Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a participé à un processus de nomination interne annoncé, mené pour doter des postes d’avocat-conseil principal. Il a déposé sa plainte au motif que l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite. Il a affirmé à cet effet que l’intimé n’avait pas évalué correctement ses qualifications du fait qu’il n’avait pas pris en compte les rapports d’évaluation du rendement le concernant. Il a avancé d’autre part que l’une des nominations manquait de transparence. Décision La Loi confère aux gestionnaires délégataires un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix des méthodes d’évaluation. Les administrateurs généraux peuvent avoir recours à toute méthode d’évaluation qu’ils estiment indiquée pourvu que les méthodes choisies évaluent correctement les qualifications établies dans l’énoncé des critères de mérite. Le Tribunal a jugé que l’intimé n’était pas tenu de prendre en compte les rapports d’évaluation du rendement dans le processus d’évaluation. Le plaignant a affirmé par ailleurs que l’intimé avait l’obligation de tenir compte d’une qualification précise constituant un atout dans son évaluation, mais le Tribunal a rejeté cette allégation. La Loi stipule clairement qu’en dépit du fait que le gestionnaire délégataire doit évaluer toutes les qualifications essentielles au cours d’un processus de nomination, il dispose néanmoins d’une certaine marge de manœuvre par rapport aux qualifications constituant un atout. L’intimé avait un vaste pouvoir discrétionnaire dans le choix des qualifications constituant un atout à évaluer et utiliser pour les besoins des nominations effectuées dans le cadre du processus de nomination en l’espèce. S’agissant des qualifications des membres du comité d’évaluation, le Tribunal a estimé que ces derniers étaient bien au fait du travail à accomplir, et qu’il n’y avait aucune preuve démontrant que quiconque de ces membres avait des idées préconçues à propos des candidatures à retenir. Enfin, il n’y avait aucune preuve de manque de transparence par rapport à l’une des nominations effectuées. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2010-0214
Rendue à :
Ottawa, le 26 septembre 2012

BILL BOUTZOUVIS
Plaignant
ET
LE DIRECTEUR DU SERVICE DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Boutzouvis c. le directeur du Service des poursuites pénales du Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0025

Motifs de décision

Introduction

1 Bill Boutzouvis, le plaignant, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant à doter trois postes d’avocat‑conseil, des groupe et niveau LA‑2B, au sein du Service des poursuites pénales du Canada (SPPC). Il affirme que le directeur du SPPC, l’intimé, a abusé de son pouvoir dans l’application du principe du mérite. Plus précisément, l’intimé n’aurait pas évalué ses qualifications adéquatement et n’aurait pas fait preuve de transparence pour l’une des nominations. L’intimé nie ces allégations.

2 La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas représentée à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites dans lesquelles elle expose son interprétation de l’abus de pouvoir et décrit les lignes directrices et les guides pertinents qui s’appliquaient à ce processus de nomination. Les Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP, par exemple, établissent que les outils et les méthodes d’évaluation doivent permettre d’évaluer efficacement les qualifications des candidats et fournir un fondement solide pour effectuer des nominations selon le mérite. La CFP n’a pas pris position quant au bien‑fondé de la plainte.

3 Pour les motifs décrits ci‑après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) juge que le plaignant n’a pas réussi à établir la preuve d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé dans ce processus de nomination.

Contexte

4 Le 9 juin 2008, l’intimé a publié une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice dans le but de doter pour une période indéterminée trois postes d’avocat‑conseil (un poste bilingue et deux postes exigeant la maîtrise de l’anglais), aux groupe et niveau LA‑2B au sein du SPPC, dans la région de la capitale nationale (RCN).

5 Le comité d’évaluation était composé de Tom Raganold, procureur fédéral en chef dans la RCN, gestionnaire délégataire et chef du comité d’évaluation; Cyril McIntyre, gestionnaire et avocat‑conseil; Simon William, avocat‑conseil; et Andrew Ross, consultant en ressources humaines.

6 L’intimé a présélectionné les candidats en fonction de leurs études, de leur expérience et de leur accréditation professionnelle. Les candidats présélectionnés ont été convoqués en entrevue et devaient fournir un échantillon d’un document juridique qu’ils avaient rédigé. Une vérification des références a également été effectuée.

7 Onze personnes ont posé leur candidature; sept d’entre elles, y compris le plaignant, possédaient les qualifications essentielles et ont donc été placées dans un bassin de candidats qualifiés.

8 Le 31 mars 2010, l’intimé a publié une Notification de nomination ou de proposition de nomination (NAPA) pour annoncer la nomination de Marc Marcotte, de Vern Brewer et d’Allyson Ratsoy.

9 Le 15 avril 2010, le plaignant a présenté au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

Question préliminaire

10 Comme il est indiqué ci‑dessus, le plaignant a mentionné qu’il présentait sa plainte en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la LEFP. La première disposition traite d’abus de pouvoir dans l’application du mérite, et la deuxième porte sur l’abus de pouvoir dans le choix du type de processus de nomination utilisé (annoncé ou non annoncé). À l’audience, le plaignant n’a pas présenté d’élément de preuve ni d’observation concernant le choix du processus de nomination. Le Tribunal conclut donc que le plaignant n’a pas prouvé les allégations qu’il a présentées en vertu de l’article 77(1)b).

Questions en litige

11 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il évalué les qualifications du plaignant de façon appropriée?
  2. Y a‑t‑il eu un manque de transparence dans l’une des nominations?

Analyse

12 L’article 77(1) de la LEFP stipule qu’une personne dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir de la CFP ou de l’administrateur général dans le processus de nomination. L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP; cependant, selon l’article 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

13 Comme l’établit la jurisprudence du Tribunal, cette formulation inclusive indique que l’abus de pouvoir comprend, sans toutefois s’y limiter, la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

14 Dans la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 CAF 19, para. 64, la Cour d’appel fédérale a indiqué que l’abus de pouvoir peut également comprendre une erreur. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur.

15 L’abus de pouvoir comprend aussi les omissions et la conduite irrégulière. La mesure dans laquelle la conduite est irrégulière et l’ampleur de l’omission peuvent déterminer si elles constituent un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

Question I :  L’intimé a‑t‑il évalué les qualifications du plaignant de façon appropriée?

16 Le plaignant affirme que l’intimé n’a pas évalué ses qualifications de façon appropriée parce qu’il n’a pas pris en compte son expérience et son rendement antérieur dans le domaine du contre‑terrorisme, parce qu’il n’a pas utilisé les qualifications constituant un atout adéquatement, parce que les membres du comité d’évaluation n’étaient pas qualifiés pour évaluer ses qualifications et parce que le processus de nomination a duré trop longtemps.

Expérience et rendement antérieur du plaignant

17 Le plaignant soutient que l’intimé n’a pas correctement évalué l’importance de son expérience et de son rendement antérieur en omettant d’utiliser les rapports du rendement et d’évaluation de l’employé (RREE) des années précédentes. Selon lui, ses évaluations du rendement montrent qu’il est un excellent avocat et qu’il aurait dû faire l’objet d’une promotion en raison de son expérience des dossiers de poursuites complexes. Il avance que le fait de ne pas utiliser les RREE est une erreur suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir.

18 Pour appuyer ses allégations, le plaignant a présenté plusieurs de ses RREE. Par exemple, celui qui couvrait la période du 31 mars 2005 au 1er avril 2006 était très positif. Il y était indiqué que le plaignant anticipait les difficultés avant qu’elles ne se présentent et qu’il les résolvait de façon innovatrice. Le rapport faisait également mention d’une certaine poursuite très médiatisée qu’il aurait été impossible de régler avec succès sans la participation du plaignant. Le plaignant affichait un rendement exceptionnel et dépassait les objectifs fixés. Du 31 mars 2006 au 1er avril 2007, le plaignant a dépassé les attentes et maintenu un rendement exceptionnel tout au long de l’année. Selon le rapport d’évaluation portant sur la période du 31 mars 2007 au 1er avril 2008, le plaignant travaillait depuis 2004 aux premières poursuites concernant des infractions aux dispositions liées au contre‑terrorisme du Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C‑46. Le volume et la complexité extrêmement élevés des travaux associés à ce dossier nécessitaient énormément de temps et un dévouement et une créativité hors pair. Pour la troisième année consécutive, le plaignant avait affiché un rendement exceptionnel et dépassé les objectifs tout au long de l’année.

19 David McKercher a témoigné à l’audience. M. McKercher travaille en tant que procureur fédéral depuis 27 ans. Il est avocat général (groupe et niveau LA‑3A) depuis avril 2010. Auparavant, il a été avocat‑conseil principal (groupe et niveau LA‑2B) pendant 10 ans. Avant de contribuer à une poursuite très médiatisée en matière de contre‑terrorisme, il travaillait principalement sur des poursuites concernant le trafic de stupéfiants et sur des infractions à la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5e suppl.).

20 M. McKercher a fait l’éloge du travail du plaignant. Par exemple, le plaignant a déjà travaillé à une poursuite internationale en matière de drogue impliquant des Canadiens, des Américains et des Vietnamiens. Dans cette affaire, le plaignant avait dû rédiger à très court préavis un affidavit visant à obtenir l’autorisation d’installer un dispositif d’écoute, et il avait fait des recherches sur des questions juridiques complexes. Il savait comment cerner les problèmes et protéger l’intérêt public.

21 M. McKercher a également parlé du travail accompli par le plaignant dans une importante affaire de contre‑terrorisme en 2005. Le plaignant avait préparé un exposé des faits qui s’est avéré très utile dans cette poursuite; celle-ci impliquait des complices dans plusieurs pays. M. McKercher avait délégué des tâches au plaignant et se fiait à lui, car il savait que son travail était de bonne qualité et répondait à des normes élevées. Le plaignant affichait un rendement supérieur à ce qui était attendu d’un employé de son niveau.

22 M. McKercher a passé en revue l’énoncé des critères de mérite (ECM) pour les postes d’avocat‑conseil et a montré en quoi le plaignant répondait selon lui aux critères indiqués.

23 Durant l’été 2007, Kelly Gorman est devenue directrice et procureure fédérale en chef au SPPC dans la RCN. Le plaignant a présenté en preuve un courriel que Mme Gorman avait envoyé le 17 mai 2007 à George Dolhai, directeur adjoint par intérim, et à Chantal Proulx, également directrice adjointe par intérim, dans lequel elle leur demandait d’envisager de le nommer à un poste LA-2B, du moins par intérim.

24 Durant son témoignage, M. Raganold a expliqué que les rapports d’évaluation peuvent certes être utilisés dans l’évaluation des qualifications d’un candidat, mais leur but premier est de fournir aux employés une rétroaction sur leur rendement, de leur indiquer les points à améliorer, d’établir des objectifs et pour les fins de la rémunération au rendement.

25 Le Tribunal fait remarquer que l’intimé a reconnu l’excellent rendement du plaignant. Le Tribunal ne peut toutefois pas accepter l’argument du plaignant selon lequel l’intimé a abusé de son pouvoir en n’utilisant pas les RREE pour évaluer les candidats. En effet, l’article 36 de la LEFP laisse aux gestionnaires délégataires une grande marge de manœuvre concernant le choix des méthodes d’évaluation.

26 Les administrateurs généraux peuvent utiliser toute méthode d’évaluation qu’ils jugent appropriée, pourvu qu’elle permette d’évaluer correctement les qualifications établies dans l’ECM. Voir, par exemple, les décisions Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011, et Ouellet c. le président de l’Agence canadienne de développement international, 2009 TDFP 0026. Le plaignant n’a présenté aucune preuve pour soutenir son allégation selon laquelle les méthodes d’évaluation de l’intimé étaient déraisonnables ou déficientes d’une quelconque façon.

27 M. McKercher a fait l’éloge du travail du plaignant, et Mme Gorman a recommandé sa promotion. Toutefois, ni l’un ni l’autre n’étaient membres du comité d’évaluation. Il ne revient pas au Tribunal de réévaluer les qualifications des candidats. Son rôle consiste à déterminer s’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination, par exemple dans l’évaluation effectuée par le comité d’évaluation.

28 M. McKercher, Mme Gorman et le plaignant lui‑même ont tous affirmé que le plaignant accomplissait des tâches associées à un niveau supérieur à celui de son poste, laissant ainsi entendre qu’il aurait dû être nommé au poste LA‑2B d’avocat‑conseil.

29 Le plaignant a demandé au Tribunal de le nommer à un poste d’avocat‑conseil parce que son rendement antérieur justifiait une telle promotion et parce qu’il accomplissait des tâches correspondant à un poste de ce niveau. L’esprit de la LEFP, comme en font foi les articles 29 et 77(1), établit que lorsqu’une organisation décide de doter un poste vacant, toute personne peut présenter une plainte selon laquelle elle n’a pas été choisie en raison d’un abus de pouvoir. Si la plainte est accueillie, l’article 81(1) stipule que le Tribunal peut ordonner à l’administrateur général ou à la Commission de révoquer la nomination ou de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées; toutefois, il n’est pas autorisé à nommer une personne à un poste. Selon l’article 29(1) de la LEFP, la CFP ou le gestionnaire délégataire ont compétence exclusive pour effectuer une nomination. Le Tribunal n’est donc pas autorisé à nommer le plaignant à un poste ou à ordonner à l’administrateur général d’effectuer une nomination.

Utilisation des qualifications constituant un atout

30 Voici les qualifications constituant un atout pour le processus de nomination :

Expérience des poursuites fondées sur une infraction à la réglementation et de la prestation de conseils à cet égard.

Expérience [des] poursuites fondées sur une infraction en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu[et de la prestation de conseils à cet égard].

Expérience des poursuites liées aux cas d’écoute électronique, aux questions de sécurité nationale, aux produits de la criminalité et aux biens infractionnels et de la prestation de conseils à cet égard.

Excellentes habiletés d’expression écrite.

31 L’intimé n’a pas utilisé la qualification constituant un atout par rapport à l’expérience des poursuites liées aux questions de sécurité nationale. Le plaignant affirme que l’intimé aurait dû en tenir compte et que, s’il l’avait fait, il aurait déterminé que le plaignant était la bonne personne pour le poste. Le plaignant soutient également que l’intimé n’a pas fait preuve de transparence et que le principe de la bonne personne confère aux gestionnaires délégataires un trop grand pouvoir discrétionnaire.

32 Le plaignant a affirmé que M. Raganold ne comprenait pas l’importance du contre‑terrorisme. Les enquêtes et les poursuites en matière de contre‑terrorisme sont d’une importance cruciale pour le Canada et ses alliés, particulièrement les États‑Unis et le Royaume-Uni. M. McKercher avait affirmé dans son témoignage que chaque bureau régional, sauf peut-être le bureau de la région du Nord, devrait compter une unité permanente de contre-terrorisme.

33 Le Tribunal estime que l’intimé n’a pas abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de ne pas tenir compte de la qualification constituant un atout par rapport à la sécurité nationale. L’article 30(2) de la LEFP stipule clairement que, bien que le gestionnaire délégataire soit tenu d’évaluer toutes les qualifications essentielles dans un processus de nomination, il dispose d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard des qualifications constituant un atout. Voici le libellé de l’article 30(2) de la LEFP :

30. (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

b) la Commission prend en compte :

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

[…]

[caractères gras ajoutés]

34 Dans la décision Steeves et Sveinson c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0009, para. 57, le Tribunal a expliqué la distinction entre les articles 30(2)a) et 30(2)b) de la façon suivante :

Par conséquent, l’expression « prend en compte » à l’art. 30(2)b) indique que les critères établis dans cet alinéa doivent être pris en compte; ils doivent être examinés avec attention, mais il n’est pas nécessaire de les évaluer ou de les utiliser. S’il était nécessaire d’évaluer et d’utiliser les qualifications constituant un atout, les exigences opérationnelles et les besoins organisationnels, il n’y aurait aucune distinction entre ces critères et les qualifications essentielles.

35 L’intimé disposait donc d’un grand pouvoir discrétionnaire pour déterminer les qualifications constituant un atout à évaluer pour effectuer les nominations. Rien dans la preuve n’indique que l’intimé a abusé de son pouvoir discrétionnaire. M. Raganold a fourni des raisons valables pour expliquer pourquoi certaines qualifications constituant un atout avaient été prises en compte et d’autres non, et il a précisé en quoi les personnes nommées possédaient ces qualifications.

36 M. Raganold a indiqué que puisque le processus devait servir à établir un bassin de candidats qualifiés pour des postes semblables, il avait inclus plusieurs qualifications constituant un atout qu’il serait possible d’utiliser, au besoin, selon le poste à doter. Le bureau de la RCN, un bureau régional, réalise des activités dans trois domaines : les crimes liés à la drogue, les infractions à la réglementation, y compris les infractions à la Loi de l’impôt sur le revenu, et la sécurité nationale. Pour les nominations aux postes d’avocat‑conseil dont il est question en l’espèce, M. Raganold a choisi de ne pas tenir compte de la qualification atout sécurité nationale parce qu’il avait davantage besoin d’employés possédant les autres qualifications constituant un atout.

37 Dans son témoignage, M. Raganold a indiqué qu’il avait utilisé la qualification constituant un atout par rapport à l’expérience des poursuites liées aux cas d’écoute électronique, aux produits de la criminalité et aux biens infractionnels parce que la majorité des cas traités dans la RCN sont des poursuites en matière de drogue. Des milliers de dossiers sont liés à ce domaine. À l’heure actuelle, de 25 à 30 des 40 avocats travaillant dans la RCN sont affectés à des dossiers liés à la drogue. Les poursuites en matière de drogue impliquent souvent des questions de produits de la criminalité et d’armes, ainsi que l’utilisation d’appareils d’écoute électronique permettant d’infiltrer les groupes de crime organisé. Actuellement, de 12 à 15 avocats sont des mandataires désignés qui peuvent présenter à un juge des demandes d’autorisation concernant l’utilisation de dispositifs d’écoute électronique.

38 L’intimé a également pris en compte la qualification atout qualités rédactionnelles supérieures, car les demandes d’autorisation doivent être bien rédigées, sans quoi elles peuvent être refusées.

39 M. Raganold a affirmé qu’il avait utilisé la qualification relative à l’expérience des poursuites fondées sur une infraction réglementaire ou une infraction à la Loi de l’impôt sur le revenu parce qu’une portion importante des travaux réalisés dans la RCN sont liés à ce domaine. Dans le bureau de la RCN, un chef d’équipe et cinq avocats sont affectés à ce type de poursuite. Les infractions réglementaires comprennent les infractions à la législation sur les douanes, sur les pêches ou sur la taxe d’accise.

40 M. Raganold a ajouté qu’il n’avait pas utilisé la qualification atout lié à la sécurité nationale en raison de la faible quantité de travail lié à ce domaine à l’époque. Le bureau de la RCN traitait une seule poursuite liée à la sécurité nationale, et elle tirait à sa fin. Il y avait une certaine possibilité qu’un dossier de contre‑terrorisme soit ouvert, mais on ignorait à l’époque si des accusations seraient portées dans cette affaire. Bref, au moment où les nominations ont été faites, le bureau n’avait pas besoin d’une personne travaillant dans le domaine de la sécurité nationale.

41 Le plaignant n’a pas remis en question la pertinence de ces qualifications constituant un atout par rapport aux fonctions liées aux postes à doter dans ce processus de nomination. Il a reconnu que la majorité des travaux effectués dans la RCN touchent des poursuites en matière de drogue et que l’écoute électronique est un aspect important de ce type de poursuite. Le plaignant n’a pas non plus remis en doute les qualifications des trois personnes nommées.

42 M. Raganold a également expliqué comment les qualifications choisies, constituant un atout, ont été évaluées pour chacune des nominations. Il a présenté pour chaque nomination la justification qu’il avait inscrite dans le formulaire sur la nomination à partird’un bassin de candidats qualifiés rempli le 18 mars 2010. M. Raganold a indiqué qu’il avait choisi Mme Ratsoy parce qu’elle possédait une vaste expérience des dossiers de poursuites liées à l’écoute électronique qui traitent de questions très délicates, et parce qu’elle était la seule candidate qui avait dépassé les attentes de l’intimé sur le plan des compétences en communication écrite. M. Marcotte a été sélectionné parce qu’il avait l’expérience la plus directe des poursuites liées à l’écoute électronique et des poursuites concernant les produits de la criminalité et des biens infractionnels. Enfin, M. Brewer a été choisi parce qu’il avait dirigé de nombreuses poursuites portant sur des infractions réglementaires et des infractions à la Loi de l’impôt sur le revenu, et parce qu’il avait la plus grande expérience dans ces domaines.

43 Le Tribunal estime que l’intimé a fait preuve de transparence dans son utilisation des qualifications constituant un atout. Celles‑ci figuraient dans l’ECM, et l’intimé a expliqué pourquoi il avait choisi et appliqué les qualifications constituant un atout utilisées. De même, il a expliqué de façon raisonnable pourquoi il n’avait pas utilisé la qualification constituant un atout lié à la sécurité nationale. Le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu d’abus de pouvoir à cet égard.

Qualifications des membres du comité d’évaluation

44 Le plaignant affirme que les membres du comité d’évaluation ne possédaient pas les qualifications requises pour évaluer son expérience et son rendement antérieur. Il ajoute que s’ils avaient bien compris son travail en contre‑terrorisme, ils auraient déterminé qu’il était la bonne personne pour le poste. Le Tribunal constate toutefois que puisque l’expérience en matière de contre‑terrorisme n’était pas une qualification utilisée dans le processus de nomination, un manque de connaissance de ce domaine n’est pas un élément pertinent dans cette plainte.

45 Comme le Tribunal l’a déjà expliqué dans d’autres décisions, les personnes responsables de l’évaluation doivent connaître le travail associé au poste à doter et, dans le cas de processus de nomination annoncés, elles ne doivent pas avoir d’idées préconçues quant à la personne à nommer. Voir par exemple la décision Sampert c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 0009, para. 54. Le Tribunal estime que les membres du comité d’évaluation connaissaient le travail exigé, et il n’y avait aucune preuve démontrant que quiconque de ces membres avait des idées préconçues à propos des personnes à nommer.

46 M. Raganold possède une expérience appréciable du droit, notamment dans la conduite de poursuites liées à des infractions et dans la gestion d’avocats. Il a indiqué dans son témoignage qu’il est procureur fédéral en chef au bureau de la RCN, un poste des groupe et niveau LA-3A, depuis février 2007. Il est le gestionnaire du bureau et le conseiller juridique en chef. De 2002 à 2007, il a supervisé des avocats du secteur privé qui travaillaient à contrat pour le ministère de la Justice dans les régions. Il a intégré la fonction publique fédérale en 1996 à titre d’avocat au ministère de la Justice pour mener une importante poursuite en matière de drogue. Auparavant, il travaillait comme avocat de la défense dans un cabinet privé. Il a également occupé pendant un an le poste d’avocat de la Couronne à Cornwall et à Perth, en Ontario. Le Tribunal juge donc que M. Raganold était tout à fait apte à évaluer les qualifications du plaignant.

47 Le plaignant soutient également que MM. McIntyre et William n’étaient pas qualifiés pour évaluer son expérience dans la mesure où ils ne travaillaient pas dans le même bureau. Selon le Tribunal, le plaignant n’a pas réussi à établir que les membres du comité devaient travailler dans le même bureau que lui pour pouvoir évaluer ses qualifications. Quoi qu’il en soit, le Tribunal estime que MM. McIntyre et William étaient au courant du travail accompli au SPPC. Ils travaillaient tous deux pour le SPPC et étaient en liaison avec le bureau de la RCN. Selon le témoignage de M. Raganold, M. McIntyre est gestionnaire et avocat‑conseil responsable des affaires du ministère et du cabinet au sein du cabinet du ministre, à l’administration centrale. Il occupe un poste des groupe et niveau LA-2B. Il était chargé de communiquer avec le SPPC. M. William est avocat‑conseil (groupe et niveau LA-2B) à l’administration centrale et connaissait le travail exécuté au bureau de la RCN du SPPC. Il participe à des poursuites en matière de drogue et travaille pour le ministère de la Justice depuis de nombreuses années.

48 Le plaignant a également affirmé que MM. McIntyre et William n’étaient pas qualifiés pour l’évaluer parce qu’ils ne possédaient que peu d’expérience en matière de litige, voire aucune. La preuve montre toutefois que MM. Raganold et William possédaient suffisamment d’expérience dans ce domaine; par conséquent, le Tribunal estime que dans l’ensemble, le comité d’évaluation possédait l’expérience nécessaire.

49 Le plaignant n’a pas remis en question le rôle de M. Ross au sein du comité d’évaluation. Selon le témoignage de M. Raganold, le rôle de M. Ross dans le comité consistait à fournir des conseils en ressources humaines, et non pas à traiter de questions d’ordre juridique.

Durée du processus de nomination

50 Le plaignant soutient que le processus de nomination a duré trop longtemps. L’annonce de possibilité d’emploi a été publiée en juin 2008, les entrevues n’ont eu lieu qu’en décembre 2009 et la NAPA a été publiée en mars 2010.

51 L’intimé a expliqué la longueur du processus par le fait que le SPPC était un organisme qui existait depuis peu et qui relevait autrefois du ministère de la Justice : tout était à bâtir à partir de zéro. Étant donné que le SPPC ne disposait pas de suffisamment de temps et de personnel pour gérer le processus de nomination, il a embauché un consultant au printemps 2009. Toutefois, le travail de ce consultant était insatisfaisant; le SPPC a donc décidé de solliciter les services d’un autre consultant au beau milieu du processus.

52 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas prouvé cette allégation. Ni la LEFP, ni le règlement qui en découle ne fixent de délais à respecter pour mener un processus de nomination. Le processus a certes été long, mais l’intimé a fourni une explication raisonnable pour justifier cette durée et le plaignant n’a pas réussi à démontrer que la longueur du processus était attribuable à un abus de pouvoir ou qu’elle entraînait des pratiques assimilables à un abus de pouvoir.

Question II :  Y a‑t‑il eu un manque de transparence dans l’une des nominations?

53 Le plaignant affirme qu’il y a eu un manque de transparence dans le processus de nomination, car celui‑ci aurait permis de convertir l’intérim de M. Brewer au poste d’avocat‑conseil principal (LA‑2B) en une nomination à durée indéterminée au même poste. À l’époque, M. Brewer occupait ce poste de façon intérimaire depuis trois ans.

54 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas réussi à prouver cette allégation. Tant la nomination intérimaire de M. Brewer que sa nomination au terme de ce processus de nomination ont fait l’objet d’une notification sur Publiservice. M. Raganold a expliqué que la nomination intérimaire avait été prolongée parce que le processus de nomination nécessitait plus de temps que prévu. La prolongation de la nomination intérimaire a été annoncée et aucune plainte n’a été présentée. Le témoignage de M. Raganold sur cette question n’a pas été contesté.

55 Pour ce qui est de la nomination liée à la présente plainte, l’annonce de possibilité d’emploi a été affichée sur Publiservice en juin 2008. M. Brewer a postulé pour ce processus, et il a été évalué et jugé entièrement qualifié. Sa nomination a été rendue publique par l’entremise de la NAPA. Le Tribunal conclut donc qu’il n’y a aucune preuve de manque de transparence dans la nomination de M. Brewer.

Décision

56 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.

John Mooney
Vice‑président

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2010-0214
Intitulé de la cause :
Bill Boutzouvis et le directeur du Service des poursuites pénales du Canada
Audience :
Les 16 et 17 juin 2011
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 26 septembre 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Bill Boutzouvis
Pour l'intimé :
Karen L. Clifford
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
(observations écrites)
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