Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a déposé sa plainte au motif que l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature du fait de la juger non qualifiée, de ne pas corriger des erreurs portées à son attention durant les discussion informelles et de nommer un candidat qui ne répondrait pas aux exigences relatives à l’expérience. L’intimé a nié avoir abusé de son pouvoir et avoir commis des erreurs à corriger dans l’évaluation. Il a soutenu que la personne nommée possédait les qualifications essentielles. Décision Le Tribunal a jugé que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la candidature de la plaignante, y compris pour ce qui concerne la lettre de présentation et le curriculum vitae qui ne comportaient pas tous les éléments d’information demandés. Les exigences à remplir par les candidats étaient raisonnables. Le Tribunal a d’autre part estimé que le comité d’évaluation avait exercé son pouvoir discrétionnaire adéquatement en examinant la candidature de la plaignante sans tenir compte de renseignements supplémentaires. Enfin, le Tribunal a conclu que la plaignante n’avait pas réussi à démontrer que le comité d’évaluation avait exercé son pouvoir de façon inappropriée par rapport à l’évaluation de l’expérience de la personne nommée. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2010-0711, 2010-0712, 2010-0713 et 2011-1084
Rendue à :
Ottawa, le 11 septembre 2012

EDITH BARAGAR
Plaignante
ET
LE SOUS‑MINISTRE DE CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par :
Eugene F. Williams, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Baragar c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0023

Motifs de décision

Introduction

1 Edith Baragar, la plaignante, s’est portée candidate à un poste d’agent d’examen des risques avant renvoi (ERAR), groupe et niveau PM-04, dans le cadre d’un processus de nomination interne annoncé au ministère de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Elle affirme que le sous‑ministre de CIC, l’intimé, a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de sa candidature du fait de la juger non qualifiée, de ne pas corriger des erreurs portées à son attention lors de la discussion informelle et de nommer un candidat qui ne répondrait pas aux exigences relatives à l’expérience.

2 Pour sa part, l’intimé nie ces allégations et soutient que la candidature de la plaignante a été éliminée du processus de nomination parce qu’elle n’avait pas réussi à démontrer, dans son dossier de candidature, qu’elle possédait toutes les qualifications essentielles, notamment deux qualifications relatives à l’expérience. L’intimé affirme également que son évaluation ne comportait aucune erreur à corriger. Enfin, il souligne que la personne nommée possédait les qualifications essentielles.

3 La Commission de la fonction publique n’était pas représentée à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites sur ses politiques et lignes directrices pertinentes concernant notamment l’évaluation, la sélection et les discussions informelles. Elle n’a pas pris position sur le bien‑fondé de la plainte.

4 Pour les motifs exposés ci‑après, les plaintes sont rejetées. Selon le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal), rien n’indique qu’il y a eu abus de pouvoir dans l’élimination de la candidature de la plaignante du processus de nomination, ni que des candidats non qualifiés ont été nommés.

Contexte

5 Le 1er septembre 2009, l’intimé a publié sur Publiservice deux annonces de possibilité d’emploi pour le poste PM‑04 d’agent, ERAR; la date de clôture du processus était le 15 septembre 2009. Les deux processus de nomination étaient identiques, à l’exception des exigences linguistiques. Pour l’un de ces processus (09‑IMC‑IA‑ONT‑PRRA‑01), l’exigence linguistique était « anglais essentiel », tandis que pour l’autre (09‑IMC‑IA‑ONT‑PRRA‑06), le bilinguisme était impératif à la nomination.

6 L’annonce de possibilité d’emploi indiquait que les postulants devaient clairement démontrer sur leur dossier de candidature qu’ils répondaient à tous les critères essentiels énumérés et qu’ils étaient dans la zone de sélection visée. À défaut de le faire, ils risquaient de voir leur candidature rejetée. L’expérience était l’un des critères essentiels mentionnés.

7 La section « Autre information (Remarques) » de l’annonce de possibilité d’emploi comportait les avertissements ci‑après, en lettres majuscules :

IL INCOMBE AUX CANDIDATS DE FOURNIR UNE LETTRE DE PRÉSENTATION INDIQUANT CLAIREMENT QU'ILS SATISFONT AUX CRITÈRES DE PRÉSÉLECTION (C.-À-D. LES QUALIFICATIONS ESSENTIELLES LIÉES AUX ÉTUDES ET À L'EXPÉRIENCE AINSI [QUE LES] QUALIFICATIONS CONSTITUANT UN ATOUT). IL N'EST PAS SUFFISANT DE MENTIONNER QUE L'EXIGENCE EST [REMPLIE], NI DE FOURNIR UNE LISTE DES RESPONSABILITÉS ACTUELLES. LES CANDIDATS DOIVENT PLUTÔT DONNER DES EXEMPLES CONCRETS QUI MONTRENT COMMENT ILS SATISFONT AUX EXIGENCES.

                                    …………………

VEUILLEZ DÉCRIRE EN DÉTAIL À QUEL MOMENT ET À QUEL ENDROIT VOUS AVEZ ACQUIS : 1) L’EXPÉRIENCE D’ADMINISTRATION DE LA LOI SUR L’IMMIGRATION ET LA PROTECTION DES RÉFUGIÉS OU DE LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ; ET 2) L’EXPÉRIENCE DE LA PRISE DE DÉCISIONS RELATIVES À DES CAS SE RAPPORTANT À LA CITOYENNETÉ OU À L’IMMIGRATION OU DE LA PRÉSENTATION DE PREUVES DANS LE CADRE D’AUDIENCES DE LA CISR.

8 Le 5 septembre 2009, la plaignante a posé sa candidature dans les deux processus en présentant les mêmes renseignements dans chaque demande. Sous la rubrique relative à l’expérience, elle a inscrit ce qui suit :

J’administre la LIPR depuis son entrée en vigueur, à l’exception de 3 années durant lesquelles je présentais des éléments de preuve dans le cadre d’audiences de la CISR. Au cours des 20 derniers mois, j’ai travaillé à titre d’agente des services frontaliers à l’AILBP où j’administrais la LIPR. Ces 20 mois de travail en tant qu’agente des services frontaliers m’ont permis d’acquérir l’expérience indiquée dans l’annonce. J’ai également été agente, ERAR, pendant 12 mois, et je n’ai eu aucun problème de rendement durant cette période. Je possède donc la qualification constituant un atout relative à l’expérience de l’examen des risques avant renvoi. Comme je l’ai déjà mentionné, j’ai aussi travaillé à la CISR, d’abord en tant qu’agente de protection des réfugiés, puis en tant qu’agente du tribunal. Je possède donc la qualification constituant un atout relative à l’expérience de la présentation de dossiers devant un tribunal administratif.

[traduction]

9 Le 1er octobre 2009, l’intimé a informé la plaignante que sa candidature n’était retenue pour aucun des deux processus (anglais essentiel et bilingue) parce qu’elle ne répondait pas aux deux critères relatifs à l’expérience, lesquels étaient formulés de la façon suivante : « [e]xpérience récente de l’administration de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et de la Loi sur la citoyenneté » et « [e]xpérience récente de la prise de décisions relatives à des cas se rapportant à la citoyenneté ou à l’immigration, ou de la présentation de preuves dans le cadre d’audiences de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) ». Par « expérience récente », on entendait « une expérience d’au moins 12 mois consécutifs acquise au cours des 3 dernières années ».

10 Lorsqu’elle a reçu le courriel du 1er octobre 2009 l’avisant que sa candidature était éliminée du processus de nomination, la plaignante a sollicité une discussion informelle afin de connaître les raisons de la décision. Le 9 octobre 2009, elle a eu une conversation téléphonique avec l’un des membres du comité d’évaluation, puis elle a envoyé un courriel à un conseiller en ressources humaines. Dans ce courriel, la plaignante invitait le comité d’évaluation à communiquer avec son gestionnaire pour confirmer son expérience; elle se disait par ailleurs sidérée de la façon dont elle avait été traitée et elle fournissait des détails sur la façon dont elle administrait la LIPR à l’aéroport international Pearson. Enfin, elle sollicitait une autre évaluation.

11 Le comité s’est réuni pour réexaminer la candidature de la plaignante, mais il n’est pas revenu sur son verdict initial. Le 19 octobre 2009, la plaignante a été informée par écrit, motifs détaillés à l’appui, que le comité d’évaluation avait réétudié son dossier, mais n’avait pas changé sa décision d’éliminer sa candidature à l’étape de la présélection.

12 Le 19 novembre 2010, une notification de nomination ou de proposition de nomination a été publiée, et la plaignante a déposé une plainte en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts.12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

13 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans son évaluation de la candidature de la plaignante?
  2. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en omettant de prendre en considération les renseignements fournis par la plaignante durant la discussion informelle?
  3. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en nommant un candidat qui ne répondait pas aux exigences liées à l’expérience?

Analyse

14 L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP; cependant, selon l’article 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

15 Dans la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, le Tribunal a établi que l’abus de pouvoir comprend toujours une conduite irrégulière, mais que la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peut déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non.

16 L’abus de pouvoir peut également être causé par une erreur. Voir la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 CAF 19, para. 64). Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur.

17 L’article 36 de la LEFP confère aux gestionnaires délégataires une grande marge de manœuvre quant au choix et à l’utilisation des méthodes d’évaluation visant à déterminer si une personne possède les qualifications requises. Toutefois, ce pouvoir n’est pas absolu. En effet, il peut y avoir abus de pouvoir si, par exemple, il est établi que la méthode d’évaluation comporte une faille fondamentale. L’utilisation de méthodes d’évaluation qui ne permettent pas d’évaluer les qualifications, qui sont déraisonnables ou discriminatoires ou qui entraînent des résultats inéquitables peut constituer un abus de pouvoir (décision Ouellet c. le président de l’Agence canadienne de développement international, 2009 TDFP 0026).

Question I :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans son évaluation de la candidature de la plaignante?

18 La plaignante a affirmé que l’expérience qu’elle a décrite dans son curriculum vitæ était semblable à celle indiquée par la personne nommée, et que l’intimé n’a pas évalué les curriculum vitæ de façon uniforme. La plaignante soutient donc que l’intimé a éliminé sa candidature de façon injuste à l’étape de la présélection.

19 La plaignante a déclaré qu’elle avait postulé le poste d’agent, ERAR, et qu’elle était déçue d’apprendre que, selon l’intimé, elle ne possédait pas l’expérience requise.

20 La plaignante a décrit sa carrière, qui a commencé en 1998 quand elle est devenue agente du service à la clientèle à Vegreville, en Alberta. En 2000, la plaignante a été mutée à un poste à l’aéroport international Pearson. Elle a aussi travaillé à Etobicoke en tant qu’agente d’immigration au Canada et elle a été affectée à trois reprises comme agente de protection des réfugiés. En 2006-2007, elle a occupé le poste d’agente, ERAR.

21 Dans son témoignage, la plaignante a résumé son expérience récente. Elle est d’abord devenue agente, ERAR, en 2006, poste qu’elle a occupé jusqu’en février 2007. Elle a ensuite été agente de protection des réfugiés et a présenté des preuves dans le cadre d’audiences de la CISR jusqu’à la fin de décembre 2007. À partir de 2008, elle a travaillé à l’aéroport international Pearson pendant 20 mois. Durant cette période, elle veillait à l’application de la loi : elle rendait des décisions relatives aux permis de travail, aux permis d’études et à l’admissibilité, elle refusait ou accordait l’accès à certaines personnes, elle assurait la détention de certaines personnes et elle établissait les conditions de leur libération.

22 La plaignante a ajouté que ses décisions pouvaient être examinées par d’autres agents d’immigration et être portées en appel devant la CISR. D’autres décisions étaient passées en revue par son surintendant, conformément aux instruments de délégation.

23 Dans sa demande, qui comprenait sa lettre de présentation et son curriculum vitæ, la plaignante indiquait que la période allant de 2004 à décembre 2007 était le seul moment où elle n’avait pas administré la LIPR. Elle a reconnu qu’elle n’avait pas précisé les mois et l’année durant lesquels elle avait travaillé à titre d’agente, ERAR.

24 La plaignante a rappelé que son curriculum vitæ faisait mention de son travail en tant qu’agente des services frontaliers. Elle a indiqué que des rapports découlaient de décisions, et que le fait d’examiner les décisions d’autres agents équivaut à prendre une décision quant à l’exactitude de la décision initiale. Toutes ces décisions s’appuient sur la législation. La plaignante a affirmé que, par conséquent, en accomplissant ces tâches, elle administrait la LIPR. Toutefois, elle a reconnu lors du contre‑interrogatoire que tous les agents des services frontaliers n’assument pas des fonctions se rapportant à la LIPR. Par exemple, certains veillent à l’application des lois relatives à l’agriculture et aux végétaux. Elle a également reconnu que les agents des services frontaliers ne sont pas tous autorisés à examiner les décisions de leurs pairs.

25 Lorsqu’il lui a été demandé d’expliquer concrètement, à partir de son curriculum vitæ, en quoi elle administrait la LIPR, la plaignante a affirmé que la préparation de rapports et la prise de décisions sur les chefs d’accusation et les infractions constituaient des exemples concrets. La plaignante a été interrogée sur le fait que sa candidature ne précisait pas qu’elle prenait des décisions lorsqu’elle rédigeait des rapports. Elle a réitéré qu’administrer la LIPR équivaut à prendre des décisions.

26  Toujours durant le contre‑interrogatoire, la plaignante a dû fournir des explications quant au fait que l’administration et la prise de décisions étaient deux critères distincts dans l’annonce de possibilité d’emploi. La plaignante a répondu que selon l’annonce, ils sont distincts, mais que dans les faits, ces critères sont très semblables et que la prise de décisions et l’administration de la LIPR sont des tâches équivalentes. La plaignante a par la suite reconnu que ni sa lettre de présentation ni son curriculum vitæ n’indiquaient que des pouvoirs lui avaient été délégués à titre d’agente d’immigration ou qu’elle prenait des décisions quotidiennement.

27 Barbara Sachs-Syer a témoigné à l’audience. Elle était superviseure à CIC et possédait 23 ans d’expérience lorsqu’elle a été appelée à préparer des annonces de possibilité d’emploi et à embaucher du personnel. Elle avait auparavant travaillé à titre d’agente d’immigration, de commis à l’immigration, d’agente de révision des revendications refusées, d’agente, ERAR, et d’agente de protection des réfugiés.

28 Mme Sachs-Syer faisait partie du comité d’évaluation. Celui‑ci était composé de trois personnes et a reçu plus de 200 candidatures pour les deux processus de nomination. Mme Sachs-Syer a décrit la procédure utilisée pour évaluer les candidatures et a souligné que si un membre du comité connaissait l’un des postulants ou avait un lien hiérarchique avec lui, il se retirait du processus d’évaluation de ce candidat. Elle a également souligné que le comité avait utilisé la même procédure pour évaluer tous les candidats. Elle a passé en revue la candidature des personnes nommées et expliqué en quoi elles répondaient aux critères et en quoi l’information fournie dans leur dossier de candidature différait de celle que la plaignante avait présentée.

29 Mme Sachs-Syer a affirmé qu’elle ne connaissait pas la plaignante et qu’elle n’avait reçu aucune information de la part des gestionnaires de CIC concernant la façon de traiter sa candidature. Lorsqu’elle a examiné la candidature de la plaignante, qui comprenait une lettre de présentation et un curriculum vitæ, elle a constaté qu’elle ne contenait aucun exemple concret au sujet de la LIPR. Elle s’attendait à voir une expérience récente de l’administration de la LIPR, c’est‑à‑dire des exemples indiquant clairement le contexte (lieu et période) dans lequel la plaignante avait pris des décisions entre le 15 septembre 2006 et le 30 septembre 2009. Ne voyant pas de telle description, elle a éliminé la candidature de la plaignante à l’étape de la présélection du processus de nomination. En effet, sous la rubrique relative à l’expérience de sa lettre de présentation, la plaignante n’aborde aucunement la manière dont elle a acquis cette expérience. Mme Sachs-Syer a ajouté que « si un postulant était en mesure d’indiquer que les décisions ont été prises et de quelle façon, c’était suffisant » [traduction].

30 Mme Sachs-Syer a également souligné que le curriculum vitæ ne faisait pas mention de la présentation d’éléments de preuve dans le cadre d’audiences de la CISR. Elle a ajouté que, conformément aux pratiques prévues pour le processus de présélection, Anna Miguel, un autre membre du comité, avait également examiné la candidature de la plaignante et en était arrivée à la même conclusion, à savoir qu’il fallait éliminer la candidature. Mme Miguel était gestionnaire de l’unité responsable de l’ERAR.

31 La plaignante a soutenu pour sa part qu’elle répondait aux exigences liées à l’expérience. Selon elle, à partir d’une description de ses tâches en tant qu’agente au point d’entrée, par exemple l’examen du dossier de visiteurs ou de demandeurs de permis, un lecteur averti pouvait déduire qu’elle prenait des décisions en vertu de la LIPR. Selon l’intimé, la plaignante a omis de fournir des exemples concrets montrant qu’elle possédait l’expérience requise, et le comité d’évaluation a pris la bonne décision en éliminant sa candidature. L’intimé a également maintenu sa position selon laquelle la candidature de la plaignante a été évaluée en conformité avec les instructions fournies dans l’annonce de possibilité d’emploi et l’énoncé des critères de mérite, et que ces procédures avaient été appliquées uniformément pour tous les candidats.

32  Le Tribunal estime que l’intimé a fourni une explication complète et raisonnable pour justifier l’élimination de la candidature de la plaignante. La méthode utilisée pour évaluer les exigences liées à l’expérience était décrite dans l’annonce de possibilité d’emploi. En effet, les postulants devaient indiquer dans leur dossier de candidature en quoi ils possédaient les qualifications essentielles liées aux études et à l’expérience. Les candidats étaient avertis qu’il ne suffisait pas de simplement fournir une liste de leurs responsabilités ou de mentionner que l’exigence était remplie pour démontrer qu’ils possédaient les qualifications liées aux études et à l’expérience. Ils devaient plutôt fournir des exemples concrets illustrant en quoi ils répondaient aux exigences et décrire en détail à quel moment et à quel endroit ils avaient acquis leur expérience de l’administration de la LIPR ou de la Loi sur la citoyenneté, faute de quoi, leur candidature pouvait être rejetée. Étant donné le grand nombre de candidatures attendues par suite des deux annonces de possibilité d’emploi, le comité a déterminé qu’il s’agissait d’une bonne méthode de présélection. Le Tribunal juge que la méthode utilisée pour évaluer les qualifications liées aux études et à l’expérience était adéquate dans les circonstances.

33 La plaignante a affirmé qu’elle avait respecté les instructions en fournissant une description de ses tâches. Toutefois, elle n’a été en mesure de trouver dans son dossier de candidature aucun exemple démontrant en quoi elle administrait la LIPR. La preuve montre que CIC et l’Agence des services frontaliers du Canada comptent plusieurs postes d’agent d’immigration, mais que les tâches qui y sont rattachées varient d’un poste à l’autre. Le Tribunal a établi dans nombre de décisions que c’est aux candidats qu’il incombe de démontrer clairement, dans leur dossier de candidature, qu’ils possèdent toutes les qualifications essentielles. Voir par exemple les décisions Edwards c. le sous-ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, 2011 TDFP 0010 et Lirette c. le sous‑ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0042. Le comité d’évaluation n’était pas tenu d’assumer les fonctions et tâches impliquées dans le traitement des visiteurs ou des demandeurs de permis, particulièrement dans une situation où les candidats devaient démontrer, à l’aide d’exemples concrets, qu’ils répondaient aux critères essentiels.

34 Le Tribunal estime que l’intimé n’a pas commis d’erreur en concluant que le dossier de candidature de la plaignante, et notamment la lettre de présentation et le curriculum vitæ, ne comportait pas tous les détails demandés. La plaignante a soutenu que la rédaction de rapports constituait un exemple concret illustrant en quoi elle administrait la LIPR, prenait des décisions et déterminait les chefs d’accusation appropriés. Cependant, elle n’a pas fourni d’exemple précis pour démontrer en quoi les circonstances dans lesquelles elle rédigeait ses rapports ou prenait ses décisions relatives aux chefs d’accusation prouvaient qu’elle administrait la LIPR. C’est pourtant ce dont l’intimé avait besoin pour déterminer si les candidats possédaient les qualifications requises. Il était raisonnable de demander aux candidats de respecter ces exigences. L’intimé n’a donc pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué la candidature de la plaignante.

Question II :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en omettant de prendre en considération les renseignements fournis par la plaignante durant la discussion informelle?

35 L’article 47 de la LEFP prévoit un mécanisme pour la tenue d’une discussion informelle avec l’administrateur général, à la demande de toute personne dont la candidature a été éliminée d’un processus de nomination.

36 Les discussions informelles donnent aux candidats non retenus une occasion d’apprendre pourquoi ils n’ont pas été jugés qualifiés. Bien que la discussion informelle permette parfois au comité d’évaluation de corriger des erreurs (voir la décision Kitchen c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration, 2008 TDFP 0028), celui‑ci n’est aucunement tenu de réévaluer le candidat (décision Henry c. Administrateur général de Service Canada, 2008 TDFP 0010). La discussion informelle fait certes partie du processus, mais elle ne fait pas partie de l’évaluation en tant que telle (Carnegie c. Sous-ministre de Citoyenneté et Immigration, 2009 TDFP 0006).

37 Dans son témoignage, la plaignante a mentionné le courriel qu’elle avait envoyé après la discussion informelle. Elle se disait outrée par le fait que le comité d’évaluation n’avait apparemment pas tenu compte de ses dix années d’expérience et ne semblait pas au courant des responsabilités assumées par un agent d’immigration. La plaignante a également avancé que la responsabilité du comité d’évaluation ne consiste pas à évaluer tous les candidats de la même façon, mais plutôt à évaluer chaque candidat avec exactitude.

38 Selon la plaignante, l’intimé savait que le comité d’évaluation avait commis une erreur en éliminant sa candidature du processus de nomination, ou il avait du moins obtenu durant la discussion informelle des renseignements montrant qu’il y avait eu erreur dans l’évaluation, mais il n’est pas intervenu. Ce faisant, l’intimé aurait abusé de son pouvoir. La plaignante soutient que les ministères doivent intégrer un mécanisme d’examen administratif approprié à leur régime de dotation. Selon elle, l’examen réalisé par l’intimé était inadéquat, car il n’a pas permis de corriger des erreurs de droit et de fait. La plaignante estime que le processus d’examen était inéquitable et constitue un abus du pouvoir discrétionnaire, ce qui équivaut à un abus de pouvoir.

39 La plaignante a également affirmé que la décision d’éliminer sa candidature du processus était fondée sur une évaluation incorrecte des faits, et que l’intimé avait manqué à son devoir de s’assurer que les décideurs avaient exercé leur pouvoir discrétionnaire de façon appropriée. La plaignante affirme que l’intimé est incapable de prouver que la décision concernant sa candidature n’était pas arbitraire, et elle soutient que si l’examen avait été effectué correctement, elle aurait été jugée qualifiée. Selon les observations de la plaignante, l’intimé était tenu de démontrer que le pouvoir discrétionnaire a été exercé adéquatement et que le principe du mérite a été respecté. La plaignante estime que l’intimé a abusé de son pouvoir en omettant d’agir de la sorte.

40 La position de la plaignante repose essentiellement sur le fait que selon elle, le comité aurait dû déduire, à partir du titre de son poste et de la description des tâches fournie dans le dossier de candidature, qu’elle répondait aux critères liés à l’expérience. En outre, elle affirme que le comité était tenu d’effectuer un suivi et de confirmer avec son gestionnaire qu’elle avait l’expérience requise; en omettant de le faire, il a entravé son propre pouvoir discrétionnaire et a donc abusé de son pouvoir.

41 La plaignante avait le droit, comme tous les autres participants au processus, d’être évaluée adéquatement en fonction de son dossier de candidature. Elle n’a pas acquis le droit à une évaluation plus approfondie en fournissant des détails additionnels dans des courriels subséquents ou en nommant son gestionnaire à titre de répondant pouvant valider son expérience acquise. En présentant ces renseignements supplémentaires après l’élimination de sa candidature du processus de nomination, la plaignante ne pouvait pas s’attendre à ce que l’intimé réévalue son expérience. La candidature de la plaignante n’a pas été retenue parce qu’elle n’avait pas fourni l’information requise comme il était indiqué dans les instructions figurant dans l’annonce de possibilité d’emploi.

42 Après avoir pris connaissance des déclarations de la plaignante, le comité s’est de nouveau réuni pour réexaminer la candidature et en est arrivé à la même conclusion. Rien dans le dossier ne montrait qu’une autre autorité avait effectué un examen administratif, et rien ne portait à croire que le conseil ou qui que ce soit d’autre avait mal exercé son pouvoir discrétionnaire dans l’évaluation de la candidature en refusant de prendre en considération les renseignements supplémentaires fournis en plus de ceux compris dans le dossier de candidature de la plaignante.

43 Par conséquent, le Tribunal estime que le comité d’évaluation a exercé son pouvoir discrétionnaire adéquatement en examinant la candidature de la plaignante sans tenir compte des renseignements supplémentaires. Le second examen a permis au comité d’évaluation de confirmer sa décision initiale, à savoir que la plaignante n’avait pas démontré qu’elle possédait l’expérience exigée.

Question III :  L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite en nommant un candidat qui ne répondait pas aux exigences liées à l’expérience?

44 La plaignante a affirmé que Craig Gloster, qui a été nommé à un poste visé par le processus en l’espèce, ne répondait pas à l’une des exigences liées à l’expérience, c’est‑à‑dire qu’il n’avait pas administré la LIPR pendant une période de douze mois. Le conseil aurait donc commis une erreur en jugeant qu’il remplissait cette exigence et aurait abusé de son pouvoir en effectuant une nomination non fondée sur le mérite.

45 Le Tribunal a établi, dans sa jurisprudence, qu’il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y a eu abus de pouvoir dans le cadre d’un processus de nomination interne réalisé en vertu de l’article 77 de la LEFP (voir par exemple la décision Tibbs, paras. 49 à 55).

46 La plaignante a été invitée à présenter la preuve du manque d’expérience de M. Gloster en ce qui concerne l’administration de la LIPR. Elle a répondu qu’elle n’avait aucune preuve à cet égard; elle avait uniquement des soupçons fondés sur les résultats. Dans son témoignage, Mme Sachs-Syer a fourni une description détaillée de la façon dont les membres du comité avaient évalué le dossier de candidature de M. Gloster, lequel a été présenté en preuve en l’espèce, et elle a expliqué en quoi il répondait aux exigences. La preuve présentée à cet égard n’a pas été contestée.

47 Le Tribunal juge que la plaignante n’a pas réussi à démontrer que le comité d’évaluation avait exercé son pouvoir de façon inappropriée dans l’évaluation de l’expérience de la personne nommée. La plaignante n’a présenté aucune preuve qui puisse remettre en question la décision du comité d’évaluation ou réfuter la preuve concernant les qualifications de M. Gloster. Par conséquent, cette allégation n’a aucun fondement.

Décision

48 Pour tous les motifs susmentionnés, les plaintes sont rejetées.

Eugene Williams
Membre

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2010-0711, 2010-0712, 2010-0713 et 2011-1084
Intitulé de la cause :
Edith Baragar c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada
Audience :
Les 7, 8 et 9 mars et le 7 mai 2012
Toronto (Ontario)
Observations écrites
Date des motifs :
Le 11 septembre 2012

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Edith Baragar et Harjinder Chahal
Pour l'intimé :
Karen Clifford
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
Observations écrites
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