Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a déposé deux plaintes : la première portait sur une nomination intérimaire non annoncée et la deuxième concernait une nomination à durée indéterminée au même poste au terme d’un processus annoncé dans lequel la candidature du plaignant n’a pas été retenue pour cause d’échec à l’examen. Décision S’agissant de la nomination intérimaire non annoncée, le Tribunal a conclu qu’en dépit du fait que l’intimé aurait dû être plus transparent en affichant l’avis de nomination plus tôt, cette omission n’était pas suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir. L’intimé a respecté en grande partie les lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP) par rapport au choix du processus de nomination. D’autre part, le plaignant n’a pas su démontrer que la nomination en l’espèce était entachée de favoritisme personnel, pas plus qu’il n’a établi la preuve d’une discrimination à son égard fondée sur son origine nationale ou ethnique, sa race ou sa couleur. Toutefois, le Tribunal a jugé que l’intimé avait abusé de son pouvoir dans sa façon d’évaluer le mérite parce que la personne nommée ne possédait pas tout à fait le profil linguistique requis pour le poste et que l’intimé l’a nommée sans avoir déterminé qu’il possédait toutes les qualifications essentielles. Pour ce qui concerne la nomination à durée indéterminée annoncée, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun abus de pouvoir de la part de l’intimé dans l’évaluation des qualifications du plaignant, que le droit de ce dernier d’être évalué dans la langue officielle de son choix a été respecté, et que l’intimé avait observé les lignes directrices de la CFP sur les discussions informelles. Plainte à l’encontre de la nomination à durée indéterminée rejetée. Plainte à l’encontre de la nomination intérimaire accueillie. Mesure corrective L’intimé ayant déjà mis fin à la nomination intérimaire, le Tribunal a estimé qu’une déclaration d’abus de pouvoir était suffisante.

Contenu de la décision

Coat of Arms - Armoiries
Dossiers :
2010-0091 et 2010-0624
Décision
rendue à :

Ottawa, le 17 mai 2012

SAAD HAMMOUCH
Plaignant
ET
LE SOUS-MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaires :
Plaintes d’abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a), b) et c) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte concernant la nomination de M. Gendron est rejetée
La plainte concernant la nomination de M. Deblois est accueillie
Décision rendue par :
John Mooney, vice-président
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Hammouch c. le sous-ministre de la Défense nationale
Référence neutre :
2012 TDFP 0012

Motifs de décision


Introduction


1 Saad Hammouch (le plaignant) a présenté deux plaintes concernant des nominations à des postes de gestionnaire, Assurance de la qualité, au groupe et niveau TI-07 au ministère de la Défense nationale (le ministère). Une des deux plaintes concerne la nomination de Luc Gendron au poste susmentionné pour une période indéterminée (dossier 2010-0624). Le plaignant allègue que le sous-ministre de la Défense nationale (l'intimé) a abusé de son pouvoir dans l'évaluation de ses qualifications, qu'il n'a pas respecté son droit d'être évalué dans la langue officielle de son choix et qu'il n'a pas respecté les lignes directrices de la Commission de la fonction publique (CFP) lors de la tenue de la discussion informelle. L'intimé nie ces allégations.

2 Dans l'autre plainte (dossier 2010-0091), le plaignant allègue que l'intimé a abusé de son pouvoir lorsqu'il a nommé Mario Deblois au poste susmentionné à titre intérimaire suite à un processus non annoncé. Le plaignant reprend les trois allégations formulées dans la plainte concernant la nomination de M. Gendron, et allègue en plus que l'intimé a abusé de son pouvoir en choisissant un processus non annoncé pour nommer M. Deblois, qu'il a fait preuve de favoritisme personnel envers lui, et que M. Deblois n'était pas qualifié pour le poste puisqu'il ne possédait pas, entre autres, les connaissances linguistiques requises.

3 L'intimé nie avoir abusé de son pouvoir lors de la nomination de M. Deblois. Selon lui, il a le droit de choisir un processus non annoncé pour doter un poste. L'intimé soutient également qu'il n'y a eu aucun favoritisme personnel envers M. Deblois. Il a bien évalué ses qualifications, mais il a omis de vérifier si la période de validité de son profil linguistique était expirée. Lorsqu'il a appris que c'était le cas, il a mis fin à sa nomination intérimaire. Pour ce qui est des trois autres allégations, l'intimé reprend les mêmes réponses qu'il avait fournies dans le cadre de la nomination de M. Gendron.

4 La CFP n'a pas participé à l'audience mais a fait parvenir au Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) des observations écrites dans lesquelles elle décrit ses lignes directrices en matière de nomination, notamment ses lignes directrices générales, et celles portant sur l'évaluation des candidats, sur les langues officielles, sur la discussion informelle, et sur le choix du processus de nomination. La CFP ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé des plaintes.

5 Pour les raisons qui suivent, le Tribunal estime que le plaignant n'a pas établi que l'intimé a abusé de son pouvoir pour ce qui est de la nomination de M. Gendron au poste en litige pour une période indéterminée. Le Tribunal conclut cependant que l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications de M. Deblois à l'égard de sa nomination au poste en question à titre intérimaire.

Contexte


6 En avril 2009, l'intimé a affiché une Annonce de possibilité d'emploi sur le site Web du gouvernement fédéral Publiservice pour doter un poste de gestionnaire, Assurance de la qualité TI-07 pour une période indéterminée. Quinze personnes ont posé leur candidature et quatre personnes ont été éliminées du processus à l'étape de la présélection. Le 22 septembre 2009, les 11 autres candidats, dont le plaignant, ont subi un examen qui évaluait la « connaissance approfondie du Système de Management de la Qualité (SMQ) de la Direction de l'Assurance de la Qualité (DAQ) », une qualification essentielle pour ce poste. Le plaignant a échoué à l'examen. Seulement deux personnes ont réussi à toutes les étapes du processus de nomination, dont M. Gendron qui fut nommé au poste.

7 Pendant que se déroulait le processus de nomination pour doter ce poste pour une période indéterminée, l'intimé a nommé différentes personnes à ce poste sur une base intérimaire pour des périodes de moins de quatre mois. En vertu de l'article 14(1) du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique, SOR/2005 334, une nomination intérimaire de moins de quatre mois n'est pas sujette à l'application du mérite prévu à l'article 30(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (la LEFP) et au droit de plainte prévu à l'article 77 de cette même loi. En juin 2009, l'intimé a invité les employés du bureau régional du Québec de l'Assurance de la qualité qui étaient intéressés à occuper le poste sur une base intérimaire de lui communiquer leur intérêt. Ces postes étaient situés dans différents centres de travail dans la région métropolitaine de Montréal. Pour pouvoir être pris en considération pour ces nominations intérimaires, il fallait préalablement avoir réussi un cours portant sur les articles 32 à 34 de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP). Ces articles traitent des procédures administratives et financières qui encadrent l'achat de biens et de services. Le plaignant ne fut pas considéré lors de cette première série de nominations parce qu'il avait échoué ce cours le 9 juin 2009. Le plaignant a réussi le cours plus tard en septembre 2009 lors d'un autre essai. L'intimé lui a alors offert deux nominations intérimaires, la première allant du 21 septembre au 30 octobre 2009, et la seconde du 31 octobre 2009 au 15 janvier 2010.

8 Le 20 octobre 2009, l'intimé a émis un second avis d'intérêt. Pour cette nouvelle série de nominations intérimaires, il a utilisé les résultats de l'examen écrit mené dans le cadre du processus de nomination visant à doter le poste pour une période indéterminée. Cet examen évaluait la connaissance approfondie du système de « management » de la qualité. Lors de l'automne 2009, l'intimé a décidé de ne plus offrir de nominations intérimaires aux candidats qui avaient échoué à cet examen. Comme le plaignant avait échoué à l'examen en question, l'intimé ne lui a pas offert d'autres nominations intérimaires à ce poste.

9 M. Deblois occupait le poste contesté à titre intérimaire depuis le 6 juillet 2009. En octobre 2009, l'intimé lui a offert une autre nomination intérimaire pour la période allant du 3 octobre 2009 au 26 mars 2010. Comme cette nomination prolongeait la période de sa nomination intérimaire à quatre mois et plus, elle devenait sujette à l'application du mérite prévu à l'article 30(2) de la LEFP et au droit de recours prévu à l'article 77 de cette même loi.

10 Le comité d'évaluation pour le processus qui a mené à la nomination indéterminée de M. Gendron et celui mené pour la nomination intérimaire de M. Deblois était composé de Gaetan Moreau, Commandant Opérations, Région Québec, groupe et niveau TI-08, qui présidait le comité, Denis Bastien, gestionnaire Assurance de la qualité, groupe et niveau TI-07, et Claude Courchesne, également gestionnaire, Assurance de la qualité, groupe et niveau TI-07.

11 Le 17 février 2010, l'intimé a affiché un avis concernant la nomination intérimaire de M. Deblois, soit plus de quatre mois après le début de la période de cette nomination intérimaire. Le 18 février 2010, le plaignant a présenté au Tribunal une plainte d'abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a), b) et c) de la LEFP concernant cette nomination intérimaire.

12 Le 15 septembre 2010, l'intimé a affiché la Notification de nomination ou de proposition de nomination pour la nomination de M. Gendron au poste contesté pour une période indéterminée. Le 7 octobre 2010, le plaignant a présenté une plainte d'abus de pouvoir en vertu des articles 77(1)a) et c) concernant cette nomination.

13 Les deux plaintes ont été jointes pour les fins de ces procédures, conformément à l'article 8 du Règlement du Tribunal de la dotation de la fonction publique DORS/2006-6, modifié par DORS/2011-116.

14 Le plaignant a envoyé un avis à la Commission canadienne des droits de la personne (CCDP) pour l'aviser qu'il avait l'intention de soulever une question liée à l'interprétation ou à l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne L.R.C., 1985, ch. H-6 (LCDP). La CCDP a informé le Tribunal qu'elle n'entendait pas participer à l'audience ni présenter d'observations.

Analyse


15 L'article 77(1) de la LEFP stipule qu'une personne qui est dans la zone de recours peut présenter une plainte selon laquelle elle n'a pas été nommée ou n'a pas fait l'objet d'une proposition de nomination au motif que la CFP ou l'administrateur général a abusé de son pouvoir dans le processus de nomination. La LEFP ne définit pas ce qu'est un abus de pouvoir, mais l'article 2(4) indique qu'« [i]l est entendu que, pour l'application de la présente loi, on entend notamment par “abus de pouvoir” la mauvaise foi et le favoritisme personnel ».

16 Comme l'a établi la jurisprudence du Tribunal, cette formulation inclusive indique que l'abus de pouvoir ne se limite pas à la mauvaise foi et au favoritisme personnel. La Cour d'appel fédérale a précisé dans la décision Kane c. le procureur général du Canada et la Commission de la fonction publique, 2011 C.A.F. 19, qu'une erreur peut également constituer un abus de pouvoir (para. 64). Il ressort cependant clairement du préambule de la LEFP et de la LEFP dans son ensemble qu'il faut plus que de simples erreurs ou omissions pour constituer un abus de pouvoir. Le fait qu'une erreur constitue ou non un abus de pouvoir dépend donc de la nature et de la gravité de l'erreur. L'abus de pouvoir peut aussi comprendre une omission et une conduite irrégulière. L'ampleur de l'omission et la mesure dans laquelle la conduite est irrégulière peuvent déterminer si elles constituent un abus de pouvoir ou non. Voir, par exemple, la décision Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008.

La nomination de M. Gendron pour une période indéterminée


Questions en litige


17 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes dans le cas de la plainte concernant la nomination de M. Gendron :

  1. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications du plaignant?
  2. Le plaignant a-t-il été évalué dans la langue officielle de son choix?
  3. L'intimé a-t-il respecté les lignes directrices de la CFP concernant la discussion informelle?

18 Dans les allégations écrites remises au Tribunal avant l'audience, le plaignant avait fait une allégation de discrimination dans les deux dossiers de plainte, c'est-à-dire le dossier 2010-0091 ayant trait à la nomination de M. Deblois et le dossier 2010 - 0624 ayant trait à la nomination de M. Gendron. Il avait également, dans les deux dossiers, expédié un avis à la CCDP pour l'aviser qu'il avait l'intention de soulever une question liée à l'interprétation ou à l'application de la LCDP. Or, lors de l'audience, le représentant de l'intimé a déclaré que l'allégation de discrimination ne concernait que la plainte 2010-0091 ayant trait à la nomination de M. Deblois puisque son argument était que l'intimé avait fait preuve de discrimination dans l'administration de l'examen portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP et que cet examen ne se rapportait qu'à la nomination intérimaire de M. Deblois. La Tribunal ne traitera donc pas de la question de discrimination dans le cadre de la nomination de M. Gendron.

Question I :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications du plaignant?

19 Le plaignant affirme que l'intimé a mal évalué ses qualifications dans le cadre de l'examen qui évaluait la connaissance approfondie du système de « management » de l'assurance de la qualité. Le Tribunal a jugé dans nombre de décisions que son rôle consiste à déterminer s'il y a eu abus de pouvoir, et non pas à réévaluer les candidats ou à reprendre le processus de nomination (voir, par exemple, la décision Broughton c. Sous-ministre de Travaux publics et Services gouvernementaux et al., 2007 TDFP 0020). Ainsi, le Tribunal examinera l'évaluation des qualifications du plaignant afin de déterminer s'il y a eu abus de pouvoir dans celle-ci, mais n'évaluera pas à nouveau le plaignant.

20 M. Moreau a déclaré que les candidats ont subi cet examen le 22 septembre 2009. Les membres du comité d'évaluation ont corrigé l'examen séparément. M. Courchesne et M. Bastien l'ont d'abord corrigé, puis ils ont rencontré M. Moreau à la fin décembre 2009 ou au début janvier 2010. Ce long délai était dû au fait que M. Moreau était très occupé pendant cette période à cause de sa participation à l'exercice de revue stratégique du gouvernement fédéral. Lors de cette rencontre, les trois membres du comité d'évaluation ont revu et discuté de toutes les réponses pour en arriver à un consensus au sujet de la correction des réponses des candidats.

21 Le plaignant soutient qu'il aurait dû recevoir plus de points pour ses réponses à l'examen écrit. Par exemple, la question 5 demandait aux candidats si l'énoncé suivant est vrai ou faux : « [l]a Publication Interalliée sur l'Assurance de la Qualité (AQAP - 170) est la publication courante qui définit le Processus Mutuel de l'OTAN en matière d'Assurance Officielle de la Qualité (AOQ) ».

22 Le plaignant a répondu que cette affirmation est vraie. La réponse attendue dans le corrigé de l'examen indique que cette affirmation est fausse puisque la publication courante est le document AQAP-2070. Selon le plaignant, la réponse attendue est erronée. Il a déposé en preuve un document intitulé en anglais QA Service Delegation of Government Quality Assurance – Outgoing qui dresse les procédures à suivre pour l'assurance de la qualité. Ce document réfère au document AQAP-170, et ne mentionne pas le document AQAP-2070.

23 M. Moreau et M. Bastien ont expliqué que le document AQAP-170, qui datait de septembre 2003, avait été remplacé par le document AQAP-2070. L'intimé a déposé en preuve un courriel daté du 6 janvier 2005 qui informe les employés de ce changement. Le document AQAP-170 ne fait plus partie de leurs procédures et tous les employés de l'Assurance de la qualité savaient cela.

24 Le Tribunal est satisfait de l'explication fournie par l'intimé selon laquelle le document AQAP-170 avait été remplacé par le document AQAP-2070 et que les employés de la direction de l'Assurance de la qualité en avait été informés. Par conséquent, le comité d'évaluation avait raison de conclure que la réponse du plaignant était incorrecte.

25 Le plaignant a donné un autre exemple de ce qui constitue, selon lui, une erreur dans l'évaluation de ses qualifications. La partie « a » de la question 9 demandait aux candidats ce qui suit : « [d]ans le contexte des procédures du SMQ de la DAQ que signifie l'acronyme « LoD ? ».

26 La réponse attendue dans le corrigé, rédigée en anglais seulement, se lisait comme suit : « [l]etter of Delegation (DAQ) Procedure – Quality Surveillance Planning [traduction : Lettre de délégation (DAQ) – Planification de l'Assurance de la qualité]. »

27 Cette sous-question valait trois points. Le plaignant n'a reçu aucun point pour sa réponse. Il a répondu en anglais « Letter of » [traduction : « Lettre de »]. Le plaignant allègue qu'il aurait dû recevoir deux points pour sa réponse puisqu'il a fourni deux des trois mots de la réponse attendue.

28 Le Tribunal ne voit pas d'abus dans la manière dont le comité d'évaluation a corrigé cette réponse. L'expression « Lettre de » ne réfère à rien puisqu'il lui manque le mot clé qui donnerait un sens à cette expression. Le comité d'évaluation n'a pas agi de façon déraisonnable en refusant d'accorder des points pour cette réponse.

29 La question 10 de l'examen constitue, selon le plaignant, un autre exemple de mauvaise évaluation de ses qualifications. Cette question demandait aux candidats de définir l'expression « Sommaire des Risques » dans le contexte des procédures du système de « management » de la qualité dans la direction de l'Assurance de la qualité. La réponse attendue se lit comme suit : « [l]e risque associé à un produit dans un contrat spécifique et la capacité du fournisseur de contrôler ce risque [traduction] ».

30 Le plaignant n'a reçu que deux points et demi sur cinq pour sa réponse qui se lit comme suit :

On peut résumer les risques comme suit : Risque du produit; c'est le cas où le produit est critique. – Risque du fournisseur; c'est le cas où ce dernier ne peut rencontrer les exigences ou livrer le produit à temps. – Risque de la production d'un premier article ou prototype. En général, les risques c'est tout problème ou obstacle qui peut nuire à la réalisation du produit ou services contracté [sic] selon le contrat et ou échéance voulu [sic].

31 Selon le plaignant, sa réponse correspond à la réponse attendue dans le corrigé. Il a mentionné les deux mots clés de la réponse attendue: « produit » et « fournisseur ».

32 M. Moreau et M. Bastien ont déclaré que le plaignant n'avait pas mentionné la capacité du fournisseur de contrôler le risque du produit. Le Tribunal estime que cette correction, quoique sévère, n'est pas abusive. L'intimé a fourni une explication raisonnable pour la note attribuée à cette réponse. En effet, le plaignant ne mentionne pas explicitement la capacité du fournisseur de contrôler le risque du produit.

33 Le plaignant a déclaré qu'il ne savait pas que l'intimé avait évalué sa capacité de communiquer par écrit. Il ne l'a appris que quelques jours avant l'audience des plaintes en consultant la grille de correction de l'examen écrit que lui a remise l'intimé. Cette grille indique que le plaignant a reçu une note de 67,5 % pour cette capacité alors que la note de passage était de 75 %.

34 M. Moreau a expliqué que lorsque les candidats se sont présentés à l'examen écrit, on leur a demandé d'écrire une lettre afin d'évaluer leur capacité de communiquer par écrit. M. Bastien et M. Courchesne ont corrigé les lettres de tous les candidats, même ceux qui avaient échoué à l'examen. Ces évaluations ne devenaient finales que lorsque M. Moreau les entérinait. M. Bastien et M. Courchesne ont donc corrigé la lettre du plaignant et lui ont accordé une note de 67,5 %, comme l'indique la grille de correction. Mais M. Moreau ne l'a pas corrigée parce que tous les membres du comité d'évaluation avaient décidé plus tard lorsqu'ils se sont réunis que le plaignant avait échoué à l'examen des connaissances et par conséquent, il n'était pas nécessaire de corriger cette lettre. Le Tribunal est satisfait de l'explication fournie par l'intimé. L'intimé n'a pas dit au plaignant qu'il avait évalué sa capacité de communiquer par écrit parce que cette capacité n'a jamais vraiment été évaluée complètement puisque M. Moreau n'a jamais entériné l'évaluation effectuée par M. Bastien et M. Courchesne. Il n'était pas nécessaire de compléter l'évaluation de cette capacité puisque le plaignant avait échoué à l'examen des connaissances.

35 Le Tribunal estime donc que l'intimé n'a pas abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications du plaignant.

Question II :  Le plaignant a-t-il été évalué dans la langue officielle de son choix?

36 L'article 37(1) de la LEFP stipule qu'un candidat a le droit d'être évalué dans la langue officielle de son choix. L'article 77(1)c) stipule qu'une personne peut présenter une plainte si ce droit n'a pas été respecté.

37 Le plaignant allègue que l'intimé n'a pas respecté ce droit puisqu'il y avait un acronyme anglais dans une des questions de l'examen des connaissances. Tel qu'indiqué ci-dessus, la partie « a » de la question 9 demandait aux candidats ce que signifie l'acronyme « LoD » dans le cas des procédures du système de « management » de la qualité dans la direction de l'Assurance de la qualité. Cet acronyme était placé entre guillemets. Il s'agit d'un acronyme anglais qui signifie « Letter of Delegation » [traduction : Lettre de délégation]. Le plaignant a répondu « Letter of » [traduction : Lettre de].

38 M. Moreau a expliqué que le comité d'évaluation a traduit tous les acronymes anglais, sauf l'acronyme « LoD » dans la question 9 parce que le comité d'évaluation ne traduisait pas les acronymes anglais américains, seulement les acronymes anglais canadiens. Les employés de la direction de l'Assurance de la qualité utilisaient toujours ce terme anglais. M. Bastien a ajouté que l'intimé utilise le terme anglais « LoD » dans ses procédures rédigées en français. Par exemple, ce terme n'est pas traduit dans le document Système de management de la qualité (SMQ) que publie le ministère. M. Moreau a signalé au Tribunal que le plaignant pouvait répondre en français même si l'acronyme était en anglais.

39 Le plaignant a rétorqué que l'argumentation de l'intimé ne tient pas. Les américains utilisent l'acronyme MOU (pour désigner un « Memorandum of Understanding ») que l'on retrouve dans la partie « b » de la même question, et l'intimé a traduit cet acronyme. La traduction française est PE pour « protocole d'entente ».

40 Puisque le plaignant avait choisi d'être évalué en français plutôt qu'en anglais ou dans les deux langues officielles, il aurait été préférable que l'intimé lui fournisse une version française complète de toutes les questions de l'examen. Le Tribunal accepte cependant l'explication de l'intimé que l'acronyme anglais « LoD » était utilisé au ministère par les employés francophones et anglophones. En d'autres mots, ce terme technique avait été intégré au vocabulaire de travail de tous les employés, incluant les employés francophones. Par conséquent, le Tribunal estime que dans le contexte décrit plus hautl'intimé a respecté le droit du plaignant d'être évalué dans la langue officielle de son choix. Le Tribunal note que cette omission de traduire cet acronyme n'a eu aucune incidence sur les résultats de ce processus de nomination. Cette partie de la question 9 valait trois points. Si le plaignant y avait bien répondu, il aurait obtenu une note de 66 % pour l'examen écrit, et la note de passage était de 75 %. Il aurait donc échoué à l'examen même s'il avait répondu correctement à la partie « a » de la question 9.

Question III :  L'intimé a-t-il respecté les lignes directrices de la CFP concernant la discussion informelle?

41 Le plaignant allègue que l'intimé n'a pas respecté ces lignes directrices. Elles précisent que la personne qui demande une discussion informelle doit avoir accès à suffisamment d'information concernant son évaluation pour comprendre la décision du ministère. Elles indiquent également que le délégataire peut, le cas échéant, corriger des erreurs dans l'évaluation des candidats.

42 Le plaignant soutient que l'intimé ne lui a pas donné suffisamment accès à l'information concernant son examen. Lors de la discussion informelle, MM. Bastien et Courchesne se sont contentés de lui lire ses réponses aux questions de l'examen et les réponses attendues, mais ils ont refusé de lui remettre son examen et les réponses attendues. L'intimé lui a cependant donné une copie de ces documents plus tard après la discussion informelle.

43 Le Tribunal estime que l'intimé a respecté les lignes directrices de la CFP lors de la tenue de la discussion informelle avec le plaignant. L'intimé a donné au plaignant accès à suffisamment d'information pour qu'il comprenne son évaluation. M. Bastien et M. Courchesne ont expliqué au plaignant la correction de chacune de ses réponses aux questions de l'examen écrit. Par la suite, l'intimé lui a donné une copie papier de ces documents. Le Tribunal tient cependant à ajouter que de lire les questions et réponses à haute voix comme l'a fait l'intimé n'assure pas que le plaignant ait bien compris son évaluation. Le plaignant aurait pu être nerveux ou être plus visuel qu'auditif. Il aurait été préférable de tout simplement remettre au plaignant les questions écrites et les réponses pour qu'il puisse les lire calmement à son aise.

44 Le plaignant a ajouté qu'après la discussion informelle, il a découvert des erreurs dans la correction de ses réponses. Il s'agit des erreurs décrites plus haut concernant les questions 5, 9 et 10. Il a donc demandé à l'intimé de tenir une seconde discussion informelle, mais l'intimé a refusé.

45 Le Tribunal estime qu'il ne s'agit pas d'erreurs, mais de divergences d'opinions. Le plaignant ne partageait pas l'avis de l'intimé au sujet de l'évaluation de ses connaissances. Le but de la discussion informelle n'est pas de réévaluer les candidats mais de leur expliquer leur évaluation. L'intimé s'est acquitté de cette obligation en expliquant au plaignant la correction de chacune de ses réponses. Le comité d'évaluation n'était pas obligé de tenir une seconde discussion informelle pour discuter de cette correction d'examen.

Décision


46 Pour toutes ces raisons, la plainte concernant la nomination de M. Gendron pour une période indéterminée n'est pas fondée.

La nomination intérimaire de M. Deblois


Questions en litige


47 Le Tribunal doit statuer sur les questions suivantes dans le cadre de la plainte concernant la nomination de M. Deblois :

  1. L'intimé a-t-il respecté les lignes directrices de la CFP dans le choix du processus de nomination?
  2. L'intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel envers M. Deblois?
  3. L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications de M. Deblois?
  4. L'intimé a-t-il fait preuve de discrimination envers le plaignant?

48 Le plaignant a aussi allégué que l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'évaluation de ses qualifications et dans la tenue de la discussion informelle. Il a également allégué que l'intimé n'a pas respecté son droit d'être évalué dans la langue officielle de son choix. Ces trois allégations ont trait à l'examen écrit qui évaluait la connaissance approfondie du système de « management » de la qualité, le même qui a servi dans le cadre de la nomination de M. Gendron pour une période indéterminée. L'intimé a cessé d'offrir des nominations intérimaires au plaignant parce que le plaignant a échoué à cet examen. Le Tribunal ne reviendra pas sur ces allégations puisqu'il a déjà décidé dans le cadre de la nomination de M. Gendron que les allégations d'abus de pouvoir par rapport à cet examen n'étaient pas fondées.

Question I :  L'intimé a-t-il respecté les lignes directrices de la CFP dans le choix du processus de nomination?

49 Le plaignant allègue que l'intimé n'a pas respecté ces lignes directrices lorsqu'il a choisi de prolonger la période de la nomination intérimaire de M. Deblois. Les articles 16 et 29(3) de la LEFP stipulent que la personne à qui la CFP délègue son pouvoir de nomination doit respecter les lignes directrices de la CFP lorsqu'elle exerce ce pouvoir. Les Lignes directrices sur le choix du processus de la CFP prévoient que lorsqu'un organisme choisit de doter un poste par un processus non annoncé, il doit décrire comment ce choix respecte les valeurs de dotation de la CFP que sont la justice, l'accessibilité et la transparence, et comment ce choix est en harmonie avec le plan des ressources humaines. Ces obligations sont reprises par l'intimé dans le formulaire Justification des nominations non annoncées. Or, selon le plaignant, l'intimé n'a pas démontré par écrit comment ce choix respectait ces valeurs et pourquoi ce choix était en harmonie avec le plan des ressources humaines.

50 Le Tribunal estime que l'intimé a en grande partie respecté les lignes directrices de la CFP lors du choix du processus. Dans les deux documents qui expliquent les raisons de ce choix, soit la Justification des nominations non annoncées et la Justification du choix de la bonne personne, on ne retrouve pas les mots « justice » et « accessibilité », mais ces deux documents indiquent que la manière dont l'intimé a fait les nominations intérimaires, dont celle de M. Deblois, respectent les valeurs d'accessibilité et de justice. Les nominations intérimaires étaient accessibles puisque l'intimé a invité à deux reprises les employés de la direction de l'Assurance de la qualité de l'informer s'ils étaient intéressés à être nommés sur une base intérimaire au poste contesté.

51 L'intimé a effectué les nominations intérimaires de façon juste puisque la Justification du choix de la bonne personne indique qu'il a nommé presque toutes les personnes qui ont démontré un intérêt pour ce poste, dont le plaignant. Le plaignant a été nommé au poste en litige deux fois sur une base intérimaire. L'intimé a choisi de ne plus lui offrir de nomination intérimaire après le 15 janvier 2010 parce qu'il avait échoué à l'examen qui évaluait la connaissance approfondie du système de « management » de la qualité, examen qui avait aussi servi dans le cadre du processus qui a mené à la nomination de M. Gendron.

52 L'intimé a été transparent dans l'annonce des postes à doter. Tel qu'indiqué ci - dessus, il a sollicité des candidatures pour ces postes à deux reprises. Mais il aurait pu être plus transparent pour ce qui est de l'avis de nomination intérimaire de M. Deblois. Cet avis indique qu'il a commencé sa seconde nomination intérimaire le 3 octobre 2009, mais cet avis n'a été affiché sur Publiservice que le 17 février 2010. (Il s'agit du premier avis puisqu'il y a eu un second avis plus tard.) Même si ce délai est regrettable, le Tribunal estime que dans ce cas-ci, il ne s'agit pas d'une omission assez sérieuse pour constituer un abus de pouvoir. Le plaignant savait que M. Deblois occupait ce poste avant l'émission de l'avis puisqu'il suivait la situation des nominations intérimaires de près. Le plaignant, qui a occupé le même poste à titre intérimaire jusqu'au 15 janvier 2010, a déclaré qu'il avait approché le service des ressources humaines pour demander pourquoi l'avis de la nomination intérimaire de M. Deblois n'avait pas encore été émis.

53 M. Moreau a déclaré qu'il a consulté le plan des ressources humaines lorsqu'il a nommé M. Deblois et que cette nomination était conforme à ce plan. Le plaignant, qui a le fardeau de la preuve, n'a pas établi pourquoi la nomination de M. Deblois ne respectait pas ce plan des ressources humaines.

54 Le Tribunal estime donc que l'intimé a en grande partie respecté les valeurs de dotation énoncées dans les lignes directrices de la CFP lorsqu'il a nommé M. Deblois. Il aurait dû cependant être plus transparent en affichant l'avis de nomination de M. Deblois plus tôt, mais le Tribunal estime que cette omission n'est pas suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir. 

Question II :  L'intimé a-t-il fait preuve de favoritisme personnel envers M. Deblois?

55 Le plaignant soutient que l'ensemble des faits – c'est-à-dire le choix d'un processus de nomination non annoncé, le choix des outils d'évaluation, et le fait qu'on ait indiqué dans la justification écrite du processus de nomination qu'on voulait quelqu'un qui relevait du centre de travail de Longueuil – montre que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel envers M. Deblois.

56 Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas prouvé qu'il y a eu favoritisme personnel dans la nomination de M. Deblois. Le gestionnaire délégataire peut, en vertu de l'article 33 de la LEFP, choisir un processus de nomination annoncé ou un processus non annoncé pour doter un poste. Tel qu'expliqué ci-dessus, le plaignant n'a pas établi que l'intimé a abusé de son pouvoir dans ce choix.

57 M. Moreau a déclaré que les membres du comité d'évaluation ont utilisé leur connaissance personnelle de M. Deblois pour évaluer ses qualifications, ainsi que son dossier d'employé et l'examen écrit qui évaluait la connaissance approfondie du système de « management » de la qualité. Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas établi en quoi ces méthodes d'évaluation démontraient un parti pris en faveur de M. Deblois.

58 Le plaignant souligne qu'utiliser le dossier de travail d'un employé pour évaluer ses qualifications est peu exigeant et peu efficace. Le Tribunal estime qu'il est tout à fait légitime d'utiliser le dossier de travail d'un employé pour évaluer ses qualifications. En fait, l'article 36 de la LEFP qui accorde au gestionnaire délégataire une vaste discrétion dans le choix des méthodes d'évaluation, précise que ces méthodes incluent « les réalisations » et le « rendement antérieur » du candidat. Ce sont là des éléments que l'on retrouve habituellement dans le dossier d'un employé.

59 Le Tribunal conclut que la justification du choix de M. Deblois est raisonnable. M. Moreau a déclaré que l'intimé voulait nommer quelqu'un qui connaissait les dossiers au centre de travail de Longueuil et M. Deblois était le seul employé de ce centre à avoir démontré un intérêt pour le poste à doter.

60 Le Tribunal juge donc que le plaignant n'a pas démontré que l'intimé a fait preuve de favoritisme personnel en nommant M. Deblois au poste contesté.

Question III :  L'intimé a-t-il abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications de M. Deblois?

61 Le plaignant soutient que M. Deblois ne possédait pas, lors de sa nomination intérimaire, le profil linguistique requis pour le poste.

62 L'énoncé des critères de mérite indique que la compétence dans les langues officielles pour le poste était BBB. Tel qu'expliqué dans le document de la CFP Série d'orientation – les langues officielles dans le processus de nomination, la compétence linguistique du candidat dans la seconde langue officielle est évaluée par le Test d'évaluation en langue seconde (ÉLS) qui évalue les trois capacités linguistiques suivantes : la compréhension de l'écrit, l'expression écrite et l'interaction orale. L'échelle d'évaluation a trois niveaux : « A », « B » et « C », le niveau « A » étant le moins élevé en termes de compétence linguistique et niveau « C » le plus élevé. Un employé peut aussi être exempté d'être évalué dans la langue seconde. Cette exemption est exprimée par la lettre « E » dans son « profil linguistique ». Les résultats des tests d'ÉLS sont valides pour une période de cinq ans, sauf si l'employé a la cote « E ». S'il a la cote « E », il n'a pas besoin d'être réévalué. M. Moreau a déclaré que le profil linguistique de M. Deblois était auparavant ECE, donc supérieur au profil requis pour le poste.

63 Karine Giguère occupe le poste de conseillère en ressources humaines au ministère. En février 2010, elle a informé M. Bastien que la période de validité des résultats du test d'ÉLS de M. Deblois était expirée. M. Bastien a déclaré qu'il en a informé M. Moreau et ce dernier a mis fin à la nomination intérimaire de M. Deblois le même jour.

64 M. Moreau a expliqué que la nomination intérimaire de M. Deblois devait se terminer le 26 mars 2010, comme l'indique l'avis Information concernant une nomination intérimaire émis le 17 février 2010. Le 1er mars 2010, M. Moreau a émis un second avis indiquant que la nomination intérimaire de M. Deblois avait pris fin le 19 février 2010.

65 Le plaignant a donc établi que M. Deblois ne possédait pas une partie du profil linguistique requis lors de sa nomination, plus spécifiquement l'expression écrite puisqu'il était exempté de toute évaluation pour les deux autres capacités linguistiques qui forment partie du profil linguistique. Cette qualification linguistique est une qualification essentielle pour le poste à doter. Il s'agit donc de déterminer si cette erreur constitue un abus de pouvoir au sens de l'article 77(1)a) de la LEFP. Tel qu'indiqué ci - dessus, la Cour d'appel fédérale a jugé dans la décision Kane que l'abus de pouvoir pouvait comprendre une erreur dans une nomination. La nature et la gravité de l'erreur détermineront si elle constitue un abus de pouvoir.

66 L'article 30(1) de la LEFP stipule que les nominations doivent être fondées sur le mérite, et l'article 30(2) précise qu'une nomination est fondée sur le mérite lorsque la personne nommée possède toutes les qualifications essentielles établies par l'administrateur général pour le travail à accomplir. Dans ce cas-ci, M. Deblois ne possédait pas une qualification essentielle. Sa nomination n'est donc pas fondée sur le mérite. Le Tribunal estime que nommer une personne qui ne possède pas toutes les qualifications essentielles est une erreur suffisamment grave pour constituer un abus de pouvoir au sens de l'article 77(1)a) de la LEFP. Par conséquent, l'intimé a abusé de son pouvoir en nommant M. Deblois au poste contesté.

67 Le plaignant souligne également des contradictions dans la preuve concernant l'évaluation de la connaissance approfondie du système de « management » de la direction de l'Assurance de la qualité. Le document Information concernant une nomination intérimaire qui annonce la nomination de M. Deblois indique qu'il s'agit d'une qualification essentielle pour le poste. M. Moreau a déclaré que le comité d'évaluation avait utilisé l'examen écrit pour évaluer cette connaissance. Le document Justification du choix de la bonne personne (qui malheureusement n'est pas daté) indique que le comité d'évaluation a pris en considération les résultats de l'examen de connaissance pour nommer M. Deblois. Les candidats ont subi cet examen le 22 septembre 2009. M. Moreau a dit que M. Bastien et M. Courchesne ont corrigé l'examen le jour même que les candidats l'ont subi. Mais M. Moreau a aussi déclaré qu'il ne l'avait corrigé qu'à la fin décembre ou au début janvier. Le plaignant se demande comment il se peut que M. Deblois ait commencé sa seconde nomination le 3 octobre 2009 si son évaluation n'a été complétée qu'à la fin décembre 2009 ou au début janvier 2010.

68 Le Tribunal estime que cette qualification n'avait pas été complètement évaluée lorsque M. Deblois a été nommé au poste en octobre 2009 puisque les notes étaient attribuées par consensus et M. Moreau n'avait pas encore corrigé l'examen. L'intimé n'a donc pas établi que M. Deblois possédait cette connaissance au moment de sa nomination. Le Tribunal conclut donc que l'intimé a abusé de son pouvoir dans l'évaluation des qualifications de M. Deblois en le nommant au poste sans qu'il ait démontré qu'il satisfaisait à la connaissance approfondie du système de « management » de la direction de l'Assurance de la qualité.

Question IV :  L'intimé a-t-il fait preuve de discrimination envers le plaignant?

69 Le plaignant soutient que l'intimé a fait preuve de discrimination à son égard dans le cadre de la nomination de M. Deblois à cause de son origine nationale ou ethnique. Le plaignant est d'origine marocaine. Dans ses allégations écrites déposées avant l'audience, le plaignant avait également invoqué sa race et sa couleur comme motifs illicites de discrimination mais il a retiré ces deux motifs lors de l'audience des plaintes.

70 Aux termes de l'article 80 de la LEFP, lorsque le Tribunal détermine si la plainte en vertu de l'article 77 est fondée, il peut interpréter et appliquer la LCDP.

71 L'article 7 de la LCDP stipule que le fait de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi par des moyens directs ou indirects constitue un acte discriminatoire s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. L'article 3 de la LCDP énumère les motifs de distinction illicite, lesquels comprennent l'origine nationale ou ethnique.

Le cadre analytique pour la preuve de discrimination

72 Comme l'a établi la jurisprudence du Tribunal, il incombe au plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu abus de pouvoir dans un processus de nomination (voir, par exemple, la décision Tibbs, para. 49).

73 Dans un contexte de droits de la personne, il incombe au plaignant d'établir une preuve à première vue de discrimination (aussi appelée preuve prima facie de discrimination). Dans la décision Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 (également connue sous le nom de décision O'Malley), la Cour suprême du Canada a énoncé le critère permettant d'établir une preuve à première vue de discrimination :

28 […] Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé. […]

74 Le Tribunal doit déterminer si, en donnant foi à la preuve du plaignant, elle est suffisamment complète pour justifier une conclusion de discrimination, en l'absence de l'explication de l'intimé. Ainsi, à cette étape de l'analyse, le Tribunal ne peut prendre en considération l'explication de l'intimé avant d'avoir déterminé si une preuve à première vue de discrimination a été établie. (Voir la décision Lincoln c. Bay Ferries Ltd., [2004] C.A.F. 204, A.C.F. no 941 (QL), para. 22 (C.A.F.)).

75 La discrimination peut être prouvée au moyen de preuves directes ou circonstancielles ou d'une combinaison des deux. La preuve que le plaignant invoque au soutien de son allégation est de nature circonstancielle : il invoque le fait qu'il a été traité injustement lors d'un examen portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP. Le critère à appliquer pour examiner une preuve circonstancielle a été énoncé par Beatrice Vizkelety dans l'ouvrage Proving Discrimination in Canada(Toronto : Carswell, 1987), à la page 142, dont voici un extrait :

Le critère approprié à appliquer lorsqu'il s'agit de preuves circonstancielles, lequel doit respecter la norme de la prépondérance de la preuve, peut donc être expliqué de la façon suivante : il est possible de conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse.

[traduction]

76 Même si le Tribunal jugeait qu'il y a suffisamment de preuves circonstancielles pour établir l'existence de pratiques discriminatoires, le plaignant doit quand même démontrer qu'il existe un lien entre cette preuve circonstancielle et la preuve de discrimination individuelle à son égard afin qu'une preuve à première vue de discrimination puisse être établie. (Voir les décisions suivantes : Swan c. Forces armées canadiennes, (1994) 25 C.H.R.R. 312, para. 30 (T.C.D.P.), Hill c. Air Canada, 2003 TCDP 9, para. 133, Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du Bien - être social), 2001 CanLII 8492 (T.C.D.P.), para. 211).

77 Si le plaignant réussit à établir une preuve à première vue de discrimination, le fardeau de la preuve revient alors à l'intimé, qui doit fournir une explication raisonnable et non discriminatoire de sa décision de ne pas avoir nommé le plaignant au poste de gestionnaire à l'issue du processus de nomination visé.

La preuve du plaignant

78 L'allégation de discrimination du plaignant se fonde sur le fait que l'intimé ne lui a accordé que deux jours et demi pour se préparer pour l'examen qui évaluait sa connaissance des articles 32 à 34 de laLGFP, alors qu'il a accordé quatre jours et demi à d'autres candidats. Tel qu'expliqué ci-dessus, pour pouvoir être pris en considération pour une nomination intérimaire au poste contesté, il fallait préalablement avoir réussi à cet examen. Le plaignant a échoué à cet examen le 9 juin 2009.

79 Le Tribunal estime que le plaignant n'a pas établi que l'intimé l'a traité de façon discriminatoire lors de l'examen portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP. Le plaignant n'a pas établi que l'intimé ait accordé à tous les autres candidats, dont M. Deblois, plus de temps pour se préparer en vue de l'examen.

80 Le Tribunal estime de plus que l'intimé n'a pas traité le plaignant de façon différente pour ce qui est des nominations intérimaires puisque l'intimé lui a offert deux nominations intérimaires dès qu'il a réussi à l'examen portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP.

81 Le Tribunal estime également qu'il n'y a aucun lien entre le fait que le plaignant a échoué à l'examen portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP et la nomination intérimaire de M. Deblois. Lorsque l'intimé a nommé M. Deblois la seconde fois en octobre 2009, le plaignant et lui avaient tous deux réussi à cet examen. Donc l'échec du plaignant à cet examen en juin 2009 n'a eu aucune incidence sur la nomination de M. Deblois.

82 On ne peut dire que l'intimé a fait preuve de discrimination envers le plaignant lorsqu'il a accordé une nomination à M. Deblois au début d'octobre 2009 puisqu'à cette époque le plaignant occupait lui aussi le même poste à titre intérimaire. L'intimé lui avait offert deux nominations intérimaires, la première allant du 21 septembre au 30 octobre 2009, et la seconde du 31 octobre 2009 au 15 janvier 2010.

83 En conclusion, le Tribunal juge que l'action évoquée par le plaignant dans son témoignage n'établit pas une preuve à première vue de discrimination. L'allégation du plaignant, même si l'on y ajoute foi, n'est ni complète ni suffisante pour justifier une conclusion en sa faveur. Le plaignant n'a pas établi que l'intimé l'a traité de façon différente des autres candidats lors de l'examen portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP. Le plaignant n'a pu, non plus, établir de lien entre son échec à cet examen et la nomination intérimaire de M. Deblois (voir la décision Chopra, para. 211 (QL)).

Explication raisonnable et non discriminatoire

84 Bien que la conclusion ci-dessus soit suffisante pour statuer sur l'allégation de discrimination, le Tribunal estime que l'intimé a également fourni une explication raisonnable et non discriminatoire pour ne pas avoir nommé le plaignant au poste contesté à titre intérimaire.

85 M. Moreau et M. Bastien ont expliqué qu'avant de subir l'examen en question, les candidats se préparaient en consultant sur un site Web des textes explicatifs portant sur les articles 32 à 34 de la LGFP. L'intimé accordait habituellement deux jours et demi aux candidats pour consulter ces textes. Habituellement, un candidat prenait quatre heures pour les consulter, mais il pouvait prendre tout le temps qu'il voulait dans ce laps de temps de deux jours et demi. Les candidats devaient ensuite se présenter à une salle de conférence de l'intimé dans l'arrondissement de Verdun pour passer l'examen.

86 Les témoins de l'intimé ont fourni une explication raisonnable de la raison pour laquelle certains employés ont pris deux jours et demi pour se préparer pour cet examen, alors que d'autres ont pris quatre jours et demi pour faire cette préparation. M. Bastien a déclaré qu'on avait d'abord fixé la date de cet examen au 9 juin, mais comme certains candidats ne pouvaient se présenter à cette date, et que d'autres n'avaient pas accès à un ordinateur pour consulter les textes sur l'internet pour se préparer à l'examen avant cette date, l'intimé a ajouté une autre date pour subir l'examen, soit le 11 juin 2009. L'intimé a donc offert à tous les candidats, incluant le plaignant, le choix de passer l'examen le 9 juin ou le 11 juin. Le plaignant n'a pas contesté ce fait. Le Tribunal conclut donc que le plaignant a été traité comme tous les autres candidats lors de cet examen. En fait le plaignant et M. Deblois, à qui on a offert la nomination intérimaire, ont eu le même temps de préparation pour l'examen puisque M. Deblois a, comme le plaignant, choisit de passer l'examen le 9 juin.

Décision


87 La plainte concernant la nomination intérimaire de M. Deblois est fondée parce qu'il ne satisfaisait pas à la connaissance approfondie du système de « management » de la direction de l'Assurance de la qualité et aux exigences linguistiques du poste lors de sa nomination.

Mesure corrective


88 L'intimé a mis fin à la nomination de M. Deblois le 19 février 2010. Le plaignant n'a pas demandé que le Tribunal révoque la nomination de M. Deblois au-delà de cette date. Puisque l'intimé a déjà mis fin à la nomination de M. Deblois, et puisque le plaignant ne demande pas une révocation à partir de la date de sa nomination, le Tribunal estime que dans ce cas-ci, une déclaration d'abus de pouvoir est suffisante. Le Tribunal déclare donc que l'intimé a abusé de son pouvoir lorsqu'il a nommé M. Deblois au poste de gestionnaire, Assurance de la qualité, sur une base intérimaire parce qu'il ne satisfaisait pas à la connaissance approfondie du système de « management » de la direction de l'Assurance de la qualité et aux exigences linguistiques du poste lors de sa nomination.


John Mooney
Vice-président

Parties au dossier


Dossiers du Tribunal :
2010-0091 et 2010-0624
Intitulé de la cause :
Saad Hammouch et le sous-ministre de la Défense nationale
Audience :
Les 22 et 23 mars 2011
Montréal (Québec)
Date des motifs :
Le 17 mai 2012

COMPARUTIONS

Pour le plaignant :
Louis Bisson
Pour l'intimé :
Adrian Bieniasiewicz
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin (soumissions écrites)
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.