Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé à l'encontre de l'intimé des allégations d'abus de pouvoir aux motifs suivants : l'intimé aurait éliminé sa candidature à la présélection pour cause de présentation en retard d'une journée; il aurait supprimé deux questions de l'examen et baissé la note de passage pour la porter de 60 % à 55 %; il aurait attribué incorrectement des notes à certaines réponses; il n'aurait pas satisfait à sa demande de temps additionnel pour terminer l'examen écrit, faisant ainsi preuve de discrimination à son égard sur la base d'une déficience; l'intimé aurait nommé deux candidats de moindre qualification par favoritisme personnel. Enfin, le plaignant a déclaré avoir été victime de discrimination fondée sur la race. Décision Le Tribunal a conclu que le plaignant n'avait pas établi la preuve d'un abus de pouvoir de la part de l'intimé dans le processus de présélection des candidatures. L'intimé avait informé le plaignant par lettre qu'il y avait eu une erreur dans le processus, que son dossier de candidature serait accepté et qu'il recevrait une invitation à passer l'examen écrit. D'autre part, le Tribunal a jugé que devant la possibilité d'un processus de nomination infructueux, l'intimé avait adopté une ligne de conduite raisonnable et appropriée en l'occurrence. La décision de l'intimé de supprimer deux questions de l'examen écrit s'est répercutée sur deux qualifications, mais celles-ci ont été évaluées par d'autres questions. Le Tribunal a conclu que le plaignant n'avait pas établi la preuve d'un abus de pouvoir dans la correction de l'examen écrit. Pour ce qui concerne l'allégation de discrimination sur la base d'une déficience, le Tribunal a estimé que le plaignant avait établi une preuve prima facie de discrimination. Il avait indiqué son état de stress par rapport à sa préparation pour l'examen et à l'examen lui-même, un symptôme directement lié à son congé de six mois pour cause de stress. Néanmoins, le Tribunal a jugé que l'intimé avait fourni une explication raisonnable et que l'allégation de discrimination fondée sur une déficience était infondée. Le plaignant n'a pas établi qu'il était victime de pratique discriminatoire de la part de l'intimé sur la base d'une déficience par suite du refus de celui-ci de lui accorder du temps additionnel pour se préparer pour l'examen ou le passer. S'agissant de l'allégation de discrimination fondée sur la race, le Tribunal a jugé que le plaignant n'avait pas établi de preuve prima facie à cet égard. Le plaignant ne pouvait simplement déclarer être victime de discrimination en raison de sa race sans étayer son allégation de preuve autre que l'opinion personnelle d'un témoin. Enfin, le Tribunal n'était pas convaincu que la nomination des personnes retenues était entachée de favoritisme personnel. Par conséquent, l'allégation de favoritisme personnel était dénuée de fondement. Plaintes rejetées.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2011-0173 et 2011-0243
Rendue à :
Ottawa, le 12 décembre 2012

MICHAEL ALAN EARLE
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DES TRANSPORTS, DE L’INFRASTRUCTURE ET DES COLLECTIVITÉS
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu de l’article 77(1)a) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
Les plaintes sont rejetées
Décision rendue par :
Maurice Gohier, membre
Langue de la décision :
Anglais
Répertoriée :
Earle c. le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités
Référence neutre :
2012 TDFP 0036

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Michael Alan Earle, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de deux postes d’inspecteur à la réception (GT-03) au ministère des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités. Il affirme que l’intimé – le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités – a abusé de son pouvoir en éliminant au départ sa candidature du processus de nomination à l’étape de la présélection, en commettant des erreurs dans la correction de son examen écrit, en faisant preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience et de sa race et en affichant un favoritisme personnel à l’endroit des personnes nommées.

2 L’intimé nie avoir abusé de son pouvoir dans ce processus de nomination. Il affirme que le plaignant a été évalué de façon appropriée et que rien n’étaye son allégation de discrimination fondée sur la déficience ou la race. Il ajoute que l’évaluation des candidats a été effectuée de façon appropriée et uniforme, et que la candidature du plaignant a été éliminée parce qu’il a été déterminé qu’il manquait à ce dernier deux qualifications essentielles.

3 La Commission de la fonction publique (CFP) n’a pas assisté à l’audience, mais elle a présenté des observations écrites dans lesquelles elle explique les lignes directrices et les orientations pertinentes qui s’appliquent aux processus de nomination. La CFP a notamment évoqué dans ses observations ses lignes directrices concernant la discrimination et l’obligation d’accommodement, de même que l’évaluation, la sélection et la nomination des candidats.

Contexte

4 Le plaignant travaille comme fonctionnaire depuis 22 ans. Après avoir occupé à titre intérimaire le poste d’inspecteur à la réception pendant cinq ans, il est retourné à son poste d’attache de commis à l’inventaire (CR-04) aux Services des aéronefs du ministère des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités.

5 En novembre 2010, l’intimé a diffusé une annonce de possibilité d’emploi sur le site Web de Publiservice en vue de la dotation de deux postes d’inspecteur à la réception (GT-03), pour une période indéterminée. À cette fin, l’intimé a lancé un processus de nomination interne qui s’adressait aux fonctionnaires des Services des aéronefs de Transports Canada occupant un poste dans la région de la capitale nationale.

6 Les qualifications des candidats étaient évaluées au moyen d’un examen du curriculum vitæ, d’un examen écrit, d’une entrevue et de la vérification des références. L’intimé a éliminé la candidature du plaignant lorsqu’il a conclu que ce dernier n’avait pas démontré, dans son examen écrit, qu’il possédait les deux qualifications essentielles suivantes :

  • Connaissance de la Loi sur la gestion des finances publiques et des règlements régissant la passation de contrats;
  • Capacité de bien communiquer par écrit.

7 Le 29 mars 2011, l’intimé a diffusé deux notifications de nomination ou de proposition de nomination sur Publiservice pour annoncer la nomination de John Wade et de Morris Levy aux postes d’inspecteur à la réception aux groupe et niveau GT-03.

8 Le 3 avril 2011, le plaignant a présenté deux plaintes d’abus de pouvoir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) en vertu des articles 77(1)a) et 77(1)b) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP).

9 Le 23 décembre 2011, le plaignant a avisé la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) qu’il entendait soulever une question liée à l’interprétation ou à l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la LCDP). La CCDP a alors informé le Tribunal qu’elle n’avait pas l’intention de présenter d’observations au sujet de ces plaintes, mais elle a demandé à recevoir une copie des conclusions du Tribunal en l’espèce.

Demande d’ajournement

10 Une fois son témoignage pratiquement terminé, le plaignant a demandé un ajournement afin de pouvoir signifier une assignation à témoigner à deux autres personnes qu’il souhaitait faire témoigner à l’audience, soit Sacha Gosselin, son nouveau gestionnaire, qui n’avait pas participé au processus de nomination, et Morris Levy, l’un des candidats nommés à l’issue du processus de nomination. Le plaignant a expliqué brièvement l’objet du témoignage que devaient présenter ces deux personnes : l’équité du processus d’évaluation et les omissions qui ont été commises pendant celui-ci, de même que l’abus de pouvoir et le favoritisme personnel. Le plaignant a fait valoir qu’il avait indiqué dans son avis à la Commission canadienne des droits de la personne qu’il aurait éventuellement besoin de faire témoigner ces deux personnes. L’intimé s’est opposé à cette demande au motif que le plaignant connaissait les dates de l’audience depuis un certain temps et n’avait pourtant pris aucune mesure pour s’assurer de la présence de ces témoins à l’audience. L’intimé a expliqué qu’il avait consacré beaucoup de temps et d’efforts à sa préparation en vue de l’audience, que ses témoins étaient présents et qu’il était prêt à présenter son argumentation. Selon l’intimé, la demande tardive du plaignant découlait directement de son manque de diligence et aurait pour conséquence de retarder indûment les procédures.

11 Dans son évaluation de la demande d’ajournement, le Tribunal a remarqué que le plaignant avait été avisé des dates de l’audience le 2 septembre 2011, soit plus de quatre mois et demi avant la tenue de l’audience. De plus, durant une conférence préparatoire qui a eu lieu le 19 décembre 2011, soit un mois avant l’audience, lorsque le Tribunal a demandé au plaignant de nommer ses témoins, celui-ci n’a nommé aucune de ces deux personnes. Enfin, il est indiqué sur l’avis à la Commission canadienne des droits de la personne présenté par le plaignant le 23 décembre 2011 que cet avis ne constitue pas une plainte au Tribunal ni à la CCDP. Il s’agit simplement d’un document qui informe la CCDP que le plaignant a l’intention de soulever devant le Tribunal une question qui porte sur l’interprétation ou l’application de la LCDP. Conformément à l’article 98(1) de la LEFP, le Tribunal est tenu de procéder sans formalisme et avec célérité. Le plaignant n’a décrit que brièvement le contenu probable du témoignage des deux témoins. De plus, il n’a pas démontré au Tribunal en quoi ces deux témoins supplémentaires pourraient influer sur sa décision. Le plaignant connaissait les dates de l’audience depuis déjà un bon moment. S’il souhaitait que ces deux personnes soient disponibles pour témoigner à l’audience, il aurait dû délivrer des assignations à comparaître en temps opportun, soit avant le début de l’audience. Or, il n’en a rien fait. L’intimé, pour sa part, était prêt à présenter son argumentation, et ses témoins avaient modifié leur horaire de travail afin de pouvoir être présents à l’audience. Étant donné la nature générale du contenu probable des témoignages des témoins supplémentaires, le Tribunal a conclu que le fait d’accorder un ajournement à ce stade avancé n’aurait pour effet que de retarder indûment le processus.

12 Compte tenu des circonstances, la demande d’ajournement du plaignant a été rejetée.

Questions en litige

13 Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a, au départ, rejeté la candidature du plaignant à l’étape de la présélection?
  2. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a corrigé l’examen écrit?
  3. L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant sur la base de la déficience et/ou de la race?
  4. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel à l’endroit des personnes nommées?

Analyse

14 Aux termes de l’article 77(1)a) de la LEFP, une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte au Tribunal selon laquelle elle n’a pas été nommée ou n’a pas fait l’objet d’une proposition de nomination au motif que la CFP ou l’administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. La LEFP ne fournit aucune définition de la notion d’« abus de pouvoir », mais l’article 2(4) indique ce qui suit : « Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel. »

15 L’abus de pouvoir peut également comprendre des erreurs. Toutefois, il ressort clairement du préambule de la LEFP et de la Loi dans son ensemble qu’il faut nettement plus que de simples erreurs ou omissions pour conclure à l’abus de pouvoir. Le fait qu’une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend donc de sa nature et de sa gravité. En outre, l’abus de pouvoir comprend aussi les omissions et la conduite irrégulière. La mesure dans laquelle la conduite est irrégulière et l’ampleur de l’omission permettent de déterminer si celles-ci constituent un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

16 Le plaignant avait indiqué sur son formulaire de plainte qu’il souhaitait formuler une allégation d’abus de pouvoir quant au processus choisi par l’intimé, en vertu de l’article 77(1)b) de la LEFP, mais il n’a présenté aucune observation à cet égard pendant l’audience. Le Tribunal ne se penchera donc pas sur cette allégation dans les présentes.

Question I : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a, au départ, rejeté la candidature du plaignant à l’étape de la présélection?

17 Le plaignant affirme que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a rejeté sa candidature à la présélection au motif que celle-ci avait été présentée avec un jour de retard.

18 Le processus de nomination interne susmentionné a débuté à un moment où le plaignant était en congé. Le 4 novembre 2010, l’intimé a publié une annonce de possibilité d’emploi sur le site Web de Publiservice. Le même jour, le gestionnaire, Vincent Landreville, chef, Achats, contrats et approvisionnement, qui faisait partie du comité d’évaluation, a envoyé au plaignant un courriel pour l’informer de la tenue du processus de nomination. La date limite de candidature avait été fixée au 12 novembre 2010. L’annonce contenait la remarque suivante au sujet de la date de clôture et de la réception des candidatures :

Date de clôture : Vendredi 12 novembre 2010

Les demandes faites en utilisant le bouton ci-dessous « Soumettre demande » peuvent être soumises jusqu’à 23 h 59 (heure du Pacifique) à la date de clôture de cette annonce de possibilité d’emploi.

[italique et caractères gras dans le document original]

19 Le Tribunal constate que ni le plaignant ni l’intimé n’ont présenté de copie du dossier de candidature du plaignant. Quoi qu’il en soit, selon le témoignage de Josée Mainville, chef des Services de ressources humaines, et d’Annie Grenier, l’agente des ressources humaines responsable de la présélection des candidatures, le plaignant a présenté sa candidature à 0 h 01 (heure normale de l’Est) le 13 novembre 2010. Or, Mme Grenier a conclu, à tort, que la candidature avait été présentée aux alentours de midi le samedi, donc en retard. Le 15 novembre 2010, l’intimé a envoyé au plaignant une lettre pour l’informer que sa candidature ne serait pas prise en considération pour la suite du processus étant donné qu’elle avait été reçue avec une journée de retard. Deux semaines plus tard, au cours d’un examen, l’intimé s’est aperçu que la candidature du plaignant avait été présentée avant 23 h 59 (heure du Pacifique) le vendredi 12 novembre 2010. Par conséquent, le 2 décembre 2010, Mme Mainville a écrit au plaignant pour l’informer qu’une erreur s’était produite, que sa candidature serait acceptée et qu’il recevrait bientôt une convocation à l’examen écrit.

20 Le Tribunal estime que l’intimé a agi avec diligence lorsqu’il a constaté son erreur. Il a pris les mesures appropriées et a permis au plaignant de réintégrer le processus. Le Tribunal conclut qu’il s’agit d’une erreur administrative mineure dont la nature et la gravité ne sont pas suffisantes pour conclure à un abus de pouvoir. Pour ces motifs, le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas démontré que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans le processus de présélection de sa candidature.

Question II : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir lorsqu’il a corrigé l’examen écrit?

21 Le plaignant affirme que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il a décidé de retirer les questions 5 et 10 et d’abaisser la note de passage de l’examen écrit, la faisant passer de 60 à 55 %. Le plaignant soutient également que l’intimé a abusé de son pouvoir en accordant des points à tort pour certaines réponses.

Retrait de questions de l’examen écrit et diminution de la note de passage

22 Jonas Malcoln travaille pour Transports Canada depuis 13 ans. Il occupe actuellement un poste de commis à l’inventaire (CR-04) aux Services des aéronefs et il figurait parmi les candidats au processus de nomination visé par la plainte en l’espèce. M. Malcoln a été cité à comparaître par le plaignant. Il se rappelle une discussion qu’il a eue avec le gestionnaire, M. Landreville, après la fin du processus de nomination. M. Landreville lui a expliqué qu’il avait dû retirer certaines des questions et abaisser la note de passage de l’examen écrit, car de nombreux candidats avaient échoué.

23 M. Landreville occupe le poste de chef, Achats, contrats et approvisionnement depuis deux ans. Il possède 23 ans d’expérience dans le secteur des aéronefs et enseigne dans ce domaine au collège. Les fonctions principales de M. Landreville consistent à assurer le bon fonctionnement de l’entrepôt et du service des achats, en ce qui a trait à la navigation aérienne. L’entrepôt compte deux postes d’inspecteur à la réception dont le rôle consiste à saisir les achats dans le système d’inventaire, conformément aux exigences de Transports Canada. Pour ce faire, il faut procéder à une inspection approfondie du conteneur d’expédition et de son contenu, et vérifier l’exhaustivité et l’exactitude des documents en comparant les bons de commande avec les factures.

24 M. Landreville a lancé le processus de nomination susmentionné afin de doter les deux postes d’inspecteur à la réception (GT-03), car il devait mettre fin à des intérims qui duraient depuis longtemps. Il a choisi un processus interne annoncé afin d’offrir un processus équitable, ouvert et transparent à tous les membres du personnel. M. Landreville a élaboré les questions ainsi que le guide de cotation de l’examen écrit après avoir mené des consultations avec les gestionnaires responsables des services de l’entretien et des achats, ainsi qu’avec la collaboration d’un conseiller en ressources humaines. Au départ, les qualifications essentielles reproduites ci-dessous devaient être évaluées au moyen des questions suivantes de l’examen écrit :

QUALIFICATIONS ESSENTIELLES QUESTIONS D’EXAMEN
Connaissance des politiques du Conseil du Trésor et de Transports Canada. Questions 1 et 2
Connaissance des politiques et des procédures liées aux opérations de l’aviation civile (RAC, GEC, SIMDUT, TMD, courtage en douanes). Questions 3, 4, 5, 6 et 7
Connaissance de la Loi sur la gestion des finances publiques et des règlements régissant la passation de contrats. Questions 8, 9 et 10
Connaissance du Code canadien du travail, partie II. Question 11 + question d’entrevue
Capacité de bien communiquer par écrit. Question 12

25 C’est Mme Grenier qui a corrigé toutes les questions d’examen de type « vrai ou faux » et les phrases à compléter, tandis que M. Landreville a corrigé la question 8 au sujet des codes financiers. La question 12, qui visait à évaluer la « capacité de bien communiquer par écrit » a été corrigée par Sandra Howell, une employée entrée en poste quelques mois auparavant et qui ne connaissait aucun des candidats.

26 Il est rapidement ressorti de l’examen préliminaire des résultats de la correction par M. Landreville qu’aucun candidat n’avait réussi à l’examen écrit. Compte tenu de cette constatation, M. Landreville a consulté un conseiller en ressources humaines pour déterminer s’il était possible de trouver une façon d’utiliser quand même les résultats du processus. Il lui a été conseillé d’abaisser la note de passage pour l’examen écrit et d’éliminer certaines questions d’examen, dans la mesure où les questions restantes permettaient d’évaluer de façon appropriée les qualifications essentielles. Pour ne pas être obligé de recommencer le processus de nomination, M. Landreville a éliminé les questions 5 et 10, car les candidats avaient obtenu de très mauvais résultats à ces deux questions, et il a abaissé la note de passage pour chaque qualification, la faisant passer de 60 à 55 %. À la suite de ces modifications, cinq candidats ont obtenu la note de passage à l’examen écrit.

Correction de l’examen écrit

27 Le plaignant soutient en outre que l’intimé a, à tort, accordé des points pour des réponses à certaines questions d’examen et que cette incohérence était suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir de sa part.

28 La question 6 était l’une de celles qui visaient à évaluer la qualification essentielle « Connaissance des politiques et des procédures liées aux opérations de l’aviation civile ». À cette question, les candidats devaient fournir le terme qui correspondait à chacune des 10 abréviations et ils recevaient 1 point pour chaque bonne réponse. Le plaignant a obtenu la note de 5 sur 10. Certaines incohérences ont été portées à l’attention de M. Landreville en mai 2011. Après avoir examiné le tout, il a constaté qu’une erreur s’était glissée dans la notation des réponses des candidats. Certaines notes ont donc été modifiées en conséquence. M. Landreville a confirmé que le plaignant et M. Malcoln avaient tous deux bien répondu à la question sur l’abréviation « CAR » (« RAC » en français), puisqu’ils avaient répondu « Canadian Aviation Regulations » (« règlement de l’aviation canadien ») plutôt que « Canadian Air Regulations » (« règlement aérien du Canada »), qui était une réponse erronée. Les deux candidats ont donc obtenu 1 point pour cette réponse, ce qui a haussé leurs résultats. Une erreur s’est également produite pour l’un des candidats (M. Levy), mais avec le résultat opposé, puisque ce dernier avait initialement obtenu une note de 6 sur 10 et que son résultat a été ramené à 5 sur 10. Comme l’intimé l’a expliqué au plaignant dans un courriel daté du 18 mai 2011, le changement apporté aux notes accordées à la question 6 n’a pas modifié le fait que le plaignant et la personne nommée avaient tous deux démontré qu’ils possédaient la qualification requise. Pendant l’audience, le plaignant a également fait remarquer que le candidat Levy avait répondu de façon incorrecte à la question sur l’abréviation « WHIMS » (« SIMDUT » en français) puisqu’il avait répondu « Workplace Hazard Information Management System » (« système de gestion de l’information et des risques en milieu de travail » en français) au lieu de « Workplace Hazardous Information Management System » [soulignement ajouté] (« système d’information sur les matières dangereuses utilisées au travail » en français).

29 M. Landreville a affirmé que la réponse fournie par le candidat Levy pour l’abréviation « WHIMS » avait été portée à son attention quelque temps après la correction initiale de l’examen et qu’il considérait qu’il s’agissait d’une réponse acceptable qui ne justifiait pas le retrait de 1 point. M. Landreville a fait remarquer que les modifications mineures apportées aux points alloués pour cette question n’auraient pas modifié les conclusions globales du comité d’évaluation selon lesquelles M. Levy, à la lumière de ses réponses aux questions 3, 4, 6 et 7, avait démontré qu’il possédait la qualification essentielle évaluée.

30 Quant à la question 12 de l’examen écrit, qui servait à évaluer la « capacité de bien communiquer par écrit » des candidats, le plaignant a affirmé que la réponse qu’il avait fournie et le résultat de 3 sur 12 qu’il avait obtenu indiquaient qu’il était très stressé au moment où il a passé l’examen. De plus, il conteste l’observation de l’intimé selon laquelle il n’y avait pas d’enchaînement dans ses idées, et il estime qu’il aurait dû obtenir une note beaucoup plus élevée.

31 M. Landreville a expliqué que Mme Howell avait corrigé les réponses fournies par les candidats à la question 12 et qu’elle avait accordé au plaignant la note de 3 sur 12. Toutefois, comme le processus remontait à un certain temps, il n’arrivait pas à se rappeler les raisons exactes de ses conclusions. M. Landreville a cependant indiqué qu’il approuvait les notes accordées par Mme Howell de même que sa conclusion selon laquelle le plaignant n’avait pas démontré qu’il possédait la qualification visée.

32 Enfin, le plaignant se demandait comment il était possible qu’un candidat obtienne la note de passage pour la question 11, laquelle servait à évaluer la « connaissance du Code canadien du travail, partie II », dans la mesure où la moitié de la note accordée pour cette qualification était fondée sur la réponse à une question d’entrevue.

Conclusions du Tribunal

33 En vertu de l’article 36 de la LEFP, l’intimé dispose d’une marge de manoeuvre considérable lorsqu’il s’agit de choisir et d’utiliser les méthodes d’évaluation qu’il juge appropriées afin de déterminer si une personne possède les qualifications établies par l’administrateur général conformément à l’article 30(2)a) de la LEFP.

34 Le Tribunal juge que devant la perspective de n’obtenir aucun résultat à la suite du processus de nomination, M. Landreville a établi un plan d’action raisonnable et approprié dans les circonstances. À ce sujet, voir la décision Maxwell c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2011 TDFP 0021. Deux qualifications étaient touchées par la décision de M. Landreville d’éliminer les questions 5 et 10 de l’examen écrit. Toutefois, les éléments de preuve indiquent que ces deux qualifications étaient évaluées par d’autres questions. Par exemple, la « connaissance des politiques et des procédures liées aux opérations de l’aviation » était évaluée par les questions 3, 4, 6 et 7, et la « connaissance de la Loi sur la gestion des finances publiques et des règlements régissant la passation de contrats » était évaluée par les questions 8 et 9. Le retrait des questions 5 et 10, combiné à la diminution de la note de passage, a donc permis à M. Landreville d’utiliser les résultats de l’examen écrit, tout en satisfaisant à l’exigence d’évaluer toutes les qualifications essentielles.

35 Quant à l’abréviation « WHIMS » de la question 6, le Tribunal constate que l’intimé a utilisé cette abréviation à la fois dans l’examen et dans le guide de cotation. En fait, l’abréviation correcte est « WHMIS », pour « Workplace Hazardous Materials Information System ». Toutefois, le Tribunal juge que l’inversion des lettres « M » et « I », ou des mots que ces lettres représentent, ne change rien à la signification fondamentale et facilement reconnaissable de cette expression. Au mieux, il s’agit d’une erreur mineure qui ne témoigne pas d’un abus de pouvoir. De plus, le fait que l’intimé ait accepté la réponse de M. Levy n’a eu aucune incidence sur son évaluation, étant donné que ses notes globales pour cette qualification étaient de toute façon supérieures à la note de passage requise de 21 sur 38.

36 En ce qui a trait à la question 12, le plaignant a affirmé qu’il contestait la note qu’il avait obtenue pour cette réponse. Toutefois, le plaignant n’a produit aucun élément de preuve pour démontrer que son évaluation avait été inappropriée. Les notes prises par Mme Howell sur l’examen du plaignant indiquent ce qui suit : « Ne communique pas le problème – description incorrecte sur le formulaire 8130. Manque de structure et d’enchaînement – difficile à suivre » [traduction]. Dans ses notes, Mme Howell fournit un exemple de la façon dont le courriel aurait pu être rédigé. Selon ses notes, il semblait également y avoir quelques erreurs grammaticales et/ou de ponctuation. À première vue, les observations de Mme Howell ne semblent pas déraisonnables. Une simple affirmation du plaignant selon laquelle il conteste les notes que lui a accordées le comité d’évaluation ne constitue pas une preuve d’abus de pouvoir. Le plaignant doit effectivement prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’intimé a abusé de son pouvoir lorsqu’il l’a évalué. Le rôle du Tribunal est d’examiner le processus de nomination pour déterminer s’il y a eu abus de pouvoir. Voir la décision Walker-McTaggart c. le président-directeur général de Passeport Canada, 2011 TDFP 0039. Enfin, en ce qui a trait à l’exhaustivité de l’évaluation de la « connaissance du Code canadien du travail, partie II » par l’intimé, comme il a été mentionné au paragraphe 24 ci-dessus, cette qualification était évaluée au moyen de deux questions : l’une était posée à l’examen écrit (question 11), tandis que l’autre était posée pendant l’entrevue. Le Tribunal estime qu’il n’y a rien d’erroné à séparer l’évaluation d’une qualification entre un examen écrit et une entrevue. Seuls les candidats qui avaient réussi à l’examen écrit étaient convoqués à l’entrevue. Étant donné que le plaignant n’y a pas réussi, il n’a pas été convoqué à l’entrevue. Le Tribunal estime qu’il n’y a rien d’inapproprié dans cette approche.

37 Pour conclure, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas établi la preuve d’un abus de pouvoir dans la correction de l’examen écrit.

Question III : L’intimé a-t-il fait preuve de discrimination à l’égard du plaignant sur la base de la déficience et/ou de la race?

38 Le plaignant affirme que l’intimé n’a pas pris de mesures d’accommodement à son égard lorsqu’il a demandé du temps additionnel pour passer l’examen écrit, ce qui constituait selon lui de la discrimination à son endroit en raison de sa déficience. Le plaignant affirme également que l’intimé a fait preuve de discrimination fondée sur la race. Il soutient qu’il n’a pas été nommé au poste parce qu’il est un homme de race noire. Enfin, il affirme que l’intimé a fait preuve de discrimination envers lui en refusant de poursuivre la rotation des affectations intérimaires aux deux postes d’inspecteur à la réception (GT-03) parmi les employés. À son avis, cette façon de faire a finalement mené à la qualification et à la nomination pour une période indéterminée des deux personnes qui occupaient le poste à titre intérimaire lorsque le processus de nomination a été mené; ces deux personnes ne font pas partie d’un groupe de minorités visibles.

39 Aux termes de l’article 80 de la LEFP, pour déterminer si une plainte est fondée en vertu de l’article 77, le Tribunal peut interpréter et appliquer les dispositions de la LCDP. Selon l’article 7 de la LCDP, « [c]onstitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, ou de le défavoriser en cours d’emploi ». L’article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent la déficience et la race.

40 Dans les affaires portant sur les droits de la personne, c’est au plaignant qu’incombe le fardeau de la preuve, puisqu’il doit d’abord établir une preuve prima facie de discrimination. Dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 (connue sous le nom de la décision O’Malley), le critère permettant d’établir une preuve prima facie de discrimination a été établi comme suit par la Cour suprême du Canada :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu’à preuve contraire qu’il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu’à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

41 Le Tribunal doit déterminer si les allégations du plaignant, dans la mesure où elles sont considérées comme vraies, sont suffisantes pour justifier une constatation de discrimination, en l’absence d’explication de la part de l’intimé. À cette étape de l’analyse, le Tribunal ne peut pas prendre en considération l’explication de l’intimé avant d’avoir déterminé si une preuve prima facie de discrimination a été établie. Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., [2004] C.A.F., para. 22.

42 Si le plaignant réussit à établir une preuve prima facie de discrimination, il revient alors à l’intimé de fournir une explication raisonnable pour démontrer que les allégations de discrimination ne sont pas avérées ou que la conduite n’était pas discriminatoire.

Le plaignant a-t-il réussi à établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la déficience?

43 Le plaignant s’est absenté du travail en raison d’un congé de maladie (avec certificat médical) pour cause de stress pendant environ six mois, et il est retourné au travail aux alentours du 10 janvier 2011. Informé le 11 janvier 2011 que l’examen aurait lieu quelques jours plus tard, le plaignant, en fin de soirée le 12 janvier 2011, a écrit à Francis Leblanc, conseiller principal en ressources humaines, pour l’informer de ce qui suit : « Je viens tout juste de revenir après six mois de congé de maladie (stress) et je ne veux pas retourner au travail » [traduction]. Le plaignant a indiqué qu’il avait demandé à M. Leblanc de lui donner plus de temps pour se préparer et pour étudier en vue de l’examen étant donné qu’il se sentait stressé, mais que l’intimé ne lui avait pas accordé de temps supplémentaire. Pendant la séance d’examen, qui a eu lieu le 14 janvier 2011, le plaignant a demandé à l’intimé de lui donner plus de temps pour passer l’examen écrit, demande qui a également été refusée. Le plaignant fait valoir au Tribunal qu’au moment de son retour au travail, il éprouvait toujours des symptômes incapacitants d’ordre physique et émotionnel, et que le refus de lui accorder du temps supplémentaire constituait de la discrimination fondée sur la déficience.

44 Le Tribunal juge que le plaignant a réussi à établir une preuve prima facie de discrimination. Il a affirmé qu’il se sentait stressé par rapport à la préparation pour son examen, de même qu’à la séance d’examen, ce qui constitue un symptôme directement lié à son congé de maladie de six mois pour cause de stress. Il incombe donc maintenant à l’intimé de fournir une explication raisonnable pour démontrer que l’allégation de discrimination n’est pas fondée ou que sa conduite n’était pas discriminatoire lorsqu’il a refusé la demande du plaignant, qui souhaitait obtenir du temps supplémentaire pour se préparer et pour passer l’examen écrit.

Est-ce que l’intimé a fourni une explication raisonnable, non discriminatoire?

45 Afin de comprendre le contexte dans lequel l’intimé a pris la décision de refuser au plaignant sa demande de temps supplémentaire pour se préparer et pour passer l’examen, il faut examiner les événements qui ont entouré l’administration de l’examen écrit.

46 Le plaignant a expliqué que lorsqu’il était en congé, il a reçu un courriel de Mme Mainville, le 10 décembre 2010, l’avisant que l’intimé avait l’intention de tenir l’examen écrit pour le processus de nomination susmentionné pendant le mois de décembre 2010. Dans ce courriel, le plaignant a reçu une liste des qualifications devant être évaluées ainsi que de divers sites Web contenant des documents de référence. Dans une lettre sous pli séparé, également datée du 10 décembre 2010, Mme Mainville demandait au plaignant de lui fournir un certificat médical original attestant sa capacité à participer à l’entrevue et à passer l’examen écrit, s’il se sentait suffisamment rétabli pour participer au processus de nomination en décembre 2010. Le plaignant devait fournir son certificat médical au plus tard le 14 décembre 2010. Au cas où l’état de santé du plaignant ne lui permettrait pas de passer l’examen écrit à ce moment-là, il était indiqué que l’examen pourrait avoir lieu peu de temps après son retour au travail, lequel était prévu pour le 10 janvier 2011. Le 16 décembre 2010, le plaignant a reçu un rappel lui indiquant de consulter son médecin pour savoir s’il était en mesure de faire l’objet d’une évaluation dans le cadre d’un processus de dotation. Le 17 décembre 2010, le plaignant a répondu que son médecin lui avait fourni un certificat sur lequel figurait la note suivante : « N’est pas en mesure de se soumettre à quelque activité liée au travail que ce soit pendant la période du 10 novembre 2010 au 9 janvier 2011 » [traduction]. À la lumière de ces renseignements, Mme Mainville a conclu que le plaignant était en mesure de recommencer à effectuer toutes les activités liées au travail, y compris se soumettre à un examen écrit et participer à une entrevue.

47 Le 11 janvier 2011, le plaignant a reçu par courriel une convocation à un examen écrit devant avoir lieu quelques jours plus tard le 14 janvier 2011. Dans son témoignage, qui n’a pas été contesté, M. Leblanc a expliqué que les autres candidats avaient obtenu le même préavis de trois jours pour l’examen qui avait eu lieu en décembre 2010. Dans une conversation antérieure avec Mme Mainville, le plaignant avait demandé à passer l’examen dans un lieu autre que son milieu de travail, compte tenu d’une situation conflictuelle qu’il vivait à cet endroit. Des mesures ont donc été prises pour qu’il puisse passer l’examen dans un bureau vide d’un édifice éloigné de son lieu de travail habituel. Le plaignant a affirmé que le 13 janvier 2011, tandis qu’il était au travail, il avait téléchargé et imprimé les documents de référence et avait alors commencé à étudier en vue de l’examen.

48 L’examen écrit devait durer 90 minutes. Selon le plaignant, au début de l’examen, il a demandé à la surveillante, Mme Grenier, s’il pouvait disposer de plus de temps pour passer l’examen étant donné qu’il se sentait stressé. Il n’a pas précisé les raisons pour lesquelles il subissait du stress ni le temps supplémentaire dont il aurait besoin. Mme Grenier est allée consulter quelqu’un d’autre, puis est revenue et lui a annoncé que sa demande était refusée. Le plaignant a expliqué qu’à la fin de la période allouée de 90 minutes, il a demandé une fois de plus du temps supplémentaire pour terminer l’examen, toujours sans préciser la période précise dont il aurait besoin. À ce moment-là, Mme Grenier a simplement répondu qu’elle ne pouvait pas accéder à sa demande.

49 Devant le Tribunal, le plaignant a insisté sur le fait qu’il aurait dû obtenir plus de temps pour se préparer et pour passer l’examen étant donné qu’il était stressé, venant tout juste de revenir au travail après une absence de six mois et ayant constaté que quelqu’un s’était introduit dans son bureau en son absence et avait fouillé dans ses effets personnels. Le plaignant a également fait valoir que s’il avait eu plus de temps pour étudier et pour se préparer en vue de l’examen, il aurait réussi.

50 La LCDP définit le terme « déficience » comme suit : « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue ».

51 Dans la décision Mellon c. Canada (Développement des Ressources humaines), 2006 TCDP 3, le Tribunal canadien des droits de la personne a fourni des orientations sur la façon d’établir si une personne souffre d’une déficience :

81. […] si l’on veut savoir si une personne souffre d’une déficience, le Tribunal devra tenir compte non seulement de la condition biomédicale du plaignant, mais également des circonstances dans lesquelles une distinction est faite. […]

82. Une déficience n’exige pas obligatoirement la preuve d’une limitation physique ou la présence d’une affection quelconque. Bien que la Cour suprême nous rappelle qu’il ne faut pas trop se fonder sur des renseignements médicaux pour établir s’il existe ou non une déficience, il ne suffit pas qu’une personne dise tout simplement qu’elle souffre d’une déficience pour qu’il soit satisfait au critère. Il faut prouver que la déficience existe. Cette preuve peut être tirée des renseignements médicaux et du contexte dans lequel l’acte reproché s’est produit.

52 Pour les motifs qui suivent, le Tribunal juge que l’intimé a fourni une explication raisonnable, non discriminatoire. Mme Grenier assumait le rôle de surveillante pour l’examen du plaignant, qui a eu lieu le 14 janvier 2011. Elle se rappelle avoir accueilli le plaignant à son arrivée, puis lui avoir remis une copie de l’examen et lui avoir demandé de lire les instructions libellées comme suit par rapport à la divulgation de malaises d’ordre physique ou psychologique pendant l’examen :

Si, avant ou pendant la séance d’examen, vous éprouvez une indisposition physique ou psychologique suffisamment grave pour nuire à votre rendement, c’est à vous que revient la responsabilité de nous informer que vous ne pouvez entreprendre ou poursuivre l’examen. Si vous décidez de le faire en dépit de votre indisposition, vous devrez accepter les résultats.

[traduction]

53 Le plaignant a dit à la surveillante qu’il ne se sentait pas bien, mais qu’il était tout de même en mesure de passer l’examen. Mme Grenier a expliqué qu’après plus de la moitié de la période allouée pour l’examen, le plaignant lui a demandé s’il pouvait avoir plus de temps pour terminer l’examen. Outre son affirmation selon laquelle il se sentait stressé, le plaignant n’a donné aucune raison précise pour motiver sa demande, pas plus qu’il n’a précisé la période supplémentaire dont il avait besoin. Mme Grenier a rapporté cette information à son superviseur immédiat, M. Leblanc. Elle se souvient que le plaignant était déçu lorsqu’elle l’a informé que sa demande avait été refusée.

54 Dans son témoignage, M. Leblanc a expliqué que Mme Grenier l’avait consulté après l’écoulement d’un peu plus de la moitié de la période d’examen de 90 minutes pour lui dire que le plaignant avait sollicité du temps supplémentaire pour terminer l’examen. Dans des processus de nomination précédents, M. Leblanc avait eu recours aux services du Centre de psychologie du personnel de la CFP pour évaluer les besoins d’accommodement de candidats ayant indiqué qu’ils souffraient d’une déficience précise. Toutefois, en l’espèce, M. Leblanc avait uniquement connaissance de l’affirmation générale du plaignant selon laquelle il se sentait stressé ainsi que de sa demande de temps additionnel pour terminer l’examen, sans mention de durée. De plus, M. Leblanc connaissait la teneur du certificat médical fourni par le plaignant, qui indiquait que ce dernier ne pouvait se livrer à aucune activité liée au travail pendant la période du 10 novembre 2010 au 9 janvier 2011. Le plaignant avait fourni cette information sur demande expresse de Mme Mainville d’un document attestant qu’il était en mesure de passer l’examen et de participer à une entrevue. Compte tenu des renseignements médicaux fournis par le plaignant, Mme Mainville et M. Leblanc ont tous deux conclu qu’en date du 10 janvier 2011, le plaignant était en mesure de reprendre toutes ses activités liées au travail, y compris de passer un examen écrit. De plus, selon M. Leblanc, il n’est pas inhabituel que les candidats se sentent stressés pendant un processus de nomination, en particulier aux étapes de l’examen écrit et de l’entrevue. Puisque le plaignant a présenté sa demande après plus de la moitié de la période d’examen et qu’il n’a fourni aucun détail ni aucune justification pour expliquer en quoi le stress qu’il subissait le rendait incapable de terminer l’examen écrit, M. Leblanc a refusé d’accéder à la demande du plaignant.

55 Le plaignant a déclaré avoir sollicité à deux reprises du temps supplémentaire pour passer l’examen : une première fois au début de l’examen et une deuxième fois à la fin de l’examen. Au contraire, Mme Grenier a affirmé que le plaignant n’avait présenté cette demande qu’une seule fois, c’est-à-dire après un peu plus de la moitié de la période d’examen. Le Tribunal juge que ce désaccord quant au nombre de demandes et au moment où elles ont été faites n’a aucune incidence réelle. Aucune des deux versions ne change le fait que le plaignant n’a pas établi qu’il souffrait, au moment de l’examen, d’une déficience qui l’empêchait de le terminer dans la période allouée. Le plaignant n’a pas expliqué en quoi son stress nuisait à sa capacité de passer l’examen. Il a simplement présenté une vague demande de temps additionnel parce qu’il se sentait stressé.

56 Le plaignant a soutenu qu’il aurait réussi à l’examen s’il avait eu plus de temps pour s’y préparer. Le Tribunal fait remarquer que le plaignant avait occupé pendant cinq ans, à titre intérimaire, le poste d’inspecteur à la réception, soit le même poste qui est en cause dans le processus de nomination susmentionné. De plus, le plaignant avait été informé le 10 décembre 2010 des qualifications devant être évaluées à l’examen écrit et il avait alors obtenu les documents de référence connexes. Pourtant, le plaignant a indiqué avoir imprimé les documents de référence nécessaires et avoir commencé à étudier uniquement le 13 janvier 2011, soit la veille de l’examen, et ce, en dépit du fait qu’il avait été informé de l’existence des documents de référence plus d’un mois auparavant. Le Tribunal estime donc que le plaignant ne formule qu’une simple hypothèse lorsqu’il affirme qu’il aurait réussi à l’examen écrit s’il avait eu plus de temps pour s’y préparer. Aucun élément de preuve, outre une hypothèse, n’a été fourni à l’appui de cette affirmation.

57 De plus, bien qu’il soit clair dans son courriel daté du 12 janvier 2011 que le plaignant ne souhaitait pas retourner au travail, les seuls renseignements médicaux dont le Tribunal est saisi indiquent que le médecin du plaignant avait déclaré ce dernier incapable de retourner au travail jusqu’au 9 janvier 2011. Il est donc raisonnable de conclure, à la lumière de cette preuve, et en l’absence de preuve contraire, que le plaignant était en mesure de retourner au travail et de reprendre ses activités liées au travail en date du 10 janvier 2011.

58 Compte tenu des circonstances en l’espèce, le Tribunal juge que l’allégation du plaignant selon laquelle l’intimé a refusé de prendre à son égard des mesures d’accommodement par rapport à l’examen écrit n’est pas fondée. Comme il savait que le plaignant revenait d’un congé de maladie prolongé, l’intimé a demandé à ce dernier de lui fournir un certificat médical attestant qu’il était en mesure de reprendre ses activités liées au travail, comme une évaluation au moyen d’un examen écrit et d’une entrevue. Le plaignant a informé l’intimé que son médecin lui avait fourni un certificat indiquant qu’il n’était pas en mesure de se livrer à des activités liées au travail pendant une certaine période. Par conséquent, l’intimé a agi de façon appropriée lorsqu’il a décidé de fixer une date pour l’examen écrit après la période précisée par le plaignant, alors qu’il n’y avait aucune restriction relativement à la capacité du plaignant de revenir au travail.

59 Pour tous ces motifs, le Tribunal juge que l’intimé a fourni une explication raisonnable et a établi que l’allégation de discrimination formulée par le plaignant sur la base de la déficience n’est pas fondée. Par conséquent, le plaignant n’a pas établi qu’il était victime de pratique discriminatoire de la part de l’intimé sur la base d’une déficience par suite du refus de celui-ci de lui accorder du temps additionnel pour se préparer pour l’examen ou le passer. Dans la mesure où le plaignant n’a pas établi qu’il y avait eu discrimination fondée sur la déficience, l’obligation d’accommodement que prévoit la LCDP ne s’applique pas. Voir la décision Moore c. Société canadienne des postes, 2007 TCDP 31, paras. 86-87.

Le plaignant a-t-il réussi à établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la race?

60 Dans son témoignage, M. Malcoln a affirmé qu’il avait également eu le sentiment de faire l’objet de discrimination en raison de sa race, parce qu’il est un homme de race noire. Il se rappelle une discussion près du photocopieur au cours de laquelle M. Landreville avait affirmé que les deux personnes qu’il souhaitait nommer occupaient déjà les postes d’inspecteur à la réception à titre intérimaire et que ces deux personnes avaient été jugées qualifiées à l’issue du processus de nomination. À ce moment-là, M. Malcoln avait rappelé à M. Landreville que le processus était toujours en cours étant donné que le plaignant n’avait pas encore passé l’examen. M. Malcoln était d’avis que M. Landreville ne souhaitait pas poursuivre les affectations intérimaires par rotation, car il voulait conserver ces deux personnes, qui ne faisaient pas partie d’un groupe de minorités visibles, aux deux postes visés.

61L’opinion de M. Malcoln constitue le seul élément de preuve présenté par le plaignant à l’appui de son allégation de discrimination. Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas établi de preuve prima facie de discrimination fondée sur la race. Le plaignant ne pouvait simplement déclarer être victime de discrimination en raison de sa race sans étayer son allégation de preuve autre que l’opinion personnelle d’un témoin. À ce sujet, le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu ce qui suit dans la décision Filgueira c. Garfield Container Transport Inc., 2005 TCDP 32, au paragraphe 41 (décision confirmée par [2006] A.C.F. no 1005; 2006 CF 785 (QL)) : « le fait de croire abstraitement qu’une personne fait l’objet de discrimination, sans qu’il existe un certain fait qui le confirme, n’est pas suffisant ».

62 Le Tribunal estime que le plaignant n’a pas établi que sa race était un facteur déterminant dans l’élimination de sa candidature. Par conséquent, son allégation de discrimination n’est pas fondée.

Question IV : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en faisant preuve de favoritisme personnel à l’endroit des personnes nommées?

63 Le plaignant soutient que l’intimé a fait preuve de favoritisme personnel à l’égard de certains candidats en nommant deux personnes qui n’étaient pas les plus qualifiées aux postes d’inspecteur à la réception.

64 Comme l’a fait remarquer le Tribunal au paragraphe 41 de la décision Glasgow c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2008 TDFP 0007 :

La sélection ne doit jamais être teintée de favoritisme personnel. Des intérêts personnels indus, comme une relation personnelle entre la personne chargée de la sélection et la personne nommée, ne devraient jamais constituer le motif d’une nomination. De la même façon, la sélection d’une personne à titre de faveur personnelle ou pour obtenir la faveur de quelqu’un serait un autre exemple de favoritisme personnel.

65 Le plaignant affirme que M. Landreville a fait preuve de favoritisme personnel à l’égard des deux personnes nommées lorsqu’il a modifié l’examen écrit et lorsqu’il a refusé de poursuivre les affectations intérimaires par rotation pour les deux postes d’inspecteur à la réception (GT-03).

66 La question des modifications apportées à l’examen écrit et de la correction de l’examen a été examinée en détail dans l’analyse de la question II, où le Tribunal a conclu que les actes de l’intimé ne constituaient pas un abus de pouvoir.

67 Le plaignant soutient que M. Landreville a fait preuve de favoritisme personnel à l’égard des personnes nommées également en cessant d’offrir des affectations intérimaires par rotation, ce qui lui permettait de garder les futures personnes nommées aux postes intérimaires plus longtemps, puis de les nommer aux postes d’inspecteur à la réception. M. Malcoln a déclaré que M. Landreville lui avait indiqué, pendant une discussion ayant eu lieu la veille de la journée où le plaignant a passé l’examen, que les deux personnes qu’il voulait occupaient déjà les postes d’inspecteur à la réception et qu’elles avaient gagné le concours lié au processus de nomination. À ce moment-là, M. Malcoln avait rappelé à M. Landreville que le processus n’était pas terminé, étant donné que le plaignant n’avait pas encore passé l’examen.

68 M. Landreville a pour sa part décrit la conversation qu’il avait eue avec un petit groupe d’employés au sujet des nominations intérimaires à l’entrepôt. Au moment où cette conversation a eu lieu, tous les candidats avaient passé l’examen écrit, sauf le plaignant, qui devait le faire le lendemain. M. Landreville avait alors informé les employés qu’il avait décidé de cesser d’offrir des affectations par rotation pour les deux postes d’inspecteur à la réception (GT-03) jusqu’à ce que l’évaluation des candidats soit achevée. Il avait plutôt décidé de maintenir les affectations intérimaires des deux personnes qui occupaient actuellement ces postes, étant donné que celles-ci avaient réussi à l’examen. Les deux mêmes personnes ont par la suite été nommées pour une période indéterminée aux postes d’inspecteur à la réception.

69 Le Tribunal accepte l’explication de M. Landreville selon laquelle il a cessé d’offrir des affectations par rotation étant donné que l’évaluation des candidats était pratiquement achevée. Le plaignant n’a présenté aucune preuve de l’existence d’une relation personnelle entre les personnes nommées et M. Landreville. En ce qui a trait à son allégation selon laquelle l’intimé a nommé des personnes qui n’étaient pas les plus qualifiées, le plaignant n’a fourni aucune preuve établissant que l’une ou l’autre des deux personnes nommées ne possédaient pas les qualifications essentielles pour le poste.

70 Le Tribunal n’est pas convaincu que la nomination des deux personnes retenues était entachée de favoritisme personnel.

71 Pour ces motifs, le Tribunal conclut que l’allégation de favoritisme personnel formulée par le plaignant n’est pas fondée.

Décision

Les plaintes sont rejetées.


Maurice Gohier
Membre

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2011-0173 et 2011-0243
Intitulé de la cause :
Michael Alan Earle et le sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités
Audience :
Les 19 et 20 janvier 2012 et
les 20 et 21 mars 2012
Ottawa (Ontario)
Date des motifs :
Le 12 décembre 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Michael Alan Earle
Pour l’intimé :
Josh Alcock
Pour la Commission
de la fonction publique :
John Unrau
(observations écrites)
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