Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le plaignant a formulé à l'encontre de l'intimé une plainte pour abus de pouvoir au motif que celui-ci n'aurait pas effectué correctement la vérification des références et qu'il aurait failli à son devoir d'équité procédurale du fait de ne lui avoir pas permis de présenter au cours de la discussion informelle des éléments d'information susceptibles de contrecarrer les références négatives soi-disant infondées qu'avait fournies l'un de ses répondants. Décision Le comité d'évaluation a constaté que les références du plaignant étaient contradictoires. L'un des répondants avait fourni des références défavorables par rapport à un incident spécifique mettant en cause le plaignant. Le comité a donc contacté le superviseur du répondant en question afin de valider cet élément d'information. Le Tribunal a estimé que cette validation était appropriée et que le comité n'était pas tenu de valider tous les éléments d'information concernant telle ou telle référence. Le plaignant n'a pas établi que l'intimé s'était basé sur des éléments insuffisants pour l'évaluation de sa candidature ni qu'il avait fait preuve de mauvaise foi. Le Tribunal a jugé par ailleurs que l'intimé n'avait pas failli à son devoir d'équité procédurale par rapport à la discussion informelle tenue avec le plaignant après l'élimination de ce dernier du processus de nomination. Le plaignant avait demandé la réévaluation de ses qualifications. La discussion informelle n'est pas prévue à cette fin. Plainte rejetée.

Contenu de la décision

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Dossier :
2011-0244
Rendue à :
Ottawa, le 15 novembre 2012

MICHEL COUILLARD
Plaignant
ET
LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA
Intimé
ET
AUTRES PARTIES

Affaire :
Plainte d'abus de pouvoir aux termes de l'article 77(1)(a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique
Décision :
La plainte est rejetée
Décision rendue par :
Lyette Babin-MacKay, membre
Langue de la décision :
Français
Répertoriée :
Couillard c. le Commissaire du Service correctionnel du Canada
Référence neutre :
2012 TDFP 0032

Motifs de décision


Introduction

1 Le plaignant, Michel Couillard, a participé à un processus de nomination interne annoncé visant la dotation de postes de gestionnaire correctionnel (GC), aux groupe et niveau CX-04, dans les établissements du Service correctionnel du Canada (SCC) de la région du Québec. Sa candidature a été rejetée parce qu’il n’a pas satisfait à une des qualifications essentielles, notamment la compétence « réflexion stratégique ».

2 Le plaignant soutient que l’intimé, le Commissaire du SCC, a agi de mauvaise foi et a omis de tenir compte d’éléments pertinents quand il l’a évalué. Il soutient aussi que l’intimé n’a pas remis en question les références contradictoires de ses répondants et a failli à son devoir d’équité procédurale en ne lui permettant pas de démontrer, à la discussion informelle, que les références négatives d’un de ses répondants n’étaient pas fondées.

3 L'intimé nie tout abus de pouvoir à l'endroit du plaignant et maintient qu’il s’est acquitté de son devoir d’équité procédurale. Il fait valoir que le comité d’évaluation a évalué le plaignant sur la base de ses résultats d’entrevue et des références que le comité a validées, et est venu à un consensus. Le comité n’était pas tenu de modifier son évaluation du plaignant à la suite de la discussion informelle.

4 La Commission de la fonction publique (CFP) n'était pas représentée à l'audience, mais a fourni des observations écrites où elle aborde la notion d'abus de pouvoir et décrit ses lignes directrices en matière d’évaluation, de sélection et de nomination, ainsi que ses guides en matière de vérification des références. Elle n'a pas pris position quant au bien-fondé de la plainte.

5 Pour les motifs exposés ci-après, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le Tribunal) conclut que le plaignant n’a pas établi que l’intimé a abusé de son pouvoir ou agi de mauvaise foi dans l’évaluation de la compétence « réflexion stratégique ». De même, le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a failli à son devoir d’équité procédurale.

Contexte

6 Le plaignant travaille dans le domaine correctionnel depuis 2001 et est à l’emploi du SCC depuis 2007. Il est agent de correction II (CX-02) à l’établissement Leclerc, Laval (QC), depuis 2008.

7 Le 17 février 2010, l’intimé a affiché une annonce de possibilité d’emploi sur le site web du gouvernement fédéral Publiservice pour doter le poste en litige. Le plaignant était un des 85 postulants.

8 Parmi les qualifications essentielles indiquées dans l'annonce de possibilité d'emploi et dans l'énoncé des critères de mérite se trouvaient les compétences suivantes :

Excellence en gestion (gestion par l’action, gestion de l’effectif et gestion des finances) ;

Engagement ;

Réflexion stratégique ; et

Valeurs et éthique.

9 Le comité d’évaluation (le comité) était composé de Cynthia Racicot, présidente du comité et alors sous-directrice de l’établissement Archambault, Ste Anne des Plaines (QC), de Christian Ferguson et de François Luneau.

10 L’évaluation des candidats comprenait plusieurs étapes : présélection des candidatures, examen écrit des connaissances, entrevue et vérification des références auprès des répondants nommés par les candidats.

11 Selon le plaignant, les répondants des candidats devaient être des personnes qui les avaient supervisés dans l’année précédente. Il a identifié comme répondants Jean-Pierre Brouillette, un GC, et Rénald Dubois, le Directeur adjoint, Opérations (DAO). M. Brouillette était son superviseur dans son poste d’agent de correction II. Quant à M. Dubois, il était le superviseur du poste de GC de M. Brouillette dans lequel le plaignant a été nommé de façon intérimaire le 17 mai 2010, lors de l’affectation de M. Brouillette à un autre poste. M. Dubois est maintenant à la retraite.

12 Le comité a évalué les compétences « engagement », « réflexion stratégique » et « valeurs et éthique » en prenant en considération les réponses des candidats à des questions d’entrevue et les références fournies par leurs répondants, qui avaient reçu un document structuré où étaient définis ces trois compétences et leurs indicateurs de performance. Les instructions données aux répondants indiquaient qu’ils devaient « fournir des exemples de comportements » témoignant du rendement des candidats au travail. Les répondants du plaignant ont fourni leurs références le 8 décembre 2010.

13 La note d’un candidat pour chaque compétence était accordée par consensus du comité, sur la base d’une échelle de cotation de 1 à 10 points. La note de passage de chaque compétence était 6/10.

14 Cinquante-cinq candidats ont réussi toute l’évaluation. Quant au plaignant, il n’a pas obtenu la note de passage pour la réflexion stratégique. Il en a été avisé le 23 décembre 2010.

15 Le 4 janvier 2011, le plaignant a eu une discussion informelle téléphonique avec un des membres du comité et le 22 février 2011, il en a eu une deuxième avec tous les membres du comité. Ses résultats n’ont pas changé.

16 Les 24 et 31 mars 2011 respectivement, l’intimé a publié une Notification de candidature retenue puis une Notification de nomination ou proposition de nomination pour un des candidats, Christiane Dubord. D’autres nominations ont aussi été faites dans ce processus.

17 Le 14 avril 2011, le plaignant a déposé une plainte d'abus de pouvoir en vertu de l'art. 77(1)a) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, S.C. 2003, ch. 22, arts. 12 et 13 (la LEFP), relativement à cette nomination indéterminée.

Questions en litige

18 Le Tribunal doit décider les questions suivantes :

  1. L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi dans l’évaluation du plaignant pour la compétence « réflexion stratégique »?
  2. L’intimé a-t-il respecté les Lignes directrices de la CFP et les principes d’équité procédurale dans le cadre de la discussion informelle?

Analyse

19La LEFP ne définit pas l’expression abus de pouvoir mais l’article 2(4) précise qu’il inclut la mauvaise foi et le favoritisme personnel.

20 En vertu de l’article 36 de la LEFP, l’administrateur général à qui est délégué le pouvoir de nomination peut avoir recours à toute méthode d’évaluation qu’il estime indiquée pour décider si une personne possède les qualifications essentielles visées à l’article 30(2) de la LEFP. Voir Visca c. Sous-ministre de la Justice, 2007 TDFP 0024 au para. 42, et Trachy c. Sous-ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités, 2008 TDFP 0002. Ce pouvoir discrétionnaire n’est toutefois pas absolu, et il doit être exercé de façon juste et transparente. Voir, par exemple, Jolin c. Administrateur général de Service Canada, 2007 TDFP 0011 au para. 37 et Denny c. le sous-ministre de la Défense nationale, 2009 TDFP 0029 au para. 144.

21 Comme le Tribunal l’a affirmé dans nombre de décisions, il incombe à un plaignant de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le processus de nomination est entaché d’abus de pouvoir (Tibbs c. Sous-ministre de la Défense nationale, 2006 TDFP 0008 aux paras. 49 et 55).

Question I : L’intimé a-t-il abusé de son pouvoir en agissant de mauvaise foi dans l’évaluation du plaignant pour la compétence « réflexion stratégique »?

22 Le plaignant allègue que le comité n’a pas remis en question ou validé les références contradictoires de ses répondants avant de décider de sa note pour la réflexion stratégique. Il soutient aussi que l’intimé n’a pu expliquer sur quoi sont fondés les éléments négatifs des références de M. Dubois.

23 La présidente du comité, Mme Racicot, a décrit l’évaluation du plaignant. Elle a indiqué qu’à l’entrevue, il n’a pas abordé tous les éléments recherchés en réponse à la question évaluant la réflexion stratégique. Elle a expliqué ce que le comité recherchait et décrit ce que le plaignant a omis de traiter. Le comité lui a accordé la note provisoire de 6/10 puis a poursuivi son évaluation de cette compétence en examinant les références.

24 Le comité a constaté que les références étaient contradictoires. Celles de M. Dubois, qui évaluait le plaignant dans ses fonctions de GC intérimaire, contenaient notamment des exemples de comportement qui allait à l’encontre des indicateurs pour la réflexion stratégique. Quant à celles de M. Brouillette, qui l’évaluait dans ses fonctions d’agent de correction II, elles étaient « somme toute positives » à l’exception d’un commentaire où le comportement identifié était contraire à un des indicateurs pour la réflexion stratégique. Mme Racicot a brièvement décrit les responsabilités d’un GC et celles d’un agent de correction II.

25 Mme Racicot a expliqué que le comité a cherché à valider les références avant de finaliser son évaluation. Comme M. Dubois était maintenant à la retraite, le comité a contacté la sous-directrice de l’établissement Leclerc, Marielle Normandin, qui avait été sa supérieure. Mme Racicot lui a lu un extrait des références fournies par M. Dubois qui concernaient un incident survenu dans le secteur de l’isolement préventif, au cours duquel le plaignant avait été retiré et remplacé par un autre GC « puisqu’il alimentait un détenu en crise ». Selon Mme Racicot, Mme Normandin lui a dit être d’accord avec les affirmations de M. Dubois et lui a confirmé que cet incident, non daté dans les références, était survenu.

26 Dans son témoignage, Mme Normandin a déclaré que Mme Racicot l’a appelée à l’hiver 2010-2011. Elle a dit bien se rappeler de l’incident mentionné, survenu en isolement préventif le 1er décembre 2010, et elle a brièvement décrit ce qui s’était alors passé. Elle a expliqué que M. Dubois lui avait dit avoir reçu un appel d’un agent négociateur, demandant que le plaignant soit remplacé par un autre GC car un détenu en crise n’était pas ouvert à la négociation. M. Dubois avait décidé de retirer le plaignant de la scène. Mme Normandin a ajouté qu’elle avait observé que le plaignant n’avait pas une grand facilité à désamorcer des situations et que c’était quelque chose qu’il devait travailler s’il voulait devenir un bon GC.

27 Mme Normandin a affirmé que le comité l’a aussi contactée après une discussion informelle du plaignant, pour vérifier si le directeur fournirait une lettre de recommandation pour lui. Elle a dit au comité qu’elle serait surprise que le directeur le fasse car cela serait s’immiscer dans le processus, ce que ni le directeur ni elle ne feraient.

28 C’est Mme Racicot qui a consigné l’évaluation globale consensuelle du comité pour chaque candidat. Elle a expliqué les conclusions du comité concernant le plaignant. à l’entrevue, il n’avait pas répondu à une partie de la question posée pour évaluer la réflexion stratégique. Ensuite, à l’analyse des références, le comité avait constaté des exemples concrets où il n’avait pas démontré certains des indicateurs voulus. Ainsi, le plaignant ne demandait pas des éclaircissements et des orientations à la direction au besoin, il n’analysait pas ses revers, il ne concevait pas toujours des solutions adéquates aux problèmes opérationnels, et il ne prenait pas toujours en compte le volet humain des enjeux et des décisions. L’incident en isolement préventif indiquait, par exemple, qu’il n’avait pas choisi la solution adéquate au problème qui se présentait et qu’il n’avait pas pris en considération le volet humain car il n’avait pas eu le comportement désiré devant les employés sous sa supervision. Mme Racicot a indiqué que dans de telles situations, un GC doit s’assurer du respect des directives, assurer la sécurité et gérer la situation.

29 Après l’entrevue, le comité avait accordé au plaignant une note provisoire de 6/10 pour la réflexion stratégique. Toutefois, après avoir aussi pris en considération ses références, le comité lui a accordé une note finale de 5/10 seulement. Cette note était en deçà de la note de passage.

30 Le plaignant est d’avis que le comité n’a pas validé les références avant de décider de sa note. Toutefois, le Tribunal constate que dans sa plainte du 14 avril 2011, le plaignant indique que M. Ferguson lui a dit, à la discussion informelle du 4 janvier 2011, que le comité avait contacté Mme Normandin pour concilier les références contradictoires. Quoique la date exacte de ce contact n’ait pas été établie de façon définitive, Mme Racicot et Mme Normandin ont toutes deux affirmé que cette dernière avait été contactée pour vérifier si un incident en isolement préventif mentionné dans les références de M. Dubois était survenu. La preuve indique aussi qu’il y a eu un deuxième contact avec Mme Normandin après la discussion informelle du 4 janvier 2011, pour vérifier si le directeur fournirait une lettre à l’appui du plaignant.

31 Le témoignage de Mme Racicot indique que le comité a principalement cherché à vérifier si l’incident en isolement préventif auquel M. Dubois faisait référence avait eu lieu. Mme Normandin l’a confirmé. Le Tribunal est d’avis que le comité n’avait pas à valider chacun des éléments mentionnés dans les références de M. Dubois. Le comité a jugé que l’information qu’elles contenaient était suffisante pour lui permettre de compléter l’évaluation du plaignant.

32 Pour les motifs susmentionnés, le Tribunal conclut que le comité a validé les références de façon appropriée et jugé qu’il avait suffisamment d’information pour compléter son évaluation.

33 Le plaignant soutient aussi que M. Dubois a fourni des références défavorables à son égard pour l’empêcher de se qualifier dans ce processus et pour le punir d’avoir soumis sa candidature à un programme de développement appelé Programme révisé La Relève du Service correctionnel du Canada – Volet EX moins 1 (le programme La Relève). La nature exacte de ce programme n’a pas été expliquée.

34 Dans son témoignage, le plaignant a fortement nié avoir eu les comportements que lui a imputés M. Dubois. à son avis, les nombreux documents qu’il a déposés en preuve (Rapports d’observation ou déclaration d’un agent (RODA) préparés au moment de divers incidents, évaluations de rendement, lettres de recommandation, extraits des directives du SCC, etc.) de même que ses propres explications, viennent contredire les références de M. Dubois et démontrer que son comportement n’a pas été inapproprié.

35 Le plaignant a décrit quelques situations où il a eu des divergences d’opinion avec M. Dubois quant aux mesures appropriées à prendre dans les circonstances. Il croit qu’elles pourraient expliquer en partie « l’hostilité » de M. Dubois à son endroit. Il maintient qu’à ces occasions, ses propres recommandations ont été conformes aux directives ministérielles ou aux pratiques de ressources humaines.

36 Le plaignant a aussi relaté trois rencontres et discussions qu’il a eues avec M. Dubois en novembre et décembre 2010. Il croit qu’elles décrivent l’attitude de M. Dubois à son endroit.

37 Lors de la première rencontre, dont le plaignant n’a pas précisé la date, il a refusé la demande de M. Dubois de sanctionner un employé en audience disciplinaire pour un incident que le plaignant considérait mineur. M. Dubois l’a alors traité d’impertinent. Le plaignant dit que, par la suite, M. Brouillette lui a confirmé que l’approche qu’il avait choisie était la bonne.

38 Puis, le 23 novembre 2010, M. Dubois l’a rencontré « pour faire une mise au point » sur sa période comme GC intérimaire. M. Dubois lui a dit qu’il avait beaucoup de potentiel, mais qu’il était trop directif avec les détenus et le personnel. M. Dubois ne lui a pas expliqué pourquoi il faisait cette affirmation. M. Dubois l’a ensuite informé qu’il ne serait pas envoyé en formation au bureau des opérations, comme il avait été prévu, et que sa nomination de GC intérimaire ne serait prolongée que d’une semaine.

39 À une troisième rencontre en décembre 2010, M. Dubois, très hostile, lui a reproché avoir soumis sa candidature au programme La Relève sans lui en avoir parlé ou avoir obtenu l’autorisation du directeur. Lorsque le plaignant lui a indiqué en avoir avisé Robert Poirier, M. Dubois lui a répondu que de toute façon, il n’avait « sûrement pas réussi le concours », ce qui l’a beaucoup ébranlé. Dans son témoignage, Chantal Aubertin, qui a été DAO intérimaire en remplacement de M. Dubois à l’automne 2010, a confirmé que M. Dubois lui a dit que le plaignant ne ferait plus d’intérim comme GC parce qu’il avait postulé au programme La Relève sans aviser le directeur. Elle n’a pas indiqué quand M. Dubois lui a fait ce commentaire.

40 Le plaignant a déposé en preuve des documents qui démontrent qu’il a informé et sollicité l’appui de M. Poirier et de Mme Normandin quand il a postulé au programme La Relève en octobre 2010. Mme Normandin a confirmé que le plaignant lui avait parlé de sa candidature au programme La Relève.

41 Finalement, le plaignant a lu et commenté quelques annotations du document de consensus du comité et décrit, en particulier, l’incident survenu en isolement préventif le 1er décembre 2010. C’est Mme Normandin qui lui avait demandé d’intervenir, comme GC, auprès d’un détenu agressif et agité. Toutefois, la situation s’était détériorée et on avait fait appel à des agents négociateurs, qui avaient éventuellement convenu qu’un autre GC devrait prendre le relais. Le plaignant dit qu’il s’est retiré de son plein gré « pour des raisons stratégiques » pour apaiser les choses. Selon lui, contrairement aux prétentions de M. Dubois dans ses références, ses actions n’avaient pas « amplifié le problème » ou « alimenté un détenu en crise ». Son retrait avait été conforme à ce que prévoit la directive ministérielle sur la gestion des incidents de sécurité dans de telles circonstances.

42 Julie Lalancette était agente de libération conditionnelle et agent négociateur en 2010, et faisait partie de l’équipe de négociateurs appelée durant l’incident. Questionnée sur cet incident, elle a nié avoir demandé que le plaignant soit retiré parce qu’il aggravait la situation à cause de ses propos inappropriés. Elle a dit ne pas se rappeler de façon détaillée ce que le plaignant disait au détenu et a reconnu qu’elle n’avait pas entendu tout ce qui avait été dit car elle était de l’autre côté du poste de contrôle pour une partie de l’incident.

43 Comme M. Dubois n’a pas témoigné, les affirmations du plaignant et celles de Mme Aubertin n’ont pu lui être présentées. Cependant, elles n’établissent pas, en tant que telles, que l’on ne peut se fier aux références qu’a fournies M. Dubois. Le plaignant affirme lui-même avoir eu des divergences d’opinion avec M. Dubois et il décrit des occasions où il a refusé les instructions de ce dernier. Il dit ne pas savoir pourquoi M. Dubois lui a dit, en novembre 2010, qu’il était trop directif, commentaire que M. Dubois a répété dans ses références. Pourtant, il n’explique pas pourquoi il n’a pas posé lui-même la question à M. Dubois quand ce dernier lui a fait cette remarque. Le Tribunal note aussi que dans un courriel du 24 novembre 2010, M. Dubois rappelle au plaignant que dans leur rencontre la veille, il lui a mentionné les éléments qu’il devait améliorer. Dans son témoignage, le plaignant n’a pas contredit cette affirmation de M. Dubois.

44 Le Tribunal a examiné le document de consensus du comité pour les trois compétences évaluées. Le comité y indique les lacunes des réponses du plaignant aux questions de l’entrevue et y explique de façon détaillée les conclusions qu’il a tirées après l’examen des références. Mme Racicot a aussi expliqué ces conclusions dans son témoignage. Les références de M. Dubois concernaient le rendement du plaignant comme GC (CX-04) et celles de M. Brouillette, son rendement comme agent de correction II (CX-02) quoique M. Brouillette y a aussi commenté ce qu’il dit être le potentiel du plaignant comme GC. Selon Mme Racicot, le comité a jugé que les références de M. Brouillette étaient positives, mais y a noté des commentaires plus nuancés pour un des indicateurs de comportement de la réflexion stratégique, soit, selon le document de consensus, « Analyse les revers et cherche à obtenir une rétroaction honnête afin d’apprendre de ses erreurs ».

45 Le Tribunal a aussi examiné les références de MM. Dubois et Brouillette. Il constate que les références fournies par M. Dubois, qui couvrent une période de cinq mois durant l’intérim du plaignant comme GC, contiennent des commentaires qu’on peut qualifier de positifs (p. ex. « il est un gestionnaire axé sur les résultats… », « il … sait faire l’analyse des différentes situations », « il faut souligner [qu’il] suit bien les orientations et les projets demandés … et fait un excellent suivi des dossiers »). D’autres sont plus critiques (p. ex. « [il] a de la difficulté à reconnaître ses revers », « [il] a besoin d’acquérir plus d’expérience », « son passage d’agent de correction (…) à gestionnaire correctionnel ne se fait pas sans difficulté »). Celles de M. Brouillette, quoique généralement favorables, indiquent néanmoins : « [n]ormalement, [il] apprend de ses erreurs. L’orgueil et ses propres connaissances donnent peut-être l’impression [qu’il] reconnaît peu ses propres erreurs, mais [il] s’ajuste. (…) Devient donc plus conciliant et plus sage; moins tranchant et vindicatif. »

46 La vérification des références vise à obtenir des renseignements que le comité utilisera lors de son évaluation des qualifications d’un candidat. Le rôle des répondants est de fournir une évaluation franche, laquelle pourrait ou non être favorable à un candidat. Les répondants n’ont aucun pouvoir de décision, lequel est entièrement du ressort du comité.

47 Ici, c’est le comité, non pas M. Dubois, qui a décidé de la note finale du plaignant. Après avoir considéré ses résultats d’entrevue et ses références, et avoir parlé à Mme Normandin, le comité a jugé que la note 5/10 pour la compétence « réflexion stratégique » était appropriée. Mme Racicot a bien expliqué dans son témoignage pourquoi le comité en est arrivé à cette conclusion. Comme elle l’a confirmé, c’est le comité qui a décidé que l’incident en isolement préventif démontrait que le plaignant n’avait pas eu un comportement approprié dans les circonstances. Cet incident n’était qu’un des éléments des références des deux répondants, et le comité, au fait des responsabilités et du travail d’un GC, a jugé que celles-ci étaient suffisamment détaillées pour lui permettre de compléter son évaluation.

48 Le plaignant n’a pas établi que l’évaluation du comité était fondée sur des éléments insuffisants.

49 Le Tribunal conclut que le plaignant n’a pas démontré que l’intimé a agi de mauvaise foi dans l’évaluation de la compétence « réflexion stratégique ».

Question II : L’intimé a-t-il respecté les Lignes directrices de la CFP et les principes d’équité procédurale dans le cadre de la discussion informelle?

50 Le plaignant soutient que le comité a fait preuve de mauvaise foi et n’a pas respecté les Lignes directrices en matière de discussion informelle de la CFP, dont un des objectifs est de « corriger toute erreur ou méprise », et qui exigent que l’administrateur général s’assure « que les erreurs et les méprises peuvent être corrigées, le cas échéant ». Le plaignant est d’avis que si le comité avait accepté les documents qu’il voulait lui présenter à la discussion informelle, ceci aurait permis au comité de corriger son évaluation.

51 Le plaignant soutient aussi que l’intimé a failli au devoir d’équité procédurale car le comité ne lui a pas permis de fournir la preuve, lors de ses deux discussions informelles, que les références de M. Dubois étaient erronées. Il avance que par conséquent, il n’a pu démontrer en quoi ces références étaient fausses, ni discuter pleinement de son évaluation ou la faire réexaminer de façon adéquate.

52 Mme Racicot a décrit le déroulement de la deuxième discussion informelle. Elle a expliqué au plaignant pourquoi il n’avait pas réussi la compétence « réflexion stratégique ». Elle lui a aussi expliqué que le comité ne pouvait pas ignorer les références de M. Dubois simplement sur la foi de ses dires. Elle lui a indiqué que le comité ne pouvait accepter les documents qu’il voulait lui remettre car ils ne faisaient pas partie des outils d’évaluation du processus. Le comité a permis au plaignant de remettre une lettre de remerciement signée par les agents correctionnels qu’il avait supervisés.

53 Selon Mme Racicot, les arguments du plaignant n’ont pas convaincu le comité que les références de M. Dubois étaient fausses ou qu’elles n’avaient pas été fournies de bonne foi. Elles provenaient d’un des superviseurs du plaignant et elles semblaient justes au comité. M. Dubois avait aussi fourni des références pour d’autres candidats. De plus, Mme Normandin avait confirmé au comité que l’incident en isolement préventif était survenu.

54 La preuve démontre que le comité a évalué le plaignant en considérant ses résultats à l’entrevue et les références fournies par ses répondants, et qu’il a confirmé que l’incident en isolement préventif mentionné par M. Dubois avait eu lieu. Le comité a conclu que le plaignant n’avait pas fait preuve de réflexion stratégique.

55 Le plaignant a eu deux discussions informelles, et lors de la deuxième, le comité lui a expliqué sa décision et pourquoi il n’avait pas réussi. Le plaignant a voulu remettre des documents au comité, qui a écouté ses représentations mais a refusé recevoir les documents qu’il cherchait à présenter.

56 Dans l’affaire Rozka c. Sous ministre de Citoyenneté et Immigration Canada, 2007 TDFP 0046 au para. 76, le Tribunal a conclu que la discussion informelle constitue un moyen de communication qui vise principalement à permettre à un candidat de discuter des raisons du rejet de sa candidature dans un processus. Elle constitue également une occasion pour le comité d’examiner des renseignements qu’il n’a peut-être pas considérés dans un dossier de candidature et de corriger des erreurs et des méprises, le cas échéant. Toutefois, elle ne doit pas constituer un mécanisme permettant de demander que le comité d'évaluation réévalue les qualifications d'un candidat. En l’espèce, c’est ce que le plaignant voulait que le comité fasse.

57 Le Tribunal estime que le comité n’avait pas à considérer les documents que le plaignant a voulu lui remettre à la discussion informelle. Le plaignant n’a pas démontré que ce faisant, l’intimé n’a pas respecté les Lignes directrices en matière de discussion informelle de la CFP, ou failli aux principes d’équité procédurale.

Décision

58 Pour les motifs susmentionnés, la plainte est rejetée.


Lyette Babin-MacKay
Membre

Parties au dossier


Dossier du Tribunal :
2011-0244
Intitulé de la cause :
Michel Couillard et le Commissaire du Service correctionnel du Canada
Audience :
Les 9, 10 et 11 juillet 2012
Montréal (Québec)
Derniers arguments écrits reçus le
25 septembre 2012
Date des motifs :
Le 15 novembre 2012

COMPARUTIONS :

Pour le plaignant :
Xavier Mondor
Pour l’intimé :
Michel Girard
Pour la Commission
de la fonction publique :
Marc Séguin
(Représentations écrites)
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