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Résumé :

Selon le plaignant, l’intimé aurait abusé de son pouvoir en amorçant un nouveau processus de nomination interne plutôt que d’utiliser un bassin de candidats qualifiés, établi antérieurement. D’autre part, la participation de deux membres du comité d’évaluation au processus suscitait une crainte raisonnable de partialité en raison de conflits antérieurs avec le plaignant. Enfin, l’un des membres du comité entretenait à l’extérieur une relation d’affaires avec l’une des personnes nommées. L’intimé a nié tout abus de pouvoir. D’après lui, il était approprié de lancer un nouveau processus de nomination étant donné le laps de temps écoulé. En outre, des mesures appropriées ont été prises afin de réduire au minimum tout parti pris et toute attitude inéquitable dans le processus de nomination. Décision La décision d’amorcer un nouveau processus de nomination ne constituait pas un abus de pouvoir. Le fait pour un postulant d’être inscrit à un bassin de candidats qualifiés ne garantit pas une nomination future. L’intimé a fourni une explication raisonnable par rapport à sa décision de lancer un nouveau processus de nomination. Une crainte raisonnable de partialité a été établie sur la base de l’existence de conflits antérieurs entre deux membres du comité d’évaluation et le plaignant. De plus, la présence de l’un des membres du comité à l’entrevue de l’une des personnes nommées – personne avec qui ledit membre entretenait à l’extérieur une relation d’affaires – donnait lieu à une crainte raisonnable de partialité. Plainte accueillie. Le Tribunal a ordonné à l’intimé de révoquer la nomination dans les 60 jours. Le Tribunal a recommandé que tous les membres du comité d’évaluation en question – y compris les personnes ayant participé à son établissement – suivent une formation sur les processus d’évaluation impartiaux et sans conflits d’intérêts.

Contenu de la décision

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Dossier :
2010-0603
Décision
rendue à :

Ottawa, le 22 mars 2012

NORMAN AMIRAULT
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
Kenneth J. Gibson, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Amirault c. le sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre :
2012 TDFP 0006

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Norman Amirault, affirme que l'intimé, le sous-ministre de la Défense nationale, a abusé de son pouvoir dans un processus de nomination visant des postes de chef adjoint de peloton aux groupe et niveau FR-03, offerts à Victoria, en Colombie-Britannique. Plus précisément, le sous-ministre aurait abusé de son pouvoir en lançant ce processus de nomination malgré l'existence d'un bassin de candidats qualifiés pour des postes FR-03. Le plaignant soutient en outre qu'il y avait crainte raisonnable de partialité contre lui et en faveur de l'un des candidats retenus.

2 L'intimé nie les allégations du plaignant. Selon lui, la candidature de ce dernier a été éliminée du fait qu'il lui manquait trois qualifications essentielles pour le poste de chef adjoint de peloton.

3 Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) juge que la plainte est fondée, puisqu'il y a crainte raisonnable de partialité contre le plaignant et en faveur de l'un des candidats retenus.

Contexte


4 En mai 2010, l'intimé a lancé un processus de nomination interne annoncé en vue d'établir un bassin de candidats qualifiés pour des postes de chef adjoint de peloton FR-03.

5 Au total, douze personnes, dont le plaignant, ont présenté leur candidature. Le plaignant et huit autres candidats ont passé l'étape de la présélection et ont été convoqués à un examen écrit.

6 À cet examen, le plaignant n'a pas obtenu la note de passage pour trois qualifications essentielles, soit deux concernant les connaissances et une concernant les capacités. Le 25 août 2010, il a été avisé que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination.

7 Au terme du processus de nomination, quatre candidats ont été jugés qualifiés. Une notification de nomination ou de proposition de nomination, dans laquelle figurait le nom des quatre candidats qualifiés, a été publiée le 21 septembre 2010.

8 Le plaignant a présenté une plainte en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) le 28 septembre 2010.

9 Au début de l'audience, le représentant du plaignant a indiqué qu'il retirerait les allégations concernant l'abus de pouvoir relatif au choix du type de processus et à l'établissement de la qualification requise (NFPA 1021 ou TQ6A).

Questions


10 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par le lancement d'un nouveau processus de nomination?
  2. Existait-il une crainte raisonnable de partialité dans le processus d'évaluation, entraînant un abus de pouvoir?

Analyse


Question I :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir par le lancement d'un nouveau processus de nomination?

11 Le plaignant, un employé FR-02, affirme qu'il faisait partie d'un bassin de candidats qualifiés établi en 2007 à l'issue d'un processus de nomination visant des postes FR-03. Deux candidats ont été nommés dès la fin dudit processus. Selon lui, la nomination de la première personne faisait l'unanimité au sein du comité d'évaluation et la deuxième personne nommée a été choisie au terme d'un vote des membres du comité. Le plaignant affirme qu'il était le troisième candidat sur la liste et qu'on lui avait dit qu'il serait nommé la prochaine fois qu'un poste se libérerait.

12 Gino Chicorelli, un chef de peloton FR-04, a déclaré qu'il était le président du comité d'évaluation en 2007. Il a confirmé que le comité avait déterminé que le plaignant devrait être nommé la prochaine fois qu'un poste FR-03 se libérerait.

13 Randy Morton est également un employé FR-04. Il a affirmé qu'en tant que membre du comité d'évaluation, il avait participé au vote pour la deuxième personne nommée en 2007. Selon M. Morton, aucun classement des candidats n'avait été établi et les membres n'avaient pas convenu que le plaignant obtiendrait la prochaine nomination offerte. Il a ajouté que si un poste s'était libéré, le comité se serait réuni de nouveau pour sélectionner un des candidats inscrits dans le bassin.

14 Après les nominations de 2007, le plaignant a occupé des postes FR-03 de façon intérimaire à quelques reprises. Cependant, l'intimé n'a doté aucun autre poste de ce type pour une période indéterminée avant que le bassin ne cesse d'être en vigueur en 2010.

15 En février 2010, la base des Forces canadiennes (BFC) d'Esquimalt a obtenu l'autorisation de doter quatre postes FR-03 pour une période indéterminée. Steve Mullen, chef du service d'incendie de la Base, a déclaré qu'au terme d'une discussion avec Allan James, commandant, Opérations portuaires et services d'urgence, il avait été décidé de ne pas nommer un candidat inscrit dans le bassin de 2007 mais plutôt de lancer un nouveau processus de nomination. Cette décision reposait sur le fait que le bassin datait de 2007 (deux ans et demi) et qu'entre-temps d'autres personnes avaient acquis les qualifications nécessaires pour occuper un poste FR-03. Selon le chef Mullen, le commandant James et lui-même ont rencontré des représentants syndicaux locaux, qui ont souscrit à leur décision de mettre un terme au bassin existant pour lancer un nouveau processus, offrant ainsi une possibilité d'avancement à un plus grand nombre d'employés. Le chef Mullen a indiqué que le nouveau processus lancé par l'intimé a permis à sept personnes de postuler en 2010 alors qu'elles ne pouvaient pas le faire en 2007.

16 Dans un courriel expliquant la décision de mettre un terme au bassin de 2007, le commandant James indiquait qu'une entente avait été conclue avec le syndicat selon laquelle les futurs bassins seraient valides pendant deux ans.

17 Comme l'avait établi le Tribunal au paragraphe 102 de la décision Hughes c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 0016, l'article 77(1)a) de la LEFP porte sur les nominations à des postes en vertu de l'article 30(2), et non pas sur l'inclusion de personnes dans des bassins. Le fait d'être inscrit dans un bassin signifie seulement qu'un candidat est qualifié pour un poste – la nomination à ce poste n'est pas garantie pour autant. Quoi qu'il en soit, aucune date de fin n'était précisée pour le bassin de 2007, et aucun élément de preuve présenté ne montre que l'intimé ne pouvait pas mettre un terme au bassin et lancer un nouveau processus. La preuve avancée par le chef Mullen et le commandant James constitue une explication raisonnable de leur décision de mettre un terme au bassin.

18 Le plaignant affirme que lorsqu'il a été inscrit dans le bassin en 2007, on lui a dit qu'il serait nommé la prochaine fois qu'un poste FR-03 se libérerait. Toutefois, deux des personnes qui auraient pris cette décision ont livré un témoignage contradictoire. En outre, deux ans et demi s'étaient écoulés depuis le moment où cette décision aurait été prise, et d'autres employés avaient acquis les qualifications nécessaires pour postuler. Même si les attentes du plaignant étaient fondées, il n'a pas été démontré en preuve que l'intimé n'était pas en droit de changer d'avis et d'adopter une autre démarche après tout ce temps.

19 Le Tribunal conclut que le plaignant n'a pas établi la preuve d'un abus de pouvoir de la part de l'intimé par la décision de ce dernier de mettre un terme au bassin de 2007 et de lancer un nouveau processus de nomination.

Question II :  Existait-il une crainte raisonnable de partialité dans le processus d'évaluation, entraînant un abus de pouvoir?

(A) Existait-il une crainte raisonnable de partialité par rapport à l'évaluation du plaignant ?

20 Le 25 août 2010, le plaignant a reçu un courriel l'avisant qu'il lui manquait trois qualifications essentielles pour le poste FR-03 et que sa candidature ne serait plus étudiée dans le cadre du processus de nomination. Les trois qualifications étaient les suivantes :

  • CA4 – Capacité de gérer efficacement des conflits.
  • CO3 – Connaissance des procédures d'intervention d'urgence relative à des matières dangereuses.
  • CO5 – Connaissance des publications contenant les politiques et les directives à suivre par un service des incendies du MDN, notamment mais non exclusivement, la convention collective du groupe des pompiers (FR), les Directives opérationnelles du Service des incendies, les publications du CANUTEC (Centre canadien d'urgence transport), le Manuel de gestion des biens immobiliers (chapitre 10), les publications de la NFPA (National Fire Protection Association) ainsi que les DOAD (Directives et ordonnances administratives de la Défense).

21 Le plaignant soutient que la façon dont le comité l'a évalué suscite une crainte raisonnable de partialité. Il a présenté des éléments de preuve concernant la partialité de deux membres du comité d'évaluation, M. Morton et Mike Gains, ainsi que du chef Mullen, qui a affirmé avoir supervisé le processus de nomination.

Objection de l'intimé concernant la preuve relative à la partialité du chef Mullen

22 L'intimé a soulevé une objection lorsque le plaignant a présenté des éléments de preuve démontrant que le chef Mullen avait un parti pris contre lui. L'intimé a soutenu que le plaignant n'avait formulé aucune allégation de parti pris contre lui. Il a ajouté que selon l'article 23 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-06, modifié par DORS/2011-116 (le Règlement), le Tribunal peut seulement autoriser le plaignant à modifier une allégation ou à en présenter une nouvelle si la modification ou la nouvelle allégation résulte d'une information qui n'aurait pas pu être raisonnablement obtenue avant que le plaignant ne présente ses allégations initiales (art. 23(1)a)) ou s'il juge par ailleurs qu'il doit le faire par souci d'équité (art. 23(1)b)).

23 Le plaignant a avancé que la preuve porte sur l'une des allégations figurant sur la liste qu'il avait présentée le 4 novembre 2010. Il a soutenu que l'allégation en question avait une large portée, et qu'elle s'appliquait à tous les membres du comité d'évaluation, y compris au chef Mullen, le gestionnaire investi des pouvoirs de dotation pour ce processus de nomination.

24 Le Tribunal a différé sa prise de décision sur l'objection et a permis au plaignant d'exposer sa preuve.

25 Après avoir pris connaissance de la preuve, le Tribunal conclut que l'allégation en question ne concerne pas le chef Mullen et que la preuve portant sur son parti pris présumé repose sur des événements qui se seraient produits en février 2009, bien avant que le plaignant ne soumette ses allégations le 4 novembre 2010. Puisque le plaignant n'a présenté aucun élément de preuve démontrant qu'il n'aurait pas pu raisonnablement obtenir cette information avant de soumettre ses allégations, il n'est pas autorisé à les modifier, conformément à l'article 23(1)a) du Règlement. Par ailleurs, le plaignant n'a présenté aucun facteur justifiant l'ajout des allégations par souci d'équité, comme le permet l'article 23(1)b) du Règlement. Pour ces motifs, l'objection de l'intimé est accueillie. Le Tribunal ne tiendra pas compte de la preuve qu'a présentée le plaignant pour soutenir son allégation de parti pris formulée à l'encontre du chef Mullen.

Preuve relative à la partialité de MM. Morton et Gains

26 Le plaignant a déclaré qu'il avait été le secrétaire-trésorier de sa section locale de l'Alliance de la Fonction publique du Canada de 2000 à 2010. Après le processus de nomination de 2007, il a été impliqué dans de nombreux dossiers patronaux-syndicaux importants avec M. Morton. À un certain moment, alors que le plaignant faisait partie de l'équipe de direction du syndicat local, un conflit s'est produit entre le syndicat et M. Morton, lui-même membre du syndicat.

27 Selon le plaignant, M. Morton a exposé cette situation au commandant James. Toutefois, ce dernier estimait qu'il s'agissait d'un problème interne du syndicat et il a refusé d'intervenir. M. Morton a ensuite présenté une plainte contre l'agent négociateur auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Le dossier n'était toujours pas réglé au moment de l'audience.

28 Le plaignant a rappelé que ce conflit a eu lieu tout juste avant que ne soit affichée l'annonce de possibilité d'emploi pour le processus de nomination visant le poste FR-03 en mai 2010. Il a ajouté que compte tenu de son conflit avec M. Morton, il se demandait s'il serait évalué de façon équitable dans ce processus.

29 M. Morton a déclaré qu'il n'entretient aucune animosité envers le plaignant et qu'il travaille bien avec lui. Il a indiqué que lorsque des nominations ont été effectuées à partir du bassin de candidats de 2007, il avait voté pour que le plaignant soit l'une des deux personnes nommées, mais son vote n'était pas majoritaire. Il a fait remarquer que lorsque le plaignant a passé son examen écrit pour le récent processus de nomination, il était le seul membre du comité présent, ce à quoi le plaignant n'a présenté aucune objection.

30 M. Morton a reconnu qu'il avait déposé à la CRTFP une plainte pour représentation inéquitable. Il a affirmé que sa plainte visait le syndicat en général, mais qu'un associé lui avait conseillé d'y indiquer le nom des trois membres de la direction du syndicat, dont le plaignant.

31 Par ailleurs, le plaignant a déclaré qu'en 2006, il avait été impliqué avec M. Gains dans un important conflit de relations de travail, lequel s'est résolu en 2007. Pour des raisons de confidentialité, le Tribunal ne divulguera pas les détails de ce conflit.

32 Le témoignage de M. Gains sur ce sujet concorde avec celui du plaignant. Il a affirmé qu'au cours du processus de nomination, il avait avisé le personnel des ressources humaines de son ancien conflit avec le plaignant. Il a indiqué que le chef Mullen était déjà au courant de la situation. Le personnel des ressources humaines et le chef Mullen lui ont mentionné que le conflit n'était pas pertinent dans ce processus de nomination.

33 Le plaignant a reconnu qu'il n'a pas eu d'autres conflits ou différends avec M. Gains depuis ce temps.

34 Le plaignant soutient qu'un autre employé FR-04, Rick Lequesne, aurait pu faire partie du comité d'évaluation pour le processus de nomination. L'inspecteur des incendies et plusieurs employés FR-03 étaient également disponibles. En outre, le plaignant soutient que l'intimé aurait pu faire appel à des employés qualifiés ne provenant pas nécessairement d'Esquimalt.

35 M. Lequesne a déclaré qu'il ne se souvenait pas avoir reçu une invitation à faire partie du comité d'évaluation pour l'examen. Il s'attendait à participer à la sélection une fois les évaluations terminées.

36 À la question de savoir si d'autres employés FR-03, FR-04 ou FR-05 auraient pu participer à l'évaluation, M. Morton a répondu qu'« ils n'étaient jamais confrontés à cette situation ».

[traduction]

37 M. Gains a affirmé que lors d'une rencontre d'officiers supérieurs, M. Morton et lui s'étaient portés volontaires pour participer au processus de nomination visant les postes FR-03. Deux autres employés FR-04 et un employé FR-05 étaient présents, mais ils ne se sont pas portés volontaires.

38 Le chef Mullen a confirmé que seuls MM. Morton et Gains s'étaient portés volontaires pour faire partie du comité d'évaluation. Selon lui, les autres employés FR-04 estimaient qu'ils étaient trop occupés. Il a ajouté qu'il était au courant des préoccupations du plaignant, mais qu'il avait confiance en MM. Morton et Gains qui avaient déjà mené bon nombre de processus de nomination. Toujours selon le chef Mullen, le commandant James avait envoyé un courriel au plaignant pour l'informer qu'il serait possible, au besoin, de faire appel à d'autres personnes que MM. Morton et Gains pour réaliser son entrevue.

39 Selon le chef Mullen, le commandant James lui avait suggéré que lui-même (le commandant), le chef et le chef adjoint réalisent l'entrevue du plaignant à la place de MM. Morton et Gains, mais le plaignant n'a pas réussi à l'examen et n'a donc jamais eu à passer une entrevue.

40 Ron McClintock est gestionnaire des ressources humaines et travaille avec l'intimé. Il a participé au processus de nomination de 2010 à titre d'agent des ressources humaines. Il a affirmé que, selon ce qu'il avait compris, MM. Morton et Gains avaient évalué les examens séparément, puis s'étaient rencontrés pour atteindre un consensus. Il a précisé que certaines réponses ne laissaient pas de place à la subjectivité.

41 M. Gains a confirmé que M. Morton et lui avaient préparé l'examen écrit, et que le chef Mullen et M. McClintock l'avaient passé en revue avant que les candidats ne le reçoivent.

42 MM. Gains et Morton ont expliqué pourquoi selon eux le plaignant avait eu de mauvais résultats pour les trois qualifications où il n'a pas obtenu la note de passage.

43 D'après M. Morton, les réponses de l'examen n'étaient pas subjectives étant donné que le comité disposait de documents de référence. Il a indiqué que la plupart des réponses ne laissaient aucune place à la subjectivité. Cependant, M. Morton a reconnu que le comité ne s'attendait pas à ce que les candidats utilisent exactement les mêmes mots que dans les réponses attendues. Il a souligné que si les réponses étaient incomplètes les évaluateurs essayaient de « lire entre les lignes » et faisaient preuve d'autant d'indulgence que possible.

44 M. McClintock a déclaré que peu après la séance d'examen, il avait examiné la copie de tous les candidats qui avaient échoué pour s'assurer que tout était en ordre et que les notes avaient été bien calculées. Il a précisé qu'il n'était pas autorisé à modifier les notes accordées par MM. Morton et Gains. M. McClintock a rappelé qu'un échec à l'égard d'une seule des qualifications essentielles était suffisant pour entraîner l'élimination de la candidature du plaignant.

45 Le chef Mullen a indiqué qu'il était responsable du processus de nomination. Il a passé en revue l'examen avant que celui-ci ne soit distribué aux candidats pour s'assurer que les questions concordaient avec les qualifications essentielles mentionnées dans l'annonce de possibilité d'emploi. Il a également parcouru la copie de tous les candidats qui avaient échoué, y compris celle du plaignant.

46 Le plaignant souligne que les Lignes directrices en matière d'évaluation de la Commission de la fonction publique (CFP) précisent que les administrateurs généraux doivent s'assurer que les personnes responsables de l'évaluation ne sont pas en conflit d'intérêts. Il est d'avis que M. Morton était dans une telle situation en raison de la plainte présentée à la CRTFP. En ce qui concerne M. Gains, il affirme que même si leur conflit s'était produit bien avant le processus de nomination, il n'en était pas moins sérieux et il avait sans doute laissé des traces chez les personnes concernées.

47 Le plaignant fait remarquer que MM. Morton et Gains ont tous deux signé le rapport du comité dans lequel ils devaient déclarer que la nature de leur relation avec les candidats leur permettait de prendre une décision impartiale. Il félicite M. Gains d'avoir informé le personnel des ressources humaines et le chef Mullen du conflit qui les avait opposés, mais remarque qu'ils ont jugé que le conflit n'était pas pertinent dans le processus de nomination.

48 Le plaignant ajoute que le courriel qu'il avait reçu du commandant James le 30 juillet 2010 qui précisait que l'examen écrit ne laissait aucune place à la subjectivité, ne concordait pas avec les faits. Il fait remarquer qu'il a reçu une partie des points pour certaines questions, ce qui prouve que l'évaluation était subjective et non pas objective.

49 Le plaignant a cité la décision Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029, paras. 121-141, pour montrer que le Tribunal, en l'espèce, devrait également conclure à l'abus de pouvoir en raison d'une crainte raisonnable de partialité.

Détermination du critère approprié

50 L'intimé soutient que le critère de crainte raisonnable de partialité ne devrait pas être appliqué en l'espèce, car selon lui, dans le cas d'une décision administrative prise en vertu de l'article 36 de la LEFP, il convient d'appliquer la norme moins contraignante qui consiste à déterminer si les personnes concernées ont agi avec un « esprit fermé ». L'intimé a cité la décision Pelletier c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 1, dans laquelle la Cour d'appel fédérale a appliqué le critère de l'esprit fermé pour déterminer si le Cabinet avait respecté le devoir d'équité procédurale lorsqu'il avait ordonné, en vertu d'un décret en conseil, la cessation d'emploi du président du conseil d'administration d'une société d'État.

51 L'argument de l'intimé n'a pas convaincu le Tribunal. Tout d'abord, l'article 36 de la LEFP traite du choix de l'administrateur général quant à la méthode d'évaluation utilisée dans un processus de nomination. Or, en l'espèce, le plaignant n'a pas mentionné que la méthode d'évaluation choisie posait problème.

52 Toutefois, ce qui est plus important encore, c'est que la nature du jugement rendu dans la décision Pelletier est clairement différente de la question en l'espèce. Comme la Cour l'a souligné aux paragraphes 53 et 59, les circonstances de l'affaire étaient uniques. La Cour a déterminé, au paragraphe 49, que la norme moins contraignante de l'esprit fermé s'applique aux décisions prises par les décideurs administratifs comme les ministres ou autres fonctionnaires qui remplissent des fonctions discrétionnaires d'élaboration de politiques. La Cour a conclu que l'affaire dont elle était saisie, qui portait sur la destitution d'une personne nommée à titre amovible par le Cabinet, faisait partie de cette catégorie. Aux termes de la LEFP, les décisions prises par les personnes responsables de l'évaluation dans un processus de nomination ne constituent pas des fonctions discrétionnaires d'élaboration de politiques.

53 Au paragraphe 29 de la décision Newfoundland Telephone Company c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623 (décision Newfoundland Telephone), citée dans la décision Pelletier, la cour a déclaré ce qui suit : « […] les tribunaux doivent faire preuve de souplesse face à ce problème, de manière que la norme appliquée varie selon le rôle et la fonction de la commission en cause. »

54 Par ailleurs, tel qu'il est mentionné aux paragraphes 64-71 de la décision Gignac c. le sous-ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 2010 TDFP 0010, les facteurs permettant de déterminer l'ampleur du devoir d'équité en ce qui concerne la prise de décisions administratives comprennent, outre la nature de la décision, le contexte législatif et les effets sur la personne touchée. Les plaintes en matière de dotation s'inscrivent dans un contexte législatif où le législateur a expressément indiqué dans le préambule de la LEFP que les pratiques d'emploi doivent être équitables, obligeant ainsi les administrateurs généraux à respecter les lignes directrices de la CFP, lesquelles exigent explicitement des membres des comités d'évaluation qu'ils fassent des efforts raisonnables pour réduire au minimum toute apparence de parti pris.

55 Selon les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP, pour être équitable, toute décision prise doit être objective et exempte de toute influence politique ou de favoritisme personnel. En outre, elle doit reposer sur des lignes directrices et des pratiques qui témoignent d'un traitement juste des personnes. Par ailleurs, les Lignes directrices en matière d'évaluation de la CFP stipulent que les personnes responsables de l'évaluation ne doivent pas être en conflit d'intérêts et doivent être en mesure de remplir les rôles, les responsabilités et les fonctions qui leur sont propres de façon juste.

56 À la lumière de ces lignes directrices, les candidats s'attendent à ce que les personnes responsables de leur évaluation agissent équitablement et à ce qu'elles ne soient pas en situation de conflit d'intérêts. Ainsi, dans la décision Gignac, le Tribunal a conclu que les personnes responsables de l'évaluation dans les processus de nomination sont tenues de réaliser des évaluations impartiales, qui ne suscitent aucune crainte raisonnable de partialité (voir aussi la décision Bain c. le sous-ministre des Ressources naturelles Canada, 2011 TDFP 0028, paras. 133-139).

57 En conséquence, le Tribunal estime qu'en l'espèce, la crainte raisonnable de partialité est le critère qu'il faut appliquer pour déterminer si le comité d'évaluation a agi de façon équitable et impartiale dans le processus de nomination. Selon la définition du critère, lorsqu'une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, a la perception raisonnable qu'une ou plusieurs personnes responsables de l'évaluation sont partiales (consciemment ou non), le Tribunal peut conclure à l'abus de pouvoir (voir la décision Gignac, paras. 72-74; et la décision Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, para. 394). Le plaignant n'est pas tenu de prouver que les membres du comité avaient réellement un parti pris contre lui. Comme l'ont mentionné les tribunaux qui ont élaboré ce critère, il n'est pas nécessaire d'établir s'il y a réellement eu parti pris, puisqu'il est habituellement impossible de déterminer si le décideur a abordé la question avec un esprit partial (voir la décision Newfoundland Telephone au para. 636; R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, para. 109).

Existait-il une crainte raisonnable de partialité par rapport à MM. Morton et Gains?

58 Le Tribunal estime, en se fondant sur la définition du critère, qu'une personne informée aurait raisonnablement perçu une certaine partialité chez les deux membres du comité d'évaluation.

59Le plaignant a présenté une preuve selon laquelle il était en conflit avec les deux membres du comité d'évaluation. Le principal élément de preuve concernant M. Morton porte sur la plainte que celui-ci a présentée à la CRTFP et dans laquelle il nommait, entre autres, le plaignant. Le Tribunal n'accorde pas beaucoup d'importance au fait que M. Morton ait voté en faveur de la nomination du plaignant au poste de chef adjoint de peloton durant le processus de nomination de 2007. En effet, toute relation peut changer au fil du temps, et les événements entourant le conflit de M. Morton avec le syndicat se sont produits après le processus de 2007. En fait, sa plainte auprès de la CRTFP suivait son cours alors qu'il était chargé, à titre de membre du comité, d'évaluer l'examen du candidat. L'argument de l'intimé selon lequel M. Morton aurait présenté à la CRTFP une plainte uniquement contre le syndicat et non pas contre les personnes nommées dans la plainte ne convainc pas non plus le Tribunal. Le conflit entre M. Morton et le syndicat découlait de décisions prises par des personnes, et non pas par une organisation fonctionnant sans intervention humaine. En nommant le plaignant dans sa plainte à la CRTFP, M. Morton indiquait qu'il croyait que le plaignant était responsable, du moins en partie, des décisions du syndicat sur lesquelles portait sa plainte.

60 La preuve concernant M. Gains porte sur des événements qui se sont déroulés environ quatre ans avant le processus de nomination dont il est question. Il n'y a aucune preuve de conflit ultérieur entre M. Gains et le plaignant. Il n'en reste pas moins qu'il y a déjà eu entre les deux personnes un important conflit.

61 En effet, M. Gains était lui-même préoccupé par la façon dont serait perçue sa participation aux travaux du comité d'évaluation, étant donné le conflit qu'il avait eu auparavant avec le plaignant, au point qu'il en a parlé au personnel des ressources humaines et au chef Mullen mais ces derniers n'en ont pas tenu compte.

62 Compte tenu des antécédents entre les deux membres du comité d'évaluation et le plaignant, il n'est pas surprenant que ce dernier ait été inquiet de constater que ses chances d'avancement professionnel reposaient entre les mains de MM. Morton et Gains. Le Tribunal souligne que d'autres personnes étaient disponibles pour évaluer l'examen du plaignant. L'argument de l'intimé selon lequel aucune autre personne ne s'est portée volontaire ou que tous les autres évaluateurs possibles étaient trop occupés ne convainc pas le Tribunal. Lorsque la participation à des processus de nomination fait partie intégrante des tâches d'un employé, ce qui, selon la preuve, semble être régulièrement le cas chez les chefs de peloton, l'intimé peut attribuer lui-même cette responsabilité. L'intimé n'est pas tenu de faire appel aux volontaires pour mener des processus de nomination.

63 Le chef Mullen a reconnu qu'il était au courant des conflits qui existaient entre les membres du comité d'évaluation et le plaignant. Malgré tout, il a déterminé que MM. Morton et Gains étaient en mesure de réaliser une évaluation équitable, étant donné leur vaste expérience des processus de nomination. Le Tribunal estime que l'analyse du chef Mullen est incomplète. En effet, selon la section VI du Guide de mise en œuvre des Lignes directrices en matière d'évaluation de la CFP, les gestionnaires doivent tenir compte de ce qui suit :

Comme l'intégrité d'un processus d'évaluation pourrait faire l'objet d'un examen, il est important non seulement que le processus en question soit juste, mais aussi qu'il soit perçu comme tel. Par exemple, les membres du comité d'évaluation devraient faire l'effort raisonnable de minimiser toute apparence de partialité dans le processus […].

[Caractères gras ajoutés]

64 L'analyse du chef Mullen ne tient compte que de la première partie de cette directive, soit de veiller à ce que le processus soit juste. Pour qu'il soit perçu comme tel, il faut examiner la question selon le point de vue d'une autre personne. Comme le Tribunal l'a mentionné au paragraphe 28 de la décision Jarvo c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0006 :

[…] dans le contexte de la dotation à la fonction publique, la valeur d'équité ne peut être évaluée du point de vue restrictif d'une seule personne. Pour prendre des décisions de nomination objectives, les gestionnaires délégataires doivent tenir compte de plusieurs perspectives et chercher à concilier des intérêts souvent incompatibles lorsqu'il s'agit d'étudier les différentes possibilités qui s'offrent à eux pour doter un poste. En d'autres termes, les gestionnaires doivent évaluer l'équité selon différentes perspectives, tout en sachant qu'il est peu probable que leur décision paraisse équitable aux yeux de tous.

65 En l'espèce, la preuve montre que le chef Mullen a pris sa décision en se fondant uniquement sur son point de vue. Ce faisant, il a omis de se demander si le processus de nomination paraîtrait équitable aux yeux de tous.

66 À la lumière de la preuve concernant les conflits antérieurs entre le plaignant et MM. Morton et Gains, le Tribunal conclut qu'une personne renseignée, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, pourrait raisonnablement croire que les membres du comité d'évaluation étaient partiaux, consciemment ou non.

67 L'intimé soutient que même s'il y avait réellement eu crainte raisonnable de partialité et que l'un ou l'autre des membres du comité d'évaluation avaient un parti pris contre le plaignant, les membres ne pouvaient avoir que peu d'influence sur le résultat de l'examen, car celui-ci était objectif. Il a été souligné, à titre d'exemple, que la première question de l'examen était une question à choix multiples.

68 Pourtant, M. Morton a déclaré que pour répondre à certaines questions, il fallait connaître des listes de renseignements, et que le comité d'évaluation ne s'attendait pas à ce que les candidats aient mémorisé toute cette information. Il a ajouté que les membres du comité devaient « lire entre les lignes » pour déterminer si l'information fournie par un candidat était suffisante, et que le comité avait fait preuve d'autant d'indulgence que possible au moment de corriger les réponses du plaignant.

69 Le Tribunal a établi dans de nombreuses décisions qu'il ne lui incombe pas de réévaluer un candidat dans un processus de nomination. Son rôle consiste plutôt à examiner le processus de nomination pour déterminer s'il y a eu abus de pouvoir (voir par exemple la décision Oddie c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2007 TDFP 0030, para. 92).

70 Le Tribunal a passé en revue les questions d'examen qui concernaient les trois qualifications pour lesquelles le plaignant n'a pas obtenu la note de passage, soit CA4, CO3 et CO5.

71 La qualification CA4 consistait en la capacité de gérer efficacement des conflits. La question s'y rapportant (Q18) était une question ouverte, et aucune réponse attendue n'était proposée dans les documents de cotation préparés avant l'administration de l'examen. Aucune explication ne justifie pourquoi le plaignant a reçu 10 points pour sa réponse, plutôt qu'un autre résultat plus élevé ou plus faible. Le Tribunal estime que l'évaluation de cette question était subjective et que le comité d'évaluation possédait un pouvoir discrétionnaire considérable pour déterminer le résultat des candidats.

72 La qualification CO3 correspondait à la connaissance des procédures d'intervention d'urgence relative à des matières dangereuses et était évaluée aux questions Q9 et Q10. Le plaignant a reçu une partie des points pour les deux questions, résultat déterminé par le comité d'évaluation.

73 La qualification CO5 portait sur la connaissance des publications contenant les politiques et les directives à suivre par un service des incendies du ministère de la Défense nationale (MDN). En tout, huit questions permettaient d'évaluer cette qualification. Le plaignant a obtenu le résultat maximal pour cinq d'entre elles. Le comité d'évaluation lui a attribué une partie des points pour deux des trois autres questions. Seule la question Q21 semble avoir été évaluée de façon entièrement objective et conforme au guide de cotation, mais cette question ne permettait d'obtenir que 25 des 165 points prévus pour la qualification CO5.

74 À la lumière de cette analyse, le Tribunal estime que l'évaluation des trois qualifications pour lesquelles le plaignant n'a pas obtenu la note de passage était subjective dans une certaine mesure, en ce sens que le résultat du plaignant découlait d'un pouvoir discrétionnaire exercé par le comité d'évaluation.

75 Par conséquent, le Tribunal conclut qu'en fait, l'examen laissait au comité d'évaluation de nombreuses possibilités d'attribuer une partie des points et ainsi d'influencer les résultats; il est donc raisonnable de craindre que la partialité des membres a pu influer sur l'évaluation du plaignant. En outre, d'autres personnes auraient pu administrer l'examen à la place de MM. Gains et Morton. La décision du chef Mullen, qui avait déterminé que MM. Morton et Gains pouvaient évaluer le plaignant équitablement, ne prenait pas en considération la nécessité de veiller à ce que le processus soit perçu comme équitable et impartial.

76 Le plaignant a présenté d'autres éléments de preuve pour soutenir son allégation selon laquelle son examen n'avait pas fait l'objet d'une évaluation équitable. Toutefois, compte tenu de la conclusion du Tribunal concernant les allégations de parti pris, ces autres questions ne seront pas examinées.

77 Pour tous les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que l'allégation de crainte raisonnable de partialité de la part du comité d'évaluation contre le plaignant est fondée. Tel qu'il était mentionné au paragraphe 74 de la décision Gignac, la crainte raisonnable de partialité dans une décision de dotation démontre la mauvaise foi, ce qui constitue un abus de pouvoir.

(B) Existait-il une crainte raisonnable de partialité par rapport à l'évaluation de l'un des candidats retenus?

78 Le plaignant affirme que M. Morton et l'un des candidats retenus, Ray Halsall, se connaissent bien, ce qui suscite une crainte raisonnable de partialité de la part de M. Morton en faveur du candidat.

79 M. Morton a reconnu qu'il était en affaires avec M. Halsall, un employé FR-02, à l'extérieur du travail, depuis 1995 environ. Leur entreprise offre des services de formation de lutte contre les incendies aux employés d'entreprises de navigation commerciale travaillant à bord de bateaux. M. Halsall est le président de l'entreprise, et M. Morton, le vice-président.

80 M. Morton a déclaré que ces titres avaient peu d'importance. Ils sont des partenaires commerciaux à part égale et les seuls associés à cette entreprise. Selon M. Morton, M. Halsall est devenu président parce que c'est lui qui avait eu l'idée de lancer l'entreprise. M. Morton a ajouté que M. Halsall et lui entretiennent une relation d'affaires uniquement : ils n'ont aucune relation sociale.

81 Au début du processus d'évaluation, le plaignant a communiqué à M. McClintock et au commandant James ses inquiétudes concernant la participation de M. Morton à l'évaluation de M. Halsall. Il croyait qu'il y avait conflit d'intérêts en raison de leur relation d'affaires. Le 30 juillet 2010, M. McClintock a envoyé au plaignant un courriel dans lequel il affirmait ce qui suit :

Je souhaite donner suite à notre conversation de cet après-midi; je suis conscient du conflit d'intérêts perçu en ce qui concerne un membre du comité d'évaluation du processus FR-03 en cours. Pour l'instant, il a été décidé que le processus se poursuivrait comme prévu et je vous conseille de faire l'examen lundi, pour respecter le calendrier qui a été fixé.

[traduction]

82 M. McClintock a affirmé qu'à la lumière de ses 15 années d'expérience au sein du service d'incendie, il savait que la plupart des employés FR avaient une activité commerciale externe. M. McClintock a ajouté que le commandant James était au courant de la relation d'affaires entre MM. Morton et Halsall. Il a également souligné que le personnel de l'administration centrale du MDN avait déjà fait enquête sur l'entreprise et qu'il avait déterminé qu'il n'y avait aucun conflit d'intérêts entre les fonctions qu'assumaient MM. Morton et Halsall pour le MDN et le travail qu'ils accomplissaient pour leur entreprise. Il a déclaré que le commandant James avait décidé de poursuivre le processus parce qu'il avait déterminé que M. Morton ne participerait d'aucune façon à l'évaluation de M. Halsall. M. McClintock a également indiqué qu'il était certain que le commandant James se fiait à M. Morton pour ne pas communiquer à l'avance le contenu de l'examen écrit à M. Halsall.

83 Le 30 juillet 2010, le plaignant s'est adressé directement au commandant James et lui a ensuite envoyé un courriel dans lequel il exprimait ses préoccupations quant à la « validité et à la sécurité » de l'examen, étant donné que M. Morton faisait partie du comité d'évaluation et que M. Halsall était un candidat. Le commandant James a répondu à ce courriel plus tard dans la journée en envoyant le message suivant :

Merci pour votre appel et votre courriel. J'ai examiné la question et je reconnais que la relation d'affaires entre MM. Morton et Halsall doit être prise en compte. Cela dit, je suis convaincu que nous pouvons poursuivre le processus de sélection comme prévu, de façon équitable et ouverte. Étant donné qu'une bonne partie du processus (présélection, examen écrit) ne laisse pas de place à la subjectivité, je ne vois pas de risque de conflit. Dans d'autres étapes où un conflit pourrait être perçu (entrevue), je suis persuadé que nous pourrons mettre en place des mesures d'adaptation acceptables pour garantir un résultat équitable et transparent.

[traduction]

84 M. Morton a déclaré que pour veiller à ce que le processus soit équitable et transparent, il a été convenu que M. Gains corrigerait l'examen de M. Halsall et lui ferait passer son examen pratique. M. Morton a reconnu qu'il était présent durant l'entrevue de M. Halsall, mais a précisé que M. Gains avait posé toutes les questions. Il a ajouté qu'il avait approuvé l'évaluation que M. Gains avait faite de l'entrevue de M. Halsall.

85 M. Gains a souligné qu'il s'était acquitté d'une grande partie de l'évaluation de M. Halsall. À la demande du personnel des ressources humaines, il a préparé la note ci-après, datée du 15 septembre 2010 et adressée « à qui de droit » [traduction] :

En raison du conflit en cours entre la direction de la section locale (1009) du syndicat du service d'incendie de la BFC d'Esquimalt, et le chef de peloton FR-04 Randy Morton, il a été déterminé, de concert avec la CRTFP, qu'il serait dans l'intérêt de tous que je sois le principal évaluateur du candidat Raymond Halsall durant le processus de sélection visant le poste FR-03 de chef adjoint de peloton. Durant l'examen écrit sur les connaissances, j'ai répondu à toutes les préoccupations du candidat Ray Halsall. Durant la partie pratique de l'évaluation, qui portait sur les capacités, j'étais dans le camion incendie avec M. Halsall et j'ai assumé le rôle de principal évaluateur. Durant l'entrevue ou (sic) l'évaluation des qualités personnelles de M. Halsall, j'ai posé les questions et agi encore une fois à titre d'évaluateur principal pour cette partie du processus. Nous croyions qu'il s'agissait de la façon la plus vigilante de veiller à ce que le processus soit transparent, puisqu'un des participants au processus, qui était également un membre de la section locale (1009) de direction du syndicat du service d'incendie, semblait soulever certaines préoccupations.

[traduction]

86 Le Tribunal estime que le fait que le MDN ait établi qu'il n'y avait aucun conflit entre l'entreprise de MM. Morton et Halsall et leur travail au MDN ne constitue pas un facteur déterminant pour la question à l'étude. En effet, il ne s'agit pas de déterminer s'il y a conflit d'intérêts par rapport au travail de fonctionnaires de MM. Halsall et Morton et leur rôle de copropriétaires d'une entreprise de formation en lutte contre les incendies. Il faut plutôt établir si M. Morton était en mesure d'évaluer M. Halsall de façon équitable malgré leur relation d'affaires.

87 Par ailleurs, le fait qu'il soit fréquent que des pompiers du MDN s'adonnent à des activités commerciales à l'extérieur de leur travail n'est pertinent que dans la mesure où cette réalité exige de l'intimé qu'il soit particulièrement vigilant pour éviter les conflits d'intérêts au moment d'établir des comités d'évaluation.

88 En l'espèce, le Tribunal estime que M. Morton était en conflit d'intérêts au moment de participer à l'évaluation de M. Halsall en raison de la relation d'affaires qui existait entre eux. La preuve montre que l'intimé était entièrement au courant de ce conflit et que le commandant James reconnaissait qu'il fallait prendre des mesures pour en atténuer les conséquences lors de l'entrevue. Toutefois, le Tribunal n'est pas convaincu que les mesures prises par l'intimé étaient suffisantes pour éliminer la perception de partialité en ce qui concerne l'entrevue.

89 Afin de mener un processus de nomination qui serait non seulement juste, mais qui serait aussi perçu comme tel, l'intimé aurait dû retirer complètement M. Morton du processus d'évaluation de M. Halsall.

90 Bien que M. Gains ait posé les questions durant l'entrevue, M. Morton était tout de même présent et il a affirmé qu'il approuvait l'évaluation de M. Gains. Or, en approuvant l'évaluation, M. Morton a participé à l'évaluation de l'entrevue de M. Halsall. Si M. Morton ne devait pas participer à l'évaluation de l'entrevue de M. Halsall, alors il n'aurait pas dû jouer de rôle dans la détermination du résultat.

91 En l'espèce, la perception de partialité soulève la préoccupation selon laquelle M. Morton aurait pu, consciemment ou non, évaluer M. Halsall de façon plus indulgente afin d'entretenir leur relation d'affaires. Si M. Morton avait fait partie d'un comité d'évaluation ayant déterminé que M. Halsall n'était pas qualifié pour un poste FR-03, leur relation d'affaires aurait pu en souffrir. M. Morton avait intérêt à vouloir éviter un tel dénouement. Or, cet intérêt entrait en conflit avec son devoir de réaliser une évaluation équitable et impartiale de M. Halsall. L'intimé aurait dû s'assurer que M. Morton ne participe d'aucune manière à l'évaluation de M. Halsall. En permettant à M. Morton de participer à l'évaluation de l'entrevue de M. Halsall, l'intimé n'a pas tenu compte de cette apparence de parti pris. Ainsi, appliquant le critère de crainte raisonnable de partialité, le Tribunal juge qu'une personne bien renseignée, qui étudierait la question en profondeur de façon réaliste et pratique, aurait la perception raisonnable que M. Morton était partial, consciemment ou non. Par conséquent, le Tribunal conclut que l'intimé a abusé de son pouvoir.

Décision


92 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est accueillie.

Mesure corrective


93 Les pouvoirs de réparation du Tribunal sont décrits à l'article 81(1) de la LEFP :

81. (1) S'il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l'administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu'il estime indiquées.

94 Le plaignant a demandé que dans le cas où sa plainte serait accueillie, le Tribunal révoque les quatre nominations effectuées dans le cadre de ce processus de nomination ou, à tout le moins, la nomination de M. Halsall. Il n'a pas demandé à être réévalué pour ce processus de nomination.

95 Le Tribunal fait remarquer qu'il n'y a pas de preuve démontrant que les autres nominations effectuées durant ce processus, à l'exception de celle de M. Halsall, comportaient des lacunes.

96 En l'espèce, le Tribunal juge que la mesure corrective indiquée est de révoquer la nomination de M. Halsall. Par conséquent, le Tribunal ordonne à l'administrateur général de révoquer la nomination de M. Halsall dans les 60 jours suivant la date de la présente décision.

97 Le Tribunal recommande d'autre part que tous les membres du comité d'évaluation, ainsi que toutes les personnes ayant participé à son établissement, suivent une formation sur les processus d'évaluation impartiaux et sans conflits d'intérêts.

Kenneth J. Gibson
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2010-0603
Intitulé de la cause :
Norman Amirault et le sous-ministre de la Défense nationale
Audience :
Les 6 et 7 octobre 2011
Victoria (Colombie-­Britannique)
Date des motifs :
Le 22 mars 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Louis Bisson
Pour l'intimé :
Christine Langill
Pour la Commission
de la fonction publique :
Kimberley J. Lewis (observations écrites)
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