Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Une plainte a d’abord été présentée concernant la dernière de plusieurs nominations intérimaires d’une même personne à l’issue de processus non annoncés. Deux autres plaintes ont été déposées par la suite en ce qui a trait à la nomination pour une période indéterminée de cette même personne au même poste au terme d’un processus annoncé, nomination qui a été effectuée plusieurs mois après la dernière nomination intérimaire résultant d’un processus non annoncé. Décision En ce qui a trait à la nomination intérimaire découlant d’un processus non annoncé, le Tribunal a conclu que, étant donné que le processus de nomination visant à doter le poste pour une durée indéterminée tirait à sa fin, la décision d’offrir une nouvelle nomination intérimaire, pour une période de plusieurs mois, au candidat qui serait plus tard nommé au poste était raisonnable et ne donnait pas à penser qu’il y avait eu favoritisme. Le Tribunal a fait remarquer que l’intimé avait commis une erreur en ne fournissant pas de justification écrite à l’appui de la nomination intérimaire, mais il a précisé que, dans les circonstances, il ne s’agissait pas d’une erreur suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir. Le Tribunal s’est dit préoccupé par le fait que l’intimé avait généralement fourni les notifications en retard pour l’ensemble des nominations intérimaires. Quant à la nomination pour une période indéterminée effectuée au terme du processus annoncé, le Tribunal a jugé que l’intimé avait abusé de son pouvoir en n’évaluant pas les candidats au regard de l’une des qualifications essentielles et en ne précisant pas les critères qui avaient été pris en considération dans l’établissement de la note finale qui, selon l’intimé, a pourtant été à l’origine de la sélection de la personne nommée. Ces erreurs ou omissions équivalent à une telle incurie et à un tel manque de transparence qu’il s’agit de mauvaise foi. La preuve a également permis de démontrer que la personne nommée avait fait l’objet de favoritisme personnel. En effet, celle ci a eu l’occasion – contrairement aux autres candidats – de se préparer pour son entrevue, et le gestionnaire délégataire a formulé des commentaires, avant la fin du processus de nomination, indiquant que la personne nommée avait déjà été sélectionnée. La plainte à l’égard de la nomination intérimaire est rejetée. Les plaintes portant sur la nomination pour une période indéterminée sont accueillies. Mesures correctives : Le Tribunal ordonne à l’intimé de révoquer la nomination dans les 60 jours suivant la décision.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2010‑0416, 2010‑0620 et 2010‑0657
Rendue à :
Ottawa, le 7 juin 2012

LARRY PARDY ET THOMAS KEAGAN
Plaignant
ET
LE SOUS‑MINISTRE DES AFFAIRES AUTOCHTONES ET
DÉVELOPPEMENT DU NORD CANADA

Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :

Processus non annoncé : la plainte est rejetée

Processus annoncé : les plaintes sont accueillies

Décision rendue par :
Lyette Babin‑MacKay, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Pardy c. le sous‑ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0014

Motifs de la décision

Introduction


1
Les plaignants, Larry Pardy et Thomas Keagan, soutiennent que l’intimé, le sous‑ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada (AADNC), a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination annoncé visant la dotation pour une période indéterminée, au groupe et niveau EX‑01, du poste de directeur, Services de financement, région de l’Atlantique (DSF), à Amherst, en Nouvelle‑Écosse. Les deux plaignants affirment que l’intimé a évalué les qualifications essentielles de façon inappropriée et qu’il a fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de la personne nommée, Stephen Dunne. Ils soutiennent également que M. Dunne a profité d’un avantage indu par rapport aux autres candidats, en raison des nominations intérimaires qu’il a obtenues antérieurement à ce même poste.

2 L’intimé nie toutes ces allégations. Il affirme que la candidature de M. Keagan n’a pas été retenue parce qu’il a été établi que ce dernier ne possédait pas l’une des qualifications essentielles liées aux connaissances. Quant à M. Pardy, il a été jugé qualifié, mais c’est M. Dunne qui a été choisi parce qu’il a obtenu la note la plus élevée pour la plupart des critères d’évaluation et que, puisqu’il est autochtone, sa nomination contribuait à l’atteinte des objectifs d’AADNC en matière d’équité en emploi.

3 M. Pardy a également présenté une autre plainte au sujet de la nomination intérimaire de M. Dunne à ce poste à l’issue d’un processus non annoncé, pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010, nomination qui a immédiatement précédé la nomination au poste à durée indéterminée en l’espèce. M. Pardy affirme qu’il y a eu favoritisme personnel et violation des lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP) et des politiques d’AADNC en ce qui a trait à cette nomination intérimaire. Le plaignant affirme également qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’évaluation des qualifications essentielles. L’intimé, pour sa part, nie ces allégations.

4 La CFP n’était pas représentée à l’audience, mais elle a fourni des observations écrites dans lesquelles elle aborde la notion d’abus de pouvoir et décrit ses politiques et lignes directrices pertinentes concernant notamment le choix du processus de nomination, l’évaluation et la sélection. La CFP ne s’est pas prononcée sur le bien‑fondé des plaintes.

5 Pour les motifs énoncés ci‑après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) juge que les plaintes concernant la nomination au poste à durée indéterminée sont fondées puisqu’il a été établi qu’il y a eu favoritisme personnel à l’endroit de la personne nommée et abus de pouvoir dans l’évaluation de la qualification essentielle Excellence en gestion – gestion des finances. Le Tribunal a toutefois déterminé que la plainte présentée par M. Pardy concernant la nomination intérimaire de M. Dunne n’est pas fondée.

Contexte


6
Les deux plaignants travaillent pour AADNC, qui s’appelait Affaires indiennes et du Nord canadien (AINC) au moment où les nominations ont été effectuées. M. Keagan est gestionnaire, Programmes d’immobilisations, et M. Pardy, gestionnaire, Terres, région de l’Atlantique. Ces deux postes sont de groupe et de niveau PM‑06.

Processus de nomination annoncé

7 Le 16 octobre 2009, l’intimé a publié une annonce de possibilité d’emploi visant à doter le poste de DSF pour une période indéterminée ou à titre intérimaire. Le processus de nomination était ouvert aux personnes employées dans la fonction publique fédérale à travers le pays.

8 Ian Gray, directeur général régional (DGR), région de l’Atlantique, assumait le rôle de gestionnaire délégataire pour le processus et a préparé l’énoncé des critères de mérite en collaboration avec un conseiller en ressources humaines provenant de l’administration centrale du ministère. Pour ce faire, ils ont utilisé des documents ayant déjà servi dans d’autres bureaux régionaux pour ce type de poste. En plus de satisfaire aux exigences de présélection relatives aux études, à l’expérience et à la compétence dans les langues officielles, il fallait pour obtenir le poste posséder les qualifications essentielles suivantes et répondre aux besoins organisationnels décrits ci‑dessous :

QUALIFICATIONS ESSENTIELLES

  • Connaissance des priorités et des enjeux de l’heure pour le Ministère (C‑1).
  • Connaissance de la situation politique, sociale, économique et culturelle des Premières Nations du Canada atlantique (C‑2).
  • Connaissance du cadre de responsabilisation de gestion du Ministère (C‑3).
  • Compétences en matière de leadership :
    • Valeurs et éthique : intégrité et respect (L-1)
    • Réflexion stratégique : analyse et idées (L-2)
    • Engagement : mobilisation des gens, des organisations et des partenaires (L-3)
    • Excellence en gestion : gestion par l’action (L-4A), gestion de l’effectif (L-4B), gestion des finances (L-4C).

BESOINS ORGANISATIONNELS

  • Membres de l’un des groupes visés par l’équité en matière d’emploi.

9 Les membres des groupes visés par l’équité en matière d’emploi comprennent les Autochtones. Les deux plaignants, à l’instar de M. Dunne, sont des autochtones.

10 Sur les 47 candidats, 20 ont été retenus à la présélection et ont été invités à passer un examen écrit, administré en ligne au bureau des candidats le 3 février 2010. Cet examen visait à évaluer les qualifications essentielles C‑1 et C‑2 liées aux connaissances.

11 Comme M. Keagan n’a pas obtenu la note de passage (12 points) pour la qualification C-2, sa candidature n’a pas été prise en considération pour la suite du processus.

12 Trois candidats (MM. Pardy et Dunne, et un autre candidat) ont passé avec succès l’examen écrit et ont été convoqués à une entrevue visant à évaluer la qualification C-3 et les compétences en leadership. Cette entrevue avait lieu le 4 mai 2010.

13 Le comité d’évaluation constitué pour l’entrevue était composé de M. Gray, président, d’Alain Gélinas, directeur général (DG), Comptabilité ministérielle et gestion du matériel, AADNC, et d’un troisième membre, soit le sous‑ministre, Secrétariat des affaires autochtones, gouvernement du Nouveau‑Brunswick. Martin Czyzowicz, alors conseiller en renouvellement du personnel de direction, Direction des services au groupe de la direction, AADNC, était présent à l’entrevue et a supervisé les discussions des membres du comité en vue de l’atteinte d’un consensus.

14 La vérification des références et l’examen de simulation pour la sélection des EX (SELEX) de la CFP faisaient également partie du processus. C’est un consultant qui a effectué la vérification des références, après quoi il a transmis les résultats au DGR associé, région de l’Atlantique.

15 Les trois candidats qui ont passé l’entrevue ont été jugés entièrement qualifiés.

16 Le 1er octobre 2010, une notification de nomination ou de proposition de nomination (NNPN) a été publiée sur le site de Publiservice relativement à la nomination de M. Dunne au poste susmentionné pour une période indéterminée.

17 Les 6 et 17 octobre 2010, respectivement, MM. Keagan et Pardy ont présenté une plainte en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (la LEFP).

Processus de nomination non annoncé

18 Au moment où a été publiée l’annonce de possibilité d’emploi (APE) concernant la nomination au poste pour une période indéterminée, soit en octobre 2009, M. Dunne occupait le poste de DSF à titre intérimaire de façon continue depuis le 12 juin 2007. M. Dunne a continué d’occuper le poste par intérim jusqu’à sa nomination à ce même poste pour une période indéterminée le 1er octobre 2010.

19 Lorsque la NNPN de M. Dunne pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010 a été publiée sur Publiservice, le 19 juillet 2010, M. Pardy a présenté au Tribunal une plainte en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la LEFP.

20 Pour les besoins de l’audience, le Tribunal a joint les plaintes de MM. Keagan et Pardy au sujet des deux processus de nomination, conformément à l’article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006‑6, modifié par DORS/2011‑116.

Questions en litige


21
Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

(i) L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a offert une nomination intérimaire à M. Dunne pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010?

(ii) L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans le processus de nomination annoncé?

Analyse


22
Dans la décision Brown c. Canada (Procureur général), 2009 CF 758, la Cour fédérale a établi que le Tribunal devait tenir compte de tous les éléments de preuve pertinents pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination et qu’il devait avoir une perspective globale des événements qui se sont produits (voir également la décision Brown c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 0012).

23 Par conséquent, pour instruire les plaintes présentées en l’espèce, le Tribunal examinera les éléments de preuve se rapportant à tous les processus de nomination, étant donné que les nominations intérimaires qui ont eu lieu avant la prolongation du 1er juillet 2010 et la nomination annoncée effectuée par la suite sont toutes liées. Comme il est expliqué ci‑dessous, aucune plainte officielle n’a été présentée au Tribunal au sujet de ces nominations intérimaires antérieures. Toutefois, celles‑ci font partie de la série d’événements ayant mené à la nomination intérimaire de M. Dunne en juillet 2010 et comptent donc parmi les éléments pris en considération par le Tribunal aux fins de l’évaluation des allégations des plaignants.

Question I : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a offert une nomination intérimaire à M. Dunne pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010?

24 Dans la plainte en l’espèce, M. Pardy soutient que l’intimé a abusé de son pouvoir et a fait preuve de favoritisme personnel à l’endroit de M. Dunne lorsqu’il a choisi ce dernier pour occuper le poste de DSF à titre intérimaire du 1er juillet au 30 septembre 2010 ainsi que lorsqu’il lui a offert les six nominations qui ont précédé cette nomination, pour la période du 12 juin 2007 au 30 juin 2010.

25 Le plaignant affirme que l’intimé a contrevenu aux Lignes directrices de la CFP en matière de choix du processus de nomination (les Lignes directrices de la CFP) de même qu’à la Politique – Critères en vue de la tenue des processus de nomination non annoncés d’AADNC (la politique d’AADNC). Selon le plaignant, l’intimé n’a pas tenu compte de la nécessité de donner accès à des possibilités de perfectionnement à ses employés ni aux aspirations professionnelles de ces derniers, ce qui contrevient aux critères ministériels. Aucune situation urgente ne justifiait la méthode de nomination choisie. Toujours selon le plaignant, la nomination aurait dû être offerte à d’autres employés qualifiés, à tour de rôle. De plus, l’intimé n’a pas fourni de justification écrite à l’appui de chaque nomination. Enfin, le plaignant soutient que M. Dunne a été évalué sur la base de qualifications obsolètes.

26 L’intimé nie toutes ces allégations. Il affirme que ce sont des raisons d’ordre opérationnel qui l’ont amené à offrir les nominations intérimaires à M. Dunne, ce qui était conforme à toutes les politiques en vigueur. L’intimé estime qu’il n’était pas tenu de satisfaire à tous les critères ministériels et que les justifications versées au dossier étaient suffisantes pour expliquer l’utilisation de processus non annoncés.

27 M. Pardy a décrit des décisions administratives remontant à 2005 qui, à son avis, ont favorisé M. Dunne, puis il a décrit comment M. Dunne en est venu à occuper le poste de DSF à titre intérimaire.

28 M. Pardy a expliqué qu’à la fin de 2006, le titulaire du poste de DSF avait été réaffecté à un autre poste du ministère et qu’à partir de mai 2007, dans le cadre d’un projet pilote lancé en collaboration avec la Gendarmerie royale du Canada (GRC), c’est un agent de la GRC qui assumait les fonctions de DSF. À cette époque, le bureau régional de l’Atlantique a proposé à l’administration centrale qu’un poste de DSF associé de groupe et de niveau AS‑08 soit créé pour appuyer l’agent de la GRC. Dans l’attente d’une décision au sujet de cette proposition, M. Dunne, qui était titulaire d’un poste de groupe et de niveau PM‑06, a été affecté aux fonctions du poste qui avait été proposé.

29 Lorsque l’administration centrale a refusé d’approuver la création d’un poste de DSF associé (AS‑08), l’intimé a nommé M. Dunne de façon rétroactive au poste de DSF à titre intérimaire, aux groupe et niveau EX‑01, même si l’agent de la GRC exerçait toujours les fonctions du poste de DSF.

30 M. Gray a confirmé les événements entourant la dotation initiale du poste de DSF. Il était alors DGR associé, puis il a été nommé DGR par la suite, soit en septembre 2007. M. Gray a expliqué que la décision de rémunérer M. Dunne aux groupe et niveau EX‑01 avait été prise en guise de compensation à ce dernier, qui assumait les fonctions du poste de DSF associé en plus de celles de son poste d’attache des groupe et niveau PM‑06. Selon M. Gray, il avait été possible de prendre ces dispositions étant donné que le salaire de l’agent de la GRC était assumé par la GRC; ainsi, l’intimé a pu rémunérer M. Dunne aux groupe et niveau EX-01 pour qu’il occupe le poste de DSF.

31 Lorsque le projet pilote mené en collaboration avec la GRC a pris fin en 2008, M. Dunne s’est mis à exercer toutes les fonctions du poste de DSF, toujours à titre intérimaire.

32 M. Gray a expliqué que M. Dunne représentait le choix le plus logique pour une nomination intérimaire au poste de DSF. En effet, à titre d’agent principal des finances responsable de tous les agents des finances interagissant avec les Premières Nations, M. Dunne avait démontré un solide leadership pour régler les situations difficiles d’ordre opérationnel qui se présentaient à l’époque. Lorsque le projet pilote avec la GRC a pris fin, M. Gray a décidé de prolonger la nomination intérimaire de M. Dunne au poste de DSF car il avait fait ses preuves au cours des cinq années précédentes. De plus, M. Dunne est autochtone, et le ministère avait entrepris de maintenir un taux de représentation des Autochtones dans l’équipe de direction. M. Dunne est également titulaire d’une maîtrise en administration des affaires. Dans ces circonstances, il n’était pas dans l’intérêt du ministère de mettre fin à sa nomination pour nommer quelqu’un d’autre à ce poste. Selon M. Gray, les liens entre les partenaires des Premières Nations et les représentants ministériels sont délicats et nécessitent une certaine stabilité. Ce n’est donc pas une situation qui se prête à la formation et aux nominations par rotation. Chaque nomination intérimaire était d’ailleurs de courte durée puisque le poste d’attache de DSF n’était pas vacant; la personne titulaire de ce poste était en affectation.

33 M. Gray a affirmé qu’il avait inclus plusieurs de ces facteurs dans la justification qui a été préparée en mai 2008, à l’appui de la première prolongation de nomination intérimaire, pour la période du 1er janvier au 30 juin 2008.

34 Lorsque le titulaire du poste de DSF a pris sa retraite en 2009, le ministère a lancé un processus de nomination annoncé afin de doter le poste pour une période indéterminée.

35 M. Pardy a déposé en preuve les organigrammes du bureau de la région de l’Atlantique d’AADNC. Il a affirmé que ces organigrammes démontraient qu’il existait suffisamment d’employés qualifiés au ministère, dont plusieurs Autochtones, qui auraient pu occuper le poste à titre intérimaire, par rotation.

36 Le 25 juin 2010, M. Pardy a demandé à M. Gray s’il était possible que d’autres employés soient nommés de façon intérimaire au poste de DSF, par rotation, « étant donné l’expérience et les autres avantages que cette nomination intérimaire pouvait fournir à ces personnes » [traduction]. M. Pardy a indiqué qu’au moment où il a présenté cette demande, il croyait que le processus de nomination annoncé durerait encore de six à huit mois. À son avis, il aurait été approprié de procéder à des rotations d’une durée de deux mois étant donné que la nomination intérimaire avait déjà duré trois ans; plus la nomination intérimaire dure longtemps, plus il est approprié que d’autres employés puissent occuper le poste par rotation. Enfin, la section Facteurs à prendre en considération des Lignes directrices de la CFP suggère aux gestionnaires d’envisager cette façon de faire.

37 M. Gray a répondu le jour même à cette demande : il n’avait pas l’intention de modifier la nomination intérimaire de M. Dunne car il croyait que le processus visant la dotation du poste pour une période indéterminée serait bientôt mené à terme.

38 Dans son témoignage, M. Gray a expliqué qu’il avait décidé de prolonger la nomination intérimaire de M. Dunne en juillet 2010 et de ne pas l’offrir à d’autres employés par rotation, car le processus annoncé visant la dotation du poste pour une période indéterminée achevait. De l’avis de M. Gray, il n’était pas logique d’interrompre la nomination intérimaire à ce moment‑là puisque M. Dunne avait déjà été jugé qualifié dans le processus annoncé et se verrait offrir le poste pour une période indéterminée.

39 En tout, les différentes nominations intérimaires de M. Dunne au poste EX‑01, à l’issue de processus non annoncés, se sont étalées sur une période de trois ans, tel qu’il est indiqué ci‑dessous :

Du 12 juin au 31 décembre 2007 (notification faite le 31 janvier 2008)

Du 1er janvier au 30 juin 2008 (notification faite le 2 juin 2008)

Du 1er juillet 2008 au 31 mars 2009 (notification faite le 27 novembre 2008)

Du 1er avril au 30 septembre 2009 (notification faite le 19 juin 2009)

Du 1er octobre 2009 au 31 mars 2010 (notification faite le 10 novembre 2009)

Du 1er avril au 30 juin 2010 (notification faite le 21 avril 2010)

Du 1er juillet au 30 septembre 2010 (notification faite le 19 juillet 2010)

40 L’intimé a expliqué les circonstances d’ordre opérationnel qui l’ont amené à offrir la nomination intérimaire au poste de DSF à M. Dunne à partir de juin 2007 et à ne pas l’offrir à tour de rôle aux autres employés qualifiés. Cette première nomination et celles qui ont suivi n’ont pas fait l’objet de plaintes. Le Tribunal est néanmoins préoccupé par la décision de l’intimé d’offrir à M. Dunne une nomination intérimaire au poste de DSF (EX‑01) alors que les fonctions de ce même poste étaient déjà exercées par l’agent de la GRC. En fait, cette nomination intérimaire a eu pour effet de contourner la décision de l’administration centrale de refuser la création d’un poste AS‑08, et elle laisse fortement croire qu’il y a eu un traitement préférentiel à l’endroit de M. Dunne; toutefois, aucune plainte n’a été présentée au moment de la notification.

41 Quant à la nomination intérimaire pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010 qui fait l’objet de la plainte en l’espèce, les éléments de preuve confirment les propos de M. Gray selon lesquels le processus annoncé était pratiquement terminé lorsque M. Pardy a demandé, le 25 juin 2010, que les nominations intérimaires soient offertes aux employés par rotation. La NNPN relative à la nomination de M. Dunne pour une période indéterminée a été publiée le 1er octobre 2010, soit environ trois mois plus tard.

42 En vertu de l’article 30(4) de la LEFP, les gestionnaires ont le pouvoir discrétionnaire de ne prendre en considération qu’une seule personne en vue d’une nomination (voir la décision Robert et Sabourin c. Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration, 2008 TDFP 0024).

43 Compte tenu de l’état d’avancement du processus de nomination visant la dotation du poste pour une période indéterminée au moment où la décision a été prise, le Tribunal juge que la décision de M. Gray de ne pas prendre en considération la candidature d’autres employés en vue d’une nomination intérimaire pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010 était raisonnable et n’est pas un indicateur de favoritisme personnel.

Absence de justification écrite

44 M. Pardy a indiqué qu’aucune justification n’avait été présentée relativement à la nomination intérimaire qui fait l’objet de la plainte en l’espèce et que seules deux justifications avaient été soumises pour les six nominations intérimaires précédentes.

45 La première justification a été présentée le 30 mai 2008, avec une liste de vérification des processus de nomination non annoncés indiquant que la nomination avait débuté le 12 juin 2007. Dans ce document, il est indiqué que la nomination d’un employé autochtone dans le cadre d’un programme de perfectionnement professionnel et la nomination d’un membre d’un groupe désigné font partie des critères justifiant le recours à un processus non annoncé. Une mise à jour de cette justification a été demandée par M. Czyzowicz et fournie le 29 mars 2010, soit peu de temps avant la nomination intérimaire qui a commencé le 1er avril 2010. Cette justification reprend les mêmes critères qui avaient été fournis dans la première justification.

46 M. Czyzowicz a affirmé dans son témoignage qu’il n’était pas tenu de demander une autre justification, mais qu’il l’avait fait car il estimait que la justification du 30 mai 2008 commençait à dater quelque peu.

47 L’exigence selon laquelle les gestionnaires doivent fournir une justification écrite pour chaque processus de nomination non annoncé est clairement énoncée dans les Lignes directrices de la CFP et la politique d’AADNC. Cette justification doit expliquer en quoi le processus de nomination non annoncé satisfait aux critères établis et respecte les quatre valeurs de nomination que sont l’équité, la transparence, l’accessibilité et la représentativité.

48 Le Tribunal a confirmé aux paragraphes 69 à 71 de la décision Robert et Sabourin qu’une justification écrite devait être fournie pour chaque processus de nomination non annoncé.

49 L’intimé n’a pas fourni de justification pour la plupart des nominations intérimaires effectuées du 12 juin 2007 au 30 juin 2010; il s’agissait là d’erreurs et d’un manquement aux Lignes directrices de la CFP et à la politique d’AADNC. Même si les deux justifications versées au dossier font référence à certains aspects des critères ministériels (nomination d’un employé autochtone et d’un membre d’un groupe visé par l’équité en matière d’emploi) et pourraient donc être considérées comme des justifications qui démontrent le respect de la représentativité, valeur de dotation énoncée dans la LEFP, elles n’expliquent pas en quoi les processus respectent les autres valeurs de dotation, soit l’équité, la transparence et l’accessibilité. Cet aspect préoccupe grandement le Tribunal, étant donné que les nominations cumulées excédaient trois ans; toutefois, M. Pardy n’a pas présenté de plainte lorsque les notifications relatives à ces nominations intérimaires ont été publiées.

50 Le Tribunal juge que l’intimé a commis une erreur en ne fournissant pas de justification écrite relativement à la nomination intérimaire pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010. Toutefois, étant donné que l’intimé croyait à tort que la justification fournie le 29 mars 2010 pour la nomination intérimaire allant du 1er avril au 30 juin 2010 s’appliquerait également à la prolongation en vigueur à partir du 1er juillet 2010, et étant donné que cette nomination intérimaire s’est terminée le 30 septembre 2010 et n’a jamais été renouvelée, le Tribunal juge que cette erreur n’est pas suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir.

Notifications de nomination effectuées en retard

51 Enfin, bien qu’aucune allégation n’ait été soulevée à ce sujet, le Tribunal est préoccupé par le fait que l’intimé a pratiquement toujours fourni les notifications en retard pour toutes les nominations intérimaires mentionnées ci‑dessus. La notification relative à la nomination intérimaire faisant l’objet de la plainte en l’espèce a été fournie seulement le 19 juillet 2010, soit deux semaines et demie après la date de début, fixée au 1er juillet 2010, tandis que les notifications relatives aux nominations intérimaires précédentes ont été publiées longtemps après la date de début. Par exemple, la notification relative à la nomination intérimaire pour la période du 12 juin au 31 décembre 2007 a été faite le 31 janvier 2008, soit un mois après la date de fin. Quant à la notification portant sur la nomination pour la période du 1er juillet 2008 au 31 mars 2009, elle a été publiée le 27 novembre 2008, soit près de cinq mois en retard.

52 L’article 13 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005‑334 (le REFP) stipule clairement que la notification des nominations intérimaires dont la durée est égale ou supérieure à quatre mois doit être fournie lorsque les nominations sont faites ou proposées, non pas des mois plus tard ou une fois que la période de nomination intérimaire a pris fin, comme ce fut le cas pour la nomination intérimaire du 12 juin au 31 décembre 2007 (voir la décision Robert et Sabourin, para. 90). Chaque prolongation constitue une nomination et est de ce fait assujettie aux exigences de la LEFP et du REFP (voir la décision Wylie c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2006 TDFP 0007, para. 20).

53 Dans les faits, en effectuant des nominations de façon rétroactive ou en diffusant l’avis de nomination intérimaire longtemps après la fin des nominations intérimaires, l’intimé empêche ses employés se trouvant dans la zone de sélection d’exercer leurs droits de recours relativement aux nominations intérimaires de façon rapide et efficace. Le fait d’afficher les avis en retard, voire une fois la nomination terminée, va à l’encontre de l’essence même des droits de recours conférés aux employés.

54 Bien que le fait de ne pas aviser les personnes se trouvant dans la zone de recours des nominations intérimaires en temps opportun témoigne d’une incurie, M. Pardy n’a pas présenté de plainte au sujet de ces nominations.

55 Quant à la nomination intérimaire faisant l’objet de la plainte en l’espèce, elle n’a pas été renouvelée.

56 Bref, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a nommé M. Dunne au poste intérimaire de DSF pour la période du 1er juillet au 30 septembre 2010.

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans le processus de nomination annoncé?

A) Évaluation des connaissances et des compétences en leadership

57 Dans leur plainte concernant le processus de nomination annoncé, les plaignants reprochent à l’intimé de ne pas avoir évalué les qualifications essentielles de façon appropriée et d’avoir fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de M. Dunne.

58 M. Keagan soutient que l’examen écrit a été noté de façon à favoriser personnellement M. Dunne. Il croit qu’il aurait obtenu la note de passage pour la qualification C-2 si sa présentation avait été évaluée de la même façon que celle de M. Dunne. M. Keagan affirme également que l’examen écrit et les qualifications essentielles établies favorisaient personnellement les directeurs, actuels et anciens, du bureau régional d’AADNC, comme M. Dunne, qui occupait le poste de DSF par intérim. Enfin, il avance que les qualifications C-1 et C-2 liées aux connaissances n’ont pas été évaluées séparément.

59 M. Pardy soutient que les questions d’entrevue ne permettaient pas d’évaluer adéquatement la qualification C-3 liée aux connaissances ni la compétence en matière de leadership Gestion des finances (L-4C). Il affirme également qu’étant donné que le principe du mérite relatif a été utilisé pour évaluer les candidats, c’est lui qui aurait dû être le candidat retenu, ayant obtenu plus de points que M. Dunne.

60 L’intimé nie toutes ces allégations. Il affirme que M. Dunne n’a pas fait l’objet de favoritisme personnel, qu’il a été choisi parce qu’il satisfaisait aux besoins organisationnels liés à l’équité en matière d’emploi (c’est un Autochtone) et qu’il a obtenu des résultats supérieurs à ceux des autres candidats à l’entrevue.

Examen écrit

61 L’examen écrit visait à évaluer les qualifications C-1 et C-2 liées aux connaissances. Dans une note de breffage d’un maximum de 1 500 mots destinée au sous‑ministre, les candidats devaient commenter les aspects politiques, sociaux, économiques et culturels liés aux Premières Nations de la région du Canada atlantique et établir des liens entre ces renseignements et les priorités et défis actuels du ministère.

62 Selon la grille de correction, la présentation des candidats devait comprendre 10 éléments. La qualification C-1 portait sur l’élément 10, et la qualification C-2, sur les éléments 1 à 9. La note maximale pour chacun des 10 éléments allait de 1 à 4 points, ce qui équivalait à une note maximale de 3 points pour la qualification C-1 (note de passage : 2/3) et de 17 points pour la qualification C-2 (note de passage : 12/17).

63 M. Keagan s’est soumis à l’examen écrit mais n’a pas obtenu la note de passage requise pour la qualification C-2 liée aux connaissances.

64 L’allégation de M. Keagan relativement à sa propre évaluation concerne en partie le fait que l’intimé a indiqué, dans sa réponse aux allégations, que la présentation de M. Keagan à l’examen écrit n’était environ que de 300 mots. M. Keagan a affirmé que sa présentation contenait environ 1 350 mots et que son examen n’avait donc pas été corrigé en entier. Dans son témoignage, l’intimé a reconnu qu’il avait fait une erreur dans sa réponse. M. Gray a confirmé qu’il avait corrigé en entier la présentation de M. Keagan, qui comptait quatre pages.

Évaluation de la qualification C-2 liée aux connaissances

65 M. Keagan a fait référence aux éléments 7, 8 et 9 à l’appui de son affirmation selon laquelle M. Dunne a été favorisé dans la correction de l’examen. Il a affirmé que M. Dunne avait obtenu la note maximale (1 point) pour les éléments 7 et 8, même si sa présentation était incomplète. M. Keagan a énuméré les renseignements manquants. Il a également affirmé que M. Dunne avait obtenu le maximum de 3 points pour l’élément 9, même si sa présentation ne mentionnait pas l’un des concepts précisés dans la grille de correction pour cette question, soit le « Groupe d’experts indépendant ». M. Keagan a expliqué que M. Dunne devait connaître l’élément 9 de par son rôle à titre de DSF.

66 La grille de correction précise que l’élément 9 devait comporter les renseignements suivants :

La réponse devrait mentionner le Groupe d’experts indépendant du CT et la réponse d’AINC ([Programme de paiements de transfert]). Elle devrait situer le contexte des relations financières entre AINC et les Premières Nations et préciser les programmes et les services visés. La réponse doit témoigner d’une connaissance du processus d’intervention ainsi que de ses effets sur les relations d’AINC avec les Premières Nations.

[traduction]

67 Les parties n’ont pas expliqué en quoi consistait le Groupe d’experts indépendant.

68 M. Keagan a affirmé que sa présentation traitait entièrement de tous les éléments requis, y compris des renseignements demandés pour les éléments 4, 6, 7 et 9. Il a d’ailleurs donné quelques brefs exemples de certains points qu’il a mentionnés pour ces éléments de la connaissance C-2. M. Keagan estime qu’il aurait dû recevoir un point de plus pour chacun de ces éléments.

69 M. Gray a affirmé avoir préparé l’examen écrit en collaboration avec un conseiller de l’administration centrale. Il n’est pas d’accord avec M. Keagan lorsque celui‑ci affirme que l’examen était conçu de façon à favoriser personnellement M. Dunne de par son expérience à titre de directeur intérimaire. Selon M. Gray, les questions portant sur les connaissances étaient très vastes, et il n’était pas nécessaire de posséder une expérience à titre de directeur pour pouvoir y répondre. Les candidats pouvaient avoir accès à des renseignements historiques et actuels en consultant Internet et des manuels d’histoire, de sorte qu’il était possible qu’une personne ne travaillant pas à la direction réussisse à l’examen, comme l’a d’ailleurs fait un candidat provenant d’une autre organisation; c’est même ce dernier candidat qui a obtenu la note la plus élevée à l’examen des connaissances.

70 M. Gray a reconnu que M. Dunne n’avait pas expressément fait référence au Groupe d’experts indépendant dans sa réponse, mais il a expliqué que celle‑ci précisait plusieurs autres points, comme les paiements de transfert et la réponse du ministère à l’initiative du Groupe d’experts indépendant, ce que M. Gray jugeait essentiel. M. Gray a décrit en détail les autres aspects de la réponse de M. Dunne pour l’élément 9, aspects qui l’ont amené à conclure que la présentation de M. Dunne, en ce qui a trait à cet élément, était en fin de compte « la plus solide » [traduction].

71 M. Gray n’a pas formulé de commentaires précis sur le témoignage de M. Keagan au sujet de la correction de l’examen de ce dernier, mais il a indiqué qu’il ne s’agissait pas d’un examen à choix multiples. Il s’était efforcé d’être le plus objectif possible, mais il y a toujours un certain niveau de subjectivité dans toute démarche de correction. Il a expliqué qu’il n’avait pas été très strict dans son évaluation des présentations, et que les réponses qu’il avait acceptées ne se limitaient pas à celles qui figuraient dans la grille de correction. Si la réponse d’un candidat démontrait que ce dernier avait compris un dossier ou qu’il en avait une connaissance générale, M. Gray acceptait la réponse.

72 Aux termes de l’article 36 de la LEFP, les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation pour déterminer si un candidat possède les qualifications établies pour un poste donné. Ce pouvoir discrétionnaire n’est cependant pas absolu, et toute personne n’ayant pas été nommée peut présenter une plainte en vertu de l’article 77(1)a) de la LEFP au motif qu’il y a eu abus de pouvoir dans la sélection et l’utilisation des méthodes d’évaluation (voir la décision Visca c. le Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024). Toutefois, lorsqu’il examine une plainte selon laquelle les qualifications n’ont pas été évaluées de façon appropriée, le Tribunal ne doit pas substituer son évaluation des qualifications des candidats à celle du gestionnaire ou du comité d’évaluation (voir la décision Edwards c. le sous‑ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2011 TDFP 0010, para. 34).

73 M. Keagan affirme que les renseignements qu’il a fournis dans sa présentation sont suffisants pour démontrer qu’il possédait les qualifications C-1 et C-2 liées aux connaissances, mais il n’a pas expliqué en quoi l’évaluation qu’a faite M. Gray de sa présentation était déficiente. Le Tribunal estime que M. Keagan n’a pas démontré que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué son examen écrit et celui de M. Dunne.

74 Quant à l’allégation selon laquelle l’examen écrit favorisait les candidats occupant un poste de directeur au bureau régional d’AADNC ou ayant déjà occupé un tel poste, le Tribunal est convaincu, selon l’explication de M. Gray, que les questions étaient vastes et les candidats n’ayant aucune expérience préalable à titre de directeurs pouvaient aisément y répondre. M. Keagan n’a présenté aucun élément de preuve visant à contester cette explication.

75 M. Keagan a également affirmé qu’une seule note de passage globale avait été fixée pour les qualifications C-1 et C-2 relatives aux connaissances et qu’il était impossible de déterminer si chaque qualification avait été évaluée. M. Gray a pour sa part affirmé qu’il y avait bel et bien une note de passage distincte pour chacune de ces deux compétences.

76 Le Tribunal a examiné le guide d’évaluation et la grille de correction qui ont été déposés en preuve. Ces deux documents indiquent clairement laquelle des qualifications liées aux connaissances chaque élément de l’examen écrit visait à évaluer. Chacune des qualifications relatives aux connaissances a été évaluée séparément.

77 En résumé, le Tribunal conclut que M. Keagan n’a pas réussi à démontrer que son examen écrit et celui de M. Dunne n’ont pas été évalués de façon appropriée.

Entrevue


78
Selon le guide d’évaluation et le guide de cotation, la question d’entrevue no 1 visait à évaluer la qualification C-3 liée aux connaissances, tandis que la question d’entrevue no 2 portait sur les compétences en leadership L-1 à L-4B.

79 Les cotes relatives aux qualifications C-3 et L-1 à L-4C ont été fixées à la suite d’un consensus des membres du comité d’évaluation, à la lumière de l’échelle de cotation standard EX‑01, qui correspond à une échelle d’évaluation descriptive de 1 à 5 points.

80 La compétence en leadership L-4C Excellence en gestion – gestion des finances (gestion des finances) devait être évaluée au moyen de la vérification des références et du test SELEX, selon le mode réussite/échec. La question d’entrevue no 2 devait servir « à des fins de validation seulement » [traduction]. Aucune explication n’est fournie dans le document au sujet de la nature de cette validation et de la façon de l’effectuer, sauf une note de M. Gray – dans la section des réponses attendues du document Questions d’entrevue et réponses [traduction] (les réponses attendues) – qui indique : « Nous pouvons vérifier les références pour l’évaluation de la gestion des finances » [traduction].

81 Même si la compétence Gestion des finances devait être évaluée selon le mode réussite/échec seulement, le comité d’évaluation a attribué aux candidats une note sur 5 points, après l’entrevue.

82 M. Gray a plus tard jugé que tous les candidats avaient « passé » l’étape de la vérification des références.

Question d’entrevue no 1

83 La question d’entrevue no 1 servait à évaluer la « connaissance du cadre de responsabilisation de gestion (CRG) du ministère » (C-3). Pour cette question, les candidats devaient décrire la façon dont ils s’y prendraient pour assurer une saine gestion au sein de leur direction. La réponse attendue comportait les six éléments du CRG, soit les politiques et les programmes, les personnes, les services axés sur les citoyens, la gestion des risques, la gérance et la responsabilisation.

84 En se reportant au document intitulé Cadre de responsabilisation de gestion tiré du site Web du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT), M. Pardy a expliqué que celui‑ci comportait dix éléments clés qui définissaient collectivement ce qu’était la gestion. À son avis, il était incorrect que l’outil d’évaluation fasse référence à seulement six éléments. Il a nommé les quatre autres éléments qui auraient dû faire partie de la réponse attendue.

85 M. Gray a expliqué qu’aux fins de l’évaluation des réponses des candidats, le comité d’évaluation s’était concentré sur les six éléments d’excellence en gestion qui sont décrits dans le CRG du SCT et qui figurent dans les réponses attendues. M. Gray a expliqué que la haute direction estimait que les quatre autres éléments du CRG étayaient les six éléments clés qui ont été retenus. Les candidats n’étaient pas pénalisés s’ils énuméraient tous les éléments du CRG.

86 La page du site Web du SCT qui décrit le CRG et à laquelle M. Pardy a fait référence dans son témoignage indique effectivement que les dix éléments du CRG comprennent les six domaines de l’excellence en gestion qui étaient énumérés dans les réponses attendues, soit les politiques et les programmes, les personnes, les services axés sur les citoyens, la gestion des risques, la gérance et la responsabilisation. M. Gray a confirmé dans son témoignage que les candidats qui énuméraient les dix éléments du CRG n’étaient pas pénalisés.

87 M. Pardy n’a pas démontré que la décision de l’intimé d’utiliser les six éléments de l’excellence en gestion aux fins de l’évaluation de cette qualification était inappropriée.

Question d’entrevue no 2

88 La question d’entrevue no 2 visait à évaluer les compétences en leadership. La question décrivait les faits entourant une situation donnée, et les candidats devaient expliquer comment ils réagiraient à cette situation.

89 M. Gray a expliqué que la compétence en leadership Gestion des finances avait été évaluée au moyen de la vérification des références et du test SELEX, selon le mode réussite/échec. Il a ajouté qu’aucune question précise ne visait à évaluer la gestion des finances; les candidats devaient répondre à la question uniquement afin de valider l’information obtenue durant la vérification des références. Il n’a toutefois pas expliqué ce qui était validé au moyen de la question no 2 ni la façon dont cette validation avait été effectuée.

90 M. Gray a dû répondre à des questions au sujet du paragraphe suivant, tiré des réponses attendues :

Les réponses jugées appropriées se fondent sur les comportements efficaces recherchés chez les directeurs, tels qu’ils sont indiqués dans le processus du [Programme de gestion du rendement]. Je dirais que la présente mise en situation permet d’évaluer les quatre compétences – comme vous dites, nous pourrons également vérifier les références pour la gestion des finances. Il est très difficile de concevoir une question qui fasse appel à tous ces points.

[traduction]

91 M. Gray a indiqué qu’il s’agissait d’une note qu’il avait écrite en réponse aux commentaires de l’équipe des ressources humaines de l’administration centrale et qu’elle ne devait pas faire partie de la réponse. Cette note avait pour but d’informer l’équipe des ressources humaines que la question d’entrevue no 2 portait en effet sur les quatre compétences et qu’il serait possible de consulter les références pour évaluer la gestion des finances. M. Gray a indiqué qu’il tentait ainsi d’expliquer que la question d’entrevue et l’outil d’entrevue étaient secondaires. Il ne s’attendait toutefois pas à ce que la vérification des références fournisse des résultats très différents des réponses obtenues autrement.

92 Selon le guide d’évaluation et le guide de cotation, les références devaient servir à l’évaluation de toutes les compétences en leadership et à la validation de la qualification Gestion des finances.

93 M. Gray a reconnu que ni lui ni les autres membres du comité d’évaluation n’avaient reçu ni consulté de résultats tirés de la vérification des références, laquelle avait été effectuée par un consultant. Il a expliqué que le DGR associé avait communiqué avec le consultant et examiné les renseignements fournis par les répondants. Le DGR associé avait ensuite affirmé que toutes les références étaient « correctes » [traduction], qu’elles étaient « bonnes et solides » [traduction] et qu’il n’y avait « aucune préoccupation à avoir à cet égard » [traduction].

94 M. Gray a reconnu que le comité d’évaluation avait attribué des notes pour la gestion des finances pendant l’entrevue, même si la vérification des références n’était pas encore terminée. Il n’était toutefois « pas certain » [traduction] de la raison pour laquelle des notes avaient été attribuées à chaque candidat pour cette qualification dans le guide de cotation et dans le guide d’évaluation, et il n’était pas en mesure d’expliquer « en détail » [traduction] pourquoi M. Dunne avait obtenu une note supérieure, d’un demi‑point, à celle des deux autres candidats. Il a affirmé que l’évaluation de cette qualification était effectuée selon le mode réussite/échec et qu’il « n’était pas en mesure de dire » [traduction] pourquoi le comité d’évaluation avait attribué une note aux candidats pour les réponses qu’ils avaient fournies. Il a affirmé que le comité n’avait pas fait le total des notes attribuées. Il a convenu que si l’on faisait le total des notes attribuées à M. Pardy selon le guide d’évaluation et le guide de cotation, on obtenait un résultat plus élevé que celui de M. Dunne, mais il a précisé que les deux résultats ne pouvaient pas se comparer. Il n’a toutefois pas précisé pourquoi.

95 M. Gray a affirmé qu’il était au fait de la compétence de MM. Dunne et Pardy en matière de gestion des finances et que la vérification des références n’aurait fait aucune différence. Il a ajouté que l’entrevue était un « élément crucial » [traduction] de la décision du comité d’évaluation. Il s’agissait de l’élément principal de l’évaluation et, lorsque l’entrevue a été terminée, les résultats étaient clairs. Selon M. Gray, la vérification des références ne devait servir qu’à « régler des formalités administratives » [traduction]. Il aurait été très surpris si la vérification des références avait modifié les résultats pour ce qui est de déterminer quel candidat avait réalisé la meilleure entrevue. Le personnel des ressources humaines l’avait informé que les résultats de la vérification des références avaient été versés au dossier.

96 Dans son témoignage, M. Gélinas, qui était membre du comité d’évaluation, a affirmé qu’il n’avait pas évalué les références et que le comité ne s’était pas réuni pour les examiner. Il a reconnu qu’il n’existait pas de guide d’évaluation « en tant que tel » pour évaluer les références. Incité à expliquer sur quoi étaient fondés les résultats figurant dans le guide d’évaluation, M. Gélinas a répondu de façon évasive : « J’imagine que cette compétence a été évaluée plus d’une fois. »

97 Le pouvoir discrétionnaire conféré aux administrateurs généraux par l’article 36 de la LEFP pour choisir et utiliser des méthodes d’évaluation n’est pas absolu. Les méthodes d’évaluation doivent réellement permettre d’évaluer la qualification visée et doivent être utilisées de façon équitable et raisonnable, sans quoi il peut y avoir une constatation selon laquelle l’administrateur général a abusé de son pouvoir (voir la décision Denny c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, para. 144).

98 Dans la décision Tibbs c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, au paragraphe 54, le Tribunal a expliqué les conséquences découlant du fait de ne pas fournir d’éléments de preuve pour réfuter ceux qui ont été présentés à l’appui d’une plainte :

54. Bien qu’il soit possible pour l’intimé, pour sa part, de nier tout simplement l’allégation, une fois que le plaignant a présenté certains éléments de preuve pour appuyer son allégation qu’un abus de pouvoir a eu lieu, il voudra vraisemblablement invoquer un moyen de défense positif à l’égard de l’allégation. De plus, il est possible pour le Tribunal de tirer des conclusions raisonnables de faits non contestés. Par conséquent, si l’intimé ne présente pas d’éléments de preuve pour expliquer les motifs d’une ligne de conduite particulière, il risque de devoir faire face à une décision défavorable par le Tribunal, soit que la plainte est fondée […].

99 Le Tribunal a examiné le guide d’évaluation et le guide de cotation. Les deux documents indiquent que la gestion des finances doit être évaluée au moyen de la vérification des références et du test SELEX, selon le mode réussite/échec. La question d’entrevue no 2 doit servir à « valider » [traduction] le résultat. Selon M. Gray, l’entrevue était fondamentale à la prise de décision du comité d’évaluation; il s’agissait de l’élément principal de l’évaluation et, une fois qu’elle était terminée, les résultats étaient clairs. Toutefois, il a reconnu qu’aucune question d’entrevue précise ne visait à évaluer la gestion des finances.

100 L’intimé n’a présenté aucune preuve pour expliquer comment la validation de la gestion des finances avait été effectuée, ni même si elle l’avait bel et bien été. Le témoignage présenté par M. Gray à cet égard est vague et contradictoire. Il a affirmé que les références devaient servir à « valider » [traduction] l’entrevue; or, il n’a pas examiné le rapport de vérification des références, ne sait pas ce que ce rapport contenait et ne connaît pas non plus la teneur des questions qui ont été posées aux répondants.

101 La gestion des finances devait être évaluée selon le mode réussite/échec, mais M. Gray n’est pas en mesure d’expliquer les notes que le comité d’évaluation a attribuées aux candidats, ni pourquoi M. Dunne a obtenu un demi‑point de plus que les autres candidats pour cette qualification. De plus, M. Gray a reconnu que les réponses des candidats à la question d’entrevue no 2 avaient été notées avant que la vérification des références ne soit terminée, ce qui contredit le courriel qu’il a envoyé après l’entrevue, où il indiquait que la vérification des références devait être terminée avant la diffusion des résultats.

102 L’intimé n’a présenté aucun élément de preuve attestant que la gestion des finances avait bel et bien été évaluée pendant l’entrevue. De la même façon, il n’a pas été en mesure d’expliquer quels renseignements devaient être recueillis ou obtenus dans le cadre de la vérification des références et n’a pas non plus décrit comment ces renseignements pouvaient être utilisés pour « valider » [traduction] les résultats de l’entrevue. Par conséquent, le Tribunal juge que l’intimé n’a pas démontré que les références ont « validé » [traduction] les résultats de l’entrevue.

103 L’affaire en l’espèce diffère de la situation qui entourait la décision Costello c. le sous‑ministre de Pêches et Océans Canada, 2009 TDFP 0032, où le Tribunal a jugé que l’abus de pouvoir n’avait pas été démontré. Dans cette affaire, le comité d’évaluation avait utilisé les références pour valider les résultats d’évaluation et pour s’assurer qu’il n’y aurait « pas de mauvaises surprises ». Le Tribunal a jugé que la qualification avait été entièrement évaluée à l’entrevue et que les réponses des répondants sur le rendement des candidats dans leur poste actuel ou antérieur ne présentaient un intérêt que si les répondants avaient fourni des renseignements qui entraient en contradiction avec les résultats des entrevues. Or, en l’espèce, le guide d’évaluation précisait que la qualification serait évaluée au moyen de la vérification des références.

104 Quant à l’affirmation de M. Gray selon laquelle il connaissait les compétences en gestion des finances de MM. Pardy et Dunne et que les références n’auraient fait aucune différence, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il s’agit là d’une évaluation suffisante et appropriée de la qualification. En effet, le comité d’évaluation a passé un troisième candidat en entrevue pour le même processus, et l’intimé n’a présenté aucune preuve attestant que M. Gray possédait une connaissance personnelle de la compétence de ce candidat en matière de gestion des finances.

105 Comme il a été indiqué précédemment, M. Pardy soutient qu’il a obtenu plus de points que M. Dunne et que, étant donné que l’intimé a utilisé le principe du mérite relatif dans son évaluation, c’est lui en réalité qui aurait dû être retenu, et non M. Dunne. Dans la réponse de l’administrateur général aux allégations de M. Pardy, avant l’audience, l’intimé a affirmé que le gestionnaire délégataire avait préparé une justification du choix du candidat en fonction de son rang. Dans ce document, signé par M. Gray le 29 juillet 2010, il est indiqué que M. Dunne a été choisi parce qu’il avait obtenu la note la plus élevée pour la plupart des critères d’évaluation et parce qu’il est autochtone. Dans son argumentation, l’intimé a affirmé que M. Gray avait décidé de nommer la personne autochtone qui obtiendrait le meilleur résultat à l’entrevue car il s’agirait de la bonne personne pour le poste.

106 Toutefois, dans son témoignage, M. Gray a reconnu que M. Pardy, qui est également autochtone, avait obtenu une note globale plus élevée que M. Dunne. M. Gray n’a cependant pas été en mesure d’expliquer son affirmation selon laquelle les deux résultats ne pouvaient pas se comparer. De plus, le comité d’évaluation a attribué des notes pour la qualification Gestion des finances à l’entrevue, même si les documents indiquaient que cette qualification devait être évaluée selon le mode réussite/échec.

107 Aucune règle stricte n’est énoncée dans la LEFP sur la façon dont doit s’effectuer le choix du candidat qui possède les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout aux fins d’une nomination (voir la décision Visca, para. 34). Par ailleurs, l’article 30(2) de la LEFP confère un pouvoir discrétionnaire considérable pour choisir, parmi les postulants qui possèdent les qualifications essentielles, celui qui, selon le gestionnaire, constitue la bonne personne pour le poste. Toutefois, ce choix doit s’effectuer dans le respect des valeurs que sont l’équité et la transparence et, pour cette raison, les critères présidant à ce choix doivent être énoncés clairement et de façon non équivoque.

108 En l’espèce, même si l’intimé a indiqué avoir utilisé « la note la plus élevée » [traduction], donc le mérite relatif, pour choisir la personne à nommer, il n’a pas expliqué clairement quels critères et outils d’évaluation ont réellement servi à déterminer le résultat final, compte tenu du témoignage de M. Gray selon lequel le comité d’évaluation n’avait pas fait le total des notes attribuées.

109 Selon le Tribunal, cette ambiguïté ne constitue pas qu’une simple erreur ou omission. Conjuguée au fait de ne pas avoir évalué la qualification Excellence en gestion – gestion des finances et à l’évaluation superficielle des références, elle équivaut à une telle incurie et à un tel manque de transparence qu’il s’agit de mauvaise foi (voir la décision Morgenstern c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2010 TDFP 0018, para. 38).

110 En somme, le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a omis d’évaluer la compétence en leadership Excellence en gestion – gestion des finances et qu’il a fait preuve de mauvaise foi dans le choix du candidat retenu.

B) Détermination à l’avance du candidat retenu

111 Les plaignants ont décrit les événements et les affirmations qui, à leur avis, démontrent que l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel à l’endroit de M. Dunne et avait décidé à l’avance que ce dernier serait nommé au poste pour une période indéterminée :

  • Le fait d’avoir demandé en mars 2010 à M. Dunne de faire une présentation sur le CRG à l’intention du comité de la haute direction;
  • Un commentaire que M. Gray a formulé à l’intention de Debbie MacDonald en avril 2010;
  • Des affirmations faites par M. Gray en mai 2010.

Présentation sur le Cadre de responsabilisation de gestion

112 Le 22 mars 2010, à la demande de M. Gray, M. Dunne a présenté un exposé sur le CRG aux membres du comité de la haute direction. Les plaignants soutiennent que cette invitation a été lancée à M. Dunne afin de l’aider à se préparer pour l’entrevue, qui a eu lieu environ six semaines plus tard. M. Pardy affirme que cette présentation, qui ne faisait pas partie intégrante des tâches courantes d’un DSF, a donné à M. Dunne la possibilité de se préparer à l’entrevue. M. Keagan soutient qu’il s’agit là d’une indication que la nomination était entachée de favoritisme personnel à l’égard de M. Dunne en raison de son rôle de DSF.

113 Le compte rendu de la réunion du 22 mars 2010 du comité de la haute direction confirme que M. Gray avait demandé qu’une réunion ait lieu avec l’équipe de direction élargie pour en apprendre davantage au sujet du CRG, de ses éléments constitutifs et des mesures qui étaient prises pour appuyer l’administration centrale.

114 Dans son témoignage, M. Pardy a indiqué que l’adjointe de M. Gray l’avait informé que ce dernier avait demandé à M. Dunne de faire cette présentation parce qu’il savait que celui‑ci était en train d’étudier le CRG en vue de l’entrevue. Selon M. Pardy, M. Dunne lui a également dit qu’on lui avait demandé de faire une présentation sur le CRG. M. Pardy a ajouté que M. Dunne avait affirmé en blague qu’il se demandait s’il devait accéder à cette demande. Enfin, M. Pardy a expliqué que le 4 mai 2010, après l’entrevue, M. Dunne lui avait indiqué qu’il avait fait une présentation sur le CRG quelques semaines auparavant et que les directeurs avaient semblé impressionnés.

115 L’adjointe de M. Gray et M. Dunne n’ont pas été appelés à témoigner à cet égard. M. Pardy n’a pas posé de question à M. Gray au sujet de la présentation sur le CRG. Toutefois, le compte rendu du 22 mars 2010 confirme que M. Gray avait bel et bien demandé que cette présentation ait lieu.

116 La présentation et l’entrevue portaient toutes deux sur le CRG ministériel. Une transcription des notes manuscrites de la présentation de M. Dunne a été produite en preuve. Ces notes décrivent le CRG, énumèrent les dix éléments et précisent les six domaines ayant obtenu la cote « possibilité d’amélioration » au cours de la dernière ronde d’évaluation du ministère. La question d’entrevue no 1, qui visait à évaluer la connaissance du cadre de responsabilisation de gestion du ministère (C-3), était de nature semblable à la présentation en ce sens que les candidats devaient faire référence aux éléments clés du CRG et décrire la démarche qu’ils adopteraient, à titre de DSF, pour assurer la saine gestion au sein de leur direction.

117 Tous les candidats savaient que la connaissance du CRG du ministère constituait une qualification essentielle, et les trois candidats retenus à l’issue de l’examen écrit de février 2010 savaient également que la connaissance du CRG serait évaluée à l’entrevue. M. Gray avait préparé les questions d’entrevue, connaissait bien leur nature et savait que M. Dunne serait convoqué à une entrevue.

118 Le Tribunal juge que, selon toute vraisemblance, la présentation a effectivement donné à M. Dunne la possibilité de se préparer pour l’entrevue, possibilité qui n’a pas été offerte aux deux autres candidats.

Affirmation formulée à l’intention de Debbie MacDonald

119 M. Pardy affirme que les déclarations de M. Gray à Mme MacDonald en avril 2010 montrent qu’il avait déjà décidé que M. Dunne serait nommé au poste de DSF.

120 Au moment où le processus d’évaluation a eu lieu, Mme MacDonald était gestionnaire, Ressources humaines, et était responsable des relations de travail pour la région de l’Atlantique. Elle a affirmé qu’au cours d’une réunion avec M. Gray, peu de temps avant les entrevues, celui‑ci lui avait confié qu’il avait décidé d’offrir le poste de DSF à M. Dunne car ce dernier occupait le poste à titre intérimaire depuis trois ans et qu’il serait « très difficile pour son ego » [traduction] de ne pas être nommé au poste. Mme MacDonald a affirmé qu’elle avait immédiatement conseillé à M. Gray de laisser le comité d’évaluation faire son travail, autrement l’intégrité du processus serait compromise. Elle avait ensuite fait part au directeur des Services ministériels de ses préoccupations au sujet des intentions de M. Gray.

121 M. Gray a indiqué qu’il ne se souvenait pas d’avoir tenu ces propos à Mme MacDonald. Il a affirmé qu’il n’avait aucune inquiétude au sujet de l’ego de M. Dunne et qu’il ne craignait pas de le décevoir. M. Dunne n’était en rien différent des autres employés sous sa supervision.

122 M. Gray ne se rappelle pas avoir tenu ces propos, mais en revanche, le souvenir de Mme MacDonald à cet égard est précis et l’avait amenée, à l’époque, à exprimer ses préoccupations à un gestionnaire supérieur. Le Tribunal juge donc, selon toute vraisemblance, que M. Gray a effectivement affirmé à Mme MacDonald qu’il avait décidé d’offrir le poste de DSF à M. Dunne.

Affirmations faites en mai 2010

123 Dans son témoignage, M. Pardy a décrit les propos que lui a tenus M. Gray après l’entrevue du 4 mai 2010, mais avant la vérification des références. Selon M. Pardy, ces propos indiquent que M. Gray avait décidé à l’avance que ce serait M. Dunne qui serait le candidat retenu.

124 Les entrevues ont eu lieu le 4 mai 2010. Selon le témoignage de M. Pardy, le 5 mai 2010, M. Gray s’est rendu à son bureau pour l’informer que M. Dunne était le candidat retenu. Les courriels produits en preuve confirment que, le 7 mai 2010, M. Pardy a demandé une discussion informelle avec M. Gray, et ce dernier a accepté tout en précisant que le processus n’était pas encore terminé puisque la vérification des références n’avait pas été effectuée. M. Gray a toutefois écrit que « compte tenu de l’outil d’évaluation et du rôle relatif de la vérification des références, il est plutôt improbable que les résultats préliminaires changent après les entrevues ».[traduction]

125 M. Pardy a aussi affirmé avoir pris des notes détaillées pour consigner les affirmations de M. Gray pendant leur réunion du 5 mai 2010 et une autre réunion qui s’est tenue le 12 mai 2010. Il a notamment rapporté les affirmations suivantes :

  • Il aurait été très difficile de déloger M. Dunne de son poste, car il faisait très bien son travail;
  • M. Dunne avait une présence à l’entrevue, particulièrement pour les questions qui touchaient le poste de DSF; la transition aurait été difficile si vous aviez été nommé au poste de DSF;
  • C’est un emploi difficile et M. Dunne est solide; vous n’arriverez pas à le battre sur des questions de gestion des finances.

[traduction]

126 M. Pardy a expliqué que M. Gray lui avait dit le 12 mai 2010 que sa décision était fondée sur les résultats cumulatifs, lesquels indiquaient que M. Dunne devançait les autres candidats. Lorsque M. Pardy lui a demandé quels avaient été les critères relatifs au choix de la bonne personne, M. Gray lui aurait répondu que le comité d’évaluation n’avait pas discuté de cette question.

127 Dans son témoignage, M. Gray a reconnu qu’il avait annoncé trop rapidement que M. Dunne était le candidat retenu. Il a affirmé qu’il ne se souvenait pas de ses discussions avec M. Pardy ni d’avoir affirmé à ce dernier qu’il ne pourrait pas « battre » [traduction] M. Dunne sur des questions de gestion des finances. À son souvenir, la discussion avait porté sur l’excellente prestation de M. Dunne à l’entrevue. Le comité avait déterminé qui avait donné la meilleure prestation à l’entrevue. M. Gray ne se souvenait pas non plus des détails d’une discussion sur le choix de la bonne personne.

128 Compte tenu des éléments de preuve et des constatations liés à l’évaluation de la qualification Gestion des finances ainsi que du commentaire de M. Gray selon lequel la vérification des références n’aurait fait aucune différence puisqu’il connaissait les compétences de M. Dunne en matière de gestion des finances et que les références ne servaient qu’à régler des détails administratifs, le Tribunal juge que, selon toute vraisemblance, M. Gray a tenu les propos susmentionnés à M. Pardy les 5 et 12 mai 2010. Il est donc vraisemblable que M. Gray avait décidé, avant la vérification des références, que M. Dunne serait nommé au poste de DSF.

129 Comme l’a indiqué le Tribunal dans la décision Glasgow c. Sous‑ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, la preuve de favoritisme personnel peut être directe, par exemple lorsqu’il s’agit de faits démontrant clairement le lien personnel étroit qui existe entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée. Toutefois, il peut également s’agir d’une preuve circonstancielle, dans un contexte où certains actes, commentaires ou événements observés avant ou pendant le processus de nomination doivent être examinés. Selon sa nature, la preuve circonstancielle peut être aussi convaincante que la preuve directe.

130 Il est curieux que l’intimé ait demandé à M. Dunne de préparer et de présenter un exposé sur le CRG devant le comité de la haute direction pendant que le processus de nomination, pour lequel la connaissance du CRG devait être évaluée, était en cours. M. Dunne a ainsi pu se préparer pour l’entrevue, ce qui lui a conféré un avantage indu par rapport aux deux autres candidats, qui n’ont pas eu une telle possibilité.

131 De plus, la déclaration de M. Gray à Mme MacDonald en avril 2010 indique fortement que M. Gray avait déjà décidé tôt dans le processus annoncé, voire dès le départ, que M. Dunne serait nommé au poste de DSF. En mai 2010, la vérification des références était devenue une simple formalité à laquelle il fallait s’astreindre. M. Gray avait déjà pris la décision de nommer M. Dunne, ce qui a par la suite été confirmé par les propos qu’il a tenus à M. Pardy au cours de leurs rencontres des 5 et 12 mai 2010.

132 Le Tribunal juge que ces actes et affirmations démontrent que l’intimé n’agissait pas de bonne foi et que, selon toute vraisemblance, il a fait preuve de favoritisme personnel à l’endroit de M. Dunne dans le cadre du processus annoncé faisant l’objet de la plainte.

133 En conclusion, le Tribunal juge que l’intimé a abusé de son pouvoir en n’évaluant pas la qualification Compétence en leadership – excellence en gestion – gestion des finances, en se montrant négligent et en manquant de transparence dans la façon de choisir la personne à nommer, de même qu’en faisant preuve de favoritisme personnel à l’égard de M. Dunne.

Décision


134
Pour tous les motifs susmentionnés, les plaintes concernant le processus annoncé sont accueillies.

135 La plainte de M. Pardy concernant la nomination intérimaire découlant du processus non annoncé est rejetée.

Ordonnance


136
Le Tribunal ordonne à l’intimé de révoquer la nomination de M. Dunne dans les 60 jours suivant la présente décision.

Lyette Babin‑MacKay
Membre

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2010‑0416, 2010‑0620 et 2010‑0657
Intitulé de la cause :
Larry Pardy et Thomas Keagan c. le sous‑ministre des Affaires autochtones et Développement du Nord Canada
Audience :
Les 21 et 22 juin 2011 et
Les 21 et 22 septembre 2011
Moncton (Nouveau‑Brunswick)
Date des motifs :
Le 7 juin 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Larry Pardy
Thomas Keagan
Pour l'intimé :
Lea Bou Karam
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin
(observations écrites)
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