Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a contesté son licenciement de son poste classifié CR-04 pour incapacité en vertu du paragraphe 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques - par suite des conflits de travail, le fonctionnaire s’estimant lésé a pris un congé de maladie prolongé - en négociant son retour au travail, le fonctionnaire s’estimant lésé a exigé que l’employeur lui trouve un poste dans un autre ministère afin de ne pas être en contact avec les individus avec qui il avait eu des conflits - le fonctionnaire s’estimant lésé n’a jamais précisé, ni à ses médecins ni à son employeur, les noms des personnes visées par cette limitation - l’employeur lui a offert son ancien poste, en précisant qu’il avait révisé son dossier et qu’il pouvait confirmer que les individus avec qui il avait eu des conflits ne travaillaient plus au ministère - il a refusé cette offre - l’employeur a communiqué avec plusieurs autres ministères afin de trouver un poste pour le fonctionnaire s’estimant lésé, mais en vain - l’employeur a ensuite offert au fonctionnaire s’estimant lésé un poste avec la Garde côtière situé dans un autre édifice - le fonctionnaire s’estimant lésé a refusé en revendiquant une promotion à un poste classifié CR-05 - l’employeur l’a licencié, concluant que le fonctionnaire s’estimant lésé ne pouvait pas occuper son poste d’attache et qu’un accommodement n’était pas possible, ni au sein du ministère ni dans un autre ministère - l’employeur a fait beaucoup d’efforts pour s’acquitter de sa responsabilité de prendre des mesures d’adaptation, et ce, jusqu’à la contrainte excessive - l’employé n’a pas fait preuve de collaboration. Grief rejeté.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-09-07
  • Dossier:  566-02-3219
  • Référence:  2012 CRTFP 91

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DENYS FONTAINE

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Pêches et des Océans)

défendeur

Répertorié
Fontaine c. Administrateur général (ministère des Pêches et des Océans)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l'arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Stephan J. Bertrand, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Guylaine Bourbeau, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Adrian Bieniasiewicz, avocat

Affaire entendue à Québec (Québec),
du 13 au 16 mars 2012.

I.  Grief individuel renvoyé à l'arbitrage

1      Le 28 juillet 2009, le fonctionnaire s’estimant lésé, Denys Fontaine (le « fonctionnaire ») a été licencié de son travail en vertu des dispositions du paragraphe 12(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP). Au soutien de sa décision, le ministère des Pêches et des Océans (l’ « employeur » ou le « Ministère ») a invoqué l’incapacité du fonctionnaire à occuper tout poste, même modifié, à l’intérieur du Ministère.

2      Le fonctionnaire travaillait pour le Ministère dans la section Gestion du matériel, gestion des actifs, finances et administration, depuis 1992 et a travaillé pendant 29 ans dans la fonction publique fédérale. Avant son licenciement, il occupait un poste d’agent à la vérification et au contrôle des biens, un poste classifié au groupe et au niveau CR-04 dans un édifice du Ministère situé au 104, rue Dalhousie, dans la ville de Québec. Ses responsabilités principales comprenaient la coordination et la réalisation des activités liées à la gestion des biens du Ministère, telles que les activités de contrôle, la prise d’inventaire physique et la mise à jour des systèmes d’information. Il devait également assurer la mise à jour des inventaires des biens dans le système national informatisé du Ministère et assurer l’intégrité des données.

3      Le fonctionnaire a contesté son licenciement au moyen d’un grief qu’il a présenté le 28 août 2009. Il a également déposé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne le 27 octobre 2009 mais celle-ci a indiqué qu’elle n’interviendrait pas dans cette affaire.

II. Résumé de la preuve

4      Lors de l’audience, j’ai entendu les témoignages des personnes suivantes : Annie Bélanger, la chef d’équipe et gestionnaire du fonctionnaire; Richard Nadeau, le directeur général régional qui a signé la lettre de licenciement; Maxime Daigle, un conseiller en relation de travail du Ministère; le fonctionnaire.

5      Selon le fonctionnaire, des conflits de travail remontant à 1996 et se poursuivant par la suite l’ont forcé à prendre un congé de maladie prolongé de mai 2000 à septembre 2002. À la suite de son retour au travail en 2002, d’autres conflits de travail ont fait en sorte que le fonctionnaire est retourné en congé de maladie le 25 mai 2006. Durant ce deuxième congé de maladie, le fonctionnaire a bénéficié de primes d’assurance-invalidité de la Financière Sun Life du 25 août 2006 au 25 août 2008. Il est important de noter que les parties n’ont présenté aucune preuve concernant la nature de ces conflits ou de tous litiges y découlant, les personnes impliquées ou encore les séquelles de ces conflits sur le fonctionnaire.

6      En 2008, le fonctionnaire a bénéficié des services d’une consultante en réadaptation, Ginette Delage, afin de négocier un retour au travail progressif. Un certificat médical de son médecin traitant en date du 10 mars 2008, une note manuscrite de moins de 25 mots, confirmait que le fonctionnaire était apte au travail et qu’il n’avait aucune limitation fonctionnelle si le retour au travail se faisait dans le cadre d’une relocalisation acceptable par le fonctionnaire.

7      Une rencontre a été fixée au 12 mai 2008, dans le but de discuter du retour au travail du fonctionnaire et des modalités s’y rattachant. Avant la rencontre, Mme Bélanger a demandé à Mme Delage qu’elle lui fournisse à l’avance un ordre du jour, les objectifs précis de la rencontre et les attentes du fonctionnaire quant au type d’emploi et les conditions de travail que celui-ci considérait comme raisonnables.

8      À la demande de Mme Delage, la rencontre a eu lieu à l’extérieur du lieu de travail du fonctionnaire, dans les locaux de Parcs Canada. Les personnes suivantes étaient présentes lors de la rencontre : le fonctionnaire; son représentant syndical; Michel Plamondon; M. Daigle; André Dubé, un représentant des ressources humaines de l’employeur; Mme Bélanger et Mme Delage.

9      Selon Mme Bélanger, les revendications du fonctionnaire se résumaient ainsi : il était prêt à retourner au travail mais pas au ministère des Pêches et des Océans car il voulait à tout prix éviter d’entrer en contact avec les individus avec qui il avait eu des conflits dans le passé. Il voulait donc être nommé dans un poste au sein d’un différent ministère, ce qui n’était pas possible selon Mme Bélanger.

10 Afin de mieux comprendre comment l’employeur pouvait aider le fonctionnaire dans le cadre d’un retour au travail, Mme Bélanger a demandé qu’on lui fournisse un certificat médical plus détaillé qui étalerait précisément la nature des limitations fonctionnelles du fonctionnaire. Le 24 juillet 2008, elle a reçu une courte note manuscrite du médecin traitant du fonctionnaire, qui se lisait comme suit :

La présente est pour préciser les conditions de retour au travail de M. Fontaine. Il serait préférable que M. Fontaine puisse être relocalisé dans un milieu de travail où il ne sera pas en contact avec les personnes impliquées directement ou indirectement dans les litiges antérieurs concernant M. Fontaine.

Il va sans dire qu’une relocalisation dans un autre Ministère serait préférable. Ces conditions seraient normalement considérées acceptables et raisonnables.

11  Dans une lettre datée du 1er août 2008, un médecin de Santé Canada a confirmé s’être entretenu avec le médecin traitant du fonctionnaire et il a entériné sa recommandation que le fonctionnaire ne soit plus en contact avec les employés avec qui il avait eu des problèmes. Toutefois, jusqu’à ce jour, le fonctionnaire n’avait pas précisé, ni à ses médecins, ni à son employeur, les noms des personnes visées par cette recommandation.

12 Le 13 août 2008, Mme Bélanger a écrit au fonctionnaire et lui a offert de réintégrer son poste d’agent à la vérification et au contrôle des biens au 2e étage du 104, rue Dalhousie, dès le 25 août 2008. Elle a précisé au fonctionnaire que l’employeur avait révisé son dossier et recensé les noms des employés impliqués dans les conflits antérieurs et qu’il était en mesure de confirmer que ces employés ne travaillaient plus au Ministère et que les trois employés avec qui il travaillerait chaque jour n’étaient définitivement pas des employés avec qui il avait eu des problèmes antérieurement. Ce fait a été corroboré par M. Daigle, qui assistait Mme Bélanger dans le processus de réintégration. Mme Bélanger a ajouté qu’une procédure de communication claire avait été établie faisant en sorte que le fonctionnaire saurait à tout moment à qui s’adresser en cas de risque de contact avec des employés avec qui il avait eu des problèmes dans le passé ou en cas d’incertitude. Mme Bélanger a également avisé le fonctionnaire que s’il ne souhaitait pas reprendre son travail en date du 25 août 2008, l’employeur pourrait alors considérer d’autres options prévues par la Politique sur le congé non rémunéré du Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, incluant la mise en disponibilité conformément à l’article 64 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, Partie 3 (LEFP) ou le licenciement pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite, conformément à l’alinéa 12(1)e) de la LGFP.

13 Selon Mme Bélanger, l’offre de l’employeur répondait adéquatement aux limites fonctionnelles identifiées par le fonctionnaire et son médecin. Aucun des employés de la division dans laquelle le fonctionnaire travaillerait et avec qui il pourrait être appelé à transiger chaque jour n’avait été identifié par le fonctionnaire comme étant une personne avec qui il avait eu un problème dans le passé.

14 Le 19 août 2008, le fonctionnaire, outré par l’offre de l’employeur, l’a catégoriquement refusé et a réitéré sa revendication d’être réintégré dans un poste CR-04 dans un autre ministère ou un organisme faisant partie du gouvernement fédéral. Il a suggéré que de nombreuses personnes, incluant les « plus hautes instances du ministère », étaient visées par la recommandation de son médecin, sans pour autant clarifier cette déclaration ou fournir les noms de ces personnes.

15 Le 20 août 2008, Mme Bélanger a confirmé de nouveau au fonctionnaire que, selon les vérifications faites par l’employeur, tous les employés avec qui il avait eu des problèmes antérieurement ne travaillaient plus au Ministère. Elle a ajouté que l’employeur demeurait entièrement ouvert à discuter avec le fonctionnaire des alternatives viables et raisonnables qui pourraient lui convenir dans le but d’un retour au travail. Celle-ci a également offert l’appui de l’employeur afin d’obtenir un emploi dans un autre ministère et a encouragé le fonctionnaire à lui faire parvenir son curriculum vitae. L’employeur a même défrayé les coûts d’une consultante qui a aidé le fonctionnaire à rédiger son curriculum vitae.

16 Le fonctionnaire ne s’est pas présenté au travail le 25 août 2008 et n’a pas répondu à la lettre du 20 août 2008 de Mme Bélanger, préférant transiger avec le directeur général régional, Marc Demonceaux, à partir de ce moment. Toutefois, puisque M. Demonceaux était sur le point de quitter le Ministère, c’est avec son remplaçant, Richard Nadeau, que le fonctionnaire a transigé à partir du 15 septembre 2008, après avoir échangé plusieurs courriels avec M. Demonceaux.

17 M. Nadeau a rencontré le fonctionnaire le 31 octobre 2008 dans le but de trouver une solution qui lui permettrait de reprendre le travail. M. Nadeau a indiqué lors de son témoignage qu’il avait, avant la rencontre, procédé à une vérification approfondie des postes disponibles au sein du ministère des Pêches et des Océans afin d’identifier un ou des postes susceptibles de satisfaire aux limitations fonctionnelles du fonctionnaire et qu’il avait également communiqué avec plusieurs autres ministères afin de tenter de trouver au fonctionnaire un poste permanent ou même temporaire, mais en vain. À cet égard, M. Daigle a confirmé qu’il avait entamé une recherche des postes disponibles au Ministère, mais qu’aucun poste de niveau équivalent était vacant ou disponible. Selon lui, le fonctionnaire n’était pas disposé à travailler à l’extérieur de la région immédiate de la ville de Québec, ce qui limitait les occasions, et il insistait à être nommé ou muté dans un autre ministère, ce qui n’était tout simplement pas possible sans le consentement du ministère concerné. M. Daigle a indiqué qu’il avait tout de même fait circuler le curriculum vitaedu fonctionnaire dans plusieurs ministères ainsi qu’au Conseil de la dotation de la fonction publique et qu’il avait communiqué avec plusieurs de ses homologues dans différents ministères mais que ses efforts n’avaient rien donné. Il a produit certains de ses rapports de recherche à l’appui de son témoignage.

18  Durant la rencontre du 31 octobre 2008, M. Nadeau a offert au fonctionnaire un poste de Commis régional, secteur Garde côtière. Le poste était unique, selon M. Nadeau, et permettait au fonctionnaire de travailler de façon autonome. Le poste relevait directement de l’Administration centrale à Ottawa par le biais de la direction régionale de la Gestion de l’informatique et services de la technologie, éliminant ainsi les contacts directs avec les employés de la région du Québec avec qui il pouvait avoir eu des conflits dans le passé et permettait aux parties de gérer conjointement la problématique des contacts indirects avec ces personnes puisque le poste était situé dans un édifice différent à près d’un kilomètre du 104, rue Dalhousie. Selon le témoignage de MM. Nadeau et Daigle, aucun des employés travaillant au sein de cette direction n’avait travaillé avec le fonctionnaire dans le passé. Selon M. Nadeau, il s’agissait d’une mesure d’adaptation raisonnable remplissant les limitations fonctionnelles du fonctionnaire. Toutefois, le fonctionnaire ne semblait pas intéressé par cette offre et a plutôt revendiqué, à la grande surprise de M. Nadeau, une promotion à un poste CR-05.

19 L’offre de l’employeur a été confirmée dans la lettre de M. Nadeau en date du 5 novembre 2008, dans laquelle ce dernier a précisé que dans la mesure où le fonctionnaire décidait de ne pas accepter l’offre, celui-ci serait tenu de fournir par écrit les raisons et explications motivant ce refus, incluant la liste des noms des gens avec qui il estimait être en conflit, la date du début de ces conflits, ainsi que la nature de ceux-ci.

20 Le 10 novembre 2008, le fonctionnaire a formellement refusé par écrit l’offre de M. Nadeau sans toutefois fournir la liste des personnes avec qui il avait eu des conflits dans le passé, bien qu’il continuait de suggérer dans sa lettre que ces personnes travaillaient toujours pour l’employeur et qu’il était possible qu’il les croise même si ce nouveau poste se trouvait à près d’un kilomètre de son ancien lieu de travail. Lors de son témoignage, le fonctionnaire a confirmé qu’il n’avait jamais fourni les noms de ces personnes à l’employeur. Il a ajouté que c’était à l’employeur d’en faire la demande, bien que cela avait été fait par M. Nadeau le 5 novembre 2008, et que l’employeur aurait dû connatre l’identité de ces personnes.

21 Le 17 novembre 2008, M. Nadeau a de nouveau écrit au fonctionnaire et lui a demandé de remettre l’offre de l’employeur, ainsi que la description de tâche du poste en question, à son médecin traitant afin d’obtenir son opinion médicale relativement à la mesure d’adaptation offerte au fonctionnaire. Cependant, dans une lettre du 24 novembre 2008, le fonctionnaire a indiqué qu’il refusait d’y donner suite. Selon M. Nadeau, ces renseignements étaient essentiels pour la détermination d’une mesure d’adaptation. Dans une lettre du 28 novembre 2008, M. Nadeau a réitéré au fonctionnaire que sa collaboration était essentielle au processus d’adaptation et lui a demandé de lui fournir d’ici le 19 décembre 2008 l’opinion de son médecin traitant relativement à l’offre proposée par l’employeur.

22 Le fonctionnaire n’a pas donné suite à la lettre du 28 novembre 2008 ayant opté de déposer une plainte de harcèlement à l’endroit de MM. Nadeau et Daigle auprès de la ministre responsable quelques jours auparavant.

23 Le 12 janvier 2009, M. Nadeau a informé le fonctionnaire qu’il se trouvait depuis le 9 janvier 2009 en situation d’absence non autorisée et qu’à défaut de transmettre l’avis médical demandé, d’ici le 30 janvier 2009, l’employeur pourrait mettre fin à son emploi. Étant sans nouvelle du fonctionnaire, M. Nadeau lui a de nouveau écrit le 2 février 2009 afin d’ordonner sa présence au travail à compter du 9 février 2009.

24 Le traitement des dossiers du fonctionnaire a été temporairement suspendu entre le 13 février 2009 et le 27 février 2009, lorsque la plainte du fonctionnaire a été transmise à la directrice exécutive du Centre de valeurs, de l’intégrité et de la résolution de conflits du Ministère. À la suite des résultats de la vérification de celle-ci, qui n’indiquaient aucune preuve de conflit d’intérêts ni de mauvaise foi dans le traitement des dossiers du fonctionnaire, M. Nadeau a repris les démarches là où elles se trouvaient avant le 13 février. Dans une lettre du 3 mars 2009, il ordonnait la présence du fonctionnaire au travail le 9 mars 2009, à défaut de quoi l’employeur mettrait fin à son emploi.

25  Ce n’est qu’à la suite de cette lettre que M. Nadeau a reçu une copie de l’avis médical du médecin traitant du fonctionnaire en date du 30 janvier 2009 que le fonctionnaire avait préalablement fait parvenir au bureau de la ministre, sans pour autant en fournir une copie à M. Nadeau. Selon cet avis, l’offre du poste de Commis régional de l’employeur ne satisfaisait pas aux « critères de protection à l’intégrité physique et psychologique » du fonctionnaire à cause de ses problèmes d’asthme chronique, un facteur qui n’avait jamais été soulevé ou documenté, et parce qu’il serait difficile d’éliminer la possibilité que celui-ci rencontre les personnes associées à ses litiges antérieurs lors de ses déplacements sur les lieux du travail. Celui-ci conclut en disant qu’une mutation dans un autre ministère « serait préférable ». Les recommandations du médecin traitant ont été entérinées par Santé Canada dans une lettre du 30 juin 2009. Je note que les deux descriptions de travail fourni au médecin traitant, soit celle concernant son poste d’agent à la vérification et celle concernant le poste de commis régional, indiquaient que le fonctionnaire devait travailler dans des endroits poussiéreux et que le médecin n’a jamais soulevé les dits problèmes d’asthme avant le 30 janvier 2009.

26 Compte tenu de cette information et des efforts antérieurement déployés par M. Daigle et lui-même pour accommoder le fonctionnaire, M. Nadeau a conclu que le fonctionnaire ne pouvait plus occuper son poste d’attache, même d’une façon modifiée. Selon lui, l’employeur n’était pas en mesure d’accommoder le fonctionnaire en lui offrant un autre poste au sein du Ministère, et cela, malgré tous les efforts et les démarches entreprises en vue de prendre des mesures d’adaptation. De plus, ses efforts et ceux de M. Daigle, dans le but de trouver un arrangement raisonnable dans un autre ministère n’avaient rien donné. Compte tenu de l’incapacité du fonctionnaire à occuper tout poste à l’intérieur du Ministère, M. Nadeau a procédé à son licenciement le 28 juillet 2009 pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite en vertu de l’alinéa 12(1)e) de la LGFP.

27 Le 14 septembre 2009, le fonctionnaire a été inscrit à titre de priorité au sein de la Commission de la fonction publique du Canada.

28 Le fonctionnaire a éventuellement été engagé par Service Canada dans un poste CR-04, le 10 mai 2010, ou il a travaillé à temps plein jusqu’à sa retraite, le 1er mars 2012.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour l’employeur

29 L’employeur reconnait qu’il avait une obligation de prendre des mesures d’adaptation dans le présent cas. Toutefois, il fait valoir que le fonctionnaire n’avait pas à être heureux d’exercer les fonctions de l’autre poste qui lui était offert ou encore souhaiter les exercer, que les mesures d’adaptation n’avaient pas à être parfaites et instantanées, et que celles-ci devaient être évaluées par rapport aux renseignements à la disposition de l’employeur. La vraie question à se poser, selon l’employeur, est de savoir si le poste offert constitue une mesure d’adaptation raisonnable compte tenu des limites fonctionnelles du fonctionnaire. L’employeur soutient qu’un employeur n’est pas contraint de prendre des mesures qui causeraient une ingérence indue dans les affaires de l’employeur et que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas sans limite, ni à sens unique.

30 Selon l’employeur, il faut examiner la conduite du fonctionnaire afin de s’assurer que celui-ci a rempli son obligation de faciliter la mise en œuvre d’un compromis convenable. L’employeur a fait valoir qu’un employé doit faire preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des tentatives d’adaptation entreprises par son employeur. Il n’incombe pas à l’employeur de déterminer unilatéralement la nature de l’adaptation sans un certain apport de l’employé visé.

31 Sur ces points, l’employeur m’a renvoyé aux décisions suivantes : King c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2011 CRTFP 122 (paragr. 84); Zaytoun c. Agence canadienne d’inspection des aliments, 2010 CRTFP 35 (paragr. 45); Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970; Sioui c. Administrateur général (Service correctionnel du Canada), 2009 CRTFP 44 (paragr. 87); McNeil c. Conseil du Trésor (ministère de la Défense nationale), 2009 CRTFP 84 (paragr. 88, 89 et 92).

32  Selon l’employeur, les offres d’emploi offertes fait au fonctionnaire en août et en octobre 2008, ainsi que ses efforts et tentatives déployés dans le but d’identifier un poste à l’interne, étaient raisonnables et répondaient adéquatement aux limites fonctionnelles énoncées par celui-ci. L’employeur a fait valoir que l’information fournie par le fonctionnaire et son médecin traitant était insuffisante et vague. Ces derniers n’ont jamais précisé l’identité des personnes avec qui le fonctionnaire avait eu des litiges et qu’il devait éviter, la nature exacte des conflits ou des litiges antérieurs, les dates précises de ces conflits ou litiges, ni le raisonnement derrière l’adaptation recherchée et les besoins du fonctionnaire.

33 La seule forme d’adaptation acceptable pour le fonctionnaire et son médecin traitant, selon l’employeur, était une nomination dans un autre ministère, à défaut de quoi le fonctionnaire devait être considéré invalide.

34 En vertu de l’article 29 de la LEFP, la ministre des Pêches et des Océans n’avait pas le pouvoir de nommer le fonctionnaire à un nouveau poste dans un autre ministère. L’article 29 prévoit ce qui suit :

29. (1) Sauf disposition contraire de la présente loi, la Commission a compétence exclusive pour nommer à la fonction publique des personnes, y appartenant ou non, dont la nomination n’est régie par aucune autre loi fédérale.

(2) La compétence visée au paragraphe (1) ne peut être exercée qu’à la demande de l’administrateur général de l’administration dans laquelle doit se faire la nomination.

35 L’employeur soutient que la preuve a clairement démontré que celui-ci avait tenté d’aider le fonctionnaire à se trouver un poste dans un autre ministère, en lui fournissant de l’aide à rédiger un curriculum vitae et à le faire circuler, en communiquant avec d’autres ministères et le Conseil de la dotation de la fonction publique afin d’identifier un poste vacant ou une nouvelle opportunité, et en inscrivant le fonctionnaire à titre de priorité à la Commission de la fonction publique du Canada.

36 L’employeur a également fait valoir que les faits démontrent clairement que le fonctionnaire n’a pas rempli son obligation de faciliter la mise en œuvre de mesures d’adaptation convenables et raisonnables avant son licenciement et que l’employeur ne devrait pas être tenu à l’impossible.

B. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

37 Le fonctionnaire fait valoir qu’il incombait à l’employeur de prouver qu’il s’était acquitté de son obligation de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive, ce qu’il n’a pas fait.

38 Selon le fonctionnaire, les deux offres de l’employeur étaient déraisonnables et inacceptables. Il ne comprend pas pourquoi l’employeur ne l’a pas prêté à un autre ministère ou procédé à une mutation. Il ajoute que les efforts de l’employeur de lui trouver un poste dans un autre ministère n’étaient que de pure forme et qu’ils ne peuvent être jugé suffisants si l’on veut donner un vrai sens à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation.

39 Le fonctionnaire a également fait valoir que bien que l’employeur n’ait pas le pouvoir de le nommer dans un autre ministère, il ne pouvait limiter ses recherches qu’à l’interne du Ministère et se devait d’entreprendre une recherche diligente à l’extérieur du Ministère, ce qu’il n’a pas fait.

40 Le fonctionnaire m’a renvoyé aux décisions suivantes : Giroux c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2008 CRTFP 102 et Zhang c. Conseil du Trésor (Bureau du Conseil privé), 2005 CRTFP 173.

IV. Motifs

41 L’obligation de prendre des mesures d’adaptation est limitée par le principe de la contrainte excessive, tel que l’a statué la Cour suprême dans Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 et dans Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43. L’interprétation de ce principe a fait l’objet de plusieurs décisions de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »). Dans Sioui, la Commission a commenté Hydro-Québec ainsi :

79  La Cour suprême a soutenu que le critère n’est pas l’impossibilité pour l’employeur d’accommoder les caractéristiques de l’employé. L’employeur n’a pas l’obligation de changer de façon fondamentale les conditions de travail, mais a plutôt l’obligation, s’il peut le faire sans contrainte excessive, de modifier le milieu de travail ou les tâches de l’employé afin de lui permettre de travailler.

42 En d’autres mots, l’employeur n’a pas le devoir de complètement modifier les conditions de travail de l’employé, mais il a néanmoins l’obligation de modifier, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, son poste de travail ou ses tâches afin de permettre à ce dernier d’exécuter son travail.

43 En l’espèce, l’employeur a fait beaucoup d’efforts pour s’acquitter de sa responsabilité de prendre des mesures d’adaptation jusqu’à la contrainte excessive. Avant de faire sa première offre de retour au travail, Mme Bélanger et M. Daigle ont révisé le dossier du fonctionnaire et recensé, aux meilleurs de leurs connaissances, les noms des employés impliqués dans les conflits antérieurs et dans les plaintes que le fonctionnaire avait déposées dans le passé. L’employeur a confirmé que ces employés ne travaillaient plus pour le Ministère et que les trois employés avec qui le fonctionnaire travaillerait dans le futur n’étaient pas des employés avec qui il avait eu des conflits de travail antérieurement. Le fonctionnaire n’a pas démontré le contraire. De plus, l’employeur a proposé d’établir une procédure de communication claire faisant en sorte que le fonctionnaire saurait à tout moment à qui s’adresser en cas de risque de contact avec des employés avec qui il avait eu des problèmes dans le passé ou en cas d’incertitude. Son poste d’attache était donc acceptable dans les circonstances.

44 Bien qu’il se soit senti outré par la mesure d’adaptation proposée par l’employeur, le fonctionnaire n’a jamais cru bon fournir la liste des personnes visées, de démontrer que ces personnes travaillaient effectivement pour le Ministère et pouvaient être en contact avec lui et d’énoncer clairement pourquoi la procédure de communication proposée n’était pas appropriée.

45  Avant de proposer sa deuxième mesure d’adaptation, l’employeur a procédé à une vérification des postes disponibles dans son ministère afin d’identifier un ou des postes susceptibles de satisfaire aux limitations fonctionnelles du fonctionnaire et a également communiqué avec plusieurs autres ministères afin de tenter de trouver au fonctionnaire un poste permanent ou temporaire, mais en vain. M. Daigle avait fait circuler le curriculum vitaedu fonctionnaire dans plusieurs ministères ainsi qu’au Conseil de la dotation, mais ses efforts n’ont tout simplement rien donné.

46  Je suis d’accord avec l’employeur que le poste de commis régional, secteur Garde côtière, était unique, qu’il aurait permis au fonctionnaire de travailler de façon autonome et qu’il représentait une mesure d’adaptation raisonnable compte tenu des limites fonctionnelles du fonctionnaire, telles que décrites à ce moment. Ce poste relevait directement de l’Administration centrale à Ottawa par le biais de la direction régionale de la Gestion de l’information et services de la technologie, éliminant ainsi les contacts directs avec les employés de la région du Québec avec qui le fonctionnaire pouvait avoir eu des conflits dans le passé. Il rendait possible la gestion conjointe de la problématique des contacts indirects avec ces personnes puisque le poste était situé dans un édifice différent à près d’un kilomètre de l’ancien lieu de travail du fonctionnaire. Aucun des employés travaillant au sein de cette direction, incluant la haute gestion de cette Direction, n’avait travaillé avec le fonctionnaire dans le passé. Il s’agissait, selon moi, d’une mesure d’adaptation raisonnable remplissant les limitations fonctionnelles du fonctionnaire qui aurait dû tout au moins donner lieu à une tentative de la part du fonctionnaire. Le fonctionnaire a toutefois écarté catégoriquement cette possibilité sans pour autant justifier son refus de façon raisonnable. Tel que j’ai indiqué, les deux descriptions de travail fourni au médecin traitant, soit celle concernant son poste d’agent à la vérification et celle concernant ce poste de commis régionale, indiquaient que le fonctionnaire devait travailler dans des endroits poussiéreux et que le médecin n’a jamais soulevé les dits problèmes d’asthme avant le 30 janvier 2009.

47 L’employeur n’aurait pu prendre aucune mesure d’adaptation à l’intérieur de son ministère qui aurait été jugé satisfaisante par le fonctionnaire puisque celui-ci se sentait complètement incapable de continuer à travailler au Ministère, un fait qu’il a confirmé à plus d’une reprise lors de son témoignage, ainsi que dans sa documentation. Il n’existait qu’une seule option viable selon lui, une seule mesure d’adaptation : une nomination dans un autre ministère.

48 Contrairement à ce qu’a allégué le fonctionnaire, je suis convaincu que les faits ont établi que l’employeur a entrepris une recherche diligente afin de lui trouver un poste approprié, et cela tant à l’extérieur qu’à l’intérieur du Ministère, et qu’il n’a donc pas manqué à son devoir de chercher un arrangement raisonnable qui permettrait au fonctionnaire de continuer à travailler au sein de la fonction publique fédérale.

49 Tel que l’a suggéré la Commission dans Sioui, l’employé doit faire sa part lorsqu’il est question de mesures d’adaptation :

87 En raison de l’analyse des décisions de nos tribunaux ci-devant, je dois conclure que l’obligation de prendre des mesures d’adaptation n’est pas sans limite et qu’elle n’est pas à sens unique. Elle implique pour l’employeur d’étudier la possibilité de modifier les exigences professionnelles de l’emploi en vue de faciliter le retour au travail de l’employé, ou en faisant des efforts sérieux pour lui trouver un travail alternatif. L’employeur ne peut refuser d’aider le fonctionnaire à réintégrer son travail à moins de pouvoir justifier que l’adaptation de l’exigence professionnelle lui imposerait une contrainte excessive. De son côté, l’employé doit faire preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit à l’égard des démarches entreprises par son employeur pour trouver une solution à son retour au travail.

50 Je ne suis pas convaincu que le fonctionnaire a fait preuve de collaboration et d’ouverture d’esprit avant son licenciement. Entre le moment où il a été déclaré apte au travail en mars 2008 et son licenciement le 28 juillet 2009, soit une période de 16 mois, il n’y a aucune preuve que le fonctionnaire ait fait des démarches sérieuses de recherche d’emploi au sein du Ministère ou dans tout autre ministère de la fonction publique fédérale. Il a également refusé de fournir une liste identifiant clairement les personnes avec qu’il ne pouvait pas être en contact.

51 La décision Zhang, sur laquelle se fonde essentiellement le fonctionnaire, porte sur des faits différents et sur l’application de la Norme sur la sécurité du personnel, ce qui n’est pas le cas en espèce.

52 Pour ce qui est des annotations des deux médecins qui ont été présentées en preuve par les parties, soit celles du médecin traitant du fonctionnaire et du médecin de Santé Canada, je ne peux reprocher à l’employeur, dans les circonstances, d’avoir tenté d’obtenir des précisions de la part de ceux-ci. L’information piteuse fournie par les deux médecins et son caractère vague n’ont rien fait pour faire avancer la cause du fonctionnaire. J’ose espérer que ces derniers possédaient l’information nécessaire pour arriver à leurs conclusions. Une chose est certaine, ils n’ont pas cru bon partager cette information à l’employeur afin que la mesure d’adaptation la plus approprié soit prise le plus rapidement possible. Il m’apparait inconcevable qu’un praticien suggère qu’un patient soit apte au travail mais qu’il ne peut être « en contact avec les personnes impliquées directement ou indirectement dans les litiges antérieurs » sans pour autant préciser le nom des personnes concernées, les litiges dont il est question, la période visée par l’utilisation du terme « antérieur », les raisons justifiant l’adaptation et le type d’adaptation recherché. De plus, je note que sa recommandation de « relocaliser » le fonctionnaire dans un nouveau ministère était qualifiée de « préférable ». La recommandation de trouver un emploi au fonctionnaire dans un autre ministère est loin de satisfaire aux critères auxquels je viens de faire référence. Cette recommandation ne tient aucunement compte de la possibilité d’entrer en contact avec les personnes concernées durant l’entrée au travail, les pauses et le départ du travail du fonctionnaire advenant que le nouveau ministère en question soit situé dans un édifice adjacente à l’ancien lieu de travail du fonctionnaire, ce qui n’est pas exceptionnel dans les grandes villes, comme la ville de Québec. Elle ne tient pas plus compte de la possibilité réelle que les personnes en question soient maintenant à l’emploi du nouveau ministère recherché.

53 Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’information médicale disponible, et des positions prises par le fonctionnaire, l’employeur s’est retrouvé dans une situation où il était devenu impossible d’aider le fonctionnaire sans contrainte excessive. D’exiger d’un ministère de nommer un de ses employé à un nouveau poste dans un différent ministère est non seulement excessif, cela va clairement à l’encontre de la LEFP. Je conclue donc que l’employeur n’a pas manqué ni à son obligation de prendre des mesures d’adaptation au sein de son ministère, ni à son devoir de chercher un arrangement raisonnable qui aurait permis au fonctionnaire de continuer à travailler au sein de la fonction publique fédérale.

54 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V.  Ordonnance

55 Le grief est rejeté.

Le 7 septembre 2012.

Stephan J. Bertrand,
arbitre de grief

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