] heures de travail sans [le] payer […] qu’il ne pouvait pas l’obliger à travailler bénévolement ». Il a dit à son directeur qu’il ne se conformerait pas à cette consigne à moins d’être rémunéré. Cette discussion a eu lieu au milieu de son quart de travail. Deux heures plus tard, son directeur l’a convoqué, lui a remis les clés d’un véhicule de l’ASFC, et lui a demandé de prendre une heure pour aller faire poser les insignes. M. McMichael a pris les clés, s’est rendu chez lui au volant de ce véhicule pour aller chercher ses chemises, et s’est ensuite rendu chez le tailleur pour les y déposer. Environ une semaine plus tard, il a encore une fois utilisé un véhicule de service pour aller récupérer ses chemises chez le tailleur.

20 M. McMichael a témoigné qu’il était possible de se rendre chez le tailleur et d’en revenir [traduction] « en une heure » lorsque cela se faisait au début ou vers la fin d’un quart de travail. Toutefois, lors d’un jour de repos de l’employé (c’est-à-dire une journée où l’employé ne figure pas à l’horaire de travail prévu), il ou elle avait alors droit, selon les dispositions sur les heures supplémentaires prévues à la convention collective, au paiement d’au moins trois heures supplémentaires.

C. Pour l’employeur

21 M. Strasser a témoigné pour le compte de l’employeur. Il ne remet pas en cause l’importance de l’uniforme à l’égard de l’image de marque de l’ASFC ni l’aptitude des agents des services frontaliers à remplir leurs fonctions. Il a également convenu, en contre-interrogatoire, que si un employé se présentait au travail sans l’uniforme réglementaire (ou les insignes d’épaule réglementaires), il ou elle ne serait pas autorisé à travailler et ne serait pas rémunéré.

22 M. Strasser a également reçu la Directive et les insignes d’épaule. Après son travail, il a déposé ses chemises et ses insignes chez le tailleur, lequel se trouvait à environ cinq minutes en voiture du pont Rainbow. Il y est resté environ cinq minutes. Quelques jours plus tard, il est allé récupérer ses chemises et l’uniforme, n’y restant encore que pendant environ cinq minutes. Aucune somme n’a été versée en mains propres, car le tailleur avait établi un compte au nom de l’employeur. M. Strasser n’avait qu’à fournir son nom afin de récupérer ses chemises et son uniforme. Aucune de ces démarches n’a été faite pendant les heures de travail, et il n’a pas réclamé de paiement d’heures supplémentaires.

23 En contre-interrogatoire, M. Strasser a concédé que certains employés de l’ASFC résidaient à plus de 45 minutes en voiture de leur lieu de travail. Il a toutefois souligné que l’un des tailleurs désignés par l’employeur pour effectuer la pose des insignes d’épaule n’était qu’à deux minutes du pont. Il s’est opposé à la suggestion voulant que l’employeur aurait pu déléguer à un tiers la tâche de prendre les chemises et les insignes de tous les employés pour les porter chez un tailleur, au motif que cette tâche ne faisait pas partie de la description d’emploi ou des fonctions des employés.

D. La convention collective

24 Les dispositions pertinentes de la convention collective s’énoncent comme suit :

Article 2 Interprétation et définitions

« jour de repos » désigne, […] un jour autre qu'un jour férié où un employé‑e n'est pas habituellement tenu d'exécuter les fonctions de son poste pour une raison autre que le fait qu'il ou elle est en congé ou qu'il ou elle est absent de son poste sans permission.

« heures supplémentaires » […] désigne :
a) dans le cas d'un employé‑e à temps plein, le travail autorisé qu'il ou elle exécute en plus des heures de travail prévues à son horaire;

[…]

Article 28 Heures supplémentaires

28.01 Les heures supplémentaires effectuées lors de cours, de séances de formation, de conférences et de séminaires ne sont rémunérées conformément au présent article que si l'employé‑e est tenu par l'Employeur d'y assister.

[…]

28.04 Généralités

a)       L'employé-e a droit à la rémunération des heures supplémentaires prévue aux paragraphes 28.06 et 28.07 pour chaque période complète de quinze (15) minutes de travail supplémentaire qu'il ou elle accomplit :

  1. quand le travail supplémentaire est autorisé d'avance par l'Employeur ou est conforme aux consignes d'exploitation normales,

    et
  2. quand l'employé-e ne décide pas de la durée du travail supplémentaire.

[…]

28.07 Rémunération des heures supplémentaires un jour de repos

Sous réserve de l'alinéa 28.04a),

[…]

c)       l'employé-e qui est tenu de se présenter au travail un jour de repos et qui s'y présente touche la plus élevée des deux rémunérations suivantes :

  1. une rémunération équivalant à trois (3) heures de rémunération calculée au tarif des heures supplémentaires applicable pour chaque rentrée au travail, jusqu'à concurrence de huit (8) heures de rémunération au cours d'une période de huit (8) heures,

    ou
  2. la rémunération calculée au tarif applicable des heures supplémentaires.

[…]

28.10 Frais de transport

a)       L'employé-e qui est tenu de se présenter au travail […] dans les conditions énoncées aux alinéas […] 28.07c), et qui est obligé d'utiliser des services de transport autres que les services de transport en commun normaux, se fait rembourser ses dépenses raisonnables de la façon suivante :

(i)       l'indemnité de kilométrage au taux normalement accordé à l'employé-e qui est autorisé par l'Employeur à utiliser son automobile, si l'employé-e se déplace avec sa propre voiture […]

b)       À moins que l'employé-e ne soit tenu par l'Employeur d'utiliser un véhicule de ce dernier pour se rendre à un lieu de travail autre que son lieu de travail habituel, le temps que l'employé-e met pour se rendre au travail ou pour rentrer chez lui ou elle n'est pas considéré comme du temps de travail.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

25 La représentante du syndicat a soutenu que les questions étaient simples :

  1. Est-ce que les employés étaient tenus, sous peine de sanctions disciplinaires, de faire un aller-retour chez un tailleur pour y faire apposer les nouveaux insignes d’épaule sur leur uniforme?
  2. Dans l’affirmative, est-ce que cette activité constituait du « travail » au sens de la convention collective?
  3. Dans l’affirmative, à combien d’heures supplémentaires et de kilométrage les fonctionnaires ont-ils droit?

26 La représentante du syndicat a fait valoir que l’employeur avait effectivement ordonné aux fonctionnaires d’aller porter leurs uniformes chez un tailleur. L’uniforme faisait partie de l’image de marque distinctive de l’employeur auprès de la population. Il faisait également partie intégrante de la capacité des fonctionnaires à s’acquitter de leurs fonctions et de leurs attributions pour le compte de l’employeur. Par exemple, la capacité d’un agent des services frontaliers d’interagir avec la population, de poser des questions, de prendre des décisions, d’imposer des taxes ou des droits de douane, ou de détenir un individu, est tributaire, dans une certaine mesure, de sa capacité de se présenter à titre de représentant dûment investi du pouvoir et de l’autorité de l’état canadien. Cela bénéficie à l’employeur et contribue à la poursuite de ses objectifs. Ceci étant, le temps consacré par un employé à s’assurer que l’uniforme qu’il ou elle porte contribue à l’atteinte des objectifs de l’employeur doit effectivement constituer du « travail » et, partant, il ou elle a le droit d’être rémunéré pour ce travail conformément aux dispositions de la convention collective.

27 La représentante du syndicat m’a renvoyé à Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 8:2130, où les auteurs énoncent ce qui suit :

[Traduction]

[…] Il est souvent arrivé aux arbitres de grief d’attribuer [à l’expression « heures de travail »] un sens plus large et exhaustif et, selon le libellé de l’entente en cause, ont statué que le « travail » pouvait en outre comprendre d’autres périodes, notamment le temps « en disponibilité», le temps consacré à assister à des cours de formation, à des réunions de santé et sécurité, à se rendre à un lieu de travail en dehors de son horaire normal de travail, ou le temps pendant lequel l’employé n’est pas en service mais pendant lequel il ou elle demeure, suivant les circonstances, assujetti au contrôle de l’entreprise (par exemple, alors qu’il ou elle est confiné dans les locaux de l’entreprise), même s’il ou elle n’a consacré que peu ou pas d’efforts.

Elle m’a également renvoyé à Insurance Corp. of British Columbia v. Office & Professional Employees’ International Union, Local 378 (2002), 106 L.A.C. (4e) 97, dans laquelle il est noté, à la page 104, que les arbitres de grief [traduction] « […] ont, en général, accepté la proposition voulant que, lorsqu’un employeur sollicite le temps d’un employé, l’employé a le droit d’être rémunéré, en l’absence de quelque disposition particulière à l’effet contraire dans la convention collective […] »; voir également Chicorelli c. Conseil du Trésor (Défense nationale), dossier de la CRTFP 166­02­23844 (19940114).

28 La représentante du syndicat a aussi fait valoir que les arbitres de grief et arbitres de différends ont souvent accordé des réclamations pour compenser le temps de déplacement requis pour se rendre à des cours de formation qui avaient lieu à un endroit autre que leur lieu de travail habituel; voir County of Oxford v. CUPE, Local Sub‑Unit 1146 (2003), 117 L.A.C. (4e) 215, Chicorelli, et Insurance Corp. of British Columbia (temps consacré à la rédaction de travaux en sus des travaux exigés dans le cadre du cours comme tel). Elle a soutenu que le cas en l’espèce est analogue aux cas précités, puisque l’employeur a effectivement demandé aux fonctionnaires de se présenter chez l’un des tailleurs désignés pour faire poser les insignes d’épaule à un uniforme faisant partie intégrante des activités de l’employeur.

29 La représentante du syndicat a fait valoir que le fait que la tâche à effectuer n’était pas ardue ou ne constituait peut-être pas comme tel du « travail » au sens traditionnel du terme, ne signifiait pas pour autant que cela ne pouvait pas constituer du « travail » au sens de la convention collective, citant l’extrait suivant tiré de Town of Midland v. O.P.S.E.U., Local 328 (1987), 31 L.A.C. (3e) 251 : [traduction] « […] [le qualificatif] "travaillé" peut notamment viser une période au cours de laquelle aucun travail n’est effectué comme tel, mais durant laquelle l’employé demeure assujetti à la direction ou au contrôle de l’employeur, ou durant laquelle les devoirs de l’employé envers l’employeur se poursuivent […] ».

30 La représentante du syndicat a enfin fait valoir qu’au demeurant, si je devais convenir que la tâche en question constituait du « travail » au sens de la convention collective tout en n’étant pas convaincu qu’il fallait trois heures pour le faire, je pouvais accorder un moins grand nombre d’heures que celui réclamé.

B. Pour l’employeur

31 La représentante de l’employeur a aussi fait valoir que les questions étaient simples, les énonçant comme suit :

  1. Est-ce que le fait pour les fonctionnaires s’estimant lésés de se rendre en voiture chez le tailleur constituait du « travail »?
  2. Le cas échéant, est-ce qu’ils avaient droit au paiement d’heures supplémentaires, aux termes de la convention collective;  
  3. Si tel est le cas, est-ce qu’ils avaient droit à l’indemnité de kilométrage, aux termes de la convention collective?

32 En ce qui a trait au premier point, la représentante de l’employeur a soutenu qu’aux termes de l’article 2 de la convention collective, l’expression « heures supplémentaires » s’entendait d’un « travail autorisé ». Mais, qu’entend-on par le terme « travail »? Elle a indiqué qu’on entendait par « travail » [traduction] « […] un effort physique et mental effectué pour atteindre une fin particulière, en outre, sous le contrôle et au bénéfice d’un employeur; main-d’oeuvre […] », citant un extrait de la huitième édition du Black’s Law Dictionary. Or, en l’espèce il n’y a eu que peu, sinon aucun [traduction] « effort physique et mental » consacré à l’activité consistant à aller porter les uniformes chez le tailleur. Partant, cela ne constituait pas du « travail » et, du coup, ne pouvait être considéré comme étant du « travail autorisé ».

33 La représentante de l’employeur a en outre fait valoir que le fait que les fonctionnaires devaient faire quelque chose relativement à leur uniforme afin de pouvoir se présenter à leur travail correctement vêtus ne signifiait pas pour autant qu’ils avaient systématiquement droit à une rémunération. Les employés doivent s’alimenter et dormir en vue de se préparer au travail; ils doivent se déplacer vers leur lieu de travail tous les jours où ils doivent s’y présenter. Ces activités, pourtant vitales pour s’assurer que les employés sont prêts et en mesure d’entreprendre le travail pour le compte de leur employeur selon l’horaire prévu, ne constituent pas pour autant du « travail » que l’employeur est tenu de rémunérer; voir notamment Grégoire et al. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2009 CRTFP 146, et Stafford c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011 CRTFP 123. Elle m’a également renvoyé à Société canadienne des postes v. SCFP, [1999] C.L.A.D. no 9 (QL), paragraphe 5, dans laquelle un facteur s’est vu refuser un grief visant le remboursement [traduction] « […] des frais pour faire des retouches à son uniforme, ce qu’il aurait dû faire depuis longtemps déjà. »

34 En ce qui a trait au libellé de la convention collective et au deuxième point, la représentante de l’employeur a soutenu que, même si on concluait que l’activité en question constituait du « travail », certaines conditions devaient être satisfaites pour que l’on puisse considérer que cela constituait des « heures supplémentaires » au sens de la clause 28.04a) de la convention collective. Ces conditions sont les suivantes :

  1. le travail supplémentaire en cause doit avoir pris au moins quinze (15) minutes;
  2. il devait avoir été « autorisé d’avance »;
  3. « l'employé-e ne décide pas de la durée du travail supplémentaire. »

35 La représentante de l’employeur a soutenu qu’aucune de ces conditions n’avait été remplie. Tel qu’il a été établi en preuve, il a fallu moins de cinq minutes pour déposer les uniformes et les récupérer chez le tailleur. Le fait que cela puisse prendre plus de temps pour se rendre chez le tailleur est une question liée au temps de déplacement, et ne peut être pris en compte dans le calcul du temps de « travail supplémentaire » requis pour accomplir cette action. De plus, l’action de déposer les uniformes et de les récupérer chez le tailleur n’avait pas été « autorisée » par l’employeur, dans le sens où elle n’avait pas été ordonnée par l’employeur. Enfin, ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui déterminaient le temps requis, puisqu’ils pouvaient décider eux-mêmes quand ils allaient chez le tailleur (lors d’une journée de travail ou de repos) et combien de temps cela leur prendrait pour se rendre à la boutique et en revenir.

36 En ce qui a trait à la réclamation de l’indemnité de kilométrage, la représentante de l’employeur a soutenu qu’une réclamation en vertu de la clause 28.10 de la convention collective n’était recevable que dans le cas d’un employé « qui est tenu de se présenter au travail ». Or, l’activité en cause ne constituait pas du « travail ». De plus, les fonctionnaires n’étaient pas « tenus » de se rendre chez le tailleur. Par conséquent, les réclamations à ce titre doivent être rejetées.

IV. Réplique

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

37 La représentante du syndicat a souligné que les employés ne pouvaient pas se présenter au travail sans porter l’uniforme réglementaire. Par conséquent, le fait de rendre l’uniforme « prêt » pour le travail ferait partie intégrante du travail, des fonctions et des responsabilités des employés. En exigeant des employés qu’ils s’assurent de faire poser leurs nouveaux insignes sur leurs chemises (faute de quoi ils ne seraient pas autorisés à travailler), l’employeur demandait effectivement aux fonctionnaires d’effectuer du travail. Cela étant, les fonctionnaires devraient être rémunérés.

V. Analyse

38 Le droit à la rémunération des heures supplémentaires est énoncé à la clause 28.04 de la convention collective, dont le libellé est réitéré ici pour référence :

28.04 Généralités

a)       L'employé-e a droit à la rémunération des heures supplémentaires prévue aux paragraphes 28.06 et 28.07 pour chaque période complète de quinze (15) minutes de travail supplémentaire qu'il ou elle accomplit :

(i)       quand le travail supplémentaire est autorisé d'avance par l'Employeur ou est conforme aux consignes d'exploitation normales,

et

(ii)      quand l'employé-e ne décide pas de la durée du travail supplémentaire.

39             Les arguments des fonctionnaires au sujet de leur réclamation concernant le paiement des heures supplémentaires peuvent se résumer comme suit :

a. le port de l’uniforme réglementaire fait partie intégrante de leur travail à titre d’agent des services frontaliers;

b. le port fait tellement est une partie intégrante de la fonction au point où les agents ne peuvent travailler s’ils ne portent pas l’uniforme réglementaire; ils s’exposent alors à des sanctions disciplinaires; ils ne recevraient pas leur salaire;

c. cela étant, tout effort physique et mental déployé pour que leur uniforme soit effectivement réglementaire – notamment en prenant les dispositions requises auprès d’un tailleur pour faire poser les nouveaux insignes d’épaule sur les chemises réglementaires – constituait du « travail » que l’employeur leur demandait d’accomplir;

d. s’ils ne pouvaient pas prendre les arrangements nécessaires pendant les heures de travail prévues à leur horaire, ce travail constituait alors des « heures supplémentaires », soit du « travail autorisé qu'il ou elle exécute en plus des heures de travail prévues à son horaire »;

e. en l’espèce, les fonctionnaires ont accompli ce travail pendant un jour de repos;

f. ils ont donc droit à la rémunération calculée conformément à la clause 28.07c).

40 Je suis convaincu, sur la foi de la preuve présentée, que le « travail » dont il s’agit – l’action de sortir du moyen de transport emprunté, d’entrer chez le tailleur et de lui laisser les chemises d’uniforme et les insignes – ne prendrait pas plus de cinq minutes. Selon le témoignage non contredit de M. Strasser, cela ne prend pas plus de cinq minutes, à quiconque membre de l’unité de négociation, pour accomplir cette tâche, peu importe où il ou elle réside par rapport à son lieu de travail. Le fait qu’il faille parfois plus d’un voyage (pour aller porter et récupérer les chemises) ne change pas cette conclusion. La clause 28.04a) de la convention collective précise qu’il s’agit de « chaque période complète », et qu’on ne peut « regrouper » des périodes afin de constituer un segment plus long que 15 minutes; voir Stafford c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2011 CRTFP 123.

41 Il est évident que la tâche faisant l’objet de ces griefs a été accomplie en dehors – ou « en plus des » - heures de travail prévues à l’horaire des fonctionnaires s’estimant lésés. Mais, était-ce bien du « travail »?

42 La convention collective ne comporte aucune définition du terme « travail ». Ainsi, je dois établir l’intention des parties et ce qu’elles entendent quant à leur emploi du terme « travail ». Ce faisant, je me dois de cerner l’intention véritable des parties quand elles ont conclu la convention collective. Pour ce faire, je dois m’en remettre au sens ordinaire des termes employés, tout en tenant compte également du reste de la convention collective, car l’ensemble de l’entente conclue entre les parties forme le contexte dans lequel doivent être interprétés les termes utilisés; voir Irving Pulp & Paper Ltd. v. Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 30 (2002), NBCA 30, aux paragraphes 10 et 11, et Cooper et Wamboldt c. Agence du revenu du Canada, 2009 CRTFP 160, aux paragraphes 32 à 34.

43 J’ai consulté avec intérêt les ouvrages faisant autorité et la jurisprudence auxquels m’ont renvoyé les représentantes des parties. Cela dit, la jurisprudence et les décisions arbitrales citées se rapportent essentiellement au libellé des conventions collectives dont étaient saisis les arbitres de grief et décideurs en cause. Les décisions se rapportant à des ententes contenant un libellé différent peuvent être utiles, mais non déterminantes.

44 Dans les faits, selon le syndicat, les parties ont déterminé et compris qu’une tâche comportant l’entretien et le maintien en état d’un uniforme était comprise dans la portée de la définition du terme « travail ». Les parties ont convenu dans la Directive que le fait de porter un uniforme était une condition pour travailler comme agent des services frontaliers. Les employés ne sont pas autorisés à accomplir les fonctions et les responsabilités de leur poste sans porter leur uniforme. Ainsi, selon le syndicat, l’entretien de ces uniformes constitue du « travail ».

45 Or, à mon avis, le terme « travail » tel qu’il est utilisé dans la convention collective ne peut être interprété de manière à y inclure le temps consacré à aller porter des chemises chez le tailleur.

46 Il a maintes fois été observé qu’il était parfois difficile de tracer la ligne entre ce qui constitue du temps de travail, lequel est le seul à être rémunéré par l’employeur, et ce qui constitue du temps personnel. Cependant, règle générale, le simple fait qu’un employé soit appelé à effectuer certaines activités afin d’être en mesure d’accomplir les fonctions pour lesquelles il ou elle a été embauché par l’employeur ne signifie pas pour autant que ces activités correspondent à du « travail ». Par exemple, pour être en mesure de travailler, l’employé doit manger, dormir, se vêtir de vêtements propres, avoir une bonne hygiène personnelle et se rendre au lieu de travail désigné par l’employeur. Il s’agit là de conditions préalables essentielles à la capacité d’un employé d’arriver à son lieu de travail prêt à travailler, bien qu’elles ne constituent pas à proprement parler d’un « travail » pour lequel l’employé doit être rémunéré. Ces activités ne sont pas comprises dans le libellé habituel d’une description d’emploi. Il s’agit là d’activités personnelles accomplies pendant le temps personnel de l’employé.

47 La représentante du syndicat a cherché à distinguer ces activités de la tâche visée en l’espèce au motif que le fait de s’alimenter, de dormir et de se vêtir correspondait à des activités que tous les employés doivent accomplir, qu’il ou elle soit ou non au travail. Le fait de porter un uniforme est unique en soi. Ce n’est pas comme s’alimenter ou s’habiller avec ses vêtements habituels, ce que chacun fait peu importe que l’on doive travailler ou non.

48 Or, la question ici n’est pas autant l’activité elle-même que le temps qu’il faut pour accomplir cette activité. Le temps requis pour se vêtir ou pour voir au bon état des vêtements que l’on porte au travail ou pendant ses temps de loisir est essentiellement le même que celui qu’il faut consacrer à mettre l’uniforme que l’on est tenu de porter au travail ou à le faire réparer. Dans les deux cas, cela nécessite du temps et un certain effort physique. Si le temps que l’on prend pour mettre (ou réparer et entretenir) ses vêtements « habituels » n’est pas considéré comme étant du « travail » selon l’acception courante de ce terme, je ne vois pas pourquoi le temps que l’on prend pour revêtir, réparer ou entretenir son uniforme devrait être traité différemment.

49 Cette conclusion est en outre étayée dans la preuve du témoin du syndicat, selon laquelle il incombe à chaque agent des services frontaliers de voir au nettoyage de son uniforme. Le fait que les parties aient agi conformément au précepte voulant que le nettoyage de l’uniforme – une activité exigeant un certain effort physique et mental de la part de l’employé – ne constitue pas du « travail » me semble étayer le fait que, dans la rédaction et la conclusion de leur convention collective, les parties n’ont pas considéré comme étant du « travail » le temps consacré à s’assurer que l’uniforme est en bon état et conforme aux normes actuelles.

50 Par conséquent, je ne suis pas convaincu que, lors de l’élaboration de la convention collective, les parties aient voulu et convenu que le terme « travail » comprenne le temps consacré par les employés à l’entretien et au maintien en bon état (y compris le renouvellement des insignes) de leurs uniformes en dehors des heures de travail prévues à leur horaire.

51 Ceci étant dit, et aux fins du débat actuel, à supposer que ces activités constituaient du « travail » au sens de la définition de l’expression « heures supplémentaires », il incombe encore au syndicat d’établir le droit au paiement des heures supplémentaires en vertu de la clause 28.04a) de la convention collective. Aux termes de cette clause, l’employé a droit à la rémunération des heures supplémentaires uniquement aux conditions suivantes, à savoir :

[…]

a.       […] pour chaque période complète de quinze (15) minutes de travail supplémentaire qu'il ou elle accomplit;

[…]

b.       quand le travail supplémentaire est autorisé d'avance […]

et

c.       quand l'employé-e ne décide pas de la durée du travail supplémentaire.

52 La deuxième condition ne prendra pas trop de notre temps. De toute évidence, cette tâche n’avait pas été autorisée à l’avance, dans la mesure où l’employeur a formellement refusé, au préalable, d’autoriser les heures supplémentaires des fonctionnaires. Par contre, si la tâche en question constituait effectivement du « travail » au sens de la convention collective et que l’employeur avait demandé aux fonctionnaires d’accomplir ce travail, alors dans ce cas, cette condition aurait été satisfaite.

53 Cependant, à mon avis, la première et la troisième de ces conditions font obstacle aux réclamations des fonctionnaires.

54 La première condition est un obstacle à l’argument selon lequel aller porter les chemises d’uniforme chez le tailleur constitue du « travail », alors que cette activité ne prend pas plus de cinq minutes à accomplir. En d’autres termes, cette tâche ne consiste pas en « une période complète de quinze (15) minutes ». Elle ne satisfait pas cette condition et, partant, n’accorde aucun droit aux termes de la clause 28.04a) de la convention collective. Cette interprétation est étayée par Stafford, au paragraphe 59, alors que l’arbitre de grief en est arrivé à la même conclusion au sujet d’une disposition sur les heures supplémentaires comportant un libellé similaire. Voir également Grégoire, aux paragraphes 70 à 84.

55 On pourrait prétendre que si le fait de se rendre en voiture chez le tailleur et d’y revenir est considéré comme du « travail », celui-ci devrait être comptabilisé dans le calcul. En l’espèce, il a été établi en preuve que la boutique du tailleur était située à deux minutes du lieu de travail. Si l’on additionne ce temps à celui passé chez le tailleur (cinq minutes), on a comme résultat un total de sept minutes pour aller, ou 14 minutes pour l’aller et le retour, ce qui demeure en deçà de 15 minutes. Théoriquement, on pourrait considérer que selon le moment de l’activité (ou selon le volume de la circulation à cet endroit), le trajet aller-retour pourrait prendre plus de 15 minutes. Mais puisque ce total n’est possible qu’en regroupant les temps de déplacement pris individuellement, ce qui n’est pas permis en vertu de la convention collective, le seuil de 15 minutes établi dans la convention collective ne pourrait pas être satisfait. Toutefois, il est concevable que, selon l’emplacement du lieu de travail des agents (ou selon le volume de la circulation à cet endroit), l’aller-retour prenne plus de 15 minutes.

56 Aux fins de pousser l’analyse, supposons que le temps requis ne dépassait pas le seuil des quinze minutes, il resterait à satisfaire la troisième condition, selon laquelle « […] l'employé-e ne décide pas de la durée du travail supplémentaire ». On ne peut se surprendre de l’existence d’une telle condition. La gestion du lieu de travail, notamment des activités et du travail des employés, est une prérogative qui revient généralement à la direction. Les heures supplémentaires sont onéreuses. Cela peut nuire au budget d’un ministère. La direction doit pouvoir décider des heures supplémentaires afin de pouvoir assurer le contrôle des dépenses. La direction a le droit de décider si tel ou tel autre travail doit être effectué ou non et à quel coût. Ainsi, il n’est pas étonnant que les parties aient convenu que l’employeur ne soit obligé de rémunérer uniquement le travail dont il, et non l’employé, peut déterminer la durée.

57 Or, en l’espèce, les fonctionnaires décidaient de la durée du travail supplémentaire dont ils réclamaient le paiement. Selon la preuve, la boutique d’au moins un des tailleurs se trouvait à peine à cinq minutes de leur lieu de travail. Cependant, les fonctionnaires ont choisi de ne pas se rendre en voiture à cette boutique avant ou après leur travail (ou encore, pendant leur pause-repas), comme l’a fait M. Strasser. Ils ont plutôt choisi de se rendre en voiture chez le tailleur durant leurs jours de repos. En procédant ainsi, c’étaient alors eux, et non l’employeur, qui décidaient du travail supplémentaire à accomplir et de sa durée; ce faisant, ils ont barré la voie à quelque droit dont ils auraient pu se prévaloir en vertu de la clause 28.04a) de la convention collective.

58 Si, en vertu des faits, la réclamation du paiement des heures supplémentaires échoue, la réclamation pour le temps de déplacement ou de tout autre frais accessoire au temps consacré à l’activité visée doit également échouer.

59 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VI. Ordonnance

60 Les griefs sont rejetés.

Le 29 juin 2012.

Traduction de la CRTFP

Augustus Richardson,
arbitre de grief

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