Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés sont des agents correctionnels et font partie de l’Équipe pénitentiaire d’intervention en cas d’urgence (EPIU) - à ce titre, ils ont été appelés à travailler dans un autre établissement pour une période de trois jours civils consécutifs - les deux fonctionnaires s’estimant lésés étaient à leur deuxième jour de repos lorsqu’ils ont été appelés à travailler - ils ont travaillé de manière continue au cours des 45 heures suivantes, lesquelles comprenaient des heures de travail que chacun des fonctionnaires s’estimant lésés devait effectuer, selon son horaire de travail normal pour deux quarts de travail réguliers de 12,75 heures au sein d’un autre établissement - les fonctionnaires s’estimant lésés ont demandé à être rémunérés au tarif double pour toute la période, en sus de leur salaire régulier pour les heures de travail prévues à leur horaire normal respectif - l’employeur a modifié leurs formulaires de demande de remboursement afin de tenir compte du paiement au taux normal des heures que les fonctionnaires s’estimant lésés devaient travailler dans le cadre de leur horaire de travail normal, puisqu’ils avaient tous deux reçu leur salaire régulier de leur établissement respectif relativement aux quarts de travail prévus à leur horaire normal respectif - l’employeur n’a pas contesté que les fonctionnaires s’estimant lésés avaient le droit d’être rémunérés au tarif double pour toute la période, tout en soutenant qu’il les avait effectivement rémunérés au tarif double pour la totalité des heures de travail effectuées, puisqu’ils avaient reçu leur salaire au taux normal pour les quarts de travail prévus à leur horaire de travail normal, en sus du deuxième paiement au taux normal, par chèque de temps supplémentaire distinct, pour les heures de travail effectuées - en fait, les fonctionnaires s’estimant lésés réclamaient à être rémunérés au tarif triple - la clause 21.13 de la convention collective ne crée pas un droit de recevoir une rémunération qui serait autonome et distinct de l’obligation générale de l’employeur de rémunérer les fonctionnaires pour la prestation de leurs services - l’employeur a soutenu que l’interdiction du cumul fait obstacle à un tel droit - l’arbitre de grief a conclu qu’il n’existait pas d’interdiction de cumul à cet égard, car la rémunération des heures supplémentaires et du salaire régulier vise essentiellement le même objet - le libellé employé dans la convention collective n’était pas ambigu, et donc l’arbitre de grief n’était pas disposée à se fonder sur une pratique antérieure - elle a précisé que si elle avait été disposée à conclure en ce sens, la preuve présentée s’avérait nettement insuffisante - àl’audience, l’employeur a reconnu qu’une erreur s’était glissée dans le calcul des heures supplémentaires effectuées par M.Duplessis et s’est engagé à le rémunérer pour 3,75 heures supplémentaires; son grief est accueilli en partie dans cette mesure. Un grief accueilli en partie. Un grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-09-19
  • Dossier:  566-02-2126 et 2127
  • Référence:  2012 CRTFP 97

Devant un arbitre de grief


ENTRE

KEVIN SINGLETON ET CHRIS DUPLESSIS

Fonctionnaires s'estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Service correctionnel du Canada)

employeur

Répertorié
Singleton et Duplessis c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Kate Rogers, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s’estimant lésés:
John Mancini, avocat

Pour l'employeur:
John Jaworski, avocat

Affaire entendue à Moncton (Nouveau-Brunswick),
le 12 juillet 2012.
(Traduction de la CRTFP)

I. Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Les fonctionnaires s’estimant lésés, Kevin Singleton et Chris Duplessis (les « fonctionnaires »), travaillent comme agents correctionnels à l’Établissement de l’Atlantique du Service correctionnel du Canada (l’« employeur »), à Renous, au Nouveau-Brunswick. Le poste de M. Singleton est classifié au groupe et niveau CX-01, alors que celui de M. Duplessis est classifié au groupe et niveau CX-02. En février 2008, les fonctionnaires ont tous les deux présenté des griefs identiques, alléguant qu’ils n’avaient pas été correctement rémunérés pour les heures de travail continues effectuées du 22 au 24 janvier 2008, quand ils ont été appelés à travailler au Pénitencier de Dorchester, à Dorchester, au Nouveau-Brunswick, au sein de l’Équipe pénitentiaire d’intervention en cas d’urgence (EPIU).

2 Tout au long de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a affirmé que les fonctionnaires avaient été rémunérés correctement. Toutefois, au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, l’employeur a reconnu que les fonctionnaires avaient droit à une rémunération supplémentaire pour une petite partie des heures réclamées dans leurs griefs. Les griefs ont donc été partiellement accueillis. Les fonctionnaires ont renvoyé les griefs à l’arbitrage le 19 juin 2008.

3 Le litige porte sur l’interprétation qu’il convient de donner à la clause 21.13 de la convention collective entre le Conseil du Trésor et le Union of Canadian Correctional Officers – Syndicat des agents correctionnels du Canada – CSN (le « syndicat »), qui vient à échéance le 31 mai 2010 (la « convention collective »). Plus particulièrement, le litige porte sur la question de savoir si l’obligation de rémunérer les heures au tarif double, tel qu’il est prévu dans cette clause, doit être calculée en sus de la rémunération normalement versée aux fonctionnaires pour leurs heures de travail normales, ou si le calcul inclut déjà la rémunération normale des fonctionnaires.

II. Résumé de la preuve

4 Les fonctionnaires ont témoigné pour leur propre compte. Le syndicat a aussi appelé M. Craig Purchase, un agent correctionnel de l’Établissement de Dorchester, à témoigner. Le syndicat a produit en preuve cinq documents, dont la convention collective. L’employeur n’a cité aucun témoin à comparaître, et n’a produit aucun document en preuve. Les parties ont convenu que les preuves produites serviraient dans les deux griefs.

5 Les fonctionnaires sont membres volontaires de l’EPIU. M. Duplessis a expliqué que l’EPIU était constitué d’une équipe de volontaires provenant de différents établissements correctionnels de la région de l’Atlantique et que les membres de l’équipe pouvaient être appelés à intervenir en cas d’urgence dans divers établissements; une telle situation ne se produit toutefois pas fréquemment. Il estimait qu’il était plus probable que des membres de l’EPIU de l’Établissement de Dorchester soient appelés à intervenir à l’Établissement de l’Atlantique que l’inverse.

6 M. Duplessis a expliqué que l’EPIU intervenait généralement lors de situations d’urgence, par exemple lorsque des détenus refusent de sortir de leurs cellules, une urgence de nature médicale, une émeute, une prise d’otage ou une fouille exceptionnelle. À l’époque en question, l’équipe a été appelée à intervenir à l’occasion d’une fouille exceptionnelle effectuée à l’Établissement de Dorchester parce qu’on croyait qu’une arme se trouvait dans l’établissement; le directeur avait demandé qu’une fouille soit effectuée dans les plus brefs délais.

7 Le gestionnaire correctionnel de l’Établissement de l’Atlantique a téléphoné à M. Duplessis et lui a demandé s’il pouvait se rendre à l’Établissement de Dorchester afin de travailler pour l’EPIU le dimanche 22 janvier 2008, son deuxième jour de repos. Selon son horaire normal de travail, il devait travailler les 23 et 24 janvier 2008 à l’Établissement de l’Atlantique. Il travaillait normalement des quarts de travail de 12,75 heures.

8 M. Singleton a déclaré que lui aussi en était à son deuxième jour de repos lorsqu’il a reçu l’appel lui demandant de se rendre à l’Établissement de Dorchester afin de travailler pour l’EPIU. Selon son horaire de travail normal, il devait également travailler les 23 et 24 janvier 2008 à l’Établissement de l’Atlantique. Comme M. Duplessis. Il travaillait normalement des quarts de travail de 12,75 heures.

9 À leur arrivée à l’Établissement de Dorchester, les fonctionnaires ont suivi les consignes du chef d’équipe qui était sur les lieux. Ils ont travaillé à l’Établissement de Dorchester de façon continue du 22 janvier 2008 à 14 h jusqu’au 24 janvier 2008 à 11 h. Selon leur description, leur horaire prévoyait quatre heures de travail suivi de quatre heures [traduction] « de répit », soit une période pendant laquelle ils pouvaient enlever leur équipement, manger, se reposer ou se détendre. Cependant, durant cette période, ils étaient toujours considérés comme étant au travail, car ils étaient en disponibilité et ne pouvaient pas quitter l’établissement.

10 Les fonctionnaires ont produit en preuve leurs rapports d’heures supplémentaires (pièces G-2, G-3 et G-5). Les pièces G-2 et G-5 sont les demandes originales présentées par les fonctionnaires et portant les initiales du superviseur de l’Établissement de Dorchester. Les fonctionnaires ont été informés qu’ils pouvaient déposer leurs formulaires respectifs auprès du gestionnaire correctionnel de l’Établissement de Dorchester, qui se chargerait alors de les traiter, ou bien rapporter le formulaire à l’Établissement de l’Atlantique afin que le traitement y soit effectué. Les fonctionnaires ont choisi de rapporter leurs formulaires respectifs à l’Établissement de l’Atlantique parce qu’on leur a dit qu’ils seraient payés plus rapidement si leur demande était présentée à leur établissement d’attache.

11 Sur les formulaires qu’ils ont présentés, les fonctionnaires ont demandé à être rémunérés au tarif double pour toute la période où ils étaient affectés à l’Établissement de Dorchester, en plus du temps prévu pour les pauses-repas. Ils ont témoigné qu’ils n’avaient pas réclamé le paiement de l’indemnité de repas, car les repas étaient fournis par l’établissement. Le gestionnaire correctionnel de l’Établissement de l’Atlantique a répondu aux demandes de paiement des heures supplémentaires des fonctionnaires; les montants réclamés avaient été modifiés dans la réponse. Le gestionnaire correctionnel a modifié la demande en remplaçant le tarif double qu’ils avaient réclamé pour toute la période où ils étaient à Dorchester, par un paiement au tarif normal pour les heures de travail que les fonctionnaires auraient normalement travaillées à l’Établissement de l’Atlantique, dans le cadre de leur horaire de travail normal. Par exemple, M. Duplessis a expliqué que puisque, selon son horaire de travail normal, il devait travailler le 23 janvier 2008 de 8 h 45 à 19 h 30, sa demande de paiement des heures supplémentaires avait été changée en une demande de paiement au tarif normal plutôt qu’un paiement au tarif double.

12 Les deux fonctionnaires ont témoigné qu’ils avaient reçu leur rémunération au tarif normal de l’Établissement de l’Atlantique pour la période en cause. Les quarts de travail qu’ils avaient manqués pendant leur affectation au sein de l’EPIU à l’Établissement de Dorchester n’avaient pas été retranchés de leur salaire. Ils ont chacun reçu un chèque de paie distinct pour les heures supplémentaires travaillées à Dorchester pour l’EPIU. Aucun des deux fonctionnaires ne pouvait préciser avec exactitude combien d’heures supplémentaires leur avaient été payées.

13 M. Duplessis a témoigné qu’il avait appris que des agents correctionnels d’autres établissements qui avaient travaillé les mêmes heures que lui pour l’EPIU avaient été payés au tarif double. M. Singleton a témoigné que par le passé, lorsqu’il travaillait pour l’EPIU et qu’il n’était pas de service au moment où il était appelé à se rendre au travail, il était automatiquement payé au tarif double jusqu’à ce que l’incident en question soit terminé.

14 M. Purchase travaille comme agent correctionnel classifié CX-02, à l’Établissement de Dorchester. Il a témoigné qu’il travaillait également pour l’EPIU et qu’il avait travaillé à ce titre avec les fonctionnaires à l’époque en question. Il a expliqué qu’entre douze et quinze membres de l’EPIU provenaient de l’Établissement de Dorchester. Il a indiqué que lorsqu’un agent était déjà de service pendant un quart de travail, le tarif double ne commençait qu’une fois que le quart de travail normal de l’agent prenait fin. Dès que le tarif double entrait en application, les agents étaient rémunérés à ce tarif jusqu’à ce que l’incident en question soit terminé. Il a témoigné que selon le jour de repos de l’agent au moment de l’appel, ce dernier était rémunéré au tarif double après le premier quart de travail. Il a dit qu’il avait été affecté à l’EPIU tant à l’Établissement de l’Atlantique qu’à celui de Springhill, et que la formule était toujours la même – le tarif de rémunération était le tarif double après le premier quart de travail.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le syndicat

15 Le syndicat a soutenu que les griefs devaient être accueillis au motif que le libellé de la convention collective était clair à cet égard, ainsi qu’en raison des précédents et des pratiques antérieures. En vertu de la clause 21.13 de la convention collective, les fonctionnaires avaient le droit d’être rémunérés au tarif double pour la période visée par leur demande de paiement, en sus de leur salaire normal pour les heures de travail prévues à leur horaire.

16 Il ressort clairement des pièces G-2 et G-3 que les deux fonctionnaires avaient reçu une rémunération calculée au tarif double pour les heures supplémentaires travaillées le 22 janvier 2008, soit les heures travaillées à leur deuxième jour de repos, conformément à la clause 21.13a) de la convention collective. Cette partie de la réclamation du paiement des heures supplémentaires présentée par les fonctionnaires n’est pas contestée. De plus, la réclamation du paiement des heures supplémentaires des fonctionnaires au tarif double pour les heures de travail effectuées le 23 janvier 2008 entre 19 h 30 et 24 h, et le 24 janvier 2008 entre minuit et 6 h 45 n’est pas non plus contestée, le droit de recevoir cette rémunération étant clairement énoncé à la clause 21.13d) de la convention collective. Cependant, l’employeur a modifié les demandes des fonctionnaires visant le paiement des heures supplémentaires pour les quarts de travail de 12,75 heures prévus à leur horaire de travail à l’Établissement de l’Atlantique les 23 et 24 janvier 2008. L’employeur a modifié la demande de rémunération au tarif double pour qu’elle soit au tarif normal, au motif que les fonctionnaires avaient déjà été rémunérés au tarif normal pour ces heures lors du versement de leur paye normale. Le syndicat a fait valoir que le libellé non équivoque de la clause 21.13 venait appuyer sa position que les fonctionnaires avaient le droit d’être indemnisés au tarif double pour la totalité de la période visée par leur réclamation, en sus de leur paye ordinaire.

17 Le syndicat a fait valoir que, bien qu’il n’y ait aucune jurisprudence traitant spécifiquement de cette question, celle-ci était analogue aux situations de cumul des prestations. Citant Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration, 4e édition, au paragraphe 8:2140, portant sur la question du cumul, le syndicat a soutenu qu’il n’existait plus de présomption contre le cumul des prestations et que, pourvu que les paiements soient versés pour des fins différentes, il n’était pas abusif que des employés puissent bénéficier des deux. Renvoyant à l’extrait de l’ouvrage de Brown et Beatty à cet égard, le syndicat a souligné ceci :

[Traduction]

[…]

[…] le versement d’une prime pour un travail effectué un dimanche ou un jour férié en vertu d’une clause de la convention, et l’inclusion de ces heures dans le calcul des heures travaillées par l’employé afin d’établir son droit à recevoir la majoration hebdomadaire pour travail supplémentaire en vertu d’une autre clause, ne comprenait pas le cumul des prestations, soit d’être rémunéré deux fois pour les mêmes heures de travail.

[…]

18 Le syndicat a notamment fait valoir que ce texte s’appliquait clairement aux faits en cause, puisque les fonctionnaires avaient un travail habituel pour lequel ils avaient le droit d’être rémunérés, qu’on les avait affectés à du travail ailleurs, et qu’ils avaient le droit d’être rémunérés pour ce travail selon les dispositions de la clause sur les heures supplémentaires, en sus de leur paye ordinaire.

19 Le syndicat a aussi fait valoir que, dans des circonstances similaires au cours desquelles l’EPIU était appelée à intervenir, il était d’usage de rémunérer les fonctionnaires au tarif double pour toute la période de l’affectation à l’EPIU, et ce, dès que les fonctionnaires avaient atteint le tarif double de rémunération. La pratique consistant à réduire la rémunération à un tarif normal pour les heures de travail prévues à l’horaire habituel, comme c’est le cas ici, est nouvelle. Les parties savaient pourtant que la pratique avait toujours été de rémunérer les heures supplémentaires effectuées dans de telles circonstances au tarif double. L’approche correcte à adopter dans les circonstances aurait été que l’employeur renvoie cette question à la table de négociation et non qu’il impose unilatéralement cette pratique à ses employés.

20 Le syndicat a soutenu que, pour les motifs précités, les griefs devaient être accueillis.

B. Pour l’employeur

21 L’employeur a reconnu qu’il n’était pas contesté que les fonctionnaires avaient effectué le travail pour lequel ils réclamaient le paiement de leurs heures supplémentaires, ni que le travail en question était un travail important et dangereux. Quoi qu’il en soit, l’employeur n’était pas tenu en vertu de la convention collective de rémunérer ce travail au tarif triple.

22 Les faits se rapportant à ces griefs sont clairs. Les deux fonctionnaires ont été appelés à se rendre au travail durant leur deuxième jour de repos et avaient donc le droit d’être rémunérés au tarif double. Pour les heures de travail effectuées à l’Établissement de Dorchester pour l’EPIU, les fonctionnaires avaient le droit d’être rémunérés au tarif double, et ils ont été rémunérés au tarif double. Cependant, l’employeur avait le droit de tenir compte de la paye normale que les fonctionnaires ont confirmé avoir reçue relativement aux quarts de travail prévus à leur horaire mais non effectués à l’Établissement de l’Atlantique. Les fonctionnaires n’ont pas effectué leurs quarts de travail prévus à leur horaire de travail normal les 23 et 24 janvier 2008; d’autres employés ont travaillé à leur place pendant ces quarts de travail, alors que les fonctionnaires travaillaient à l’Établissement de Dorchester.

23 L’employeur a soutenu que les pratiques antérieures n’étaient pas le seul élément à considérer. Ainsi, un arbitre de grief ne peut recourir aux pratiques antérieures pour interpréter une clause d’une convention collective que lorsque le libellé de la clause en question est ambigu. Lorsque le libellé est clair, les pratiques antérieures ne sont pas pertinentes, car l’intention des parties est révélée à partir du libellé explicite de la convention collective. L’employeur a souligné que le fait qu’il puisse y avoir une divergence d’opinions quant au sens ou à l’interprétation à donner à une clause de la convention collective ne signifie pas pour autant que cette clause est ambiguë. L’employeur m’a renvoyé à: Snyder, Collective Agreement Arbitration in Canada, 4e édition; Brown et Beatty; United Steelworkers v. Uddeholm Steels Ltd. (1971), 22 L.A.C. 419; Weston Bakeries Ltd. v. Retail, Wholesale Bakery and Confectionery Workers, Local 461 (1974), 6 L.A.C. (2d) 190; DHL Express (Canada) Ltd. v. C.A.W.-Canada, Locals 4215, 144 and 4278 (2004), 124 L.A.C. (4e) 271, et Sensient Flavors Canada Inc. (Halton Hills) v. United Steelworkers, Local 3950 (2011), 105 C.L.A.S. 56.

24 L’employeur a soutenu que, si la preuve des pratiques antérieures devait être admise, celles-ci doivent avoir été appliquées de façon constante, et ce, à la connaissance des deux parties, comme il est précisé dans DHL Express (Canada) Ltd., précité, aux paragraphes 88 et 89.

25 En l’espèce, la convention collective n’est pas ambiguë. En fait, les clauses pertinentes énoncent clairement la description des heures de travail et les versements en ce qui a trait aux heures supplémentaires. Qui plus est, le syndicat n’a pas présenté de preuve étayant l’existence de pratiques antérieures. Tout ce qui a été présenté était le témoignage d’un seul fonctionnaire, lequel n’a par ailleurs témoigné qu’au sujet de sa propre expérience. Il n’était pas membre de l’équipe de négociation et n’avait pas de connaissance particulière lui permettant de témoigner au-delà de sa propre expérience à cet égard.

26 L’employeur a également observé que les fonctionnaires ne pouvaient pas établir précisément ce qui leur avait été payé et ce qu’ils estimaient avoir perdu. Ils ont témoigné avoir reçu leur chèque de paie normal ainsi que le paiement de leurs heures supplémentaires. L’employeur a affirmé qu’outre une seule petite exception, les fonctionnaires avaient été rémunérés au tarif double pour toute la période en question et que la convention collective n’avait aucunement été violée. L’employeur a reconnu qu’une somme était due à M. Duplessis relativement à 3,75 heures de travail, somme que l’employeur s’engageait à lui verser.

27 En ce qui a trait au cumul des prestations, l’employeur a souligné qu’en vertu du libellé de la clause 24.03 de la convention collective, les paiements prévus en vertu des dispositions concernant les heures supplémentaires, l’indemnité de rentrée au travail, les jours fériés désignés payés et l’indemnité de disponibilité ne doivent pas être cumulés.

28 L’employeur a demandé que les griefs soient rejetés.

C. Réplique du syndicat

29 Le syndicat a fait valoir que la clause 24.03 de la convention collective ne s’appliquait pas aux faits en l’espèce, car elle ne faisait mention spécifiquement que de quatre clauses visées par l’interdiction du cumul des prestations. En fait, aucune interdiction générale du cumul des prestations ne figure dans la convention collective. La clause vient plutôt soutenir la position du syndicat. En effet, son libellé démontre que dans certaines circonstances le cumul est permis.

30 Le syndicat a convenu avec l’employeur que le libellé clair et simple de la convention collective faisait autorité. En l’espèce, le libellé employé est on ne peut plus clair, si bien que personne n’en a contesté l’interprétation au fil des ans. Le syndicat a présenté en preuve l’existence de pratiques antérieures parce que celles-ci reflétaient ce que les parties avaient compris et mis en place.

31 Le syndicat a soutenu que le motif de l’employeur pour réduire le salaire des fonctionnaires au tarif normal pour la période durant laquelle ils avaient déjà été rémunérés au tarif normal lors du versement de leur paye habituelle n’était pas valable. Selon le syndicat, le libellé clair et simple de la convention collective démontre que l’employeur devait rémunérer les fonctionnaires au tarif double, même s’ils avaient déjà été rémunérés au tarif normal pour leurs heures normales de travail.

32 Le syndicat a demandé que les griefs soient accueillis en totalité.

IV. Motifs

33 Les fonctionnaires sont des agents correctionnels travaillant normalement à l’Établissement de l’Atlantique situé à Renous, au Nouveau-Brunswick. Ils se sont portés volontaires afin de travailler pour l’EPIU constituée pour la région de l’Atlantique de l’employeur. En janvier 2008, ils ont été appelés à travailler à l’Établissement de Dorchester au sein d’une équipe de l’EPIU chargée de procéder à une fouille intensive dans ce dernier établissement. Du 22 au 24 janvier 2008, les fonctionnaires ont travaillé de façon continue à l’Établissement de Dorchester selon un horaire de quatre heures de travail actif suivies de quatre heures de temps de répit. Le temps de répit est considéré comme du temps de travail, car les fonctionnaires sont en disponibilité et ne peuvent quitter l’établissement. Ils ont réclamé la rémunération des heures supplémentaires pour toute la période visée; ils ont été rémunérés pour toutes ces heures supplémentaires.

34 La période de leur affectation à l’Établissement de Dorchester coïncidait avec deux quarts de travail de 12,75 heures chacun prévus à leur horaire de travail habituel pour les 23 et 24 janvier 2008 à l’Établissement de l’Atlantique; ils n’ont pas travaillé ces quarts puisqu’ils étaient affectés à l’Établissement de Dorchester. Les deux quarts de travail qu’ils n’ont pas travaillés à l’Établissement de l’Atlantique n’ont pas été retranchés de leur chèque de paye habituel. Ils ont chacun reçu un chèque de paye distinct pour les heures supplémentaires travaillées à l’Établissement de Dorchester pour l’EPIU. Le litige entre les parties porte sur le tarif de rémunération approprié auquel les fonctionnaires avaient droit relativement à la période correspondant à leurs deux quarts normaux de travail pour les journées du 23 et du 24 janvier 2008.

35 Les parties ont convenu que la clause 21.13 de la convention collective s’appliquait aux faits se rapportant à ces griefs. Cette clause s’énonce comme suit :

21.13 Sous réserve du paragraphe 21.14, tout employé-e a droit au tarif double (2) pour chaque heure supplémentaire de travail effectuée par lui,

  1. un deuxième (2e) jour de repos ou un (1) jour de repos subséquent (deuxième (2e) jour de repos ou jour de repos subséquent désigne le deuxième (2e) jour, ou le jour subséquent d'une série ininterrompue de jours de repos civils consécutifs et accolés),
    ou
  2. après huit (8) heures de travail supplémentaires dans une journée civile,
    ou
  3. en excédent de huit (8) heures consécutives supplémentaires dans toute période accolée de travail supplémentaire,
  4. dans un cas d'urgence, tel que déterminé par l'Employeur, lorsqu'un-e employé-e est tenu de travailler plus de vingt-quatre (24) heures consécutives, il doit être rémunéré au tarif double (2) pour toutes les heures de travail continues effectuées en surplus de vingt-quatre (24) heures.

36 L’employeur n’a pas contesté le droit des fonctionnaires à une rémunération au tarif double pour la totalité de la période de leur affectation à l’établissement de Dorchester. Il n’est pas contesté qu’ils ont été appelés au travail durant leur deuxième journée de repos, et qu’ils ont travaillé plus de vingt-quatre (24) heures consécutives, comme prévu à la clause 21.13d) de la convention collective. L’employeur soutient toutefois qu’il a rémunéré les fonctionnaires au tarif double pour toutes les heures en question. Les fonctionnaires ont déjà été payés au tarif normal pour les quarts de travail prévus à leur horaire de travail normal à l’Établissement de l’Atlantique mais qu’ils n’ont pas effectués parce qu’ils étaient affectés à l’Établissement de Dorchester. Par conséquent, l’employeur a effectué un deuxième paiement au tarif normal pour ces heures, au moyen d’un chèque distinct pour les heures supplémentaires, en se fondant sur le principe que le versement de deux paiements au tarif normal corresponde à une paye au tarif double.

37 Je conclus que, bien que les fonctionnaires ne puissent précisément établir quels paiements ils avaient reçus, ils ont effectivement reçu deux paiements au tarif normal pour les deux quarts de travail en question. Les documents déposés en preuve par le syndicat, en particulier les pièces G-3, G-4 et G-5, appuient cette conclusion. Par ailleurs, M. Duplessis a témoigné qu’il n’y avait pas eu de déduction sur son chèque de paie habituel relativement aux deux quarts de travail qu’il n’a pas travaillé à l’Établissement de l’Atlantique. Bien que M. Singleton ne soit pas certain de ce qui lui a été payé, il a affirmé qu’il s’en serait rendu compte si sa paye habituelle avait été amputée. Il ne croyait pas que cela avait été le cas. Quoi qu’il en soit, le syndicat n’a pas contesté le fait que, pour les quarts de travail des 23 et 24 janvier 2008 durant lesquels ils auraient normalement dû travailler à l’Établissement de l’Atlantique, les fonctionnaires avaient reçu une rémunération distincte, au tarif normal, au moyen de leur paye habituelle. La question qui demeure donc est celle-ci : avaient-ils le droit de recevoir davantage que cela?

38 Le syndicat a fait valoir que les fonctionnaires auraient dû recevoir une rémunération au tarif double pour toutes les heures travaillées à l’Établissement de Dorchester en plus de leur paye ordinaire; ainsi, leur rémunération pour les deux quarts de travail en question aurait été payée au tarif triple. Le syndicat a motivé cette demande en se fondant sur le libellé clair et simple de la convention collective et les pratiques antérieures en la matière. Le syndicat a de plus soutenu qu’étant donné le fait que l’interdiction du cumul énoncée à la clause 24.03 de la convention collective ne visait pas spécifiquement la paye habituelle dans la liste des montants pour lesquels le cumul est interdit, il doit donc être permis de recevoir une rémunération pour les heures supplémentaires en plus du salaire au tarif normal pour les heures de travail prévues à l’horaire habituel.

39 Essentiellement, selon le syndicat, et en vertu du libellé clair et simple de la clause 21.13d) de la convention collective, les fonctionnaires avaient droit à la rémunération au tarif double de toutes les heures travaillées pour l’EPIU à l’Établissement de Dorchester, peu importe toute autre rémunération à laquelle ils pourraient avoir droit relativement à ces mêmes heures de travail. La position du syndicat présuppose que la clause 21.13 établit le droit de recevoir une rémunération des heures supplémentaires, laquelle serait distincte de l’obligation de l’employeur de rémunérer les fonctionnaires pour la prestation de leurs services. Le syndicat a renforcé son argumentation en soulignant que la jurisprudence arbitrale ne s’opposait plus au cumul des prestations et que, en l’espèce, la convention collective n’interdisait pas spécifiquement le cumul du paiement des heures supplémentaires en sus du salaire normal. Le syndicat a soutenu que si l’intention des parties avait été d’interdire le cumul du salaire normal et de la rémunération des heures supplémentaires, ils auraient énoncé cela en termes clairs à cet effet dans la convention collective comme c’est le cas pour d’autres prestations au sujet desquelles les parties ont convenu que le cumul était interdit.

40 Je ne suis pas d’accord avec le fait que la clause 21.13 de la convention collective créerait le droit de recevoir une rémunération qui se distinguerait de l’obligation générale de l’employeur de rémunérer les fonctionnaires pour la prestation de leurs services. J’estime plutôt que c’est la clause 49.02 de la convention collective qui établit le droit des fonctionnaires d’être rémunérés en contrepartie de la prestation de leurs services, et l’Appendice « A » énonce les tarifs de rémunération de base, communément appelés les tarifs normaux. En l’absence de quelque autre libellé à cet égard dans la convention collective, les fonctionnaires ont le droit d’être rémunérés selon ces tarifs de rémunération en contrepartie de la prestation de leurs services. Cet article crée effectivement l’obligation incombant à l’employeur de rémunérer les fonctionnaires.

41 L’article 21 de la convention collective établit les heures de travail et le droit à la rémunération des heures supplémentaires. Cet article établit en outre le tarif auquel ces heures sont rémunérées, en fonction des heures de travail prévues à l’horaire du fonctionnaire et des heures de travail effectuées. Les fonctionnaires sont rémunérés au tarif normal pour les heures de travail effectuées selon leur horaire normal;. Les heures de travail que les fonctionnaires travaillent en sus de leur horaire normal de travail sont des « heures supplémentaires » au sens de la clause 2.01q) de la convention collective. Les clauses 21.12 et 21.13 établissent le tarif de la rémunération pour les heures supplémentaires travaillées. En raison de ces clauses, il existe effectivement trois tarifs de rémunération, selon les heures de travail travaillées. Le tarif normal, défini à la clause 2.01p), désigne « le tarif de rémunération horaire de l’employé-e »; « tarif et demi », défini à la clause 2.01r), signifie « une fois et demie  (1 1/2) le tarif de rémunération horaire de l'employé-e »; et « tarif double », défini à la clause 2.01s), signifie « deux (2) fois le tarif horaire de rémunération de l'employé-e » Ces tarifs ne sont pas cumulatifs; les employés sont rémunérés soit au tarif normal, au tarif et demi, ou au tarif double.

42 À mon avis, la raison pour laquelle il n’existe pas d’interdiction de cumul de la rémunération des heures supplémentaires et du salaire normal est que ces éléments désignent essentiellement le même objet : le tarif de rémunération en contrepartie des services rendus selon les heures de travail effectuées par l’employé, tel que précisé à l’article 21 de la convention collective (Durée du travail et heures supplémentaires). Le cumul se rapporte à l’application de diverses prestations en vertu de la convention collective, généralement énoncée dans diverses clauses de la convention collective et destinée à satisfaire des fins différentes. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

43 En l’espèce, les fonctionnaires avaient le droit de recevoir une rémunération au tarif double pour toutes les heures de travail effectuées à l’Établissement de Dorchester entre le 22 et le 24 janvier 2008. Si les parties avaient voulu que l’obligation de payer les fonctionnaires au tarif double soit en sus de leur salaire normal, la convention collective aurait exprimé cela en des termes aussi explicites, par exemple, qu’à la clause 26.05 de la convention collective (Jours fériés désignés payés), dans laquelle il est précisé que la rémunération de l’employé travaillant un jour férié désigné payé est versée « […] en plus de la rémunération qu'il aurait reçue s'il n'avait pas travaillé ce jour-là. » Or, les parties n’ont pas employé un libellé aussi explicite à la clause 21.13 de la convention collective, et je ne crois pas que l’on puisse inférer une telle intention à la lecture du libellé de cette clause.

44 Je ne suis pas non plus convaincu que le libellé employé dans la convention collective soit ambigu. Pour ce motif, je ne suis pas disposée à me fonder sur la preuve de l’existence de pratiques antérieures. Mais même si je l’étais, je ne trouve pas la preuve présentée pour étayer la pratique de l’employeur en ce qui a trait au paiement du tarif double dans les situations d’urgence particulièrement claire. M. Purchase n’a pas témoigné à titre de délégué syndical ou de représentant syndical pouvant avoir eu connaissance d’une pratique constante à cet égard. Il n’a pas non plus témoigné à titre d’ancien membre d’une équipe de négociation. Son témoignage ne se rapportait qu’à sa propre expérience. En outre, il a simplement affirmé que lorsqu’il travaillait pour l’EPIU dans des circonstances similaires, il était rémunéré au tarif double après son premier quart de travail. On ne lui pas demandé s’il avait déjà été rémunéré au tarif triple, et il n’a pas plus témoigné à cet égard. Par conséquent, même si j’avais conclu que le libellé de la convention collective était à ce point ambigu qu’une preuve de pratique antérieure s’imposait, la preuve présentée en l’espèce s’avère nettement insuffisante.

45 Comme je l’ai mentionné précédemment, je conclus que les fonctionnaires avaient le droit d’être rémunérés au tarif double relativement aux quarts de travail des 23 et 24 janvier 2008 prévus à leur horaire de travail à l’Établissement de l’Atlantique. Je conclus également qu’ils ont effectivement reçu la rémunération au tarif double précité relativement à ces deux quarts de travail, bien qu’elle leur ait été versée en deux paiements distincts. Par conséquent, je conclus qu’il n’y a eu aucune violation de la convention collective. Par ailleurs, aux fins du dossier, je prends acte du fait que l’employeur se soit engagé à rémunérer M. Duplessis pour les 3,75 heures supplémentaires que l’employeur reconnaît lui devoir. Suivant cette concession et dans la mesure de celle-ci, le grief de M. Duplessis est accueilli en partie.

46 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

47 Le grief de M. Singleton est rejeté.

48 M. Duplessis doit être rémunéré pour les 3,75 heures supplémentaires convenues, et ce, au tarif prévu à cet égard.

Le 19 septembre 2012.

Traduction de la CRTFP

Kate Rogers,
arbitre de grief

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