Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a soutenu que l’expérience requise était discriminatoire envers les personnes qui, comme lui, font partie des minorités visibles. Il a avancé d’autre part que l’intimé avait abusé de son pouvoir en ignorant ses obligations en matière d’équité en emploi lors de l’élaboration et de la conception du processus de nomination. Selon lui l’intimé aurait dû inclure comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible. L’intimé a nié tout abus de pouvoir et a expliqué que le plaignant avait été éliminé du processus de nomination parce qu’il ne possédait pas l’expérience requise. Décision Le Tribunal a traité de questions préliminaires concernant l’admissibilité de documents que le plaignant lui avait transmis après la clôture de la preuve. Le Tribunal n’a pas accepté les documents en preuve puisqu’ils n’auraient pas pu influer considérablement sur l’issue de l’affaire. Le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas établi une preuve à première vue de discrimination. Il n’avait pas fait le lien entre l’exigence d’expérience et une sous-représentation présumée des minorités visibles dans les niveaux supérieurs du groupe LA. Ainsi, le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas démontré que l’intimé avait fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant à cause de sa race ou son origine ethnique en exigeant que les candidats possèdent l’expérience demandée. Le Tribunal a également indiqué que l’intimé avait fourni une preuve convaincante que l’exigence d’expérience n’était pas un obstacle pour les minorités visibles, comme le plaignant, d’obtenir un poste de gestion. En ce qui a trait à l’équité en matière d’emploi, le Tribunal a expliqué qu’il ne lui appartient pas de faire appliquer la Loi sur l’équité en matière d’emploi. Ce rôle revient à la Commission canadienne des droits de la personne. Toutefois, certains aspects de l’équité en matière d’emploi dans une plainte présentée au Tribunal sont pertinents. Suite à son analyse, le Tribunal a conclu que l’intimé n’avait pas abusé de son pouvoir en n’incluant pas comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible. La raison de l’élimination du plaignant n’était pas discriminatoire, mais reliée au fait qu’il ne possédait pas l’expérience requise. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2008-0482
Rendue à :
Ottawa, le 18 juin 2012

YACINE AGNAOU
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA JUSTICE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Agnaou c. le sous-ministre de la Justice
Référence neutre :
2012 TDFP 0016

Motifs de décision

Introduction

1 Yacine Agnaou (le plaignant), a participé à un processus de nomination interne annoncé pour doter un poste de directeur(trice) régional(e) principal(e) associé(e) et un poste de directeur(trice) de la direction de droit, les deux postes étant des postes du groupe et niveau LA-3A au ministère de la Justice. Sa candidature a été éliminée à l’étape de la présélection parce que le comité d'évaluation a déterminé qu’il ne possédait pas l’expérience requise, c’est-à-dire six mois d’expérience en gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale acquise au cours des deux dernières années.

2 Le plaignant allègue que cette exigence est discriminatoire envers les personnes qui, comme lui, font partie des minorités visibles. Il soutient également que le sous‑ministre de la Justice (l’intimé) a abusé de son pouvoir en ignorant ses obligations en matière d’équité en emploi (ÉE) lors de l’élaboration et de la conception du processus de nomination. Selon le plaignant, si l’intimé avait pris en considération ses obligations dans ce domaine, il aurait inclus comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible.

3 L'intimé nie avoir abusé de son pouvoir. Il soutient que l'exigence d’expérience n’est pas discriminatoire. Il maintient également qu’il n'était pas obligé d’inclure comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible. Il ajoute qu'il a respecté ses obligations en matière d'ÉE et tient à préciser que ce n'est pas le rôle du Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) de veiller à l’application de la Loi sur l’équité en matière d’emploi, L.C. 1995, ch. 44(LÉE).

4 La Commission de la fonction publique (CFP) a décrit ses lignes directrices en matière de dotation, tout particulièrement celles sur l’évaluation des candidats et celles sur l’ÉE. Selon elle, le plaignant n’a pas démontré que l’intimé n’a pas respecté ses obligations en matière d’ÉE énoncées dans les lignes directrices de la CFP et dans celles du Conseil du Trésor. Elle est d’avis que le plaignant n’a fourni aucune preuve directe ou indirecte que l’intimé devait faire de l’ÉE un critère de mérite dans ce processus de nomination.

Contexte

5 En avril, 2008, l’intimé a affiché une Annonce de possibilité d’emploi (APE) sur le site web du gouvernement fédéral Publiservice pour doter pour une période indéterminée les deux postes susmentionnés. Ces postes étaient situés au Bureau régional du Québec (BRQ) du ministère de la Justice. Le processus a aussi servi à créer un bassin de candidats qualifiés pour doter d’autres postes qui pouvaient devenir vacants plus tard. Le processus était ouvert à toutes les personnes employées dans la fonction publique au Canada.

6 Le comité d’évaluation qui a fait la présélection était composé de Me Micheline Van Erum, alors directrice régionale principale, et René Lapierre, alors directeur régional principal associé. Marcela Mujica a appuyé le comité en tant que conseillère en ressources humaines.

7 Dix-huit personnes ont présenté leur candidature pour ces postes, dont le plaignant. L'intimé a procédé à une présélection des candidats en se servant des critères d'études et d'expérience. Cinq candidats ont été éliminés à cette étape du processus, dont le plaignant. Les candidats retenus ont ensuite subi un examen écrit et ont participé à une entrevue. Le comité d'évaluation a aussi procédé à une vérification des références.

8 La candidature du plaignant n’a pas été retenue lors de la présélection parce que l’intimé a jugé qu’il ne possédait pas une des qualifications essentielles requises pour ces postes, c’est-à-dire une expérience récente en gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale. Le terme « récente » avait été défini comme « une expérience pendant un minimum de six (6) mois au cours des deux (2) dernières années ».

9 Le 27 juin 2008, l’intimé a affiché les Notifications de nomination ou de proposition de nomination pour la nomination de Francisco Couto au poste de directeur régional principal associé, et la nomination de Michel Synnott au poste de directeur de la Direction de droit de l’immigration.

10 Le 7 juillet 2008, le plaignant a présenté au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir concernant ces nominations en vertu de l’art. 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (la LEFP).

11 Le plaignant a envoyé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour l’aviser qu’il avait l’intention de soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C., 1985, ch. H-6 (LCDP). La CCDP n’a pas participé à l’audience, mais elle a fait parvenir au Tribunal avant l’audience des observations écrites dans lesquelles elle décrit la grille analytique qui, selon elle, devrait s’appliquer aux cas de discrimination. Elle s’est toutefois gardée de se prononcer sur la question à savoir s’il y a eu discrimination ou non dans ce processus de nomination.

12 Le Tribunal juge que la plainte du plaignant n’est pas fondée pour les raisons qui suivent.

Questions préliminaires

13 La plupart des questions préliminaires ont trait à l’admissibilité de documents que le plaignant a fait parvenir au Tribunal après que la preuve ait été close.

14 La jurisprudence concernant la présentation de nouveaux éléments de preuve après la clôture de la preuve indique que cette question est laissée à la discrétion du membre du Tribunal saisi de l’affaire et que celui-ci doit exercer ce pouvoir discrétionnaire avec prudence et circonspection. Le caractère définitif de l’audience est essentiel dans le contexte du système judiciaire, et une audience ne devrait être rouverte pour accepter de nouveaux éléments de preuve que dans les cas où l’intérêt de la justice l’exige. Voir la décision 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada inc., 2001 CSC 59 (CanLII).

15 Pour déterminer s’il faut accepter les nouveaux éléments de preuve présentés par le plaignant, le Tribunal a appliqué le critère énoncé dans la décision Whyte, Kasha c. Canadian National Railway, 2010 TCDP 6 (CanLII). Selon ce critère, les trois conditions suivantes doivent être réunies pour que de nouveaux éléments de preuve puissent être acceptés lorsqu’un tribunal n’a pas encore formulé sa conclusion finale :

  1. il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il n’aurait pas été possible d’obtenir les éléments de preuve pour présentation au procès;
  2. les éléments de preuve doivent être susceptibles d’influer substantiellement sur l’issue de l’affaire, quoiqu’ils n’aient pas à être déterminants;
  3. les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même s’il n’est pas nécessaire qu’ils soient irrécusables.

Les documents concernant M. Couto et M. Synnott

16 Le plaignant a fait parvenir au Tribunal, après que la preuve ait été close, deux documents qui indiquent que M. Couto et M. Synnott n’occupent plus les postes auxquels ils ont été nommés dans le cadre du processus de nomination en litige. M. Couto a depuis été nommé au poste de directeur général régional du BRQ, et M. Synnott au poste de directeur général régional associé au même bureau régional.

17 L’intimé s’est opposé à la présentation de cette nouvelle preuve parce que l’étape de la présentation de la preuve était close.

18 Le Tribunal est d’avis que ces documents auraient pu influer substantiellement sur l’issue de l’affaire si la plainte avait été accueillie puisque le fait d’occuper ou non les postes visés par le processus de nomination en litige est un élément que le Tribunal peut prendre en considération lorsqu’il décide s’il doit ordonner la révocation d’une nomination. Par contre, puisque la plainte est rejetée et que, conséquemment, le Tribunal ne peut ordonner de mesures correctives, il n’est pas nécessaire de décider de cette question.  

19 M. Synnott a précisé, dans un courriel qu’il a fait parvenir au Tribunal le 19 septembre 2011, qu’il avait été nommé pour une période d’un an au poste susmentionné et que son poste d’attache demeurait celui de directeur de la Direction de droit de l’immigration du BRQ. Le plaignant, dans un courriel du 29 mai, 2012, note qu’il n’avait pas reçu ce courriel. Le Tribunal a vérifié le dossier de plainte et il semble en effet qu’il y a eu oubli. L’article 9 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, mod. par DORS/2011-116 (le Règlement), précise qu’aucune instance n’est invalidée au seul motif qu’elle est entachée d’un vice de forme ou de procédure. Alors, le Tribunal est d’avis qu’il y a eu un simple vice de procédure qui n’a causé aucun préjudice au plaignant étant donné que ce dernier a eu l’occasion de prendre connaissance de ce courriel et de fournir ses commentaires. De plus, cette précision apportée par M. Synnott n’aurait pu avoir d’effet que si le Tribunal avait ordonné des mesures correctives, ce qui n’est pas le cas puisque la plainte a été jugée non fondée.

L’annonce de possibilité d’emploi pour le poste de coordonnateur du Centre régional de soutien au contentieux du BRQ

20 Le plaignant a aussi déposé, après la clôture de la preuve, une APE concernant le poste mentionné en titre. Le Tribunal traite de l’admissibilité de ce document dans son analyse de la deuxième question en litige.

Les échanges de courriels entre Me Karl Chemsi, Me Yves Côté et Me Johanne D’Auray

21 Le plaignant a également fait parvenir au Tribunal, après que la preuve ait été close, un courriel en date du 20 septembre 2010 de Me Chemsi, le représentant de l’intimé, à Me Côté, un autre en date du 23 septembre 2010 de Me Côté à Me D’Auray, et un autre de la même date de Me D’Auray à Me Côté. Le plaignant a obtenu ces documents par l’entremise d’une demande d’accès à l’information qu’il a adressée à l’intimé. Il allègue que ces documents démontrent que l’intimé n’a pas respecté l’ordonnance d’exclusion de témoins émise par le Tribunal au début de l’audience de cette plainte, minant ainsi l’équité procédurale.

22 L’intimé soutient que ces documents ne sont pas admissibles en preuve puisqu’ils n’auraient pu influer substantiellement sur l’issue de l’affaire. Il soutient également que ces courriels n’établissent pas que l’intimé a enfreint l’ordonnance d’exclusion de témoins.

23 Le Tribunal n’accepte pas en preuve ces trois courriels. En appliquant le critère énoncé dans Whyte, le Tribunal est d’avis que la deuxième condition n’est pas remplie. Ces courriels n’auraient pu influer substantiellement sur l’issue de l’affaire puisqu’ils n’établissent pas que l’intimé a enfreint l’ordonnance d’exclusion de témoins du Tribunal.

24 Il y a eu trois sessions d’audiences pour cette plainte : une allant du 17 au 19 mai 2010, une autre allant du 27 septembre au 1er octobre 2010 et une dernière allant du 14 au 16 décembre 2010. Seul le plaignant a témoigné lors de la session du 17 au 19 mai 2010. Donc, lorsque ces trois courriels ont été rédigés, le Tribunal n’avait entendu que le témoignage du plaignant.  

25 Dans le courriel de trois phrases que le représentant de l’intimé a expédié à ce qui semble être son patron, Me Côté, le 20 septembre 2010, le représentant de l’intimé lui donne une mise à jour au sujet des dates de la continuation de l’audience. Il ne mentionne pas le témoignage du plaignant. Alors même si le représentant de l’intimé a expédié une copie conforme de son courriel à deux futurs témoins, à savoir Me Van Erum et Mme Mujica, ces deux témoins n’ont pas reçu d’information du représentant de l’intimé concernant le témoignage du plaignant.

26 Les deux autres courriels ne mentionnent pas le témoignage du plaignant non plus. Dans celui du 23 septembre 2010 de Me Côté à Me D’Auray, Me Côté ne fait que demander à Me D’Auray une brève note au sujet de la plainte du plaignant pour le ministre et de mentionner ce dossier à une réunion qui devait se tenir le lendemain. Dans l’autre courriel, Me D’Auray lui répond qu’elle sera également absente lors de cette réunion et qu’elle fera part de sa requête à une autre employée.

27 Donc rien dans ces échanges de courriel ne laisse entendre que le représentant de l’intimé ait dévoilé à de futurs témoins le contenu du témoignage du plaignant. Ces échanges de courriels ne sont donc pas admissibles en preuve parce qu’ils n’auraient pas pu influer substantiellement sur l’issue de l’affaire.

Les notes prises par les représentants de l’intimé au cours de la préparation du témoignage de Me Van Erum

28 Le plaignant a également fait parvenir au Tribunal, après que la preuve ait été close, ce qu’il allègue être les notes manuscrites prises par « les représentants » de l’intimé au cours de la préparation du témoignage de Me Van Erum. Le document porte la date du 7 décembre 2010. Le plaignant soutient que ces notes démontrent que le représentant de l’intimé avait encore une fois enfreint l’ordonnance d’exclusion des témoins du Tribunal.

29 Le Tribunal n’accepte pas en preuve ces notes manuscrites parce qu’elles ne répondent pas à la deuxième condition fixée dans la décision Whyte. Ces documents n’auraient pu influer substantiellement sur l’issue de l’affaire puisqu’elles n’établissent pas que l’intimé a enfreint l’ordonnance d’exclusion de témoins du Tribunal. Lorsque ces notes ont été rédigées, les personnes suivantes avaient témoigné : le plaignant, M. Lapierre, Zina Glinski et Mme Mujica. Rien dans ces notes n’indique que le représentant de l’intimé ait fait part à Me Van Erum le contenu de leurs témoignages.

Le courriel du représentant de l’intimé au greffe du Tribunal

30 Tel que mentionné ci-haut, l’audience de cette plainte a eu lieu durant trois sessions. Lors de la première session,  le Tribunal avait ordonné l’exclusion de témoins et avait ordonné aux témoins qui avaient témoigné de ne pas discuter de leur témoignage avec quiconque, incluant les représentants des parties, jusqu’à ce que la preuve soit close. Le Tribunal a aussi longuement traité de la question des communications entre les représentants des parties et leurs clients et témoins lors de la deuxième session d’audience. Le 2 octobre 2010, le plaignant est revenu sur cette question et a demandé au Tribunal d’ordonner, entre autres, que le Tribunal ordonne au représentant de l’intimé et à celui de la CFP de ne pas discuter de la plainte avec les témoins à venir. Dans un courriel du 7 octobre 2010, le greffe a fait parvenir cette demande du plaignant au représentant de l’intimé afin d’obtenir ses commentaires. Le représentant de l’intimé a répondu par courriel le même jour qu’il s’opposait à cette demande et que le plaignant ne pouvait dicter ses procédures au Tribunal. Il a ajouté qu’il entendait respecter l’ordonnance d’exclusion des témoins. Malheureusement, le plaignant n’a pas reçu le courriel du greffe ni celui du représentant de l’intimé. 

31 Le Tribunal est d’avis que le plaignant aurait dû recevoir une copie de ces courriels, mais cet oubli n’a eu aucune conséquence dans cette plainte. Les parties ont eu amplement l’occasion de faire valoir leur point de vue sur cette question lors d’une conférence téléphonique qui a eu lieu entre toutes les parties le 20 octobre 2010. Le plaignant n’a donc pas subi de préjudice à cet égard. Cet oubli n’est qu’un vice de procédure comme prévu à l’art. 9 du Règlement qui n’invalide pas l’instance en cause.

Échange de courriels entre le plaignant et l’intimé au sujet du rejet de sa candidature à un poste de conseiller juridique pour le bureau du sous-ministre délégué et échange de courriels entre le plaignant et la CFP au sujet de cette même candidature

32 Le 15 juin, 2012, c’est-à-dire après que la preuve ait été close, le plaignant a fait parvenir au Tribunal d’autres documents. Il s’agit d’un échange de courriels entre le plaignant et l’intimé au sujet de sa candidature pour un poste de conseiller juridique pour le bureau du sous-ministre délégué aux groupe et niveau LA-2A. L’intimé a rejeté sa candidature pour ce poste. Le plaignant a aussi fait parvenir au Tribunal un échange de courriels entre le plaignant et la CFP au sujet de cette candidature.

33 Le Tribunal juge que ces nouveaux documents ne sont pas admissibles en preuve puisqu’ils n’auraient pu influer substantiellement sur l’issue de l’affaire. Ces documents portent sur un autre processus de nomination qui n’a aucun lien avec le processus en litige.

34 Le plaignant soutient que le rejet de sa candidature pour cet autre poste a une influence sur l’indemnité que le Tribunal peut accorder en vertu de l’art. 53(2)c) de la LCDP. Puisque le Tribunal rejette la plainte du plaignant, il n’aurait pu accorder une telle indemnité.

35 Puisque ces nouveaux documents ne sont pas pertinents à leur face même, le Tribunal n’a pas demandé aux autres parties leurs commentaires.

Questions en litige

36 Le Tribunal doit décider des questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant à cause de sa race ou de son origine ethnique en exigeant que les candidats possèdent six mois d’expérience en gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale acquise au cours des deux dernières années?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en ignorant ses obligations en matière d’ÉE lors de l’élaboration et de la conception du processus de nomination et, plus spécifiquement, en n’incluant pas comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible?

Analyse

37 L’article 77(1)a) de la LEFP stipule qu’une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination au motif que la CFP ou l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. La LEFP ne définit pas ce qu’est un abus de pouvoir, mais l’article 2(4) indique qu’« [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

38 Comme l’a établi la jurisprudence du Tribunal, cette formulation inclusive indique que l’abus de pouvoir comprend, sans toutefois s’y limiter, la mauvaise foi et le favoritisme personnel. La Cour d’appel fédérale a établi dans la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 C.A.F. 19 (la Cour suprême du Canada a accepté d’entendre l’appel de ce jugement), qu'une erreur peut également constituer un abus de pouvoir (para. 64). Cependant, il ressort clairement du préambule de la LEFP et de la LEFP dans son ensemble qu’il faut plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend donc de la nature et de la gravité de l’erreur. L'abus de pouvoir comprend aussi les omissions et la conduite irrégulière. L'ampleur de l'omission et la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peuvent déterminer si elles constituent un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

Question I:  L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant à cause de sa race ou de son origine ethnique en exigeant que les candidats possèdent six mois d’expérience en gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale acquise au cours des deux dernières années?

39 Le plaignant allègue qu’exiger cette expérience constitue de la discrimination envers les personnes qui, comme lui, font partie des minorités visibles parce que cette exigence constitue un obstacle pour ces personnes aux postes visés par ce processus de nomination. Selon lui, cette exigence « annihile » ses chances d’être nommé aux postes à cause de sa race ou son origine ethnique.

40 L’intimé ne conteste pas que le plaignant fait partie d’une minorité visible.

41 Aux termes de l’article 80 de la LEFP, pour déterminer si la plainte est fondée en vertu de l’article 77, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP.

42 L’article 7 de la LCDP stipule que le fait de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu ou de le défavoriser en cours d’emploi par des moyens directs ou indirects constitue un acte discriminatoire s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. L’article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent la race et l’origine ethnique. La LCDP ne fait pas référence au concept de « minorités visibles », concept que l’on retrouve plutôt dans la LÉE. Le Tribunal traitera donc l’allégation du plaignant comme étant basée sur la race et l’origine ethnique au sens de l'article 3 de la LCDP.

Le cadre analytique pour l’allégation de discrimination

43 Le Tribunal a établi dans sa jurisprudence qu’il revient au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. Voir, par exemple, la décision Tibbs aupara. 49.

44 Dans un contexte de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir une preuve à première vue de discrimination (aussi appelée preuve prima facie de discrimination). Dans la décision Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (également connue sous le nom de décision O’Malley), la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant d’établir une preuve à première vue de discrimination:

28 [...] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. [...]

45 Le Tribunal doit donc déterminer si, en donnant foi à la preuve du plaignant, elle est suffisamment complète pour justifier une conclusion de discrimination, en l’absence de l'explication de l’intimé. Si le plaignant réussit à établir une preuve à première vue de discrimination, il incombe alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable démontrant que la discrimination ne s’est pas produite comme cela est allégué ou que la conduite était d’une manière ou d’une autre non discriminatoire (voir Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10, para. 49).

46 La Cour fédérale a indiqué dans l’affaire Canada (Human Rights Commission) c. Canada (Department of National Health and Welfare), 1998 CanLII 7740 au para. 17 (Chopra C.F.), qu’il est possible de prouver la discrimination par inférence en utilisant la preuve circonstancielle lorsqu’il n’y a pas de preuve directe. Cette preuve consiste d’une série de faits qui, ensemble, pourraient prouver la discrimination.

47 En l’espèce, la preuve que le plaignant invoque au soutien de son allégation est de nature circonstancielle. Le critère à appliquer pour examiner une preuve circonstancielle a été énoncé par Beatrice Vizkelety dans l’ouvrage Proving Discrimination in Canada (Toronto : Carswell, 1987), à la page 142, dont voici un extrait que la Cour fédérale a également cité dans Chopra avec approbation:

Le critère approprié à appliquer lorsqu’il s’agit de preuves circonstancielles, lequel doit respecter la norme de la prépondérance de la preuve, peut donc être expliqué de la façon suivante : il est possible de conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l’appui rend cette conclusion plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse. [traduction]

48 Même si le Tribunal jugeait qu’il y avait suffisamment de preuve circonstancielle pour établir l’existence d’un acte discriminatoire, le plaignant doit quand même démontrer qu’il existe un lien entre cette preuve circonstancielle et la preuve de discrimination individuelle à son égard afin qu’une preuve à première vue de discrimination puisse être établie. (Voir les décisions suivantes : Swan c. Forces armées canadiennes, (1994) 25 C.H.R.R. 312, para. 30 (T.C.D.P.), Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, para. 133, Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien‑être social), 2001 CanLII 8492 (T.C.D.P.), para. 211) (Chopra TCDP)). Ainsi, la question que le Tribunal doit trancher est celle à savoir si le plaignant a été victime de discrimination en ce qui a trait à ce processus de nomination. Bien que la preuve de pratique de discrimination raciale peut jouer un rôle dans l’établissement du contexte ou de l’arrière-plan de la discrimination alléguée, ultimement, un lien entre la preuve de pratique de discrimination raciale et l’expérience particulière du plaignant doit être établi. Voir Ogunyankin c. Queen’s University, 2011 HRTO 1910 (CanLII), para. 221.

Est-ce que le plaignant a établi une preuve à premières vue de discrimination?

49 Toutes les personnes appelées à témoigner dans cette plainte, sauf Mme Glinski, ont été assignées à comparaître par le plaignant.

50 La preuve du plaignant au sujet de l’effet discriminatoire de l’exigence d’expérience repose principalement sur les taux de représentation des minorités visibles au ministère de la Justice occupant un poste dans le groupe LA. Il soutient que les minorités visibles sont sous-représentées aux niveaux supérieurs de ce groupe à cause d’une discrimination raciale et ethnique à leur égard.

51 Des données que le plaignant a obtenues de l’intimé en vertu d’une demande d’accès à l’information indiquent qu’il y avait au 31 mars 2008, 236 gestionnaires dans le groupe LA au ministère de la Justice qui détenaient des pouvoirs subdélégués en gestion des ressources humaines, et que 4,3 % de ce groupe, c’est-à-dire dix personnes, faisaient partie des minorités visibles.

52 Un sondage effectué par Statistiques Canada auprès des fonctionnaires fédéraux indique qu’en 2008, il y avait 386 superviseurs dans le groupe LA dans tous les organismes de la fonction publique, et que 4,9 % d’entre eux, soit 19 superviseurs, faisaient partie des minorités visibles.

53 Le plaignant a aussi déposé en preuve une présentation que Me John H. Sims, alors sous-ministre de la Justice, a fait au Comité sénatorial permanent des droits de la personne le 8 juin 2009. Dans cette présentation, Me Sims déclare qu’il y avait à cette époque 4 500 employés au ministère de la Justice, et que 14 % d’entre eux faisaient partie des minorités visibles. Me Sims ajoute que les membres des groupes désignés [au sens de l’article 3 de la LÉE : les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles] sont sous‑représentés aux échelons supérieurs du groupe LA. Me Sims ne mentionne cependant pas le nombre précis de personnes faisant partie des minorités visibles dans les échelons supérieurs du groupe LA. Il a fait une déclaration semblable dans une allocution prononcée le 26 mars 2008 à l’occasion de la conférence du Comité consultatif des minorités visibles et dans une note de service expédiée aux gestionnaires du ministère le 21 avril 2008.

54 Le plaignant a déposé en preuve un rapport intitulé Sommaire de l’effectif par catégorie professionnelle et sexe au 31 mars 2008 rédigé par le ministère de la Justice,qui indique qu’il y avait dans ce ministère 2 511 employés dans le groupe LA, dont 258, c’est-à-dire 10,2 %, faisaient partie des minorités visibles. Ce sommaire nous donne la ventilation suivante des personnes faisant partie des minorités visibles à chaque niveau du groupe LA au ministère de la Justice :

Groupe et niveau Nombre d’employés dans le groupe et niveau Nombre de personnes faisant partie des minorités visibles Pourcentage des personnes faisant partie des minorités visibles
LA-00 50 8 16,0 %
LA-01 347 68 19,6 %
LA-2A 1403 151 10,8 %
LA-2B 436 23 5,3 %
LA-3A 201 5 2,5 %
LA-3B 65 3 4,6 %
LA-3C 9 0 0 %

55 Ce rapport n'indique malheureusement pas le taux de disponibilité des minorités visibles, c’est-à-dire le pourcentage de personnes faisant partie des minorités visibles sur le marché du travail apte à faire ce travail au ministère de la Justice.

56 Le plaignant a également déposé en preuve le rapport du ministère de la Justice intitulé Estimations de la représentation de la disponibilité – Le 31 mars 2008, qui indique que les minorités visibles étaient surreprésentées dans le groupe LA au BRQ lorsque le processus de nomination a eu lieu. Il y avait 156 employés dans le groupe LA, dont 14 personnes faisant partie des minorités visibles. Le groupe des minorités visibles au BRQ représentait 9 % des personnes dans le groupe LA dans ce bureau, alors que leur taux de disponibilité était de 6,2 %.

57 En résumé, la preuve statistique du plaignant indique que les minorités visibles représentaient 14 % des employés du ministère de la Justice. Elle indique également que les minorités visibles n’étaient pas sous-représentées dans le groupe LA au BRQ. La preuve démontre également que les personnes qui font partie des minorités visibles au sein du ministère avaient accès aux postes de gestion puisqu’ils représentaient 4,3 % des 236 gestionnaires du groupe LA, c’est-à-dire 10 personnes, qui détenaient des pouvoirs subdélégués en matière de gestion des ressources humaines au sein du ministère. De plus, la preuve du plaignant indique qu’il y a des minorités visibles à tous les niveaux du groupe LA, sauf au niveau LA-3C. Il y avait donc des personnes faisant partie des minorités visibles dans le groupe et niveau LA‑3A, le groupe des postes à doter, et le groupe et niveau LA-2B, le groupe relève pour les postes à doter.

58 La preuve du plaignant n’indique pas clairement si les minorités visibles étaient sous-représentées dans le groupe LA dans son ensemble au ministère puisque le plaignant n’a pas fourni le taux de disponibilité des minorités visibles pour ce groupe. La preuve du plaignant n’indique pas clairement si les minorités visibles étaient sous‑représentées dans le groupe et niveau LA-3A, le groupe et niveau des postes à doter, parce que le plaignant n’a pas déposé en preuve le taux de disponibilité des personnes faisant parties des minorités visibles pour ce niveau et pour les autres niveaux supérieurs du groupe LA. Le plaignant n’a donc pas démontré qu’il y a une sous-représentation des minorités visibles dans le groupe et niveau pertinent, c’est‑à‑dire le groupe des postes à combler (le groupe et niveau LA-3A).

59 S’il y a une sous-représentation dans le groupe et niveau LA-3A et les autres niveaux supérieurs de ce groupe, rien n’indique qu’elle est due à une exigence d’expérience ou à un acte discriminatoire. Ainsi, même si le plaignant avait fait la preuve d'une sous-représentation des minorités visibles aux niveaux supérieurs du groupe LA, le Tribunal ne pourrait en conclure que cette sous-représentation découle nécessairement d’un acte discriminatoire, comme l’a expliqué le Tribunal canadien des droits de la personne aux paras. 236 et 237 de la décision Chopra :

[...] Toutefois, en l’absence d’un examen plus détaillé des politiques en place et des exercices de dotation en personnel, on ne peut être certain que la discrimination systémique soit la cause de la sous-utilisation. Une analyse plus approfondie pourrait, par exemple, démontrer qu’il n’y a pas suffisamment de membres de ce groupe qui se portent candidats en vue de promotions. On pourrait alors se demander pourquoi il en est ainsi, et des recherches plus poussées pourraient démontrer qu’un certain traitement  discriminatoire n’est pas étranger à cette situation. Cependant, je crois que le simple fait de se fier au taux d’utilisation sans faire une plus ample analyse n’aide pas vraiment à établir une preuve circonstancielle de discrimination.

Eu égard à tous les motifs précités, j’ai conclu que le témoignage de Mme Weiner au sujet de la preuve statistique de discrimination n’est guère utile en l’espèce et ne constitue certes pas en soi une preuve circonstancielle suffisante à première vue de « discrimination personnelle », conformément aux allégations formulées dans la plainte du Dr Chopra.

60 Dans ce cas-ci, le plaignant n’a pas fait de lien entre l’exigence d’expérience de gestion des ressources humaines et une sous-représentation alléguée des minorités visibles dans les niveaux supérieurs du groupe LA.

61 Le Tribunal conclut donc que dans l’ensemble, même si elle était avérée, la preuve du plaignant ne permet pas d’établir une preuve à première vue de discrimination. Une croyance abstraite qu’il y a de la discrimination à l’égard d’une personne, sans faits pour confirmer cette croyance, n’est pas suffisant. Voir Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 CHRT 32, para. 41. Le plaignant n’a pas réussi à prouver l’existence d’un acte discriminatoire à l’égard des minorités visibles. Par ailleurs, même s’il avait réussi à démontrer l’existence d’un tel acte et une sous‑représentation des minorités visibles dans les niveaux de gestion du groupe LA, il aurait aussi fallu qu’il établisse le lien nécessaire entre ces pratiques et cette sous‑représentation et la preuve de discrimination individuelle à son égard fondée sur la race ou l’origine ethnique. À la lumière des éléments de preuve produits, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à établir ce lien. Voir la décision Chopra, au para. 211 (QL). Le plaignant n’a donc pas démontré que l’intimé a fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant à cause de sa race ou son origine ethnique en exigeant que les candidats possèdent six mois d’expérience en gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique fédérale acquise au cours des deux dernières années.

La réponse de l’intimé

62 Bien que la conclusion ci-dessus soit suffisante pour statuer sur l’allégation de discrimination, le Tribunal estime que l’intimé a également fourni une preuve convaincante que l’exigence d’expérience ne fut pas un obstacle pour les minorités visibles, comme le plaignant, d’obtenir un poste de gestion (LA-2B, LA-3A et plus). L’intimé a également démontré qu’il y avait une surreprésentation des minorités visibles au sein du ministère et que la race ou l’origine ethnique du plaignant n’ont pas été un facteur dans l’élimination de ce dernier du processus de nomination.

63 En effet, la preuve statistique présentée par l’intimé indique que les minorités visibles sont surreprésentées au ministère de la Justice (toutes classifications confondues). Le rapport du ministère de la Justice Estimations de la représentation de la disponibilité (ERD) au 30 juin 2008, indique qu’il y avait à cette date 4 775 employés dans ce ministère, dont 567 personnes faisant partie des minorités visibles. Les membres des minorités visibles représentaient 11,9 % des employés du ministère, alors que leur taux de disponibilité sur le marché du travail était de 9,0 %.

64 La preuve de l’intimé indique également que les minorités visibles ne sont pas sous-représentées dans le groupe LA au ministère de la Justice. Les ERD indique qu’il y avait 2 551 employés dans le groupe LA au ministère de la Justice, dont 268 faisaient partie des minorités visibles. Les minorités visibles représentaient 10,5 % des employés dans le groupe LA, alors que leur taux de disponibilité était de 7,6 %.

65 Mme Glinski est une analyste principale au ministère de la Justice qui a travaillé plus de 20 ans dans le domaine de l’ÉE. Son rôle est de s’assurer que l’intimé respecte ses obligations en matière d’ÉE. Elle a fait référence au Rapport annuel 2008-2009 sur l’équité en matière d’emploi (ÉE) dans la fonction publique du Canada du Conseil du Trésor, qui cite le ministère de la Justice en exemple pour ce qui est de l’ÉE à cause de ses pratiques exemplaires.

66 Le Rapport d’étape Équité en matière d’emploi 2008-2009 du ministère de la Justice indique que le taux de recrutement des minorités visibles dans le groupe LA était le double de leur taux de disponibilité (15,7 % et 7,6 % respectivement) pendant cette année-là. Ce rapport indique également que leur représentation dans les niveaux supérieurs du groupe LA, incluant les niveaux de gestion, avait augmenté significativement. L’intimé avait dépassé ses objectifs pour ces niveaux. Il avait embauché 11 personnes dans le groupe et niveau LA-2B alors que l’objectif était de trois personnes. L’intimé avait nommé plus de personnes faisant partie des minorités visibles au niveau LA-2B que leur taux de représentation dans le groupe de relève, c’est-à-dire le groupe et niveau LA-2A. Il avait aussi dépassé ses objectifs pour le groupe et niveau LA-3A, puisque l’objectif était de deux personnes et il en a embauché trois.

67 Mme Glinski a aussi fait référence à un rapport d’analyse sur les performances de l’intimé en ÉE effectué par la firme Hara Associates intitulé Employment Equity Workforce Analysis. Ce rapport explique que la concentration de personnes faisant partie des minorités visibles aux niveaux inférieurs du groupe LA est due à un recrutement intensif des membres de ce groupe au cours des dernières années. Avec le temps, ces personnes obtiendront des promotions et leur représentation augmentera aux niveaux supérieurs du groupe LA.

68 En résumé, la preuve statistique fournie par l’intimé indique que le ministère de la Justice faisait passablement bonne figure au chapitre de la représentation des minorités visibles. Ce groupe n’était pas sous-représenté au ministère ni dans le groupe LA. Le Tribunal ne peut déterminer si les minorités visibles étaient sous-représentées dans le groupe et niveau LA-3A et les autres niveaux supérieurs du groupe LA parce que ni le plaignant ni l’intimé n’ont déposé en preuve le taux de disponibilité des personnes faisant partie des minorités visibles pour ces groupes et niveaux.

69 La preuve de l’intimé indique également que l'exigence d'expérience de six mois en gestion des ressources humaines ne constituait pas un obstacle pour les minorités visibles. Me Van Erum et M. Lapierre ont expliqué que toute personne, incluant celles faisant partie des minorités visibles, pouvait acquérir cette expérience en occupant des postes aux groupe et niveau LA-2B au ministère de la Justice ou en occupant un autre poste de gestion dans la fonction publique. Plusieurs postes du groupe et niveau LA‑2B comportent des responsabilités en gestion des ressources humaines. Le plaignant aurait pu postuler pour de tels postes puisque l’intimé a mené plusieurs processus de nomination récemment pour des postes de ce groupe et niveau. L’intimé a déposé en preuve six annonces de possibilité d’emploi affichées entre juin 2006 et octobre 2007. Ces processus étaient ouverts, entre autres, aux avocats du ministère de la Justice et ceux du Service des poursuites pénales du Canada (après que ce service s’est séparé du ministère de la Justice) occupant des postes dans la région de Montréal. Ces processus n’exigeaient pas une expérience en gestion des ressources humaines.

70 Le plaignant a admis dans son témoignage qu’il n’avait pas posé sa candidature pour ces postes.

71 Le Tribunal estime que le plaignant et toute autre personne faisant partie des minorités visibles auraient pu acquérir l’exigence d’expérience de gestion en ressources humaines en posant sa candidature à un poste aux groupe et niveau LA-2B, poste à un niveau inférieur au poste en question, ou en postulant pour un poste de gestion.

72 La preuve démontre que l’expérience de six mois en gestion des ressources humaines a été établie dans un but lié à l’exercice du travail des postes à doter. Comme l’indiquent les descriptions de travail et les témoignages de M. Lapierre et Me Van Erum, les titulaires des postes en litige doivent gérer de nombreux employés. Ils doivent, entre autres, assurer l’administration des activités et des ressources de leur direction. Cela inclut diriger directement, ou par l’entremise de gestionnaires subalternes, le travail des procureurs et de leur soutien administratif, évaluer leur rendement, régler les problèmes de relations de travail, autoriser leurs plans de formation, s’occuper des questions de classification et de rémunération et faire la dotation des postes.

73 La preuve démontre également que l’intimé croyait sincèrement que cette exigence d’expérience était nécessaire pour réaliser ce but légitime de travail. Me D’Aurayavait occupé le poste de directrice régionale principale d’avril 2003 à décembre 2005. Elle est depuis octobre 2011 juge à la Cour canadienne de l’impôt. Selon elle, pour pouvoir accomplir les fonctions du poste de directrice régionale principale, il faut posséder au moins deux années d’expérience récente en gestion des ressources humaines. On ne peut occuper ces postes sans avoir préalablement géré des avocats. Selon elle, on ne peut acquérir cette expérience dans « les livres ».

74 Selon Me Van Erum, exiger moins que six mois d’expérience compromettrait la capacité du directeur de remplir ses fonctions adéquatement. M. Lapierre et Me D’Auray ont également affirmé qu’une personne ne pouvait remplir adéquatement les tâches du poste sans cette expérience.

75 M. Lapierre a déclaré que l’intimé demandait auparavant de deux à cinq ans d’expérience en gestion des ressources humaines. Il a recommandé qu’on exige au minimum deux ans d’expérience, mais Me Van Erum a décidé de n’exiger que six mois d’expérience pour que le processus soit le plus inclusif possible.

76 Anne Lafrance était chef d’équipe en dotation au ministère de la Justice lors du processus de nomination contesté. Mme Lafrance a déclaré que Me Van Erum avait discuté avec elle de l’exigence de six mois d’expérience. Mme Lafrance lui a dit que six mois devaient être un minimum. Elle a aussi dit à Me Van Erum que ce n’était pas déraisonnable dans les circonstances afin de permettre au plus grand nombre possible de personnes de participer au processus.

77 Le plaignant soutient que cette exigence n’est pas nécessaire puisque M. Lapierre a exercé les fonctions du poste de directeur régional principal associé et qu’il n’a jamais eu de délégation de pouvoirs en ressources humaines. Le Tribunal n’accepte pas cet argument puisque la preuve démontre le contraire. Me Van Erum a déclaré que l’administrateur général lui avait délégué des pouvoirs en matière de gestion des ressources humaines, mais M. Lapierre exerçait ces pouvoirs lorsqu’elle s’absentait, ce qu’elle faisait de 30 % à 40 % du temps. Elle devait, par exemple, se rendre au siège social à Ottawa au moins une fois par semaine. Cette entente a été consignée dans la description de travail du poste de directeur régional principal associé déposée en preuve.

78 Me D’Auray est venue corroborer le témoignage de Me Van Erum sur ce sujet. Elle a déclaré que lorsqu’elle avait occupé le poste de directeur régional principal, M. Lapierre exerçait ses pouvoirs délégués en gestion des ressources humaines lorsqu’elle devait s’absenter, ce qu’elle faisait fréquemment.

79 Le Tribunal ne peut accepter l’argument du plaignant selon lequel l’intimé aurait pu exiger une connaissance en gestion des ressources humaines, au lieu d’une expérience dans ce domaine. Le Tribunal souligne qu’en vertu de l’art. 36 de la LEFP, le gestionnaire délégataire a un pouvoir discrétionnaire dans l’établissement des qualifications essentielles du poste. Dans ce cas-ci, le gestionnaire voulait des candidats qui possèdent une expérience concrète de la gestion des ressources humaines, plutôt qu’une connaissance livresque du sujet. Acquérir une connaissance par des études n’est pas du tout la même chose qu’acquérir une expérience dans un domaine. Posséder une expérience dans un domaine implique beaucoup plus que d’avoir étudié un sujet; cela implique qu’on a eu l’occasion de mettre en pratique les connaissances acquises. Embaucher une personne qui ne possède pas cette expérience, comme le signalait Me Van Erum, mettrait en péril la bonne gestion de cette direction.

80 De plus, la preuve démontre que le plaignant et toute autre personne faisant partie ou pas d’une minorité visible auraient pu acquérir l’expérience en gestion des ressources humaines en postulant et en obtenant un poste du groupe et niveau LA‑2B. Alors, la qualification essentielle d’expérience en question ne crée pas d’obstacle pour qui que ce soit d’obtenir des postes aux groupe et niveau LA‑3A. Il s’agit de progresser dans les échelons afin d’acquérir l’expérience requise. Le plaignant étant du groupe et niveau LA-2A a voulu obtenir un poste aux groupe et niveau LA-3A, soit deux niveaux plus haut que son présent niveau.

81 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal est d’avis que la race ou l’origine ethnique du plaignant n’était pas un facteur dans son élimination du processus de nomination. La raison pour son élimination n’est pas discriminatoire, mais tout simplement reliée au fait qu’il ne possédait pas l’expérience requise. Le Tribunal est d’avis que cette raison est valable et est également supportée par la preuve.

Question II :  L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en ignorant ses obligations en matière d’ÉE lors de l’élaboration et de la conception du processus de nomination et, plus spécifiquement, en n’incluant pas comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible?

82 Le plaignant allègue que l’intimé a abusé de son pouvoir lors de l’élaboration et la conception du processus de nomination en ignorant ses obligations en matière d’ÉE énoncées dans la LÉE, les lignes directrices de la CFP, celles du Conseil du Trésor et celles de l’intimé. Le plaignant soutient que si l’intimé s’était conformé à cette loi et à ces lignes directrices, il aurait inclus comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible.

83 Durant l’audience, le plaignant a déclaré à maintes reprises que l’intimé n’a pas respecté ses obligations en matière d’ÉE énoncées dans la LÉE. Il serait utile d’examiner à ce point-ci l’objet de la LÉE et son application afin de bien comprendre le lien entre cette loi et le processus de nomination en cause.

84 L’objet de la LÉE, énoncé à l’art. 2, est de corriger les désavantages subis dans le domaine de l’emploi par les « groupes désignés », c’est-à-dire les femmes, les Autochtones, les personnes handicapées et les personnes qui font partie des minorités visibles. L’article 5 de cette loi énonce plusieurs obligations que l’employeur doit respecter pour atteindre ces buts, notamment l’obligation de supprimer les obstacles à la carrière des membres des groupes désignés et d’instaurer des usages positifs pour que le nombre de personnes qui font partie des minorités visibles reflète leur représentation au sein de la population apte au travail au pays. L’article 22 de la LÉE confère à la CCDP la responsabilité de la mise en application de la LÉE, ce qu’elle fait au moyen de contrôles d’application. L’article 25(2) prévoit que la CCDP peut, en cas de non-observation, ordonner à l’employeur de prendre des mesures correctives. Ce dernier, en vertu de l’art. 27(1), peut présenter une demande de révision à un tribunal de l’équité en matière d’emploi constitué par le président de la CCDP.

85 La LÉE et la LEFP sont coordonnées de manière à assurer que les nominations respectent à la fois le mérite et l’ÉE. L’administrateur général peut, selon l’art. 30(2)b)(iii) de la LEFP, identifier comme besoin organisationnel le fait de faire partie d’une minorité visible. Pour sa part, la LÉE favorise le respect du mérite dans les nominations puisque l’art. 6c) préciseque l’employeur n’est pas obligé de nommer des personnes sans égard au mérite lorsque la LEFP exige que la sélection se fasse selon le mérite.

86 Il est important de comprendre qu’il n'appartient pas au Tribunal de faire appliquer la LÉE. Tel qu’indiqué ci-dessus, le législateur a investi la CCDP de ce rôle à l’art. 22 de la LÉE. La Cour d’appel fédérale a d’ailleurs confirmé au para. 27 de la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., [2004] A.C.F. no. 941; 2004 C.A.F 204 (QL) que les obligations de l’employer en vertu de la LÉE ne sont pas reliées à une plainte en vertu de l’article 7 de la LCDP :

Il semble donc que la Loi sur l’équité en matière d’emploi soit une loi autonome qui impose aux employeurs qu’elle vise les obligations précises qu’elle prévoit, obligations qui doivent être respectées conformément à la loi et qui ne sont pas reliées à une plainte en vertu de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

87 Il ne faudrait toutefois pas en conclure que les questions d’ÉE ne sont pas pertinentes dans le contexte des plaintes présentées en vertu de l’art. 77 de la LEFP. L’article 77(1)a) confère au Tribunal le pouvoir de déterminer si l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans l’exercice de ses attributions en vertu de l’art. 30(2). Tel qu’indiqué ci-dessus, l’art. 30(2)b)(iii) permet à l’administrateur général d’établir des besoins organisationnels, lesquels peuvent comprendre le fait de faire partie d’une minorité visible, à titre de critère de mérite. Le Tribunal peut examiner les besoins organisationnels établis par l’administrateur général lorsqu’il détermine si ce dernier a abusé de son pouvoir lors de l’établissement des critères de mérite. Voir, par exemple, la décision Gannon c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0014, para. 70.

88 Le Conseil du Trésor, la CFP et plusieurs organismes de la fonction publique ont adopté des lignes directrices en matière d’ÉE qui s’appliquent aux nominations. L’administrateur général et les comités d’évaluation doivent respecter ces lignes directrices lorsqu’ils font des nominations et le respect de ces lignes directrices est un élément pertinent dans une plainte logée en vertu de l’art. 77 de la LEFP. Par exemple, les lignes directrices de la CFP Équité en matière d’emploi dans le processus de nomination prévoient que les outils d’évaluation ne doivent pas entraîner d’obstacles systémiques. Si l’administrateur général ou un comité d’évaluation enfreignait ces lignes directrices, cela pourrait possiblement constituer un abus de pouvoir. Tout dépendrait des faits particuliers de la plainte.

89 Donc, certains aspects de l’ÉE sont pertinents dans une plainte présentée en vertu de l’art. 77 de la LEFP, mais cela ne veut pas dire que le Tribunal a un mandat général de veiller à l’application de la LÉE.

90 Dans cette plainte-ci, le plaignant n’a pas établi que l’intimé a enfreint des dispositions de la LÉE qui s’appliqueraient à cette plainte ou des lignes directrices du Conseil du Trésor, de la CFP ou du ministère de la Justice en matière d‘ÉE qui s’appliquent aux nominations.

91 Le plaignant soutient que l’intimé n’a pas suffisamment pris connaissance des lois, des lignes directrices de la CFP, celles du Conseil du Trésor et celles du ministère de la Justice en matière d’ÉE. Le Tribunal est satisfait que les membres du comité d'évaluation, Me Van Erum et M. Lapierre, ainsi que Mme Mujica, la conseillère en ressources humaines, avaient une connaissance suffisante des lois et des lignes directrices qui régissent les processus de nomination sujets à la LEFP. Ces personnes ont toutes déclaré dans leur témoignage qu’elles connaissaient ces textes.

92 Le plaignant a aussi reproché aux membres du comité d'évaluation de ne pas avoir effectué suffisamment « d’études et d’analyses » en ÉE lors de la conception et de l’élaboration du processus de nomination. Le Tribunal ne partage pas le point de vue du plaignant. Me Van Erum, M. Lapierre et Mme Mujica ont affirmé qu’ils ont consulté les documents pertinents du ministère de la Justice et du Conseil du Trésor sur l’ÉE. Me Van Erum a précisé qu’elle avait consulté les statistiques sur le taux de représentation des minorités visibles au ministère de la Justice. Elle discutait régulièrement de la représentation des minorités visibles avec les conseillers en ressources humaines. Le Tribunal est satisfait que le comité d'évaluation a effectué les vérifications appropriées.

93 Le plaignant soutient que le comité d'évaluation et la conseillère en ressources humaines auraient dû consulter une foule d’autres documents qu’il a déposés en preuve, dont divers rapports du Sénat sur l’ÉE et un rapport du groupe de travail sur la participation des minorités visibles dans la fonction publique publié en mars 2000 intitulé Faire une place au changement dans la fonction publique fédérale.

94 Le Tribunal estime que le rôle des membres d’un comité d'évaluation et des conseillers en ressources humaines est de connaître et maîtriser les lois et les lignes directrices qui régissent la dotation dans la fonction publique. Ils n’avaient pas à prendre connaissance des rapports cités par le plaignant concernant l’ÉE. Ces documents informent le premier ministre et son cabinet, qui eux décident de leur donner suite ou non. S’ils décident de leur donner suite, ils le font habituellement par le biais d’une loi ou de lignes directrices.

95 Le plaignant soutient que le fait de faire partie d’une minorité visible aurait dû être un critère de mérite puisque ce groupe est sous-représenté aux niveaux supérieurs du groupe LA au ministère de la Justice. Le Tribunal a déjà traité de la question de la représentation des minorités visibles dans ce ministère dans son analyse de la première question en litige. Les données statistiques indiquent que les minorités visibles ne sont pas sous-représentées dans ce ministère, au BRQ et dans le groupe LA, et il n’y a pas assez de données pour déterminer s’ils sont sous-représentés au niveau LA-3A, le niveau des postes à doter, et les autres niveaux supérieurs de ce groupe.

96 Même si le plaignant avait fait la preuve de sous-représentation des minorités visibles dans les niveaux supérieurs du groupe LA, cela n’aurait pas obligé l’administrateur général à inclure l’appartenance à une minorité visible comme critère de mérite. La LEFP n’oblige pas l’administrateur général à fixer cette appartenance comme critère de mérite. L’administrateur général peut le faire en vertu de l’art. 30(2)(iii) de la LEFP s’il le juge bon, mais il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire. Dans Visca c. Sous‑ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024, le Tribunal a statué qu’en vertu de l’art. 30(2), « les gestionnaires disposent d’un pouvoir discrétionnaire considérable pour établir les qualifications liées au poste qu’ils souhaitent doter ».

97 Le plaignant n’a pas pu identifier des dispositions de la LÉE, des lignes directrices de la CFP, du Conseil du Trésor ou du ministère de la Justice qui imposent à l’administrateur général l’obligation d’inclure comme critère de mérite le fait de faire partie d’une minorité visible.

98 Le plaignant s’est appuyé sur le Plan de gestion des ressources humaines 2007‑2010 du ministère de la Justice qui précise que l’intimé adoptera pendant l’année financière 2008-2009 une directive ministérielle qui précisera que l’ÉE sera un besoin organisationnel inscrit dans les énoncés de critères de mérite (ECM) de tous les postes du groupe LA de niveau supérieur. Le Tribunal note cependant que cette directive n’était pas encore en vigueur lorsque le processus de nomination a débuté.

99 Le plaignant a indiqué que le 21 avril 2008, Me Sims, a fait parvenir à des gestionnaires une note de service les enjoignant à inclure un critère d’ÉE dans les ECM pour les postes du groupe LA.

100 Me Van Erum a expliqué que le processus de nomination était déjà en marche lorsque Me Sims avait expédié sa note de service. La date de clôture des candidatures était le 23 avril 2008. Elle croit avoir vu la note de service le dernier jour de l’affichage du poste. Elle a consulté les employés du service des ressources humaines qui lui ont dit que la note de service n’avait pas d’effet rétroactif. Mme Lafrance a également affirmé qu’elle ne croyait pas que cette note de service avait un effet rétroactif. Me Van Erum a donc décidé de ne pas modifier l’ECM afin d’éviter de tout recommencer le processus de nomination.

101 Mme Mujica a déclaré que l’intimé avait décidé de ne pas réafficher les postes puisqu’il y avait un besoin pressant de les combler à cause des départs à la retraite imminents des personnes qui occupaient ces postes.

102 Lors du processus de nomination, Guylaine Paquin était conseillère en ressources humaines au ministère de la Justice. Elle appuyait les gestionnaires pour s’assurer que la dotation respecte l’ÉE. Elle a expliqué que c’est le gestionnaire délégataire qui décide si l’ÉE doit être inclus comme critère de mérite.

103 M. Lapierre a déclaré, tout comme Me Van Erum, qu’il n’était pas nécessaire d’inclure le fait de faire partie d’une minorité visible dans l’ECM puisque l’absence de ce critère ne les empêchait pas de choisir une personne qui fait partie de ce groupe. Le Tribunal est d’avis que leur témoignage sur ce sujet n’est pas clair. Le Tribunal tient à préciser que rien n’empêche un gestionnaire de nommer une personne qualifiée qui fait partie d’une minorité visible, de la même façon qu’il peut nommer toute personne qualifiée qui ne fait pas partie de ce groupe. Mais le choix d’un candidat doit être exclusivement basé sur les critères inclus dans l’ECM. Ainsi, un gestionnaire ne peut pas se baser sur le critère de minorité visible comme justification de nommer une personne de ce groupe en écartant toutes les autres personnes qualifiées qui ne font pas partie d’une minorité visible si ce critère n’est pas inclut dans l’ECM. En l’espèce, l’intimé n’a pas utilisé l’appartenance à un groupe de minorités visibles pour décider qui nommer aux postes contestés, donc l’utilisation du critère en matière d’ÉE n’a aucune incidence dans ce cas-ci.

104 Le Tribunal estime donc que Me Van Erum, la gestionnaire délégataire, n’a pas abusé de son pouvoir discrétionnaire en n’incluant pas comme critère de mérite le fait d’appartenir à une minorité visible. Le sous-ministre de la Justice n’avait pas indiqué que sa directive avait un effet rétroactif, forçant les gestionnaires à recommencer les processus de nomination déjà entamés. Il était raisonnable de ne pas recommencer le processus vu qu’il y avait un besoin pressant de doter ces postes.

105 Le plaignant soutient que Me Van Erum se souciait peu de ses obligations en ÉE. Il donne comme exemple le fait qu’en août 2007, Me Van Erum a mis fin à la nomination intérimaire de Rita Haddad, qui fait partie d’une minorité visible, au poste de coordonnatrice du Centre régional de soutien au contentieux du BRQ. Il donne également comme exemple le fait que Me Van Erum ait retiré à Anne-Murielle Hassan, qui fait également partie d’une minorité visible, certaines fonctions, dont sa participation au comité de gestion du BRQ. Comme le Tribunal la mentionné ci-haut dans sa décision, ce n’est pas le mandat du Tribunal de s’assurer que le gestionnaire ait respecté ses obligations en matière d’ÉE au sein du ministère. C’est à la CCDP que revient la responsabilité de veiller à la mise en application de la LÉE. Cette allégation n’a pas d’incidence sur le processus de nomination en question. Par conséquent, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal d’adresser la question du dépôt, après la clôture de la preuve, d’une APE concernant le poste de coordonnateur du centre régional de soutient du contentieux du BRQ, poste que Mme Haddad a déjà occupé à titre intérimaire.

106 En conclusion, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à prouver que l’intimé a abusé de son pouvoir lors de l’élaboration et de la conception du processus de nomination, et plus spécifiquement en n’incluant pas comme critère de mérite le fait d’appartenir à une minorité visible.

107 Même si l’intimé avait inclus comme besoin organisationnel le fait d’appartenir à une minorité visible, le plaignant aurait quand même été éliminé du processus de nomination à l’étape de la présélection puisqu’il ne possédait pas l’expérience en gestion des ressources humaines, une qualification essentielle pour les postes à combler. L’article 30(1)a) de la LEFP stipule que la CFP ou son délégué ne peut nommer une personne qui ne satisfait pas aux qualifications essentielles établies pour un poste et l’art. 6c) de la LÉE prévoit que l’employeur n’est pas obligé de nommer des personnes sans égard au mérite lorsque la LEFP exige que la sélection se fasse selon le mérite.

Autres considérations

108 Le plaignant fait grand état du fait que l’intimé avait décidé que l’expérience en gestion des ressources humaines impliquait le fait d’être imputable de cette gestion.

109 Le Tribunal estime que l’intimé a fourni une explication raisonnable de cette interprétation de l’exigence d’expérience en gestion des ressources humaines. Me Van Erum et M. Lapierre ont indiqué que le comité de présélection avait décidé que la gestion des ressources humaines impliquait que la personne soit responsable et imputable, entres autres, de la supervision directe des employés au quotidien, de l’assignation des tâches, de l’identification des besoins en formation et en développement et de l’évaluation du rendement. Cette imputabilité impliquait une délégation de pouvoirs en matière de rémunération, d’approbation de congés et de relations de travail. Dans la fonction publique fédérale, l'administrateur général délègue habituellement de tels pouvoirs à des personnes occupant un poste de gestion. Au ministère de la Justice, pour ce qui est du groupe LA, les pouvoirs en gestion des ressources humaines étaient délégués aux employés qui occupaient des postes aux groupe et niveau LA-2B et aux niveaux plus élevés de ce groupe. Le plaignant n’avait pas acquis cette expérience dans le poste qu’il occupait lors du processus de nomination puisqu’il occupait un poste de procureur aux groupe et niveau LA-2A au Service des poursuites pénales du Canada, un poste inférieur de deux niveaux à celui des postes en question.

110 Le plaignant soutient également que l’intimé aurait dû indiquer dans l’ECM que l’expérience en gestion des ressources humaines impliquait le fait d’être imputable de cette gestion. Dans Neil c. Sous-ministre d’Environnement Canada [2008] TDFP 0004, aux paras. 50 et 51, le Tribunal a jugé que le fait de ne pas inclure dans l’ECM la façon dont un critère de mérite sera évalué n’est pas un abus de pouvoir. Dans ce cas‑ci, le plaignant n’a subi aucun préjudice du fait que l’intimé ne mentionne pas la notion d’imputabilité dans l’ECM. Le plaignant savait que la notion d’imputabilité était un élément important de l’expérience en gestion des ressources humaines puisque Mme Mujica, dans son courriel du 30 avril 2008, lui a demandé explicitement quelle était son imputabilité dans ce domaine. Le plaignant a donc eu pleinement l’occasion d’expliquer son imputabilité en matière de gestion des ressources humaines. Le comité d’évaluation a cependant rejeté sa candidature après cette clarification parce qu’elle était d’avis que le plaignant avait fait de la coordination de projets, et non de la gestion de ressources humaines.

Décision

111 Pour ces motifs, la plainte est rejetée.

John Mooney
Vice‑président

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2008-0482
Intitulé de la cause :
Yacine Agnaou et le sous-ministre de la Justice
Audience :
Du 17 au 19 mai 2010, du 27 septembre au 1er octobre 2010, Du 14 au 16 décembre 2010 dernières soumissions écrites reçues le 11 avril 2011 Montréal (Québec)
Date des motifs :
Le 18 juin 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Yacine Agnaou
Pour l'intimé :
Me Karl Chemsi
Pour la Commission
de la fonction publique :
Me Lili Ste-Marie
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