Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante a participé à un processus de nomination interne annoncé pour la dotation de deux postes du groupe Sciences physiques (PC). Elle a franchi les trois premières étapes de l’évaluation : présélection, examen écrit et entrevue. Sa candidature a été éliminée à l’étape de la vérification des références. Selon la plaignante, l’intimé aurait fait preuve d’abus de pouvoir dans la vérification des références pour les raisons suivantes : il a omis de contacter la plaignante; il a obtenu des références d’un ancien gestionnaire partial; il s’est fié à des renseignements fournis par un répondant non qualifié, qui n’avait pas supervisé directement la plaignante; il n’a pas pris en ce qui concerne la plaignante des mesures d’accommodement par rapport à l’évaluation des références; il a refusé de communiquer avec un des répondants désignés par la plaignante.  L’intimé a fait valoir que la plaignante ne possédait pas les qualifications essentielles évaluées par la vérification des références : entregent, esprit d’initiative, jugement. Il a ajouté que le comité d’évaluation n’a pas outrepassé ses pouvoirs en obtenant des renseignements supplémentaires auprès d’anciens superviseurs afin d’évaluer adéquatement les qualifications de la plaignante. Décision Le Tribunal a jugé que le processus de nomination était erroné à plusieurs égards. Premièrement, les directives fournies aux candidats manquaient de clarté pour ce qui concerne la désignation des répondants. Deuxièmement, en dépit du fait que les candidats étaient autorisés à fournir le nom de collègues ou de membres d’une organisation professionnelle, le guide de vérification des références s’adressait à des superviseurs et des gestionnaires. Troisièmement, le comité d’évaluation a tenu compte des opinions formulées verbalement par un ancien superviseur sans prendre les précautions nécessaires en l’occurrence. Quatrièmement, le comité d’évaluation s’est fié aux commentaires oraux de deux des superviseurs de la plaignante tandis que tous les autres candidats ont été évalués au moyen d'un questionnaire écrit rempli par les répondants. Enfin, l’effet conjugué de l’importance démesurée accordée par le comité d’évaluation aux remarques d’une directrice – malgré le fait que celle-ci n’avait jamais supervisé directement la plaignante – et du peu de poids accordé aux commentaires des trois répondants de la plaignante, tout cela constituait aussi une erreur. En examinant la plainte sur la base de toutes ces erreurs, le Tribunal a conclu que la plaignante avait établi, selon la prépondérance des probabilités, la preuve d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé dans le processus d’évaluation. Par ailleurs, le Tribunal a estimé que la plaignante n’avait pas réussi à présenter une preuve suffisante démontrant que le fait pour l’intimé d’exiger un superviseur direct sur la liste de répondants l’avait placée dans une situation désavantageuse par rapport aux autres candidats parce qu’elle s’était absentée du travail en raison d’une déficience. Puisque le Tribunal a conclu que la plaignante n’avait pas établi de preuve prima facie de discrimination, l’obligation d’accommodement prévue dans la Loi canadienne sur les droits de la personne n’était pas applicable. Plainte accueillie. Mesure corrective Comme l’entregent, l’esprit d’initiative et le jugement de la plaignante n’avaient pas été évalués adéquatement, le Tribunal a ordonné à l’intimé de réévaluer ces qualifications dans les soixante jours. Si la plaignante est jugée qualifiée sur la base de cette réévaluation, elle sera placée dans le bassin établi à la suite du processus de nomination en l’espèce, s’il  existe encore. Le Tribunal a recommandé que les membres du comité d’évaluation suivent une formation sur la vérification des références.

Contenu de la décision

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Dossiers :
2010-0598
Décision
rendue à :

Ottawa, le 5 novembre 2012

JACQUELINE GABON
Plaignante
ET
LE SOUS‑MINISTRE D’ENVIRONNEMENT CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est accueillie
Décision rendue par :
Eugene F. Williams, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Gabon c. le sous‑ministre d’Environnement Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0029

Motifs de décision


Introduction

1 La plaignante, Jacqueline Gabon, a postulé à un processus de nomination interne annoncé visant deux postes de groupe et de niveau PC-03 à Environnement Canada. L’annonce indiquait également qu’au terme du processus serait établi un bassin de candidats qualifiés qui pourrait servir à doter des postes semblables de différentes durées aux mêmes groupe et niveau. La plaignante affirme que l’intimé, le sous‑ministre d’Environnement Canada, a abusé de son pouvoir dans la vérification de ses références pour les raisons suivantes : a) il a omis de communiquer avec la plaignante; b) il a obtenu des références d’un ancien gestionnaire partial; c) il s’est fié à des renseignements fournis par un répondant non qualifié, qui n’avait pas supervisé directement la plaignante; d) il n’a pas pris à l’égard de la plaignante des mesures d’accommodement par rapport à l’évaluation des références; e) il a refusé de communiquer avec un des répondants désignés par la plaignante.

2 L’intimé nie les allégations de la plaignante et affirme que la candidature de cette dernière a été éliminée du processus de nomination parce qu’elle ne possédait pas trois des qualifications essentielles évaluées au moyen de la vérification des références, soit l’entregent, l’esprit d’initiative et le jugement. L’intimé soutient que le comité d’évaluation n’a pas outrepassé ses pouvoirs en obtenant des renseignements supplémentaires auprès d’anciens superviseurs afin d’évaluer adéquatement les qualifications de la plaignante.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas comparu en l’espèce, mais elle a présenté des observations écrites détaillées sur ses politiques et lignes directrices pertinentes en matière d’évaluation, de sélection et de discussion informelle. La CFP a également fourni des observations concernant la discrimination et l’obligation d’accommodement. Elle n’a pas pris position sur le bien‑fondé de la plainte.

4 Pour les motifs énoncés ci‑après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) juge que la plaignante a réussi à établir la preuve d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé dans le processus de nomination au motif que celui-ci ne l’a pas évaluée adéquatement.

Contexte

5 En juin 2009, Environnement Canada a mené un processus de nomination interne annoncé pour doter deux postes de groupe et de niveau PC‑03 et pour créer un bassin de candidats qualifiés en vue de doter des postes semblables de différentes durées aux mêmes groupe et niveau au sein de l’organisation.

6 Les candidats étaient évalués au moyen d’une présélection initiale des candidatures, d’un examen écrit, d’une entrevue et d’une vérification des références. La plaignante a franchi les trois premières étapes de l’évaluation avec succès. Toutefois, le 23 décembre 2009, le conseiller principal en ressources humaines de l’intimé a avisé la plaignante par courriel que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination parce qu’elle n’avait pas obtenu la note de passage pour trois des qualifications essentielles évaluées au moyen de la vérification des références : l’entregent, l’esprit d’initiative et le jugement.

7 Le 27 septembre 2010, la plaignante a déposé au Tribunal une plainte d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (la LEFP).

Questions en litige

8 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué la plaignante?
  2. L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’égard de la plaignante durant la vérification des références?

Résumé des éléments de preuve pertinents

9 La plaignante a affirmé qu’elle avait commencé à travailler à Environnement Canada en décembre 2003, à un poste de groupe et de niveau EG‑06. Ses fonctions consistaient alors à fournir des services d’ingénierie et de soutien technique. Embauchée à titre de chef de l’approvisionnement, elle devait examiner la documentation nécessaire pour entretenir des réseaux nationaux. Elle était également responsable de la gestion de la qualité. Bien que la plaignante soit arrivée à Environnement Canada en décembre 2003, elle a continué à travailler à temps partiel pour Statistique Canada jusqu’à l’automne 2007. Au début de sa carrière à Environnement Canada, la plaignante comptait 1,5 subordonnés directs (employés qui relevaient directement d’elle). Ce nombre a toutefois augmenté pour passer à 3,5 subordonnés directs, outre les étudiants stagiaires dont elle avait également la responsabilité.

10 En octobre 2007, la plaignante a commencé un congé de maladie de 18 mois pour soigner et réhabiliter une blessure à l’épaule qu’elle avait subie au travail. À son retour au travail, en mars 2009, elle travaillait trois jours par semaine et relevait de Christopher Garnett, gestionnaire intérimaire de sa section. Elle a recommencé à travailler à temps plein en avril 2009.

11 Le comité d’évaluation responsable du processus de nomination en l’espèce était composé d’un président, John MacPhee, gestionnaire national des réseaux de surface, de météorologie et de climatologie d’Environnement Canada depuis 2009, et des membres suivants : Brian Howe (superviseur), Yves Durocher et Richard Campbell (consultants). La plaignante a affirmé qu’elle avait travaillé avec MM. MacPhee, Durocher et Campbell par le passé. M. Campbell était son superviseur lorsqu’elle a commencé à travailler à Environnement Canada, et elle a déjà travaillé pour MM. MacPhee et Durocher.

12 La plaignante a postulé pour les deux postes annoncés dans le processus de nomination, soit celui de superviseur, Normes – Réseaux d’observation en surface, et celui de scientifique principal, Surveillance environnementale. Elle a confirmé qu’elle avait passé les trois premières étapes du processus de nomination, mais que sa candidature avait été éliminée à l’étape de la vérification des références.

13 Durant le processus de nomination, la plaignante devait fournir le nom de trois répondants, comme un superviseur, un collègue ou un membre d’une organisation professionnelle. Elle a fourni le nom de M. Garnett, ancien gestionnaire intérimaire et collègue, de Denise Thompson, coordonnatrice de la campagne de charité régionale, et de Ted Sawchuck, un superviseur d’Environnement Canada avec qui elle avait collaboré à des comités ministériels. La plaignante a affirmé qu’à son retour au travail en mars 2009, M. Sawchuck était responsable de la gestion des documents à Environnement Canada.

14 Lorsqu’elle a appris que sa candidature avait été éliminée du processus de nomination le 23 décembre 2009, la plaignante a envoyé un courriel à M. MacPhee pour lui demander une discussion informelle. N’ayant reçu aucune réponse à sa demande initiale, elle a effectué en juin 2010 un suivi du dossier avec son représentant syndical. Après la publication d’une notification de candidature retenue en juin 2010, la plaignante, accompagnée de son représentant syndical, a rencontré M. MacPhee. Durant la rencontre, la plaignante a appris que les membres du comité d’évaluation avaient obtenu des renseignements auprès de personnes autres que les trois répondants qu’elle avait désignés, et que les membres s’étaient fiés à ces renseignements pour prendre leur décision. En outre, l’information fournie par ces personnes était à la base de son échec à obtenir la note de passage.

15 M. MacPhee a affirmé qu’il avait remis un guide de vérification des références à chacun des répondants désignés par la plaignante et qu’il avait évalué leurs réponses.

16 Selon M. MacPhee, la vérification des références permettait d’évaluer quatre qualifications essentielles : la capacité de travailler sous pression, l’esprit d’initiative, le jugement et l’entregent. Il a ajouté que le comité d’évaluation avait demandé aux candidats de fournir le nom d’un superviseur dans leur liste de répondants, afin de pouvoir obtenir une évaluation du travail des candidats provenant d’une personne qui les avait directement supervisés. M. MacPhee a indiqué que tous les candidats avaient fourni le nom d’une personne qui avait directement supervisé leur travail pendant deux ans, à l’exception de la plaignante.

17 M. MacPhee était préoccupé par le fait que les répondants désignés par la plaignante n’étaient pas des superviseurs directs ou ne l’avaient pas supervisée suffisamment longtemps. M. Garnett, le premier répondant à témoigner, a affirmé qu’il avait supervisé la plaignante pendant quelques semaines à la fin de son intérim en tant que gestionnaire en 2009. Il a fourni des observations à titre de collègue et de mentor de la plaignante.

18 M. MacPhee a déclaré que la deuxième répondante, Mme Thompson, avait travaillé avec la plaignante dans le cadre de la Campagne de charité en milieu de travail du gouvernement du Canada et d’autres initiatives. Il a souligné que Mme Thompson avait reconnu qu’elle n’était pas au courant des engagements opérationnels de la plaignante, et que ses observations sur le rendement de la plaignante s’étaient limitées au rôle de celle‑ci à titre de coordonnatrice des dons de charité et à d’autres tâches connexes.

19 M. MacPhee a reconnu que M. Sawchuck était superviseur à Environnement Canada. Cependant, en examinant le questionnaire rempli par M. Sawchuck, M. MacPhee a constaté qu’il avait très peu de responsabilités de supervision à l’égard de la plaignante. M. Sawchuck connaissait la plaignante depuis 2004, mais il a néanmoins indiqué au début du questionnaire qu’il regrettait de fournir si peu d’information, évoquant son peu d’interaction avec elle.

20 M. MacPhee a affirmé qu’il avait été influencé par la déclaration de M. Garnett, selon laquelle ce dernier avait seulement supervisé la plaignante pendant quelques semaines durant son intérim à titre de gestionnaire. En décrivant la capacité de la plaignante de travailler sous pression, M. Garnett a donné un exemple concernant l’embauche d’étudiants, mais il a reconnu qu’il ignorait, en tant que collègue, les objectifs de la plaignante et les délais qu’elle devait respecter. En outre, la charge de travail de la plaignante était allégée durant la période où il la supervisait directement. M. MacPhee a donc conclu que M. Garnett n’avait pas supervisé la plaignante suffisamment longtemps pour être en mesure d’évaluer convenablement son travail conformément aux critères de la vérification des références. M. MacPhee a été impressionné par le fait que M. Garnett commente expressément la durée et les circonstances de son travail de supervision de la plaignante.

21 M. MacPhee est arrivé à la même conclusion en lisant la description des interactions entre Mme Thompson et la plaignante. Selon lui, les observations de Mme Thompson reposaient principalement sur une période de cinq semaines en septembre et en octobre 2009, alors que la plaignante participait à la campagne de charité. Après avoir examiné les exemples fournis par Mme Thompson au sujet du jugement et de la capacité de travailler sous pression de la plaignante, M. MacPhee a estimé qu’il aurait fallu que la répondante ait une connaissance plus approfondie des compétences de travail de la plaignante pour ces qualifications.

22 Après avoir consulté son agent de dotation, qui était également d’avis qu’il était nécessaire d’obtenir des renseignements d’un superviseur, M. MacPhee a obtenu le nom du superviseur actuel de la plaignante, Michael Manore, et celui d’un ancien superviseur, Guy Girard. Il a également communiqué avec M. Sawchuck pour confirmer l’ampleur de son rôle de supervision à l’égard de la plaignante.

23 M. MacPhee a appelé M. Girard, qui avait supervisé la plaignante de mai 2005 à novembre 2006, lui expliquant que la plaignante avait présenté sa candidature pour le processus de nomination. Il a également indiqué qu’il avait besoin d’avis supplémentaires de la part de superviseurs.

24 M. Girard a formulé des commentaires sur le jugement de la plaignante. Il a mentionné qu’un important dossier de ressources humaines (RH) avait été élaboré au sujet de la plaignante. Il a également informé M. MacPhee que la plaignante manquait de jugement lorsqu’il s’agissait de faire avancer des projets, qu’on ne pouvait pas lui faire confiance pour orienter les projets dans la bonne direction et qu’elle interprétait les commentaires reçus comme des critiques. En outre, M. Girard a indiqué à M. MacPhee que la plaignante s’était plainte au service des RH lorsqu’il avait essayé de lui donner de la rétroaction, et qu’elle l’avait accusé de harcèlement. Il a ajouté que le rendement de la plaignante posait de nombreux problèmes, qu’elle décrivait comme étant du harcèlement à son égard. M. Girard a également indiqué à M. MacPhee qu’il n’accorderait pas la note de passage à la plaignante pour deux qualifications, soit le jugement et l’entregent. Il ne souhaitait pas formuler des commentaires sur les deux autres qualifications, à savoir l’esprit d’initiative et la capacité de travailler sous pression.

25 M. MacPhee a reconnu ne pas avoir consulté les RH pour vérifier les propos de M. Girard. Il a affirmé que M. Girard était un superviseur auquel Environnement Canada avait décidé de faire appel, et M. MacPhee croyait qu’il serait sincère et objectif car il s’agissait d’un superviseur sérieux et fiable. Par conséquent, M. MacPhee s’est fié à la déclaration de M. Girard et a conclu que la plaignante manquait de jugement et d’entregent.

26 Après cet entretien avec M. Girard, M. MacPhee a jugé qu’il devait consulter d’autres personnes. Il a donc communiqué avec M. Manore, le gestionnaire actuel de la plaignante, et lui a expliqué qu’il avait reçu des commentaires contradictoires au sujet de la plaignante et qu’il tentait de dresser un portrait exact.

27 Durant cette discussion, M. Manore a demandé à M. MacPhee s’il était au courant du dossier exposant la situation entre la plaignante et M. Girard. Lorsque M. MacPhee a répondu par l’affirmative, M. Manore aurait dit ce qui suit : « Alors vous n’obtiendrez aucun commentaire de ma part. » [traduction] M. Manore a également déclaré qu’il dirigeait un processus de dotation pour lequel la plaignante avait présenté sa candidature. Il craignait que ses commentaires puissent le placer en situation de conflit par rapport au processus de dotation qu’il dirigeait. M. Manore a uniquement mentionné que la plaignante devait faire l’objet d’une supervision étroite.

28 Ne sachant pas exactement que faire ensuite, M. MacPhee a consulté un gestionnaire supérieur et un autre membre du comité d’évaluation, M. Durocher. Le gestionnaire supérieur, Peter Livingstone, lui a indiqué qu’il ne pouvait pas faire fi de ce qu’il avait appris. M. MacPhee a expliqué à M. Durocher ce qui était ressorti de ses conversations avec l’ancien superviseur de la plaignante et son superviseur actuel, et ils ont ensuite tenté de trouver d’autres superviseurs qui avaient travaillé avec la plaignante. M. Durocher a proposé de communiquer avec Christine Best, ce que M. MacPhee a fait.

29 M. MacPhee a expliqué à Mme Best qu’il cherchait un superviseur dont les responsabilités envers la plaignante étaient de nature fonctionnelle ou hiérarchique. Il lui a demandé si elle connaissait directement la plaignante et si elle était en mesure de répondre à ses questions. Mme Best lui a répondu par l’affirmative et lui a envoyé une réponse écrite complète quelques jours plus tard.

30 M. MacPhee a lu la réponse de Mme Best dans son intégralité et a invité M. Durocher à en faire autant. Ils ont tenu compte de cette réponse dans le processus. M. MacPhee a ensuite examiné tous les commentaires fournis par les superviseurs, que ce soit de vive voix ou par écrit. À la lumière de cet examen, M. MacPhee a conclu que la plaignante n’était pas qualifiée pour être superviseure parce qu’elle n’avait pas obtenu la note de passage pour le jugement, l’esprit d’initiative et l’entregent.

31 M. MacPhee a affirmé qu’il n’avait pas demandé à la plaignante de proposer un autre répondant parce qu’il avait déjà obtenu auprès des RH le nom de quelques gestionnaires; en outre, le comité d’évaluation voulait consulter des superviseurs récents ou actuels.

32 M. MacPhee a affirmé qu’il avait tenu compte des commentaires de Mme Best parce qu’il était convaincu que celle‑ci avait supervisé la plaignante pendant une période suffisante et qu’elle possédait une bonne réputation au sein de l’organisation. M. MacPhee a également indiqué qu’il avait soupesé les commentaires positifs au sujet de la plaignante, soulignant que le comité d’évaluation avait pris en compte la durée de la supervision.

33 En ce qui concerne la vérification des références des autres candidats, M. MacPhee a affirmé qu’il avait demandé à un répondant de lui envoyer ses réponses écrites au questionnaire, et qu’il avait avisé un autre répondant que ses rapports avec le candidat remontaient à une époque trop lointaine. Il a ajouté que la plaignante était la seule qui n’avait pas fourni le nom d’un répondant l’ayant supervisée pendant au moins deux ans. Lorsqu’il lui a été demandé d’indiquer s’il était intervenu pour d’autres candidats, M. MacPhee a mentionné qu’il avait communiqué avec un répondant dont les rapports avec le candidat n’étaient pas suffisamment récents.

Analyse

34 L’abus de pouvoir n’est pas défini dans la LEFP. Cependant, selon l’article 2(4), « [i]l est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

35 Dans la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008, le Tribunal a établi que l’abus de pouvoir comprend toujours une conduite irrégulière, mais que la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peut déterminer si elle constitue un abus de pouvoir ou non.

36 L’abus de pouvoir peut également comprendre des erreurs. Voir la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 CAF 19, para. 64. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend de la nature et de la gravité de l’erreur.

Question I : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir lorsqu’il a évalué la plaignante?

37 L’article 36 de la LEFP procure aux gestionnaires délégataires une grande marge de manœuvre quant au choix et à l’utilisation des méthodes d’évaluation visant à déterminer si une personne possède les qualifications requises. Toutefois, ce pouvoir n’est pas absolu. En effet, le Tribunal peut déterminer qu’il y a abus de pouvoir si, par exemple, il est établi que la méthode d’évaluation comporte une faille fondamentale. L’utilisation de méthodes d’évaluation qui ne permettent pas d’évaluer les qualifications, qui sont déraisonnables ou discriminatoires ou qui entraînent des résultats inéquitables peut constituer un abus de pouvoir. Voir la décision Ouellet c. le président de l’Agence canadienne de développement international, 2009 TDFP 0026.

38 La vérification des références est un outil d’évaluation qui permet de recueillir des renseignements sur le rendement et les réalisations antérieurs d’un candidat, et ainsi de déterminer s’il possède les qualifications pour un poste à doter. Conformément aux Lignes directrices de la CFP en matière d’évaluation, les personnes responsables de l’évaluation ne doivent pas être en conflit d’intérêts et doivent être en mesure d’assumer les rôles, les responsabilités et les fonctions qui leur sont propres de façon juste.

39 Par ailleurs, selon le guide de la CFP intitulé « Vérification structurée des références – Guide des pratiques exemplaires », les répondants devraient :

  • avoir eu l’occasion d’observer adéquatement le postulant dans diverses situations professionnelles, afin d’être en mesure de formuler des observations constructives sur la continuité et la qualité de son comportement;
  • avoir récemment travaillé avec le postulant et durant une période suffisamment longue;
  • faire preuve d’ouverture et de franchise lorsqu’il s’agit de communiquer les renseignements pertinents.

40 De plus, le guide de la CFP « La vérification des références – Regard sur le passé » indique qu’il n’est pas obligatoire d’obtenir le consentement des candidats avant de communiquer avec un répondant de la fonction publique. Le guide précise toutefois que « même dans le cas où le consentement du candidat n’est pas requis, on suggère de le lui demander quand même par courtoisie ». Le Tribunal a confirmé cette approche. En effet, au paragraphe 55 de la décision Dionne c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2008 TDFP 0011, le Tribunal a déclaré ce qui suit : « Bien qu’il soit préférable d’obtenir le consentement des candidats, il n’existe aucune exigence à cet égard sur le plan légal, pas plus que les lignes directrices de la CFP sur la vérification des références n’exigent le consentement des candidats lorsque le répondant provient d’une institution fédérale. »

41 Dans la même décision, au paragraphe 50, le Tribunal a fait remarquer que « [b]ien que les candidats puissent donner le nom de superviseurs ou de collègues qui sont susceptibles de fournir des références positives, l’objectif de la vérification des références est d’obtenir des renseignements précis et pertinents au sujet d’un candidat, que ceux‑ci soient positifs ou négatifs ».

42 Comme il a été noté dans la décision Ammirante c. le sous-ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2010 TDFP 0003, le rôle du Tribunal consiste à déterminer s’il s’est produit des irrégularités dans le processus d’évaluation. En l’espèce, l’examen des éléments de preuve pertinents fait ressortir que la plaignante a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il s’est produit des irrégularités dans le processus d’évaluation.

43 L’intimé était en droit d’utiliser la vérification des références comme méthode d’évaluation en vue de déterminer si la plaignante possédait les qualifications essentielles que sont l’entregent, l’esprit d’initiative et le jugement. De même, les questions du guide de vérification des références étaient bel et bien liées aux qualifications décrites dans l’énoncé des critères de mérite que le comité d’évaluation souhaitait évaluer.

44 Le choix de l’intimé quant à la méthode d’évaluation n’avait rien d’inapproprié, mais les directives fournies aux candidats au sujet de la vérification des références auraient dû être plus claires. Les candidats devaient seulement fournir le nom de répondants ayant travaillé avec eux, comme un superviseur, un collègue ou un membre d’une organisation professionnelle. Toutefois, le questionnaire de la vérification des références était strictement destiné aux superviseurs, et non pas aux collègues ni aux membres d’organisations professionnelles. Dans ce questionnaire, le répondant devait décrire sa relation avec le candidat en répondant à la question suivante : « Pendant combien de temps avez‑vous supervisé la personne? » [traduction] Cette situation est semblable à celle dont fait état la décision Ammirante, dans laquelle le Tribunal a conclu ce qui suit au paragraphe 115 : « Si le comité d’évaluation souhaitait que tous les répondants soient des superviseurs, il aurait dû le demander dès le début du processus. En ne respectant pas sa propre exigence, l’intimé a fait preuve d’incurie. »

45 Le fait de ne pas fournir des directives claires relève de l’incurie et constitue une erreur dans le processus de nomination. Cependant, les directives étaient les mêmes pour tous les candidats, et la plaignante a affirmé qu’elle croyait que les trois répondants qu’elle avait désignés étaient d’anciens superviseurs. S’il s’agissait de la seule erreur commise par l’intimé, il n’y aurait pas abus de pouvoir en l’espèce.

46 Le Tribunal estime que le président du comité d’évaluation a jugé la situation de façon raisonnable en déterminant, à la lumière des renseignements fournis par les répondants de la plaignante, que ceux‑ci n’avaient pas supervisé la plaignante suffisamment longtemps en contexte de travail.

47 Il était raisonnable de la part du président du comité de s’attendre à ce que les répondants aient supervisé la plaignante pendant une période suffisamment longue. Or, les répondants de la plaignante ne l’avaient supervisée que pour une période très limitée. M. Garnett l’avait supervisée pendant environ un mois à son retour au travail, alors que sa charge de travail était allégée (trois jours par semaine). De son côté, Mme Thompson avait travaillé avec la plaignante dans le cadre d’activités liées à la campagne de charité du gouvernement, à la semaine nationale de la fonction publique, à la semaine de l’environnement et autres activités connexes. M. Sawchuck a commencé par indiquer qu’il regrettait de fournir si peu d’information en raison de l’interaction limitée qu’il avait eue avec la plaignante. Bien que superviseur à Environnement Canada, M. Sawchuck a reconnu qu’il avait très peu d’interaction avec la plaignante. Ses rencontres avec elle s’inscrivaient dans le contexte d’affectations particulières. Par exemple, il a tenu à préciser que son évaluation du jugement de la plaignante était fondée sur des observations sporadiques du travail de la plaignante et sur quelques conversations qu’il avait eues avec elle.

48  Il aurait certes été plus courtois de la part du président du comité d’évaluation d’aviser la plaignante lorsqu’il a déterminé que les répondants désignés ne permettaient pas de recueillir l’information souhaitée, mais il n’était pas tenu d’obtenir son consentement avant de communiquer avec d’anciens superviseurs. Voir, par exemple, la décision Dionne, au paragraphe 42. Le président du comité demandait aux répondants de donner des exemples de situations de travail, et sa décision de communiquer avec d’anciens superviseurs (d’après les conseils de son agent de dotation) ne peut lui être reprochée.

49 Toutefois, le Tribunal juge que la démarche empruntée par le président du comité d’évaluation pour communiquer avec MM. Girard et Manore, les anciens gestionnaires de la plaignante, comporte de graves erreurs. Afin d’évaluer les candidats, le comité avait préparé un questionnaire de vérification des références auquel les répondants devaient répondre par écrit. Ce questionnaire portait sur les indicateurs de comportement liés aux qualifications essentielles évaluées. Le président du comité a affirmé qu’il avait lu les questions à M. Girard, et que celui‑ci avait indiqué que selon lui, la plaignante manquait de jugement lorsqu’il s’agissait de faire avancer les projets et qu’on ne pouvait pas lui faire confiance pour orienter les projets dans la direction souhaitée. M. Girard a ajouté qu’il n’accorderait pas la note de passage à la plaignante pour le jugement et l’entregent; il a ensuite refusé de formuler des commentaires sur l’esprit d’initiative de la plaignante et sa capacité de travailler sous pression. Le président du comité n’a consigné aucun de ces commentaires, pas plus qu’il n’a fourni dans son témoignage des exemples précis que M. Girard a donnés pour étayer son opinion. En outre, le président du comité n’a présenté aucune preuve concernant les propos de M. Girard au sujet des indicateurs de comportement énoncés dans le questionnaire de vérification des références. Néanmoins, il a donné aux propos de M. Girard un poids considérable. Ce faisant, il n’a pas évalué la plaignante conformément au guide de vérification des références.

50 De la même façon, le président du comité n’a reçu que peu de renseignements, voire aucun, de la part de M. Manore au sujet de la plaignante. M. Manore avait brièvement supervisé la plaignante après son retour au travail. Rien n’indiquait qu’il la connaissait ou qu’il avait travaillé avec elle avant qu’elle parte en congé en octobre 2007. Néanmoins, le président du comité a indiqué qu’il avait tenu compte de la déclaration de M. Manore selon laquelle la plaignante devait faire l’objet d’une supervision étroite.

51 Dans son témoignage, M. MacPhee n’a pas laissé entendre qu’il s’était fié aux opinions formulées verbalement par les répondants des autres candidats. La plaignante était la seule candidate du processus de nomination à avoir été évaluée, du moins en partie, au moyen d’opinions formulées verbalement par des superviseurs actuels ou anciens. Par conséquent, elle a été traitée différemment des autres candidats dans ce processus de nomination.

52 De plus, M. MacPhee n’a pas cherché à vérifier l’information qu’il avait obtenue de M. Girard. Malgré le fait que M. Girard l’avait informé qu’il existait des conflits entre lui et la plaignante, M. MacPhee n’a rien fait pour établir si l’opinion de M. Girard était fondée sur quelque fait que ce soit. Il est important de souligner les deux passages ci‑dessous, tirés du guide de la CFP sur la vérification des références :

Ne laissez pas les opinions prendre la place des faits et des exemples.

Quelquefois, des conflits personnels peuvent colorer l’information révélée par les vérifications de références. Si vous constatez l’existence de ce genre de conflit, pesez l’information recueillie avec soin.

53 Le Tribunal estime que le comité d’évaluation n’a pas respecté ces deux avertissements lorsqu’il s’est fié aux opinions de M. Girard. Au contraire, M. MacPhee a affirmé avoir donné du poids aux déclarations de M. Girard et avoir conclu, après une brève discussion avec M. Manore, que la plaignante manquait de jugement et d’esprit d’initiative. Il est difficile de comprendre comment il en est venu à cette conclusion, étant donné que M. Girard avait refusé de formuler des commentaires sur l’esprit d’initiative de la plaignante et que M. Manore avait simplement affirmé qu’elle devait faire l’objet d’une surveillance étroite.

54 Étant donné les renseignements positifs fournis par M. Garnett et Mme Thompson, le président du comité n’aurait pas dû se contenter de minimiser les déclarations de ces répondants par rapport aux opinions de MM. Girard et Manore sous prétexte que ceux‑ci avaient déjà supervisé la plaignante. En guise de comparaison, le président du comité a accordé aux commentaires de Mme Thompson, qui avait été en contact avec la plaignante pendant quelques semaines, l’équivalent d’environ 15 % à 20 % du poids donné aux opinions des anciens gestionnaires de la plaignante, et ce, malgré le fait que M. Manore avait supervisé la plaignante pendant une très courte période.

55  Enfin, le Tribunal estime qu’il y a également eu irrégularité dans le processus en raison de l’importance accordée par le comité d’évaluation aux commentaires de Mme Best. Le Tribunal tient pour avéré que, pour chaque candidat, le comité d’évaluation exigeait qu’au moins un répondant soit un superviseur direct. Mme Best n’a pas témoigné à l’audience. Cependant, dans le questionnaire de vérification des références qu’elle a rempli, à la question « Pendant combien de temps avez‑vous supervisé la personne? » [traduction], elle a répondu ce qui suit :

Je n’ai pas supervisé directement J. Gabon. J’ai été à quelques reprises sa directrice (intérimaire). J’agissais comme mentor pour ses gestionnaires et superviseurs, je participais à des réunions où elle jouait un rôle, et j’ai fait appel en tant que cliente aux services qu’offrait son équipe. [traduction]

[caractères gras ajoutés]

56 Le Tribunal tient pour avéré que Mme Best n’a pas directement supervisé la plaignante, ce qui pourrait expliquer pourquoi elle n’a pas coté plusieurs des indicateurs de comportement se rapportant à l’esprit d’initiative et au jugement. Pourtant, elle a attribué à la plaignante une cote globale de 1 sur 5 pour chacune de ces deux qualifications. Mme Best n’a pas eu l’occasion de préciser pourquoi ses réponses écrites n’étaient pas complètes, mais celles‑ci semblent indiquer que Mme Best ne jouait pas un rôle de supervision suffisamment important envers la plaignante ou qu’elle n’avait pas l’occasion d’observer les comportements de la plaignante à l’égard de ces qualifications. Étant donné le nombre d’indicateurs auxquels aucune cote n’a été attribuée dans le questionnaire, il était inapproprié de la part du président du comité d’accorder aux remarques de Mme Best une importance au moins quatre fois plus grande que celle qui avait été accordée aux commentaires de M. Garnett et de Mme Thompson.

57 Il est également révélateur de constater que dans l’ébauche d’un courriel daté du 12 juillet 2010, dans lequel le président du comité faisait référence aux remarques de Mme Best, il indiquait ce qui suit à la plaignante : « Ces commentaires étaient suffisants pour justifier l’élimination de votre candidature. » [traduction] La version finale du courriel était certes moins catégorique, mais l’ébauche, dont l’intimé ne nie pas l’existence, appuie la conclusion du Tribunal selon laquelle le comité d’évaluation a accordé une importance indue aux remarques de Mme Best.

58 En résumé, le processus de nomination comportait plusieurs erreurs et omissions. Premièrement, les directives fournies aux candidats au sujet des répondants manquaient de clarté. Deuxièmement, en dépit du fait que les candidats étaient autorisés à fournir le nom de collègues ou de membres d’une organisation professionnelle, le guide de vérification des références s’adressait à des superviseurs et des gestionnaires. Troisièmement, le comité d’évaluation a tenu compte des opinions formulées verbalement par M. Girard sans prendre les précautions nécessaires dans les circonstances. Quatrièmement, le comité d’évaluation s’est fié aux commentaires fournis verbalement par deux des superviseurs de la plaignante, tandis que tous les autres candidats ont été évalués au moyen d’un questionnaire écrit rempli par les répondants. Enfin, l’effet conjugué de l’importance démesurée accordée par le comité d’évaluation aux remarques de Mme Best – malgré le fait que celle‑ci n’avait jamais supervisé directement la plaignante – et du peu de poids accordé aux commentaires des trois répondants de la plaignante, tout cela constituait également une erreur.

59 En examinant la plainte sur la base de toutes ces erreurs, le Tribunal conclut que la plaignante a établi, selon la prépondérance des probabilités, la preuve d’un abus de pouvoir de la part de l’intimé dans le processus d’évaluation.

Question II : L’intimé a‑t‑il abusé de son pouvoir en faisant preuve de discrimination à l’égard de la plaignante durant la vérification des références?

60 L’article 80 de la LEFP stipule que pour déterminer si une plainte est fondée en vertu de l’article 77, le Tribunal peut interpréter et appliquer la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP). Aux termes de l’article 7 de la LCDP, le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi pour un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. La déficience fait partie des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la LCDP.

61 Lorsqu’il est question de droits de la personne, il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie de discrimination. Dans l’arrêt Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (connu sous le nom de décision O’Malley), la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé. […]

62 La plaignante affirme avoir fait l’objet de discrimination parce que son absence de 17 mois la plaçait dans une situation désavantageuse par rapport aux autres candidats du processus de nomination, qui avaient travaillé durant cette période. Elle s’était absentée du travail jusqu’en mars 2009, et la date butoir pour présenter sa candidature dans le processus de nomination était en juin 2009. Aucun élément de preuve présenté à l’audience ne réfutait le témoignage de la plaignante, selon lequel son absence du travail durant cette période était liée à une déficience. Le Tribunal tient donc pour avéré que la plaignante souffrait d’une déficience durant la période visée.

63 Il incombe à la plaignante d’établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa déficience. En l’espèce, la plaignante doit prouver que l’intimé, en exigeant que les candidats fournissent le nom d’un superviseur direct dans leur liste de répondants, l’a défavorisée en raison de sa déficience. Puisque l’exigence en tant que telle est neutre, la plaignante doit établir que ce critère l’a désavantagée à cause de sa déficience.

64 À cet égard, le raisonnement suivi par la juge Abella dans les passages ci‑dessous de la décision Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, 2007 CSC 4, est instructif :

48 […] une pratique, une norme ou une exigence du milieu de travail ne puisse pas désavantager un individu par l’attribution de caractéristiques stéréotypées ou arbitraires est au cœur de ces définitions. Le but de la prévention des obstacles discriminatoires est l’inclusion. Ce but est atteint si on empêche que des individus soient soustraits à des possibilités et à des agréments fondés non pas sur leurs aptitudes réelles, mais sur des aptitudes qu’on leur attribue. La discrimination réside essentiellement dans le caractère arbitraire de son incidence négative, c’est‑à‑dire le caractère arbitraire des obstacles érigés intentionnellement ou inconsciemment.

49 Il en résulte une différence entre discrimination et distinction. Les distinctions ne sont pas toutes discriminatoires. Il ne suffit pas de contester le comportement d’un employeur pour le motif que ce qu’il a fait a eu une incidence négative sur un membre d’un groupe protégé. La seule appartenance à un tel groupe n’est pas suffisante pour garantir l’accès à une réparation fondée sur les droits de la personne. C’est le lien qui existe entre l’appartenance à ce groupe et le caractère arbitraire du critère ou comportement désavantageux — à première vue ou de par son effet — qui suscite la possibilité de réparation. Et ce fardeau de preuve préliminaire incombe au demandeur.

50 Si l’existence de ce lien est établie, il y a alors preuve prima facie de l’existence de discrimination. C’est à ce stade que le critère de l’arrêt Meiorin s’applique et qu’il appartient alors à l’employeur de justifier le comportement discriminatoire à première vue. Si le comportement est justifié, il n’y a pas de discrimination.

65 Si le comité d’évaluation avait imposé une condition supplémentaire et indiqué qu’il n’accepterait que les répondants ayant supervisé les candidats au cours de l’année et demie précédant le début du processus de nomination, la plaignante aurait pu établir un lien entre son appartenance à un groupe et le caractère arbitraire de ce critère désavantageux. Toutefois, le Tribunal ne peut pas conclure, à la lumière de la preuve présentée à l’audience, que l’exigence de l’intimé comportait un critère arbitraire supplémentaire se rapportant au caractère récent de la situation de supervision. Rien dans le guide de vérification des références n’imposait une telle restriction. En fait, les seules questions pertinentes du guide étaient les suivantes : « Pendant combien de temps avez‑vous supervisé la personne? » et « Depuis combien de temps connaissez‑vous la personne et dans le cadre de quelles fonctions? » [traduction]

66 M. MacPhee a affirmé dans son témoignage que le comité d’évaluation souhaitait obtenir les commentaires de superviseurs récents ou actuels. Cependant, le comité d’évaluation ne s’est pas imposé une telle limite dans le cas de la plaignante, et rien ne prouve qu’il l’ait fait pour les autres candidats. La seule preuve à cet égard réside dans le fait que M. MacPhee a avisé l’un des répondants que ses rapports avec le candidat en question n’étaient pas suffisamment récents pour que le comité puisse tenir compte de ses commentaires dans l’évaluation. Aucune autre preuve n’a été présentée au Tribunal au sujet de la vérification des références de ce candidat.

67 La preuve présentée à l’audience montre que la plaignante travaillait à Environnement Canada depuis six ans et que certains superviseurs l’avaient supervisée pendant six mois au cours des cinq années précédant le début de ce processus de nomination. Dans son témoignage, qui n’a pas été contesté, M. MacPhee a affirmé qu’il avait communiqué avec M. Girard. Ce dernier avait supervisé la plaignante de mai 2005 à novembre 2006. M. MacPhee a par ailleurs indiqué qu’il avait tenu compte des commentaires de M. Girard. Le Tribunal a déjà traité la question du caractère approprié de l’utilisation par le comité d’évaluation des commentaires formulés verbalement par M. Girard. Il n’en demeure pas moins que M. Girard avait supervisé la plaignante pendant plus de un an, et ce, plus de deux ans avant la tenue du processus de nomination. Le comité d’évaluation s’est également fié aux remarques de Mme Best. Le Tribunal a déjà tranché la question de l’importance accordée par le comité d’évaluation aux commentaires de Mme Best. Néanmoins, en ce qui concerne l’allégation de discrimination, la preuve concernant les commentaires de Mme Best ne permet pas à la plaignante d’établir le lien exigé. Au contraire, d’après le questionnaire de vérification des références qu’elle a rempli, Mme Best connaissait la plaignante environ depuis 2004. La plaignante n’a pas contesté ce fait. La preuve ne permet pas de conclure que Mme Best a été choisie en tant que répondante parce qu’elle avait récemment supervisé la plaignante.

68 Le Tribunal estime que la plaignante n’a pas réussi à présenter une preuve suffisante pour montrer que l’exigence de l’intimé, selon laquelle les candidats devaient nommer un superviseur direct dans leur liste de répondants, l’a placée dans une situation désavantageuse par rapport aux autres candidats parce qu’elle s’était absentée du travail en raison de sa déficience.

69 Dans ses dernières observations, la plaignante a soutenu que l’intimé avait l’obligation « générique » de prendre à son égard des mesures d’accommodement liées à son absence du travail pendant un an et demi. Elle a affirmé que le comité d’évaluation était tenu de lui demander si elle avait d’autres besoins d’accommodement durant le processus de nomination. Puisque le Tribunal a conclu que la plaignante n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination, le fardeau de la preuve ne revient pas à l’intimé; celui‑ci n’a donc pas à justifier le fait que les candidats devaient inclure dans leur liste de répondants le nom d’un superviseur direct.

70 Comme l’a expliqué le Tribunal canadien des droits de la personne dans la décision Moore c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 31, puisque la plaignante n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination, l’obligation d’accommodement prévue dans la LCDP n’est pas applicable. Dans la décision Moore, le membre Sinclair explique ce qui suit :  

86 […] Je ne saurais trop insister sur le fait que le « défaut de prendre une mesure d’adaptation » n’est ni un motif de distinction illicite ni une pratique discriminatoire aux termes de la LCDP. En vertu de cette dernière, il n’existe pas de droit d’adaptation distinct.

87 L’obligation d’adaptation ne prend naissance que dans le contexte du paragraphe 15(2) de la LCDP, et uniquement lorsqu’une partie intimée invoque un motif justifiable en se défendant contre une allégation de discrimination. […]       

Autres allégations

71 La preuve fournie ne permet pas d’étayer l’allégation de la plaignante selon laquelle le comité aurait refusé l’un de ses répondants, démontrant ainsi son parti pris contre la plaignante. Mme Thompson est la répondante dont il est question dans cette allégation. Le Tribunal a accepté la preuve de Mme Thompson quant à sa classification et à ses responsabilités administratives envers la plaignante dans le cadre des affectations de celle‑ci. Le président du comité a affirmé qu’il n’avait pas refusé Mme Thompson en tant que répondante. Cependant, il n’a pas accordé autant d’importance aux observations qu’elle a fournies qu’à celles des autres répondants, étant donné la nature et la durée de ses interactions avec la plaignante et le fait qu’elle n’était pas réellement en mesure de formuler des observations pertinentes sur les principales responsabilités professionnelles de la plaignante. Mme Thompson a reconnu qu’elle n’était pas au courant des engagements opérationnels de la plaignante. Elle a ajouté que ses commentaires découlaient uniquement de ses observations du travail de la plaignante dans diverses fonctions liées au mieux‑être qu’elle avait assumées à titre de coordonnatrice des contributions durant la Campagne de charité en milieu de travail du gouvernement du Canada. Le Tribunal a déjà tranché la question de l’importance accordée par le comité d’évaluation aux commentaires des différents répondants. Cependant, la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure que le comité d’évaluation a refusé de prendre en compte les commentaires de Mme Thompson.

72 Durant l’audience, la plaignante a soulevé une allégation en indiquant que la discussion informelle n’avait pas été tenue en temps opportun. Elle a affirmé qu’elle avait écrit un courriel au président du comité d’évaluation le 23 décembre 2009, puis qu’elle avait réécrit à ce sujet en juin 2010. Le président du comité a reconnu qu’il n’avait pas consulté le courriel en temps opportun. Cependant, il a organisé une rencontre peu de temps après que son oubli lui a été signalé. Il aurait certes été préférable que le président du comité réponde à la demande de rencontre plus rapidement, mais en l’espèce, la tenue tardive d’une discussion informelle ne constitue pas un abus de pouvoir selon l’article 77(1)a) de la LEFP. Voir, par exemple, la décision Agboton c. le président de la Commission de la fonction publique, 2010 TDFP 0013.

73 Enfin, la déclaration de la plaignante selon laquelle l’intimé a omis de prendre des mesures correctives après que des failles ont été relevées dans le processus d’évaluation ne constitue pas une allégation donnant lieu à une plainte en vertu de l’article 77. Ce type d’affirmation est plutôt régi par l’article 15(3) de la LEFP. Voir la décision Marcil c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2011 TDFP 0031, para. 94.

Décision

74 Pour les motifs susmentionnés, la plainte est accueillie.

Mesures correctives

75 Rien dans les allégations et dans les déclarations de la plaignante durant l’audience ne laissait entendre que la personne nommée n’était pas qualifiée pour le poste. Le Tribunal juge donc que la révocation de la nomination n’est pas une mesure appropriée en l’espèce. Le Tribunal a toutefois relevé de graves erreurs dans l’évaluation de la plaignante, et les mesures correctives devront, comme le demande la plaignante, permettre de corriger ces erreurs.

76 Puisque l’entregent, l’esprit d’initiative et le jugement de la plaignante n’ont pas été évalués adéquatement, le Tribunal ordonne à l’intimé de réévaluer ces qualifications dans les soixante (60) jours suivant la date de la présente décision. Si la plaignante est jugée qualifiée à la lumière de cette réévaluation, elle sera placée dans le bassin établi au terme du processus de nomination, s’il existe encore.

77 Le Tribunal recommande que les membres du comité d’évaluation suivent une formation sur la vérification des références.


Eugene Williams
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2010–0598
Intitulé de la cause :
Jacqueline Gabon c. le sous‑ministre d’Environnement Canada
Audience :
Les 12, 13 et 19 juillet 2012
Toronto (Ontario)
Date des motifs :
Le 5 novembre 2012

COMPARUTIONS

Pour la plaignante :
Joan-Ann Gravesand
Pour l'intimé :
Lea Bou-Karam
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin
(observations écrites)
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