Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a affirmé que son agent négociateur et deux de ses représentants avaient commis une pratique déloyale de travail en l’empêchant de participer à un scrutin de ratification parce qu’il était un cotisant Rand et n’était pas membre de l’agent négociateur - le plaignant n’a reçu aucune menace physique ou économique - on l’a simplement avisé qu’il devait adhérer au syndicat s’il voulait voter - il n’y a pas eu d’intimidation ou de coercition, et les actes des défendeurs ne visaient pas à forcer le plaignant à adhérer au syndicat - il n’y a pas eu violation de l’alinéa189(1)a) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la <<Loi>>) ou de l’article7 de la Charte canadienne des droits et libertés - la politique du syndicat de permettre uniquement aux membres de participer à un scrutin de ratification n’était pas inhabituelle - le syndicat n’a pas agi de mauvaise foi, et ses actes n’étaient pas arbitraires ou discriminatoires - la Loi ne fait pas mention du scrutin de ratification, mais elle contient des dispositions explicites sur le scrutin d’accréditation, le scrutin de révocation d’accréditation et le vote de grève - ces dispositions portent à conclure que le scrutin de ratification est une question interne qui est régie par le syndicat et ne s’inscrit pas dans le champ de compétence de la Commission - il n’y a pas eu violation de l’article187 - le vote de ratification est une question interne régie par le syndicat. Plainte rejetée.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-08-08
  • Dossier:  561-34-567
  • Référence:  2012 CRTFP 81

Devant une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique


ENTRE

PAUL STURKENBOOM

plaignant

et

INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA,
ANDRIA GAUVREAU ET JAMIE DUNN

défendeurs

Répertorié
Sturkenboom c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada et al.

Affaire concernant une plainte fondée sur l’article 190 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Renaud Paquet, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour le plaignant:
Lui-même

Pour les défendeurs:
Isabelle Roy et Martin Ranger, Institut professionnel de la fonction publique du Canada

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 5, 18 et 29 juin et le 6 juillet 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Plainte devant la Commission

1      Le 17 mai 2012, Paul Sturkenboom (le « plaignant »), a déposé une plainte auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») fondée sur l’alinéa 190(1)g) de la Loi sur les relations de travail de la fonction publique (la « Loi »), alléguant que l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC), Andria Gauvreau et Jamie Dunn (les « défendeurs ») se sont livrés à une pratique déloyale de travail à son égard. Mme Gauvreau et M. Dunn travaillent tous les deux à l’IPFPC, Mme Gauvreau à titre d’adjointe administrative et M. Dunn à titre de négociateur.

2      Le plaignant est membre de l’unité de négociation du groupe Vérification, finances et sciences (VFS) de l’Agence du revenu du Canada (l’« employeur »). L’IPFPC est l’agent négociateur accrédité de l’unité de négociation. Toutefois, le plaignant a choisi de ne pas adhérer à l’IPFPC, et n’a d’ailleurs jamais signé une carte d’adhésion. Par conséquent, il n’est pas membre de l’IPFPC, bien qu’il soit membre de l’unité de négociation du groupe VFS pour le compte duquel l’IPFPC est l’agent négociateur. Les fonctionnaires dans cette situation sont couramment appelés des employés « Rand ».

3      Le 16 mars 2012, l’IPFPC a annoncé qu’elle était parvenue à un accord préliminaire avec l’employeur relativement à l’unité de négociation VFS. Le 4 mai 2012, l’IPFPC a annoncé qu’un scrutin de ratification aurait lieu, et que ce scrutin prendrait fin le 1er juin 2012. Le 8 mai 2012, le plaignant, n’ayant pas reçu une clé de vote en vue du scrutin de ratification, a communiqué avec Mme Gauvreau afin d’en obtenir une. Le même jour, cette dernière l’a informé par courriel qu’il n’avait pas signé sa carte d’adhésion à l’IPFPC et l’a invité à remplir la demande d’adhésion sur le site Internet de l’IPFPC s’il voulait avoir le droit de participer à ce scrutin. Le plaignant a envoyé un deuxième courriel à Mme Gauvreau, le 8 mai 2012, dans lequel il a fait valoir qu’il était un fonctionnaire membre de cette unité de négociation et qu’il devait donc avoir le droit de voter. Les 8 et 9 mai 2012, M. Dunn a lui aussi informé le plaignant qu’il fallait d’abord qu’il adhère à l’IPFPC pour avoir le droit de participer au scrutin sur l’accord préliminaire.

4      Autrement dit, les défendeurs n’ont pas permis au plaignant de voter sur l’accord préliminaire parce qu’il n’était pas membre de l’IPFPC, même s’il appartenait à l’unité de négociation. Selon l’article 7 des règlements de l’IPFPC, seuls les membres réguliers ou retraités de l’IPFPC peuvent assister aux assemblées générales, voter aux élections syndicales, exercer des fonctions syndicales à quelque niveau que ce soit, participer aux activités de formation et ratifier un accord préliminaire. De l’avis du plaignant, le fait qu’il ne soit pas permis aux personnes qui ne sont pas membres de l’IPFPC de ratifier les conventions collectives constitue en soi une pratique déloyale de travail.

II. Résumé de l’argumentation

A. Pour le plaignant

5      Le plaignant a soutenu que l’exercice de son droit d’adhérer ou ne de pas adhérer à une organisation est un choix qui lui revient et non un choix qu’on peut lui dicter, ce droit étant garanti tant par la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») que par la Loi. Les défendeurs ont un devoir de représentation équitable envers tous les fonctionnaires qu’ils représentent, tant à l’égard des membres que des non-membres. En consultant uniquement les membres de l’IPFPC en vue de la ratification de la convention collective, les défendeurs ont agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en favorisant certains fonctionnaires appartenant à l’unité de négociation, uniquement en raison de leur adhésion à l’IPFPC. Ces mesures contreviennent à l’article 187 de la Loi et favorisent les membres de l’IPFPC. De plus, en subordonnant le droit de vote à l’adhésion à l’IPFPC, ces mesures tendent à obtenir cette dernière par la contrainte, contrevenant ainsi à l’article 189 de la Loi.

6      Le plaignant a fait valoir que, bien que le libellé de la Loi ne précise pas que tous les fonctionnaires ont le droit de voter afin de ratifier une convention collective, l’esprit de la Loi veut que, lors de la tenue d’un scrutin, tous les fonctionnaires aient le droit de vote, sans distinction entre les membres et les non-membres du syndicat. À cet égard, le plaignant m’a renvoyé aux articles 65, 95, 183 et 184 de la Loi. Il a notamment souligné qu’il serait illogique qu’un syndicat ne permette pas aux non‑membres de voter, alors que la Commission pourrait leur accorder ce droit lorsqu’elle ordonne qu’un scrutin soit tenu. Qui plus est, si l’IPFPC décide d’accorder aux fonctionnaires le droit de voter en vue de ratifier un accord préliminaire, il doit accorder ce droit aussi bien aux membres qu’aux non-membres; autrement, il violerait l’article 187 de la Loi en exerçant de la discrimination envers les non-membres.

7      La négociation d’une convention collective fait partie du processus de la représentation des fonctionnaires, notamment en ce qui a trait aux relations entre les fonctionnaires de l’unité de négociation et leur employeur. Cela établit également les fondements pour toutes les relations futures entre les fonctionnaires et leur employeur. Il ne s’agit donc pas d’une simple affaire interne au syndicat, celui-ci ayant un devoir de représentation équitable envers tous les fonctionnaires dans leurs relations avec l’employeur dans le cadre de la négociation d’une convention collective. Les relations entre les parties dans ce contexte sont définies à l’article 114 de la Loi. En ne consultant que ses membres, l’IPFPC agit de toute évidence de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi en favorisant certains fonctionnaires uniquement en raison de leur adhésion à l’IPFPC.

8      L’IPFPC a le mandat d’agir à titre d’agent négociateur exclusif pour le compte de tous les fonctionnaires décrits au certificat d’accréditation visant les fonctionnaires appartenant à l’unité de négociation VFS. Tous les fonctionnaires ont un intérêt direct dans l’accord préliminaire; par contre, les fonctionnaires n’ont pas tous un intérêt dans les affaires internes du syndicat, comme l’élection des dirigeants syndicaux, la participation aux cours de formation donnés par le syndicat, la participation au vote lors des assemblées, etc. Le fait que tous les fonctionnaires jouissent d’un intérêt en équité dans une convention collective est énoncé à l’article 114 de la Loi, qui prévoit que « […] la convention collective lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité de négociation […] ». La ratification d’un accord préliminaire n’est pas une affaire interne au syndicat, mais plutôt une activité faisant partie intégrante de la fonction du syndicat, soit de représenter tous les fonctionnaires. 

9      Le plaignant a également fait valoir que la négociation d’une convention collective était de toute évidence une affaire inhérente aux relations de travail. Partant, il devrait y avoir égalité des droits en matière de vote entre les membres et les non‑membres de l’IPFPC. Les règlements de l’IPFPC peuvent bien interdire aux non‑membres de voter sur un accord préliminaire, mais ces règlements doivent toutefois être conformes à la Loi et ne peuvent avoir préséance sur les dispositions de celle-ci.

10 Le plaignant m’a renvoyé à Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et al., [1984] 1 R.C.S. 509. Il a rappelé les principes régissant le devoir de représentation incombant à l’agent négociateur, notamment l’obligation de représenter de manière équitable tous les fonctionnaires de l’unité de négociation.

B. Pour les défendeurs

11 Les défendeurs ont fait valoir que le plaignant n’avait jamais présenté une demande d’adhésion à l’IPFPC et que, par conséquent, est considéré comme étant un cotisant Rand. Il est visé par la convention collective du groupe VFS et a droit à la représentation syndicale en ce qui a trait aux questions touchant les relations de travail. Cependant, le plaignant n’est pas membre de l’IPFPC, et n’a donc pas le droit de voter sur les questions de l’IPFPC, ce qui comprend en outre la ratification d’une convention collective.

12 Les défendeurs ont aussi fait valoir le principe bien établi voulant que la Commission, tout comme les autres commissions de relations de travail, n’aient pas compétence sur les questions de régie interne des syndicats, notamment celle de savoir si un scrutin de ratification est nécessaire et, le cas échéant, qui a le droit de voter à cette occasion. Faute de dispositions juridiques conférant expressément à la Commission la compétence pour intervenir dans les affaires internes du syndicat et les gérer, la Commission doit décliner sa compétence relativement à cette plainte, laquelle concerne exclusivement les relations entre le plaignant et l’IPFPC et n’a aucun rapport que ce soit avec la représentation du plaignant par les défendeurs auprès de son employeur.

13 Les défendeurs ont soutenu que le plaignant n’avait pas démontré une apparence de droit suffisante de l’existence d’une violation du devoir de représentation équitable de la part des défendeurs. En aucun temps les défendeurs ont-ils agi de manière négligente ou discriminatoire, y compris lorsque l’IPFPC a demandé au plaignant de remplir une demande afin de devenir membre du syndicat et d’obtenir ainsi le droit de voter sur la ratification de la convention collective. Les défendeurs, en formulant cette demande, n’ont fait que respecter la formule juridiquement acceptée en ce qui a trait aux « cotisants Rand ».

14 Les défendeurs m’ont renvoyé aux cas suivants : White c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2000 CRTFP 62; Bracciale et al. c. Alliance de la Fonction publique du Canada (Syndicat des employé(e)s de l’impôt, section locale 00048), 2000 CRTFP 88; Certain Employees (Re) v. CAW‑Canada, Local 3014, [1996] B.C.L.R.B.D., no 378 (QL); Ford Motor Co. of Canada Ltd. v. U.A.W. – C.I.O., (1946) 46 C.L.L.C.,  paragraphe 18,001.

III. Motifs

15 Cette plainte soulève la question de savoir si un agent négociateur se livre à une pratique déloyale de travail lorsqu’il ne permet pas à un membre d’une unité de négociation qui n’a pas adhéré au syndicat de voter sur un accord préliminaire.

16 Il convient d’examiner diverses dispositions de la Loi afin de trancher la plainte et de disposer des divers arguments soulevés par les parties. L’article 187 et le paragraphe 189(1) traitent des actions interdites alléguées par le plaignant, alors que les articles 65 et 95, de même que les paragraphes 183(1) et 184(1), traitent de la tenue d’un scrutin par les fonctionnaires visés par une unité de négociation, et l’article 114 porte sur l’effet de la convention collective. Ces dispositions de la Loi s’énoncent comme suit :

          187. Il est interdit à l’organisation syndicale, ainsi qu’à ses dirigeants et représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi en matière de représentation de tout fonctionnaire qui fait partie de l’unité dont elle est l’agent négociateur.

[…]

          189. (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque de chercher, par menace ou mesures coercitives, à obliger un fonctionnaire :

          a) à adhérer ou à s’abstenir ou cesser d’adhérer à une organisation syndicale, ou encore, sauf disposition contraire dans une convention collective, à continuer d’y adhérer;

          b) à s’abstenir d’exercer tout autre droit qu’accorde la présente partie ou la partie 2.

[…]

          65. (1) La Commission peut ordonner la tenue d’un scrutin afin de vérifier si la majorité des fonctionnaires de l’unité de négociation souhaitent être représentés par l’organisation qui sollicite l’accréditation.

[…]

          95. Saisie de la demande, la Commission peut, en prenant les dispositions prévues au paragraphe 65(2), ordonner la tenue d’un scrutin de représentation, afin d’établir si la majorité des fonctionnaires de l’unité de négociation ne souhaitent plus être représentés par l’organisation syndicale qui en est l’agent négociateur.

[…]

          183. (1) Le ministre peut, s’il estime d’intérêt public de donner aux fonctionnaires qui font partie de l’unité de négociation en cause l’occasion d’accepter ou de rejeter les dernières offres que l’employeur a faites à l’agent négociateur sur toutes les questions faisant toujours l’objet d’un différend entre les parties :

          a) ordonner la tenue sur les offres, dans les meilleurs délais et en conformité avec les modalités qu’il estime indiquées, d’un vote au scrutin secret auprès de tous les fonctionnaires de l’unité de négociation;

          b) charger la Commission — ou la personne ou organisme qu’il désigne — de la tenue du scrutin.

[…]

          184. (1) L’organisation syndicale doit, pour obtenir l’approbation de déclarer ou d’autoriser une grève, tenir un vote au scrutin secret auprès de tous les fonctionnaires de l’unité de négociation, de façon que tous les fonctionnaires aient la possibilité d’y participer et d’être informés des résultats.

[…]

          114. Pour l’application de la présente partie et sous réserve des autres dispositions de celle-ci, la convention collective lie l’employeur, l’agent négociateur et les fonctionnaires de l’unité de négociation à compter de la date de son entrée en vigueur. Elle lie aussi, à compter de cette date, tout administrateur général responsable d’un secteur de l’administration publique fédérale dont font partie des fonctionnaires de l’unité de négociation, dans la mesure où elle porte sur des questions prévues à l’article 12 de la Loi sur la gestion des finances publiques.

17 Je traiterai tout d’abord de l’argumentation du plaignant en ce qui a trait à la violation alléguée du paragraphe 189(1). À cet égard, le plaignant allègue deux choses : 1) que les déclarations faites par M. Dunn et Mme Gauvreau, selon lesquelles il devait adhérer au syndicat afin d’avoir le droit de vote, contreviennent en soi à la disposition précitée, en ce qu’elles constituent de l’intimidation et des mesures coercitives visant à l’obliger à adhérer au syndicat; 2) que la clause des statuts constitutifs de l’IPFPC restreignant les votes de ratification aux seuls membres du syndicat constitue également, et pour les mêmes motifs, une violation de ce paragraphe de la Loi. Le plaignant soutient que les actions précitées contreviennent non seulement au paragraphe 189(1) de la Loi, mais violent également ses droits en vertu de la Charte. Par ailleurs, le plaignant n’a pas fait valoir que des menaces, de nature physique ou à caractère économique, aient été proférées par les défendeurs à son égard. 

18 Le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) a récemment eu l’occasion de se prononcer sur l’application d’une disposition presque identique énoncée dans le Code canadien du travail (le « Code ») dans Bell Mobility Inc., 2011 CCRI 579, statuant que même des déclarations pouvant être qualifiées de trompeuses utilisées par un syndicat afin d’inciter des membres potentiels à signer une carte d’adhésion ne constituaient pas pour autant une violation du Code. L’employeur a allégué que le syndicat avait, dans le cadre d’une campagne d’accréditation syndicale, gonflé le niveau d’appui dont jouissait le syndicat et avait ainsi induit des employés en erreur, en violation de l’article 96 du Code. Le CCRI a rejeté l’allégation, concluant plutôt que les faits ne constituaient pas de l’intimidation ni des mesures coercitives au sens de l’article 96 du Code. Le CCRI a en outre cité TD Canada Trust c. United Steel, 2007 CAF 285, où la Cour d’appel fédérale s’est prononcée en ces termes au sujet de l’enquête menée par le CCRI relativement aux allégations dans cette affaire, et a conclu comme suit :

[…]

[3] Les allégations d’intimidation faites par les employées avaient trait à des visites non annoncées de représentants syndicaux chez elles le soir. Ces visiteurs se montraient insistants et parfois même s’attardaient sans y avoir été invités. L’enquêteur a conclu que cette conduite n’était pas suffisamment grave pour constituer de l’intimidation ou de la contrainte. L’enquête n’a peut‑être pas été aussi approfondie que les plaignantes l’auraient voulu, mais l’enquêteur a interrogé trois d’entre elles avant de transmettre son rapport au Conseil; ce rapport était partiellement confidentiel, comme c’est généralement le cas, pour protéger les employées. Aucune des plaignantes n’a allégué que c’est l’intimidation dont elles auraient été l’objet qui les avait amenées à signer des cartes de membre; la seule employée ayant signé une carte de membre a indiqué par la suite qu’elle regrettait de l’avoir fait. Aucun acte ou menace de violence n’a été allégué. Il y a eu seulement des tentatives répétées de persuasion, qui étaient peut‑être trop enthousiastes et qui se sont très souvent révélées infructueuses.

[…]

19 La Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO), dans Atlas Specialty Steels, [1991], Rapports de la CRTO (juin), no 728, s’est aussi penchée sur l’interprétation d’un article au libellé similaire contenu dans la Loi sur les relations de travail (Ontario), statuant entre autres que l’intimidation et les mesures coercitives devaient être plus que des promesses faites durant une campagne :

[Traduction]

[…]

 [12] Le sens à donner à l’expression « menaces ou mesures coercitives » dans le contexte de l’article 70 a été examiné dans le cadre de nombreuses autres décisions rendues par cette Commission […] Pour qu’une allégation de contravention à l’article 70 puisse avoir le moindre fondement, il faut établir l’existence de menaces ou de mesures coercitives telles qu’elles visent à obliger notamment une personne à s’abstenir d’exercer des droits que lui accorde la Loi. Une contrainte, sinon la menace d’une contrainte, doit avoir été exercée, qu’il s’agisse d’une contrainte physique ou non physique […]

[…]

20 Il convient donc d’interpréter les dispositions législatives dans leur contexte. Le paragraphe 189(1) vise à s’assurer que l’adhésion à un syndicat est volontaire. Je ne peux conclure que la politique du syndicat à cet égard ou la communication de cette politique par les défendeurs puissent être de quelque manière considérées comme étant de l’intimidation ou des mesures coercitives. Je conclus également que les actions reprochées ne visaient aucunement « à obliger » le plaignant à adhérer au syndicat. Il a été invité à y adhérer et on l’a avisé qu’il devait adhérer au syndicat s’il souhaitait participer au vote; le fait d’aviser une personne qu’elle doit adhérer à une organisation afin de pouvoir bénéficier de certains privilèges ne constitue pas une conduite telle qu’elle puisse être considérée comme « obligeant » cette personne à adhérer à cette organisation. La Loi ne garantit pas aux fonctionnaires choisissant de ne pas adhérer au syndicat qu’ils jouiront des mêmes droits et privilèges découlant de leur adhésion à un syndicat.

21 Par ailleurs, la décision du syndicat de restreindre la participation aux scrutins de ratification aux membres n’a rien d’inusité en soi. La question des scrutins de ratification a récemment été analysée par le CCRI dans Vézina c. Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale, district des transports 140, et Air Canada et al., 2010 CCRI 540. Dans ce cas, le plaignant a allégué qu’il y avait eu violation par son agent négociateur de l’article 37 du Code (le devoir de représentation équitable), lorsque ce dernier a décidé de tenir un deuxième scrutin de ratification. Le Conseil s’est alors penché sur la question des scrutins de ratification et conclu, au paragraphe 29, comme suit :

(29) Le Code ne contient pas de dispositions concernant les votes de ratification. Par conséquent, le Code n’établit ni ne régit les conditions en vertu desquelles un syndicat peut ou doit tenir un vote de ratification. Le Conseil tire ses pouvoirs principalement et essentiellement du Code. Par conséquent, le Conseil ne se préoccupe généralement pas des questions liées aux votes de ratification.

La LRTFP est également muette sur la question des votes de ratification, ce qui, compte tenu de l’existence de dispositions régissant explicitement la tenue d’un scrutin sur l’accréditation, sur la révocation de l’accréditation et les votes de grève, nous mène inexorablement à la conclusion que les scrutins de ratification échappent à la compétence de la Commission.

22 Le plaignant allègue que son droit à la liberté d’association a été bafoué au motif qu’on l’oblige à adhérer au syndicat contre sa volonté, et soutient que cette mesure coercitive constitue une violation de la Charte aussi bien que de l’alinéa 189(1)a) de la Loi. J’ai déjà conclu qu’il n’y a eu aucune mesure coercitive, et que les interactions et l’énoncé de la politique du syndicat à cet égard n’étaient ni plus ni moins qu’un énoncé des faits de la part des défendeurs et que cela ne pouvait pas être décrit comme étant une mesure coercitive. Le plaignant demeurait en tout temps libre d’exercer son droit d’adhérer ou de ne pas adhérer au syndicat. La documentation qui m’a été présentée établit que des explications avaient été données au plaignant quant aux avantages découlant de son adhésion au syndicat, le cas échéant. Il demeurait toutefois libre de conserver son statut de cotisant Rand, ce qu’il fit. Par conséquent, je me dois de rejeter son argument portant sur la Charte.

23 Je conviens avec le plaignant que la convention collective est une composante importante dans la relation existant entre les employés et l’employeur et que, comme énoncé à l’article 114 de la Loi, elle lie l’employeur, le syndicat et tous les employés, que ceux-ci soient ou non membres du syndicat. Cela ne signifie pas et n’implique pas que le syndicat ayant négocié la convention collective soit tenu d’accorder à tous les employés le droit de voter sur un accord préliminaire. Comme mentionné précédemment, un syndicat n’est pas tenu de tenir un scrutin sur un accord préliminaire. L’article 114 ne porte pas sur le processus de négociation ni sur les obligations des parties dans le cadre de ce processus. Il traite plutôt des conséquences de la convention collective une fois qu’elle a été conclue.

24 À l’appui de son allégation voulant qu’il y ait eu violation du devoir de représentation équitable prescrit à l’article 187 de la Loi, le plaignant m’a renvoyé à quatre dispositions de la Loi traitant de la tenue d’un scrutin, soit les articles 65 et 95 ainsi que les paragraphes 183(1) et 184(1). Il soutient que, bien que ces dispositions ne se rapportent pas directement aux faits en l’espèce, elles illustrent néanmoins, en raison du fait qu’elles font état du droit de tous les membres de l’unité de négociation de participer à un scrutin, qu’en vertu de « l’esprit » de la Loi les cotisants Rand ont aussi le droit de participer aux scrutins de ratification et que, partant, le manquement du syndicat à cet égard constitue une violation de son devoir de représentation équitable.

25 Les articles 65 et 95 portent sur la tenue d’un scrutin sur l’accréditation et la révocation de l’accréditation d’un syndicat; le plaignant souligne à juste titre qu’à ces occasions, tous les employés membres de l’unité de négociation ont le droit de participer à un tel scrutin. De toute évidence, le droit de voter lors d’un scrutin portant sur l’accréditation doit être accordé à tous les employés de l’unité de négociation envisagée. Certes, puisque le syndicat n’a pas encore alors obtenu son accréditation, l’unité de négociation n’existe pas encore et il ne serait donc pas possible d’envisager de restreindre le vote aux seuls membres du syndicat. Le fait que le vote sur la révocation de l’accréditation d’un syndicat soit ouvert à tous les employés est simplement le corollaire du mode de scrutin prévu pour l’accréditation du syndicat. Ainsi, puisque tous les employés qui seraient visés par l’unité de négociation envisagée ont le droit de voter sur l’accréditation du syndicat, il n’est que logique que tous les employés de cette unité de négociation, dûment constituée, aient le droit de manifester leur volonté à l’occasion d’un scrutin de révocation de l’accréditation, le cas échéant. Le législateur a, en formulant ces articles comme il l’a fait, clairement exprimé son intention de faire en sorte que les votes sur l’accréditation et la révocation de l’accréditation soient tous deux ouverts à tous les employés visés par l’unité de négociation.

26 Le plaignant, dans ses commentaires au sujet des paragraphes 183(1) et 184(1) de la Loi, souligne qu’on n’y trouve aucune distinction entre les membres du syndicat et les non-membres en ce qui a trait à la participation à un vote de grève. Or, le paragraphe 183(1) ne s’applique pas à la situation qui nous occupe dans le cadre de la présente plainte. Cette disposition régit plutôt les situations dans lesquelles le Ministre estime qu’il est d’intérêt public de donner à tous les fonctionnaires qui font partie de l’unité de négociation en cause l’occasion de voter sur les dernières offres que l’employeur a faites. On peut certes considérer cette disposition comme étant une clause d’exception, puisqu’elle énonce une exception à la règle générale établie en droit du travail, soit qu’il revient à l’agent négociateur de décider de tenir ou non un scrutin de ratification et, s’il décide de tenir un tel scrutin, de restreindre la participation à ce scrutin aux seuls membres du syndicat. En ce qui a trait au paragraphe 184(1), lequel accorde à tous les fonctionnaires membres de l’unité de négociation le droit de participer à un vote de grève, le plaignant souligne à juste titre que dans le cas d’un vote de grève tant les non membres que les membres ont le droit de participer au scrutin; il convient également de signaler que ce paragraphe ne s’applique pas aux faits en l’espèce.

27 Il est bien établi à titre de principe de l’interprétation des lois que le fait de mentionner ou d’inclure un élément emporte l’exclusion des autres éléments. Partant, le fait que le législateur ait clairement et expressément prévu que tous les fonctionnaires faisant partie d’une unité de négociation puissent voter sur l’accréditation, la révocation de l’accréditation, la grève et les offres finales, sans stipuler quoi que ce soit en ce qui a trait aux scrutins de ratification, signifie que le syndicat est libre de procéder comme bon lui semble à l’égard de ces questions. Le législateur, en réglementant la tenue de certains scrutins tout en demeurant muet à l’égard d’autres types de scrutins, s’est en réalité exprimé à cet égard. Les scrutins de ratification sont des créations du syndicat et, par conséquent, sont régis par le syndicat, et non par la Loi, la Commission, ou le ministre. Le syndicat n’est pas tenu de consulter ses membres, ni les fonctionnaires faisant partie de l’unité de négociation; il lui suffit de parvenir à un accord avec l’employeur et de l’accepter. Par conséquent, les dispositions relevées par le plaignant appuient plutôt la position des défendeurs, et non la sienne.

28 À l’époque à laquelle le juge Rand a rendu sa décision dans Ford Motor Co. of Canada, la question de l’exclusivité syndicale et des « ateliers syndicaux » était au cœur de la plupart des conflits de travail. Les syndicats avaient besoin du soutien des travailleurs pour s’acquitter pleinement du rôle qui leur incombait. Ce soutien consistait notamment à payer des cotisations, et la seule manière d’obtenir le versement des cotisations par tous les travailleurs était de négocier une clause d’exclusivité syndicale ou « d’ateliers syndicaux » avec l’employeur. Le juge Rand a imposé une solution de rechange au régime de l’exclusivité syndicale ou des ateliers syndicaux, soit le versement obligatoire des cotisations syndicales par tous les employés, sans qu’ils soient pour autant obligés d’adhérer au syndicat. Les extraits suivants de cette décision sont d’un intérêt particulier en l’espèce :

[Traduction]

[…]

J’estime alors qu’il est tout à fait équitable que tous les employés soient appelés à assumer leur part des dépenses servant à administrer la loi régissant leur emploi, soit leur convention collective; ils doivent en assumer à la fois les inconvénients et les avantages. L’obligation de verser des cotisations devrait en principe les inciter à adhérer au syndicat, ce qui devrait alors promouvoir un plus grand intérêt envers le syndicat et sa régie interne, une condition préalable à une responsabilisation progressive.

[…]

Un employé devrait avoir le droit d’adhérer au syndicat en versant des frais d’adhésion et en se conformant aux statuts constitutifs et aux règlements internes du syndicat.

[…]

29 Voilà comment le juge Rand a trouvé un équilibre judicieux entre les intérêts divergents en présence dans les usines de la Ford Motor Co. of Canada dans les années 40. Sa solution a survécu jusqu’à ce jour. La fonction publique fédérale est en quelque sorte un « atelier ouvert » dans lequel l’adhésion au syndicat n’est ni une condition d’emploi, ni une condition de maintien en emploi, comme c’est le cas dans plusieurs milieux de travail syndiqués du secteur privé. Comme l’a statué le juge Rand, les employés d’un atelier ouvert sont libres de signer une carte d’adhésion et d’adhérer au syndicat, mais tous sont tenus de verser des cotisations syndicales, car ils bénéficient tous des avantages que procurent la convention collective et la représentation syndicale. Toutefois, afin de jouir du privilège de la démocratie syndicale, ils doivent adhérer au syndicat. Nulle part ne trouve-t-on dans la décision du juge Rand ni dans la Loi quelque énoncé que ce soit voulant que le syndicat soit tenu d’accorder le droit de vote à des personnes qui n’en sont pas membres, sur des questions à l’égard desquelles il n’est pas légalement obligé de tenir un scrutin.

30 Lorsqu’un syndicat obtient son accréditation à titre d’agent négociateur, il acquiert de ce fait le droit exclusif et la responsabilité de négocier les conditions de travail des employés faisant partie de l’unité de négociation. Dans le cadre du processus de négociation, le syndicat peut consulter les employés, de manière informelle ou formelle par la tenue d’un scrutin, sur les propositions faites dans le cadre des négociations, les priorités des négociations, et l’acceptation de l’accord préliminaire à laquelle il est parvenu avec l’employeur, le cas échéant. Il n’y est cependant pas obligé de le faire. Si le syndicat décide de consulter officiellement les fonctionnaires qu’il représente au moyen d’un scrutin, il est maître de ce processus et peut décider, comme dans le présent cas, de restreindre la participation au scrutin à ses membres, et de refuser ce droit aux fonctionnaires qui ont choisi de ne pas adhérer au syndicat. Il ne s’agit pas là d’une pratique déloyale de travail.

31 La procédure régissant la tenue des scrutins de ratification, y compris le fait d’accorder ou non le droit de vote aux non-membres du syndicat, relève de l’IPFPC, et non de la Loi. Par conséquent, il s’agit d’une affaire interne au syndicat dans laquelle la Commission n’a pas à intervenir. La jurisprudence a maintes fois réitéré, notamment dans White et dans Bracciale et al., que la Commission n’a pas compétence à l’égard des affaires internes d’un syndicat, sauf disposition contraire dans la Loi.

32 Le plaignant a allégué que les défendeurs avaient manqué à leur devoir de représentation équitable prévu à l’article 187 de la Loi. Afin d’étayer une telle plainte, le plaignant doit établir que les défendeurs ont agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi. Le plaignant a soutenu que la politique du syndicat en la matière était arbitraire, discriminatoire et empreinte de mauvaise foi, en ce qu’elle « favorise les membres de l’IPFPC ». Or, il n’y a aucune preuve établissant que les défendeurs aient agi de manière discriminatoire envers le plaignant, aucune preuve n’ayant été présentée établissant que la politique en cause n’avait pas été appliquée de manière uniforme ou qu’elle prenait en compte des considérations inopportunes. Qui plus est, la politique en cause est fondée sur des principes existant de longue date et entérinées par les lois, et sa teneur ne peut être interprétée comme constituant une violation de l’article 187 de la Loi.

33 Je conclus que les défendeurs n’ont pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou de mauvaise foi dans leur représentation du plaignant. Ils n’ont pas non plus cherché, par menace ou mesures coercitives, à obliger le plaignant à adhérer au syndicat. Par conséquent, ils n’ont pas contrevenu aux articles 187 ou 189 de la Loi.

34 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

IV. Ordonnance

35 La plainte est rejetée.

Le 8 août 2012.

Traduction de la CRTFP

Renaud Paquet,
une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.