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Résumé :

Le plaignant a déposé sa plainte au motif que l’intimé aurait abusé de son pouvoir dans l’application du mérite en prolongeant pour un an la nomination intérimaire de la personne nommée au moyen d’un processus non annoncé. Décision Le Tribunal a conclu que la preuve relative à cette nomination établissait l’existence d’un favoritisme personnel. L’intimé n’a pas donné un avis de nomination adéquat et précis. La justification donnée pour appuyer la nomination ne présentait pas avec exactitude les circonstances de celle-ci. En outre, il y avait lieu de croire qu’il existait une relation personnelle entre le gestionnaire d’embauche et la personne nommée. Le Tribunal a jugé d’autre part que l’intimé avait fait preuve de mauvaise foi par l’omission de corriger les renseignements qu’il avait fournis au plaignant et aux autres employés par rapport à la durée de la nomination intérimaire, et du fait d’amener le plaignant à croire que sa candidature allait être prise en considération pour la nomination intérimaire alors qu’il n’avait aucune intention d’accorder la possibilité d’intérim à quiconque sauf à la personne nommée. Plainte accueillie. Mesure corrective Le Tribunal a ordonné la révocation de la nomination tout en recommandant à l’intimé d’offrir une formation et un encadrement au gestionnaire en ce qui concerne les techniques et les procédures de dotation, afin que les futurs processus de nomination soient menés dans le strict respect des lois, politiques et règlements pertinents.

Contenu de la décision

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Dossier :
2010-0220
Décision
rendue à :

Ottawa, le 7 août 2012

DANIEL SPIRAK
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE TRAVAUX PUBLICS ET SERVICES GOUVERNEMENTAUX CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
Eugene F. Williams, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Spirak c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0020

Motifs de décision


Introduction


1 Le plaignant, Daniel Spirak, a présenté une plainte au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu de l'article 77 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (la LEFP), au motif que l'intimé, le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (TPSGC), aurait abusé de son pouvoir dans l'application du mérite en prolongeant, au moyen d'un processus non annoncé, la nomination intérimaire de John Carson au poste de chef, Groupe de la construction (EG-07). Le plaignant soutient que l'intimé a agi de mauvaise foi et a fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de M. Carson.

2 L'intimé affirme qu'il n'a pas abusé de son pouvoir en prolongeant la nomination intérimaire visée au moyen d'un processus non annoncé. Il soutient que le processus a été choisi de façon conforme à la LEFP et à la Politique sur les processus de nomination non annoncés de la TPSGC, et il ajoute que M. Carson est entièrement qualifié et que la prolongation de sa nomination respecte le principe du mérite.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n'était pas représentée à l'audience. Elle a présenté des observations écrites concernant les liens entre la conformité avec les Lignes directrices de la CFP, l'abus de pouvoir, la conformité dans le processus de nomination et les mesures correctives. Les Lignes directrices de la CFP en matière de nomination précisent que les décisions de nomination doivent être fondées sur le mérite et l'impartialité, et respecter les valeurs que sont l'équité, la transparence, la représentativité et l'accessibilité.

4 Pour les motifs exposés ci-dessous, la plainte est accueillie. Le Tribunal juge que le plaignant a réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel et de mauvaise foi en effectuant la nomination au poste visé et, par conséquent, a abusé de son pouvoir.

Contexte


5 En octobre 2008, l'intimé a mené un processus de nomination interne annoncé afin de doter le poste de chef, Groupe de la construction, au groupe et au niveau EG-07. La principale fonction du titulaire de ce poste consiste à superviser les gens de métier sous sa responsabilité, comme des électriciens, des menuisiers et des ferblantiers. Son rôle consiste à donner du travail en sous-traitance à ces personnes et à veiller à ce que les contrats soient conformes aux règles et aux règlements du gouvernement. Au cours de l'année 2010, environ 500 contrats ont été adjugés pour une valeur totale de quelque 10 millions de dollars. Le chef est également chargé de gérer les personnes sous sa supervision et de faire rapport à la haute gestion.

6 Étant donné que le processus de nomination n'a pas permis de trouver de candidats qualifiés, l'intimé a mené un processus de nomination externe annoncé en juin 2009. Ce processus n'a pas non plus permis de trouver de candidats qualifiés. Ni le plaignant ni M. Carson n'ont présenté leur candidature dans le cadre de ces processus annoncés.

7 En février 2009, l'intimé a nommé M. Carson au poste de chef par intérim, Groupe de la construction, pour une période de quatre mois moins un jour au moyen d'un processus non annoncé. En juin 2009, M. Carson a de nouveau été nommé par intérim pour une période de six mois. Le 29 juillet 2009, un avis de nomination intérimaire a été publié par rapport à la nomination de M. Carson pour la période du 1er juin au 31 décembre 2009. Étant donné que le processus de nomination externe-mené de juin à octobre 2009 – n'avait pas permis de trouver de candidats qualifiés, l'intimé a eu recours à un processus interne non annoncé pour nommer M. Carson par intérim pour la troisième fois, pour la période du 31 décembre 2009 au 30 décembre 2010. Aucune notification de nomination n'a été publiée aux fins de recours pour cette nomination. Par conséquent, le plaignant a présenté sa plainte quand il a obtenu confirmation de la durée de la nomination intérimaire de M. Carson.

8 Le 15 avril 2010, le plaignant, qui travaillait comme coordonnateur de la construction au groupe et au niveau EG-04 à TPSGC et relevait du même gestionnaire que M. Carson, a présenté sa plainte au Tribunal concernant cette nomination intérimaire portant sur un an.

Question en litige


9 Le Tribunal doit déterminer si l'intimé a abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel et de mauvaise foi lorsqu'il a nommé M. Carson à titre intérimaire pour la période du 31 décembre 2009 au 30 décembre 2010.

Analyse


10 Le plaignant affirme que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel en nommant M. Carson. L'article 77(1)a) de la LEFP stipule qu'une plainte peut être présentée au motif que l'administrateur général a abusé de son pouvoir dans l'exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués pour effectuer des nominations fondées sur le mérite en vertu de l'article 30(2) de la LEFP. L'abus de pouvoir n'est pas défini dans la LEFP. Cependant, selon l'article 2(4), « [i]l est entendu que, pour l'application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ». C'est le favoritisme personnel, et non les autres types de favoritisme, qui constitue un abus de pouvoir (Glasgow c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007, para. 39).

11 Dans la décision Brown c. Canada (Procureur général), 2009 CF 758, la Cour fédérale a conclu que le Tribunal doit prendre en considération tous les éléments de preuve pertinents afin de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination et examiner l'ensemble des événements qui se sont produits. Voir également la décision Brown c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2010 TDFP 0012.

12 Le plaignant présente les éléments de preuve qui suivent à l'appui de son affirmation selon laquelle les actes du gestionnaire montrent que celui-ci a fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de M. Carson.

Les avis de nomination tardifs

13 Le plaignant affirme que l'intimé s'est soustrait à l'obligation qui lui incombe en vertu de l'article 48 de la LEFP d'annoncer les nominations de M. Carson. L'article 48 stipule que, dans le cadre d'un processus de nomination non annoncé, les personnes se trouvant dans la zone de sélection doivent être informées du nom de la personne dont la candidature a été retenue aux fins de nomination une fois l'évaluation des candidats terminée. Cet avis doit être suivi d'un autre indiquant le nom de la personne qui est nommée ou dont la nomination est proposée.

14 En ce qui a trait à la nomination de juin 2009, le plaignant a fait remarquer que l'avis de nomination a été publié tardivement, soit le 29 juillet 2009. Quant à la nomination de décembre 2009, l'intimé n'a publié aucun avis annonçant la nouvelle nomination de M. Carson pour une durée de 12 mois.

15 L'intimé a répondu que la notification publiée le 29 juillet 2009, bien que tardive, constituait un avis suffisant de la nomination intérimaire allant de juin à décembre. En outre, il affirme avoir bel et bien diffusé la nomination de décembre 2009, et il a fait expressément référence au compte rendu d'une réunion du comité de gestion du soutien à l'entretien (le comité de gestion) tenue le 5 novembre 2009. Le compte rendu de la réunion du comité de gestion du 21 mai 2009 indique que le gestionnaire cherchait un moyen de prolonger la nomination de M. Carson au poste de chef par intérim, Groupe de la construction. Le compte rendu de la réunion du 5 novembre 2009 précise que la nomination intérimaire de M. Carson devait être prolongée jusqu'au 31 mars 2010.

16 Le plaignant a déclaré qu'un de ses collègues, André Côté, et lui-même souhaitaient être nommés au poste de chef par intérim, Groupe de la construction. Le plaignant a manifesté son intérêt pour le poste à son gestionnaire, Luc Bazinet, pour la première fois à la fin de juin 2009 en envoyant un courriel à l'adjoint administratif de ce dernier. M. Bazinet est gestionnaire, Services de soutien à l'entretien (SSE). C'est à lui que les pouvoirs de nomination avaient été subdélégués. Dans le cadre de ses fonctions à titre de gestionnaire des SSE, M. Bazinet présidait le comité de gestion, dont les membres se réunissaient régulièrement et rendaient compte de leurs activités au personnel en diffusant les comptes rendus de leurs réunions.

17 Par la suite, dans un courriel adressé le 22 juillet 2009 à M. Bazinet, le plaignant expliquait à ce dernier qu'il souhaitait que sa candidature soit prise en considération pour le poste auquel M. Carson avait été nommé par intérim. Toujours le 22 juillet 2009, après un échange de courriels, le plaignant a rencontré M. Bazinet pour discuter de sa demande. Après cette rencontre, il a eu l'impression que son gestionnaire était surpris de son intérêt pour le poste. M. Bazinet a déclaré que tout changement à la nomination intérimaire prendrait du temps. Le plaignant croyait que sa candidature en vue de la nomination intérimaire au poste de chef, Groupe de la construction, allait être prise en considération dans l'avenir, s'il était nécessaire de doter le poste à titre intérimaire.

18 Selon le compte rendu de la réunion de gestion du comité de gestion tenue le 5 novembre 2009, étant donné qu'aucun candidat qualifié pour le poste EG-07 n'avait été trouvé dans le cadre du processus annoncé, la nomination intérimaire de M. Carson allait être prolongée jusqu'au « 31 mars 2010, ou jusqu'à ce qu'un candidat qualifié soit nommé » [traduction]. Mis à part ce compte rendu, la prolongation de la nomination intérimaire de M. Carson n'a jamais été annoncée officiellement.

19 Le 26 novembre 2009, M. Bazinet a signé une demande de dotation visant à prolonger la nomination de M. Carson pour une période de 12 mois à partir du 31 décembre 2009 et jusqu'au 30 décembre 2010. À la même date, M. Bazinet a signé la justification du recours à un processus non annoncé dans laquelle il était indiqué que la nomination intérimaire durerait trois mois. La durée de la nomination intérimaire a ensuite été changée pour 12 mois dans la justification de la prolongation de la nomination de M. Carson afin que celle-ci corresponde à la date figurant dans la demande de dotation.

20 Le 5 janvier 2010, le plaignant a écrit à M. Bazinet afin de présenter sa candidature pour le poste de chef, Groupe de la construction. Il a proposé le 1er avril 2010 comme date d'entrée en fonction. Quand le plaignant avait rencontré M. Bazinet à l'été 2009 pour discuter de la possibilité d'être nommé par intérim au poste de chef, Groupe de la construction, M. Bazinet lui avait expliqué qu'il faudrait plusieurs mois pour apporter des changements à ce poste.

21 Le plaignant a réitéré sa demande de nomination intérimaire en écrivant un autre courriel à son gestionnaire le 10 janvier 2010. Il lui a alors demandé combien de temps encore devait s'écouler avant que le processus de nomination externe soit terminé. Il a également posé des questions au sujet de la justification ayant servi à prolonger la nomination intérimaire de M. Carson.

22 Au cours de la période du 17 au 26 janvier 2010, M. Bazinet a répondu aux courriels du plaignant. Il a informé celui-ci que M. Carson continuerait d'occuper le poste par intérim jusqu'à ce qu'un candidat soit retenu au terme d'un nouveau processus de nomination externe. En outre, il lui a expliqué que le critère 3 de la Politique sur les processus de nomination non annoncés de TPSGC avait été utilisé dans la justification de prolongation de la nomination de M. Carson. Ce critère indique ce qui suit : « Dans une zone de sélection raisonnable, les candidats potentiels sont suffisamment connus pour être considérés et assurer une évaluation juste et entière de leurs qualifications par rapport aux critères de mérite établis sans qu'il soit nécessaire d'annoncer l'opportunité d'emploi. » Par ailleurs, M. Bazinet a fait valoir qu'étant donné qu'il s'agissait de la période la plus occupée de l'année, le fait de nommer M. Carson pour une si courte période retarderait tous les projets en cours dans la section et créerait un arriéré important dont le successeur de ce dernier devrait s'acquitter tout en suivant une formation afin d'obtenir la délégation des pouvoirs lui permettant d'approuver les congés et les heures supplémentaires. M. Bazinet a affirmé que la nomination d'une autre personne n'était pas envisageable sur le plan opérationnel.

23 M. Bazinet a confirmé que M. Carson continuerait d'occuper le poste de chef par intérim jusqu'à ce qu'un candidat soit nommé à l'issue du processus annoncé. Il estimait que le processus allait se terminer au plus tard à la fin avril ou à la mi-mai 2010, car « de nombreuses candidatures [avaient] été présélectionnées, et donc, l'administration et la correction des examens écrits [devaient prendre] du temps » [traduction].

24 Le Tribunal juge que l'allégation du plaignant selon laquelle les avis de nomination ont été publiés tardivement est étayée par les éléments de preuve. L'article 13 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (REFP) stipule que l'avis écrit d'une nomination intérimaire doit mentionner le nom de la personne nommée, le droit de présenter une plainte ainsi que les motifs permettant de le faire.

25 La preuve établit que la nomination du 22 février 2009 a été annoncée le 12 mars 2009 dans un compte rendu de réunion du comité de gestion. L'avis se rapportant à la nomination du 1er juin 2009 a été publié le 29 juillet 2009. Or, plus important encore, bien que le personnel de la section ait été informé dans le compte rendu de réunion du comité de gestion du 5 novembre 2009 que M. Carson allait de nouveau être nommé jusqu'au 31 mars 2010, ou jusqu'à ce que le poste de chef soit doté pour une période indéterminée, aucun avis concernant la nomination intérimaire n'a été publié dans Publiservice, et les personnes se trouvant dans la zone de recours n'ont pas été informées de leur droit de présenter une plainte ni des motifs leur permettant de le faire.

26 Pour examiner cette question, le Tribunal garde à l'esprit le fait que l'intimé dispose d'un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui a trait à la dotation. La jurisprudence a établi que l'administrateur général a le droit de choisir entre un processus annoncé et un processus non annoncé. Le Tribunal a déterminé que le simple fait de recourir à un processus non annoncé ne constitue pas en soi un abus de pouvoir. Le plaignant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le choix d'un processus de nomination non annoncé constituait un abus de pouvoir. Voir, par exemple, la décision Rozka c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046.

27 En outre, l'administrateur général ou son délégué peut prendre en considération une seule personne, comme cela a été le cas en l'espèce. Voir l'article 30(4) de la LEFP. Toutefois, il ne faut pas en déduire que le pouvoir discrétionnaire de l'administrateur général est absolu. L'article 77(1)b) de la LEFP stipule qu'il est possible de porter plainte relativement au choix discrétionnaire d'utiliser un processus annoncé ou non annoncé au motif qu'un abus de pouvoir a été commis.

28 Le Tribunal conclut que l'intimé a contrevenu à l'article 13 du REFP de plusieurs façons. Plus particulièrement, il a tardé à diffuser la nomination de M. Carson, a fourni des renseignements inexacts concernant la durée de la nomination et publié un avis de nomination inapproprié qui n'informait pas les personnes se trouvant dans la zone de recours de leur droit de présenter une plainte ni des motifs leur permettant de le faire. Voir la décision Sherif c. le sous-ministre d'Agriculture et Agroalimentaire Canada, 2006 TDFP 0003, para. 16 à 18. La notification tardive concernant la nomination de juin 2009 et l'absence d'un avis approprié pour la nomination du 31 décembre 2009 dénotent un manque de transparence qui a limité le droit de recours des employés auprès du Tribunal.

Le fait que l'intimé n'a pas nommé Robert Sheldrick en premier lieu

29 Le plaignant avance que selon les pratiques établies par l'intimé, M. Carson n'aurait jamais dû obtenir une première nomination en février 2009. Cette nomination a été effectuée avant la nomination de décembre 2009 à laquelle la plainte se rapporte directement. Or, bien que la compétence du Tribunal pour déterminer si une plainte d'abus de pouvoir est fondée se limite au processus de nomination auquel elle se rapporte, le Tribunal peut examiner des éléments de preuve concernant des événements antérieurs qui s'inscrivent dans le contexte de la plainte afin d'établir si ceux-ci permettent de mieux comprendre les circonstances entourant le processus de nomination visé. Voir la décision Brown c. le commissaire du Service correctionnel du Canada, 2011 TDFP 0015, para. 28.

30 Comme il a été mentionné précédemment, même si des processus visant à nommer une personne pour une période indéterminée étaient en cours, l'intimé a décidé de doter le poste par intérim. Le plaignant a déclaré qu'habituellement, Robert Sheldrick, un autre employé de la section, remplaçait l'ancien gestionnaire quand il était en vacances ou ne pouvait se présenter au travail pour une raison ou une autre. Or, à cette occasion en février 2009, l'intimé a procédé autrement et a plutôt nommé M. Carson. M. Sheldrick a affirmé que la première personne à occuper le poste EG-07 par intérim était bilingue, et vu que le poste était bilingue, niveau BBB impératif à la nomination, il avait compris pourquoi cette nomination avait été effectuée à l'automne 2008. Cependant, cette nomination « n'a pas fonctionné » [traduction], et M. Carson a été nommé au poste en février 2009. À ce moment-là, M. Sheldrick a été offusqué, car M. Carson n'était pas bilingue. Il a donc décidé de ne plus manifester d'intérêt pour le poste.

31 L'intimé souligne que bien que M. Sheldrick n'ait pas été choisi pour occuper le poste à ce moment-là, M. Carson n'était pas le premier choix du gestionnaire. M. Bazinet a affirmé qu'il avait pris en considération plus d'une personne en vue d'une nomination intérimaire à la suite du départ du titulaire. M. Bazinet a déclaré qu'après avoir évalué les candidats potentiels, il avait restreint son choix à quatre personnes. Il a d'abord choisi un employé bilingue qui avait dirigé une autre unité au sein de la Direction générale, mais cette nomination n'a pas bien fonctionné, et l'employé a été réaffecté à d'autres tâches. M. Bazinet a alors communiqué avec les trois autres personnes en vue d'une nomination. Deux d'entre elles étaient bilingues. La première n'était pas intéressée, et l'autre était en congé de maladie. M. Bazinet a donc nommé M. Carson, la dernière personne qui restait dans sa liste restreinte de candidats potentiels.

L'affirmation selon laquelle la modification de l'énoncé des critères de mérite avantageait M. Carson

32 La nomination intérimaire initiale de M. Carson en février 2009 portait sur moins de quatre mois. Par conséquent, l'intimé n'était pas tenu de préparer de justification écrite (art. 14 du REFP). Le plaignant avance que lorsque l'intimé a renouvelé la nomination pour une période de six mois en juin 2009, il a revu à la baisse les exigences figurant dans l'énoncé des critères de mérite (ECM), notamment en retirant l'exigence du bilinguisme impératif afin d'avantager M. Carson.

33 L'intimé a expliqué qu'un poste parallèle temporaire assorti d'exigences linguistiques moins élevées a été créé en juin 2009 en raison du besoin urgent d'assurer la continuité opérationnelle, étant donné que le poste ne pouvait demeurer vacant. Il a ajouté que lorsque la nomination pour quatre mois de M. Carson a pris fin, celui-ci a été évalué au regard des qualifications essentielles figurant dans l'ECM de ce poste parallèle.

34 Le Tribunal constate qu'en plus des exigences linguistiques moins élevées, d'autres changements apportés à l'ECM avantageaient M. Carson. D'abord, les qualifications relatives aux études utilisées dans le processus non annoncé mené en juin ont été modifiées par rapport à celles utilisées dans le processus annoncé; la mention « permis d'exercice à titre de compagnon d'apprentissage dans le domaine […] du génie de l'instrumentation » [traduction] a été ajoutée. Les mêmes qualifications relatives aux études ont été utilisées pour le processus annoncé de 2010. Par suite de ces changements M. Carson est devenu admissible au processus de nomination externe annoncé.

35 Le Tribunal constate également que le poste ayant fait l'objet d'un processus non annoncé, créé en juin 2009 et renouvelé en décembre 2009 n'exigeait que la moitié des qualifications relatives à l'expérience utilisées dans le processus annoncé. S'il s'agissait bel et bien d'un poste parallèle, il y aurait eu lieu de s'attendre à ce que les exigences soient les mêmes pour le poste doté au moyen d'un processus non annoncé. Le Tribunal souligne qu'aucun changement n'a été apporté aux tâches que M. Carson devait effectuer, et que ses rôles et ses responsabilités étaient semblables à ceux du poste qui devait être doté au moyen d'un processus annoncé.

36 Bien que le poste créé par M. Bazinet en juin 2009 ait été décrit comme un poste parallèle, le Tribunal juge que les exigences liées aux études et à l'expérience établies pour celui-ci étaient tellement différentes des exigences qui avaient auparavant été utilisées dans les processus annoncés qu'une nouvelle évaluation des candidats dans la section s'imposait. Les changements apportés à l'ECM ont élargi considérablement le bassin de candidats se trouvant dans la section de M. Bazinet. Or, rien ne prouve que M. Bazinet ait pris en considération la candidature d'autres employés de la section au regard du nouvel ECM. Ainsi, l'affirmation contenue dans la justification selon laquelle M. Carson était le seul candidat qualifié n'est étayée par aucune évaluation.

L'affirmation selon laquelle il n'y avait qu'un seul candidat qualifié

37 L'affirmation contenue dans les justifications de juin et de novembre 2009 selon laquelle seul M. Carson possédait toute l'expérience, toutes les connaissances et toutes les capacités nécessaires pour le poste sans formation ou encadrement additionnels va à l'encontre du témoignage non contesté de M. Carson, qui a affirmé qu'à l'exception des pouvoirs de signature, les deux autres membres du groupe de travail possédaient toutes les qualifications nécessaires pour remplacer le chef en son absence. Les éléments de preuve présentés à l'audience indiquent qu'il était possible d'obtenir les pouvoirs de signature en question en suivant un cours de durée variable allant d'une demi-journée à cinq jours.

38 M. Sheldrick a déclaré qu'avant la mise en place de certaines règles du Conseil du Trésor concernant les pouvoirs de signature, il pouvait exercer ceux-ci et qu'il avait occupé le poste de chef, Groupe de la construction, par intérim à plusieurs reprises et pendant de longues périodes par le passé. Plus particulièrement, il avait remplacé l'ancien titulaire du poste pendant un congé de maladie. Compte tenu de ses compétences et de son expérience, il aurait eu besoin de très peu de formation additionnelle. Dans son organigramme, l'intimé a reconnu l'expertise considérable de M. Sheldrick en le nommant chef remplaçant et en le décrivant comme un employé essentiel.

39 Le Tribunal juge que M. Bazinet avait la ferme intention de nommer de nouveau M. Carson. Comme l'indique le compte rendu de la réunion du comité de gestion du 21 mai 2009, M. Bazinet cherchait une façon de prolonger la nomination de M. Carson au poste de chef par intérim, Groupe de la construction. Pour y parvenir, M. Bazinet a créé un nouveau poste unilingue anglais comportant moins d'exigences liées à l'expérience et des qualifications liées aux études plus vastes. Ces actions du gestionnaire appuient la supposition selon laquelle il n'a pas évalué une nouvelle fois son personnel ainsi que le plaignant au regard des qualifications du nouveau poste de chef par intérim, Groupe de la construction. Le gestionnaire a plutôt nommé M. Carson à ce poste en juin et en décembre 2009 sans mener d'autres évaluations de son personnel.

L'affirmation selon laquelle le fait de prolonger à plusieurs reprises la nomination de M. Carson lui a conféré un avantage dans le processus visant à doter le poste pour une période indéterminée

40 Deux des qualifications essentielles figurant dans l'ECM utilisé pour le processus annoncé étaient l'expérience de la gestion d'équipes techniques multidisciplinaires dans le domaine de la construction et l'expérience de la gestion de ressources financières et humaines relativement à des projets de construction. Le plaignant affirme que M. Carson ne possédait pas cette expérience avant d'être nommé au poste par intérim en février 2009. Le plaignant avance qu'étant donné que sa nomination a été prolongée à plusieurs reprises, M. Carson a pu acquérir l'expérience qui lui manquait, ce qui pouvait l'aider à se qualifier dans le cadre des processus annoncés visant à doter le poste.

41 L'intimé a répondu que puisque l'ECM du processus externe de 2010 avait changé, l'expérience acquise par M. Carson après sa nomination ne constituait pas un avantage.

42 Le Tribunal juge que les qualifications essentielles relatives à l'expérience figurant dans l'ECM du poste EG-07 parallèle créé par l'intimé sont moins rigoureuses que celles qui avaient été établies pour le poste ayant fait l'objet d'un processus de nomination externe annoncé. L'annonce de ce dernier poste indiquait quatre qualifications liées à l'expérience; seules deux d'entre elles se retrouvaient dans l'ECM du poste parallèle visé par un processus non annoncé. Ce dernier poste n'exigeait aucune expérience de la gestion des ressources financières relativement à des projets de construction ou de la gestion d'équipes techniques multidisciplinaires dans le domaine de la construction. Or, ces deux critères faisaient partie des qualifications essentielles liées au poste ayant fait l'objet d'un processus externe annoncé. M. Carson a donc été en mesure d'acquérir de l'expérience dans le domaine de la gestion des finances relativement à des projets de construction et de la gestion d'équipes techniques multidisciplinaires dans le domaine de la construction. Ainsi, le Tribunal conclut que M. Carson a bel et bien été avantagé par sa nomination.

Les justifications des nominations intérimaires de M. Carson

43 L'intimé a invoqué la continuité opérationnelle pour justifier la prolongation de la nomination de M. Carson en décembre 2009. Il a fait référence à une crise survenue à l'automne 2009 et a fait valoir qu'étant donné que M. Carson avait eu à composer avec cette crise, la charge de travail associée au poste s'était accumulée. En outre, l'intimé cite le témoignage de M. Bazinet, qui a déclaré que la charge de travail liée au poste est particulièrement élevée à la fin de l'exercice financier, qui approchait.

44 La preuve à l'appui de l'affirmation de l'intimé concerne une explosion survenue le 18 octobre 2009 dans une chaufferie qui fournissait électricité et chauffage à plusieurs édifices de la Colline du Parlement et des environs dans le centre-ville d'Ottawa. Cette explosion a coûté la vie à un employé des SSE. Étant donné que la centrale n'était plus opérationnelle, le groupe a dû trouver d'autres sources d'électricité et de chauffage pour plusieurs édifices. L'hiver approchait, et les SSE devaient faire face à d'importantes pressions opérationnelles pour rétablir l'électricité et le chauffage dans les édifices desservis par la centrale où l'explosion était survenue. À la fin de novembre 2009, ils ont obtenu des chaudières de rechange temporaires et ont réacheminé de l'électricité provenant d'une autre centrale de chauffage aux édifices touchés. De plus, les travaux de nettoyage et de reconstruction de la centrale de chauffage de la rue Cliff ont été donnés en sous-traitance. En raison de l'effort concerté déployé par les SSE pour gérer cette urgence, le travail quotidien de la section a été mis de côté, ce qui a entraîné un arriéré de travail à la fin de l'exercice 2009-2010.

45 Même si la crise était terminée, l'intimé a continué de justifier la prolongation de la nomination de M. Carson en faisant valoir que celle-ci était nécessaire pour assurer la continuité opérationnelle. La justification indiquait que le remplaçant éventuel de M. Carson ne pourrait être formé dans un délai raisonnable. Ce motif a également servi à justifier la nouvelle prolongation de la nomination de M. Carson pour une période de 12 mois commençant le 31 décembre 2009.

46 Le Tribunal juge que le motif de la continuité opérationnelle ne pouvait justifier la prolongation de la nomination intérimaire de M. Carson pour une période de 12 mois. En décembre 2009, M. Carson occupait le poste par intérim depuis dix mois. Les circonstances entourant l'explosion et la charge de travail accrue qui en a découlé ont incité le gestionnaire à proposer une prolongation de trois mois à la nomination de M. Carson. À la fin novembre 2009, les conséquences immédiates de la crise avaient été gérées, et le chef, Groupe de la construction, disposait de suffisamment de temps pour s'occuper des questions liées à la fin de l'exercice financier. La justification ne renferme aucun élément de preuve selon lequel une formation approfondie était nécessaire pour permettre à quelqu'un d'autre d'occuper le poste par intérim. Selon la preuve, certains employés de la section auraient été qualifiés pour le poste s'ils avaient pu suivre une courte formation afin d'obtenir les pouvoirs de signature requis pour les contrats. M. Carson a reconnu dans son témoignage que deux personnes possédaient les qualifications pour le poste.

47 Pour justifier la prolongation de la nomination de M. Carson en décembre 2009, l'intimé a également affirmé que la nomination intérimaire proposée respectait les valeurs que sont l'équité, l'accessibilité et la transparence. La justification de novembre 2009 indique que la valeur « accessibilité » a été respectée, car « un processus de nomination annoncé pour un poste EG-07 est imminent, et les candidats potentiels auront l'occasion de se préparer et d'être évalués en vue d'une nomination à ce poste » [traduction]. En outre, la justification précise que la nomination respecte la valeur « transparence », car « tous les candidats potentiels en ont été avisés à une réunion de gestion tenue le 5 novembre 2009 » [traduction].

48 Par ailleurs, la justification de novembre 2009 signée par M. Bazinet indique que la nomination visait un « groupe en pénurie » [traduction] où il a été démontré qu'il était impossible de recruter en nombre suffisant des candidats qualifiés potentiels au moyen des pratiques normales de recrutement. Après examen de cette affirmation, la conseillère en ressources humaines (conseillère en RH) a souligné que celle-ci n'était pas étayée par des faits. Elle a expliqué qu'avant de pouvoir affirmer qu'un groupe est en pénurie, il faut d'abord que celui-ci ait été désigné comme tel. La conseillère en RH a suggéré d'avoir recours au critère 3, c'est-à-dire celui qui prévoit que les candidats potentiels peuvent être nommés sans que la possibilité d'emploi soit annoncée si ceux-ci sont suffisamment connus pour être pris en considération et s'il est possible d'assurer une évaluation juste et entière de leurs qualifications par rapport aux critères de mérite établis. Avec l'approbation du gestionnaire, des changements ont été apportés, à la main, à la justification au regard des observations fournies par courriel par la conseillère en RH.

L'accessibilité et la transparence dans le processus de nomination non annoncé

49 En plus des changements apportés, à la main, à la justification dont il est question plus haut, certains passages ont aussi été rayés. Le plus important d'entre eux est l'affirmation selon laquelle un autre processus annoncé allait être lancé au plus tard le 31 décembre 2009. Autres changements importants, la durée de la nomination a été modifiée, passant de trois mois à douze mois, et l'affirmation selon laquelle la nomination vise un groupe en pénurie a été rayée.

50 La justification d'une page indique que le processus « respecte la valeur qu'est l'accessibilité, car un processus de nomination annoncé pour un poste EG-07 est imminent, et les candidats auront l'occasion de se préparer et d'être évalués en vue d'une nomination à ce poste » [traduction]. Elle se termine par l'affirmation selon laquelle « tous les candidats potentiels en ont été avisés à une réunion de gestion tenue le 5 novembre 2009 » [traduction].

51 Le Tribunal juge que la valeur « transparence » n'a pas été respectée, car le gestionnaire a omis de communiquer les renseignements concernant les décisions de façon exacte et ouverte, et en temps opportun. La durée de la nomination intérimaire n'était pas correctement indiquée dans le compte rendu de la réunion du comité de gestion de novembre 2009. La date de fin qui y est mentionnée, le 31 mars 2010, était également inexacte. Quand il est devenu évident que la date n'était plus exacte, le gestionnaire ne l'a pas corrigée en temps opportun. La preuve établit qu'aucun avis de nomination n'a été publié concernant la nomination débutant le 31 décembre 2009.

52 En outre, le gestionnaire n'a pas avisé le plaignant que la nomination était maintenant d'une durée de douze mois quand celui-ci s'est informé en janvier 2010 de la possibilité de devenir chef par intérim, Groupe de la construction.

53 Le Tribunal juge également que le gestionnaire a tenté de dissuader le plaignant en n'indiquant pas la durée réelle de la nomination de décembre 2009 de M. Carson. En janvier 2010, quand il a répondu aux demandes de renseignements de M. Spirak concernant une nomination au poste visé, M. Bazinet a affirmé que le processus de nomination externe allait prendre fin en avril ou en mai 2010 et que la nomination de M. Carson allait aussi prendre fin à ce moment-là. M. Bazinet a également indiqué qu'un certain nombre de candidats avaient été présélectionnés, que des examens devaient avoir lieu et que le processus devait se terminer en avril ou en mai 2010. Or, le processus de nomination externe n'a commencé qu'en septembre 2010. Le Tribunal conclut qu'au moment où M. Bazinet a avisé le plaignant que le processus de nomination externe allait se terminer en mai 2010, il n'avait pris aucune mesure pour relancer celui-ci. Par conséquent, les commentaires qu'il a formulés concernant le nombre de candidats qui avaient été présélectionnés, le moment où les examens allaient avoir lieu et la date de fin prévue du processus, soit en avril ou en mai 2010, étaient dénués de tout fondement.

Le fait que l'intimé a tardé à doter le poste

54 Le plaignant soutient également que le compte rendu des réunions de mars et de novembre 2009 tenues par les gestionnaires des SSE montre que pas moins de 18 mesures de dotation ont été lancées et terminées au cours de la période où le processus visant à doter le poste de chef pour une période indéterminée est demeuré en suspens. Le plaignant est d'avis que ce fait démontre que l'intimé a délibérément et excessivement retardé l'achèvement de la mesure de dotation afin de permettre à M. Carson d'acquérir l'expérience dont il avait besoin pour se qualifier pour le poste.

55 En outre, le plaignant affirme que dans la justification fournie à la haute direction à l'appui de la prolongation de la nomination de M. Carson en décembre 2009, le gestionnaire n'a proposé aucune autre solution pour régler la question de la vacance du poste. Il soutient que le fait que l'intimé n'a envisagé qu'une seule option constitue une autre preuve de favoritisme personnel. Par ailleurs, le plaignant avance, sans donner davantage de précisions, que la décision d'offrir une nomination pour laquelle le bilinguisme n'était pas impératif dans l'éventualité où aucun candidat bilingue ne se qualifierait (« créer un poste parallèle » [traduction]) visait à confondre les autres employés et à les dissuader de poser leur candidature.

56 Le Tribunal estime que cette allégation n'est pas fondée. Les éléments de preuve révèlent qu'avant la nomination de décembre 2009, des tentatives ont été entreprises, avec diligence, pour doter le poste. Rien ne prouve l'existence d'un stratagème visant à retarder le processus avant ou après la nomination du 31 décembre 2009. Le Tribunal juge que le fait pour l'intimé de désigner le poste comme étant à dotation non impérativement bilingue, a amélioré ses chances de trouver un candidat. L'intimé a établi clairement son intention de doter le poste en y nommant un candidat bilingue.

57 Cependant, le plaignant a présenté des documents qui établissent que le processus visant à obtenir l'autorisation de la haute direction pour entreprendre le processus de nomination externe annoncé concernant des postes EG-07 à dotation bilingue impérative et non impérative a été retardé jusqu'à la fin de l'été (2 septembre 2010). À ce moment-là, le titre du poste avait été changé pour celui de chef, Services techniques. Le 20 septembre 2010, la haute direction a donné son approbation pour entreprendre le processus avec les profils linguistiques « bilinguisme impératif » et « bilinguisme non impératif » au niveau BBC.

La formation fournie uniquement à M. Carson

58 Le plaignant affirme que le gestionnaire de l'intimé a annulé la formation permettant d'obtenir la délégation des pouvoirs d'approbation de contrats, des congés et des heures supplémentaires pour tous les employés, sauf M. Carson. Les éléments de preuve indiquent que le Conseil du Trésor avait établi de nouvelles normes exigeant que les gestionnaires suivent un cours de formation, le G110, avant d'exercer les pouvoirs de signature susmentionnés. M. Bazinet a déclaré qu'une section des services de ressources humaines était chargée de donner la formation. Il souhaitait que tous ses chefs de section l'obtiennent; or, celle-ci était fournie au personnel selon un ordre de priorité, de haut en bas, à commencer par le sous-ministre. Il a déclaré qu'il incombait aux responsables de la formation de décider qui allait la suivre. Il avait recommandé que ses chefs de section suivent la formation, mais étant donné que la demande à cet égard était supérieure à la capacité du ministère de la fournir immédiatement à tout le personnel qui souhaitait la recevoir, il y avait un délai entre le moment où la formation était demandée et celui où elle était fournie. Il a insisté sur le fait que c'était la section des ressources humaines responsable de la formation qui a déterminé l'ordre dans lequel les employés recevraient la formation et a nié avoir annulé la formation de qui que ce soit.

59 Un échange de courriels ayant eu lieu en février 2010 entre M. Bazinet et Sylvie Mathe met le témoignage de M. Bazinet en contexte et permet de mieux comprendre la situation. Mme Mathe a envoyé un message à M. Bazinet dans lequel elle lui demandait d'indiquer si le plaignant et les autres employés exécutaient certaines fonctions, soit dans leur poste d'attache, soit temporairement à titre intérimaire. Elle souhaitait savoir si les employés en question exerçaient des fonctions de gestion telles que l'attribution de tâches, l'approbation de formulaires de congés et l'évaluation du rendement. Elle a également demandé à M. Bazinet de confirmer s'ils allaient avoir besoin des pouvoirs de signature dans le cadre de leur poste d'attache, d'une affectation temporaire ou d'une nomination intérimaire. Mme Mathe a supposé que les employés figurant dans la liste dont elle disposait pouvaient être appelés à assumer ces fonctions dans leur poste d'attache ou à titre intérimaire; elle a donc demandé si ceux-ci avaient besoin de suivre le cours en français ou en anglais. Elle a terminé son courriel à M. Bazinet en soulignant que lui seul pouvait répondre à ces questions et en lui demandant de le faire le plus rapidement possible. Dans la liste figurait l'annotation suivante : « Dan Spirak oui ou non? » [traduction].

60 Au début de l'audience en octobre 2011, il semble que ni le plaignant, ni M. Sheldrick, ni les autres employés figurant dans la liste n'avaient été désignés comme personnes devant suivre le cours G110. Autrement dit, la décision de ne pas les désigner indique que, de l'opinion du gestionnaire, ils ne seraient pas pris en considération pour occuper des fonctions de gestion de façon temporaire.

61 Le Tribunal juge que la décision du gestionnaire de ne pas fournir de formation au plaignant ou aux autres employés qui avaient exprimé leur intérêt pour la nomination intérimaire leur a effectivement enlevé toute possibilité d'être nommés au poste de chef par intérim, Groupe de la construction. D'un côté, M. Bazinet a indiqué au plaignant et aux autres employés qu'il prendrait leur candidature en considération, mais de l'autre, ses actions ont créé un obstacle important, soit l'impossibilité d'obtenir la formation essentielle dont ils avaient besoin pour occuper le poste par intérim. Dans sa justification à l'appui de la nomination de M. Carson, M. Bazinet a affirmé qu'il ne serait pas efficace de nommer une personne qui avait besoin de formation ou d'encadrement.

La relation d'affaires personnelle existant entre MM. Carson et Bazinet

62 Enfin, le plaignant soutient qu'une relation d'affaires personnelle existait entre le gestionnaire et M. Carson. Le plaignant a affirmé que les deux hommes avaient souvent discuté, dans la salle à manger, de la possibilité de fonder une entreprise appelée Bazcar. En outre, le plaignant a souligné que M. Carson avait demandé à son gestionnaire de recruter des travailleurs pour construire la charpente de son garage et lui avait remis 8 000 $ comptant pour les payer. Le plaignant a indiqué que M. Carson avait obtenu sa nomination environ cinq mois après ces événements.

63 M. Carson a déclaré que ces conversations au sujet de la création d'une entreprise étaient sur le ton de la plaisanterie. Il a expliqué que M. Bazinet et lui avaient dit, à la blague, qu'ils fonderaient une entreprise de coordination des travaux de construction. Il a fait référence à un ancien employé qui avait fondé une entreprise appelée Bascom. MM. Carson et Bazinet avaient dit, en rigolant, que leur entreprise se nommerait Bazcar, nom constitué des trois premières lettres de leurs noms de famille. Le Tribunal conclut que les éléments de preuve sont insuffisants pour permettre de conclure que les deux prévoyaient se lancer en affaires ensemble.

64 En ce qui concerne le garage, M. Carson a déclaré qu'il avait obtenu l'aide de son gestionnaire, M. Bazinet, pour trouver des travailleurs capables d'en construire la charpente. M. Bazinet avait indiqué qu'il connaissait deux employés qui étaient en mesure de faire le travail. M. Bazinet leur en a parlé, et ils ont accepté, à la condition que M. Bazinet les aide. M. Bazinet a donc passé deux fins de semaine à aider M. Carson. Ce dernier a ensuite remis 8 000 $ à M. Bazinet pour qu'il paye les travailleurs.

65 M. Bazinet a confirmé le témoignage de M. Carson à ce sujet. Il a déclaré que M. Carson l'avait informé qu'il avait coulé du béton pour son garage et qu'il cherchait quelqu'un pour construire la charpente afin de protéger la dalle des conditions hivernales. Comme M. Carson ne trouvait personne, il a demandé à M. Bazinet si celui-ci connaissait quelqu'un qui serait en mesure de le faire. M. Bazinet a affirmé avoir fait quelques appels, puis trouvé des charpentiers qui étaient prêts à faire le travail, mais qui avaient besoin d'aide. Ceux-ci lui ont demandé de participer, et il a accepté de les aider à construire des murs et un toit pour le garage de M. Carson. M. Bazinet a également confirmé avoir agi comme intermédiaire pour remettre le paiement de M. Carson aux travailleurs. Il a indiqué qu'il n'effectuait des travaux de construction que dans ses temps libres. Il a aussi affirmé qu'il souhaitait rendre service et relaxer, car de tels projets l'aident « à se changer les idées » [traduction]. Le témoignage de M. Bazinet selon lequel il n'a personnellement touché aucun avantage financier pour ce projet n'a pas été contesté.

66 La preuve présentée à l'audience montre qu'il est courant pour les gens de métier de s'entraider afin de réaliser divers projets de construction personnels. Par exemple, M. Sheldrick a déclaré avoir aidé le plaignant à poser des bardeaux sur son toit; en retour, le plaignant l'avait aidé à déménager. M. Sheldrick a également aidé M. Carson à construire des escaliers après la construction de son garage. Or, dans les autres exemples d'employés qui s'entraident pour les projets de construction personnels, le degré de participation des collègues n'était jamais aussi élevé que celui du gestionnaire dans ce projet, et il n'avait pas été question de paiement ni d'argent comptant.

Le plaignant a-t-il établi que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel et de mauvaise foi en renouvelant la nomination intérimaire de M. Carson?

67 Après avoir examiné l'ensemble de la preuve, le Tribunal juge que le plaignant a présenté les faits suivants à l'appui de la constatation selon laquelle l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel envers la personne nommée, a agi de mauvaise foi et a donc abusé de son pouvoir. D'abord, le Tribunal conclut que la preuve entourant la prolongation de la nomination de M. Carson établit qu'il y a eu favoritisme personnel. Des erreurs de procédure ont été commises, notamment l'omission d'annoncer adéquatement et avec exactitude la nouvelle nomination de décembre 2009. Un avis informel a été donné le 5 novembre 2009; cependant, la durée de la nomination et les qualifications liées au poste n'y étaient pas décrites correctement, et certains renseignements essentiels concernant le droit de recours des employés n'étaient pas indiqués. L'intimé n'a jamais publié d'avis de nomination pour le poste. Par ailleurs, le gestionnaire n'a pas donné aux autres employés possédant les qualifications pour occuper le poste parallèle à titre intérimaire la possibilité de suivre la formation quand l'occasion s'est présentée.

68 En outre, la justification qui a été fournie à l'appui de la nomination découlant d'un processus non annoncé en décembre 2009 ne présentait pas avec exactitude les circonstances de la nomination. Le document original, bien qu'il ait été signé le même jour que la demande de service en personnel, indiquait à tort que la nomination portait sur trois mois alors que la demande de service en personnel indiquait qu'il s'agissait d'une nomination portant sur douze mois.

69 Le changement de la durée de la nomination a eu une incidence sur les motifs invoqués dans la justification originale. Le gestionnaire a fait valoir qu'il n'aurait pas été efficace d'offrir la possibilité d'emploi à quelqu'un qui avait besoin de formation ou d'encadrement pour une nomination d'une durée de trois mois. Or, le même jour, il a demandé que M. Carson soit nommé pour une durée de douze mois. Le fait que le gestionnaire a demandé une nomination d'une durée de douze mois appuie la supposition selon laquelle il savait que le processus de nomination annoncé allait prendre plus de trois mois et que la durée de trois mois indiquée dans la justification légitimerait le choix d'un processus non annoncé.

70 Plusieurs inexactitudes importantes concernant principalement les critères relatifs à la nomination et la durée de celle-ci se retrouvent dans la justification préparée en novembre 2009 pour appuyer la nomination pour un an de M. Carson par suite d'un processus non annoncé. Elles montrent que le gestionnaire a fait preuve de négligence dans le processus de nomination. Comme il a été mentionné plus haut, le gestionnaire a signé la justification appuyant le choix d'un processus de nomination non annoncé le 26 novembre 2009. Cette justification indique que l'affectation devait durer trois mois à partir du 31 décembre 2009. Le même jour, le gestionnaire a signé une demande de service en personnel afin de nommer M. Carson pour une période de douze mois à partir du 31 décembre 2009.

71 En janvier 2010, en discutant avec le plaignant au sujet de la prolongation de la nomination de M. Carson, le gestionnaire a indiqué que la nomination allait probablement se terminer bientôt et a décrit les étapes d'un processus annoncé lequel, a-t-il affirmé, avait commencé, alors qu'il n'en était rien. Le gestionnaire a écrit qu'un processus de nomination externe était en cours et allait se terminer en avril ou en mai 2010. Il a souligné que la nomination intérimaire de M. Carson allait se terminer à ce moment-là. En réalité, quand il a fait cette déclaration, le gestionnaire n'avait pris aucune mesure pour lancer le processus de nomination.

72 Le Tribunal juge que même si des changements importants avaient été apportés aux exigences de l'ECM du poste parallèle par rapport à celui du poste visé par le processus annoncé, le gestionnaire n'a pas évalué le plaignant ou les autres candidats potentiels se trouvant dans une zone de sélection raisonnable ni en juin 2009, quand il a affirmé que M. Carson était le seul candidat qualifié, ni au moment de la nomination du 31 décembre 2009. Même si le gestionnaire n'était pas tenu de prendre en considération d'autres personnes que M. Carson, la justification qu'il a fournie à l'appui de la nomination n'était pas fondée sur des éléments probants.

73 La nomination de M. Carson a été effectuée dans un contexte où le gestionnaire et la personne nommée, qui partagent la même affiliation professionnelle, ont discuté, quoique sur le ton de la plaisanterie, de la création de leur propre entreprise. Le gestionnaire a consacré du temps au recrutement de travailleurs afin d'aider la personne nommée à construire la charpente de son garage, a payé les travailleurs 8 000 $ comptant et a passé deux fins de semaine à les aider à effectuer le travail. Ces événements témoignent de l'existence d'une relation personnelle entre le gestionnaire et la personne nommée. Cette relation, examinée parallèlement aux erreurs sérieuses entourant la nomination, porte le Tribunal à conclure que le plaignant a établi que l'intimé a abusé de son pouvoir en prolongeant la nomination intérimaire de M. Carson au poste de chef, Groupe de la construction, en décembre 2009.

74 Le Tribunal conclut également que l'intimé a fait preuve de mauvaise foi quand il a omis de corriger les renseignements qu'il a fournis au plaignant et aux autres employés de la section concernant la durée de la nomination intérimaire de M. Carson. M. Bazinet a écrit au plaignant pour l'informer qu'un processus de nomination annoncé était en cours et allait probablement se terminer en mai 2010. En fait, ce processus n'a commencé qu'à la fin de l'été ou au début de l'automne 2010. Le Tribunal constate que quand M. Bazinet a fait ces déclarations, il n'avait pris aucune mesure pour lancer le processus de nomination. Ainsi, les commentaires qu'il a formulés au sujet du nombre de candidats qui avaient été présélectionnés, de la tenue des examens et du moment prévu de la fin du processus, soit avril ou mai 2010, n'avaient aucun fondement, ce qui dénote de la mauvaise foi.

75 Par ailleurs, le gestionnaire a fait croire au plaignant et à M. Côté que leur candidature allait être prise en considération pour la nomination intérimaire alors qu'il n'avait pas l'intention d'accorder de possibilité d'intérim à quiconque, sauf à M. Carson. S'il avait évalué les autres candidats au regard de l'ECM du poste parallèle, il aurait pu facilement leur indiquer, quand ils ont manifesté leur intérêt à l'égard du poste, qu'il avait comparé leurs qualifications à celles figurant dans l'ECM et qu'ils ne répondaient pas aux exigences. En octobre 2009, il a plutôt promis d'aviser M. Côté de la prochaine possibilité d'intérim.

76 Pour ces motifs, le Tribunal conclut qu'en effectuant cette nomination, l'intimé ne s'est pas conformé aux valeurs de nomination de son ministère que sont l'accessibilité, l'équité et la transparence, a agi de mauvaise foi et a fait preuve de favoritisme personnel à l'endroit de M. Carson.

Décision


77 Pour tous les motifs susmentionnés, la plainte d'abus de pouvoir est accueillie.

Ordonnance


78 Dans ses observations, le plaignant a demandé au Tribunal de révoquer la nomination de M. Carson et les pouvoirs délégués dont sont investis le gestionnaire et son adjoint, ainsi que d'annuler le processus de sélection annoncé en cours. Il a également demandé au Tribunal de recommander au gestionnaire et à son adjoint de suivre une formation. De plus, il a demandé que le Tribunal « veille à ce qu'un nouveau comité de sélection impartial entreprenne un nouveau processus de sélection pour le poste EG-07 » [traduction]. Lorsqu'il accueille une plainte présentée en vertu de l'article 77, le Tribunal dispose d'un vaste pouvoir en matière d'ordonnance de mesures correctives, conformément aux articles 81(1) et 82 de la LEFP. Or, les mesures correctives doivent se rapporter uniquement au processus de nomination visé par la plainte. (Canada [Procureur général] c. Cameron, 2009 CF 618).

79 Donc, quand le Tribunal établit qu'il y a eu abus de pouvoir, les mesures correctives qu'il ordonne doivent se rapporter uniquement à la plainte.

80 Par conséquent, le Tribunal a le pouvoir de révoquer la nomination du 31 décembre 2009. Il ordonne donc à l'intimé de révoquer la nomination de M. Carson dans les 60 jours suivant la décision.

81 Le Tribunal sait que la nomination est terminée. Or, la révocation de la nomination n'est pas sans objet; compte tenu de la constatation selon laquelle cette nomination et le processus de nomination connexe étaient entachés de favoritisme personnel, la nomination doit être révoquée. Voir la décision Beyak c. le sous-ministre de Ressources naturelles Canada, 2009 TDFP 0035, para. 192.

82 En ce qui a trait aux demandes du plaignant concernant le processus de nomination annoncé en cours, le Tribunal n'a pas le pouvoir d'annuler celui-ci ni de s'immiscer dans l'un ou l'autre de ses aspects.

83 Le Tribunal a examiné la demande du plaignant pour ce qui est de formuler des recommandations concernant le gestionnaire. Dans la décision Canada (Procureur général) c. Beyak, 2011 CF 629, la Cour fédérale a confirmé que le Tribunal a compétence pour formuler des recommandations. En l'espèce, le Tribunal a conclu que le gestionnaire avait fait preuve d'un mépris flagrant à l'égard de certaines exigences liées à la dotation. À la lumière de cette constatation, le Tribunal recommande à l'intimé de fournir au gestionnaire de la formation ou de l'encadrement en ce qui concerne les techniques et les procédures de dotation afin que les futurs processus de nomination soient menés de façon entièrement conforme aux lois, aux politiques et aux règlements pertinents.


Eugene F. Williams
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2010-0220
Intitulé de la cause :
Daniel Spirak c. le sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada
Audience :
Du 4 au 6 octobre 2011
Ottawa (Ontario)
Dernier document reçu le 16 décembre 2011
Date des motifs :
7 août 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Robert L. Cameron
Pour l'intimé :
Lea Bou Karam
Pour la Commission
de la fonction publique :
Tricia Hefferman (Observations écrites)
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