Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les fonctionnaires s’estimant lésés, des inspecteurs des produits primaires (classifiés PI), ont allégué que l’employeur avait violé la clause de la convention collective sur les heures supplémentaires en refusant de leur rembourser l’indemnité de repas alors qu’ils ont travaillé plus de trois heures au-delà de leur journée de travail normale de 7,5 heures durant un congé férié désigné payé - comme prévu à leur horaire de travail, les fonctionnaires s’estimant lésés devaient tous travailler la semaine du 10 novembre 2008 à divers silos-élévateurs, leur semaine de travail incluant un jour férié désigné payé, soit le 11novembre - ils ne devaient travailler durant le jour férié désigné payé que si le silo-élévateur auquel ils étaient affectés était en service ce jour-là, s’ils s’étaient inscrits sur la liste des volontaires pour faire des heures supplémentaires à un autre silo-élévateur, ou si le silo-élévateur auquel ils étaient affectés était en service et que personne ne s’était porté volontaire pour y effectuer des heures supplémentaires - les fonctionnaires s’estimant lésés ont été avisés tard dans la journéedu 10 novembre 2008 des silos-élévateurs qui seraient en service le lendemain et l’employeur a appliqué le mécanisme prévu pour la répartition des heures supplémentaires pour combler les postes vacants à ces silos-élévateurs - à la simple lecture de la clause portant sur les heures supplémentaires, les membres du groupe PI ont droit à une indemnité de repas lorsqu’ils effectuent trois heures supplémentaires au-delà de leurs heures de travail prévues à l’horaire - il n’existe aucune définition dans la convention collective de ce qu’on entend par <<heures de travail prévues à l’horaire>> - il convient donc de lui attribuer son sens ordinaire, qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la convention collective et l’intention des parties - cette expression s’entend des heures de travail normalement, habituellement, ou typiquement portées à l’horaire d’un employé - l’employeur a soutenu qu’il existait une pratique consistant à ne pas verser une indemnité de repas dans de telles situations, mais l’arbitre de grief a rejeté cet argument, car la preuve présentée indiquait le contraire - il ne s’agissait pas d’une question de cumul des avantages, car l’indemnité de repas est un remboursement et non une rémunération - une décision antérieure de la Commission a appuyé la décision de l’arbitre de grief - l’arbitre de grief a rejeté la demande d’un des fonctionnaires s’estimant lésés, lequel réclamait le versement de l’indemnité de repas avec effet rétroactif en 2003, car aucune preuve n’a été présentée à l’appui de sa demande et qu’une telle demande ne pouvait viser une période antérieure au délai prescrit de 25 jours dans la convention collective. Six griefs accueillis. Un grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2012-09-25
  • Dossier:  566-02-3113 à 3119
  • Référence:  2012 CRTFP 99

Devant un arbitre de grief


ENTRE

DON BEESE, RICHARD STARCOK, DIANE MORRISEAU, MAUREEN PAPPAS,
PETER DUDA, PATRICK O'KEEFE ET JOHN DEPTUCK

fonctionnaires s’estimant lésés

et

CONSEIL DU TRÉSOR
(Commission canadienne des grains)

employeur

Répertorié
Beese et al. c. Conseil du Trésor (Commission canadienne des grains)

Affaire concernant des griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Margaret Shannon, arbitre de grief

Pour les fonctionnaires s'estimant lésés:
Christopher Shulz, Alliance de la Fonction publique du Canada

Pour l'employeur:
Caroline Engmann, avocate

Affaire entendue à Thunder Bay (Ontario),
les 26 et 27 juin 2012.
(Traduction de la CRTFP)

Griefs individuels renvoyés à l’arbitrage

1 Don Beese, Richard Starcok, Diane Morriseau, Maureen Pappas, Peter Duda, Patrick O’Keefe et John Deptuck, les fonctionnaires s’estimant lésés (les « fonctionnaires »), sont tous des employés à temps plein de la Commission canadienne des grains (CCG) à Thunder Bay (Ontario). Ils sont tous membres du groupe Inspection des produits primaires (PI), une classification faisant partie du groupe des Services techniques. À l’époque pertinente, leur emploi était assujetti à la convention collective entre le Conseil du Trésor et l’Alliance de la fonction publique du Canada, groupe Services techniques (tous les employé-e-s), échue le 21 juin 2007 (la « convention collective »).

2 Les fonctionnaires ont présenté des griefs individuels le 12 novembre 2008, alléguant que la Commission canadienne des grains (l’« employeur ») avait contrevenu à l’article 28 de la convention collective (« Heures supplémentaires ») en refusant de leur verser l’indemnité de repas pour leur journée de travail du 11 novembre 2008, un jour férié désigné payé comme stipulé dans la convention collective. À titre de redressement, les fonctionnaires demandent le versement de l’indemnité de repas pour le jour férié désigné payé précité. M. Beese demande à être payé rétroactivement au 4 août 2003.

3 Les griefs ont été renvoyés à l’arbitrage le 16 septembre 2009 et entendus conjointement les 26 et 27 juin 2012.

II. Résumé de la preuve

4 Comme prévu à leur horaire de travail, les fonctionnaires devaient tous travailler la semaine du 10 au 14 novembre 2008 aux divers silos-élévateurs situés dans le secteur riverain de Thunder Bay. Leur semaine de travail incluait un jour férié désigné payé (le 11 novembre), au cours duquel ils ne devaient travailler que si le silo-élévateur auquel ils étaient affectés était en service ce jour-là. Les heures de service des silos-élévateurs sont régies par les tiers-propriétaires de ces silos. Le 11 novembre 2008, quatre silos-élévateurs étaient en service.

5 Don Beese et Rick Starcok ont témoigné pour les fonctionnaires. Ils ont expliqué la procédure d’attribution des heures de travail à faire lors d’un jour férié désigné payé. Un employé, dont l’horaire prévoit qu’il ou elle est affecté à un silo-élévateur donné, avise le surveillant de l’inspection des grains (poste classifié PI-04) de sa disponibilité à y travailler ce jour férié désigné payé. Si aucun employé de la CCG affecté à ce silo-élévateur ne manifeste son intérêt à travailler, le surveillant consulte alors la liste des employés affectés aux autres silos-élévateurs ayant fait part de leur disponibilité à effectuer des heures supplémentaires. Si aucune personne figurant sur cette liste n’est disponible, alors c’est la dernière personne à avoir manipulé les céréales qui devra effectuer les heures de travail requises, peu importe qu’il ou elle ait indiqué ne pas être disponible pour travailler pendant le jour férié désigné payé en question. La même procédure s’applique pour l’attribution aux membres du groupe PI des heures supplémentaires à effectuer aux silos-élévateurs  les autres jours que les jours fériés désignés payés, comme l’atteste la procédure de d’attribution des heures supplémentaires de l’employeur (pièce E-1).

6 Les deux témoins ont travaillé le jour férié désigné payé en question, tout comme les autres fonctionnaires dont le nom figure au relevé des présences de la journée du 11 novembre 2008 produit à titre de pièce G-3. M. Beese a travaillé 12,5 heures, pour lesquelles il a été rémunéré 7,5 heures à tarif et demi et 5,5 heures au tarif double. M. Starcok a travaillé 7,5 heures à tarif et demi et une demi-heure au tarif double au silo-élévateur Vitera 1B et cinq autres heures au tarif double au silo-élévateur Cargill. Les deux fonctionnaires ont également été rémunérés pour 7,5 heures au tarif normal pour le jour férié désigné payé, conformément à l’article 32 (« Jours fériés désignés payés ») de la convention collective. Toutefois, ni l’un ni l’autre n’ont reu l’indemnité de repas, ni d’ailleurs les autres fonctionnaires en l’instance, bien qu’ils aient tous effectué plus de trois heures au-delà de leur journée de travail normale de 7,5 heures.

7 Les deux témoins ont reu leur horaire de travail pour la semaine de travail du 10 au 14 novembre 2008 le vendredi 7 novembre 2008, suivant la pratique usuelle. Il n’était pas indiqué à leur horaire que la journée du 11 novembre était exclue ou qu’il ne s’agissait pas d’un jour de travail normal. Il était entendu qu’à moins que les fonctionnaires doivent travailler ce jour-là au silo-élévateur auquel ils étaient affectés, ils ne devaient pas se présenter au travail et seraient rémunérés pour 7,5 heures au tarif normal. Ils ont été avisés le lundi 10 novembre 2008 vers 15 h que certains des silos-élévateurs seraient en service le lendemain; les surveillants ont alors entrepris de s’assurer que les postes du lendemain seraient comblés. Le mécanisme employé pour combler les postes en question était le même que celui employé pour combler n’importe quel autre poste en heures supplémentaires. Pour les fonctionnaires, il s’agissait simplement d’un jour de travail en heures supplémentaires comme les autres, selon M. Starcok, un surveillant de silo de terminal céréalier (poste classifié PI-04), et il était porté à l’horaire de la même manière que n’importe quel autre jour de travail en heures supplémentaires. 

8 Les fonctionnaires ont versé en preuve un formulaire de la CCG utilisé pour consigner les heures supplémentaires effectuées aux divers silos-élévateurs, ces heures étant ensuite facturées aux propriétaires des silos-élévateurs selon le barème prévu au Règlement sur les grains de la CCG. Ce formulaire est utilisé pour y consigner toutes les heures supplémentaires, qu’elles aient été effectuées durant un jour de semaine, une fin de semaine ou un jour férié désigné payé. Il n’est pas utilisé pour consigner les heures de travail effectuées pendant les heures normales de service, c’est-à-dire 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi. (Voir la pièce G-3, Relevés de présence de tous les fonctionnaires.)

9 Jim Ball a témoigné pour l’employeur. M. Ball est le gestionnaire des opérations, Région centrale, CCG. Les employés des divers ports, dont les fonctionnaires, relèvent des Services des opérations. Le PI-04 est le surveillant en première ligne de la chaîne des opérations pour les employés travaillant à l’inspection, à l’entomologie, à la pesée et au classement des grains à leur débarquement. Ces employés travaillent selon un horaire normal de travail de 7,5 heures par jour, du lundi au vendredi. Il arrive souvent que leurs heures de travail soient prolongées afin de concorder avec les huit heures de service des silos-élévateurs, ce qui nécessite le paiement d’une demi-heure par jour en heures supplémentaires. Les jours fériés désignés payés ne sont pas inscrits à l’horaire comme faisant partie des heures de travail régulières, mais plutôt selon le processus décrit à la pièce E-1, Procédures d’attribution des heures supplémentaires. En l’occurrence, les heures dont il s’agit ont été inscrites à l’horaire seulement après 15 h le 10 novembre 2008.

10 Selon M. Ball, aucune indemnité n’est versée aux employés travaillant un jour férié désigné payé car ils sont rémunérés au tarif à [traduction] « prime extrême ». Ceux qui travaillent la fin de semaine obtiennent une indemnité de kilométrage, mais pas l’indemnité de repas, le tarif payé pour les heures effectuées la fin de semaine étant moins élevé que celui payé pour le travail effectué un jour férié désigné payé. En principe, lorsqu’un employé travaille 7,5 heures au cours d’une journée et effectue ensuite trois heures supplémentaires de travail la même journée, il a droit à l’indemnité de repas en compensation du souper manqué.

11 Une fiche de travail distincte a été établie pour les employés devant travailler le 11 novembre 2008, précisant les silos-élévateurs auxquels ils étaient affectés, les services devant y être offerts, et le nom des employés devant travailler ce jour-là. La liste était établie à partir des renseignements fournis par les opérateurs des silos-élévateurs en question et les surveillants ainsi qu’à partir de la liste des employés s’étant portés volontaires pour travailler ce jour-là.

12 Le formulaire intitulé [traduction] « Demande d’heures supplémentaires » versé par les fonctionnaires à titre de pièce G-6 est rempli par le PI-04 affecté à chaque silo-élévateur en question. Ce formulaire est joint aux feuilles de temps et aux relevés de présence, le tout étant présenté au soutien de la demande de paiement. Le taux de rémunération qui y est inscrit indique si les heures effectuées étaient des heures supplémentaires. Les jours fériés désignés payés ont un code différent, alors que les 7,5 premières heures sont rémunérées à tarif et demi et les heures supplémentaires au tarif double. Le formulaire est utilisé pour y consigner les services fournis par la CCG en dehors des heures normales de service.

13 Les employés travaillant la fin de semaine reoivent une indemnité de kilométrage, mais non une indemnité de repas. Par le passé, la CCG versait une indemnité de kilométrage aux employés travaillant pendant un jour férié désigné payé, mais cette pratique a cessé après consultation du Conseil du Trésor et une directive de celui-ci intimant à la CCG de cesser cette pratique. Aucune explication n’a été fournie pour justifier cette directive de la part du Conseil du Trésor.

14 Dennis Caruso, surveillant des opérations de la CCG à Thunder Bay, a corroboré le fait que le mécanisme employé pour assurer la dotation en effectif les jours fériés désignés payés était le même que celui employé pour combler les heures supplémentaires à effectuer les autres jours. Personne ne se voit ordonner de travailler un jour férié désigné payé. Il souligne que, si toutefois aucun employé ne se porte volontaire, [traduction] « la dernière personne à manipuler les grains » est celle qui doit veiller à trouver une personne pour la remplacer sinon elle doit effectuer les heures de travail requises. Contre-interrogé à ce sujet, il admet qu’à première vue il semble que le 11 novembre ait été inclus dans l’horaire de travail pour la semaine du 10 au 14 novembre 2008. Il précise toutefois que l’horaire pour la journée du 11 novembre 2008 n’a été établi que le 10 novembre 2008, au moment où le Service des opérations de la CCG a été avisé par le Service des opérations du terminal de l’horaire de travail prévu pour le jour férié désigné payé et quels services seraient requis. Aucune distinction n’apparaît par ailleurs dans la manière de consigner les heures de travail effectuées le 11 novembre 2008. Le taux de rémunération précisé à cet égard est la seule indication qu’il s’agissait d’un jour férié désigné payé.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour les fonctionnaires s’estimant lésés

15 Le litige porte sur la question de savoir si les employés ayant travaillé durant le jour férié désigné payé du 11 novembre 2008 avaient droit à une indemnité de repas. En l’espèce, les fonctionnaires ont travaillé au moins trois heures au-delà de leur poste de 7,5 heures de travail, comme le montre la pièce G-3. Ils ont été rémunérés au tarif à [traduction] « prime extrême », c’est-à-dire au tarif double pour ces heures de travail. Selon l’employeur, ces heures de travail n’ont pas été effectuées en sus du poste normal prévu à l’horaire et ne donnent pas droit au paiement de l’indemnité de repas. 

16 Les fonctionnaires ont fait valoir que cette position ne concordait pas avec la manière de combler les heures de travail requises ni avec l’esprit de la convention collective. Personne n’est inscrit à l’horaire de travail d’un jour férié désigné payé, et pourtant les jours fériés sont inclus dans la semaine ouvrable. La méthode employée pour combler les heures de travail à effectuer un jour férié désigné payé est la même que celle employée pour combler habituellement les heures supplémentaires. L’employeur considère que l’indemnité de repas représente un avantage additionnel accordé aux employés effectuant des heures supplémentaires pendant un jour de travail normal. Son interprétation cause des  difficultés exceptionnelles aux employés travaillant un jour férié désigné payé et entraîne une interprétation anormale de la convention collective et des conséquences déraisonnables.

17 Un arbitre de grief examinera souvent de telles questions, [traduction] « […] parce que la présomption est que les parties n’ont pas voulu qu’un tel résultat en découle […] » (voir Nova Scotia [Department of Transportation and Communications] v. Canadian Union of Public Employees, Local 1867 [1996], 58 L.A.C. [4e] 11, au paragraphe 39). Dans les cas où il existerait deux interprétations textuelles possibles, les arbitres de grief doivent fonder leur décision sur l’objet de la disposition en cause, le caractère raisonnable de chacune des interprétations possibles, la faisabilité administrative de son adoption et si l’une des interprétations proposées mène à une anomalie (Kootenay-Columbia School District No. 20 v. Canadian Union of Public Employees, Local 1285 [Salsiccioli Grievance], [2009] B.C.C.A.A.A. no 153 [QL], auparagraphe 33). L’interprétation la plus judicieuse est celle qui correspond le mieux à l’ensemble de la convention collective (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 777 c. Imperial Oil Strathcona Refinery [grief de principe] [2004], 130 L.A.C. [4e] 239).

18 L’indemnité de repas s’inscrit harmonieusement dans le régime général des avantages stipulés dans la convention collective en sus du paiement des heures de travail effectuées, tels que « Indemnité de rappel au travail » (article 29), « Disponibilité » (article 30), et « Indemnité de rentrée au travail » (article 31). On ne trouve dans la convention collective aucune disposition excluant expressément le versement d’une indemnité de repas lors d’un jour férié désigné payé. L’exclusion d’un avantage en l’absence d’un libellé clair à cet effet n’est pas appropriée ni conforme à l’économie générale de la convention collective. Le versement de l’indemnité de repas relativement à un jour férié désigné payé évite qu’une telle anomalie se produise.

19 Les fonctionnaires demandent que leur interprétation soit entérinée et qu’une ordonnance soit rendue enjoignant le versement de l’indemnité de repas à tous les fonctionnaires en l’instance pour la journée du 11 novembre 2008.

B. Pour l’employeur

20 L’employeur demande le rejet des griefs. Il affirme avoir appliqué comme il se doit la convention collective en conformité avec l’intention des parties et suivant les directives du Secrétariat du Conseil du Trésor. Le paragraphe 28.10, « Indemnités de repas », n’est pas un article autonome comme l’est l’article 32, « Jours fériés désignés payés ». L’article 32 est l’article dérogatoire, et il ne fait aucunement mention des indemnités de repas. Pour qu’il y ait versement d’une indemnité de repas pour un jour férié désigné payé, il faudrait que les parties à la convention collective en aient eu l’intention. Or, la présomption cardinale dans la recherche de l’intention des parties veut que celles-ci soient réputées avoir manifesté leur intention. Le sens à  donner à une convention collective doit donc être recherché dans les dispositions expressément stipulées dans la convention collective (voir Brown et Beatty, Canadian Labour Arbitration [4e édition], 4-39). Il faut attribuer aux termes leurs acceptions courantes. La convention collective doit être lue et interprétée comme formant un tout.

21 Les fonctionnaires travaillent selon leur horaire régulier en semaine, de 8 h à 16 h. Leur horaire de travail régulier ne prévoit pas leur affectation au travail les jours fériés désignés payés ni leurs jours de repos, bien qu’ils puissent être appelés à travailler ces jours-là. Les employés savent qu’ils ne doivent pas se présenter au travail un jour férié désigné payé à moins d’être rappelé au travail. Les employés dont le silo-élévateur était fermé le 11 novembre 2008 ne se sont pas présentés au travail, à part ceux ayant accepté d’effectuer les heures de travail proposées à un autre silo-élévateur. Les membres de l’unité de négociation travaillant à l’administration centrale de la CCG ne travaillaient pas le 11 novembre, et pourtant cette date apparaissait également à leur horaire. L’horaire de travail (pièce G-3) visait à informer les employés de leur lieu d’affectation pour la semaine suivante. Il ne leur indiquait pas qu’ils devaient se présenter au travail le jour férié désigné payé en question.

22 L’article 32, Jours fériés désignés payés, et l’article 28, Heures supplémentaires, sont différents. Les heures de travail effectuées durant un jour férié désigné payé sont traitées de manière différente des heures supplémentaires effectuées au cours d’une journée normale. L’article 32 est un article autonome, et ne doit pas être lu en relation avec quelque autre article de la convention collective de manière à y ajouter d’autres avantages pouvant être stipulés dans la convention collective. En outre, la clause 65.09 interdit spécifiquement le cumul des avantages prévus dans la convention collective. Les primes versées relativement au travail effectué un jour férié désigné payé constituent une pénalité imposée à l’employeur du fait qu’il exige des employés qu’ils travaillent un jour férié désigné payé. Le paiement d’une indemnité de repas constituerait une pénalité additionnelle imposée à l’employeur relativement à une même demande, et constitue donc un cumul des avantages. Le cas échéant, l’obligation qui serait imposée à l’employeur par un arbitre de grief de verser une indemnité de repas pour un jour férié désigné payé nécessiterait une modification de la convention collective, ce qui est ultra vires des pouvoirs conférés en vertu de l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Si les employés avaient droit à une indemnité de repas un jour férié désigné payé, il en serait alors de même pour leur jour de repos alors qu’une indemnité de kilométrage leur est également versée, ce qui résulterait encore une fois en un cumul des avantages, ce qui est interdit par l’article 65.09.

IV. Motifs

23 L’avocate de l’employeur m’a renvoyée à l’ouvrage de Brown et Beatty pour m’aider à interpréter la convention collective et à résoudre les questions à trancher. Le représentant des fonctionnaires m’a renvoyée à plusieurs décisions énonant les divers principes régissant l’interprétation des conventions collectives. À cet égard, j’ai trouvé particulièrement utile la décision rendue dans Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 777, aux fins de l’analyse des questions à trancher. Ainsi, les paragraphes 39 à 47 de cette décision abordent de manière exhaustive l’approche contemporaine canadienne adoptée dans l’interprétation des conventions collectives, celle-ci constituant une adaptation des règles d’interprétation des lois formulées par la Cour suprême du Canada dans Re Rizzo et Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, à la page 41. À la différence de la règle énoncée dans l’ouvrage Halsbury’s Laws of England, laquelle se fonde essentiellement sur [traduction] « l’intention des parties », les principes contemporains d’interprétation sont davantage axés sur les termes employés, selon leurs acception et sens courant dans le contexte de l’ensemble de la convention, de son objet, et de l’intention des parties. Les principes contemporains d’interprétation constituent davantage une méthode d’interprétation qu’une règle comme telle, et englobent plusieurs conventions dûment reconnues en matière d’interprétation. Les principes contemporains amènent les personnes chargées d’interpréter une convention à tenir compte de l’ensemble du contexte de la convention, d’en lire les termes en les inscrivant dans leur contexte global et en leur attribuant leurs acception et sens courant, en harmonie avec l’économie générale et l’objet de la convention et de l’intention des parties.

24 Afin de bien saisir le contexte de l’ensemble de la convention collective, on ne peut comprendre le sens d’une de ses dispositions sans comprendre le lien entre cette disposition et l’ensemble de la convention. En effet, ce qui est formulé dans une disposition est souvent précisé, voire modifié, ailleurs dans la convention. En l’espèce, les fonctionnaires allèguent une contravention à l’article 28, Heures supplémentaires, en particulier de la partie de cet article accordant aux employés le droit de recevoir une indemnité de repas.

ARTICLE 28
HEURES SUPPLÉMENTAIRES

[…]

Indemnité de repas

28.10 S’applique seulement au groupe PI

L’employé-e qui effectue trois (3) heures supplémentaires ou davantage :

  1. juste avant ses heures de travail régulières et qui n’en avait pas été avisé avant la fin de la période de travail précédente à l’horaire,            ou
  2. juste après ses heures de travail régulières reoit dix dollars (10 $) en remboursement des frais d’un (1) repas, sauf lorsque les repas sont fournis gratuitement. Lorsque l’employé-e effectue des périodes additionnelles de trois (3) heures supplémentaires ou plus accolées aux périodes prévues en a) et en b) ci-dessus, il ou elle reoit dix dollars (10 $) en remboursement des frais d’un (1) autre repas pour chaque période additionnelle de trois (3) heures supplémentaires consécutives de travail, sauf lorsque les repas sont fournis gratuitement. L’employé-e dispose de temps libre payé, d’une durée raisonnable déterminée par la direction, pour prendre une pause-repas à son lieu de travail ou à proximité. Le présent paragraphe ne s’applique pas à l’employé-e en situation de voyage qui a droit de ce fait de demander d’être remboursé de ses frais de logement et/ou de repas.

[…]

25 Il ressort clairement, à la simple lecture de la clause 28.10 de la convention collective, que les membres du groupe PI ont droit à une indemnité de repas lorsqu’ils effectuent trois heures supplémentaires ou davantage au-delà de leurs heures de travail régulières. Mais, en quoi consistent leurs heures de travail régulières? En principe, selon l’article 25 de l’Appendice M (le groupe PI est expressément exclu de l’application de l’article 25 contenu dans le corps principal de la convention), la journée de travail des membres du groupe PI est de 7,5 heures par jour, soit en moyenne 37,5 heures par semaine et en moyenne cinq jours par semaine. 

26 Quelles sont les heures de travail régulières des fonctionnaires en l’espèce?  Il convient de constater tout d’abord qu’il n’existe aucune définition de ce qu’on entend par « heures de travail régulières ». En fait, à l’Appendice M, on ne retrouve que trois occurrences de cette expression et plusieurs occurrences d’expressions différentes, mais comportant une résonance similaire. Ainsi, la clause 25.02 emploie l’expression « l’horaire des heures de travail » et ensuite « cet horaire », la clause 25.04 évoque la « semaine de travail normale » et la « journée de travail », alors que la clause 25.09 emploie une autre expression, « jour normal de travail ». L’expression « heures de travail » apparaît à nouveau à la clause 25.13a), mais pour évoquer cette fois les « heures de travail d’une journée quelconque » dans le contexte d’une entente sur les horaires variables. Que doit-on en conclure? Il m’apparaît que je doive en conclure qu’il n’existe aucune définition arrêtée de cette expression et qu’il convient donc de lui attribuer son sens ordinaire, qui s’harmonise avec l’esprit et l’objet de la convention collective, et l’intention des parties. 

27 L’employeur soutient que l’expression « heures de travail régulières » doit être appliquée de manière à donner effet à l’intention des parties ainsi qu’à la pratique en la matière au fil des ans. Or, aucune preuve ne m’a été présentée quant à l’intention des parties. Quant à ce que l’employeur évoque comme étant une pratique, cela est contredit tant par la preuve présentée par les fonctionnaires que par l’employeur lui-même. La preuve indiquait que la pratique consistait en fait à verser aux employés une indemnité de repas dans des situations comme celle-ci, mais qu’en raison d’une récente réévaluation du libellé de la convention collective, un changement de principe a été apporté à cet égard suivant les directives du Conseil du Trésor, ce qui a résulté en la présentation des griefs en l’instance. Je conclus qu’il n’existe pas de preuve suffisante permettant de conclure à l’existence d’une pratique antérieure des parties à cet égard et qui pourrait être d’un certain secours pour interpréter les dispositions de la convention collective en jeu dans l’affaire qui nous occupe.

28 En attribuant à l’expression « heures de travail régulières » son sens ordinaire, je conclus qu’elle s’entend des heures de travail normalement, habituellement, ou typiquement portées à l’horaire d’un employé et, en ce qui concerne les fonctionnaires en l’instance, il s’agit d’un horaire du lundi au vendredi constitué de 37,5 heures de travail par semaine. Par conséquent, je suis en mesure de conclure qu’un PI travaillant un jour férié désigné payé serait rémunéré au tarif et demi à concurrence des premières 7,5 heures de travail, après quoi il ou elle serait rémunéré au tarif double. 

29 Les heures supplémentaires sont définies comme suit dans la clause énonant les définitions de divers termes employés dans la convention collective : 

« heures supplémentaires » (overtime) désigne :

a) dans le cas d’un employé-e à temps plein, le travail autorisé qu’il ou elle exécute en plus des heures de travail prévues à son horaire;

30 Le jour en question, les fonctionnaires ont été affectés au travail selon la procédure appliquée habituellement pour l’attribution des heures supplémentaires. L’employeur a produit en preuve à titre de pièce E-1 un document émanant de la CCG intitulé [traduction] « Procédures d’attribution des heures supplémentaires à Thunder Bay », daté du 15 avril 2004. Il y est décrit une méthode détaillée régissant l’attribution des heures supplémentaires les fins de semaine et les jours fériés désignés payés. Cette méthode a servi à combler les heures de travail devant être effectuées le 11 novembre 2008 aux divers silos-élévateurs à Thunder Bay. Les employés intéressés à travailler le jour férié désigné payé en question ont été inscrits à l’horaire de travail le 10 novembre 2008 conformément aux procédures d’attribution des heures supplémentaires à Thunder Bay. Il a également été établi en preuve que les fonctionnaires avaient tous effectué plus de 7,5 heures de travail ce jour-là. 

31 Les jours de semaine et les fins de semaine, une prime est versée relativement aux heures de travail effectuées au-delà de 7,5 heures; le tarif des heures supplémentaires s’applique alors. Ce même tarif des heures supplémentaires s’applique relativement à toutes les heures de travail effectuées un jour férié désigné payé, les 7,5 premières heures étant rémunérées au tarif et demi et les heures de travail en sus étant rémunérées au tarif double. Le tarif à [traduction] « prime extrême » payé pour rémunérer le travail effectué un jour férié désigné payé est accordé en reconnaissance des difficultés exceptionnelles occasionnées aux employés travaillant une journée durant laquelle les autres membres de l’unité de négociation ne sont pas obligés de travailler.

32 Ayant été établi en preuve que tous les sept fonctionnaires en l’instance ont effectué au moins trois heures de travail en sus de leurs heures de travail régulières le 11 novembre 2008, le premier critère donnant droit à une indemnité de repas en vertu de la clause 28 de la convention collective a été satisfait. L’employeur a soutenu que même s’il était établi que les fonctionnaires avaient le droit de recevoir une indemnité de repas, la clause 65.09 empêcherait le versement de cette indemnité. Cette clause se lit comme suit : 

65.09  Les paiements prévus en vertu des dispositions de la présente convention concernant les heures supplémentaires, l’indemnité de rentrée au travail, les jours fériés désignés payés et l’indemnité de disponibilité, ne doivent pas être cumulés, c’est-à-dire que l’employé-e n’a pas droit à plus d’une rémunération pour le même service.

33 Je pourrais souscrire à l’argument de l’employeur si la clause ne se terminait pas en énonant que l’employé « […] n’a pas droit à plus d’une rémunération pour le même service [je souligne] ». Le terme « compensation » (rémunération) est défini par le Canadian Oxford Dictionary comme étant un salaire ou un traitement. Le libellé employé en lien avec l’indemnité de repas évoque un remboursement, pas une rémunération. Le but du paiement d’une indemnité de repas est de s’assurer que l’employé qui effectue des heures supplémentaires et qui prend un repas est remboursé des dépenses d’achat de celui-ci. Je suis convaincue qu’il s’agit là de l’objet de cette disposition, étant donné le libellé employé dans cet article, niant d’ailleurs le droit à une telle indemnité lorsque le repas est fourni par l’employeur. Un remboursement n’est pas une rémunération. Il n’y a donc pas de cumul des avantages, et la clause 65.09 ne s’applique pas en l’espèce.

34 Je suis également guidée en l’instance par la décision rendue dans Julien c. Conseil du Trésor (Agence canadienne des services frontaliers), 2008 CRTFP 67. Cette affaire portait sur la question de savoir si le fonctionnaire s’estimant lésé avait droit à l’indemnité de repas après avoir effectué trois heures de travail après ses 10,72 heures de travail à son horaire de travail effectuées un jour férié. La raison invoquée par l’employeur pour refuser de verser l’indemnité était la même que celle invoquée dans la présente affaire, soit que le libellé prescrivant le versement de l’indemnité de repas ne s’appliquait pas aux situations d’heures supplémentaires effectuées lors d’un jour férié parce que ces heures étaient rémunérées selon des modalités établies dans un autre article de la convention collective pertinente  

35 L’employeur a soutenu qu’il y avait lieu de distinguer la décision rendue dans Julien de la présente affaire, car dans Julien les parties avaient produit un énoncé conjoint des faits dans lequel l’employeur convenait, contrairement à l’affaire en l’instance, que les heures de travail effectuées étaient prévues à l’horaire de l’employé. Or, en l’instance, aucun énoncé conjoint des faits n’a été déposé, et pourtant l’employeur fait valoir le même argument que celui avancé dans Julien. Il prétend en effet que les fonctionnaires n’avaient pas le droit de toucher l’indemnité de repas car les heures de travail effectuées lors du jour férié désigné payé étaient rémunérées sous le régime de l’article 32 et non de l’article 28 de la convention collective.

36 Dans Julien, au paragraphe 20, l’arbitre de grief a déclaré que « […] si les parties à la convention collective avaient voulu exclure le paiement de l’indemnité de repas pour les heures supplémentaires travaillées un jour férié, elles en auraient fait mention à la stipulation 28.09 ou à la stipulation 30.08. Elles ne l’ont pas fait. » Cette déclaration est particulièrement probante dans la présente affaire, puisqu’à différents endroits dans la convention collective les parties ont pris la peine d’exclure expressément l’application de certaines de ses dispositions au groupe des PI. Si leur intention avait été d’exclure le paiement des indemnités de repas lors des jours fériés désignés payés, pourquoi ne se sont-ils pas donné la peine alors d’exclure l’application de la clause 28.10 aux jours fériés désignés payés énumérés à l’article 32? Il faut en conclure que l’intention des parties était que cet article s’appliquerait aux heures supplémentaires effectuées lors d’un jour férié désigné payé.

37 L’avocate de l’employeur m’a prévenue que si je me prononais pour le paiement de l’indemnité de repas pour les jours fériés désignés payés, ce paiement pourrait devenir applicable aux fins de semaine..  

38 L’avocate de l’employeur a également soutenu qu’en vertu de l’article 229 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, il m’est interdit de rendre une décision qui nécessiterait une modification d’une convention collective ou d’une décision arbitrale. Ma décision disant que des employés du groupe PI ayant effectué au moins 10,5 heures de travail lors d’un jour férié désigné payé seraient admissibles à une indemnité de repas ne modifie en rien la convention collective. Elle se fonde d’ailleurs sur le contexte de la convention collective et le sens courant à donner à ses dispositions. Une conclusion voulant qu’un fonctionnaire ayant travaillé au moins 10,5 heures lors d’un jour férié n’ait pas droit à l’indemnité de repas au motif qu’il ou elle aurait été rémunéré au tarif à [traduction] « prime extrême » ne serait aucunement fondée sur le libellé de la convention collective et constituerait à mon sens une interprétation déraisonnable de la convention collective, lue dans son contexte global. Si l’employeur n’est pas satisfait du libellé auquel il a donné son aval, il a le droit de chercher à en obtenir la modification dans le cadre d’une négociation.

39 M. Beese a demandé le versement des indemnités de repas relativement à tous les jours fériés désignés payés pendant lesquels il a travaillé et ce, rétroactivement à 2003. Aucune preuve n’a été présentée au soutien de sa demande à cet égard. De plus, je ne peux être saisie d’une demande visant une période antérieure au délai de vingt-cinq jours prescrit à l’article 18 de la convention collective pour la présentation d’un grief. Je n’accepterai aucune demande visant un remboursement pour une date antérieure au 11 novembre 2008. Il a droit au paiement de l’indemnité de repas pour le 11 novembre 2008 parce qu’il a effectué trois heures de travail ou davantage en sus de son poste normal ou régulier de 7,5 heures de travail ce jour-là.

40 Les fonctionnaires Starcok, Morriseau, Pappas, Duda, Deptuck et O’Keefe ont tous effectué trois heures de travail ou davantage en sus de leur poste normal ou régulier de 7,5 heures de travail le 11 novembre 2008 et ont donc droit au paiement de l’indemnité de repas.

41 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

42 Les griefs de Richard Starcok, Diane Morriseau, Maureen Pappas, Paul Duda, John Deptuck, et Patrick O’Keefe sont accueillis. L’employeur versera sans délai aux fonctionnaires un montant correspondant à l’indemnité de repas prescrite à la clause 28.10 de la convention collective.

43 Le grief de Don Beese est accueilli en partie. L’employeur versera sans délai au fonctionnaire un montant correspondant à l’indemnité de repas prescrite à la clause 28.10 de la convention collective relativement au jour férié désigné payé du 11 novembre 2008. La demande du fonctionnaire visant le remboursement rétroactif des indemnités de repas avec effet antérieur à la date précitée est rejetée.

44 Je demeure saisie de cette affaire afin de disposer de toute question pouvant survenir en lien avec la mise en œuvre de la présente ordonnance, le cas échéant.  

Le 25 septembre 2012.

Traduction de la CRTFP

Margaret Shannon,
arbitre de grief

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.