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Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé une plainte d’abus de pouvoir auprès du Tribunal au motif que la décision de la mettre en disponibilité résultait du parti pris de son gestionnaire et d’un processus inéquitable. L’intimé a présenté une requête demandant le rejet de la plainte. Il a soutenu que celle-ci a été déposée après l’écoulement du délai de 15 jours et que la plaignante n’avait fait état d’aucune circonstance exceptionnelle justifiant le dépôt tardif de sa plainte. Décision Le Tribunal a jugé que la plaignante a rempli l’une des conditions de dépôt d’une plainte, notamment celle qui consiste à faire l’objet d’une sélection aux fins de mise en disponibilité. La deuxième condition préalable est l’obligation pour l’administrateur général d’informer le fonctionnaire visé de sa mise en disponibilité imminente. Le terme «excédentaire» se rapporte seulement à la mise en disponibilité éventuelle d’un fonctionnaire. Il s’ensuit donc que le fait pour un administrateur général d’informer un fonctionnaire que son poste est déclaré excédentaire équivaut à un avis de mise en disponibilité future pour les besoins de recours devant le Tribunal. C’est justement la sélection aux fins de mise en disponibilité qui est en cause lorsqu’il s’agit d’une plainte en vertu de l’article 65 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP). Par conséquent, le moment approprié pour déposer une plainte au Tribunal en vertu de l’article 65(1) de la LEFP se situe à la fin du processus de sélection aux fins de mise en disponibilité et à partir de l’instant où le fonctionnaire visé est informé qu’il a fait l’objet d’une sélection pour mise en disponibilité et que son poste est déclaré excédentaire. En vertu de l’article 5 du Règlement du Tribunal, celui-ci peut proroger le délai de présentation d’une plainte, par souci d’équité. Le Tribunal a jugé que s’agissant d’une mise en disponibilité – mesure qui peut entraîner une perte d’emploi –, il est essentiel que l’administrateur général informe le fonctionnaire visé de son droit de recours auprès du Tribunal ainsi que des motifs et délais de présentation d’une plainte. Le Tribunal a conclu que la plaignante pouvait se prévaloir de circonstances exceptionnelles du fait que l’intimé ne l’avait pas informée de son droit de porter plainte devant le Tribunal, des motifs de plainte ni du délai connexe. Par souci d’équité, le Tribunal a jugé que ces circonstances exceptionnelles justifiaient une prorogation du délai de présentation de la plainte. Requête rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2011-0720
Décision
rendue à :

Ottawa, le 17 février 2012

TERESA TRAN
Plaignante
ET
LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Requête demandant le rejet de la plainte
Décision :
La requête est rejetée
Décision rendue par :
Merri Beattie, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Tran c. le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0003

Motifs de décision


Introduction


1 Le 22 septembre 2011, la plaignante, Teresa Tran, a déposé une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) au motif que la décision de la mettre en disponibilité résultait du parti pris de son gestionnaire et d'un processus inéquitable.

2 L'intimé, le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, a pour sa part présenté une requête demandant le rejet de la plainte. L'intimé soutient que la plainte a été déposée après l'écoulement du délai de 15 jours et que la plaignante n'a fait état d'aucune circonstance exceptionnelle justifiant le dépôt tardif de sa plainte.

Contexte


3 En même temps que sa requête en rejet, l'intimé a présenté une lettre qu'il avait adressée à la plaignante le 11 août 2011 pour l'informer que son poste de tailleur sur mesure (GS-MPS-07) avait été déclaré excédentaire en raison d'un manque de travail. Dans cette lettre, la plaignante était également informée que l'intimé ne pouvait lui garantir aucune offre d'emploi raisonnable et que, en conséquence, il lui offrait le choix parmi trois options. Deux de ces options consistaient en des indemnités financières qui pouvaient lui être versées sous réserve de conditions ayant trait à son départ de la fonction publique. L'autre option prévoyait une période de priorité de fonctionnaire excédentaire de 12 mois, suivie d'une mise en disponibilité, dans l'éventualité où la plaignante ne réussirait pas à trouver de poste pendant cette période.

4 La plaignante a présenté sa plainte en vertu de l'article 65(1) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP), qui établit les deux conditions préliminaires à la présentation d'une plainte au Tribunal. Ces deux conditions sont les suivantes : le plaignant doit avoir été informé de sa mise en disponibilité imminente, et le plaignant doit avoir été sélectionné aux fins de mise en disponibilité.

5 Une mise en disponibilité dans la fonction publique entraîne des conséquences évidentes et préoccupantes pour les fonctionnaires. Par conséquent, le Tribunal a organisé une téléconférence avec les parties, après quoi il leur a demandé de présenter des observations écrites au sujet de l'interprétation des articles 64 et 65 de la LEFP et de l'article 21 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (le REFP), en ce qui a trait à l'affaire en l'espèce et à la compétence du Tribunal pour instruire la plainte et statuer sur elle.

Questions en litige


6 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. Les circonstances entourant l'affaire en l'espèce donnent-elles lieu au droit de porter plainte devant le Tribunal en vertu de l'article 65(1) de la LEFP?
  2. Est-il justifié de proroger le délai prévu pour la présentation de la plainte?

Argumentation des parties – Droit de porter plainte

7 La plaignante n'a pas présenté d'argumentation par rapport au fondement juridique de la plainte. Elle affirme que le Tribunal a accueilli une plainte semblable présentée par un autre plaignant.

8 L'intimé estime que les circonstances entourant l'affaire en l'espèce permettent à la plaignante de se prévaloir du droit de porter plainte devant le Tribunal en vertu de l'article 65(1) de la LEFP.

9 L'intimé soutient que l'article 64 de la LEFP confère aux administrateurs généraux le pouvoir de mettre en disponibilité des fonctionnaires dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur de l'administration publique fédérale. L'intimé avance d'autre part qu'en vertu de l'article 64(2) de la LEFP, la façon de choisir les fonctionnaires qui seront mis en disponibilité est déterminée par le REFP. De fait, l'article 21 du REFP stipule que les administrateurs généraux doivent évaluer le mérite des fonctionnaires qui occupent des postes semblables ou exercent des fonctions semblables des mêmes groupes et niveaux professionnels dans un secteur donné de l'organisation relevant de l'administrateur général. Ce dernier doit déterminer, en fonction du mérite, quels fonctionnaires seront maintenus en poste et quels fonctionnaires seront informés de leur mise en disponibilité.

10 L'intimé confirme que la plaignante a été choisie en vue d'une mise en disponibilité aux termes de l'article 64(2) de la LEFP et conformément à l'article 21 du REFP. Il affirme que la plaignante faisait partie des 7 personnes qui ont été informées que leur poste avait été déclaré excédentaire, sur les 14 fonctionnaires occupant un poste de tailleur sur mesure à l'atelier de confection.

11 L'intimé soutient que l'avis de statut d'excédentaire adressé à la plaignante le 11 août 2011 visait à l'informer qu'elle ferait l'objet d'une mise en disponibilité en vertu de l'article 65(1) de la LEFP.

12 L'intimé avance que les articles 64 et 65 de la LEFP décrivent une situation où un fonctionnaire est informé qu'il sera mis en disponibilité plutôt qu'une situation où un fonctionnaire a déjà été mis en disponibilité. L'intimé est d'avis que cette distinction se retrouve dans les divers articles de la LEFP portant sur les droits de priorité, notamment les articles 40 et 41.

13 De plus, l'intimé soutient que le droit de recours d'un fonctionnaire devant le Tribunal en ce qui a trait à une mise en disponibilité se limite à la question du choix du fonctionnaire à mettre en disponibilité, conformément à l'article 64 de la LEFP et à l'article 21 du REFP. Il ajoute que l'article 65(2) de la LEFP ne permet pas de porter plainte sur d'autres aspects de la mise en disponibilité. Par conséquent, selon l'intimé, le moment approprié pour présenter une telle plainte correspond à la date à laquelle le choix des personnes à mettre en disponibilité est arrêté.

14 L'intimé soutient par ailleurs que, par souci d'équité, un fonctionnaire qui est informé qu'il a été choisi en vue d'une mise en disponibilité ne devrait pas être tenu d'attendre de connaître la date exacte de la mise en disponibilité pour pouvoir présenter une plainte en vertu de l'article 65(1) de la LEFP. Le fait d'assurer la proximité dans le temps entre le processus de plainte du Tribunal et le processus de sélection en vue d'une mise en disponibilité est la méthode qui cause le moins de perturbations à la fois pour les plaignants et pour le milieu de travail dans son ensemble.

15 La Commission de la fonction publique (CFP) soutient que l'objet d'une plainte présentée en vertu de l'article 65(1) de la LEFP est le choix du fonctionnaire à mettre en disponibilité et non la mise en disponibilité elle-même. La CFP explique que pour statuer sur une plainte présentée en vertu de l'article 65(1) de la LEFP, le Tribunal doit examiner le processus adopté par l'administrateur général en vertu de l'article 21(1) du REFP afin de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans la décision de mettre en disponibilité un plaignant.

16 La CFP fait en outre valoir que pour qu'un fonctionnaire obtienne un droit de priorité de fonctionnaire excédentaire en vertu de l'article 40 de la LEFP, il doit d'abord avoir été informé de sa mise en disponibilité et, dans un contexte où seulement certains des fonctionnaires d'une partie de l'organisation sont informés de leur mise en disponibilité, il doit d'abord avoir été sélectionné aux fins de mise en disponibilité.

17 La CFP fait remarquer que, comme le prévoient l'article 40 de la LEFP et l'article 5 du REFP, un fonctionnaire qui a été sélectionné en vue d'une mise en disponibilité peut être nommé ou muté à un poste avant sa mise en disponibilité. La CFP soutient que le législateur n'a certainement pas eu l'intention de faire en sorte qu'un fonctionnaire sélectionné en vue d'une mise en disponibilité en raison d'un abus de pouvoir, et qui serait ensuite nommé ou muté avant sa mise en disponibilité, ne dispose d'aucun recours devant le Tribunal en ce qui a trait à sa sélection en vue d'une mise en disponibilité. La CFP ajoute que le fait d'être sélectionné en vue d'une mise en disponibilité entraîne des conséquences négatives et préoccupantes pour le fonctionnaire, même si celui-ci réussit à obtenir une nomination ou une mutation à un autre poste. La réinstallation involontaire en est un exemple.

18 Par conséquent, la CFP soutient que le moment approprié pour se prévaloir de son droit de recours devant le Tribunal est le moment où le fonctionnaire reçoit le premier avis de sa sélection en vue d'une mise en disponibilité, selon l'interprétation qui se dégage de la lecture en parallèle de la LEFP et du REFP.

Analyse – Droit de porter plainte

19 Les articles 64 et 65 de la LEFP, reproduits ci-dessous, s'appliquent en l'espèce.

64. (1) L'administrateur général peut, conformément aux règlements de la Commission, mettre en disponibilité le fonctionnaire dont les services ne sont plus nécessaires faute de travail, par suite de la suppression d'une fonction ou à cause de la cession du travail ou de la fonction à l'extérieur des secteurs de l'administration publique fédérale figurant aux annexes I, IV ou V de la Loi sur la gestion des finances publiques; le cas échéant, il en informe le fonctionnaire.

(2) Dans les cas où il décide dans le cadre du paragraphe (1) que seulement certains des fonctionnaires d'une partie de l'administration seront mis en disponibilité, la façon de choisir les fonctionnaires qui seront mis en disponibilité est déterminée par les règlements de la Commission.

(3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas dans les cas où le fonctionnaire est licencié dans les circonstances prévues à l'alinéa 12(1)f) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

(4) Le fonctionnaire mis en disponibilité perd sa qualité de fonctionnaire.

65. (1) Dans les cas où seulement certains des fonctionnaires d'une partie de l'administration sont informés par l'administrateur général qu'ils seront mis en disponibilité, l'un ou l'autre de ces fonctionnaires peut présenter au Tribunal, dans le délai et selon les modalités fixés par règlement de celui-ci, une plainte selon laquelle la décision de le mettre en disponibilité constitue un abus de pouvoir.

(2) Le paragraphe (1) ne permet pas de se plaindre de la décision de procéder par mise en disponibilité, de la détermination de la partie de l'administration au sein de laquelle se fait la mise en disponibilité ni du nombre de fonctionnaires qui sont mis en disponibilité.

(3) Le plaignant, les autres fonctionnaires de la partie de l'administration en cause, l'administrateur général et la Commission ou leurs représentants ont le droit de se faire entendre par le Tribunal.

(4) S'il juge la plainte fondée, le Tribunal peut annuler la décision de mettre le plaignant en disponibilité et ordonner à l'administrateur général de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées; il ne peut toutefois ordonner la mise en disponibilité d'un fonctionnaire.

(5) Le plaignant qui soulève une question liée à l'interprétation ou à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne en donne avis à la Commission canadienne des droits de la personne conformément aux règlements du Tribunal.

(6) Dans les cas où elle est avisée dans le cadre du paragraphe (5), la Commission canadienne des droits de la personne peut présenter ses observations au Tribunal relativement à la question soulevée.

(7) Lorsqu'il décide si la plainte est fondée, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, sauf les dispositions de celle-ci sur le droit à la parité salariale pour l'exécution de fonctions équivalentes.

(8) Les ordonnances prévues à l'alinéa 53(2)e) et au paragraphe 53(3) de a Loi canadienne sur les droits de la personne peuvent faire partie des mesures correctives.

20 L'article 21 du REFP, libellé comme suit, établit le processus de sélection des fonctionnaires en vue d'une mise en disponibilité :

21.(1) Lorsque les services d'un ou de plusieurs fonctionnaires d'un secteur de l'administration ne sont plus nécessaires aux termes de l'article 64 de la Loi, l'administrateur général évalue le mérite des fonctionnaires qui occupent des postes semblables ou exercent des fonctions semblables des mêmes groupe et niveau professionnels dans ce secteur et désigne, en fonction du mérite, lesquels seront conservés pour l'accomplissement des fonctions permanentes de ce secteur de même que ceux des fonctionnaires restants qui seront informés que leurs services ne sont plus nécessaires et qui seront mis en disponibilité.

(2) L'administrateur général consigne les motifs sur lesquels il a fondé son choix.

(3) Malgré le paragraphe (1), la détermination des fonctionnaires à mettre en disponibilité au sein du groupe de réparation des navires du ministère de la Défense nationale est fondée sur une combinaison de facteurs de mérite et d'ancienneté et est faite en collaboration avec les agents négociateurs concernés.

(4) Malgré le paragraphe (1), si un fonctionnaire se propose pour une mise en disponibilité, l'administrateur général peut l'informer que ses services ne sont plus nécessaires et le mettre en disponibilité.

(5) L'administrateur général avise par écrit :

  1. la Commission du nom des fonctionnaires qui seront mis en disponibilité conformément au présent article et de la date prévue de leur mise en disponibilité;
  2. tout fonctionnaire qui est informé que ses services ne sont plus nécessaires de la date prévue de sa mise en disponibilité.

(6) Les paragraphes (1) à (5) ne s'appliquent pas à l'égard des fonctionnaires nommés pour une période déterminée.

21 Dans la décision Molander c. Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, 2007 TDFP 0042, le Tribunal a examiné ces dispositions conjointement et a conclu que l'une des conditions préalables à la présentation d'une plainte en vertu de l'article 65(1) de la LEFP était le choix de la plaignante en vue d'une mise en disponibilité.

22 Aux termes de l'article 21 du REFP, lorsqu'un administrateur général est responsable d'un groupe de fonctionnaires occupant des postes semblables ou exerçant des fonctions semblables au sein des mêmes groupe et niveau d'une partie de son organisation et que seulement certains de ces fonctionnaires doivent être mis en disponibilité, l'administrateur général doit déterminer quels fonctionnaires seront maintenus en poste sur la base du mérite. Les fonctionnaires qui ne sont pas maintenus en poste sont sélectionnés aux fins d'une mise en disponibilité et remplissent donc l'une des exigences pour présenter une plainte au Tribunal en vertu de l'article 65(1) de la LEFP.

23 En l'espèce, il n'y a aucun doute quant au fait que la plaignante avait été sélectionnée en vue d'une mise en disponibilité au sens de l'article 64(2) de la LEFP lorsqu'elle a présenté sa plainte. Par conséquent, elle remplit l'une des conditions de dépôt d'une plainte en vertu de l'article 65(1) de la LEFP.

24 La deuxième condition préalable énoncée à l'article 65(1) de la LEFP est l'obligation pour l'administrateur général d'informer le fonctionnaire visé de sa mise en disponibilité imminente. En l'espèce, la plaignante a été informée par la lettre datée du 11 août 2011 que son poste avait été déclaré excédentaire.

25 Le terme « excédentaire » n'apparaît dans aucune disposition de la LEFP. Il apparaît toutefois dans la note figurant en marge de l'article 40 de la LEFP. La période de validité de la priorité de fonctionnaire excédentaire qui est décrite à l'article 40 de la LEFP commence dès que le fonctionnaire est informé par l'administrateur général qu'il sera mis en disponibilité et se termine au moment où la mise en disponibilité entre en vigueur. Dans la LEFP, le terme « excédentaire » se rapporte uniquement à la mise en disponibilité éventuelle d'un fonctionnaire. Il s'ensuit donc que le fait pour un administrateur général d'informer un fonctionnaire que son poste est déclaré excédentaire équivaut à un avis de mise en disponibilité future pour les fins du recours prévu par l'article 65(1) de la LEFP.

26 Comme l'a fait remarquer la CFP dans ses observations, la situation d'un fonctionnaire peut varier entre le moment où il est informé de sa mise en disponibilité future et la date de la prise d'effet de sa mise en disponibilité. En l'espèce, la plaignante s'est vu proposer trois options, dont deux ne devaient pas mener à une mise en disponibilité en tant que telle. Or, comme il est précisé à l'article 65(2) de la LEFP, aucune plainte ne peut être présentée à l'encontre de la décision de mettre un fonctionnaire en disponibilité. C'est plutôt la sélection d'un fonctionnaire en vue d'une mise en disponibilité qui est en cause lorsqu'il s'agit d'une plainte déposée en vertu de l'article 65(1) de la LEFP.

27 Aux termes de l'article 65(1) de la LEFP, un fonctionnaire peut présenter une plainte au motif que la décision de le mettre en disponibilité constituait un abus de pouvoir. Le rôle du Tribunal lorsqu'il s'agit d'examiner une plainte présentée en vertu de l'article 65(1) de la LEFP est semblable au rôle qu'il exerce lorsqu'il doit statuer sur une plainte présentée en vertu de l'article 77(1) de la LEFP; dans cette dernière situation, le Tribunal doit déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans la décision de ne pas nommer un fonctionnaire ou de ne pas proposer sa nomination. Les deux types de plainte renvoient au processus adopté par l'administrateur général et qui a mené à un résultat défavorable pour le plaignant. De plus, les deux types de processus doivent être fondés sur le mérite, selon l'article 30 de la LEFP pour ce qui est des processus de nomination et selon l'article 21 du REFP pour ce qui concerne la sélection en vue d'une mise en disponibilité.

28 Par conséquent, le Tribunal conclut que le moment approprié pour présenter une plainte au Tribunal en vertu de l'article 65(1) de la LEFP se situe à la fin du processus de sélection aux fins de mise en disponibilité et à partir de l'instant où le fonctionnaire visé est informé qu'il a fait l'objet d'une sélection pour mise en disponibilité et que son poste est déclaré excédentaire.

29 Pour les raisons exposées ci-dessus, le Tribunal juge que les circonstances en l'espèce donnent lieu au droit de présenter une plainte au Tribunal en vertu de l'article 65(1) de la LEFP.

Délai de présentation de la plainte

30 L'intimé soutient que la plainte en l'espèce n'a pas été présentée dans les délais requis et devrait, de ce fait, être rejetée. Il soutient qu'aux termes de l'article 10 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116 (le Règlement du TDFP), la plaignante disposait d'un délai de 15 jours à partir du 11 août 2011 – date de la lettre adressée à la plaignante – pour présenter une plainte. Or, ce n'est que le 22 septembre 2011 que la plaignante a présenté sa plainte.

31 L'article 10 du Règlement du TDFP établit ainsi la date limite de présentation d'une plainte au Tribunal :

10. (1) La plainte est reçue par le Tribunal dans les quinze jours suivant la date, selon le cas :

  1. où l'avis de mise en disponibilité, de révocation, de nomination ou de proposition de nomination en faisant l'objet a été reçu par le plaignant;
  2. figurant sur l'avis, s'il s'agit d'un avis public.

[caractères gras ajoutés]

32 Il est bien établi dans la jurisprudence du Tribunal que le délai de présentation d'une plainte est strict. Voir, par exemple, la décision MacDonald c. L'administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 0002. Le Tribunal a d'ailleurs rejeté plusieurs plaintes au motif qu'elles avaient été déposées après écoulement du délai strict, en l'absence de circonstances exceptionnelles qui auraient pu empêcher le plaignant de déposer une plainte dans le délai prescrit.

33 Toutefois, l'article 5 du Règlement du TDFP permet à celui-ci de proroger le délai de présentation d'une plainte, par souci d'équité.

34 Dans sa lettre datée du 11 août 2011, l'intimé n'a pas informé la plaignante de son droit de recours auprès du Tribunal, des motifs lui permettant de présenter une plainte, ni du délai pour le faire.

35 La LEFP ne traite pas de la façon d'informer les fonctionnaires de leur droit de recours auprès du Tribunal. L'article 22(2)i) de la LEFP autorise toutefois la CFP à prendre des règlements concernant la façon de mettre en disponibilité les fonctionnaires et de choisir les fonctionnaires qui seront mis en disponibilité, aux fins de l'article 64. La CFP a en outre le pouvoir, en vertu de l'article 29(3) de la LEFP, d'établir des lignes directrices concernant la façon d'effectuer et de révoquer des nominations et de prendre des mesures correctives. Il n'existe aucun pouvoir législatif correspondant dans la LEFP en ce qui concerne les mises en disponibilité.

36 Pour ce qui est des nominations, la CFP a abordé la question de l'avis de recours dans des règlements et des lignes directrices, comme elle est autorisée à le faire en vertu de la LEFP. Selon l'article 13 du REFP, lorsqu'il s'agit de nominations intérimaires de quatre mois ou plus, la CFP ou son délégué doit informer les personnes se trouvant dans la zone de recours de leur droit de porter plainte et des motifs pour le faire. Les lignes directrices de la CFP en matière de notification établissent la même exigence pour toutes les autres nominations. Les administrateurs généraux sont tenus de se conformer aux exigences du REFP et des lignes directrices de la CFP.

37 Le Tribunal a toujours jugé que, pour que les plaintes liées à une nomination soient considérées hors délai, l'intimé doit d'abord avoir fourni un avis approprié, précisant notamment le droit de recours devant le Tribunal et les motifs connexes. Dans les cas où le Tribunal a déterminé que l'intimé n'avait pas fourni d'avis approprié, il a jugé que la plainte n'avait pas été présentée hors délai. Voir, par exemple, la décision Sherif c. le sous-ministre d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2006 TDFP 0003.

38 L'avis de recours n'est pas mentionné à l'article 21 du REFP portant sur la sélection aux fins de mise en disponibilité. Toutefois, la CFP a élaboré une Série d'orientation, comprenant notamment le Guide de sélection des fonctionnaires aux fins de maintien en poste et de mise en disponibilité (Guide), qu'elle a fourni avec ses observations. Le Guide énonce clairement qu'un administrateur général doit aviser le fonctionnaire de son droit de recours et des motifs connexes lorsqu'il est sélectionné en vue d'une mise en disponibilité.

39 Bien que les administrateurs généraux ne soient pas tenus de suivre le Guide, contrairement aux règlements et aux lignes directrices, le Tribunal estime que, par souci d'équité, les fonctionnaires doivent être informés des mécanismes de recours qui s'offrent à eux lorsqu'ils sont sélectionnés en vue d'une mise en disponibilité.

40 Le préambule de la LEFP mentionne l'équité et la transparence à titre de valeurs clés qui doivent caractériser les pratiques d'emploi à la fonction publique. De plus, la Cour suprême du Canada a jugé, dans la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, que l'équité procédurale s'appliquait aux décisions administratives ayant une incidence sur les droits, les privilèges ou les intérêts d'une personne. Pour déterminer si une procédure est équitable, il faut tenir compte du contexte législatif particulier et des droits qui entrent en jeu.

41 L'esprit général de la LEFP vise à faire en sorte que les gens soient informés de leur droit de recours lorsque des nominations sont effectuées – même s'il s'agit de nominations temporaires – et qu'ils ont perdu l'occasion d'obtenir un autre poste. Le Tribunal juge que dans le cas d'une mise en disponibilité – mesure qui peut entraîner une perte d'emploi – il est essentiel que l'administrateur général informe le fonctionnaire de son droit de recours auprès du Tribunal ainsi que des motifs et délais de présentation d'une plainte.

42 Le Tribunal conclut que Mme Tran peut se prévaloir de circonstances exceptionnelles du fait que l'intimé ne l'avait pas informée de son droit de porter plainte devant le Tribunal, des motifs de plainte ni du délai connexe. Par souci d'équité, le Tribunal juge que ces circonstances exceptionnelles justifient une prorogation du délai de présentation de la plainte.

43 Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal déboute l'intimé de sa requête demandant le rejet de la plainte. Le délai dont Mme Tran pouvait se prévaloir pour présenter une plainte est ainsi prolongé jusqu'au 22 septembre 2011. Le Tribunal accepte par conséquent la plainte qu'elle a présentée concernant sa sélection aux fins de mise en disponibilité, et il accepte donc d'instruire cette plainte et de statuer sur elle.


Merri Beattie
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2011-0720
Intitulé de la cause :
Teresa Tran et le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada
Audience :
Instruction sur dossier
Date des motifs :
Le 17 février 2012
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