Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Les plaignants soutiennent que l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation du mérite en ce qui concerne une nomination intérimaire. L’intimé affirme que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire les plaintes, car la nomination était d’une durée de moins de quatre mois. Les plaignants avancent que conformément à la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, le Tribunal est lié par une décision préliminaire dans laquelle il avait affirmé ne pas être convaincu que la nomination intérimaire était d’une durée de moins de quatre mois. Décision Le Tribunal a conclu que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’applique pas en l’espèce, étant donné que la décision préliminaire n’était pas une décision finale qui tranchait une fois pour toutes la question en litige. Par ailleurs, des circonstances particulières justifient le fait que le Tribunal a refusé d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Le Tribunal conclut que les témoignages et les éléments de preuve documentaire produits à l’audience démontrent que la nomination était d’une durée de quatre mois moins un jour. Par conséquent, le Tribunal n’a pas compétence pour statuer sur les plaintes. Compte tenu de cette constatation, toutes les allégations des plaignants se rapportant à l’application du mérite ne sont pas fondées, car le mérite ne s’applique pas à cette nomination intérimaire. Les plaintes sont rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossier :
2010-0243, 0244, 0245, 0246 et 0255
Décision
rendue à :

Ottawa, le 27 juillet 2012

CRAIG IWATA, MIKA KOMORI, JEANNIE SURIC, DALE GOODMAN ET BEV LEFKO
Plaignants
ET
LE SOUS-MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Iwata c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0019

Motifs de décision


Introduction


1 Les plaignants, Craig Iwata, Mika Komori, Jeannie Suric, Dale Goodman et Bev Lefko, soutiennent que l'intimé, le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), a abusé de son pouvoir en optant pour un processus de nomination non annoncé afin de doter à titre intérimaire un poste de conseiller de programme au groupe et au niveau PM-05. En outre, ils affirment que l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'application du mérite en s'appuyant sur des renseignements incomplets pour procéder à la nomination d'Anik Godin au poste en question et en faisant preuve de favoritisme à l'endroit de cette dernière. Ils sont également d'avis que les pouvoirs n'ont pas été délégués de façon appropriée dans le cadre de ce processus.

2 L'intimé soutient que le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) n'a pas compétence pour instruire les plaintes étant donné qu'elles visent une nomination intérimaire d'une durée de moins de quatre mois, et que l'article 14(1) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (REFP), exclut ce type de nomination de l'application de l'article  77 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (LEFP), lequel accorde les droits de recours en ce qui a trait aux nominations. Par ailleurs, l'intimé nie avoir fait preuve de favoritisme envers la personne nommée ou avoir délégué ses pouvoirs de façon inappropriée.

3 Les plaignants avancent que le Tribunal a déjà tranché la question de la compétence dans une décision-lettre envoyée avant l'audience. Le Tribunal a déterminé que les plaignants pouvaient présenter leurs plaintes. Ainsi, selon eux, le Tribunal ne peut plus se pencher sur cette question.

4 La Commission de la fonction publique (CFP) n'était pas représentée à l'audience, mais elle a présenté des observations écrites dans lesquelles elle décrit les lignes directrices et les guides qui s'appliquent au processus de nomination en l'espèce. Par exemple, ses Lignes directrices en matière d'évaluation indiquent que les méthodes et les outils d'évaluation doivent permettre d'évaluer avec exactitude les qualifications des candidats. En ce qui a trait au choix du processus de nomination, la CFP a indiqué que ses Lignes directrices en matière de choix du processus de nomination exigent que le choix du processus se fasse de manière conforme aux valeurs de dotation énoncées dans les Lignes directrices en matière de nomination de la CFP ainsi qu'au plan de ressources humaines de l'organisation. La CFP ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé des plaintes.

5 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal a déterminé qu'il pouvait trancher la question de la durée de la nomination intérimaire, car il n'avait pas rendu de décision finale à ce sujet. Le Tribunal a conclu que la durée de la nomination intérimaire était de moins de quatre mois, et qu'il n'avait donc pas compétence pour instruire les plaintes.

Contexte


6 Mme Godin occupait le poste d'agente de subrogation au groupe et au niveau AS-02 dans la région de l'Atlantique lorsque l'intimé l'a nommée à titre intérimaire au poste de conseillère de programme (PM-05) au sein du Service fédéral d'indemnisation des accidentés du travail (SFIAT).

7 Les plaignants sont également agents de subrogation au groupe et au niveau AS-02. La principale fonction de ces agents consiste à traiter les demandes d'indemnisation pour accidents de travail présentées par des fonctionnaires fédéraux. Ces derniers ne sont pas couverts par les lois provinciales sur l'indemnisation des accidentés du travail, mais plutôt par la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État L.R.C., 1985, ch. G-5 (LIAE).

8 Au cours de la période du 30 avril au 5 mai 2010, les plaignants ont chacun présenté une plainte d'abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et b) de la LEFP au sujet de la nomination de Mme Godin.

9 Les plaintes ont été jointes en l'espèce, conformément à l'article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique, DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116.

Questions en litige


10 Le Tribunal doit examiner les questions suivantes :

  1. La compétence du Tribunal pour instruire les plaintes;
  2. Les allégations des plaignants concernant le mérite et le choix du processus.

Analyse


11 L'article 77(1)a) de la LEFP prévoit qu'une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou elle n'a pas fait l'objet d'une proposition de nomination au motif que la CFP ou l'administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. La LEFP ne définit pas ce qu'est un abus de pouvoir; toutefois, l'article 2(4) de la LEFP prévoit qu'il : « est entendu que, pour l'application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

12 Comme l'établit la jurisprudence du Tribunal, cette formulation inclusive indique que l'abus de pouvoir comprend notamment la mauvaise foi et le favoritisme personnel. Au paragraphe 64 de la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 CAF 19, la Cour d'appel fédérale a établi que l'abus de pouvoir peut également être causé par une erreur. Il ressort clairement du préambule de la LEFP et de la LEFP dans son ensemble qu'il faut plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir. Le fait qu'une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend donc de la nature et de la gravité de l'erreur. L'abus de pouvoir comprend aussi les omissions et la conduite irrégulière. La mesure dans laquelle la conduite est irrégulière et l'ampleur de l'omission peuvent déterminer si elles constituent un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

Question I :  La compétence du Tribunal pour instruire les plaintes

13 L'article 14(1) du REFP exclut les nominations intérimaires de moins de quatre mois de l'application de l'article 77 de la LEFP, lequel confère un droit de recours aux personnes qui n'ont pas été nommées. Par conséquent, si la nomination intérimaire en l'espèce était d'une durée de moins de quatre mois, le Tribunal n'a pas compétence pour instruire les plaintes. L'intimé affirme que la nomination de Mme Godin était bien d'une durée de moins de quatre mois. Les plaignants avancent pour leur part que le Tribunal avait déjà tranché la question de la compétence dans une décision-lettre antérieure et qu'il doit donc instruire directement les plaintes.

i) La doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée empêche-t-elle le Tribunal de trancher la question de savoir si la nomination intérimaire était d'une durée de moins de quatre mois?

14 Le 10 mai 2010, l'intimé a présenté une requête visant à faire rejeter les plaintes au motif qu'elles se rapportaient à une nomination intérimaire d'une durée de moins de quatre mois.

15 Le 19 mai 2010, le Tribunal a envoyé une décision-lettre dans laquelle il indiquait que l'intimé ne l'avait pas convaincu qu'au moment où elle avait été annoncée, la nomination intérimaire devait être d'une durée de moins de quatre mois. Le Tribunal a affirmé que la preuve produite par les plaignants en réponse à cette requête étayait leur affirmation selon laquelle la nomination intérimaire était d'une durée de quatre mois. La preuve en question consistait en un courriel que l'intimé avait envoyé à ses gestionnaires le 28 avril 2010 dans lequel il était indiqué que la nomination intérimaire contestée était d'une durée de « quatre mois » [traduction]. Le Tribunal avait donc affirmé que « par conséquent, les plaignants pouvaient présenter des plaintes en vertu de l'article 77 de la LEFP » [traduction].

16 Dans sa réponse aux allégations des plaignants qu'il a présentée au Tribunal le 21 juin 2010, l'intimé a réitéré son affirmation selon laquelle la nomination intérimaire était de moins de quatre mois. Il a fait valoir qu'en raison d'une erreur administrative, la durée de la nomination précisée dans le courriel était erronée, mais que d'autres éléments de preuve permettraient de démontrer que la nomination était bel et bien d'une durée de moins de quatre mois.

17 Le 2 novembre 2010, M. Goodman a présenté une requête visant à faire radier de la réponse de l'intimé aux allégations des plaignants toutes les références à la durée de la nomination intérimaire. Il a affirmé que ces parties de la réponse permettraient à l'intimé de rouvrir la question de la durée de la nomination intérimaire, laquelle avait déjà été tranchée par le Tribunal dans la décision-lettre mentionnée précédemment. M. Goodman a invoqué la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée qui, selon lui, empêche le Tribunal de se pencher de nouveau sur la question. Il a fait valoir que les critères relatifs à l'application de cette doctrine énoncés par la Cour suprême dans l'affaire Danyluk c. Ainsworth Technologies inc., 2001 CSC 44, ont été remplis, dans la mesure où la décision du Tribunal portait sur la même question, concernait les mêmes parties, et était finale. En outre, il a indiqué qu'en l'espèce, aucune circonstance particulière ne justifie que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser d'appliquer la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée.

18 Quand il a répondu le 10 novembre 2010 à la requête des plaignants visant à faire radier des éléments de sa réponse, l'intimé a fait référence à des documents qui n'avaient pas été présentés avant que le Tribunal envoie sa décision-lettre et qui indiquent que la nomination intérimaire était réellement d'une durée de moins de quatre mois. Toutefois, dans leur réponse à l'intimé, MM. Goodman et Iwata ont remis en question l'exactitude de ces documents.

19 Le 3 décembre 2010, le Tribunal a informé les parties qu'il se pencherait à l'audience sur la question de savoir s'il pouvait examiner la durée de la nomination intérimaire et déterminer s'il a compétence pour instruire les plaintes. Le Tribunal a également expliqué la situation aux parties à l'occasion d'une téléconférence préparatoire tenue le 11 mars 2011.

20 Le Tribunal a appliqué les critères de la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée à la situation en l'espèce. Il est convaincu que les parties sont les mêmes et que la décision-lettre traite de la même question, c'est-à-dire celle de savoir si la nomination intérimaire était d'une durée de moins de quatre mois. Or, il n'est pas persuadé que la décision antérieure était finale, ce qui est nécessaire pour que la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée s'applique. La décision-lettre était une décision interlocutoire concernant la requête préliminaire de l'intimé visant à faire rejeter les plaintes, ce dernier ayant affirmé que le Tribunal n'avait manifestement pas compétence pour instruire les plaintes. Le Tribunal avait conclu que compte tenu du courriel présenté par les plaignants dans leur réponse à la requête, la preuve ne démontrait pas clairement que la nomination intérimaire était de moins de quatre mois. Par conséquent, le Tribunal avait établi que les plaignants pouvaient présenter leurs plaintes et de voir celles-ci faire l'objet d'une audience. Le Tribunal avait donc rendu une décision préliminaire selon laquelle il n'avait pas été clairement démontré qu'il n'avait pas compétence pour instruire les plaintes. Cette décision préliminaire n'était toutefois pas une décision finale qui tranchait, une fois pour toutes, la question en litige. Voir Donald J. Lange, The Doctrine of Res Judicata in Canada, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 2004) à la page 86.

21 Ainsi, le Tribunal conclut que la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée ne s'applique pas en l'espèce, et que l'intimé a le droit de soulever la question de la durée de la nomination intérimaire à l'audience.

22 Par ailleurs, même si la décision antérieure avait été finale, le Tribunal estime que des circonstances particulières justifient le refus d'appliquer la préclusion découlant d'une question déjà tranchée dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Voir la décision Danyluk, paras. 62 à 81. Après que le Tribunal a rendu sa décision préliminaire, des documents concernant la durée de la nomination intérimaire ont été présentés, quoique les parties ne s'entendent pas quant à leur exactitude. Étant donné que le Tribunal ne peut s'arroger une compétence que sa loi habilitante, la LEFP, ne lui accorde pas, il est essentiel qu'il en arrive à une conclusion quant à la durée de la nomination en se fondant sur tous les éléments de preuve. Dans ces circonstances, il fallait tenir une audience pour trancher cette question.

23 Par ailleurs, dans sa requête, M. Goodman a soutenu qu'il s'agirait d'un abus de procédure si l'intimé soulevait de nouveau une question qui avait déjà été tranchée, même si les critères stricts relatifs à l'application de la doctrine de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée n'étaient pas remplis. Voir la décision Lavigne c. le sous-ministre de la Justice, 2010 TDFP 0007, para. 28. Le Tribunal n'est pas convaincu que le fait d'examiner plus en détail une question qui avait seulement fait l'objet d'une décision préliminaire par suite d'une requête interlocutoire créerait une injustice constituant un abus de procédure. Au contraire, le risque d'abus serait d'autant plus grand si le Tribunal s'arrogeait une compétence que sa loi habilitante ne lui accorde pas.

24 Par conséquent, le Tribunal conclut qu'il peut examiner la question de la durée de la nomination intérimaire afin de déterminer s'il a compétence pour instruire les plaintes.

ii) La nomination intérimaire était-elle d'une durée de quatre mois ou plus?

25 Les plaignants sont d'avis que la nomination était d'une durée d'au moins quatre mois, tandis que l'intimé soutient qu'elle était d'une durée de quatre mois moins un jour.

26 Dans la décision Parsons et Carey c. Administrateur général de Service Canada, 2006 TDFP 0004, le Tribunal a défini un « mois » comme une période qui commence et qui finit à la même date :

8 En me fondant sur la preuve présentée par l'intimé à cet égard, sans aucune preuve contraire présentée par les plaignantes, je conclus que quatre nominations intérimaires ont été effectuées pour la période du 1er mai 2006 au 31 août 2006. La question que je dois trancher consiste à déterminer si la période en l'espèce est de « moins de quatre mois ».

9 Le terme « mois » n'est défini ni dans la LEFP, ni dans le REFP. Toutefois, l'article 35 de la Loi d'interprétation, L.R., 1985, ch. I-21 (Loi concernant l'interprétation des lois et des règlements), définit le terme « mois » comme suit :

« “mois” Mois de l'année civile ».

Le Dictionary of Canadian Law, 3e éd., p. 151, définit un mois de l'année civile comme suit :

« Par “mois de l'année civile”, on peut entendre un mois en tant que tel ou la période commençant un certain jour d'un mois jusqu'au même jour du mois suivant ». [traduction]

Le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd., p. 1004, définit un mois de l'année civile comme étant

« une période de temps entre les mêmes dates de mois consécutifs de l'année civile ». [traduction]

10 En appliquant ces définitions aux nominations intérimaires en question, j'estime qu'une nomination intérimaire de quatre mois qui aurait commencé le 1er mai 2006 aurait pris fin le 1er septembre 2006. Par conséquent, les nominations de […] pour la période du 1er mai 2006 au 31 août 2006 constituent des nominations intérimaires de moins de quatre mois.

27 À la lumière des éléments de preuve testimoniale et documentaire présentés relativement aux plaintes, le Tribunal conclut que la nomination intérimaire était d'une durée de quatre mois moins un jour.

28 William Worona est le directeur du SFIAT. Il a déclaré que le 23 mars 2010, afin de lancer la mesure de dotation, il avait signé le formulaire « Demande de services en ressources humaines » puisque les pouvoirs de nomination lui avaient été délégués. Il a fait remarquer que le formulaire indiquait clairement que la nomination intérimaire de Mme Godin durerait du 26 avril au 25 août 2010, ce qui constitue une période de quatre mois moins un jour. M. Worona a ajouté que Mme Godin avait travaillé pendant quatre mois moins un jour, puis était retournée à son poste d'attache après la nomination intérimaire. M. Worona a affirmé qu'il avait opté pour une si courte période en raison de contraintes budgétaires.

29 Au moment où le processus de nomination a été lancé, Denise Crégheur occupait par intérim le poste de gestionnaire des opérations, SFIAT, Programme du travail. Elle relevait de M. Worona et travaillait à l'administration centrale de l'intimé à Gatineau. Elle a également signé le formulaire « Demande de services en ressources humaines » le 23 mars 2010, étant donné que le titulaire du poste de conseiller de programme au groupe et au niveau PM-05 relevait d'elle. Elle a corroboré le témoignage de M. Worona selon lequel Mme Godin avait travaillé pendant quatre mois moins un jour, puis était retournée à son poste d'attache.

30 Le 25 mars 2010, M. Worona a envoyé un courriel aux autres gestionnaires et à ses supérieurs au sujet des activités de dotation proposées pour l'année à venir. Dans ce courriel, il annonçait qu'il doterait un poste de conseiller de programme (PM-05) pour une période de quatre mois moins un jour, et que la personne nommée serait chargée d'établir une liste principale des clients au Nouveau-Brunswick, de fournir des services de subrogation et de former des agents.

31 De plus, le formulaire « Nomination/mutation d'un employé (ST306) »indique également que Mme Godin a été « détachée » [traduction] [le terme approprié est « nommée »] au poste visé pour la période du 26 avril au 25 août 2010. Cette mesure de dotation a été autorisée le 10 mai 2010.

32 Les documents susmentionnés montrent donc clairement que la nomination intérimaire était d'une durée de quatre mois moins un jour.

33 L'affirmation des plaignants selon laquelle la nomination intérimaire était d'une durée de quatre mois ou plus se fonde sur un courriel que Nathalie Larose, agente administrative au SFIAT, a envoyé le 28 avril 2010 au nom de M. Worona à plusieurs gestionnaires de bureau afin de les informer que Mme Godin avait accepté une « affectation » [traduction] [le terme approprié est « nomination »] au poste visé « pour une période de quatre mois à partir du 26 avril 2010 » [traduction].

34 Mme Crégheur a déclaré qu'elle avait rédigé le courriel et l'avait transmis à Mme Larose pour qu'elle l'envoie aux gestionnaires au nom de M. Worona. Le courriel visait à préparer les gestionnaires en vue de la téléconférence que M. Worona a tenue avec eux plus tard le même jour. Il ne s'agissait pas d'un avis de dotation aux termes de la LEFP. Selon Mme Crégheur, la référence à une nomination de quatre mois était simplement une erreur.

35 Le Tribunal n'est pas convaincu qu'il faut accorder davantage de poids à ce seul courriel qu'aux documents plus officiels mentionnés plus haut, particulièrement le formulaire « Demande de services en ressources humaines », lequel indiquait clairement que la nomination intérimaire était d'une durée de quatre mois moins un jour. Le Tribunal accepte l'argument de l'intimé selon lequel la référence à une « affectation » intérimaire « d'une durée de quatre mois » était une erreur. Cette erreur a été corrigée le 5 mai 2010 dans un autre courriel que Mme Larose a envoyé aux gestionnaires au nom de M. Worona afin de « clarifier » [traduction] que « l'affectation » de Mme Godin était d'une durée de « quatre mois moins un jour ».

36 L'affirmation des plaignants selon laquelle la nomination intérimaire était d'une durée de quatre mois ou plus se fondait également sur le fait que le formulaire « Demande de services en ressources humaines » comprend une section pour les nominations intérimaires de moins de quatre mois et une section pour les nominations intérimaires de quatre mois ou plus. Mme Crégheur a coché la case « Première » (ce qui signifie qu'il s'agissait d'une nomination initiale plutôt que d'une prolongation) dans la partie du formulaire correspondant aux nominations de quatre mois ou plus.

37 Le Tribunal ne souscrit pas à l'interprétation que les plaignants ont faite du document. Il ressort clairement, après un examen du formulaire dans son intégralité, que le fait que cette case a été cochée ne constitue qu'une simple erreur. Dans le même formulaire se trouve une section appelée « Intérimaire de moins de quatre mois (raison) ». Mme Crégheur a indiqué la raison de la nomination dans cette partie du formulaire. Elle a aussi indiqué que la nomination intérimaire débuterait le 26 avril 2010 et se terminerait le 25 août 2010. Le Tribunal juge qu'en insérant ces éléments dans cette section du formulaire, Mme Crégheur a signalé clairement que la nomination intérimaire était d'une durée de moins de quatre mois.

38 Par ailleurs, les plaignants soulignent que sur le même formulaire, l'intimé a coché, à tort, la case « Affichage interne », alors que le processus utilisé était un processus non annoncé. Or, le Tribunal note que cet élément ne se rapporte pas à la durée de la nomination intérimaire. De plus, Mme Crégheur a expliqué que le fait que cette case était cochée signifiait simplement que la mesure de dotation allait être publiée dans un système électronique interne. La case n'a aucun lien avec le type de processus de nomination utilisé. En outre, le formulaire contient des cases servant à indiquer si le processus était annoncé ou non annoncé, et ni l'une ni l'autre n'était cochée.

39 Les plaignants affirment également que l'intimé avait l'intention d'effectuer une nomination de plus de quatre mois étant donné qu'il savait ou qu'il aurait dû savoir que Christine Sakiris, la titulaire du poste auquel Mme Godin a été nommée, occupait à titre intérimaire un poste d'analyste des politiques au sein du Projet de gestion de l'incapacité et ne reviendrait pas à son poste d'attache dans les quatre mois suivants. De plus, en mai 2010, Mme Sakiris a annoncé son détachement à Santé Canada pour une période d'un an. Les plaignants ont renvoyé le Tribunal aux Procédures relatives aux nominations intérimaires de l'intimé, lesquelles indiquent que s'il est attendu qu'une nomination intérimaire durera plus de quatre mois, celle-ci doit être traitée en conséquence dès le départ.

40 Aucun élément de preuve n'indique qu'au moment où il a nommé Mme Godin au poste de conseillère de programme par intérim, l'intimé savait que Mme Sakiris ne réintégrerait pas son poste d'attache après sa nomination intérimaire au poste d'analyste des politiques. La nomination intérimaire de Mme Sakiris à l'autre poste devait prendre fin le 31 mars 2010, comme l'indiquait l'Avis de nomination intérimaire, mais elle a été prolongée. Mme Crégheur a déclaré qu'elle ne savait pas combien de temps durerait la prolongation et qu'elle ignorait que Mme Sakiris planifiait un détachement à Santé Canada. En outre, Mme Godin a été nommée principalement pour travailler à un projet spécial, soit l'élaboration d'une liste principale des clients, non pas pour remplacer Mme Sakiris en tant qu'agente de subrogation. L'intimé a simplement utilisé le poste de Mme Sakiris pour ce projet. Ce poste était toujours vacant au moment de l'audience.

41 Par conséquent, le Tribunal conclut que la nomination intérimaire de Mme Godin était d'une durée de quatre mois moins un jour, conformément aux intentions de l'intimé. Le Tribunal n'a donc pas compétence pour instruire ces plaintes, étant donné que l'article 14(1) du REFP exclut expressément les nominations intérimaires de moins de quatre mois de l'application de l'article 77 de la LEFP, lequel prévoit le droit de présenter une plainte au Tribunal.

Question II :  Les allégations des plaignants concernant le mérite et le choix du processus

42 Étant donné que le Tribunal n'a pas compétence pour examiner la nomination intérimaire de Mme Godin, la seule conclusion énoncée plus haut est suffisante pour statuer sur les plaintes.

43 Compte tenu de cette conclusion, toutes les allégations se rapportant à l'application du mérite ne sont pas fondées, étant donné qu'elles reposent sur la fausse hypothèse selon laquelle le mérite s'applique à la nomination intérimaire de Mme Godin. Toutefois, l'article 14(1) du REFP prévoit expressément que les nominations intérimaires de moins de quatre mois sont exclues de l'application du mérite.

44 Par exemple, les plaignants soutiennent que l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'application du mérite en se fiant à des renseignements insuffisants pour effectuer la nomination. Ils affirment que l'intimé n'a pas établi les critères de mérite de façon appropriée, car il n'a pas effectué de distinction entre les qualifications essentielles et les qualifications constituant un atout. Dans son témoignage, Mme Crégheur a déclaré que l'intimé n'avait pas établi de critères de mérite, car la nomination était d'une durée de moins de quatre mois.

45 Les plaignants sont également d'avis que les méthodes d'évaluation utilisées par l'intimé n'étaient pas appropriées. Cette allégation se fonde sur le témoignage de Mme Crégheur selon lequel elle n'a pas examiné les curriculum vitæ ni mené d'entrevues ou de vérification des références.

46 Or, comme il a été mentionné plus haut, l'article 14(1) du REFP indique que le mérite ne s'applique pas aux nominations intérimaires de moins de quatre mois. Par conséquent, l'intimé n'était pas tenu d'établir un énoncé des critères de mérite ni d'évaluer les qualifications de Mme Godin pour se conformer aux lignes directrices de la CFP concernant le mérite.

47 Par ailleurs, les plaignants avancent que l'intimé a établi la définition des tâches liées au poste de manière à favoriser Mme Godin, particulièrement en ce qui a trait à la création d'une liste principale des clients visant à indiquer quelles organisations, personnes ou catégories de personnes au Nouveau-Brunswick sont couvertes par la LIAE. L'intimé a considéré l'expérience dans le domaine juridique comme un atout pour réaliser cette tâche. Les plaignants affirment que cette tâche a été attribuée au poste afin de favoriser la nomination de Mme Godin, qui possède de l'expérience dans le domaine juridique. Pour étayer davantage leur affirmation, les plaignants avancent que la tâche n'était même pas nécessaire, car une telle liste de clients existait déjà.

48 Selon l'article 2(4) de la LEFP, toute référence à l'abus de pouvoir dans la Loi comprend le favoritisme personnel. En l'espèce, les plaignants ont affirmé qu'il y avait eu abus de pouvoir dans l'application du mérite. Toutefois, comme il est indiqué plus haut, le mérite ne s'applique pas aux nominations intérimaires de moins de quatre mois. Donc, même s'il y avait une preuve de favoritisme personnel en l'espèce, les plaintes ne seraient pas fondées étant donné que le Tribunal n'a pas compétence pour examiner les nominations intérimaires de moins de quatre mois.

49 Par ailleurs, les plaignants n'ont pas démontré qu'il y avait eu favoritisme personnel à l'endroit de Mme Godin. Mme Crégheur a déclaré que la principale tâche confiée à Mme Godin consistait à créer la liste principale des clients. Cette liste a été préparée dans le cadre du protocole d'entente conclu par l'intimé et la Commission de la santé, de la sécurité et de l'indemnisation des accidents au travail du Nouveau-Brunswick (CSSIAT), dans le but d'aider la Commission à déterminer quels employés sont couverts par la LIAE.

50 Deborah Silvester est gestionnaire régionale, Programmes du travail, Région du Pacifique Nord-Ouest. Elle est d'avis qu'il n'était pas nécessaire de créer une telle liste, étant donné qu'elle existait déjà. Dans chacune des régions, les listes sont dressées par des commis au groupe et au niveau CR-04.

51 Nikolina Milkovic est administratrice des demandes au groupe et au niveau CR-04 et relève de Mme Silvester. Elle a déclaré mettre à jour la liste pour sa région au moyen de renseignements tirés de la base de données du Système national d'indemnisation des accidentés (SNIA). Mme Milkovic a ajouté qu'elle ne possédait pas de compétences dans le domaine juridique et qu'elle n'avait pas à effectuer de recherches juridiques pour dresser la liste.

52 Aucun élément de preuve n'étaye l'affirmation selon laquelle l'intimé a ajouté la tâche qui consistait à créer la liste principale des clients de la LIAE afin de favoriser Mme Godin. Mme Crégheur a expliqué que la préparation de la liste principale des clients de la LIAE et l'utilisation de la base de données du SNIA sont deux tâches distinctes. Mme Godin a tiré des renseignements du SNIA pour créer la liste principale, mais celle-ci contient beaucoup plus de renseignements. Par exemple, la liste principale des clients précise si un employé est couvert par la LIAE, alors que ce n'est pas le cas de la base de données du SNIA. La préparation de la liste principale des clients de la LIAE comprenait des tâches plus complexes que la simple collecte de données tirées du SNIA. Le fait qu'un employé soit couvert ou non par la LIAE dépend de la méthode par laquelle il a été embauché. Le titulaire du poste devait donc examiner et interpréter la loi ou le décret qui a créé l'organisation afin de déterminer si une personne ou une catégorie de personnes était couverte par la LIAE. Il devait également examiner les lois régissant les relations de travail et la dotation. Il était donc utile de posséder de l'expérience dans le domaine juridique pour créer cette liste, étant donné qu'une personne ayant une telle expérience est susceptible d'avoir plus de facilité à analyser la législation pertinente.

53 Le Tribunal fait remarquer qu'il était logique de confier cette tâche à Mme Godin étant donné qu'elle travaillait dans la région de l'Atlantique. Cette liste était destinée à la CSSIAT, et Mme Godin communiquait régulièrement avec cette organisation dans le cadre des tâches associées à son poste d'attache. La preuve ne montre donc pas que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de Mme Godin.

54 Les plaignants ont affirmé que l'intimé n'avait pas respecté sa propre Politique sur les nominations intérimaires. En l'espèce, le Tribunal n'a pas compétence pour instruire la plainte, mais il constate tout de même que les éléments de preuve montrent qu'il n'y a eu aucun manquement à la politique. Celle-ci prévoit trois situations dans lesquelles une nomination intérimaire représente une mesure de dotation efficace : pour combler des besoins opérationnels à court terme; pour veiller à la poursuite des activités en attendant l'issue d'un processus de nomination visant à doter un poste vacant; pour assurer la continuité des services quand le titulaire du poste est absent temporairement. Les plaignants ont souligné que les éléments de preuve concernant la raison pour laquelle la nomination a été effectuée sont contradictoires. M. Worona a déclaré que la nomination intérimaire visait à combler un besoin opérationnel à court terme, tandis que le formulaire « Demande de services en ressources humaines » indique que celle-ci visait à remplacer la titulaire du poste, qui était en affectation à un autre poste et qui était donc temporairement absente.

55 Le Tribunal fait toutefois remarquer que les deux explications respectent la Politique sur les nominations intérimaires. En définitive, la nomination de Mme Godin visait à combler des besoins opérationnels temporaires et à remplacer une personne temporairement absente en raison d'une affectation à un autre poste. Dans son courriel daté du 25 mars 2010, M. Worona a déclaré que le poste de conseiller de programme serait doté dans le cadre d'un projet spécial, c'est-à-dire la création d'une liste principale des clients. Dans ce même courriel, il a précisé que la personne nommée exécuterait également les tâches dévolues à l'ancien titulaire du poste, soit la prestation de services de subrogation. Il s'agit d'un besoin opérationnel à court terme devant être comblé pendant l'absence de la titulaire au moyen d'une nomination intérimaire. La Politique sur les nominations intérimaires n'a donc pas été enfreinte.

56 Enfin, les plaignants affirment que M. Worona, qui était investi des pouvoirs de dotation, a subdélégué ces pouvoirs de façon inappropriée à Pierre Meunier, directeur, SFIAT. Les plaignants invoquent le principe de la common law selon lequel une personne à qui des pouvoirs ont été délégués ne peut à son tour subdéléguer ces pouvoirs à une autre personne.

57 Or, la preuve montre que M. Worona n'a pas subdélégué ses pouvoirs de nomination à M. Meunier. M. Worona avait décidé que la nomination intérimaire serait conditionnelle à l'obtention des fonds nécessaires. Il avait déjà signé le formulaire « Demande de services en ressources humaines » avant de partir en vacances et avait donné pour consigne à M. Meunier de doter le poste quand le financement allait être approuvé, le cas échéant. Si le financement n'avait pas été obtenu, la mesure de dotation n'aurait pas été effectuée. M. Meunier n'a joué aucun rôle dans la décision de nomination; il a seulement agi selon les consignes que M. Worona lui avait données.

Choix du processus de nomination

58 Les plaignants soutiennent que l'intimé a abusé de son pouvoir en nommant Mme Godin au moyen d'un processus de nomination non annoncé. Comme il est indiqué plus haut, le Tribunal n'a pas compétence pour entendre les plaintes concernant des nominations intérimaires de moins de quatre mois. De plus, les plaignants n'ont pas précisé pourquoi l'intimé ne pouvait pas choisir un processus de nomination non annoncé pour doter le poste et n'ont pas non plus présenté d'éléments de preuve à cet égard.

Décision


59 Pour les motifs susmentionnés, les plaintes sont rejetées.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2010-0243, 0244, 0245, 0246 et 0255
Intitulé de la cause :
Craig Iwata, Mika Komori, Jeannie Suric, Dale Goodman et Bev Lefko et le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Audience :
6, 7 et 8 avril 2011
Vancouver (Colombie-Britannique)
Date des motifs :
27 juillet 2012

COMPARUTIONS

Pour les plaignants :
Craig Iwata, Dale Goodman, Bev Lefko et Jeannie Suric
Pour l'intimé :
Christine Diguer
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
(observations écrites)
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