Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont contesté la sanction pécuniaire de quatre jours qui leur a été imposée pour avoir délibérément ou négligemment fait une fausse déclaration dans l’exercice de leurs fonctions - dans le cadre du même incident, ils ont aussi été <<rétrogradés>> d’un poste classifié CX-02 à un poste classifié CX-01 - les fonctionnaires s’estimant lésés exerçaient des fonctions intérimaires de supervision dans l’unité d’isolement d’un établissement à sécurité maximale - durant leur quart de travail, et à la suite d’une panne électrique, un détenu a eu la permission d’entrer dans la cellule d’un autre détenu et d’y rester un certain temps - un des détenus a subi des blessures physiques; il a été découvert au début du quart de travail suivant - à la fin de leur quart de travail, les fonctionnaires s’estimant lésés ont signé un document attestant que tous les détenus avaient été présents et que toutes les barrières et portes avaient été vérifiées et verrouillées, conformément aux exigences des ordres permanents, alors qu’en fait, aucun dénombrement des détenus n’avait été effectué - les fonctionnaires s’estimant lésés ont signé le formulaire de dénombrement tout en sachant qu’il en était autrement, pour faciliter le retour à la maison de tous, à la fin du quart de travail - le défendeur a déclaré que la rétrogradation avait été mise en œuvre en réponse à des problèmes de sécurité et pour des raisons administratives - les fonctionnaires s’estimant lésés ont reconnu avoir fait erreur et ont présenté des excuses à l’employeur - selon les fonctionnaires s’estimant lésés, la sanction était trop sévère et la rétrogradation était de nature disciplinaire - l’arbitre de grief a fait valoir que la situation était grave et qu’il était prudent d’enquêter sur les événements qui sont survenus et de rétrograder les fonctionnaires s’estimant lésés de leurs fonctions intérimaires étant donné qu’ils étaient responsables de l’unité au moment de l’incident - une perte pécuniaire ne correspond pas toujours à une mesure disciplinaire - l’intention du défendeur était de traiter des problèmes de sécurité - la décision de rétrograder les fonctionnaires s’estimant lésés n’était pas de nature disciplinaire, et l’arbitre de grief n’avait pas compétence pour en décider - les fonctionnaires s’estimant lésés ont commis une grave faute de conduite - la sanction n’était pas en contradiction avec la jurisprudence; en effet, selon la jurisprudence, une sanction plus sévère aurait pu être justifiée - l’acceptation immédiate de responsabilité par les fonctionnaires s’estimant lésés a servi à réduire la sanction, mais avait déjà été prise en compte par l’employeur. Griefs rejetés.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-08-14
  • Dossier:  566-02-3272, 3273, 3275 et 3277
  • Référence:  2012 CRTFP 87

Devant un arbitre de grief


ENTRE

JAMES STEAD et VINCENT WEDA

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(Service correctionnel du Canada)

défendeur

Répertorié
Stead et Weda c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
John Steeves, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Corinne Blanchette, Union of Canadian Correctional Officers - Syndicat des agents correctionnels du Canada - CSN

Pour le défendeur :
Allison Sephton, avocate

Affaire entendue à Abbotsford et à Harrison Hot Springs (Colombie‑Britannique),
du 28 février au 2 mars et le 22 juin 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Questions devant l’arbitre de grief

1 La présente décision porte sur deux questions. Premièrement, le Service correctionnel du Canada (le « défendeur ») avait-t-il un motif valable pour imposer à James Stead et à Vincent Weda, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), une sanction pécuniaire de quatre jours pour avoir fait de fausses déclarations, volontairement ou par négligence, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions? Deuxièmement, la [traduction] « rétrogradation » des fonctionnaires du poste CX-02 au poste CX-01 pour les mêmes incidents que ceux ayant donné lieu à la sanction pécuniaire était-t-elle une mesure administrative ou disciplinaire?

II. Résumé de l’argumentation

2 Le défendeur soutient qu’il avait un motif valable pour imposer la sanction pécuniaire de quatre jours. Les fonctionnaires occupaient par intérim des postes de supervision à l’unité d’isolement d’un établissement à sécurité maximale. M. Stead était l’agent responsable à ce moment-là. En raison d’un mauvais fonctionnement des serrures des cellules causé par une panne électrique pendant le quart des fonctionnaires, on a permis à un détenu de rester dans la cellule d’un autre détenu durant un certain temps. Un des détenus s’est retrouvé avec des blessures physiques. On a découvert au début du quart suivant, après que les fonctionnaires soient partis, qu’on avait permis à deux détenus d’occuper la même cellule et que l’un d’eux avait été blessé. À la fin de leur quart, les fonctionnaires avaient signé un document qui précisait que tous les détenus étaient présents et que toutes les portes et toutes les barrières avaient été vérifiées et verrouillées en conformité avec les ordres permanents. Pour que ce document soit signé, il fallait qu’un dénombrement officiel des détenus ait été effectué et qu’on ait obtenu une confirmation du lieu où se trouvaient les détenus ainsi que la signature des agents ayant effectué le dénombrement. En réalité, aucun dénombrement n’avait été fait. Les fonctionnaires ont signé les formulaires de dénombrement en sachant qu’aucun dénombrement n’avait été fait, pour faciliter le retour à la maison de tout le monde après le quart. M. Weda a signé un deuxième formulaire de dénombrement pour lequel aucun dénombrement n’avait été fait. Le défendeur est d’avis que ces actes justifiaient l’imposition d’une sanction pécuniaire de quatre jours.

3 Pour ce qui est de la rétrogradation, les fonctionnaires occupaient par intérim des postes d’agents correctionnels 2 (CX-02) qui comprenaient certaines fonctions de supervision. À la suite de l’incident relatif au dénombrement, le défendeur les a rétrogradés en les renvoyant dans leurs postes d’attache ou réguliers d’agents correctionnels 1 (CX-01). Le défendeur soutient qu’il cherchait à répondre à des besoins de sécurité immédiats et que la décision était prise pour des raisons administratives. Comme les décisions qui ont été prises étaient de nature administrative, il est d’avis que l’arbitre de grief n’a pas la compétence pour intervenir dans cette affaire, conformément à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la « Loi »).

4 De leur côté, les fonctionnaires reconnaissent qu’ils ont commis une erreur en signant les formulaires de dénombrement alors qu’ils savaient qu’aucun dénombrement n’avait été fait. M. Weda a déclaré qu’il terminait un long quart de 16 heures et qu’il était aux prises avec des problèmes personnels qui étaient une source de stress pour lui. Il souffrait entre autres de stress post-traumatique. M. Stead, lui, a déclaré que le défendeur lui avait interdit d’avoir des contacts avec les détenus en raison de menaces que des détenus avaient faites à son endroit, mais qui n’étaient pas en rapport avec les incidents dont il est question ici. Par conséquent, il ne pouvait pas circuler dans les rangées ou effectuer un dénombrement. Les fonctionnaires admettent que les circonstances en l’espèce justifiaient l’imposition d’une mesure disciplinaire, mais ils contestent la sanction pécuniaire de quatre jours et la rétrogradation. Ils estiment qu’une sanction d’une journée aurait été une sanction adéquate.

5 Pour appuyer leur argument que la sanction devrait être réduite, les fonctionnaires soulignent le fait qu’ils ont immédiatement reconnu leur responsabilité dans les erreurs de dénombrement portées dans les formulaires. Par ailleurs, M. Stead a demandé de sa propre initiative une rencontre immédiate avec la directrice pour discuter de cette question. Pendant la rencontre, les fonctionnaires ont reconnu leur responsabilité dans les erreurs portées dans les formulaires de dénombrement, et ils ont présenté leurs excuses pour ces erreurs. Le défendeur reconnait la portée du geste.

6 Pour ce qui est de la rétrogradation, les fonctionnaires soulignent que la mesure a été prise immédiatement après les incidents et qu’ils ont présumé que l’incident était clos. La rétrogradation était pour eux une mesure disciplinaire, car elle impliquait une perte de salaire et un changement dans leurs quarts de travail et leurs jours de repos. La sanction pécuniaire de quatre jours est survenue quelques mois plus tard, et les fonctionnaires étaient surpris de la recevoir en plus d’avoir été rétrogradés. Les fonctionnaires considèrent que la rétrogradation était une mesure disciplinaire, et ils s’opposent à celle-ci ainsi qu’à la sanction pécuniaire.

III. Contexte

7 Le défendeur fournit des services correctionnels dans tout le Canada. Les faits ayant donné lieu aux présents griefs sont survenus à l’unité d’isolement de l’Établissement de Kent, à Agassiz (Colombie-Britannique), le 9 janvier 2009.

8 L’Établissement de Kent est un établissement à sécurité maximale, et l’unité d’isolement est l’endroit où sont enfermés les détenus qui présentent un risque élevé. Un gestionnaire correctionnel est chargé de l’unité d’isolement, mais il travaille le jour, de 7 h à 15 h environ. Il peut y avoir huit agents correctionnels sur les lieux, comme c’était le cas le 9 janvier 2009. Quatre agents occupant un poste CX-02 par intérim étaient présents ce jour-là, y compris les fonctionnaires. Les quarts peuvent être de 8, 12 ou 16 heures selon les affectations et les besoins opérationnels. La norme est de maintenir un haut niveau de sécurité en tout temps à l’unité d’isolement. Il y a un détenu par cellule.

9 M. Stead est agent correctionnel depuis novembre 2006. Il a occupé un poste de CX-02 par intérim d’avril 2008 à janvier 2009, au moment où il a été rétrogradé et renvoyé à un poste de niveau CX-01. M. Weda est agent correctionnel depuis août 2004, et il a occupé un poste de CX-02 par intérim de juillet 2007 à janvier 2009. La directrice de l’Établissement de Kent lui a remis un « certificat de mérite » en avril 2008, car il avait été le premier arrivé sur les lieux d’un accident pour aider un autre employé dont le véhicule avait glissé dans un talus. Aucun des deux fonctionnaires n’avait auparavant été visé par une mesure disciplinaire. Les deux fonctionnaires ont déclaré qu’ils n’avaient reçu aucune formation de CX-02 et n’avaient pas reçu de description de travail pour ce poste et qu’ils n’en avaient pas vu une non plus. Le 9 janvier 2009, M. Stead avait reçu du défendeur la consigne de ne pas circuler dans les rangées en raison de menaces que des détenus avaient faites à son endroit mais qui n’étaient pas en rapport avec la présente affaire (et qui étaient survenues dans l’exercice normal de ses fonctions).

10 Les agents correctionnels sont visés par diverses directives, politiques et consignes.

11 Il y a un Code de discipline pour les agents correctionnels. Il s’agit de la Directive du commissaire 060 (datée du « 1994-03-30 »). Voici les passages pertinents de cette directive : 

[…]

RÈGLES DE CONDUITE PROFESSIONNELLE

Responsabilité dans l’exécution des tâches

5.  Les employés doivent avoir une conduite qui rejaillit positivement sur la fonction publique du Canada, en travaillant ensemble pour atteindre les objectifs du Service correctionnel du Canada. Ils s’acquitteront de leurs tâches avec diligence et compétence, et en ayant soin de respecter les valeurs et les principes décrits dans le document sur la Mission, ainsi que les politiques et procédures établies dans la législation, les directives, les guides et autres documents officiels. Les employés sont obligés de suivre les instructions de leurs superviseurs et de tout autre employé responsable du lieu de travail. Ils doivent également servir le public avec professionnalisme, courtoisie et promptitude.

Infractions

6.  Commet une infraction l’employé qui :

[…]

j. volontairement ou par négligence, fait ou signe une fausse déclaration ayant trait à l'exercice de ses fonctions;

[…]

12 Dans le présent cas, le défendeur a fondé sa décision d’imposer une sanction pécuniaire de quatre jours aux fonctionnaires sur le paragraphe 6j du Code de discipline. Plus précisément, il soutient qu’en signant les formulaires de dénombrement alors qu’ils savaient qu’aucun dénombrement n’avait été effectué, les fonctionnaires ont fait de fausses déclarations, volontairement ou par négligence.

13 Il existe un document antérieur (novembre 1994) sur la discipline : le Guide disciplinaire sur la rétrogradation et le licenciement non disciplinaires pour raison valable. Brian Zimmerman, président de la section locale du Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (l’« agent négociateur ») pour l’Établissement de Kent, a déclaré que récemment, il a utilisé régulièrement ce document lors de discussions sur la discipline avec le défendeur. Il a insisté sur un passage de ce document où il est question de la prise de décisions disciplinaires « rapides » : [traduction] « […] sauf dans des circonstances inhabituelles, les mesures disciplinaires devraient être prises dans un délai d’un mois après l’infraction ». Cependant, Diane Knopf, la directrice de l’Établissement de Kent en janvier 2009, a déclaré que ce document n’était plus utilisé depuis un certain temps et qu’elle ne se rappelait pas la dernière fois où on s’y était reporté.

14 Le défendeur a aussi un document intitulé [traduction] Entente globale. Selon le préambule, ce document visait à [traduction] « […] clarifier l’application de certaines dispositions […] » de la convention collective dans divers domaines, dont les « Mesures disciplinaires » (partie III). Dans la division III-A (Discipline), il est indiqué que le défendeur doit imposer une sanction pécuniaire d’une journée pour une première infraction, une sanction de deux jours pour une deuxième infraction, et ainsi de suite. Les fonctionnaires fondent sur ce document leur argument que le défendeur aurait dû leur donner à chacun une sanction d’une journée plutôt qu’une sanction de quatre jours. De son côté, le défendeur fait référence à une autre disposition de la division III-A (section 3), où il est indiqué que [traduction] « l’échelle graduée ne s’applique pas dans le cas d’une inconduite grave ». Dans ce cas, l’employeur peut imposer une sanction pécuniaire de quatre jours.

15 Il existe des « ordres de poste » visant précisément l’Établissement de Kent. Par exemple, le KP08-24.01, daté du « 2008-10-28 », renvoie spécialement à l’unité d’isolement (anciennement l’« unité J ») :

[Traduction]         

POSTE DE L’UNITÉ J (ISOLEMENT)

Agents exerçant leurs fonctions à l’unité J sous la direction générale du gestionnaire correctionnel (unités) et du gestionnaire correctionnel (bureau opérationnel), ainsi que sous la supervision directe de l’agent correctionnel II (AC-II) responsable de l’unité d’isolement. L’AC-II affecté au bureau opérationnel est désigné « agent responsable »; il est responsable des patrouilles de sécurité/rondes et de toutes les questions de conformité à l’unité d’isolement pendant toute la durée de son quart.

L’AC-II responsable de l’unité d’isolement doit aviser immédiatement le gestionnaire correctionnel (isolement), ou en son absence le gestionnaire correctionnel (bureau opérationnel), lorsqu’il y a possibilité de recours à la force.

16 Les ordres de poste précisent aussi que les agents correctionnels doivent [traduction] « […] s’assurer que les dénombrements prescrits sont effectués conformément à l’Ordre permanent 566-4 pour l’Établissement de Kent ». Cet ordre permanent (daté du 2008-11-19) a comme sujet le « dénombrement des détenus » et contient les définitions suivantes :

[Traduction]

[…]

DÉFINITIONS

  1. Dénombrement non officiel : Processus qui consiste à compter individuellement les détenus sans interrompre les activités en cours. Le formulaire de dénombrement peut ne pas être requis, et le dénombrement peut être confirmé par téléphone.
  2. Dénombrement officiel : Processus qui consiste à compter individuellement les détenus. Aucun mouvement n’est permis pendant le dénombrement, et les résultats sont consignés dans un registre officiel. Un dénombrement officiel doit être effectué par deux agents, et un formulaire de dénombrement doit être signé par deux agents.
  3. Dénombrement debout : Dénombrement officiel des détenus, qui doivent se présenter d’une manière visible devant deux agents en se plaçant dans une position debout sur le plancher de leur cellule, face à la porte ouverte, pour permettre aux agents de les identifier visuellement et d’évaluer leur état physique. Certains détenus peuvent être incapables de se lever pour le dénombrement pour des raisons médicales ou à cause de limitations physiques. Ces cas doivent être signalés par le chef des Services de santé. Un formulaire de dénombrement doit être signé par deux agents.
  4. Dénombrement d’urgence : Dénombrement debout des détenus, qui doivent retourner à leur unité résidentielle respective, peu importe leur lieu de travail ou leurs autorisations antérieures, pour être identifiés correctement par leur nom et leur numéro SED. Un formulaire de dénombrement d’urgence doit être signé par deux agents. L’emplacement de la cellule de chaque détenu doit être indiqué, et une vérification est requise.

[…]

17 L’Ordre permanent 566-4 établit également les responsabilités suivantes pour les agents :

[Traduction]

RESPONSABILITÉS

  1. Sous la direction du directeur ou de son délégué, l’agent responsable de l’établissement s’assure que tous les détenus figurant sur la liste des détenus sont présents ou localisés.
  2. Un formulaire de dénombrement rempli et signé par deux agents doit être présenté à l’agent du poste de contrôle central au moment où le dénombrement de tous les détenus est effectué, peu importe où ils se trouvent. Le formulaire de dénombrement est ensuite joint au formulaire principal de dénombrement pour former un dossier complet. Ce dossier est ensuite ajouté au rapport de quart du gestionnaire correctionnel (bureau opérationnel).
  3. Les signatures sur les formulaires de dénombrement doivent être lisibles; au besoin, il faut inscrire le nom de l’agent en lettres moulées à côté de la signature.
  4. L’agent responsable doit s’assurer que les employés identifient et comptent chacun des détenus dont ils sont responsables en vérifiant que seuls les formulaires de dénombrement dûment remplis sont acceptés au poste de contrôle central et que la signature de chacun des deux agents y est apposée.
  5. Le gestionnaire correctionnel (bureau opérationnel) doit certifier que tous les dénombrements officiels, debout et nominaux sont corrects en additionnant les résultats avant de signer le formulaire principal de dénombrement.
  6. Chaque employé responsable de la surveillance de détenus doit savoir où se trouvent ces détenus en tout temps.

18 L’Ordre permanent 566-4 contient également les directives suivantes concernant les patrouilles de sécurité et les rondes :

[Traduction]

PATROUILLE DE SÉCURITÉ/RONDE

43. La patrouille de sécurité/ronde est un examen contrôlé d’une zone précise. L’agent doit demeurer attentif à toute situation inhabituelle, s’assurer du bien-être de tous les détenus et employés situés dans la zone et veiller à ce que tous les appareils de sécurité fonctionnent normalement. Il faut prévoir suffisamment de temps pour assurer l’exactitude des observations. Il est primordial que les employés soient en mesure de s’assurer en tout temps que chaque personne est en vie et respire normalement. S’il y a lieu, les postes de contrôle intérieurs et extérieurs doivent être avisés avant le début d’une patrouille de sécurité, et ces postes surveilleront la présence de l’agent pendant qu’il effectue sa patrouille de sécurité.

44. Une patrouille de sécurité/ronde doit être effectuée dans toutes les unités résidentielles au moins une fois par heure. Toutes les zones de l’unité résidentielle, y compris les aires communes, les aires des programmes et les cellules individuelles, doivent faire l’objet d’une inspection visuelle.

45. Les patrouilles de sécurité/rondes doivent être réalisées de façon irrégulière; elles ne doivent pas suivre un trajet ou un horaire régulier afin d’éviter qu’elles soient prévisibles.

19 Ces ordres et politiques font partie de la formation donnée aux agents correctionnels, ce qui inclut les fonctionnaires.

20 De temps à autre, le défendeur transmet aux agents des bulletins de sécurité en les envoyant par courriel ou en les mettant dans les boîtes aux lettres des agents, ou en les affichant sur des tableaux d’affichage. Il arrive que ces bulletins soient diffusés de plus d’une façon, y compris de vive voix par les superviseurs. Le 24 juin 2008, on a émis le bulletin intitulé [traduction] « Bulletin de CLARIFICATION concernant les rondes et les dénombrements ». Ce bulletin renvoyait à un bulletin de décembre 2007 (qui n’a pas été présenté en preuve). Voici les passages pertinents du bulletin de 2008 :

[Traduction]

[…]

Le présent bulletin vise à clarifier le bulletin de sécurité diffusé en décembre 2007 au sujet des rondes et des dénombrements.

Le bulletin de décembre ne cherchait pas à imposer des échéanciers pour effectuer les patrouilles dans les rangées, ni à limiter la capacité du personnel à effectuer des patrouilles de sécurité adéquates sans leur laisser la latitude de réaliser d’autres activités dans la rangée.

L’objectif du bulletin était de veiller à ce que, lorsque les patrouilles et les dénombrements sont effectués, vous êtes convaincu que les tâches ont été réalisées conformément aux exigences, c’est-à-dire qu’une personne vivante et respirant normalement se trouve dans la cellule, et que la patrouille comprend aussi les éléments énumérés dans le bulletin.

D’après ce que je comprends, certains établissements ont établi des échéanciers précis pour effectuer les rondes dans les rangées, mais ce n’est pas l’objectif visé par ce bulletin.

J’espère que ceci permet de clarifier un peu la situation.

[…]

21 Lors de son témoignage, M. Stead a indiqué qu’il a [traduction] « peut-être déjà vu [le bulletin] »; M. Weda a affirmé qu’il ne l’avait pas vu et que le bulletin avait probablement été envoyé alors qu’il n’était pas au travail.

22 Il semble convenu que le dénombrement des détenus représente une part très importante des responsabilités quotidiennes des agents correctionnels. Mme Knopf, directrice de l’Établissement de Kent en janvier 2009, a déclaré que les dénombrements étaient un aspect [traduction] « fondamental » des activités d’une prison. Aussi, pour que les dénombrements soient efficaces, il est important que le moment où ils sont réalisés ne soit pas prévisible pour les détenus, c’est pourquoi ils ne sont pas réalisés à des heures fixes. Comme on l’a vu dans l’Ordre permanent 566-4, il y a des dénombrements non officiels ainsi que des dénombrements debout. Les agents font aussi des rondes dans les rangées, durant lesquelles ils observent les détenus, mais leurs observations ne sont généralement pas consignées. De façon générale, l’objectif est de s’assurer [traduction] « […] que l’on peut voir une personne vivante qui respire normalement, que l’état de santé du détenu semble normal et que l’on peut confirmer son identité », comme l’indique l’Ordre permanent 566-4.

23 Un dénombrement officiel de détenus est consigné dans un formulaire de dénombrement. La signature de deux agents correctionnels doit être apposée, et les signatures sont associées à la certification suivante : [traduction] « Nous certifions que tous les détenus étaient présents et que toutes les portes, fenêtres et barrières requises ont été vérifiées et verrouillées conformément aux exigences des ordres permanents. » Les fonctionnaires ont admis avoir signé ce document le 9 janvier 2009, alors qu’ils savaient que le dénombrement n’avait pas été effectué, et un autre document a été signé par M. Weda. La pratique veut que, après un dénombrement, le formulaire soit signé et que le résultat du dénombrement soit transmis par téléphone à un bureau central, où il est additionné aux autres résultats. Les formulaires papier sont aussi envoyés au bureau central en guise de confirmation écrite du dénombrement. Le personnel du bureau est chargé de vérifier tous les dénombrements des différentes unités et d’annoncer par interphone si le dénombrement est exact ou non. Si le dénombrement est exact, cela signifie que tous les détenus ont été comptés et que le processus est terminé.

24 Si le dénombrement est inexact, il doit alors être refait jusqu’à ce qu’il soit bon. Dans certains cas, comme le prévoit l’Ordre permanent 566-4, il peut être nécessaire d’effectuer un dénombrement d’urgence. Tous les détenus doivent alors retourner dans leur unité résidentielle pour être identifiés. Le dernier dénombrement effectué au cours d’un quart de travail est généralement important pour les employés, car ils ne peuvent retourner chez eux tant qu’il n’est pas exact. Comme nous allons le voir, cette question est pertinente dans le cadre des présents griefs.

IV. Incidents du 9 janvier 2009

25 Le 9 janvier 2009, les fonctionnaires occupaient par intérim des postes de CX-02 à l’unité d’isolement de l’Établissement de Kent. Leur quart se terminait à 22 h 40. Le travail habituel pendant ce quart consistait entre autres choses à nourrir les détenus et à leur faire prendre la douche, à gérer des appels juridiques, ainsi qu’à organiser des rencontres avec des médecins et des avocats et des comparutions à des audiences disciplinaires.

26 M. Stead était CX-02 par intérim, et il était l’agent responsable de ce quart. Il avait les responsabilités énumérées dans les ordres de poste ci-dessus. Il passait donc une bonne partie de son temps à remplir des papiers à l’unité d’isolement. Il a déclaré qu’il n’avait pas vu de description de travail pour le poste de CX-02 avant l’arbitrage. En raison de menaces que des détenus avaient faites à son endroit dans l’exercice normal de ses fonctions – ces menaces représentaient un risque pour la sécurité, mais elles n’étaient pas en rapport avec la présente affaire – M. Stead ne pouvait pas entrer ou circuler dans les rangées. Il a expliqué dans sa preuve qu’il avait compris que des menaces avaient été faites à son endroit et qu’il ne devait pas entrer dans les rangées avant que ces menaces soient évaluées. Il n’a pas été informé, ni à ce moment-là ni plus tard, des détails de ces menaces.

27 M. Weda a déclaré qu’il était lui aussi CX-02 par intérim ce jour-là et qu’on ne lui avait donné aucune formation pour ce poste. Il a ajouté qu’il n’avait pas non plus vu de description de travail pour le poste. Le 9 janvier 2009, il effectuait un quart de travail de 16 heures, de 6 h 30 à 22 h 40. Dans sa preuve, il a indiqué qu’en tant que CX-02, il n’avait [traduction] « aucune influence sur les autres agents, et que s’ils avaient des questions, [il] y répondrai[t] ». De plus, en janvier 2009, il a eu [traduction] « des problèmes personnels », et des congés en raison d’un stress découlant d’un incident où un détenu s’était mutilé, ce qui avait entraîné ce qu’il a décrit comme le syndrome de stress post-traumatique. M. Weda croyait qu’il aurait pu faire davantage pour éviter cet incident. Dans ses propres mots, cette situation l’empêchait [traduction] « d’accomplir pleinement [ses] fonctions ».

28 Les événements critiques se sont produits entre 14 h 31 et 22 h 58, le 9 janvier 2009. Ils sont décrits en détail plus bas, mais en résumé, un électricien était en train de réparer le système électrique dans l’unité d’isolement, ce qui a entraîné une erreur dans le système de verrouillage. Au moins deux cellules se sont ouvertes par inadvertance. Cette erreur n’a rien à voir avec les fonctionnaires, et ils n’étaient pas au courant de la situation à ce moment-là. Je nommerai ces deux cellules la « cellule A » et la « cellule B ». Lorsque les portes se sont ouvertes, le détenu de la cellule A est sorti de sa cellule et s’est rendu dans la cellule B, occupée par un autre détenu. Personne ne conteste le fait qu’il s’agissait d’un problème de sécurité et que la situation allait à l’encontre de l’opération sécuritaire d’un établissement à sécurité maximale. Le problème électrique a été réparé, et les portes des cellules ont été refermées peu de temps après, enfermant les deux détenus dans la cellule B.

29 Plusieurs heures se sont écoulées sans que l’on découvre que deux détenus se trouvaient dans la même cellule. Selon les registres présentés en preuve en rapport avec ce quart de travail, des dénombrements ont été effectués à 17 h 50 et à 22 h, mais aucun de ces deux dénombrements n’a relevé le fait que deux détenus se trouvaient dans la cellule B. Un formulaire de dénombrement a été rempli à 22 h 40. M. Weda admet avoir signé les formulaires de dénombrement de 17 h et de 22 h sans avoir effectué les dénombrements. M. Stead admet avoir signé le formulaire de dénombrement de 22 h 40 sans avoir effectué le dénombrement. Au cours du contre-interrogatoire, il a expliqué que le formulaire portait déjà une signature, que [traduction] « tout le monde était sur le point de partir » et qu’il a simplement décidé [traduction] « de le signer ». Il convient qu’il s’agissait d’une infraction grave qui relevait de la fraude. Lors du contre-interrogatoire, il a aussi déclaré que, selon lui, son rôle dans l’incident impliquant les deux détenus n’était pas important.

30 Le quart de travail se terminait à 22 h 40. À 22 h 58, un membre du quart de travail suivant a répondu à un appel provenant de la cellule B, où il y avait encore deux détenus au lieu d’un. L’un des deux détenus avait été blessé à l’abdomen par un objet pointu et souffrait de contusions au visage. Au premier abord, on a cru que les blessures étaient graves et, comme les Services de santé de l’établissement étaient fermés à cette heure-là, le détenu blessé a été envoyé à un établissement médical de l’extérieur. Finalement, on a établi que le détenu n’avait pas souffert de « blessures graves » selon la définition donnée dans les politiques du défendeur. En contre-interrogatoire, Mme Knopf a convenu que les blessures à l’abdomen que le détenu avait subies étaient [traduction] « superficielles ». Cet incident est décrit plus en détail ci-dessous.

31 Les fonctionnaires ont déclaré avoir reçu un appel après avoir quitté le travail le 9 janvier 2009, et on leur a annoncé les blessures subies par le détenu de la cellule B. Les deux fonctionnaires ont affirmé avoir été très bouleversés par cette nouvelle. M. Stead a affirmé qu’il avait été [traduction] « horrifié » et M. Weda a déclaré qu’il avait [traduction] « manqué à [son] devoir envers le Service et [ses] collègues ».

32 M. Stead a pris l’initiative d’organiser une rencontre avec la directrice de l’établissement à cette époque, Mme Knopf, et les agents qui avaient travaillé durant le quart du 9 janvier 2009. M. Stead a indiqué qu’il se doutait bien que la directrice [traduction] « voudrait avoir des réponses » des agents. Il a décidé que les agents devaient expliquer à la directrice ce qu’ils avaient fait et à [traduction] « prendre les devants » pour indiquer à la directrice qu’ils ne voulaient pas que cette situation se répète. La réunion, à laquelle les deux fonctionnaires et d’autres agents ont participé, a été tenue le 12 janvier 2009. Lors de cette réunion, M. Stead a parlé au nom des agents et il a déclaré avoir signé le formulaire de dénombrement de 22 h 40 sans avoir fait le dénombrement. Il a précisé à la directrice que les autres agents et lui-même comprenaient la gravité de la situation, il s’est excusé et il l’a assurée que cela ne se reproduirait plus. Conformément à la suggestion des agents, aucun représentant syndical n’était présent à la réunion.

33 Le 12 janvier 2009, Don Utley, directeur adjoint intérimaire, a écrit la lettre suivante aux deux fonctionnaires :

[Traduction]         

MESURE ADMINISTRATIVE

Le 9 janvier 2009, on a constaté que deux détenus, dont un qui a subi des blessures, avaient occupé la même cellule dans l’unité d’isolement, et ce, malgré deux dénombrements consécutifs.

En raison de cet incident, je vous rétrograde à votre poste d’attache – agent correctionnel I – à compter du 12 janvier 2009 et jusqu’à ce que cet incident ait fait l’objet d’un examen.

Vous serez renvoyé dans la rotation des quarts de travail des agents correctionnels I.

Si vous avez des questions ou des préoccupations, n’hésitez pas à m’en parler.

34 M. Utley a déclaré que la décision de rétrograder les fonctionnaires faisait suite à une conclusion de la direction selon laquelle quelque chose avait mal tourné dans l’unité d’isolement le 9 janvier 2009. Les fonctionnaires occupaient des postes de CX-02 par intérim au moment des faits, et le défendeur n’était [traduction] « pas certain de ce qui avait mal tourné […], mais ils étaient responsables de ce secteur », comme l’a indiqué M. Utley dans sa preuve.

35 Les fonctionnaires ont affirmé avoir eu le sentiment que la décision du défendeur de les rétrograder était, selon les propres termes de M. Stead, [traduction] : « la conséquence de mes actes » et il a dit : [traduction] « d’accord, j’ai été rétrogradé » pour avoir signé le formulaire sans avoir effectué le dénombrement. M. Stead considérait qu’il s’agissait d’une mesure disciplinaire et croyait que la question était alors réglée. M. Weda a déclaré que lui aussi croyait que la rétrogradation représentait sa [traduction] « punition » et que l’incident était clos. En contre-interrogatoire, on lui a demandé s’il pouvait y avoir d’autres raisons pour sa rétrogradation, et il a répondu [traduction] « qu’il semblait impossible » qu’il existe d’autres raisons.

36 Les fonctionnaires ont été réaffectés à leur poste d’attache en tant que CX-01. Ils ont souligné le fait que les fonctions associées à ce poste comprennent des dénombrements et des rondes, et qu’ils n’ont pas été soumis à une supervision accrue ni à une nouvelle formation. Dans le cas de M. Weda, on l’a affecté à un autre poste CX-02 pour une journée en mars 2009. Il n’avait pas cherché à obtenir cette affectation et il a effectué un travail satisfaisant pendant la journée où il a occupé ce poste intérimaire, effectuant notamment des dénombrements et des rondes. Pierre Bouvier, gestionnaire correctionnel, a témoigné pour le défendeur et il a affirmé avoir placé M. Weda à ce poste intérimaire en raison de son ancienneté et parce qu’il ne savait pas que M. Weda ne devait pas être affecté à un poste CX-02 intérimaire. Les fonctionnaires indiquent qu’ils auraient pu être réaffectés à d’autres postes CX-02 à l’Établissement de Kent, plutôt que d’être rétrogradés au niveau CX-01. Les fonctionnaires ont ajouté que leur rétrogradation a entraîné une saction pécuniaire.

37 Le défendeur a lancé un processus pour enquêter sur les événements du 9 janvier 2009. Deux cadres provenant d’autres établissements correctionnels ont été affectés à cette enquête. Le 21 janvier 2009, les fonctionnaires ont été avisés de l’enquête disciplinaire et on leur a dit que la raison de cette enquête était la suivante :

[Traduction]

Enquête disciplinaire

Nous vous avisons qu’une enquête disciplinaire a été lancée afin d’établir les faits entourant votre violation de la DC 566-4, de l’Ordre de poste KP08-24-01, de l’Ordre permanent 566-4, des Règles de conduite professionnelle et du Code de discipline, le 9 janvier 2009, lorsque vous avez :

  1. omis d’effectuer les rondes et dénombrements requis aux termes de l’Ordre de poste KP08-24-01 et l’Ordre permanent 566-4.

    Le 9 janvier 2009, à 23 h, le personnel des unités J et K a avisé le bureau du gestionnaire correctionnel que deux détenus avaient été trouvés dans la cellule [numéro de cellule supprimé] en répondant à un appel. Lorsque l’un des détenus a été retiré de la cellule [numéro de cellule supprimé] pour le remettre dans sa propre cellule [numéro de cellule supprimé], le personnel a remarqué du sang au dos de son t-shirt ainsi que des tuméfactions sur son visage. Le détenu a été transporté à un hôpital de l’extérieur pour être évalué parce qu’il semblait avoir été poignardé dans le dos.

L’agent d’enquête communiquera avec vous.

Dans le cadre de cette enquête, une audience a été tenue le 21 janvier 2009. Tous les agents correctionnels en poste durant ce quart de travail le 9 janvier 2009 ont été interrogés.

38 L’équipe d’enquête a produit un rapport en date du 16 février 2009. Toutes les parties ont accepté ce rapport comme étant une description exacte des événements du 9 janvier 2009, sous quelques réserves. Par exemple, Mme Knopf, directrice de l’établissement à ce moment-là, a déclaré que le rapport n’était pas très détaillé et qu’il contenait des erreurs typographiques, mais qu’il était exact.

39 Je reproduis ici de longs passages du rapport du 16 février 2009 (j’ai toutefois modifié les noms de certaines personnes qui ne sont pas directement touchées par le présent arbitrage afin de préserver leur anonymat, et j’ai fait de même pour les numéros des cellules) :

[Traduction]         

Introduction

Le 9 janvier 2009, vers 22 h 58, le personnel a répondu à un appel de la [cellule B]. À son arrivée à la [cellule B], le personnel a trouvé deux détenus dans la cellule, [X] et [Y]. L’agent effectuant la ronde est immédiatement sorti du secteur et a confirmé, en vérifiant le tableau de dénombrement, que seul le détenu [X] devait se trouver dans la [cellule B] et que le détenu [Y] devait être dans la [cellule A], qui était alors vide. En vérifiant l’enregistrement vidéo de la rangée, on a constaté que le détenu [Y] était entré dans la [cellule B] vers 13 h 41, lorsque les portes des deux cellules ont été ouvertes par inadvertance, avant d’être refermées peu après.

Après avoir examiné la vidéo et après avoir vérifié les formulaires de dénombrement de 17 h 50 et de 22 h 40, le sous-directeur intérimaire [H] a convoqué une enquête disciplinaire le 21 janvier 2009 et nommé [I] et [J] pour faire partie du comité d’enquête.

L’ordre de convocation ordonnait au comité d’enquête d’établir les faits entourant les allégations selon lesquelles, le 9 janvier 2009, les agents correctionnels CX-01 [A]; CX-01 [B]; CX-01 [C], CX-01 [D]; CX-01 [E]; CX-01 WEDA; CX-01 STEAD et CX-02 [F] ont :

  • omis d’effectuer les rondes et dénombrements requis aux termes de l’Ordre de poste KP08-24-01 et de l’Ordre permanent 566-4.

Entrevues

Afin d’enquêter sur les allégations avancées dans l’ordre de convocation, les agents suivants ont été interrogés :

  • CX-02 p. i. [A], le 30 janvier 2009
  • CX-01 [B], le 30 janvier 2009
  • CX-01 [C], le 3 février 2009
  • CX-01 [D], le 26 janvier 2009
  • CX-01 [E], le 30 janvier 2009
  • CX-01 WEDA, le 30 janvier 2009
  • CX-01 STEAD, le 30 janvier 2009
  • CX-01 p. i. [F], le 30 janvier 2009

Des lettres ont été remises à chacun des agents pour les informer de l’entrevue 48 heures à l’avance (des copies sont jointes en annexe). Il a été impossible de remettre une lettre 48 heures à l’avance à l’agent [D], car il partait en vacances le jour suivant et ne serait alors plus disponible, ce qui aurait retardé le processus. Il a donc accepté d’être interrogé et a renoncé à son droit de recevoir l’avis 48 heures à l’avance. L’agent [G], du syndicat, lui a servi de représentant. L’agent ZIMMERMAN était le représentant de tous les autres agents interrogés. Le comité d’enquête a trouvé que les représentants des employés étaient très professionnels et leur aide a été très utile. Ils ont aussi aidé le comité d’enquête à coordonner les entrevues de façon efficace.

Documents

Le comité d’enquête a examiné les documents suivants, de même que les données issues de la surveillance vidéo, afin de rassembler les renseignements pertinents pour la présente enquête :

  • Rapport d’incident du SGD 2009028731
  • Formulaires de dénombrement des unités J et K pour 17 h 50, le 9 janvier 2009
  • Formulaires de dénombrement des unités J et K pour 22 h 40, le 9 janvier 2009
  • Registre des unités J et K pour le 9 janvier 2009
  • Ordre de poste KP08-24-01
  • Ordre permanent 566-4
  • Rapport d’activité électronique sur la ronde du 9 janvier 2009
  • Surveillance vidéo (sur CD) du 9 janvier 2009 pour K-201-207

Profils d’employés

1. [A], CX-02 p. i.

[…]

2. [B], CX-01

[…]

3. [C], CX-01

[…]

4. [D], CX-01

[…]

5. [E], CX-01

[…]

6. WEDA, CX-01
Il a été embauché le 28 août 2004.
Il a effectué deux affectations intérimaires pour des postes CX-02. Il occupait son poste de façon intérimaire le 9 janvier 2009.
Un Rapport d’évaluation du rendement récent indique qu’il atteint ou excède les objectifs en tout temps.
Son dossier ne contient aucune intervention disciplinaire.

7. STEAD, CX-01
Il a été embauché le 25 novembre 2006.
Il occupait le poste de CX-02 intérimaire du 9 septembre 2008 au 13 janvier 2009.
Un Rapport d’évaluation du rendement récent indique qu’il atteint les objectifs la plupart du temps.
Son dossier ne contient aucune intervention disciplinaire.

8. [F], CX-01

[…]

Chronologie

9 janvier 2009

13 h 42 [Y] entre dans la cellule de [X], la [cellule B], sans être vu.
14 h 50 Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 14 h 50. L’enregistrement vidéo de surveillance de la rangée [nom supprimé] montre l’agent [B] en train d’effectuer la ronde et de distribuer le courrier. Il ne regarde que dans les cellules où il apporte du courrier.
15 h 45 Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée. L’enregistrement vidéo de la rangée [nom supprimé] montre les agents [E] et [C] qui vérifient dans chacune des cellules, incluant la [cellule A], et qui ouvrent les ouvertures servant au passage de la nourriture. L’agent [E] transporte le dispositif de collecte de données.
16 h 45 Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 16 h 58. L’enregistrement vidéo de surveillance de la rangée [nom supprimé] montre l’agent [B] en train d’effectuer cette ronde. L’agent [B] marche au milieu de la rangée sans regarder dans une seule cellule.
17 h   Le registre de l’unité d’isolement indique que le dénombrement officiel a été effectué à 17 h 50. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 17 h 44. L’enregistrement vidéo de surveillance de la rangée [nom supprimé] montre les agents [E] et [C] en train d’effectuer le dénombrement et la ronde. L’agent [C] regarde dans chacune des cellules. L’agent [E] ne semble regarder dans aucune cellule. Le formulaire de dénombrement est signé par les agents WEDA et [C].
18 h   Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 18 h 44. L’enregistrement vidéo de surveillance de la rangée [nom supprimé] montre l’agent [B] en train d’effectuer cette ronde. L’agent [B] fait l’aller-retour dans la rangée sans jamais regarder dans une seule cellule ni même tourner la tête.
19 h   Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 19 h 48 et révèle aussi que la rangée [nom supprimé] n’a pas été vérifiée. L’enregistrement vidéo de surveillance de la rangée [nom supprimé] montre l’agent [B] en train d’effectuer cette ronde. Durant cette ronde, l’agent [B] distribue du courrier à plusieurs cellules, dont la [cellule A]. Il glisse le courrier sous la porte sans jamais regarder par la fenêtre.
20 h 40 Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée et que le dispositif de collecte de données n’était pas en fonction. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard n’indiquent pas qu’une ronde a été effectuée à ce moment. (Les lumières de la rangée n’ont pas été allumées, et les caméras ne sont pas équipées de la fonction de vision nocturne. Par conséquent, l’image est noire et il est impossible d’identifier l’agent qui effectue la ronde ni de voir comment celle-ci est effectuée.)
21 h 30 Le registre de l’unité d’isolement indique qu’une ronde a été effectuée. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 21 h 30. (Les lumières de la rangée n’ont pas été allumées, et les caméras ne sont pas équipées de la fonction de vision nocturne. Par conséquent, l’image est noire et il est impossible d’identifier l’agent qui effectue la ronde ni de voir comment celle-ci est effectuée.)
22 h 40 Le registre du poste de contrôle de l’unité d’isolement indique que le dénombrement était exact. Les imprimés des données du dispositif SilverGuard indiquent que la dernière ronde a été effectuée à 22 h 20. (Les lumières de la rangée n’ont pas été allumées, et les caméras ne sont pas équipées de la fonction de vision nocturne. Par conséquent, l’image est noire et il est impossible d’identifier l’agent qui effectue la ronde ni de voir comment celle-ci est effectuée.)

L’agent [A] a confirmé au comité d’enquête qu’il a effectué ce dénombrement seul. Il n’a pas rempli et n’a pas signé le formulaire de dénombrement, qui a été signé par les agents WEDA et STEAD.
22 h   L’agent qui patrouille répond à un appel dans la [cellule B] et y découvre un autre détenu, [Y], dans la cellule avec le détenu [X].

Politique

L’Ordre de poste KP08-24-01, pour l’unité d’isolement de l’Établissement de Kent, a été examiné et il précise que l’agent affecté au bureau est [traduction] « responsable » d’effectuer les rondes de sécurité et de régler les questions de conformité.

L’Ordre permanent 566-4, [traduction] Dénombrement des détenus, est le principal document auquel le comité d’enquête s’est rapporté pour déterminer la politique régissant la façon d’effectuer les rondes et les dénombrements.

Voici les principales exigences énoncées dans l’Ordre permanent 566-4 que le comité d’enquête prend en considération pour évaluer les allégations formulées à l’endroit des agents dans l’ordre de convocation :

Dénombrements :

  • « Dénombrement officiel : processus par lequel chaque détenu est compté, pendant lequel aucun mouvement n’est permis, et qui se traduit par le maintien d’un registre officiel. Un dénombrement officiel doit être effectué par deux agents. Un formulaire de dénombrement signé par deux agents est requis. »
  • « Tous les dénombrements officiels doivent être effectués par deux agents. »
  • « Les signatures apparaissant sur les formulaires de dénombrement doivent être lisibles; au besoin, les noms des agents doivent être inscrits en lettres moulées à côté des signatures. »
  • « Les agents doivent effectuer leur dénombrement de façon indépendante. Ils doivent ensuite comparer leurs résultats et, si ceux-ci concordent, remplir le formulaire de dénombrement approprié avant de transmettre le résultat du dénombrement par téléphone au poste de contrôle central. Le formulaire de dénombrement approprié doit être signé pour certifier que tous les détenus sont présents. »

Rondes

  • « La patrouille de sécurité/ronde est un examen contrôlé d’une zone précise. L’agent doit demeurer attentif à toute situation inhabituelle, s’assurer du bien-être de tous les détenus et employés situés dans la zone et veiller à ce que tous les appareils de sécurité fonctionnent normalement. Il faut prévoir suffisamment de temps pour assurer l’exactitude des observations. Il est primordial que les employés soient en mesure de s’assurer en tout temps que chaque personne est en vie et respire normalement. S’il y a lieu, les postes de contrôle intérieurs et extérieurs doivent être avisés avant le début d’une patrouille de sécurité, et ces postes surveilleront la présence de l’agent pendant qu’il effectue sa patrouille de sécurité. »
  • « Une patrouille de sécurité/ronde doit être effectuée dans toutes les unités résidentielles au moins une fois par heure. Toutes les zones de l’unité résidentielle, y compris les aires communes, les aires des programmes et les cellules individuelles, doivent faire l’objet d’une inspection visuelle. »

Analyse

Vers 14 h 31, le 9 janvier 2009, un électricien travaillait sur le panneau de contrôle du poste de contrôle des unités J et K lorsqu’il a accidentellement ouvert les portes de la [cellule A] et de la [cellule B]. Le détenu [Y] de la [cellule A] est sorti de sa cellule pour se rendre dans la [cellule B] avec le détenu [X]. L’agent [D], qui travaillait au poste de contrôle, a remarqué que les lumières sur le panneau indiquaient que les portes des deux cellules étaient ouvertes. Il a immédiatement regardé dans la rangée, mais n’a vu aucun détenu, puis il a refermé les portes. Ce n’est qu’à 22 h 58 que le personnel a été avisé de la situation, après avoir reçu un appel de la [cellule B].

L’agent [F] était « l’agent responsable » pour ce quart de travail et, aux termes de l’Ordre de poste KP08-24-01, il était responsable d’effectuer les patrouilles de sécurité/rondes et de régler toutes les questions de conformité dans l’unité d’isolement pour la durée du quart. Cependant, vers 14 h, le gestionnaire correctionnel intérimaire [K] a ordonné à l’agent STEAD de s’occuper du bureau, puisque ce dernier ne devait pas avoir de contacts avec les détenus. Par conséquent, pour la période en question, l’agent [F] n’était pas responsable des rondes et des dénombrements. L’agent STEAD était responsable et il a déclaré qu’il s’était assuré que les rondes et les dénombrements étaient effectués et les a consignés dans le registre. L’agent STEAD et l’agent [F] ont tous deux déclaré qu’ils ne pouvaient être tenus responsables de la façon dont les rondes et les dénombrements étaient effectués par les autres agents lorsque ceux-ci ne se trouvent pas dans leur champ de vision.

En examinant l’enregistrement vidéo de la rangée [nom supprimé] pour la période allant de 14 h à 23 h le 9 janvier 2009, on peut observer l’agent [B] effectuer des rondes à 16 h 45, à 18 h 45 et à 19 h 45. On peut alors le voir marcher au milieu de la rangée sans regarder dans une seule cellule. Lorsque le comité d’enquête l’a interrogé, il a déclaré qu’il avait eu une mauvaise journée et il ne pouvait donner d’explications raisonnables. Il a admis être au courant de la nécessité de regarder dans les cellules pour vérifier l’état de chaque détenu. L’agent [B] a avoué son erreur et il a déclaré que cette journée n’était pas représentative de la façon dont il effectue normalement ses rondes et que la situation ne se reproduirait plus.

En examinant l’enregistrement vidéo du dénombrement officiel et de la ronde de 17 h 50, on peut observer les agents [E] et [C] effectuer ces tâches. L’agent [C] est plus visible pendant qu’il effectue le dénombrement à l’aide d’une lampe de poche, et on peut le voir donner un coup de pied dans l’une des portes. On ne voit pas l’agent [E] regarder directement dans toutes les cellules.

On a indiqué au comité d’enquête que, souvent, lors des dénombrements et des rondes, les détenus regardent par la fenêtre de la porte, ce qui fait que l’agent peut facilement les voir sans avoir à se rendre à la porte pour regarder à l’intérieur. Cependant, sur l’enregistrement vidéo, on pourrait alors croire que l’agent ne compte pas le détenu. Le comité d’enquête tient compte de ce fait en examinant l’enregistrement vidéo.

Lorsqu’on l’a interrogé au sujet du dénombrement, l’agent [E] a déclaré qu’un seul détenu a été observé dans la [cellule B] et qu’il y avait eu confirmation verbale de la présence d’un détenu dans la [cellule A]. Il a indiqué qu’il y a un angle mort dans la cellule, là où se situe la toilette, ce qui expliquerait pourquoi il lui arrive de ne pas voir un détenu. Il admet avoir commis une erreur en effectuant le dénombrement et ne pouvait offrir de justification raisonnable. En outre, l’agent [E] pensait que, selon la politique, une confirmation verbale était aussi valable que le fait de voir la personne pour s’assurer qu’elle est bien vivante. Il sait maintenant que ce n’est pas le cas.

L’agent [C] avait la certitude d’avoir effectué un dénombrement complet et adéquat à 17 h 50, ce qui est confirmé par l’enregistrement vidéo. L’agent [C] a déclaré qu’il avait dû faire une erreur de calcul en calculant le résultat du dénombrement, ce qui expliquerait pourquoi il n’a pas découvert qu’il manquait un détenu dans la [cellule A]. L’agent [C] insiste sur le fait qu’il a comparé ses chiffres avec ceux de l’agent [E] et laisse entendre que ce dernier avait sûrement fait une erreur de calcul semblable.

L’agent [C] a signé le formulaire de dénombrement avec l’agent WEDA, qui n’avait pas effectué le dénombrement. Sous le bloc-signature du formulaire de dénombrement se trouve une déclaration indiquant que les signataires certifiaient que tous les détenus étaient présents. L’agent [C] n’a pu expliquer pourquoi ce n’est pas l’agent [E] qui a signé le formulaire de dénombrement. Le comité d’enquête n’est pas satisfait de l’absence de justification pour expliquer pourquoi il a rempli un formulaire de dénombrement avec une personne autre que l’agent [E], qui est celui qui a effectué le dénombrement. Le comité d’enquête se demande aussi si l’agent [C] a réellement comparé ses résultats avec ceux de l’agent [E], compte tenu de la faible probabilité qu’une erreur survienne dans les deux cas, et compte tenu du fait que l’agent [E] n’a pas signé le formulaire de dénombrement. En outre, s’il y a erreur dans un dénombrement, c’est généralement parce qu’un détenu a été omis et n’a pas été compté; il arrive rarement qu’un dénombrement affiche un détenu en trop. Compte tenu de ce fait et de la prépondérance des probabilités qui ne sont pas en faveur d’une même erreur de calcul par deux agents différents, le comité d’enquête conclut que les agents [C] et [E] n’ont pas comparé leurs résultats respectifs comme il se doit.

L’agent [E] n’a pas signé le formulaire de dénombrement de 17 h 50. En examinant celui-ci, on peut voir qu’il y a deux signatures sur le formulaire, mais que ni l’une ni l’autre n’est lisible. Après avoir interrogé les employés concernés, on a pu déterminer que ces signatures appartenaient à l’agent WEDA et à l’agent [E]. Contrairement à la directive énoncée dans l’Ordre permanent 566-4, aucune des deux signatures n’était accompagnée du nom en lettres moulées.

L’agent WEDA n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi il a signé le formulaire de dénombrement de 17 h 50 alors qu’il n’a pas effectué le dénombrement. Il a déclaré qu’il était fatigué dernièrement et qu’il avait récemment été en congé de maladie pour cause de stress. Il a aussi mentionné que durant son dénombrement, il avait été occupé par un détenu qui se mutilait et, lorsque le dénombrement a pris fin, il était rendu aux Services de santé avec le détenu. L’agent WEDA a aussi signé le formulaire de dénombrement de 22 h 40 alors qu’il n’avait pas effectué ce dénombrement. Il n’a pas dit pourquoi il avait signé ce formulaire, mais il a laissé entendre qu’il arrive que les employés s’entraident pour remplir la paperasse plus rapidement afin de faire valider le dénombrement et partir chez eux.

L’agent STEAD a aussi signé le formulaire de dénombrement de 22 h 40 alors qu’il n’a pas effectué ce dénombrement. Il n’a pu offrir d’explication raisonnable pour justifier ce geste, sinon qu’il travaillait au bureau à ce moment et qu’il est parfois plus rapide de préparer le formulaire de dénombrement pour les agents afin qu’il soit prêt à être envoyé au poste de contrôle central, de façon à ce qu’ils puissent retourner chez eux plus rapidement.

En interrogeant l’agent [A], on a appris qu’il avait effectué, seul, le dénombrement de 22 h 40. Il a fait preuve de beaucoup de franchise durant l’entrevue et il a déclaré qu’il devait avoir fait une erreur et compté le détenu en se fiant à une réponse verbale du détenu. Il ne se souvient pas de l’incident en question. Il n’a pas non plus été en mesure d’expliquer pourquoi il n’avait pas rempli le formulaire de dénombrement pour le dénombrement qu’il avait effectué.

Constatations

  1. L’agent [A] […]
  2. L’agent [B] […]
  3. L’agent [C] […]
  4. L’agent [D] […]
  5. L’agent [E] […]
  6. L’agent WEDA a signé les formulaires de dénombrement de 17 h 50 et de 22 h 40 alors qu’il n’a pas effectué lui-même ces dénombrements. Par conséquent, l’allégation selon laquelle l’agent WEDA a omis d’effectuer adéquatement des rondes et des dénombrements conformément aux directives énoncées dans l’Ordre de poste KP08-24-01 et dans l’Ordre permanent 566-4, le 9 janvier 2009, est fondée.

    Par conséquent, l’agent WEDA a bel et bien contrevenu à la section Responsabilité dans l’exécution des tâches des Règles de conduite professionnelle du Code de discipline, lorsqu’il a « volontairement ou par négligence, fait ou sign[é] une fausse déclaration ayant trait à l’exercice de ses fonctions ».
  7. L’agent STEAD a signé le formulaire de dénombrement de 22 h 40 alors qu’il n’a pas effectué lui-même ce dénombrement. Par conséquent, l’allégation selon laquelle l’agent WEDA a omis d’effectuer adéquatement des rondes et des dénombrements conformément aux directives énoncées dans l’Ordre de poste KP08-24-01 et dans l’Ordre permanent 566-4, le 9 janvier 2009, est fondée.

    Par conséquent, l’agent STEAD a bel et bien contrevenu à la section Responsabilité dans l’exécution des tâches des Règles de conduite professionnelle du Code de discipline, lorsqu’il a « volontairement ou par négligence, fait ou sign[é] une fausse déclaration ayant trait à l’exercice de ses fonctions ».
  8. L’agent [F][…]

[Les passages en évidence le sont dans l’original]

40 Mme Knopf a déclaré qu’elle a reçu le rapport d’enquête le 19 février 2009, ou autour de cette date. Le document a été examiné par elle et d’autres personnes, et des discussions ont eu lieu au sein de la direction du défendeur pour voir ce qu’il fallait faire de ses conclusions. Mme Knopf a remarqué que le rapport contenait des erreurs typographiques. Elle pensait aussi qu’il [traduction] « ne donnait pas beaucoup de détails », mais elle l’a tout de même [traduction] « accepté tel qu’il avait été rédigé ». Elle a déclaré qu’elle avait transmis le rapport à l’administration centrale du défendeur, qui a pris un certain temps pour l’examiner. Elle a précisé que ce retard n’était [traduction] « pas anormal » compte tenu de [traduction] « l’arriéré » à Ottawa. Elle n’a pu envoyer une copie du rapport d’enquête aux fonctionnaires qu’en avril 2009. L’information qui ne touchait pas directement les fonctionnaires a été retirée du rapport, et ces derniers ont reçu une version expurgée du document. Les fonctionnaires estiment qu’il est injuste qu’ils n’aient pas reçu la version complète du rapport.

41 Mme Knopf a déclaré qu’elle en concluait que les résultats de l’enquête justifiaient la prise d’une mesure disciplinaire. Des audiences disciplinaires ont eu lieu le 24 avril 2009. Elle et deux autres membres de la direction ont dirigé ces audiences.

42 M. Weda a comparu à son audience disciplinaire. Mme Knopf a déclaré dans sa preuve que les membres de la direction ont discuté avec le fonctionnaire des incidents du 9 janvier 2009. M. Weda a expliqué qu’il [traduction] « était alors très fatigué ». Il a ajouté qu’il était fier de travailler pour le Service correctionnel et qu’il avait [traduction] « retenu les leçons de ses erreurs ». Mme Knopf a déclaré qu’elle [traduction] « croyait à sa sincérité ». Cependant, elle a aussi affirmé que la seule explication qu’il a pu donner pour avoir signé les deux formulaires de dénombrement alors qu’aucun dénombrement n’avait été effectué était qu’il avait voulu aider le personnel à [traduction] « rentrer chez eux plus rapidement ». Mme Knopf a fait remarquer que M. Weda aurait également déclaré à l’audience que la rétrogradation au poste de CX-01 [traduction] « devrait être suffisante ». Mme Knopf a déclaré qu’elle craignait que M. Weda pense que la rétrogradation était une mesure disciplinaire du défendeur, et qu’elle lui a expliqué que ce n’était pas le cas. Dans l’ensemble, Mme Knopf a trouvé que M. Weda semblait [traduction] « assumer la responsabilité de ses actes » et [traduction] « être parfaitement conscient des responsabilités du poste ». Cependant, encore une fois, [traduction] « à part le fait qu’il était épuisé, il n’a donné aucune justification claire de ses actes ». Avant de mettre fin à l’audience, Mme Knopf a indiqué à M. Weda que le défendeur consulterait le quartier général de région au sujet de la marche à suivre.

43 Des discussions semblables ont eu lieu à l’audience disciplinaire de M. Stead. Ce dernier a lui aussi assumé la responsabilité de ses actes. Mme Knopf a déclaré que les participants ont discuté de l’importance de faire preuve d’une vigilance constante. Ils ont également parlé de professionnalisme et du besoin de travailler en équipe. Le fait que M. Stead a demandé une rencontre (le 12 janvier 2009) entre Mme Knopf et les agents qui étaient en service le 9 janvier 2009 a été noté, tout comme le fait qu’il a parlé au nom des agents en disant qu’ils assumaient la responsabilité de leurs actes. Ces faits sont à son honneur. Mme Knopf a déclaré qu’en quittant l’audience, M. Stead a ajouté que [traduction] « rien de tout ça ne serait arrivé s’il avait été sur place ». Elle a [traduction] « compris de ce commentaire qu’il [la] blâmait pour les incidents » et qu’il croyait qu’une partie du problème résidait dans le fait qu’il avait été nommé agent responsable. Mme Knopf a expliqué que pendant l’audience, M. Stead avait déclaré qu’il ne pouvait pas être responsable de ce que les autres agents faisaient s’il ne pouvait pas les surveiller. Ce commentaire a [traduction] « inquiété » Mme Knopf, car M. Stead encadrait les nouveaux employés. Le fait qu’il devait rester au bureau pour des raisons de sécurité (sans rapport avec son grief) a été noté, mais [traduction] « rien ne l’empêchait de sortir du bureau pour vérifier que les employés faisaient bien leurs dénombrements et leurs rondes ».

44 Les fonctionnaires n’ont présenté aucun élément de preuve dans le cadre de la présente affaire sur les discussions qui ont eu lieu lors des audiences disciplinaires devant Mme Knopf et ses collègues.

45  Mme Knopf a discuté avec son personnel pour déterminer si le défendeur devrait prendre une mesure disciplinaire et, dans l’affirmative, quelle mesure il devrait prendre. Elle a déclaré que [traduction] « l’administration n’arrêtait pas de me demander pourquoi je n’avais pas licencié » les fonctionnaires. Elle a tout de même décidé de ne pas congédier les fonctionnaires. Ces derniers avaient fait [traduction] « bonne impression » sur elle en prenant l’initiative de reconnaître leur responsabilité, et elle se disait que ce comportement montrait qu’ils pouvaient retenir la leçon de toute cette affaire. Elle croit que [traduction] « les gens peuvent changer ». Par ailleurs, les fonctionnaires avaient cumulé trois à cinq ans de service. Le défendeur avait investi beaucoup dans leur formation, et elle ne voulait pas [traduction] « que cet investissement parte en fumée ». Il s’agissait d’un problème général de gestion, et Mme Knopf a expliqué que les agents faisaient parfois des erreurs, et que ce qui importait, c’était la façon dont ils réagissaient à ces erreurs.

46 En fin de compte, on a décidé d’imposer une sanction pécuniaire de quatre jours à chacun des fonctionnaires. Mme Knopf a expliqué dans sa preuve que M. Stead l’agent en charge, et qu’il avait déclaré faussement qu’un dénombrement avait été effectué alors que ce n’était pas le cas. M. Weda a déclaré faussement qu’un dénombrement avait été effectué, et ce, à deux occasions. Ces actes sont des fausses déclarations faites délibérément ou par négligence. Selon Mme Knopf, de telles déclarations sont interdites au paragraphe 5j) du Code de discipline. Mme Knopf considère que les dénombrements sont la [traduction] « pierre angulaire des bonnes pratiques de sécurité » de même qu’une [traduction] « fonction fondamentale » des agents correctionnels. Il lui était difficile d’imaginer [traduction] « une infraction plus grave ».

47 Le 7 mai 2009, M. Weda a reçu du directeur d’établissement intérimaire de l’époque (pas Mme Knopf), une lettre dans laquelle on l’avisait qu’une sanction pécuniaire de quatre jour lui était imposée. Cette lettre se lisait comme suit :

[Traduction]

Le 21 janvier 2009, vous avez reçu un avis vous informant qu’une enquête disciplinaire était en cours sur les allégations selon lesquelles vous auriez contrevenu au Code de discipline le 9 janvier 2009 en :

  • omettant d’effectuer les rondes et dénombrements requis aux termes de l’Ordre de poste KP08-24-01 et de l’Ordre permanent 566-4.

Le 15 avril 2009, vous avez reçu une copie du rapport d’enquête disciplinaire. J’ai accepté les conclusions du rapport, selon lesquelles vous auriez :

  • omis d’effectuer les rondes et dénombrements requis aux termes de l’Ordre de poste KP 08-24-01 et de l’Ordre permanent 566-4 le 9 janvier 2009;
  • contrevenu au Code de discipline (Règles de conduite professionnelle – Responsabilité dans l’exécution des tâches) : « volontairement ou par négligence, fait ou signe une fausse déclaration ayant trait à l'exercice de ses fonctions ».

L’audience disciplinaire a eu lieu dans mon bureau à 9 h 30 le 24 avril 2009.

Vous avez certifié que les dénombrements effectués à 17 h 50 et à 22 h 40 le 9 janvier 2009 à l’unité d’isolement étaient corrects en signant votre nom sur les formulaires de dénombrement, alors que vous n’aviez pas fait ces dénombrements. De toute évidence, cet acte ne respectait pas la politique et était frauduleux. Vous étiez l’un des agents supérieurs en service à l’unité d’isolement le 9 janvier 2009. Les autres agents à l’unité comptaient sur votre leadership. Je compte moi-même sur votre expérience en tant qu’agent supérieur pour veiller à ce que les dénombrements soient effectués correctement.

Vous avez fait preuve de négligence en signant des formulaires de dénombrement alors que vous n’aviez pas fait les dénombrements. À cause de votre négligence, vous n’avez pas vu que deux détenus étaient demeurés dans la même cellule d’isolement. Un de ces détenus a d’ailleurs été blessé pendant ce temps. Les deux détenus ont intenté des poursuites contre le Service correctionnel du Canada à la suite de cet incident.

Vos actes auraient pu entraîner des conséquences plus graves. Un détenu aurait pu mourir ou s’évader. Je ne saurais trop insister sur l’importance d’effectuer correctement les rondes et les dénombrements de façon à garantir la sécurité du public et à conserver la réputation de professionnalisme du Service correctionnel du Canada et de l’Établissement de Kent.

Vous avez admis à l’audience disciplinaire que vous aviez signé votre nom sur les formulaires de dénombrement alors que vous n’aviez pas effectué les dénombrements. Vous avez accepté l’entière responsabilité de la falsification des formulaires de dénombrement. Vous avez indiqué que cette expérience vous avait appris à faire preuve d’une plus grande diligence et que vous aviez tiré une leçon de vos erreurs.

Avant de prendre une décision concernant la mesure corrective à prendre, j’ai examiné les conclusions de l’enquête disciplinaire ainsi que votre dossier disciplinaire, et j’ai pris en compte votre volonté d’assumer la responsabilité de vos erreurs et d’apprendre de ces erreurs. J’ai également considéré le fait que vous souffriez de stress en raison de votre situation familiale quand vous avez commis les erreurs en question. Par conséquent, j’ai décidé de vous imposer une sanction pécuniaire de quatre jours, soit 640 $ ou quatre (4) jours de salaire, en vertu du paragraphe 12(2) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Comme le prévoit la convention collective, vous pouvez déposer un grief pour contester cette décision.

48 M. Weda a déclaré qu’il s’attendait à ce qu’une mesure disciplinaire soit prise contre lui, mais il croyait que cette mesure serait progressive. Il pensait que sa sanction serait de moins de quatre jours, car il n’avait jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire auparavant. Il a aussi expliqué que les dénombrements avaient été effectués par d’autres agents et qu’il n’avait joué qu’un rôle indirect dans les problèmes ayant mené à l’incident entre les deux détenus le 9 janvier 2009. Il a expliqué qu’il n’était pas convaincu qu’il y avait un lien direct entre le dénombrement et la découverte du détenu blessé.

49 M. Stead a reçu la même lettre, mais dans la sienne, on renvoyait uniquement au dénombrement de 22 h 40, et il n’était pas question de « stress » à l’avant-dernier paragraphe. M. Stead a déclaré qu’il a été surpris de se voir imposer une sanction pécuniaire de quatre jours, car il croyait avoir déjà fait l’objet d’une mesure disciplinaire quand il avait été rétrogradé du poste CX-02 en janvier 2009. Il s’est dit que le défendeur [traduction] « [les] abandonnaient [lui et M.Weda] à [leur] sort […] peut-être parce qu’ils avaient été si francs ».

V. Les griefs

50 Chacun des fonctionnaires a présenté deux griefs.

51 Le 18 juin 2009, M. Weda a contesté l’imposition d’une sanction pécuniaire de quatre jours contre lui, l’estimant [traduction] « injustifiée, excessive et non fondée en fait et en droit ». Il a demandé un certain nombre de mesures correctives, y compris l’annulation de la sanction disciplinaire, le retrait de celle-ci des dossiers et, essentiellement, une ordonnance d’indemnisation intégrale. Dans un second grief, M. Weda s’est opposé à la décision de ne pas le réintégrer à son poste de CX-02 par intérim parce qu’elle [traduction] « constituait une mesure disciplinaire déguisée ». Il a demandé qu’on le réintègre à son poste de CX-02 par intérim et qu’on l’indemnise pour toute perte financière, intérêts compris.

52 M. Stead a présenté deux griefs très similaires à ceux de M. Weda le même jour, sur les mêmes questions. Il a déclaré que le « but fondamental » de son grief était qu’on reconnaisse qu’il méritait une forme de mesure disciplinaire, mais pas une sanction pécuniaire de quatre jours en plus d’une rétrogradation.

VI. Décision et motifs

53 Comme il est indiqué précédemment, deux grandes questions sont soulevées dans ces griefs. Premièrement, la rétrogradation des fonctionnaires, d’un poste de CX-02 par intérim à un poste de CX-01, était-elle une décision administrative, comme le soutient le défendeur, ou une mesure disciplinaire déguisée, comme le soutiennent les fonctionnaires? Deuxièmement, le défendeur avait-il un motif valable pour imposer une sanction pécuniaire de quatre jours aux fonctionnaires?

54 Je traiterai chacune de ces questions à tour de rôle.

A. Rétrogradation d’un poste de CX-02 à CX-01

55 Les fonctionnaires allèguent que le défendeur leur a imposé une sanction disciplinaire en les rétrogradant d’un poste de CX-02 à un poste de CX-01. Ils rappellent la diminution de la valeur associée à un poste supérieur ainsi que la perte des quarts de travail, qui prouvent le caractère disciplinaire de la décision du défendeur. Si ce point de vue est exact, j’ai compétence pour examiner la décision du défendeur. De son côté, le défendeur maintient que la décision de rétrograder les fonctionnaires n’était pas disciplinaire. C’était plutôt une décision administrative, prise pour combler des besoins opérationnels immédiats à l’Établissement de Kent, notamment sur le plan de la sécurité. Si ce point de vue est exact, je n’ai pas compétence pour examiner la décision du défendeur en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi.

56 Il m’incombe d’examiner l’intention du défendeur pendant la période en question (janvier 2009) afin de pouvoir trancher si sa décision était disciplinaire ou administrative. Dans un cas, la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») a adopté une décision de la Cour d’appel fédérale sur cette question (King c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 45, citant Canada (Procureur général) c. Basra, 2008 CF 606. Je reproduis le passage suivant de la décision de la Cour :

[…]

[19] En l’espèce, l’arbitre a estimé que la tenue d’une enquête disciplinaire, outre le fait que le demandeur avait été suspendu sans traitement, suffisait à lui donner le pouvoir de juger l’affaire, en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la nouvelle LRTFP. Cependant, l’arbitre ne s’est pas demandé, comme il devait le faire selon la jurisprudence, si l’intention de l’employeur, lorsqu’il avait suspendu le plaignant, était de punir celui-ci. Il semble plutôt que l’arbitre a simplement considéré que, vu la longueur de l’enquête, la suspension était devenue par défaut une mesure disciplinaire. J’arrive donc à la conclusion qu’il s’agit là d’une erreur grave, car l’arbitre a appliqué le mauvais critère, ce qui suffit en soi à justifier l’intervention de la Cour […]

[…]

57 Nonobstant ces conclusions, la Cour a également signalé qu’une décision administrative pouvait devenir disciplinaire au fil du temps (paragraphe 18; paragraphe 61 de King). La Cour d’appel fédérale a accueilli un appel de cette décision (Canada (Procureur général) c. Basra 2010 CAF 24; King, paragraphe 61) au motif que la décision précédente n’avait pas été fondée sur le bon critère relativement à l’intention de l’employeur. Aussi l’objet de l’enquête est-il resté centré sur l’intention.

58 Une autre décision fait ressortir des éléments similaires, mais plus généraux (Canada (Procureur général) c. Frazee, 2007 CF 1176, paragraphe 20; citant Porter c. Conseil du Trésor (ministère de l’Énergie, des Mines et des Ressources), dossier de la CRTFP 166-2-752 (1974), page 13 :

[…]

La notion de "mesure disciplinaire" n'est pas suffisamment étendue pour inclure toute mesure prise par l'employeur qui peut être nuisible ou préjudiciable aux intérêts de l'employé. Il est sûr que chaque évaluation défavorable du rendement ou de l’efficacité nuit aux intérêts directs de l’employé et à ces perspectives d’avancement. Dans de tels cas, on ne peut tenir pour acquis que l'employé fait l’objet d’une mesure disciplinaire. Pour comprendre ce qu’on entend par mesure disciplinaire dans la Fonction publique, il faut se reporter aux dispositions statutaires pertinentes […]

[…]

59 De plus, « même si un employé se sent lésé par des décisions qui ont une incidence négative sur ses conditions d’emploi, la grande majorité des adaptations faites en milieu de travail sont de nature purement administrative et ne se veulent pas une forme de sanction » (Frazee, paragraphe 20). Comme le précise un texte de Brown et Beatty faisant autorité (Canadian Labour Arbitration, 4e édition, paragraphe 7:4210) :

[Traduction]

[…] la caractéristique essentielle de la mesure disciplinaire est une intention de corriger la mauvaise conduite d’un employé en le punissant d’une certaine façon. Une confirmation de l’employeur déclarant qu’il n’avait pas l’intention d’imposer une mesure disciplinaire suffit souvent, mais pas toujours, à régler la question.

60 Revenons à la preuve en l’espèce : les fonctionnaires ont été avisés par une lettre en date du 12 janvier 2009, que [traduction] « en raison de » l’incident du 9 janvier 2009 impliquant les deux détenus dans la même cellule, chacun a été [traduction] « rétrograd[é] à [son] poste d’attache – agent correctionnel I », dès le jour correspondant à la date de la lettre, [traduction] « jusqu’à ce que cet incident ait fait l’objet d’un examen ».

61 Dans ses preuves et arguments, le défendeur maintient que la décision de rétrograder les fonctionnaires n’était pas une mesure disciplinaire, mais administrative. Comme le relève l’extrait de Brown et Beatty ci-dessus, cela a une certaine signification, soit, probablement, que le défendeur reconnaît tacitement qu’il ne peut s’appuyer sur une mesure administrative dans le cadre du dossier disciplinaire de l’employé.

62 Dans la présente affaire, je constate la gravité de la situation après l’incident du 9 janvier 2009. Si les blessures subies par le détenu n’ont finalement pas été graves, elles auraient pu l’être sans aucun doute. Ce risque est immédiatement apparu évident pour tous, y compris pour les fonctionnaires, comme en faisait foi leur choc réel au moment d’apprendre l’incident; dans son témoignage, M. Stead s’est dit [traduction] « horrifié » lorsqu’on l’a appelé chez lui après son départ du travail le 9 janvier 2009. Dans ces circonstances, il était prudent de faire enquête sur ce qui était arrivé et, entre-temps, je conclus qu’il l’était aussi de rétrograder les fonctionnaires de leur poste respectif dans l’unité d’isolement. J’accepte la preuve de M. Utley à l’égard de l’incapacité de savoir à l’instant ce qui s’était produit, mais que les fonctionnaires étaient responsables de l’unité d’isolement pendant la période en question, et le défendeur a décidé de [traduction] « […] les réaffecter à leur poste d’attache jusqu’à ce [qu’on puisse] savoir ce qui s’est passé ce jour-là ».

63 Les fonctionnaires invoquent la perte financière qu’ils ont subie à cause de leur rétrogradation pour étayer l’affirmation selon laquelle il s’agissait d’une mesure disciplinaire. Toutefois, il ressort des textes faisant autorité dont il est question dans la présente décision qu’une perte financière ne traduit pas toujours une mesure disciplinaire. Les fonctionnaires s’interrogent aussi quant au délai entre la décision de les rétrograder, en janvier 2009, et celle de leur imposer une sanction pécuniaire de quatre jours, en mai 2009. Leurs préoccupations à cet égard découlent davantage de la sanction de mai 2009 que de la rétrogradation de janvier 2009. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas dire qu’il y a eu un délai entre l’incident du 9 janvier 2009 et la rétrogradation des fonctionnaires le 12 janvier 2009. La décision disciplinaire est analysée ci-dessous.

64 Les fonctionnaires mentionnent aussi qu’ils ont été rétrogradés de leur poste d’attache de CX-01 et que les fonctions liées à celui-ci prévoyaient des rondes et des dénombrements. Cependant, le défendeur n’a pas exigé qu’ils suivent une formation supplémentaire, ni qu’ils fassent l’objet d’une supervision accrue. Aussi le défendeur ne peut-il contester leur travail en janvier 2009 dans le cadre du présent arbitrage, d’après les fonctionnaires. C’est peut-être un bon argument, mais le défendeur a le droit d’affecter du personnel au mieux de son jugement, et ses décisions touchant cette question ne peuvent être examinées par la Commission, sauf si elles revêtent un caractère disciplinaire sur un autre plan.

65 En résumé, je suis d’avis que l’intention du défendeur, en janvier 2009, était de trouver une solution aux problèmes de sécurité résultant de l’incident du 9 janvier 2009, en attendant une enquête complète. Par conséquent, je ne peux conclure que la décision de rétrograder les fonctionnaires supposait une mesure disciplinaire, et je n’ai pas compétence pour examiner la décision du défendeur du 12 janvier 2009.

B. Sanction pécuniaire de quatre jours

66 Les fonctionnaires reconnaissent que leur conduite du 9 janvier 2009 justifiait une certaine forme de discipline. Ils s’opposent toutefois à la sanction pécuniaire de quatre jours imposée par le défendeur, ne l’estimant pas appropriée, surtout après leur rétrogradation dont il est fait mention ci-dessus. La question à trancher consiste donc à savoir si la gravité de la mesure disciplinaire est juste et équitable dans les circonstances de ce cas.

67 En guise de contexte général, il ressort clairement de la jurisprudence que les agents correctionnels sont tenus de se conformer à des normes de conduite plus élevées que les employés s’acquittant d’autres fonctions (McKenzie c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2010 CRTFP 26, paragraphe 80). Il en est ainsi parce que [traduction] « les personnes engagées au sein de services correctionnels savent que leur employeur attend davantage de leur part que d’autres types de travailleurs » (voir Govt. of the Province of British Columbia v. B. C. Government Employees’ Union (Larry Williams Grievance), [1985] B.C.C.A.A.A., no 26 (Chertkow) (QL); affaire citée dans Government of British Columbia v. British Columbia Government and Service Employees’ Union (Jaye Grievance), [1997] B.C.C.A.A.A., no 813 (Hope), paragraphe 28 (QL)).

68 Après examen de la conduite des fonctionnaires dans ce cas, il fait peu de doute que le dénombrement des détenus est essentiel à la bonne gestion d’un établissement correctionnel. En effet, il va sans dire qu’un système correctionnel ne pourrait fonctionner efficacement sans garantie que la population carcérale est bien dénombrée. La consignation des données sur le dénombrement est tout aussi importante. L’exemple le plus évident de la valeur que revêtent les dénombrements est la capacité de prévenir ou de découvrir les évasions. Un autre exemple, comme le montrent les faits en l’espèce, est la capacité de repérer les cellules vides et celles contenant trop de détenus. Il y a lieu de s’inquiéter dans chaque cas, et la combinaison d’une cellule vide et d’une cellule contenant deux détenus dans un établissement à sécurité maximale ne fait qu’accroître les préoccupations. La protection du public est largement tributaire de la mise en place et de l’application de procédures de base comme les dénombrements.

69 Les fonctionnaires ont tenté dans leur preuve de minimiser l’omission du dénombrement comme cause des blessures infligées à un détenu le 9 janvier 2009. Il est vrai qu’un mauvais fonctionnement des serrures des cellules causé par une panne électrique était à l’origine de l’incident, et que les fonctionnaires n’y étaient pour rien. Il est néanmoins aussi raisonnable de conclure qu’un dénombrement approprié en temps opportun, ou plusieurs, aurait permis de constater que deux détenus se trouvaient dans la même cellule, en contravention de la politique et des pratiques exemplaires en place. Ce n’était pas une responsabilité qui pouvait être attribuée à un gestionnaire correctionnel, comme l’ont soutenu les fonctionnaires. Cette personne n’était pas au travail, contrairement aux fonctionnaires, dont le poste de CX-02 prévoyait de vastes fonctions de supervision. Des conclusions négatives ne peuvent non plus être tirées du fait que le défendeur n’avait pas demandé au gestionnaire d’agir comme témoin, comme on l’a fait valoir au nom des fonctionnaires.

70 Il est bien entendu difficile de dire si un dénombrement aurait empêché les blessures infligées au détenu. On peut toutefois affirmer avec une certaine confiance que si un dénombrement avait eu lieu, le risque aurait été moins élevé, peut-être même considérablement. Rappelons que c’est la raison d’être des dénombrements. La raison invoquée pour justifier le choix de ne pas procéder à un dénombrement et de signer quand même les formulaires était que tous souhaitaient rentrer chez eux à la fin de leur quart de travail. Dans leur preuve, les fonctionnaires ont admis l’évidence : ce n’était pas une raison acceptable. Leur aveu est à leur honneur, mais ils auraient aussi dû faire preuve de jugement le 9 janvier 2009, avant de signer les formulaires de dénombrement et de quitter le travail.

71 En conséquence, je conclus que la conduite des fonctionnaires constituait une grave infraction aux politiques du défendeur, aux ordres de poste et aux ordres permanents. Malheureusement, les fonctionnaires ont aggravé une situation déjà difficile en signant des formulaires de dénombrement sur lesquels il est inscrit que [traduction] « […] tous les détenus étaient présents et que toutes les portes, fenêtres et barrières requises ont été vérifiées et verrouillées conformément aux exigences des ordres permanents ». En réalité, un des détenus n’était pas dans sa cellule.

72 J’ai aussi examiné les décisions suivantes (résumées par ordre chronologique) concernant la suspension d’agents correctionnels pour cerner la sanction appropriée dans le présent cas :

  1. La suspension de 30 jours d’un agent correctionnel a été maintenue après l’évasion de deux détenus. Outre l’insuffisance des inspections et des vérifications, on a conclu que l’agent avait fait fi des procédures relatives au dénombrement et à la tenue du registre. Le fonctionnaire s’estimant lésé avait déjà été suspendu pendant 60 jours pour une conduite similaire (Government of British Columbia (Jaye Grief)).
  2. Une suspension de 20 jours a été maintenue contre un surveillant correctionnel qui avait enfreint un certain nombre de consignes et procédures de sécurité, notamment en laissant ouvertes les portes de sécurité, en ne suivant pas les règles relatives à la signature du registre d’entrée et de sortie, en ne respectant pas les procédures courantes, et en rendant inopérante une caméra de sécurité. De moins grandes sanctions disciplinaires ont été imposées aux autres employés (Buchanan c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 91).
  3. Une sanction pécuniaire de quatre jours a été maintenue contre un agent correctionnel qui avait quitté son poste de garde afin d’intervenir auprès de détenus alors qu’il portait son arme à la ceinture. Il n’a pas été établi si l’arme était chargée, mais le port de celle-ci représentait une menace pour les agents et les détenus présents (Labadie c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2006 CRTFP 53).
  4. Une suspension de 10 jours a été remplacée par une autre de 5 jours pour un garde-frontière ayant laissé une arme à feu sans surveillance dans un classeur non verrouillé. L’arbitre de grief a conclu qu’il s’agissait d’un cas de négligence isolé plutôt que d’inconduite intentionnelle, et que le fonctionnaire s’estimant lésé avait du remords. Une suspension de 10 jours ne lui paraissait ni corrective ni progressive, tandis qu’une suspension de 5 jours tenait compte de la gravité de l’infraction ainsi que du rôle de superviseur du fonctionnaire s’estimant lésé (Eden c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 37).

73 Les décisions ci-dessus font état d’une série de suspensions de 4 à 40 jours, et j’estime qu’elles se rapportent à des circonstances généralement semblables à celles caractérisant les griefs devant moi. Mentionnons toutefois une exception : aucun des cas ci-dessus ne traitait de blessures attribuables à l’inconduite d’agents correctionnels. J’ai conclu ci-dessus que, dans les griefs dont je suis saisi, les actions des fonctionnaires ont contribué à une situation qui a entraîné des blessures, bien que superficielles, pour un détenu. Ces blessures sont surtout imputables à l’ouverture des serrures des cellules à cause d’un problème électrique. Dans l’ensemble, les décisions ci-dessus nous sont d’une certaine utilité dans le présent cas et appuient la décision du défendeur d’imposer des sanctions pécuniaires de quatre jours, conformément à ce que d’autres défendeurs ont fait dans des circonstances similaires. En fait, les décisions ci-dessus semblent indiquer qu’une sanction plus sévère pourrait être justifiée.

74 Je signale également que le congédiement a été maintenu dans des circonstances peu différentes de celles caractérisant les griefs dont je suis saisi. Par exemple, le congédiement a été maintenu dans le cas de deux agents correctionnels chargés d’escorter un détenu qui avait un rendez-vous médical. Le détenu portait des entraves et des menottes. Les agents se sont endormis dans la même pièce pendant que le détenu subissait un traitement, une situation dont plusieurs personnes ont été témoin. Les agents ont nié s’être endormis, et l’un a allégué un sentiment antisyndical. Rejetant les explications et les allégations du fonctionnaire s’estimant lésé, l’arbitre de différends a conclu à une inconduite grave et a estimé que les agents avaient manqué à leur devoir. (Management and Training Corp. of Canada (c.o.b. Central North Correctional Centre) v. Ontario Public Service Employees Union, [2006] O.L.A.A. no 146 (Knopf)). Il existe évidemment des différences considérables par rapport aux griefs en l’espèce (à commencer par le fait que les fonctionnaires ont immédiatement reconnu leur responsabilité), mais Management and Training Corp. of Canada montre les normes de conduite élevées qu’on attend des agents correctionnels. Les décisions suivantes sont aussi utiles à cet égard : Courchesne c. Conseil du Trésor (Solliciteur général), dossier de la CRTFP 166-02-12299 (19820719); Renaud c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 42; Rivard c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2002 CRTFP 75; McKenzie.

75 Je me pencherai maintenant sur la situation particulière des fonctionnaires pour voir s’il s’y présente des circonstances atténuantes dans le présent cas. J’ai repris une liste d’éventuelles circonstances atténuantes d’une décision faisant jurisprudence (United Steelworkers of America, Local 3257 v. Steel Equipment Co., [1964] O.L.A.A. no 5 (Reville)), auxquelles ont souvent recours les arbitres de différends :

  1. Les fonctionnaires ont-ils de bons antécédents et cumulent-ils plusieurs années de service?

    En janvier 2009, M. Weda comptait environ cinq années de service exemptes de mesures disciplinaires, et M. Stead environ trois. De plus, M. Weda a reçu un certificat de mérite du défendeur en 2008.
  2. L’infraction commise était-elle un incident isolé par rapport aux antécédents des fonctionnaires?

    J’admets que l’incident du 9 janvier 2009 est un incident isolé par rapport aux antécédents des fonctionnaires. Comme l’a indiqué Mme Knopf dans son témoignage, ceux-ci ont compris qu’ils avaient fait une erreur, en ont assumé la responsabilité et en ont retenu la leçon.
  3. L’infraction a-t-elle été commise sous le coup de l’impulsion, dans un moment d’aberration ou sous l’effet de fortes émotions? Était-elle préméditée?

    M. Weda a fait observer que son quart de travail avait duré 16 heures le 9 janvier 2009 et qu’il était exténué, et qu’il s’agissait d’une circonstance atténuante à considérer dans son cas. Je reconnais les effets évidents d’un très long quart de travail, mais je ne peux y voir un argument qui excuserait l’omission de fonctions aussi importantes, pour un agent correctionnel, que la tenue de registres et les dénombrements. Ce cas n’est pas celui d’un jeune employé en train de se familiariser avec son nouveau poste, mais d’un employé cumulant cinq années de service et occupant un poste de supervision, bien que par intérim. Par ailleurs, M. Weda fait valoir ce qu’il décrit comme un trouble de stress post-traumatique. En temps normal, on s’attendrait à ce que de telles affirmations de jugement affaibli dont se prévalent les employés soient appuyées par le témoignage de médecins experts. Quoi qu’il en soit, aucun élément de preuve ne permet de conclure que M. Weda avait, en janvier 2009, une déficience psychologique telle qu’elle l’aurait empêché de s’acquitter de ses fonctions de base comme agent correctionnel.

    M. Stead s’appuie sur l’interdiction que lui avait faite le défendeur d’avoir des contacts avec les détenus en raison des menaces de certains à son endroit. C’est pour cette raison qu’il ne pouvait se rendre dans les rangées pour mener ou superviser des dénombrements. Néanmoins, cela n’explique pas pourquoi il a signé un formulaire de dénombrement, sachant que le dénombrement n’avait pas été fait. Il était l’agent responsable du quart de travail et il avait trois années de service à son actif en janvier 2009. Je n’ignore pas que le gestionnaire correctionnel a des tâches de supervision officielles dans l’unité d’isolement, mais on s’attend à ce qu’un agent de niveau CX-02, même par intérim, assure une supervision de base et fasse du mentorat. Et, comme l’a souligné Mme Knopf, rien n’empêchait M. Stead de sortir du bureau d’isolement pour observer les rangées et les dénombrements.

    Au-delà des explications des fonctionnaires, rappelons que l’infraction s’est produite dans la précipitation à rentrer chez soi. Peut-être s’agissait-il, sur le plan technique, d’une action commise « sous l’impulsion du moment », mais celle-ci traduit un manque de jugement en l’espèce et une incompréhension des responsabilités fondamentales des agents correctionnels.
  4. Les sanctions ont-elles entraîné un préjudice financier particulier pour les fonctionnaires?

    Les fonctionnaires ont perdu l’écart salarial entre leur rémunération à un poste intérimaire de CX-02 et celle à leur poste d’attache de CX-01, outre la possibilité de choisir certains quarts de travail. Toutefois, leur affectation intérimaire à un poste de CX-02 devait se terminer le 13 janvier 2009 dans le cas de M. Stead et plus tard en 2009 dans celui de M. Weda.
  5. Les règles, les politiques et les ordres du défendeur étaient-ils appliqués de façon uniforme ou une certaine discrimination était-elle exercée?

    Les fonctionnaires ont indiqué qu’ils avaient été punis deux fois : d’abord sous la forme d’une rétrogradation de leur poste de CX-02, puis sous celle d’une sanction pécuniaire de quatre jours. Toutefois, comme il est indiqué précédemment, le motif de la rétrogradation n’était pas disciplinaire. De plus, tous les agents impliqués dans l’incident du 9 janvier 2009 ont fait l’objet de mesures disciplinaires. Je ne peux non plus considérer comme une circonstance atténuante le fait que les fonctionnaires n’avaient jamais reçu une copie de leur description de travail pour le poste de CX-02. Ils avaient travaillé pour des CX-02 et en tant que CX-02, et ils connaissaient donc les fonctions qui y étaient rattachées dans leurs grandes lignes. Il est vrai que les fonctionnaires n’ont pas eu une copie intégrale du rapport d’enquête du 16 février 2009. Celui-ci a cependant été rédigé dans un souci de protéger les renseignements personnels des autres agents, et on ne peut dire que les fonctionnaires étaient dans l’incapacité de comprendre comment il les concernait.

    Les fonctionnaires me demandent instamment d’examiner le délai inacceptable entre le moment où l’incident a eu lieu, en janvier 2009, et celui où le défendeur a pris ses décisions disciplinaires, en mai 2009. Il semble que l’administration centrale du défendeur ait eu un retard dans le processus d’examen du rapport d’enquête, et je suis d’avis qu’un meilleur respect de l’échéancier par le défendeur aurait témoigné d’un processus disciplinaire plus efficace. Néanmoins, je ne peux conclure que la période entre janvier et mai 2009 marque un retard indu. Je reconnais que le document de 1994, « Guide disciplinaire sur la rétrogradation et le licenciement non disciplinaire pour raison valable », indique que les mesures disciplinaires doivent être rapides et qu’une décision doit être prise dans un délai d’un mois. Il n’a pas été clairement établi si ce document est encore valide, mais, s’il l’est, il s’apparente davantage à des lignes directrices qu’à une politique exécutoire ou à un règlement juridique.

    Enfin, la preuve comprenait le bulletin d’août 2008, qui clarifiait comment les agents devaient effectuer des rondes et des dénombrements. Lors de son témoignage, M. Stead a indiqué qu’il avait [traduction] « peut-être » vu ce document, alors que M. Weda a affirmé ne pas l’avoir vu, puisqu’il n’était pas au travail lors de sa diffusion. Comme l’indiquait le bulletin, son contenu visait à clarifier la marche à suivre de façon à offrir une interprétation cohérente et logique des politiques et ordres du défendeur. Autrement dit, rien dans le bulletin ne suggère que les dénombrements sont facultatifs ou qui sanctionne la consignation de fausses données sur les dénombrements.
  6. Y a-t-il des circonstances qui montrent qu’il n’y avait aucune intention coupable?

    Rien ne prouve que les fonctionnaires avaient mal compris leur responsabilité à l’égard des dénombrements et qu’ils ignoraient qu’ils devaient s’abstenir de faire de fausses déclarations au sujet des dénombrements. Leur formation couvrait ces points et ils connaissaient les politiques.
  7. Quelle est la gravité de l’infraction par rapport aux politiques et aux obligations du défendeur?

    Comme il est indiqué ci-dessus, l’inconduite des fonctionnaires était très grave et enfreignait l’un des éléments fondamentaux de la politique correctionnelle — le dénombrement des détenus et la consignation adéquate des données à cet égard.
  8. Y a-t-il d’autres circonstances dont il faut tenir compte?

    Le fait que les fonctionnaires ont assumé immédiatement la responsabilité de leur faute en demandant une rencontre avec leur directrice, Mme Knopf, revêt une importance considérable. Il s’agissait d’une initiative de M. Stead, qui, intervenant au nom de ses collègues, a entre autres dit que les agents de service le 9 janvier 2009 ont admis leur erreur et ont reconnu leur responsabilité dans cette erreur. Dans leur preuve, les fonctionnaires ont repris cette position, quoiqu’elle soit passée sous silence, peut-être, lorsque M. Stead a laissé entendre, pour expliquer ce qui s’est produit, qu’il s’était fié à l’interdiction que lui avait faite le défendeur d’avoir des contacts avec les détenus. De la même façon, M. Weda a indiqué qu’un quart de travail de 16 heures pouvait expliquer en partie pourquoi il avait sciemment signé un faux formulaire de dénombrement.

76 Considérant l’inconduite des fonctionnaires dans le contexte de cas similaires et à la lumière de l’analyse, ci-dessus, de toute circonstance atténuante, je conclus que le défendeur avait un motif valable pour imposer une sanction pécuniaire de quatre jours contre les fonctionnaires. Leur inconduite a été très grave et, bien qu’elle n’ait pas été la principale cause de l’incident du 9 janvier 2009, elle a contribué à une situation marquée par un risque accru de blessures pour les détenus. La simple opération de dénombrement des détenus aurait pu abaisser ce risque. Les fausses déclarations selon lesquelles les dénombrements ont été faits ont aggravé la faute des fonctionnaires. Une sanction pécuniaire de quatre jours figure parmi les moins sévères, comparativement à d’autres cas.

77 Les fonctionnaires admettent qu’ils méritent des mesures disciplinaires, mais, soutiennent-ils, de moins de quatre jours. Ils font valoir que les circonstances justifient une sanction pécuniaire d’un jour, comme l’indique l’Entente globale. J’estime que les circonstances du 9 janvier 2009 impliquaient une [traduction] « inconduite grave » aux termes de cette entente. Cette conclusion fait passer les fonctionnaires, sur l’échelle graduée, d’une situation passible d’une sanction d’un jour pour une première infraction à une sanction de quatre jours, soit la plus sévère dans le cadre de l’Entente globale.

78 D’après la preuve recueillie auprès de Mme Knopf, un facteur déterminant de la décision du défendeur résidait dans l’initiative des fonctionnaires de la rencontrer et dans leur volonté d’assumer la responsabilité de ce qui s’était produit, en tout ou en partie. En fait, ses supérieurs l’ont exhortée à mettre fin à l’emploi des fonctionnaires. Toutefois, comme Mme Knopf l’a dit, les fonctionnaires ont montré leur capacité de changer et de tirer des enseignements de leurs erreurs, ce qui explique la sanction pécuniaire de quatre jours. Je reconnais que les actions des fonctionnaires après le 9 janvier 2009 étaient à leur honneur et qu’il faut leur accorder de l’importance au moment de déterminer la sanction pour ces griefs. Autrement dit, si les fonctionnaires n’avaient pas immédiatement reconnu leur responsabilité, la sanction appropriée aurait été plus grave. Cela s’inscrit dans une approche disciplinaire progressive pour les infractions graves.

79 En bref, l’inconduite des fonctionnaires était grave, mais leur reconnaissance immédiate de leur responsabilité de façon officielle et directe constitue une circonstance atténuante qui justifie la sanction pécuniaire de quatre jours imposée par le défendeur, parmi les moins sévères pour des cas similaires.

80 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VII. Ordonnance

81 Les griefs sont rejetés.

14 août 2012.

Traduction de la CRTFP

John Steeves,
arbitre de grief

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