Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a participé  à un processus de nomination annoncé pour la dotation de postes de gestionnaire de projet. Selon elle, l’intimé aurait fait preuve d’abus de pouvoir dans l’application du mérite pour n’avoir pas évalué adéquatement sa candidature au regard de la qualification essentielle liée au jugement. L’intimé a soutenu que l’évaluation de la plaignante ne présentait aucune irrégularité. Décision Le Tribunal a conclu que les erreurs commises dans l’évaluation de la qualification «jugement» de la plaignante étaient suffisamment graves pour constituer un abus de pouvoir. Les erreurs commises dans l’évaluation de la plaignante se présentaient comme suit : premièrement, l’erreur typographique relevée dans les références de Mme Mennie montre que le comité d’évaluation s’était fié à des éléments d’information inexacts; deuxièmement, le comité d’évaluation a fait appel à une répondante qui n’avait supervisé la plaignante que pendant une courte période, pour ensuite accorder la même importance aux références extrêmement négatives de cette personne qu’à celles des deux autres répondantes qui avaient supervisé la plaignante pendant beaucoup plus longtemps; enfin, le comité d’évaluation a agi de façon simpliste et arbitraire, entravant ainsi son pouvoir discrétionnaire. Le comité d’évaluation aurait pu, et aurait dû, revoir l’information fournie par les trois répondantes et exercer son pouvoir discrétionnaire de façon équitable et raisonnable. Au lieu de quoi, il a adopté une approche mathématique simple par l’attribution de la même importance aux références fournies par chacune des trois répondantes, en dépit d’un décalage considérable entre lesdites références. Plainte accueillie. Mesure corrective Le Tribunal a ordonné à l’intimé de réévaluer la qualification liée au jugement dans les soixante jours. S’il est établi que la plaignante possède cette qualification, l’intimé doit terminer son évaluation au regard des autres qualifications. Si la plaignante est jugée qualifiée, son nom sera placé dans le bassin de candidats qualifiés si celui-ci existe encore.

Contenu de la décision

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Dossier :
2010-0673
Décision
rendue à :

Ottawa, le 30 octobre 2012

ROSE OSTERMANN
Plaignante
ET
LE SOUS-MINISTRE DE RESSOURCES HUMAINES ET DÉVELOPPEMENT DES COMPÉTENCES CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l'article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Ostermann c. le sous-ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0028

Motifs de décision


Introduction

1 La plaignante, Rose Ostermann, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de trois postes de gestionnaire de projet aux groupe et niveau PM‑06 au sein de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC). Mme Ostermann a déposé une plainte au motif qu’elle n’avait pas été nommée en raison d’un abus de pouvoir dans l’application du mérite. Plus précisément, elle affirme que l’intimé n’a pas évalué adéquatement sa candidature pour ce qui est de la qualification essentielle liée au jugement.

2 L’intimé, le sous‑ministre de RHDCC, nie avoir abusé de son pouvoir dans le processus de nomination en cause. Il affirme que la méthode employée pour évaluer la plaignante ne présentait aucune irrégularité.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’était pas représentée à l’audience, mais elle a soumis des observations écrites dans lesquelles elle explique son interprétation de l’abus de pouvoir et décrit les lignes directrices et guides applicables au processus de nomination susmentionné. Les Lignes directrices en matière d’évaluation de la CFP, par exemple, indiquent que les méthodes et outils d’évaluation doivent permettre d’évaluer efficacement les qualifications des candidats et fournir un fondement solide pour effectuer des nominations selon le mérite. La CFP n’a pas pris position sur le bien‑fondé de la plainte.

4 Pour les raisons énoncées ci‑après, le Tribunal conclut que la plaignante a établi que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le processus de nomination parce qu’il n’a pas évalué adéquatement sa candidature par rapport au jugement. L’intimé a utilisé les références fournies par une répondante qui n’avait supervisé la plaignante que pendant quelques semaines, références qui ne concordaient pas du tout avec celles qu’avaient fournies les autres répondantes. L’intimé a accordé autant d’importance aux références fournies par la répondante en question qu’à celles qui avaient été fournies par d’autres personnes ayant supervisé la plaignante pendant beaucoup plus longtemps.

Contexte

5 Le 23 avril 2010, l’intimé a affiché une annonce de possibilité d’emploi sur Publiservice, un site Web du gouvernement fédéral, afin de doter trois postes aux groupe et niveau PM‑06, soit gestionnaire des programmes d’assurance, gestionnaire des projets spéciaux et principal gestionnaire de projet. Dans l’annonce de possibilité d’emploi, il était aussi indiqué que le processus de nomination servirait à créer un bassin de candidats qualifiés pour doter des postes semblables dans le futur au sein de RHDCC.

6 Le comité d’évaluation était présidé par Ginette Ethier, alors directrice, Régime de pensions du Canada/Sécurité de la vieillesse, Direction générale des services de traitement et de paiement (STP). Carole Sabourin, directrice générale de la Direction générale de l’assurance‑emploi, et Lynn Townsend, qui travaillait à Service Canada à ce moment‑là.

7 Pour évaluer les qualifications des candidats, l’intimé a examiné les curriculum vitæ, administré un examen écrit, vérifié les références et mené des entrevues.

8 La candidature de la plaignante a été éliminée du processus de nomination parce que l’intimé a déterminé qu’elle ne possédait pas l’une des qualifications essentielles, à savoir le jugement.

9 Le 27 octobre 2010, l’intimé a publié un Avis de nomination ou de proposition de nomination au sujet de la nomination de Jill Norman au poste de gestionnaire des projets spéciaux.

10 Le 29 octobre 2010, la plaignante a présenté une plainte d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (LEFP), relativement à la nomination de Mme Norman.

Question en litige

11 Le Tribunal doit déterminer si l’intimé a abusé de son pouvoir dans l’évaluation de la plaignante.

Analyse

12 En vertu de l’article 77(1) de la LEFP, toute personne qui est dans la zone de recours peut présenter au Tribunal une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination en raison d’un abus de pouvoir de la part de la CFP ou de l’administrateur général dans le cadre du processus de nomination. L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP; cependant, l’article 2(4) précise qu’« [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

13 Tel qu’il est établi dans la jurisprudence du Tribunal, cette formulation inclusive indique que l’abus de pouvoir comprend la mauvaise foi et le favoritisme personnel, mais ne se limite pas à ces motifs.

14 Dans la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 CAF 19, para. 64, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une erreur peut aussi constituer un abus de pouvoir. C’est la nature et la gravité de l’erreur qui déterminent s’il s’agit d’un abus de pouvoir.

15 L’abus de pouvoir peut également comprendre la conduite irrégulière et les omissions. C’est la mesure dans laquelle la conduite ou l’omission est irrégulière qui permet de déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous‑ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

16 La plaignante soutient que l’intimé n’a pas évalué adéquatement la qualification essentielle liée au jugement, en faisant appel à une répondante qui ne la supervisait que depuis environ cinq semaines et en attribuant trop d’importance aux références fournies par la répondante en question.

17 Mme Ethier a expliqué que le jugement était évalué à partir de deux questions de l’examen écrit et de la vérification des références. Une note cumulative était attribuée pour cette qualification. La plaignante a obtenu 5 points sur 10 pour sa réponse à la première question de l’examen écrit, et 6 points sur 10 pour sa réponse à la deuxième question. En outre, elle a reçu 5 points sur 10 lors de la vérification des références. Par conséquent, sa note cumulative était de 16 points sur 30, alors que la note de passage était fixée à 18 points (60 %). Il a donc été établi que la plaignante ne possédait pas la qualification essentielle liée au jugement.

18 Dans son témoignage, la plaignante a précisé avoir travaillé à RHDCC pendant plus de 30 ans. Elle occupe actuellement un poste d’agente de programme aux groupe et niveau PM‑05. Pendant trois ans, elle a occupé à titre intérimaire le poste de gestionnaire des programmes d’assurance, soit l’un des postes qui devait être doté à partir du processus de nomination en cause. La plaignante ne remet pas en question les notes qu’elle a reçues à l’examen écrit, mais estime que l’intimé a abusé de son pouvoir en tenant compte des références fournies par l’une des répondantes au sujet de son rendement au travail, références qui divergeaient grandement de celles qu’ont fournies les deux autres répondantes.

19 Dans le questionnaire de vérification des références, la question portant sur la qualification liée au jugement était la suivante :

Question 4 – Jugement

a) Veuillez nous donner un exemple de situation où la personne a fait preuve d’un bon jugement.

  • Quelle était la situation?
  • Qui étaient les intervenants?
  • S’agissait‑il d’une situation délicate ou difficile?
  • Quelle en a été l’issue?

b) Est‑il déjà arrivé que la personne manque de jugement?

c) Cette personne envisage‑t‑elle des solutions de rechange avant de prendre une décision?

[traduction]

20 Le 14 juillet 2010, Mme Ethier a envoyé un courriel à la plaignante pour lui demander de lui fournir le nom de trois répondants, y compris celui de son superviseur ou gestionnaire actuel. La plaignante a fourni à Mme Ethier le nom de sa superviseure actuelle, Johanne Mennie, directrice, Nouvelles offres de service, Direction générale des STP, Service Canada, ainsi que le nom de deux anciennes superviseures, Lori Genyn, directrice, Opérations centrales, Passeport Canada, et Bonnie St-Julien, directrice, Gestion de la charge de travail liée à l’assurance‑emploi. Dans son courriel, la plaignante a précisé qu’elle ne travaillait avec Mme Mennie que depuis le 28 juin 2010.

21 Dans son témoignage, la plaignante a indiqué que Mme St‑Julien l’avait supervisée d’octobre 2007 à avril 2008. Mme Ethier a communiqué avec cette répondante par téléphone le 27 juillet 2010 et a consigné ses réponses sur le questionnaire de vérification des références. La plaignante a porté à l’attention du Tribunal la question suivante, posée à la répondante : « Est‑il déjà arrivé que la personne manque de jugement? » [traduction]. Dans ses notes, Mme Ethier a écrit que Mme St‑Julien avait répondu par la négative. Elle a aussi écrit que Mme St‑Julien lui avait donné des exemples de situations où la plaignante avait fait preuve de jugement. À la lumière des références fournies par Mme St‑Julien, le comité d’évaluation a accordé 7 points sur 10 à la plaignante pour la qualification liée au jugement.

22 Mme Mennie a aussi été appelée à fournir des références. Mme Mennie, qui gère en tout 25 employés et six programmes évalués à plusieurs centaines de millions de dollars, travaille à la fonction publique depuis 25 ans, dont 18 à titre de gestionnaire.

23 Mme Mennie s’est jointe à la Direction générale des STP le 28 juin 2010 et a rempli le questionnaire de vérification des références le 4 août 2010. Ainsi, Mme Mennie supervisait la plaignante depuis seulement un peu plus de cinq semaines lorsqu’elle a rempli le questionnaire.

24 Dans son témoignage, la plaignante a précisé que les observations de Mme Mennie se rapportaient principalement à deux situations. À la question 4 du questionnaire, laquelle évaluait le jugement, Mme Mennie a fait référence aux observations qu’elle avait formulées à la question 2 du même questionnaire. La question 2 évaluait la réflexion stratégique. Dans sa réponse à la question 2, Mme Mennie avait indiqué que deux consultants embauchés par la plaignante pour préparer un atelier effectuaient des tâches que cette dernière aurait dû accomplir elle‑même. La plaignante a expliqué que l’atelier avait eu lieu à la fin de mai ou au début de juin 2010, c’est‑à‑dire avant que Mme Mennie ne soit nommée à son nouveau poste. La plaignante a embauché les consultants pour l’aider dans la préparation de l’atelier, mais ses employés et elle demeuraient les experts pour les présentations. Ainsi, la plaignante soutient que les observations de Mme Mennie n’étaient pas justifiées.

25 Mme Mennie a indiqué dans son témoignage qu’elle avait commis une erreur en faisant référence à la question 2 dans sa réponse à la question 4. À la question 4, elle voulait faire référence aux commentaires qu’elle avait formulés dans sa réponse à la question 1, laquelle portait sur la capacité de la plaignante de diriger et d’influencer les autres. Les observations de Mme Mennie à cet égard étaient négatives. Par exemple, elle a écrit à la question 1 que la plaignante ne communiquait pas l’information à ses collègues ni à elle‑même. Selon un autre exemple qu’elle a donné, un programme avait été mal conçu et la plaignante n’arrivait pas à inciter ses collègues à y apporter des améliorations.

26 Mme Mennie a décrit une deuxième situation à la question 4 du questionnaire de vérification des références. Elle a indiqué qu’un gestionnaire d’un bureau régional avait informé la plaignante un matin qu’il était possible que l’un des programmes relevant de cette dernière fasse l’objet de fraude. La plaignante n’en a pas informé Mme Mennie, même si celle‑ci, au cours de la même semaine, avait remis à son équipe un gabarit que les employés et les gestionnaires devaient utiliser pour signaler toute situation critique à la direction. La plaignante aurait également dû alerter les Services d’intégrité. C’est un consultant qui, vers 17 h ce jour‑là, a informé Mme Mennie de la situation. Mme Mennie a rencontré la plaignante le lendemain matin afin d’obtenir plus de détails à ce sujet. Mme Mennie avait alors dû prendre la situation en main.

27 La plaignante a précisé que la deuxième situation décrite par Mme Mennie à la question 4 s’était produite lorsqu’elle occupait à titre intérimaire le poste de gestionnaire des programmes d’assurance. La plaignante a affirmé qu’elle ne s’était jamais heurtée à une situation semblable par le passé. Elle a ajouté qu’elle avait prévu recueillir de l’information et qu’elle aurait communiqué avec les Services d’intégrité afin qu’ils lancent une enquête si elle s’était rendu compte qu’il y avait peut‑être fraude.

28 Lors de l’audience, Mme Mennie a fourni plus de détails sur cette situation. Le 15 juillet 2010, un client de la région du Québec s’est plaint d’un site Web qui donnait l’impression, à tort, d’être un site Web du gouvernement fédéral traitant les demandes de protection salariale. Mme Mennie a informé la haute direction et les Services d’intégrité de la situation. Au terme de l’enquête qui a été menée, il a été déterminé que le site Web était frauduleux, et celui‑ci a été fermé. Mme Mennie croit que la plaignante aurait dû l’informer immédiatement de la situation afin que des mesures soient prises rapidement en vue de la tenue d’une enquête.

29 Mme Mennie n’a donné aucun exemple de situation dans laquelle la plaignante a fait preuve de jugement. Elle a seulement donné des exemples de situations où, selon elle, la plaignante a manqué de jugement. À la lumière des références fournies par Mme Mennie, le comité d’évaluation a décidé de n’accorder aucun point à la plaignante pour le jugement.

30 Mme Ethier a déclaré qu’elle avait demandé aux candidats de fournir le nom de trois répondants, mais qu’elle ne communiquait qu’avec deux d’entre eux si les deux évaluations étaient semblables. Lorsque les évaluations des deux premiers répondants ne concordaient pas, elle communiquait avec le troisième. Dans le cas de la plaignante, les références à son sujet étaient contradictoires. Mme St‑Julien avait fourni des références positives, mais n’avait donné que peu de détails, tandis que Mme Mennie avait fourni des références très négatives et donné plus de détails. Ce qui était inhabituel dans les références fournies par Mme Mennie, c’est qu’elle n’avait donné aucun exemple d’occasion où la plaignante avait fait preuve de jugement. Mme Ethier a affirmé qu’une telle situation était rare lors de la vérification des références. Comme les références fournies par les deux premières répondantes ne concordaient pas, le comité d’évaluation a décidé de communiquer avec la troisième répondante, Mme Genyn, qui a fourni ses références par écrit le 12 août 2010.

31 Mme Genyn, qui a supervisé la plaignante de mai 2008 à juin 2010, a fourni des références très positives à son sujet pour ce qui est du jugement. Mme Genyn a indiqué que la plaignante n’avait jamais manqué de jugement et a donné plusieurs exemples dans lesquels, au contraire, elle avait fait preuve de jugement. Par exemple, elle a décrit une situation dans laquelle la plaignante devait présenter un rapport délicat à la haute direction. Grâce au tact et à la diplomatie de la plaignante, la haute direction avait alors adopté toutes ses recommandations. Le comité d’évaluation a accordé à la plaignante 9 points sur 10 pour les références fournies par Mme Genyn au sujet du jugement.

32 Mme Ethier a décidé de consulter les Ressources humaines, qui ont suggéré au comité d’évaluation d’accorder à la plaignante une note moyenne en fonction des références fournies par les trois répondantes pour le jugement. Ainsi, la plaignante a obtenu une note de 5,3, laquelle, une fois arrondie, a donné 5 points sur 10 pour la vérification des références.

33 Le 23 août 2010, la plaignante a été informée par écrit que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination parce qu’il lui manquait la qualification liée au jugement.

34 Mme Ethier a indiqué qu’elle avait communiqué de nouveau avec Mme Mennie en octobre 2010 pour lui demander si elle voulait changer quoi que ce soit dans ses références. Mme Mennie a répondu qu’elle ne voulait rien changer et qu’elle pouvait donner d’autres exemples de situations où la plaignante avait manqué de jugement ou n’avait pas démontré qu’elle possédait les qualités personnelles exigées pour le processus de nomination en cause.

35 L’intimé affirme avoir évalué le jugement de la plaignante de façon équitable puisqu’il ne pouvait pas faire abstraction des commentaires négatifs de Mme Mennie. L’intimé ajoute qu’il aurait pu être accusé de favoritisme s’il avait agi de la sorte.

36 Le rôle du Tribunal consiste à examiner le processus de nomination afin de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir, et non à réévaluer les notes accordées à la plaignante pour ses réponses. Le Tribunal doit tenir compte de l’examen, de l’entrevue et de la vérification des références, y compris de la façon dont ils ont été administrés, afin de déterminer s’il y a eu abus de pouvoir. Voir les décisions Elazzouzi c. le sous‑ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences Canada, 2011 TDFP 0011, para. 10, et Costello c. le sous‑ministre de Pêches et Océans Canada, 2009 TDFP 0032.

37 L’article 36 de la LEFP accorde au comité d’évaluation un vaste pouvoir discrétionnaire pour la sélection des méthodes d’évaluation. Ce pouvoir discrétionnaire, toutefois, n’est pas absolu. Le Tribunal peut conclure à un abus de pouvoir si le plaignant parvient à établir que l’intimé a commis des erreurs graves dans l’évaluation. Le fait d’utiliser des méthodes qui ne permettent pas d’évaluer adéquatement une qualification constitue une telle erreur. En l’espèce, le Tribunal conclut que les erreurs commises dans l’évaluation de l’une des qualifications de la plaignante, soit le jugement, étaient suffisamment graves pour constituer un abus de pouvoir.

38 La méthode simpliste et rigide à partir de laquelle le comité d’évaluation a déterminé que la plaignante ne possédait pas la qualification liée au jugement constitue l’erreur la plus grave de l’intimé. Le Tribunal a expliqué ce qui suit au paragraphe 127 de la décision Bowman c. le Sous‑ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2008 TDFP 0012 (rejet de la demande de révision judiciaire : Procureur général du Canada c. Grundison, 2009 CF 212) :

[…] dans le contexte de la LEFP, où le recours met maintenant l’accent sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les processus de nomination, un comité d’évaluation ne doit pas refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire au moyen d’une application stricte d’une ligne directrice qui entrave sa capacité d’évaluer chaque candidat avec un esprit ouvert. Lorsque le Tribunal détermine que le comité d’évaluation a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de cette façon, il peut déterminer que le comité d’évaluation a abusé de son pouvoir.

39 La plaignante a renvoyé le Tribunal au Guide des pratiques exemplaires‑Vérification structurée des références (le guide de référence) de la CFP. Quoique comme la CFP l’a fait remarquer, l’intimé n’est pas tenu de respecter le guide de référence, celui‑ci contient des conseils « empreints de bon sens ». Par exemple, le guide de référence énonce ce qui suit à la page 8 :

Les renseignements les plus complets et les plus à jour au sujet des compétences du postulant proviendront des répondants avec qui il a travaillé le plus longtemps et le plus récemment. Il est courant de demander que les postulants et leurs répondants aient travaillé ensemble pendant au moins six mois au cours des cinq dernières années.

[…]

Les superviseurs auront eu l’occasion d’observer le travail du postulant dans diverses circonstances et auront vu la personne se perfectionner avec le temps.

40 Le guide de référence est conforme à la jurisprudence du Tribunal en ce qui concerne l’utilisation des références. Par exemple, dans la décision Dionne c. le Sous‑ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 0011, para. 55, le Tribunal énonce ce qui suit : « L’important est de consulter un répondant qui connaît bien le travail accompli par le candidat et qui peut fournir suffisamment d’information pour permettre au comité d’évaluer de façon appropriée les qualifications de ce dernier. » Le comité d’évaluation n’a pas pris en considération le fait que Mme Mennie ne supervisait la plaignante que depuis quelques semaines lorsqu’elle a fourni des références à son sujet. À la lumière des éléments de preuve fournis par Mme Mennie, le Tribunal trouve inconcevable qu’elle ait eu l’occasion d’observer le travail de la plaignante dans diverses circonstances et qu’elle l’ait vue se perfectionner avec le temps. Selon le Tribunal, le comité d’évaluation n’a pas évalué adéquatement les qualifications de la plaignante lorsqu’il a décidé de tenir compte des références fournies par Mme Mennie sans s’interroger sur l’importance à y accorder. Étant donné que la répondante avait observé la plaignante pendant une période limitée, le comité aurait dû faire preuve de souplesse dans l’attribution des notes et utiliser une pondération appropriée dans le processus d’évaluation.

41 Le comité d’évaluation n’a pas concilié les opinions contradictoires des répondantes. Le fait d’attribuer la même importance aux références fournies par chacune des répondantes n’était pas un moyen raisonnable de concilier les opinions contradictoires de celles‑ci. Le comité d’évaluation aurait pu, et aurait dû, revoir l’information fournie par les trois répondantes et exercer son pouvoir discrétionnaire de façon équitable et raisonnable. Il a plutôt adopté une approche mathématique simple en additionnant les trois notes et en divisant le total par trois. En agissant de la sorte, il a attribué la même importance aux références fournies par chacune des trois répondantes, en dépit d’un décalage considérable entre lesdites références. Ainsi, le comité d’évaluation s’est montré arbitraire et a entravé son pouvoir discrétionnaire.

42 L’intimé fait valoir que Mme Mennie supervisait la plaignante depuis trois mois lorsque le comité d’évaluation a communiqué de nouveau avec elle en octobre 2010 pour lui demander si elle voulait changer ses références. Selon le Tribunal, peu importe la teneur de cette discussion, l’évaluation a été réalisée à partir des références fournies au départ par Mme Mennie. Le processus d’évaluation a pris fin le 23 août 2010, lorsque la plaignante a été informée que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination parce qu’elle n’avait pas obtenu la note de passage nécessaire pour le jugement. La discussion que la présidente du comité d’évaluation a eue par la suite avec Mme Mennie n’a influé en rien sur le résultat du processus de nomination.

43 L’intimé soutient également que la plaignante ne s’est pas opposée à ce que le comité d’évaluation fasse appel à Mme Mennie comme répondante. Or, les éléments de preuve n’étayent pas cet argument. La plaignante a bel et bien soulevé la question. Lorsqu’il lui a été demandé de fournir le nom de son superviseur actuel, la plaignante a répondu dans un courriel adressé à Mme Ethier le 20 juillet 2010 que Mme Mennie et elle ne travaillaient ensemble que depuis environ trois semaines.

44 L’erreur typographique dans les références fournies par Mme Mennie, quoique moins grave, a tout de même pu avoir une incidence sur l’évaluation de la plaignante. En soi, une telle erreur aurait été insuffisante pour mener à une conclusion d’abus de pouvoir, mais il reste qu’elle a entraîné le comité d’évaluation dans une mauvaise direction. C’est la question 4 du questionnaire de vérification des références qui permettait d’évaluer la qualification liée au jugement. Cette question avait pour but de savoir s’il était déjà arrivé que la plaignante manque de jugement; dans sa réponse, Mme Mennie a fait référence, sans autre commentaire, à la situation qu’elle avait décrite à la question 2 du même questionnaire. À cette question, Mme Mennie avait formulé des commentaires négatifs au sujet d’une situation où la plaignante avait fait appel à des consultants. Ainsi, le comité d’évaluation devait se reporter aux commentaires de Mme Mennie sur cette situation pour déterminer si la plaignante savait faire preuve de jugement. À l’audience, toutefois, Mme Mennie a affirmé qu’elle ne voulait pas faire référence à la question 2, mais plutôt à la question 1, où elle avait indiqué que la plaignante ne possédait pas la capacité de diriger et d’influencer les autres. Par conséquent, le comité d’évaluation s’est fondé en partie sur des éléments d’information inexacts pour évaluer le jugement de la plaignante. Le comité devait évaluer l’information fournie par Mme Mennie à la question 1, mais, en raison de l’erreur typographique de Mme Mennie, il s’est plutôt reporté à l’information fournie à la question 2.

45 De plus, il est intéressant de s’attarder aux notes accordées par le comité d’évaluation pour les autres éléments des références fournies par Mme Mennie. Outre le jugement, la vérification des références permettait d’évaluer la capacité de diriger et d’influencer les autres, la réflexion stratégique et le souci du service à la clientèle. À partir des descriptions et des observations fournies par Mme Mennie au sujet de ces trois autres qualifications, le comité d’évaluation a déterminé que la plaignante ne possédait aucune d’entre elles. Ainsi, le comité d’évaluation a accordé à la plaignante 0 point sur 10 pour chacune de ces qualifications. Une fois de plus, les références fournies par Mme Mennie divergeaient complètement de celles qui avaient été fournies par Mmes St‑Julien et Genyn, à la lumière desquelles le comité d’évaluation avait décidé d’accorder de bonnes notes à la plaignante. En d’autres termes, Mme Mennie estime que la plaignante, qui travaille à la fonction publique depuis plus de 30 ans, qui occupe un poste de groupe et niveau PM‑05 et qui a occupé à titre intérimaire, pendant trois ans, l’un des postes faisant l’objet du processus de nomination en cause, ne possède aucun jugement, n’est pas en mesure de diriger ni d’influencer les autres, n’a pas la capacité de se livrer à une réflexion stratégique et n’a pas le souci du service à la clientèle. Les notes attribuées par le comité d’évaluation à la lumière des références fournies par Mme Mennie sont difficiles à comprendre. Selon le Tribunal, les commentaires que Mme Mennie a formulés sur les trois autres qualifications lors de la vérification des références démontrent que ses observations ne sont pas équilibrées.

46 Les parties ne se sont pas penchées sur les trois autres qualifications parce que l’évaluation de la plaignante a pris fin dès qu’il a été décidé d’éliminer sa candidature du processus de nomination. Ces qualifications auraient également été évaluées dans une entrevue, mais la plaignante n’a pas atteint cette étape de l’évaluation.

47 En résumé, les erreurs commises dans l’évaluation de la plaignante sont les suivantes. Premièrement, l’erreur typographique relevée dans les références de Mme Mennie montre que le comité d’évaluation s’était fié à des éléments d’information inexacts. Deuxièmement, le comité d’évaluation a fait appel à une répondante qui n’avait supervisé la plaignante que pendant une courte période, puis a accordé la même importance aux références extrêmement négatives de cette personne qu’à celles des deux autres répondantes, qui avaient supervisé la plaignante pendant beaucoup plus longtemps. Enfin, tel qu’il est expliqué plus haut, le comité d’évaluation a agi de façon simpliste et arbitraire et a entravé son pouvoir discrétionnaire.

48 Par conséquent, le Tribunal conclut que ces erreurs, considérées dans leur ensemble, sont suffisamment graves pour constituer un abus de pouvoir.

Décision

49 Pour tous ces motifs, la plainte est accueillie.

Mesure corrective

50 La plaignante n’a pas affirmé que la personne nommée ne possédait pas les qualifications nécessaires pour le poste. En l’espèce, le Tribunal estime donc qu’une révocation est inappropriée.

51 Puisque la qualification de la plaignante liée au jugement n’a pas été évaluée adéquatement, le Tribunal ordonne à l’intimé de réévaluer cette qualification dans les soixante (60) jours suivant la date de la présente décision. S’il est établi que la plaignante possède cette qualification, l’intimé doit terminer son évaluation au regard des autres qualifications et, si la plaignante est jugée qualifiée, placer son nom dans le bassin de candidats qualifiés, si ce bassin existe toujours.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2010-0673
Intitulé de la cause :
Rose Ostermann et le sous‑ministre de Ressources humaines et Développement des compétences Canada
Audience :
Les 13 et 14 octobre 2011
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 30 octobre 2012

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Claire Lalonde
Pour l'intimé :
Lesa Brown
Magdalena Persoiu, étudiante en Droit
Pour la Commission
de la fonction publique :
Trish Heffernan
(observations écrites)
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