Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés ont allégué que l’employeur avait enfreint la convention collective en ne leur fournissant pas un exposé complet et à jour des fonctions et responsabilités de leur poste d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile classifié au groupe et niveau CAI-2 - les descriptions de travail de leurs postes dataient de 1992 et de 1990 respectivement - avant l’audience, les parties ont conclu un protocole d’entente en vertu duquel l’employeur s’engageait à produire un exposé courant de leurs fonctions, lequel serait ensuite envoyé aux responsables de la classification des postes - l’employeur a produit une nouvelle description de travail générique, selon laquelle leur poste était classifié au groupe et niveau CAI-3 - il a fixé unilatéralement la date d’entrée en vigueur de la nouvelle description de travail au 1er avril 2010 - la preuve a établi que les fonctionnaires s’estimant lésés accomplissaient des fonctions qui ne figuraient pas dans leurs descriptions de travail antérieures - la nouvelle description de travail était un exposé complet et à jour des fonctions et des responsabilités - l’employeur n’a présenté aucune preuve expliquant pourquoi cette date d’entrée en vigueur avait été choisie, et la preuve a établi qu’il n’y avait eu aucun changement important dans les fonctions des fonctionnaires s’estimant lésés entre le moment où ils avaient déposé leurs griefs et le 1er avril 2010 - l’arbitre de grief a statué qu’il ne pouvait faire fi des conclusions de la Cour d’appel fédérale dans Coallier - la date d’entrée en vigueur de la description de travail générique a été établie à 25 jours avant le dépôt des griefs. Griefs accueillis.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-01-24
  • Dossier:  566-02-2361 et 2363
  • Référence:  2012 CRTFP 9

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GORDON MANUEL ET MICHAEL REID

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(ministère des Transports)

employeur

Répertorié
Manuel et Reid c. Conseil du Trésor (ministère des Transports)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
George Filliter, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés:
Philip Hunt, avocat, Association des pilotes fédéraux du Canada

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
les 24 et 25 octobre et le 23 novembre 2011.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Les fonctionnaires s’estimant lésés, Gordon Manuel et Michael Reid (les « fonctionnaires »), travaillent pour le Conseil du Trésor (Transports Canada) (l’« employeur ») depuis plusieurs années. Pendant toute la période pertinente, M. Reid occupait le poste d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile – Aérodromes et navigation aérienne, et M. Manuel, celui d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile – Aviation civile et Aviation commerciale et d’affaires.  

2 Le 2 avril 2008, M. Manuel a déposé un grief. Le 2 juin 2008, M. Reid a déposé un grief semblable. J’ai été saisi de ces griefs. Les fonctionnaires ont soutenu que l’employeur avait enfreint la convention collective, l’article 33 en particulier. Plus précisément, les fonctionnaires ont soutenu que l’employeur ne leur avait pas fourni [traduction] « […] un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités ». La convention collective entre l’employeur et l’Association des pilotes fédéraux du Canada (le « syndicat ») a pris fin le 25 janvier 2008 (la « convention collective »).

II. Audience

3 Ces questions, ainsi qu’un troisième grief, devaient initialement faire l’objet d’une audience à Moncton (Nouveau‑Brunswick), en octobre 2009. Avant le début de l’audience, le 7 octobre 2009, les parties ont conclu un protocole d’entente, que voici :

[Traduction]

Attendu que les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires ») ont déposé des griefs alléguant une violation de l’article 33.01 de la convention collective signée le 6 octobre 2006 par l’agent négociateur et l’employeur (date d’échéance – le 25 janvier 2008);

Attendu que les fonctionnaires et l’agent négociateur ont renvoyé les griefs en question à l’arbitrage;

Attendu que le commissaire George Filliter a été nommé à titre d’arbitre de grief pour instruire et trancher ces renvois à l’arbitrage;

Les parties conviennent par la présente de régler ces renvois à l’arbitrage selon les points suivants :

1. Transports Canada produira un exposé à jour des fonctions pour les postes de chacun des fonctionnaires au plus tard le 31 mars 2010.

2. Transports Canada déterminera le contenu des exposés de fonctions à l’aide de groupes de discussion. Au moins un représentant de l’Association des pilotes fédéraux du Canada (l’« APFC »), membre de l’unité de négociation Navigation aérienne, sera invité à participer au groupe de discussion. De plus, un maximum de deux fonctionnaires parmi les six fonctionnaires s’estimant lésés pourra participer au groupe de discussion pertinent. La participation des membres de l’Association et des fonctionnaires ne sera pas obligatoire. Transports Canada produira les exposés à jour des fonctions demandés au plus tard le 31 mars 2010, peu importe la nature ou l’étendue de la participation, le cas échéant.

3. Dans les 30 jours suivant leur production, Transports Canada enverra les exposés à jour des fonctions aux responsables de la classification aux fins de cotation et de classification.

4. Compte tenu des engagements de l’employeur aux articles 2 et 3 du présent protocole d’entente, l’audience pour les six griefs en question est reportée au 30 avril 2010 ou après, à la discrétion de l’Association et des fonctionnaires.

5. Les parties conviennent que les avocats coopéreront pour fixer ensemble la date d’audience pour les six griefs en question au 30 avril 2010 ou après.

6. Les parties conviennent que l’arbitre de grief George Filliter demeurera saisi de ces questions.

7. Les parties conviennent que si l’Association et les fonctionnaires décident de renvoyer ces questions en audience, l’arbitre de grief en sera saisi et aura la compétence :

- de déterminer si les exposés à jour des fonctions qui étaient en place quand les griefs ont été déposés décrivaient de façon complète et courante les fonctions des postes à ce moment‑là et d’accorder la réparation qui, selon lui, est appropriée selon les circonstances, conformément à l’article 228 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

8. Tel qu’il a été mentionné ci-dessus, à la suite de l’audience, selon le cas, les parties devront s’entendre sur la date de l’application rétroactive des exposés courants des fonctions pour chaque poste. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, elles renverront conjointement les conflits en question à l’arbitre de grief Filliter.

9. L’Association accepte par la présente de suspendre le grief collectif (dossier de la CRTFP 567‑02‑20) qui doit être entendu à Ottawa le 13 novembre 2009 selon les mêmes conditions que les six griefs dont il est question.

10. Les parties conviennent que tous les autres griefs en vertu de l’article 33.01 auprès des unités opérationnelles de la Direction générale de l’aviation civile de Transports Canada seront réglés comme suit :

(a) Les parties se consulteront pour établir les similarités avec les griefs de la présente;

(b) Les griefs qui sont semblables ou identiques aux griefs de la présente seront réglés selon les conditions énoncées dans la présente.

11. Conformément à l’alinéa 223(2)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, les parties conviennent ensemble que le commissaire George Filliter sera l’arbitre de grief qui instruira tous les griefs décrits aux articles 9 et 10 du présent protocole d’entente si ces griefs sont renvoyés à l’arbitrage. Les parties conviennent de présenter cette demande à la présidence de la Commission.

III. Question

4 Au début de l’audience, les fonctionnaires ont confirmé que, dans l’ensemble, l’employeur avait respecté les conditions du protocole d’entente. Des groupes de discussion ont été formés et des représentants syndicaux ont activement participé au processus. Ainsi, une nouvelle description de travail générique a été publiée pour le poste d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile – Opérations de vol (pièce 3). L’employeur n’a pas respecté le délai du 31 mars 2009, mais l’avocat a confirmé que cela ne dérangeait pas les fonctionnaires et que je ne devais pas en tenir compte.

5 Les questions que je dois trancher sont les suivantes. Premièrement, je dois déterminer si l’employeur contrevenait à l’article 33 de la convention collective quand les fonctionnaires ont déposé leurs griefs. Si c’est le cas, je dois déterminer la réparation appropriée. Pour ce qui est de cette réparation, le syndicat et l’employeur ont convenu que j’aurai peut‑être à fixer la date d’entrée en vigueur des nouveaux exposés complets et courants des fonctions et responsabilités.

IV. Faits

6 Les deux fonctionnaires ont témoigné. Jennifer Taylor, directrice des Opérations nationales, et Arthur Allan, directeur régional de l’Aviation civile pour la région de l’Atlantique, ont été appelé à témoigner pour l’employeur. De plus, les parties ont accepté que soient présentées 14 pièces.

7 Après avoir entendu les preuves, je suis surpris de constater que très peu de questions sont vraiment en litige en ce qui concerne les faits pertinents.

8 Il est utile de citer le libellé de l’article 33 de la convention collective :

Sur demande écrite, l’employé reçoit un exposé complet et courant de ses fonctions et responsabilités, y compris le niveau de classification du poste et, le cas échéant, la cote numérique attribuée par facteur à son poste, ainsi qu'un organigramme décrivant le classement de son poste dans l'organisation.

9 À la date de dépôt de leur grief, la description de travail du poste de M. Manuel (inspecteur de la sécurité de l’aviation civile – Aéronefs) datait de 1992, et celle du poste de M. Reid (inspecteur de la sécurité de l’aviation civile – Aérodromes), de 1990 (pièce 4, onglets 1 et 2 respectivement).

10 Les parties ne contestent pas le fait que les descriptions de travail ont été l’objet d’un processus de classification effectué il y a quelque temps. À l’issue de ce processus, les postes visés par les descriptions de travail ont été classés dans la catégorie CAI‑2 (inspecteur de l’aviation civile 2).

11 Les fonctionnaires ont déclaré que leurs descriptions de travail n’étaient pas des exposés complets et courants de leurs fonctions et de leurs responsabilités. Ils ont parlé des nombreuses fonctions qu’ils exerçaient, en 2008, quand ils ont déposé leurs griefs, et qui ne figuraient pas dans leurs descriptions de travail. Par exemple, les deux fonctionnaires ont mentionné qu’ils se sont retrouvés avec des responsabilités additionnelles, en 2001, quand leur employeur leur a délégué certains pouvoirs.

12 M. Allan et Mme Taylor, quant à eux, ont déclaré que les descriptions de travail de 1990 et de 1992 correspondaient en très grande partie aux tâches accomplies par les fonctionnaires et que, par conséquent, ces descriptions pouvaient être considérées comme des exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités. Toutefois, je conclus qu’il est intéressant de constater que les deux témoins ont pris soin de ne pas témoigner que les descriptions de travail étaient complètement exactes, et qu’ils ont tous les deux mentionné que les fonctionnaires ont exercé, à partir de 2008, des tâches qui ne figuraient pas dans leurs descriptions de travail de 1990 et de 1992.

13 Conformément au protocole d’entente conclu en octobre 2009, le syndicat et l’employeur ont travaillé collectivement et de façon diligente à l’élaboration d’une nouvelle description de travail générique pour tous les postes d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile (pièce 3). Je félicite les parties pour cette approche efficace et productive.

14 Selon la preuve produite, les nouvelles descriptions de travail génériques ont été élaborées en tenant compte du fait que l’employeur était en train de mettre en place un nouveau modèle de gestion matricielle dans le but de fournir ses services aux entreprises qui dépendent de lui. M. Allan et Mme Taylor ont expliqué de façon assez détaillée que le modèle de gestion matricielle emploie une approche faisant appel à des équipes multidisciplinaires plutôt qu’à des spécialistes seuls. Ces équipes sont dirigées par des individus qui n’ont aucune autorité hiérarchique sur les autres membres de l’équipe qui possèdent les compétences et les connaissances nécessaires pour atteindre les objectifs fixés en matière de services aux clients. Elles peuvent s’appuyer sur des expertises individuelles au sein des équipes.

15 Bien qu’il a été reconnu que ce système, souvent appelé le Projet national de mise en œuvre de la transition organisationnelle (PNMOTO), n’a pas encore été complètement mis en œuvre, l’employeur a fixé unilatéralement la date d’entrée en vigueur de la nouvelle description de travail au 1er avril 2010.  

16 Selon les preuves présentées par les fonctionnaires, M. Allan et Mme Taylor, l’employeur et le syndicat ont convenu que, dès le 1er avril 2010, la nouvelle description était un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités. Toutefois, les fonctionnaires ont déclaré que c’était aussi leur exposé complet et courant des fonctions et responsabilités au moment du dépôt de leurs griefs.

17 La preuve la plus évidente est probablement celle de M. Allan. À la fin du deuxième jour d’audience, pendant le contre‑interrogatoire, l’avocat du syndicat a demandé à M. Allan de nommer les fonctions de la nouvelle description de travail générique que les fonctionnaires n’exerçaient pas entre 2006 et le 1er avril 2010. M. Allan a indiqué qu’il aurait besoin de temps pour examiner plus attentivement la description de travail.

18 Avec le consentement des parties, j’ai ordonné à M. Allan de préparer une réponse écrite. Il a envoyé sa réponse par courriel à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), qui a ensuite transmis cette réponse aux deux avocats avant le début du troisième jour d’audience. Le document a éventuellement été présenté, avec consentement, à titre de preuve (pièce 9).

19 Au début du troisième jour d’audience, l’avocat du syndicat a demandé la permission de continuer à contre‑interroger M. Allan; on lui a accordé. M. Allan a avoué franchement qu’une bonne partie de ce que l’employeur essayait de mettre en œuvre n’a toujours pas été mis en œuvre. Par exemple, le modèle de gestion matricielle n’a pas encore été instauré. Il a aussi déclaré que les deux fonctionnaires remplissaient en grande partie les mêmes fonctions depuis cinq ans, soit depuis la mise en œuvre du Système de gestion de la sécurité en 2006.

20 Je n’ai pas entendu beaucoup de preuves concernant le Système de gestion de la sécurité, mais on a reconnu que sa mise en œuvre en 2006 avait aussi changé, dans une certaine mesure, les fonctions et les responsabilités des fonctionnaires.

21 Toutefois, comme l’a déclaré M. Allan lors du contre‑interrogatoire, depuis la mise en œuvre du Système de gestion de la sécurité cinq ans plus tôt, les fonctions et les responsabilités des fonctionnaires n’ont pas beaucoup changés. Il a précisé que les compétences et les connaissances que les fonctionnaires devaient posséder n’avaient pas beaucoup changé non plus. M. Allan a aussi ajouté que les fonctionnaires occupaient toujours le même bureau, accomplissaient les mêmes tâches et avaient les mêmes fonctions depuis cinq ans.

22 Comme les anciennes descriptions de travail, la nouvelle description générique a également passé par un processus de classification. Ainsi, elle a été classée dans la catégorie CAI‑3 (inspecteur de l’aviation civile 3).

V. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires

23 Les fonctionnaires ont affirmé que j’avais suffisamment de preuves pour déterminer que les descriptions de travail de 1990 et de 1992 (pièce 4, onglets 1 et 2) n’étaient pas des exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités au moment du dépôt des griefs. L’avocat du syndicat a déclaré que les descriptions de travail étaient [traduction] « complètement désuètes ».

24 Plus particulièrement, l’avocat du syndicat a déclaré que ces descriptions ne tenaient pas compte des changements survenus en 2001, lorsque certains pouvoirs définis (pièce 5) ont été délégués aux fonctionnaires. Il a ajouté que les descriptions ne tenaient pas compte des fonctions et des responsabilités qui ont été confiées aux fonctionnaires après la mise en œuvre du Système de gestion de la sécurité, en 2006. Enfin, les fonctionnaires ont déclaré que l’employeur, dans sa réponse au deuxième palier de la procédure de règlement de grief, avait semblé reconnaître les lacunes et accepté de les combler dans le cadre du PNMOTO (pièce 4, onglets 4 et 5).

25 Par ailleurs, l’avocat du syndicat a déclaré que, même si la preuve démontre que les fonctionnaires ont convenu que la nouvelle description de travail générique (pièce 3) est un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités, rien ne prouve que les fonctions et les responsabilités des fonctionnaires ont changé. L’avocat du syndicat a expliqué que, si la nouvelle description de travail générique n’avait pas été complétée, on m’aurait demandé d’ordonner la rédaction d’un tel document énonçant les véritables fonctions et responsabilités actuelles des fonctionnaires (Dervin c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 50).

26 Les fonctionnaires sont d’avis que la description de travail a déjà été refaite puisque la nouvelle description de travail générique pour le poste d’inspecteur de la sécurité de l’aviation civile – Opérations de vol (pièce 3) a déjà été approuvée. Les deux fonctionnaires ont déclaré que cette description de travail était un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités et que, par conséquent, elle était conforme à l’article 33 de la convention collective. L’avocat du syndicat a mentionné que, selon lui, même les témoins de l’employeur, en particulier M. Allan, ont reconnu que les fonctions et les responsabilités des fonctionnaires n’avaient pas changé depuis cinq ans. C’est plutôt l’employeur qui modifie sa façon de procéder.

27 Les fonctionnaires sont d’avis que la nouvelle description de travail générique devrait être considérée comme l’exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités en vigueur au moment du dépôt des griefs. Ils ont d’ailleurs noté que la nouvelle description de travail générique était un résultat direct du protocole d’entente (pièce 2), et que bien que la description de travail n’ait pas été publiée dans le délai prévu (le 31 mars 2010), l’employeur a décidé unilatéralement de fixer la date d’entrée en vigueur au 1er avril 2010.

28 Cependant, selon les fonctionnaires, l’employeur n’a présenté aucune preuve expliquant pourquoi cette date avait été choisie. De plus, l’avocat du syndicat a déclaré qu’il avait été clairement démontré que les fonctionnaires assumaient les mêmes fonctions et responsabilités le 1er avril 2010 que lorsqu’ils ont déposé leurs griefs.

29 L’avocat du syndicat a indiqué que, à titre de réparation, je devrais d’abord déclarer que la nouvelle description de travail générique (pièce 3) est l’exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités des fonctionnaires. Il a ajouté que je devrais établir que la date d’entrée en vigueur du 1er avril 2010 fixée par l’employeur était arbitraire et que je ferais bien aussi de déterminer la date qui correspondrait au jour où l’employeur a eu connaissance de la question dès la première fois.  

30 L’avocat du syndicat a noté que le premier grief déposé par un membre du syndicat était celui de David Bryant, le 7 septembre 2007. Il a déclaré que, même si je ne suis pas saisi du grief de M. Bryant, je devrais déterminer que la date d’entrée en vigueur de la nouvelle description de travail générique est 25 jours avant le 7 septembre 2007, conformément au raisonnement de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Office national du film) c. Coallier, [1983] A.C.F. no 813) (C.A.) (QL).

B. Pour l’employeur

31 L’employeur a affirmé que l’étendue de ma compétence était définie par la convention collective, les griefs dont je suis saisie et le protocole d’entente (pièce 2). En somme, l’avocate de l’employeur a déclaré que je devais d’abord déterminer si les descriptions de travail en vigueur (pièce 4, onglets 1 et 2) au moment où les griefs ont été déposés (pièce 4, onglets 4 et 5) étaient des exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités.

32 Si je devais conclure que les descriptions de travail de 1990 et de 1992 ne constituaient pas des exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités au moment où les griefs ont été présentés, l’avocat de l’employeur ainsi que l’avocat du syndicat ont conclu que j’aurais alors deux options possibles, et que les deux seraient compatibles avec la jurisprudence établie par la Commission dans Dervin.

33 La première approche, que je considère comme une application stricte de Dervin, consiste à déterminer quelles autres fonctions et responsabilités devraient être ajoutées à la description de travail existante (celle de 1990 ou celle de 1992) et à ordonner à l’employeur de réécrire la description de travail pour les y inclure.

34 Cela dit et compte tenu des circonstances, l’employeur était d’accord avec le fait que je respecterais l’approche mentionnée dans Dervin, si je convenais que la nouvelle description de travail générique reflétait les fonctions et les responsabilités des fonctionnaires au moment où ils ont présenté leurs griefs.

35 Cependant, l’avocate de l’employeur m’a rappelé que, si j’optais pour la première approche, je n’aurais pas compétence pour trancher quant à la classification. En adoptant la deuxième approche et en concluant que la nouvelle description de travail générique constitue un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités des fonctionnaires au moment ils ont présenté leurs griefs, je pourrais ordonner une réparation applicable 25 jours seulement avant le dépôt des griefs (Coallier).

VI. Analyse

36 Les deux parties sont d’accord que Dervin me permettrait d’adopter l’une de deux approches pour déterminer en quoi consistaient les exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités des fonctionnaires au moment où ils ont déposé leurs griefs.

37 D’abord, je dois examiner les descriptions de 1990 et de 1992 (pièce 4, onglets 1 et 2) et décider si elles sont des exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités.

38 À la lumière des preuves présentées par tous les témoins, je suis convaincu que les descriptions de travail de 1990 et de 1992 ne pourraient en aucune façon être considérées comme des exposés complets et courants des fonctions et des responsabilités. D’abord, la preuve indique qu’elles ne tiennent pas compte des changements apportés au travail des inspecteurs de la sécurité de l’aviation civile lors de la mise en œuvre du Système de gestion de la sécurité, en 2006, et ce, peu importe qu’ils soient considérés comme des changements significatifs, comme l’a suggéré l’avocat représentant le syndicat, ou qu’ils soient qualifiés différemment, comme l’a suggéré l’avocate de l’employeur. Lorsque j’en suis arrivé à cette conclusion, j’ai remarqué que les deux témoins de l’employeur, M. Allan et Mme Taylor, admettaient ce fait.

39 En outre, les descriptions de travail de 1990 et de 1992 ne tiennent pas compte de la délégation de pouvoirs survenue en 2001.

40 Quelle approche devrais-je adopter?

41 Si je décidais d’opter pour la première approche, il faudrait que je détermine quelles parties des fonctions et des responsabilités des fonctionnaires ne sont pas comprises dans la description de travail et que j’ordonne à l’employeur de rédiger une nouvelle description de travail générique. Cet exposé serait alors assujetti au processus de classification. C’est ce que j’appelle l’approche Dervin stricte.

42 Il s’agit d’un cas extraordinaire en ce sens que l’employeur a rédigé la nouvelle description de travail générique en réaction au protocole d’entente. Si je détermine que la nouvelle description de travail générique ne s’appliquait pas aux fonctionnaires au moment où ils ont déposé leurs griefs, il en résulterait un gaspillage de temps et de ressources, puisque j’ordonnerais alors à l’employeur de rédiger une description de travail et de la faire passer par le processus de classification.

43 Les parties ont convenu que, dans le cadre de l’approche Dervin, il serait approprié que je prenne en considération la nouvelle description de travail générique (pièce 3) et que je détermine s’il s’agit d’un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités au moment où les griefs ont été déposés. Si j’adoptais cette approche, je devrais alors décider la date d’entrée en vigueur de la nouvelle description de travail générique.

44 Compte tenu de la preuve présentée, notamment celle avancée par M. Allan, je conclus que la nouvelle description de travail générique est, en fait, un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités des fonctionnaires au moment où ils ont déposé leurs griefs.

45 Deux faits m’ont servi de balises au moment d’en arriver à cette conclusion. D’abord, les parties, dans leur protocole d’entente (pièce 2), ont convenu que l’employeur publierait, au plus tard le 31 mars 2010, un exposé courant des fonctions pour chacun des postes des fonctionnaires. Il ne fait aucun doute que la nouvelle description de travail générique découlait effectivement du protocole d’entente.

46 En outre, les gestes de l’employeur m’ont convaincu qu’il n’a rien contre cette conclusion. Bien que de nombreuses preuves ont été présentées afin d’indiquer quelles parties des fonctions énoncées dans la nouvelle description de travail générique les fonctionnaires accomplissaient ou non, personne n’a contesté le fait que l’employeur ait unilatéralement conclu que la date de son entrée en vigueur était le 1er avril 2010.

47 Je n’ai entendu aucune preuve me permettant de croire qu’il y a eu des changements importants dans les fonctions des fonctionnaires entre le moment où ils ont déposé leurs griefs et le 1er avril 2010. En effet, les preuves ont montré que le modèle de gestion matricielle et le PNMOTO ne sont pas plus en vigueur maintenant qu’ils ne l’étaient au 1er avril 2010, et encore moins aux dates où les griefs ont été déposés. La mise en œuvre du modèle de gestion matricielle et du PNMOTO est en cours.

48 En outre, le modèle de gestion matricielle et le PNMOTO sont des processus de gestion. À mon avis, dans le cas qui nous intéresse, ils n’affectent pas les fonctions et les responsabilités des inspecteurs de la sécurité de l’aviation civile.

49 Je ne peux pas passer outre la décision de l’employeur de déterminer, de façon unilatérale, que la date d’entrée en vigueur de la nouvelle description de travail générique serait le 1er avril 2010. S’il y avait eu une justification quelconque pour choisir cette date, je me serais attendu à ce que l’employeur présente une preuve de ce qui s’est produit à cette date et de la raison pour laquelle elle a été choisie comme date d’entrée en vigueur. Or, il n’a présenté aucune preuve à ce sujet.

50 J’en conclus que l’employeur a interprété le paragraphe 1 du protocole d’entente comme signifiant que l’exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités serait applicable à partir du 31 mars 2010. Dans les faits, ce paragraphe est clair et sans équivoque : l’employeur devait publier un exposé courant des fonctions au plus tard le 31 mars 2010. En outre, le paragraphe 8 du protocole d’entente mentionne le caractère rétroactif de l’exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités.

51 Ainsi, pour les fonctionnaires, quelle est la date d’entrée en vigueur du nouvel exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités?

52 D’abord, je dois tenir compte du libellé de la clause 35.12 de la convention collective, présentée en tant que pièce 1. Ce paragraphe se lit comme suit :

Au premier (1er) palier de la procédure, l'employé peut présenter un grief de la manière prescrite au paragraphe 35.07 au plus tard le vingt-cinquième (25e) jour qui suit la date à laquelle il ou elle est notifié, oralement ou par écrit, ou prend connaissance, pour la première fois, de l'action ou des circonstances donnant lieu au grief.

53 Je ne peux faire fi des conclusions de Coallier. D’une part, je suis conscient du bien-fondé d’adopter une approche uniforme en matière de rémunération des membres d’une même unité de négociation. Cependant, je crois que je commettrais une erreur fondamentale en ne tenant pas compte du libellé de la convention collective. En outre, l’avocat du syndicat a été incapable de me donner des motifs, sur le plan juridique, de conclure que je devrais utiliser la date du grief déposé par M. Bryant (voir le paragraphe 30) pour calculer la date d’entrée en vigueur de l’exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités pour MM. Manuel et Reid.

54 Aucun des fonctionnaires n’a pu présenter de preuves indiquant qu’il n’avait pas eu connaissance des gestes ou des circonstances ayant mené au grief avant la date où celui-ci a été déposé. En fait, d’après les preuves produites, ils ont parlé de la question à leur employeur avant de déposer les griefs dans l’espoir de résoudre le problème, mais comme aucune mesure n’a été prise, ils se sont sentis obligés de déposer leurs griefs.

55 Je conclus que la jurisprudence est claire. Comme j’ai conclu que la nouvelle description de travail générique constituait un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités au moment de déposer les griefs, sa date d’entrée en vigueur est 25 jours avant le dépôt des griefs.

56 Je conviens que cette situation pourrait être perçue par les fonctionnaires comme étant injuste et inéquitable, mais compte tenu des conclusions sans équivoque dans Coallier, je ne peux faire autrement.

57 Enfin, je constate que la nouvelle description de travail générique a déjà été assujettie au processus de classification, à l’issue duquel les inspecteurs de la sécurité de l’aviation civile sont maintenant classés au groupe et au niveau CAI‑3 (inspecteur de l’aviation civile 3).

VII. Conclusion

58 Voici mes conclusions :

  • L’employeur contrevenait l’article 33 de la convention collective au moment où les griefs ont été déposés en ce sens que la description de travail applicable aux fonctionnaires ne constituait pas un exposé complet et courant de leurs fonctions et de leurs responsabilités.
  • La nouvelle description de travail générique rédigée après l’exécution du protocole d’entente constitue un exposé complet et courant des fonctions et des responsabilités.
  • La nouvelle description de travail générique correspond aux fonctions et aux responsabilités des fonctionnaires au moment où ils ont déposé leurs griefs, et était donc l’exposé complet et courant de leurs fonctions et de leurs responsabilités à ce moment‑là.

59 Je demeurerai saisi de cette affaire au cas où les parties ne s’entendent pas sur l’exécution de cette décision.

60 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

VIII.Ordonnance

61 Les griefs sont accueillis.

Le 24 janvier 2012

Traduction de la CRTFP

George Filliter,
arbitre de grief

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