Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé sa plainte au motif que l’intimé aurait abusé de son pouvoir en éliminant sa candidature d’un processus de sélection par discrimination raciale, et en réalisant son entrevue par vidéoconférence – une méthode qu’il jugeait inappropriée. En outre, les minorités visibles seraient confrontées selon lui à des obstacles systémiques au Service correctionnel du Canada. L’intimé a nié tout abus de pouvoir en précisant que la candidature du plaignant avait été éliminée du processus de nomination parce qu’il manquait à ce dernier deux qualifications essentielles relatives aux connaissances. D’autre part, l’intimé a fait remarquer que la vidéoconférence était d’un usage courant dans les réunions et les entrevues par souci de réduction des coûts de déplacement, et que le plaignant n’avait exprimé aucune réserve par rapport à cette méthode, que ce soit avant, pendant ou après l’entrevue. Décision L’intimé s’est opposé à une nouvelle présentation des allégations et éléments de preuve se rapportant à la discrimination systémique pour cause d’abus de procédure, la question étant déjà tranchée dans une décision Brown antérieure impliquant le plaignant. Dans la présente affaire, il ne s’agissait pas pour le Tribunal d’établir l’existence de pratiques de discrimination raciale mais plutôt de déterminer si le plaignant a fait l’objet de discrimination dans le processus de nomination. Le Tribunal a établi que la question en litige en l’espèce était différente de celle tranchée dans la décision Brown antérieure. Par conséquent, l’abus de procédure et la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquaient pas en l’espèce; le Tribunal a instruit l’affaire. Par ailleurs, le Tribunal a conclu que le plaignant n’avait pas établi de lien entre la preuve circonstancielle d’obstacles systémiques et la preuve de discrimination dont il aurait été victime en l’espèce. Le plaignant n’avait donc pas établi de preuve prima facie de discrimination. En effet, aucun élément de preuve ne permettait de conclure que la race, la couleur ou l’origine ethnique du plaignant avaient été un facteur déterminant dans l’élimination de sa candidature du processus de nomination. Le Tribunal a en outre estimé que l’intimé avait fourni une explication raisonnable, sans caractère discriminatoire, par rapport à l’élimination de la candidature du plaignant du processus. Enfin, le plaignant n’avait pas démontré de quelle façon la décision de mener l’entrevue par vidéoconférence avait donné lieu à un résultat injuste, pas plus qu’il n’avait fourni d’éléments de preuve démontrant qu’il avait cherché assistance pour l’utilisation du matériel ou informé le comité d’évaluation que cette méthode le mettait mal à l’aise. Il n’y avait aucune preuve démontrant que l’intimé avait abusé de son pouvoir par l’utilisation de la vidéoconférence comme méthode d’entrevue. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

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Dossier :
2009-0446/0475/0476
Décision
rendue à :

Ottawa, le 5 juillet 2012

JEFFREY BROWN
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par :
Kenneth J. Gibson, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0017

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Jeffrey Brown, affirme que l'intimé, le commissaire du Service correctionnel du Canada (SCC), a abusé de son pouvoir en éliminant sa candidature d'un processus de sélection en raison de ce qu'il considère comme de la discrimination systémique – ce qui va à l'encontre de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP) – et en réalisant son entrevue par vidéoconférence, ce qu'il juge inapproprié.

2 L'intimé nie avoir abusé de son pouvoir et répond que la candidature du plaignant a été éliminée du processus de nomination parce que ce dernier ne possédait pas deux des qualifications essentielles relatives aux connaissances établies pour le poste.

Contexte


3Le 17 avril 2009, l'intimé a publié une annonce de possibilité d'emploi sur Publiservice en vue de doter des postes de gestionnaire correctionnel de groupe et niveau CX-04 aux établissements Warkworth et Millhaven, dans la région de l'Ontario. Étaient admissibles au processus les employés du SCC et ceux de la Commission nationale des libérations conditionnelles occupant un poste en Ontario de même que les employés du Bureau de l'enquêteur correctionnel. La date limite de présentation des candidatures était fixée au 1er mai 2009.

4 Le plaignant, qui satisfaisait aux exigences en matière d'études et d'expérience définies pour le poste, a été convoqué à une entrevue qui a eu lieu le 29 mai 2009.

5 Le comité d'évaluation a déterminé que le plaignant ne pouvait se voir accorder la note de passage requise pour deux des qualifications essentielles liées aux connaissances, à savoir la connaissance des politiques et des pratiques relatives à la sécurité ainsi que la connaissance des politiques et des pratiques ayant trait à l'intervention d'urgence. Par conséquent, le plaignant a, le 8 juin 2009, été informé que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination.

6 Quatre notifications de nomination ou de proposition de nomination ont été publiées le 30 juin 2009 pour des postes de gestionnaire correctionnel (CX-04) à l'issue de ce processus de nomination. Cinq autres notifications ont été diffusées le 15 juillet 2009.

7 Le plaignant a déposé trois plaintes d'abus de pouvoir en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (LEFP). Une des plaintes a été reçue le 5 juillet 2009 et les deux autres, le 17 juillet 2009. Aux fins de la présente audience, les trois plaintes ont été jointes conformément à l'article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116.

8 Le plaignant a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP), en vertu de l'article 78 de la LEFP, que ses plaintes soulevaient une question liée à l'interprétation ou à l'application de la LCDP. La CCDP a informé le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) qu'elle n'avait l'intention de présenter aucune observation relativement à ces plaintes.

9 La Commission de la fonction publique (CFP) n'était pas représentée à l'audience, mais elle a produit des observations écrites.

Questions préliminaires


10 Au début de l'audience, l'intimé s'est opposé à ce que soient présentés de nouveau les allégations et les éléments de preuve se rapportant à la discrimination systémique en faisant valoir le principe de res judicata, la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et l'abus de procédure.

11 L'objection portait sur l'allégation et les éléments de preuve que le plaignant souhaitait présenter concernant ce qu'il considère comme de la discrimination raciale systémique ou, plus précisément, sur la preuve liée aux pratiques de discrimination raciale, à l'appui de son allégation selon laquelle il y aurait de la discrimination dans les bureaux du SCC de la région de l'Ontario.

Position de l'intimé

12 L'intimé soutient que la question liée aux pratiques de discrimination raciale a été tranchée il y a six mois dans la décision Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 0015 (Brown 1). Il indique que, dans cette décision, le Tribunal n'a pas conclu à l'existence de pratiques de discrimination raciale au sein du SCC.

13 L'intimé a fait état de nombreux cas de jurisprudence qui appuient sa position selon laquelle le Tribunal ne devrait pas permettre que soient présentés des éléments de preuve portant sur les pratiques de discrimination raciale en l'espèce puisque cette question a déjà été tranchée dans une décision antérieure (décision Brown 1). Il a plus précisément renvoyé au paragraphe 25 de l'arrêt Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 (CanLII), [2001] 2 RCS 460, où il est question de la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée. L'intimé soutient que dans l'affaire Brown 1,le Tribunal a rendu une décision finale sur la question de la discrimination systémique, et que la question et les parties sont les mêmes en l'espèce.

14 En ce qui a trait à l'arrêt Danyluk, au paragraphe 18, l'intimé indique que le plaignant « n'a droit qu'à une seule tentative ». Le plaignant a eu l'occasion de demander à ce que la décision Brown 1 fasse l'objet d'une révision judiciaire, mais il ne l'a pas fait. Le fait de permettre au plaignant de rouvrir cette question constituerait du harcèlement envers l'intimé. Ce dernier soutient également que la remise en cause de questions déjà tranchées pourrait donner lieu à des décisions contradictoires et occasionner des frais excessifs pour l'intimé et le Tribunal.

15 L'intimé affirme que la doctrine de l'abus de procédure peut s'appliquer lorsque les exigences strictes de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne sont pas remplies. En ce qui concerne l'arrêt Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77; [2003] A.C.S. no 64 (QL), para. 38, l'intimé croit que les raisons de principe étayant la doctrine de l'abus de procédure sont applicables en l'espèce, à savoir la préservation des ressources des tribunaux et des parties, le maintien de l'intégrité du système judiciaire de façon à éviter les décisions contradictoires, et la protection du principe du caractère définitif des instances.

16 L'intimé soutient que la question à trancher est presque identique dans les deux affaires, et que le fait de permettre au plaignant de soulever de nouveau la question à l'égard de laquelle il a été débouté dans la décision Brown 1 constituerait un abus de procédure.

17 Enfin, l'intimé indique que, même dans les cas où une partie souhaite présenter de nouveaux éléments de preuve concernant une question déjà tranchée, le critère régissant l'admission de la nouvelle preuve est strict. En effet, il doit s'agir d'éléments de preuve qui n'auraient pas raisonnablement pu être produits lors de l'audience précédente, et ceux-ci doivent être décisifs ou permettre de conclure que le résultat aurait été différent s'ils avaient été présentés plus tôt.

Position du plaignant

18 Le plaignant affirme que le Tribunal n'a pas conclu que l'intimé n'avait pas fait preuve de pratiques de discrimination raciale dans la décision Brown 1. Il soutient plutôt que le Tribunal a conclu qu'il ne disposait pas de suffisamment d'éléments de preuve pour arriver à une conclusion concernant ladite question.

19 Le plaignant précise également que son intention n'est pas de revenir sur la décision Brown 1. La preuve qu'il souhaite présenter est nouvelle et n'était pas disponible au moment de l'audience précédente.

Analyse de la question préliminaire

20 Avant de procéder à l'analyse des doctrines de préclusion découlant d'une question déjà tranchée et d'abus de procédure, il est important de clarifier le rôle du Tribunal relativement à la discrimination.

21 Le droit de présenter une plainte portant sur un processus de nomination interne est régi par l'article 77(1) de la LEFP, selon lequel « […] la personne qui est dans la zone de recours […] peut […] présenter [au Tribunal] une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination […] ».

22 Le passage « […] présenter [au Tribunal] une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination […] » indique clairement que la plainte doit se rapporter directement au plaignant concerné. La plainte ne peut être présentée au nom d'une autre personne et ne peut porter sur la façon dont d'autres candidats non retenus ont été traités. Par conséquent, le plaignant doit avoir un intérêt personnel à l'égard d'une nomination au poste (voir la décision Silke c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 0009, para. 68).

23 Ainsi, le rôle du Tribunal en vertu de l'article 77 de la LEFP consiste à déterminer si l'intimé a abusé de son pouvoir relativement à un plaignant dans un processus de nomination. La discrimination à l'égard d'un plaignant constitue un des motifs d'abus de pouvoir. Étant donné que la plainte doit se rapporter directement au plaignant, le Tribunal n'a pas pour rôle d'établir si le SCC se livre à des pratiques de discrimination raciale, mais plutôt de déterminer si le plaignant a fait l'objet de discrimination raciale dans le cadre du processus de nomination. Bien que l'existence d'éléments de preuve liés à des pratiques de discrimination raciale puisse servir à définir le contexte et les circonstances entourant la discrimination reprochée, au bout du compte, un lien ou un rapport doit être établi entre cette preuve et la situation particulière du plaignant (voir la décision Kofoworola Ogunyankin c. Queen's University, 2011 TDPO 1910 (CanLII)).

24 Par conséquent, la question à trancher en l'espèce consiste à savoir si l'intimé a fait preuve de discrimination envers le plaignant dans le processus de nomination visé.

La doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée s'applique-t-elle aux plaintes présentées en l'espèce?

25 Le Tribunal s'est penché sur la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et sur celle de l'abus de procédure dans la décision Lavigne c. le sous-ministre de la Justice, 2010 TDFP 0007. Au paragraphe 24 de cette décision, il mentionne les deux volets dont fait état la Cour suprême du Canada dans l'arrêt  Danyluk :

La Cour suprême a établi dans l'arrêt Danyluk au paragraphe 33 que l'analyse de l'application de la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée se fait en deux volets. Le Tribunal doit d'abord juger si les trois conditions d'application de cette doctrine sont remplies. Le Tribunal doit ensuite décider s'il devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'appliquer cette doctrine. Au paragraphe 25 de l'arrêt Danyluk, la Cour suprême énumère les trois conditions d'application de cette doctrine :

  1. la même question a été décidée;
  2. la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion est finale; et
  3. les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, sont les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit.

26 Aux termes de l'article 77 de la LEFP, la personne qui n'a pas été nommée à l'issue d'un processus de nomination interne peut présenter une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination en raison d'un abus de pouvoir de la part de la CFP ou de l'administrateur général. Les plaintes en l'espèce se rapportent à un processus de nomination (2009-PEN-IA-ONT-001704) autre que celles qui avaient été présentées dans l'affaire Brown 1 (2007-PEN-IA-ONT-236). Dans cette affaire précédente, les plaintes concernaient un processus de nomination lancé en 2007 et ayant mené à des nominations en février et en mars 2009. En l'espèce, les plaintes portent sur un processus de nomination qui a été entrepris en avril 2009 et dans le cadre duquel des nominations ont été effectuées en juin et en juillet 2009. La composition des comités d'évaluation n'était en outre pas la même dans les deux processus. Par ailleurs, les raisons ayant mené à l'élimination de la candidature du plaignant dans le processus de nomination en l'espèce diffèrent de celles qui étaient énoncées dans la décision Brown 1. En effet, dans l'affaire précédente, la candidature du plaignant avait été éliminée du processus de nomination parce qu'il ne possédait pas deux des qualifications essentielles, à savoir la réflexion stratégique ainsi que les valeurs et l'éthique.

27 En vertu de l'article 79(1) de la LEFP, les personnes qui ont fait l'objet de la proposition de nomination ou qui ont été nommées sont parties à la plainte. Or, ces personnes ne sont pas les mêmes en l'espèce que dans l'affaire Brown 1. Par conséquent, certaines des parties à la plainte dans l'affaire Brown 1 sont différentes de celles qui sont en cause en l'espèce.

28 Pour ces motifs, le Tribunal estime que les première et troisième conditions d'application de la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée n'ont pas été remplies. Compte tenu de cette constatation, il n'est pas nécessaire d'examiner la deuxième condition. Le Tribunal conclut donc que la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne s'applique pas aux plaintes en l'espèce.

La doctrine de l'abus de procédure s'applique-t-elle aux présentes plaintes?

29 La doctrine de l'abus de procédure a été énoncée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Toronto (Ville). Elle vise à empêcher la réouverture d'un litige dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne sont pas remplies mais où la réouverture pourrait néanmoins porter atteinte à certains principes, notamment à l'économie des ressources judiciaires, à la cohérence juridique, au caractère définitif des décisions et à l'intégrité de l'administration de la justice (voir la décision Lavigne, para. 28). Dans l'arrêt Toronto (Ville), la Cour suprême énonce les principes qui sous-tendent cette doctrine :

[37] […] la doctrine de l'abus de procédure fait intervenir [TRADUCTION] « le pouvoir inhérent du tribunal d'empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d'une manière […] qui aurait […] pour effet de discréditer l'administration de la justice » (Canam Enterprises Inc. c. Coles (2000), 51 O.R. (3d) 481 (C.A.), par. 55, le juge Goudge, dissident, approuvé par [2002] 3 R.C.S. 307, 2002 CSC 63). Le juge Goudge a développé la notion de la façon suivante aux par. 55 et 56 :

[TRADUCTION] La doctrine de l'abus de procédure engage le pouvoir inhérent du tribunal d'empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d'une manière qui serait manifestement injuste envers une partie au litige, ou qui aurait autrement pour effet de discréditer l'administration de la justice.[…]

Un cas d'application de l'abus de procédure est lorsque le tribunal est convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu'il a déjà tranchée.

[…]

[Souligné dans la version originale]

[38] […] Les raisons de principes étayant la doctrine de l'abus de procédure pour remise en cause sont identiques à celles de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée […] :

[TRADUCTION] Les deux raisons de principe, savoir qu'un litige puisse avoir une fin et que personne ne puisse être tracassé deux fois par la même cause d'action, ont été invoqués comme principes fondant l'application de la doctrine de l'abus de procédure pour remise en cause. D'autres principes ont également été invoqués : la préservation des ressources des tribunaux et des parties, le maintien de l'intégrité du système judiciaire afin d'éviter les résultats contradictoires et la protection du principe du caractère définitif des instances si important pour la bonne administration de la justice.

30 Dans la décision Lavigne, le Tribunal a appliqué la doctrine de l'abus de procédure et conclu que le plaignant n'avait pas le droit de rouvrir plusieurs questions qui avaient déjà été tranchées par le Tribunal dans une affaire antérieure. Cette affaire diffère toutefois de l'affaire en l'espèce. En effet, dans l'affaire Lavigne, l'intimé avait tenu deux processus de nomination à l'automne 2006, créé un bassin de candidats qualifiés et nommé six personnes en mai 2007. M. Lavigne a présenté des plaintes à l'encontre de ces nominations, et le Tribunal a rendu une décision. En avril 2008, l'intimé a nommé une autre personne à partir du même bassin, à la suite de quoi le plaignant a déposé une plainte à l'encontre de la nomination effectuée et a présenté les mêmes allégations que celles qu'il avait soumises lors du dépôt de sa plainte précédente concernant les six personnes nommées. Dans ce cas-là, la nomination subséquente se rapportait au même processus de nomination, lancé à l'automne 2006, et le Tribunal a conclu que le plaignant était le même, que les questions soulevées par M. Lavigne avaient déjà été tranchées, et que ce dernier n'avait pas présenté de nouveaux éléments de preuve à l'appui de ces questions.

31 La question relative à la discrimination que le plaignant tente de plaider en l'espèce se rapporte à un processus de nomination différent, qui a été entrepris après le processus de nomination en cause dans l'affaire Brown 1. De plus, le plaignant se fonde sur des éléments de preuve qui n'existaient pas au moment de l'audience précédente. En outre, le fait que l'existence de pratiques discriminatoires n'ait pas été établie dans la décision Brown 1 ne signifie pas que la discrimination ne puisse pas avoir joué un rôle dans le processus de nomination subséquent. Par conséquent, le fait que le plaignant ait affirmé que la discrimination avait par le passé constitué un facteur dans un autre processus de nomination ne devrait pas l'empêcher d'avancer que la discrimination est entrée en ligne de compte dans le processus de nomination en l'espèce.

32 Le Tribunal estime que la doctrine de l'abus de procédure ne s'applique pas en l'espèce. En effet, la question n'est pas la même que dans l'affaire Brown 1, et la décision que le Tribunal rendra n'aura aucune incidence sur celle qu'il a rendue dans l'affaire Brown 1, pas plus qu'elle n'aura pour effet de discréditer l'administration de la justice (voir l'arrêt Toronto (Ville), para. 53 et 55).

33 Le Tribunal est convaincu que cette conclusion suffit à trancher la question préliminaire. Toutefois, il précise qu'il aurait exercé son pouvoir discrétionnaire d'instruire cette affaire si les critères relatifs à la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée et à la doctrine de l'abus de procédure avaient été remplis. Les questions de discrimination sont toujours controversées et parfois complexes. Quand il est question de pratiques de discrimination raciale, il n'est pas question d'un événement isolé ni nécessairement d'une série limitée d'événements. Il s'agit plutôt de pratiques qui peuvent être profondément enracinées dans la culture d'une organisation et avoir été démontrées de différentes façons au fil du temps. Dans la plupart des cas, il est difficile d'obtenir des éléments de preuve directe confirmant l'existence de discrimination. Celle-ci peut seulement être décelée par ses « subtiles odeurs » (voir la décision Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.D.C.P.). L'impossibilité de prouver l'existence de pratiques de discrimination raciale dans une affaire ne signifie pas que de telles pratiques sont nécessairement inexistantes et que la preuve ne pourra en être établie dans une autre affaire, grâce à de nouveaux éléments de preuve. Parallèlement, si des pratiques de discrimination raciale ont été démontrées dans une affaire, le Tribunal n'estime pas qu'un intimé doive se voir interdire, dans une affaire ultérieure, de présenter des éléments de preuve démontrant que le problème a été corrigé.

34 Le plaignant souhaite présenter le rapport du commissaire intitulé Consultation nationale du Commissaire avec les employés de minorités visibles : Pour un SCC inclusif et exempt d'obstacles, de même que des éléments de preuve concernant la nomination à des postes de groupe et niveau CX-04, à l'issue d'un processus non annoncé, de six personnes qui, à son avis, ne sont pas qualifiées. Le plaignant souhaite également présenter en preuve d'autres éléments se rapportant à la représentation des minorités visibles au sein du SCC. Cette preuve n'avait pas été prise en considération dans la décision Brown 1.

35 En l'espèce, le Tribunal croit, pour les motifs énoncés ci-haut, qu'il est dans l'intérêt de l'équité et de la justice de trancher la question étant donné qu'il s'agit d'un processus de nomination différent, tenu à un moment différent et ayant mené à des nominations différentes, et que de nouveaux éléments de preuve pertinents relativement à la question soulevée ont été présentés.

Questions en litige


36 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination envers le plaignant dans le processus de nomination en cause (2009-PEN-IA-ONT-001704)?
  2. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu'il a procédé à l'entrevue du plaignant par vidéoconférence?

Analyse


37 Pendant la téléconférence préparatoire qui a eu lieu le 21 octobre 2011, le plaignant a énoncé les quatre allégations qu'il prévoyait présenter à l'audience : a) les critères de mérite n'ont pas été appliqués correctement dans l'évaluation de sa candidature; b) le contenu de l'énoncé des critères de mérite et conditions d'emploi (ECM) qui a été publié n'a pas été respecté; c) les qualifications constituant un atout du plaignant n'ont pas été évaluées de façon appropriée; et d) il existe des préjugés raciaux systémiques et spécifiques dans les bureaux de la région de l'Ontario du SCC.

38 À l'audience, dès le début de la présentation de la preuve, le plaignant a déclaré qu'il ne donnerait pas suite à ses trois premières allégations et qu'il ne se pencherait que sur la dernière allégation, soit celle portant sur la discrimination raciale systémique.

39 Le Tribunal a alors rappelé au plaignant qu'il avait déposé sa plainte en vertu de l'article 77(1)a) de la LEFP, qui prévoit qu'une personne peut présenter une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination en raison d'un abus de pouvoir de la part de l'administrateur général dans l'exercice de ses attributions au titre de l'article 30(2) de la LEFP. Aux termes de l'article 30(2) de la LEFP, une nomination est fondée sur le mérite lorsque, selon la CFP (ou l'administrateur général investi des pouvoirs délégués), la personne à nommer possède les qualifications essentielles établies pour le travail à accomplir.

40 L'intimé a indiqué que le Tribunal avait seulement compétence pour instruire les plaintes touchant un processus de nomination, et que si la preuve ne portait que sur l'existence d'une discrimination raciale systémique, le Tribunal n'était pas habilité à trancher cette question.

41 Le plaignant a pris acte de la mise en garde, puis il a présenté son allégation de discrimination raciale systémique et spécifique.

Question I :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination envers le plaignant dans le processus de nomination en cause (2009-PEN-IA-ONT-001704)?

42 Aux termes de l'article 80 de la LEFP, pour déterminer si une plainte est fondée en vertu de l'article 77, le Tribunal peut interpréter et appliquer la LCDP. Le plaignant soutient que sa candidature a été éliminée du processus de nomination en raison, notamment, de ce qu'il qualifie de discrimination systémique.

43 L'article 7 de la LCDP indique que le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi par des moyens directs ou indirects constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent la race, la couleur et l'origine ethnique.

44 Le Tribunal a établi que c'était au plaignant qu'il incombait de s'acquitter du fardeau de la preuve dans les cas de plainte d'abus de pouvoir. Voir la décision Tibbs c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, para. 48-55.

45 Lorsqu'il est question des droits de la personne, il revient au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination. Dans l'arrêt Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (connue sous le nom de décision O'Malley), la Cour suprême du Canada énonce le critère permettant d'établir une preuve prima facie de discrimination :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé […]

46 Il suffit au plaignant de démontrer que la discrimination dont il affirme avoir été victime était l'un des facteurs – pas le principal ni même l'unique facteur – qui ont mené à la décision d'éliminer sa candidature du processus de nomination. Voir la décision Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), para. 7.

47 Si le plaignant établit que le SCC a appliqué des pratiques discriminatoires, il doit aussi démontrer qu'il existe un lien entre le comportement discriminatoire observé et la preuve – tant directe que circonstancielle – de discrimination à son endroit dans le processus de nomination, de façon à établir une preuve prima facie. Voir la décision Chopra c. Canada (Ministère de la santé nationale et du Bien-être social), 2001 CanLII 8492 (T.C.D.P), para. 211.

48 Le Tribunal doit déterminer si le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination avant de se pencher sur la réponse de l'intimé. Si le plaignant y parvient, le fardeau revient alors à l'intimé, qui doit fournir une explication raisonnable sans caractère discriminatoire au sujet de sa conduite. Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd. [2004] A.C.F. no 941; 2004 CAF 204 (QL).

49 Le plaignant a présenté trois types de preuve à l'appui de son allégation portant les pratiques de discrimination raciale à son endroit : a) un rapport sur les consultations du commissaire auprès des membres des groupes de minorités visibles au SCC; b) des éléments de preuve concernant six nominations effectuées par le SCC dans la région de l'Ontario à l'issue d'un processus non annoncé; et c) d'autres éléments de preuve se rapportant à la représentation des membres des groupes de minorités visibles au SCC.

Rapport du commissaire sur la consultation avec des membres de minorités visibles au SCC et autres documents

50 Le plaignant occupe un poste d'agent de libération conditionnelle de groupe et niveau WP-04 au SCC. Il travaille actuellement à Windsor, en Ontario. Il s'identifie comme une personne appartenant à une minorité visible et une personne de descendance autochtone.

51 Dans son témoignage, le plaignant a indiqué que le commissaire du SCC, Don Head, avait parcouru le Canada de mars à juillet 2010 pour consulter les membres des groupes de minorités visibles travaillant au SCC. Le plaignant a participé à l'organisation des rencontres du commissaire à Kingston et à Toronto, en Ontario.

52 Le plaignant a déposé en preuve le rapport qui a découlé de ces consultations, intitulé Consultation nationale du Commissaire avec les employés de minorités visibles : Pour un SCC inclusif et exempt d'obstacles, daté du mois de novembre 2010 (le rapport du commissaire). Dans son témoignage, il a déclaré qu'il s'agissait là du rapport final portant sur les consultations et que celui-ci avait été passé en revue et signé par le commissaire. Le plaignant a fait état du passage suivant, tiré du message du commissaire figurant au début du rapport :

[L]e SCC se doit de reconnaître la contribution de sa main-d'œuvre variée. Il est essentiel que le SCC reconnaisse et identifie les problèmes et les obstacles systémiques au cheminement professionnel des employés membres de minorités visibles (MV). En tant qu'organisme, nous devons trouver des solutions concrètes, pratiques et créatives pour assurer la gestion des préoccupations des membres de MV qui travaillent pour le SCC.

Afin de soutenir la réalisation de cet objectif, je me suis rendu sur le terrain au printemps et à l'été 2010 pour discuter avec les employés membres de MV et pour comprendre comment ceux-ci contribuent au succès du SCC. Le commissaire a recueilli les témoignages d'employés membres de MV qui ont relevé les obstacles systémiques les empêchant d'exploiter leur plein potentiel. Ces mêmes employés ont aussi demandé au SCC de mettre en œuvre les recommandations de rapports et de plans stratégiques édictés en établissant des programmes d'équité en emploi pertinents et des politiques concrètes qui sauront refléter la diversité de la main-d'œuvre du SCC. [Caractères gras ajoutés]

53 Selon le plaignant, le commissaire reconnaît, dans ce passage, qu'il y a des obstacles systémiques au SCC.

54 Par ailleurs, le plaignant croit que le passage suivant du rapport du commissaire signifie que la diversité n'est pour l'instant pas valorisée : « […] le principal défi du SCC est d'adopter une culture organisationnelle qui valorise la diversité […] ». Il estime en outre qu'en déclarant ce qui suit, le commissaire admet une fois de plus l'existence d'obstacles au sein de l'organisation : « Nous avons la chance de contribuer à réécrire l'histoire des membres de MV au SCC. Je souhaite vous faire participer à l'écriture d'un nouveau chapitre — l'histoire d'une organisation solide, diversifiée, sans obstacles, inclusive et qui sera le reflet de la société canadienne d'aujourd'hui. »

55 Le plaignant a également cité plusieurs parties du rapport qui à son avis confirment les problèmes que doivent affronter les membres des groupes de minorités visibles au SCC et appuient son affirmation selon laquelle il existe des obstacles systémiques. Selon le plaignant, la seule conclusion pouvant être formulée après lecture du rapport est qu'il y a bel et bien des obstacles systémiques au SCC.

56 Par ailleurs, le plaignant a présenté un courriel rédigé par le commissaire à l'intention des employés autochtones du SCC, les informant qu'il mènerait des consultations semblables auprès d'eux afin de « […] discuter des obstacles systémiques en matière de recrutement, de cheminement professionnel et de maintien en poste […] » [traduction].

57 De l'avis du plaignant, le commissaire déploie des efforts personnels dans le but d'améliorer la situation des membres des groupes de minorités visibles au SCC, mais ce ne sont pas tous les gestionnaires qui sont réceptifs à ses efforts. Il soutient que les directeurs des établissements ont toute la latitude nécessaire pour influencer les choix liés à la dotation.

Nomination de six personnes non qualifiées – selon le plaignant – à des postes CX-04 à l'issue d'un processus non annoncé

58 Le plaignant a présenté six notifications de candidature retenue correspondant à des nominations à des postes CX-04 effectuées à la suite d'un processus non annoncé à l'établissement Warkworth. Les notifications sont toutes datées du 2 novembre 2011.

59 L'intimé s'est opposé à l'admissibilité de ces documents, faisant valoir que les nominations visées, qui découlent d'un processus de nomination différent, ont été effectuées après le processus de nomination dont il est ici question. Il a ajouté, en faisant référence à la décision Alexander c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1278, de la Cour fédérale, para. 69, qu'il serait inapproprié de permettre au plaignant d'élargir la portée de sa plainte au-delà du processus de nomination visé.

60 Dans la décision Alexander, les demandeurs voulaient élargir la portée de leur plainte de façon à ce que le Tribunal se penche sur toutes les nominations effectuées dans les bureaux de la région de l'Ontario de Santé Canada entre 2004 et mai 2008. Le plaignant, en l'espèce, ne demande pas que les autres nominations soient examinées. Il y fait référence en tant que preuve circonstancielle à l'appui de l'existence de pratiques de discrimination raciale dans les bureaux de la région de l'Ontario du SCC.

61 Dans la décision Brown 1, le Tribunal a jugé qu'il était habilité à examiner des incidents et des événements qui avaient eu lieu dans le cadre de processus de nomination antérieurs, dans la mesure où ces incidents pouvaient s'inscrire dans le contexte d'une plainte et apporter un éclairage sur le processus de nomination en cause. Le Tribunal estime que le même principe s'applique aux incidents et aux événements qui se sont produits après le processus de nomination. Par conséquent, il tiendra compte de ces éléments de preuve, qui s'inscrivent dans le contexte de l'allégation de pratiques de discrimination raciale. Cependant, la compétence du Tribunal est limitée, en l'espèce, au processus de nomination visé et ne peut s'étendre aux six autres nominations.

62 Dans son témoignage, le plaignant a déclaré qu'après avoir vu sa candidature éliminée du processus de nomination, il avait rencontré Bruce Somers, sous-commissaire adjoint aux Services corporatifs pour la région de l'Ontario. Lors de cette rencontre, il a été informé que le SCC ne pouvait pas le nommer – pas plus qu'il n'aurait pu nommer quiconque dont la candidature n'aurait pas été retenue au terme d'un processus de nomination annoncé – en utilisant une processus de nomination non annoncé. Toutefois, il affirme que c'est exactement ce qui s'est passé dans le cas des six nominations dont il a fait mention plus tôt.

63 Le plaignant a produit en preuve un courriel daté du 1er décembre 2011, rédigé par Ann Anderson, directrice de l'établissement Warkworth, à l'intention d'un employé du SCC dont le nom a été biffé. Dans ce courriel, Mme Anderson explique que, malgré la tenue de quatre processus de nomination annoncés, il a été difficile de doter les postes de gestionnaire correctionnel à l'établissement Warkworth. Des nominations ont été effectuées dans le cadre d'un processus non annoncé parce qu'il n'y avait plus aucun nom dans le dernier bassin de candidats qualifiés pour le poste de gestionnaire correctionnel à l'établissement Warkworth. Le plaignant a donc déduit que la banque de candidats qualifiés au terme du dernier processus de nomination était épuisée. Par conséquent, les personnes qui ont été nommées au moyen d'un processus non annoncé ont forcément dû ne pas être jugées qualifiées à l'issue du processus de nomination précédent.

64 Le plaignant a déclaré qu'aucune des six personnes nommées n'était membre d'un groupe de minorité visible ni n'était autochtone. Il a précisé que deux employés autochtones avaient occupé les postes visés de façon intérimaire, mais qu'aucun des deux n'avait été nommé. Le plaignant a ajouté qu'il assume le rôle de représentant au sein d'un comité sur la diversité au SCC et qu'il vérifie constamment où en est la représentation des membres des groupes de minorités visibles et des employés autochtones au sein du SCC, particulièrement dans les postes de gestion. Il a indiqué qu'il disposait de suffisamment d'éléments de preuve pour savoir qu'aucune des six personnes nommées n'était membre d'un groupe de minorité visible ni n'était autochtone.

65 Le plaignant a affirmé qu'il fait partie des deux catégories d'employés sous-représentés, c'est-à-dire qu'il appartient à un groupe de minorité visible et est de descendance autochtone. Il estime que le SCC aurait pu se servir de ces nominations découlant d'un processus non annoncé pour pallier la sous-resprésentation de ces groupes d'équité en emploi, mais qu'il a décidé de ne pas le faire. Le plaignant aurait été disposé à quitter Windsor pour accepter un de ces postes, mais sa candidature n'a pas été retenue.

66 Selon le plaignant, ces nominations constituent une preuve supplémentaire de discrimination envers les employés des groupes d'équité en emploi.

Autres éléments de preuve concernant la représentation des membres de minorités visibles au sein du SCC

67 Le plaignant a présenté un communiqué de presse daté du 16 juin 2010 de même qu'une liste de recommandations tirées d'un rapport rendu public par le Comité sénatorial permanent des Droits de la personne. Ce rapport, qui n'a pas été déposé en preuve, est intitulé Refléter le nouveau visage du Canada : l'équité en emploi dans la fonction publique.

68 Le plaignant soutient que plusieurs passages du communiqué de presse ainsi que les recommandations appuient son allégation concernant l'existence de discrimination raciale systémique dans les bureaux de la région de l'Ontario du SCC.

69 Le plaignant affirme que la liste de recommandations tirées du rapport du comité sénatorial démontre une sous-représentation des groupes de minorités visibles au sein de la fonction publique, et le SCC fait partie de la fonction publique. Il ajoute que dans son rapport sur les consultations auprès des membres issus de minorités visibles, le commissaire fait référence à la projection de Statistique Canada selon laquelle le nombre de membres de ces groupes au Canada est en hausse. Or, il croit que le SCC utilise encore les données du recensement de 2006 quand vient le temps de faire des comparaisons. Par conséquent, il soutient que si, à la lumière des données de 2006, les membres des groupes de minorités visibles sont sous-représentés au sein du SCC, les données du recensement de 2011 – lorsqu'elles seront disponibles -- laisseront entrevoir une situation encore pire.

70 Le plaignant a en outre présenté un tableau créé à partir d'une base de données du SCC, qu'il a désignée uniquement sous le nom de MRRG, afin de démontrer que 17 % de la population carcérale était ethnoculturelle en août 2011. Ce pourcentage est fondé sur les données découlant de l'auto-identification, et il comprend les personnes qui ont indiqué être noires ou autochtones. Il fait remarquer qu'une hausse a été observée, puisque le rapport du commissaire publié en novembre 2010 faisait état d'un pourcentage de 13 %.

71 Le plaignant affirme que ces renseignements sont pertinents car il a su par des gestionnaires du SCC que le ministère souhaitait que son effectif soit représentatif de la composition ethnoculturelle de la population carcérale. Il admet qu'il s'agit là de ouï-dire, mais il précise que le rapport du commissaire, dont voici un autre extrait, permet de tirer cette conclusion :

Les données démographiques du Canada changent rapidement, et le SCC doit s'adapter aux besoins croissants des délinquants et de ses employés. En conséquence, un nouveau paradigme de changements ethnoculturels doit être établi dans les établissements du SCC. Ainsi, le SCC pourra se positionner comme un leader en matière de recrutement, de maintien en poste et de développement de pratiques professionnelles exemplaires pour les MV.

Le plaignant a-t-il réussi à établir une preuve prima facie de discrimination?

72 Comme l'indique la Cour fédérale aux paragraphes 17 à 22 de la décision Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social), 1998 CanLII 7740 (C.F. 1re inst.), s'il n'y pas de preuve directe de pratiques discriminatoires, il est possible d'en démontrer l'existence par inférence, en ayant recours à des preuves circonstancielles consistant en une série de faits qui, mis ensemble, pourraient la justifier. Au paragraphe 18 de cette même décision, la Cour s'appuie sur l'ouvrage de Beatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada (Toronto : Carswell, 1987) pour préciser qu'un plaignant peut produire des éléments de preuve liés aux pratiques générales en matière de personnel ou à la composition générale de l'effectif de l'employeur afin d'établir que le comportement de ce dernier s'inscrit dans une tendance ou dans une pratique uniformisée de discrimination. Si la preuve en est établie, le tribunal qui instruit l'affaire devra conclure, à partir de ces circonstances générales et des autres éléments de preuve présentés à l'appui, que le plaignant a probablement lui aussi fait l'objet de discrimination.

73 Toutefois, il faut qu'il y ait un lien entre cette preuve et la preuve, tant directe que circonstancielle, de discrimination individuelle à l'égard du plaignant pour que soit établie une preuve prima facie de discrimination (voir la décision Chopra, para. 211). Le Tribunal canadien des droits de la personne indique, au paragraphe 41 de la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., [2005] D.C.D.P. no 13; 2005 TCDP 32, (QL) – confirmée par [2006] A.C.F. no 1005, 2006 CF 785 (QL), que « […] le fait de croire abstraitement qu'une personne fait l'objet de discrimination, sans qu'il existe un certain fait qui le confirme, n'est pas suffisant ».

74 Ces plaintes ont été déposées en vertu de l'article 77(1)a) de la LEFP, qui indique qu'une personne peut présenter une plainte au Tribunal selon laquelle elle n'a pas été nommée ou fait l'objet d'une proposition de nomination en raison d'un abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l'administrateur général dans l'exercice de leurs attributions respectives au titre de l'article 30(2) de la LEFP, dans lequel il est précisé que pour être nommée, une personne doit posséder les qualifications essentielles établies pour le travail à accomplir.

75 Le plaignant a déposé en preuve le rapport du commissaire de 2010, six notifications correspondant à la nomination à l'issue d'un processus non annoncé de six personnes qui à son avis ne sont pas qualifiées, un communiqué de presse faisant état d'une liste de recommandations tirées du rapport du comité sénatorial ainsi qu'un tableau créé à partir d'une base de données du SCC. Il s'agit là, sans exception, de preuves circonstancielles.

76 En ce qui a trait au rapport du commissaire, le Tribunal reconnaît que son contenu soulève des préoccupations concernant la façon dont les membres des groupes de minorités visibles sont traités au sein du SCC. Il ne fait aucun doute que le commissaire a mené ces consultations dans le but de cerner les préoccupations des membres de ces groupes afin que des mesures puissent être prises pour y répondre. Cependant, il est difficile de réellement savoir si les observations contenues dans le rapport du commissaire témoignent d'une reconnaissance de la part du SCC qu'il existe des obstacles systémiques au sein de l'organisation, ou si elles indiquent simplement que les membres des groupes concernés croient que de tels obstacles existent. Le rapport ne contient aucune déclaration claire du SCC indiquant qu'il reconnaît l'existence d'obstacles discriminatoires systémiques au cheminement professionnel des groupes des membres de minorités visibles. Par ailleurs, il importe d'examiner le contenu du rapport en tenant compte du contexte dans lequel les renseignements ont été recueillis. Dans son message figurant au début du rapport, le commissaire précise que le but des consultations était de « […] discuter avec les employés membres de MV [de façon à cerner] les obstacles systémiques les empêchant d'exploiter leur plein potentiel ».

77 Il aurait été utile pour le Tribunal de disposer d'une preuve directe concernant les observations présentées dans le rapport du commissaire. Le Tribunal fait remarquer qu'à la demande du plaignant, il a délivré une assignation visant à faire comparaître le commissaire à l'audience, mais que l'agent de négociation, par l'entremise de la personne représentant le plaignant, a décidé de ne pas demander au commissaire -- ni à personne d'autre ayant participé à la rédaction du rapport du commissaire – de témoigner. Par conséquent, le Tribunal ne dispose que de l'interprétation qu'a donnée le plaignant du contenu du rapport du commissaire. Bien que le Tribunal n'ait aucune raison de remettre en doute la bonne foi du plaignant dans son interprétation du rapport, il lui est impossible de tirer une conclusion de fait concernant la signification du rapport du commissaire sans avoir au préalable entendu le témoignage du commissaire lui-même ou encore d'une personne ayant participé à la rédaction du rapport.

78 Pour ce qui est des six nominations effectuées à l'établissement Warkworth à l'issue d'un processus non annoncé, le plaignant présume que la candidature des six personnes nommées n'a pas été retenue au terme de processus de nomination antérieurs; or, il n'a présenté aucun élément de preuve confirmant la participation de ces personnes aux processus en cause. Même si l'affirmation du plaignant était confirmée, il serait impossible d'en déduire que les personnes ne possédaient pas les qualifications essentielles établies pour le poste au moment où elles ont été nommées.

79 La liste de recommandations tirées du rapport du Sénat se rapporte à la fonction publique dans son ensemble. Le plaignant n'a présenté aucune statistique vérifiable concernant la représentation des groupes de minorités visibles au SCC, que ce soit dans la région de l'Ontario ou au sein du groupe CX.

80 Le plaignant tient pour acquis que les données du recensement de 2011, lorsqu'elles seront disponibles, laisseront entrevoir une situation encore pire concernant la représentation des membres des groupes de minorités visibles au sein du SCC, mais ce ne sont là que de pures suppositions. Il ne sera possible de tirer des conclusions raisonnables que lorsque les données du recensement de 2011 seront rendues publiques et qu'une comparaison pourra être établie avec l'effectif du SCC.

81 La preuve présentée par le plaignant ne permet pas au Tribunal de conclure que le SCC a pour objectif de faire correspondre la représentation de son effectif avec celle de la population carcérale. Les éléments de preuve qu'il a déposés à cet égard sont, de son propre aveu, des ouï-dire et proviennent de sources anonymes. De plus, la partie du rapport du commissaire à laquelle il a renvoyé indique que le SCC doit instaurer des changements ethnoculturels dans ses établissements, mais rien ne laisse entendre que parmi ces changements figure l'établissement d'un équilibre entre la représentation au sein de l'effectif et la population carcérale.

82 Selon le Tribunal, la preuve circonstancielle qu'a présentée le plaignant ne suffit pas à conclure qu'il existe au sein du SCC des obstacles discriminatoires systémiques pour les membres des groupes de minorités visibles. Par ailleurs, même si cette preuve suffisait à démontrer l'existence d'obstacles systémiques au cheminement professionnel de ces employés au SCC, il reste que le plaignant n'a pas établi de lien entre la preuve qu'il a présentée et la preuve relative à la discrimination dont il aurait été victime. En effet, le plaignant n'a déposé aucun élément de preuve permettant d'établir ou de déduire que sa race, sa couleur ou son origine ethnique avait influé sur la conclusion de l'intimé selon laquelle il n'avait pas atteint la note de passage relativement à deux qualifications essentielles. Le plaignant n'a d'ailleurs pas remis en doute la conclusion du comité d'évaluation selon laquelle il ne possédait pas ces deux qualifications essentielles. Aucun des éléments de preuve qu'il a déposés ne se rapporte à des pratiques discriminatoires observées dans le processus de nomination visé par sa plainte.

83 Pour ces motifs, le Tribunal conclut que la plaignant n'a pas établi de preuve prima facie de discrimination. En effet, aucun élément de preuve ne permet de conclure que la race, la couleur ou l'origine ethnique du plaignant a constitué un facteur dans l'élimination de sa candidature du processus de nomination CX-04.

Explication raisonnable sans caractère discriminatoire

84 Bien que la conclusion énoncée ci-haut suffise à statuer sur l'allégation de discrimination formulée à l'égard du processus de nomination visé, le Tribunal précise que l'intimé a également fourni une explication raisonnable sans caractère discriminatoire pour ce qui est de l'élimination de la candidature du plaignant du processus. Selon l'intimé, le plaignant a vu sa candidature éliminée du processus de nomination parce que le comité d'évaluation a déterminé qu'il ne possédait pas deux des qualifications essentielles relatives aux connaissances établies pour le poste. Aux termes de l'article 30(2) de la LEFP, l'intimé ne peut pas nommer une personne à un poste si celle-ci ne possède pas les qualifications essentielles établies pour le travail à accomplir. Le plaignant n'a pas contesté cette question puisqu'il a décidé de ne pas donner suite à ses allégations concernant le mérite.

85 Lorsque le processus de nomination en cause a eu lieu, Angie Legacy occupait le poste de sous-directrice à l'établissement Warkworth; en outre, elle était membre du comité qui a évalué le plaignant. Mme Legacy a expliqué comment le comité avait évalué le plaignant et pourquoi il avait échoué relativement à deux qualifications essentielles. Le plaignant a demandé des précisions à Mme Legacy, mais il n'a pas contesté les conclusions du comité concernant son évaluation.

86 Mme Legacy a déclaré que l'ECM correspondant au processus de nomination précisait que l'appartenance à un groupe désigné de l'équité en emploi constituait un besoin organisationnel pour le SCC. Toutefois, le SCC ne s'est pas vu dans l'obligation d'invoquer les besoins organisationnels de l'EMC puisque tous les candidats retenus ont reçu une offre d'emploi. Elle a précisé que, même si l'intimé avait voulu nommer une personne appartenant à un groupe d'équité en emploi pour combler son besoin organisationnel, il aurait tout de même fallu que cette personne possède les qualifications essentielles. Elle a expliqué que le plaignant ne possédait pas deux des qualifications essentielles, si bien qu'il ne pouvait pas être nommé sans qu'il y ait violation du principe du mérite énoncé à l'article 30 de la LEFP.

87 Adele Anderson a témoigné au nom de l'intimé. Mme Anderson, qui est spécialiste en dotation, a pris part aux six processus de nomination non annoncés. Elle a contredit l'affirmation du plaignant selon laquelle aucune des six personnes nommées n'était membre d'un groupe de minorité visible ni n'était autochtone. Elle a plutôt déclaré que deux des six personnes qui ont été nommées au moyen des processus de nomination non annoncés avaient indiqué être de descendance autochtone. Mme Anderson a présenté les évaluations qui ont été faites de ces deux personnes. Selon les deux documents d'évaluation, les nominations respectent le besoin organisationnel lié à l'appartenance à un groupe désigné de l'équité en emploi. Le plaignant a reconnu, pendant son contre-interrogatoire, qu'il n'avait pas vu les documents concernant les six personnes nommées dans le cadre des processus de nomination non annoncés et qu'il ignorait si certaines d'entre elles avaient indiqué faire partie d'un groupe désigné de l'équité en emploi.

88 Mme Anderson a reconnu que ces deux nominations n'allaient pas permettre d'améliorer la représentation des minorités visibles au sein du SCC, puisque les employés autochtones font partie d'un groupe distinct. Le Tribunal fait remarquer, toutefois, que les allégations de discrimination raciale qu'a formulées le plaignant portaient sur son appartenance à deux des groupes d'équité en emploi, à savoir les minorités visibles et les Autochtones.

89 Le témoignage de Mme Legacy contredit la déclaration du plaignant selon laquelle une seule personne d'un groupe de minorité visible ou de descendance autochtone occupe un poste de groupe et niveau CX-04 à l'établissement Grand Valley, et qu'il n'y en a aucune à Kingston. Selon Mme Legacy, il y a à l'établissement Grand Valley deux personnes membres des groupes d'équité en emploi pertinents qui occupent un poste CX-04, alors qu'il y en a une au Pénitencier de Kingston. Elle a ajouté qu'à la suite du processus de nomination dont il est ici question, une nomination avait été offerte à l'une des personnes occupant un poste CX-04 à l'établissement Grand Valley, mais que celle-ci avait décliné l'offre pour ultérieurement accepter une nomination à un poste CX-04 à l'établissement Grand Valley. Le plaignant a posé quelques questions à Mme Legacy concernant cet élément de preuve, mais les réponses fournies n'ont pas permis de démontrer que ses affirmations étaient incorrectes.

90 L'intimé a déposé un rapport intitulé Profil statistique et analyse de l'effectif du Service correctionnel du Canada – Groupe services correctionnels (CX) 31 mars 2011. Selon ce rapport, la représentation des minorités visibles était de 6,1 % au sein de l'effectif du groupe CX comparativement à un taux de disponibilité de 3,5 % dans la population active. Pour les Autochtones, la représentation au sein du groupe CX était de 9,5 %, pour un taux de disponibilité de 8,5 % dans la population active. Le plaignant a mis en doute les chiffres correspondant à la disponibilité au sein de la population active, arguant qu'ils étaient fondés sur les données périmées du recensement de 2006. Pendant son contre-interrogatoire, il a toutefois admis qu'il ne pouvait contester l'affirmation de l'intimé selon laquelle les données du recensement de 2011, certes plus récentes, ne seraient disponibles qu'en 2012.

91 Selon le Tribunal, l'intimé ne peut être tenu responsable de ne pas avoir utilisé des données statistiques qui n'ont pas encore été publiées. De plus, même si les données du recensement de 2011– lorsqu'elles seront connues – démontrent une augmentation de la disponibilité au sein de la population active, il ne peut être établi à ce moment-ci que la disponibilité dépassera la représentation actuelle des membres des groupes de minorités visibles et des Autochtones au sein de l'effectif du SCC.

92 En ce qui a trait au rapport du commissaire, l'intimé soutient que les observations du commissaire ne peuvent être interprétées comme un aveu de l'existence de pratiques de discrimination raciale. Dans ses observations, le commissaire reconnaît plutôt les préoccupations des employés et s'engage à y répondre. L'intimé cite plusieurs passages du rapport indiquant, notamment, que le SCC ne cesse d'améliorer la représentation des quatre groupes désignés de l'équité en emploi, et que le rapport est fondé sur une recherche qualitative plutôt que sur une analyse statistique et qu'il rend compte du point de vue et de l'expérience des personnes issues de minorités visibles travaillant au SCC. L'intimé souligne que les gestionnaires n'ont pas eu l'occasion d'exprimer leur point de vue et leur opinion de sorte que le rapport du commissaire n'est pas totalement objectif. Somme toute, l'intimé estime que le rapport du commissaire a peu de force probante, qu'il n'est pas fiable et qu'il ne faut lui accorder que peu d'importance en tant qu'élément de preuve.

Conclusion

93 Le plaignant est d'avis que des obstacles systémiques et discriminatoires à l'emploi existent à la fonction publique et que c'est pour cette raison qu'il n'a pas été nommé au terme du processus de nomination en cause. Or, comme il a été indiqué ci-haut, c'est au plaignant qu'incombe le fardeau de la preuve dans une affaire instruite par le Tribunal. En effet, l'intimé n'a pour sa part pas à prouver qu'il n'a pas abusé de son pouvoir lorsqu'il a procédé à la nomination de personnes qui ne sont pas membres d'un groupe désigné de l'équité en emploi.

94 Le Tribunal juge que le plaignant ne s'est pas acquitté du fardeau de la preuve qui lui incombait. L'intimé a expliqué de façon raisonnable et non discriminatoire pourquoi il n'avait pas nommé le plaignant. À la lumière de la preuve, le Tribunal conclut que ce n'est pas en raison de sa race, de sa couleur ou de son origine ethnique que le plaignant n'a pas été nommé au terme du processus de nomination visé, mais que c'est plutôt parce qu'il ne possédait pas deux des qualifications essentielles liées aux connaissances.

Question II :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu'il a procédé à l'entrevue du plaignant par vidéoconférence?

95 Le plaignant s'est dit préoccupé par le fait que son entrevue avait été réalisée par vidéoconférence. Mme Legacy a reconnu que cette méthode avait été utilisée pour l'entrevue du plaignant. Elle a ajouté que le comité d'évaluation avait mené les entrevues à partir de l'établissement Warkworth, qui est situé près de Campbellford, en Ontario. Le plaignant se trouvait pour sa part à Windsor, en Ontario. Mme Legacy a expliqué que le SCC utilisait régulièrement la vidéoconférence pour les réunions et les entrevues, de façon à réduire les coûts de déplacement. Elle a ajouté que le personnel de ressources humaines du SCC approuve le recours à la vidéoconférence pour la tenue des entrevues.

96 Selon Mme Legacy, le comité et le plaignant n'ont éprouvé aucune difficulté à communiquer pendant l'entrevue. Elle ne se souvient pas d'avoir entendu le plaignant exprimer quelque préoccupation que ce soit au sujet de la méthode d'entrevue avant, pendant ni après l'entrevue. C'est pendant son témoignage à l'audience, plus précisément lorsque le plaignant lui a posé des questions à ce sujet au cours de son contre-interrogatoire, qu'elle a appris que la méthode d'entrevue avait posé problème au plaignant. Mme Legacy a reconnu que le plaignant était le seul candidat dont l'entrevue avait été réalisée au moyen de la vidéoconférence. Elle ignorait si d'autres méthodes d'entrevues avaient été proposées à ce dernier.

97 Dans son argumentation finale, le plaignant a indiqué qu'il avait demandé à se rendre à Kingston pour son entrevue, mais que seule la possibilité de faire l'entrevue par vidéoconférence lui avait été offerte. Il a déclaré que les entrevues étaient difficiles et qu'il n'était pas nécessaire d'avoir en plus à se familiariser avec une méthode relativement nouvelle, à savoir la vidéoconférence. Il a ajouté qu'il connaissait peu le matériel utilisé à cette fin et qu'il n'était pas à l'aise avec le fait de se livrer à une entrevue de cette façon.

98 Le plaignant n'a présenté aucun élément de preuve démontrant qu'il avait demandé à ce que son entrevue ait lieu à Kingston plutôt que par vidéoconférence. Mme Legacy a déclaré que le plaignant n'avait exprimé aucune préoccupation concernant le recours à la vidéoconférence avant, pendant ni après l'entrevue. Elle a ajouté que le comité d'évaluation avait réalisé les entrevues à partir de l'établissement Warkworth, qui est situé à une certaine distance de Kingston. Si l'entrevue avait été réalisée en personne à Kingston, il en aurait résulté des coûts de déplacement pour tous les participants à l'entrevue; le recours à la vidéoconférence visait justement à réduire ou à éviter ces coûts.

99 Aux termes de l'article 36 de la LEFP, l'administrateur général peut utiliser toute méthode d'évaluation qu'il estime indiquée. En l'espèce, l'intimé a choisi de soumettre le candidat à une entrevue, et il a choisi de procéder par vidéoconférence. Le Tribunal estime que les entrevues peuvent être réalisées de différentes façons, notamment en personne, par téléconférence ou par vidéoconférence.

100 Le plaignant n'a pas démontré de quelle façon la décision de procéder à l'entrevue par vidéoconférence avait donné lieu à un résultat injuste. L'intimé a expliqué que le SCC avait régulièrement recours à la vidéoconférence pour les réunions et les entrevues, de façon à réduire les coûts de déplacement. Le plaignant n'a pas contesté cette déclaration, pas plus qu'il n'a fourni d'éléments de preuve démontrant qu'il avait tenté d'obtenir de l'aide avec le matériel ou informé le comité d'évaluation qu'il n'était pas à l'aise avec cette façon de faire. Rien ne prouve que le plaignant ait fait part de ses préoccupations au sujet de la vidéoconférence à l'intimé à quelque moment que ce soit avant l'audience. Par conséquent, le plaignant n'a pas démontré que l'intimé avait abusé de son pouvoir en procédant à l'entrevue par vidéoconférence.

Décision


101 Pour tous les motifs susmentionnés, les plaintes sont rejetées.


Kenneth J. Gibson
Membre

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2009­-0446/0475/0476
Intitulé de la cause :
Jeffrey Brown et le Commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
6‑ 8 décembre 2011
Kingston (Ontario)
Date des motifs :
Le 5 juillet 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Ken Boone
Pour l'intimé :
Allison Sephton
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
(observations écrites)
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