Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a demandé la récusation de la formation de la Commission nommée pour instruire sa plainte, alléguant que le commissaire était partial envers elle, parce qu’il avait rejeté deux plaintes connexes - la Commission a conclu que, selon toute vraisemblance, il n’y avait aucune raison de statuer qu’une personne, qui est au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et capable de procéder avec un esprit ouvert à l’examen prudent et détaché du présent cas, pourrait avoir une crainte raisonnable de partialité de la part de la formation de la Commission relativement aux questions à trancher et craindre que la preuve et les arguments qui seraient présentés seraient ignorés. Demande rejetée.

Contenu de la décision



Code canadien du travail

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  • Date:  2012-08-31
  • Dossier:  560-34-54
  • Référence:  2012 CRTFP 89

Devant une formation
de la Commission des relations
de travail dans la fonction publique


ENTRE

SAMANTHA SCHARF

plaignante

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défenderesse

Répertorié
Scharf c. Agence du revenu du Canada

Affaire concernant une plainte visée à l’article 133 du Code canadien du travail

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Joseph W. Potter, une formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique

Pour la plaignante:
Elle-même

Pour la défenderesse:
Anne-Marie Duquette, avocate

Décision rendue sur la base d’arguments écrits
déposés les 17 mai, 26 juin et 5 juillet 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Demande devant la Commission

1 Le 12 février 2009, Samantha Scharf a déposé une plainte en vertu de l’article 133 du Code canadien du travail, L.R.C., 1985, ch. L-2. Dans une lettre datée du 20 avril 2012, elle a demandé ma récusation de ce dossier. La présente décision traite de la demande de récusation formulée à mon égard.

II. Contexte

2 La plainte de Mme Scharf a un certain lien avec les plaintes présentées dans Babb c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 47, et Lapointe c. Agence du revenu du Canada, 2012 CRTFP 48. Au départ, la plainte en l’instance et celles dans Babb et Lapointe ont été réunies aux fins de la preuve, et j’ai été nommé à titre de formation de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission ») afin d’instruire ces trois plaintes. Le greffe de la Commission (le « greffe ») a proposé des dates d’audience conjointes pour l’instruction de ces plaintes.

3 Dans une lettre datée du 11 septembre 2009, Mme Scharf a informé le greffe notamment de ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je vous renvoie à la copie ci-jointe du courriel que je vous ai envoyé le 12 juin 2009, dans lequel je vous avisais que je ne pouvais pas confirmer mon acceptation des dates d’audience que vous proposiez, car je ne suis pas au travail actuellement et que je suis aux prises avec un trouble médical non résolu […] Lorsque mon médecin traitant décidera que je suis apte à retourner au travail et à participer à une audience en milieu de travail, je vous aviserai.

[…]

À la suite de cette communication, la plainte de Mme Scharf a été reportée. Les plaintes dans Babb et Lapointe ont également été reportée.

4 Le 16 août 2011, le greffe a reçu une lettre de l’avocat de l’époque de Mme Scharf, lequel énonçait en partie ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Comme suite à votre correspondance du 10 août […], j’ai consulté Mme Scharf, et elle est disposée à procéder selon les mêmes modalités que celles souhaitées par M. Babb.

[…]

Le lendemain, Mme Scharf a envoyé un courriel au greffe précisant qu’elle n’était plus représentée par un avocat. Mme Scharf a mentionné qu’elle se représenterait dorénavant elle-même.

5 À ma demande, le greffe a proposé de tenir une conférence préparatoire à l’audience au mois de septembre 2011 afin de discuter de dates d’audience relativement à la plainte de Mme Scharf ainsi qu’à celles relatives à Babb et Lapointe; ces trois affaires étaient alors réunies aux fins de la preuve. Mme Scharf a répondu à cette proposition par un courriel daté du 18 août 2011, déclarant notamment ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Je regrette, mais je ne suis pas disponible.

[…]

J’ai l’intention — à titre de personne se représentant elle­même et aussi à titre de personne atteinte d’une invalidité […] — de fournir mon observation initiale au moyen d’arguments écrits à la Commission, car je n’en serais pas capable dans une salle d’audience.

[…]

6 Dans une lettre datée du 26 août 2011, le greffe a informé Mme Scharf que j’avais disjoint sa plainte de celles concernant Babb et Lapointe. La lettre du greffe énonçait ce qui suit :

[Traduction]

[…]

Afin de bien répondre aux besoins de toutes les parties en ce qui concerne l’arbitrage des affaires mentionnées ci-dessus, le commissaire affecté à cette fin a décidé que le dossier de Mme Scharf (560‑34‑54) sera disjoint administrativement des dossiers de M. Babb et de M. Lapointe (560‑34‑52 et 53). Par conséquent, les dates d’audience présentement à l’horaire ne concerneront que les dossiers 560‑34‑52 et 53, alors que l’audience du dossier 560‑34‑54 sera traitée séparément.

[…]

7 J’ai instruit les plaintes dans Babb et Lapointe à l’automne 2011, et rendu des décisions distinctes dans ces deux affaires le 18 avril 2012; chacune de ces décisions étaient fondées sur des éléments de preuve et des arguments distincts qui m’avaient été présentés dans chacune de ces deux affaires. J’ai rejeté chacune de ces plaintes pour des questions de compétence.

8 Dans l’intérim, la défenderesse a demandé que Mme Scharf fournisse des précisions au soutien de sa plainte. Mme Scharf, pour sa part, a demandé que la défenderesse lui divulgue des renseignements, et que l’audience ait lieu sur la base d’arguments écrits à titre de mesure d’adaptation à son égard. J’ai décidé de régler par écrit la question des précisions et de la divulgation des renseignements. J’ai aussi demandé à Mme Scharf de fournir à la défenderesse des précisions au soutien de sa plainte avant que je ne m’occupe de sa demande de divulgation. Elle a fourni des précisions dans une lettre datée du 20 avril 2012, dans laquelle elle a également formulé la demande qui suit :

[Traduction]

[…]

En fait, je désire préciser qu’hier et avant-hier (les 18 et 19 avril 2012), j’ai appris que la CRTFP avait rendu des décisions dans lesquelles elle rejetait les cas 560‑34‑52, David Babb c. Agence du revenu du Canada, et 560‑34‑53, Denis Lapointe c. Agence du revenu du Canada. Il convient d’observer qu’à l’origine, la CRTFP avait décidé de joindre ces deux plaintes à la mienne, le dossier 560‑34‑54 —qu’au départ, ces trois cas étaient le dossier 560‑34‑52 à 560‑34‑54, Babb, Lapointe et Scharf c. Agence du revenu du Canada. J’ai déjà pris connaissance des détails de la décision rejetant le dossier 560‑34‑53, et on m’a informé de la décision rendue dans le dossier 560‑34‑52 --- Je m’attends donc à ce que la CRTFP rejette également ma plainte. Comme je l’avais indiqué dans ma lettre adressée à la CRTFP en date du 5 septembre 2012, il semble que le sort réservé à ma plainte ait été réglé par la CRTFP il y quelque temps déjà. Je m’attends donc à ce que la CRTFP rejette ma plainte, tout comme elle l’a fait avec les deux autres — le rejet de toutes les plaintes avait d’ailleurs déjà été décidé dès le départ aussitôt après leur dépôt. En raison des décisions rendues de rejeter Babb et Lapointe, veuillez noter que je formule par la présente une demande officielle de récusation de l’arbitre de grief saisi de l’affaire 560‑34‑54 Scharf c. ARC. J’estime qu’il est compromis, partial, et incapable de rendre une décision autre qu’une décision que j’estime être déjà prédéterminée, soit celle de rejeter ma plainte, empêchant par là le déroulement d’un processus juste et transparent […]

[…]

III. Résumé de l’argumentation

9 Suivant mes instructions à cet égard, le 25 avril 2012 le greffe a demandé aux parties de déposer des arguments écrits au sujet de la question suivante :

[Traduction]

Si l’on se fonde sur le critère énoncé par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, et R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, est-ce qu’une personne — qui est bien renseignée au sujet de l’ensemble des circonstances pertinentes et capable de procéder avec un esprit ouvert à l’examen prudent, détaché et circonspect de ce cas — pourrait avoir une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission relativement aux questions à trancher dans le cadre de la présente affaire?

A. Pour la plaignante

10 Les arguments écrits de Mme Scharf, datés du 16 mai 2012 et déposés le 17 mai 2012, sont libellés comme suit :

[Traduction]

[…]

Est-ce que M. Joseph Potter est au courant de toutes les circonstances pertinentes? Non — aucunement — pas plus que lorsqu’il a rejeté les plaintes associées à celle-ci, soit les plaintes 560‑34‑52 et 560‑34‑53 (Babb et Lapointe c. ARC), en avril 2012.

[…]

[…] Je sais que David Babb a présenté beaucoup d’informations à [l’]avocate de l’AFPC [et que cette dernière] a glané des informations parmi celles-ci et a fourni à la CRTFP une version largement épurée de ces informations — Je sais également que Denis Lapointe n’avait pas prévu qu’il aurait à présenter une pléthore d’informations, ni que sa présentation n’était pas « complète ». Cela étant, le « commissaire » n’avait pas connaissance de l’ensemble des circonstances pertinentes à leurs plaintes, et a pourtant rendu une décision à cet égard.

[…]

La décision de Joseph Potter de rejeter les dossiers 560‑34‑52 et 560‑34‑53 sans au préalable demander et exiger la divulgation de renseignements vient appuyer ma position selon laquelle il traitera ma plainte de la même façon. Il est entendu qu’une audience aurait permis la divulgation d’une plus grande quantité de renseignements, mais cela a également été évité en raison du rejet de deux des trois affaires afférentes. J’ai toutes les raisons de croire — en me fondant sur ce que j’ai appris et ce que je sais — que ma plainte sera elle aussi rejetée […]

[…]

11 Mme Scharf croit que sa plainte sera rejetée, car les « précisions » qu’elle a fournies au soutien de sa plainte ne viennent pas entièrement étayer les fondements de sa plainte. Elle estime que toute la lumière ne pourra être faite à l’égard des faits en l’instance si elle n’a pas de témoignage à l’appui. Mme Scharf a écrit ceci à cet égard :

[Traduction]

[…]

[…] Joseph Potter ne pourrait certes pas procéder avec un esprit ouvert à l’examen prudent de cette plainte — la Commission (lui) ayant en outre déjà décidé qu’il n’était pas « possible » de donner une suite favorable à la mesure d’adaptation que j’avais demandée, tel qu’il a été mentionné dans son courriel daté du 9 septembre 2011. Joseph Potter a souligné qu’il était improbable que la Commission puisse procéder à l’instruction de mon affaire compte tenu de ma demande de mesure d’adaptation voulant que l’on procède par écrit (par opposition à une audience en personne ou par vidéoconférence) […]

[…]

Le courriel daté du 9 septembre 2011 auquel renvoie Mme Scharf est celui que j’ai envoyé au greffe de la Commission; il est libellé comme suit :

[Traduction]

[…]

[…] Mme Scharf a indiqué que la seule manière dont elle pourrait procéder serait de déposer des arguments écrits, et l’employeur ne consent pas à cette façon de procéder. Étant donné qu’il ne semble pas possible de lui trouver une salle d’audience (d’où la nécessité de disjoindre les dossiers), comment la Commission pourrait-elle procéder pour que sa cause soit entendue?

[…]

B. Pour la défenderesse

12 Le 26 juin 2012, la défenderesse a déposé sa présentation sur la question de la récusation laquelle se lit comme suit :

[Traduction]

[…]

Les principes généraux régissant la notion de crainte raisonnable de partialité ont été résumés par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique au paragraphe 7 de Taylor Ventures Ltd. (trustee of) v. Taylor, 2005 BCCA 350 :

  1. l’impartialité d’un juge est présumée;
  2. la partie exigeant la récusation doit établir que les circonstances justifient une conclusion que le juge doit être récusé;
  3. le critère applicable à la récusation est celui de la crainte raisonnable de partialité;
  4. la question consiste à déterminer ce qu’une personne informée, raisonnable et bien-pensante, qui a examiné la question de manière réaliste et pratique et y a mûrement réfléchi, conclurait;
  5. le critère de récusation n’est pas satisfait à moins qu’il soit établi en preuve que la personne informée, raisonnable et bien-pensante estimerait qu’il est plus vraisemblable qu’autrement que le juge, consciemment ou non, ne trancherait pas l’affaire de manière équitable;
  6. le critère nécessite que démonstration soit faite de motifs sérieux à propos desquels une telle crainte serait fondée;
  7. chaque affaire doit être appréciée dans son contexte et l’enquête à cet égard doit porter sur des faits.

Dans Bennett v. British Columbia (Superintendent of Brokers), [1994] B.C.J. no 2489 (C.A.) (QL), le juge Taylor de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué que le fait qu’un décideur doive examiner de nouveau une question qui a été soulevée devant lui ou elle dans une affaire précédente ne constitue pas de ce fait une crainte raisonnable de partialité. Il s’exprime ainsi à ce sujet, au paragraphe 19 :

La réponse à cette question devrait être que, si le décideur a rendu une décision de façon convenable dès le début, c’est-à-dire une décision libre de toute influence externe ou autre influence indue – et à la lumière de la décision précédente de ce tribunal on ne pourrait ici prétendre le contraire – alors le fait que la deuxième décision ait été rendue dans le même sens que la première ne démontre ni plus ni moins que le décideur continue à être du même avis en ce qui a trait au droit applicable et à la preuve. Cela n’a assurément rien à voir avec la partialité. On pourrait certes craindre la cohérence du jugement lorsque la même question est soulevée à nouveau devant un décideur dans une instance judiciaire ou quasi-judiciaire, et il serait compréhensible alors que la partie dont les intérêts contre laquelle la première décision a été rendue pourrait préférer pour cette raison que cette question soit tranchée la deuxième fois par quelqu’un d’autre, mais assurément il est impossible qu’une crainte raisonnable de la cohérence du jugement de la part d’un décideur statuant la même question une deuxième fois puisse constituer une crainte de partialité de sa part. La première est la crainte que le décideur continue à percevoir le droit applicable et la preuve de la même façon que la fois précédente; la deuxième est la crainte que le décideur fasse fi du droit ou de la preuve présentée et tranche plutôt l’affaire en se fondant sur des considérations extrinsèques ou inappropriées.

À ce sujet, voir également :
(1) Bande indienne Wewaykum c. Canada;
(2) D.M.M. v. T.B.M.;
(3) Marchment & Mackay v. Ontario (Securities Commission), [2002] O.J., no 2840 (D.C.) (QL);
(4) Décision no WCAT-2006-02830, 2008 LNBCWCA 43;
(5) Various Property Owners v. Calgary (City), [2006] A.M.G.B.O., no 120 (Alberta Municipal Government Board) (QL);
(6) Brighten (Re), 2005 LNBCSC 529;
(7) Lee v. Toronto Hydro, [1997] O.L.R.D., no 4159 (Ontario Labour Relations Tribunal) (QL);
(8) Nova Scotia (Department of Transportation) and C.U.P.E., Loc. 1867, Re, [1990] N.S.L.A.A., no 20 (Nova Scotia Labour Arbitration Board) (QL).

[…]

C. Réfutation de la plaignante

13 La réfutation de Mme Scharf, datée du 4 juillet 2012 et déposée le 5 juillet, s’énonce comme suit :

[Traduction]

[…]

Ma « position » au sujet de la récusation de Joseph W. Potter a été formulée le 16 mai 2012 dans une lettre adressée à toutes les parties.

Je crois savoir que M. Potter s’est désigné lui-même comme décideur aux fins du contrôle de sa propre décision et pour statuer sur ma demande au sujet de sa récusation. Je n’ai rien d’autre à ajouter à mes arguments présentés à cet égard.

[…]

IV. Motifs

14 Dans sa demande de récusation, Mme Scharf a déclaré qu’elle me croyait incapable de rendre une décision fondée sur le bien-fondé de sa plainte et qu’il s’ensuivrait nécessairement que je rejetterais sa plainte pour les mêmes motifs que ceux énoncés dans Babb et Lapointe. Mme Scharf a également souligné que les plaintes dans Babb et Lapointe étaient similaires à la sienne.

15 Un arbitre de grief a statué relativement à une demande de récusation similaire dans Singaravelu c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 8. L’arbitre de grief a mentionné ce qui suit à ce sujet, aux paragraphes 25 à 27 de sa décision :

[25] Pour statuer sur la demande de récusation, je me reporte aux règles établies par la jurisprudence portant sur la notion de crainte raisonnable de partialité. Les principes applicables ont été énoncés par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty :

[…]

[… ] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, M. Crowe, consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? »

[…]

[26] La décision rendue dans Adams v. British Columbia (Workers’ Compensation La Commission) (1989), 42 B.C.L.R. (2d) 228 (C.A.C.-B)), nous fournit aussi des indications utiles sur la nature de la preuve requise pour démontrer l’existence d’une apparence de partialité:

[Traduction]

[…]

des preuves suffisantes pour démontrer à une personne raisonnable qu’il y a tout lieu de craindre que la personne contre laquelle [l’allégation] est formulée ne fera pas montre d’un esprit impartial […] de simples soupçons ne sauraient être considérés comme suffisants.

[…]

[…]

[27] Il s’ensuit que le fonctionnaire s’estimant lésé doit démontrer que, faisant abstraction de simples soupçons, une personne raisonnable et bien renseignée croirait, selon toute vraisemblance, que je suis partial et que je ne rendrai pas une décision juste. À l'appui de sa demande de récusation, fonctionnaire s’estimant lésé renvoie à des incidents qui sont survenus aux cours des six premiers jours d’audience. Je reprendrai ces incidents un à un et je déterminerai, comme le ferait toute personne raisonnable, s’ils donnent ouverture à une allégation de partialité.

16 Plus récemment, un autre arbitre de grief a traité une demande de récusation. Dans Exeter c. Administrateur général (Statistique Canada), 2012 CRTFP 25, aux paragraphes 27 et 28, il a énoncé les principes applicables comme suit :

[27] La question de savoir ce qui constitue une crainte raisonnable de partialité a fait l’objet de plusieurs décisions judiciaires. Dans la décision faisant autorité en la matière, Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie [1978] 1 R.C.S. 369, de la Cour suprême du Canada, le juge de Granpré, quoique dissident quant au fond de l’affaire, a élaboré aux pages 394 et 395 la définition suivante de ce qui constitue la crainte de partialité, qui a résisté à l’épreuve du temps :

[…]

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet […] ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. […]

Je ne vois pas de différence véritable entre les expressions que l’on retrouve dans la jurisprudence, qu’il s’agisse de « crainte raisonnable de partialité », « de soupçon raisonnable de partialité », ou « de réelle probabilité de partialité ». Toutefois, les motifs de crainte doivent être sérieux et je suis complètement d’accord avec la Cour d’appel fédérale qui refuse d’admettre que le critère doit être celui d’« une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne. »

[…]

L’extrait ci-dessus donne à penser que le critère de ce qui constitue une crainte raisonnable de partialité est tributaire des faits de l’affaire ainsi que des circonstances et des procédures dans leur ensemble.

[28] Dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, la Cour suprême du Canada a identifié les considérations suivantes comme étant pertinente pour déterminer ce qu’est un décideur impartial et les éléments dont il y lieu de tenir compte à cet égard :

  1. une personne bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes (page 531);
  2. une personne capable de procéder avec un esprit ouvert à l’examen prudent, détaché et circonspect de la réalité complexe de chaque cas (page 506);
  3. la question de savoir s’il y a crainte raisonnable de partialité doit être abordée avec une compréhension nuancée et contextuelle des éléments en litige (page 509).

17 Bien que les plaintes relatives à Babb et Lapointe aient été rejetées parce que la Commission n’était pas habilitée à leur égard, chacune des décisions rendues dans ces affaires était fondée sur les éléments de preuve et les arguments distincts qui ont été présentés à l’audience. Voilà justement ce qui est attendu d’un juge des faits : analyser la preuve et les arguments présentés par les parties et rendre une décision fondée sur la preuve qui lui est présentée et le droit applicable en l’occurrence. Des faits différents peuvent mener, ou non, à un résultat différent, et ce, en fonction du droit applicable aux faits ainsi présentés. Je suis convaincu qu’une personne raisonnable ne conclurait pas que sa plainte serait nécessairement rejetée sans égard au bien-fondé de sa plainte, et ce, malgré l’opinion de Mme Scharf à l’égard des similitudes entre sa plainte et celles relatives à Babb et Lapointe.

18 Je remarque que la plainte de Mme Scharf a déjà fait l’objet d’un traitement différent de celui réservé aux plaintes relatives à Babb et Lapointe : sa plainte a été disjointe des plaintes relatives à Babb et Lapointe justement parce que les circonstances qui lui sont propres sont différentes des deux autres plaintes. Cela explique, du moins en partie, pourquoi aucune décision n’a encore été rendue quant au bien-fondé de sa plainte. Par ailleurs, sa demande de divulgation de renseignements est toujours en suspens.

19 En l’espèce, je suis d’avis que, pour reprendre la formule employée par la Cour d’appel fédérale dans Committee for Justice and Liberty et al., les préoccupations de Mme Scharf relèvent de celles « […]d’une personne de nature scrupuleuse ou tatillonne ». Babb et Lapointe ont été tranchées à partir des faits propres à chacune de ces affaires et du droit applicable en l’instance. Lorsque Mme Scharf présentera ses arguments, une décision sera ensuite rendue à partir des faits qui s’y rapportent et des arguments présentés par Mme Scharf et la défenderesse. Je conclus que, selon toute vraisemblance, rien ne justifie de statuer en l’instance qu’une personne — qui est bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes et capable de procéder avec un esprit ouvert à l’examen prudent, détaché et circonspect du présent cas — pourrait avoir une crainte raisonnable de partialité à l’égard de la présente formation de la Commission relativement aux questions à trancher dans le cadre de la présente affaire et que cette formation ferait fi de la preuve et des arguments que Mme Scharf présentera au soutien de sa cause. Enfin, je suis rassuré par la lecture de l’opinion exprimée à cet égard par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans Taylor Ventures Ltd. (Trustee of) v. Taylor, 2005 BCCA 350, au paragraphe 9 :

[Traduction]

[…]

[9] Toute personne raisonnable, bien informée, accepterait l’assurance donnée par le juge qu’il ou elle déciderait de la cause uniquement en se fondant sur la preuve admise lors du procès. Cette obligation est à ce point intrinsèque à la fonction judiciaire que les préoccupations de l’appelant ne constituent rien de plus que des soupçons sans fondement.

[…]

20 Pour ces motifs, la Commission rend l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

21 La demande de récusation est rejetée.

Le 31 août 2012.

Traduction de la CRTFP

Joseph W. Potter,
Une formation de la
Commission des relations de travail
dans la fonction publique

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