Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

La fonctionnaire s’estimant lésée a contesté la suspension de dix jours qu’elle a reçue pour avoir barricadé son bureau à l'aide de caisses en carton et de ruban adhésif - au cours d’une période de deux années, la fonctionnaire s’estimant lésée avait eu des conflits avec AB, une employée qu’elle supervisait - l’environnement de travail était difficile, et des employés relevant de la fonctionnaire s’estimant lésée de même que cette dernière avaient exprimé leurs préoccupations et leurs craintes à l’égard de la conduite d'AB - la fonctionnaire s’estimant lésée a tenté de remédier à la situation à l’aide de mesures disciplinaires progressives, mais la direction lui a demandé de mettre fin au processus disciplinaire - la fonctionnaire s’estimant lésée de même que d’autres employés ont présenté des plaintes au sujet de la conduite d’AB - la fonctionnaire s’estimant lésée et un autre employé ont demandé qu’AB soit transférée à un autre lieu de travail - une enquête a été menée, mais AB n’a pas été transférée à un autre lieu de travail - par la suite, la fonctionnaire s’estimant lésée a déclaré avoir été agressée par AB; la direction a alors écarté AB du lieu de travail - la fonctionnaire s’estimant lésée a été avisée qu’AB allait retourner à son lieu de travail après les heures de travail pour prendre ses objets personnels et qu’elle serait alors accompagnée du directeur des relations de travail et d’un représentant syndical - la réaction de la fonctionnaire a été de barricader son bureau - elle a reconnu le fait et admis que cela <<dépassait les bornes>> et que c’était [traduction] <<un peu exagéré>>, et a envoyé un courriel à ses supérieurs leur exprimant ses remords et ses regrets - la direction a allégué que la fonctionnaire s’estimant lésée répondait évasivement aux questions, ne manifestait aucun remord et ne semblait pas comprendre la gravité de la situation - l’arbitre de grief a conclu que la fonctionnaire s’estimant lésée était une employée de longue date dont le dossier disciplinaire était vierge, qu’elle avait reconnu ses actes sans hésiter et exprimé des remords et qu’elle était dans un état émotionnel alarmant lorsqu’elle a posé cet acte impulsif qui ne lui correspondait pas - la mesure disciplinaire était grave et une réprimande verbale lui a été substituée - l’arbitre de grief a refusé d’accorder des dommages - bien que la mesure disciplinaire ait été excessive, il ne s’agissait pas d’une conduite distincte donnant ouverture à un droit d’action - la décision de la direction n’était pas empreinte de mauvaise foi - la défenderesse ne disposait d'aucun renseignement médical au sujet de la fonctionnaire lorsqu’elle a imposé la mesure disciplinaire, et elle n'aurait pas pu deviner que l’imposition d’une mesure disciplinaire causerait une plus grande souffrance mentale. Grief accueilli en partie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-05
  • Dossier:  566-02-7021
  • Référence:  2013 CRTFP 101

Devant un arbitre de grief


ENTRE

GISÈLE GATIEN

fonctionnaire s'estimant lésée

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

défenderesse

Répertorié
Gatien c. Administrateur général (ministère des Ressources humaines et du Développement des compétences)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Joseph W. Potter, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésée:
Paul Champ, avocat

Pour la défenderesse:
Martin Desmeules, avocat

Affaire entendue à Ottawa (Ontario),
du 9 au 12 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Le 8 juillet 2011, Gisèle Gatien, la fonctionnaire s’estimant lésée (la « fonctionnaire ») a barricadé certains bureaux de son unité de travail à l'aide de caisses en carton et de ruban adhésif. Les motifs de ses actes seront expliqués dans cette décision. En novembre 2011, en raison de ses actes, elle a reçu une suspension de 10 jours qu’elle a contestée en présentant un grief le 9 décembre 2011 (pièce E-1, T-25).

2 Le grief de la fonctionnaire est énoncé comme suit :

[Traduction]

[…]

Une suspension disciplinaire sans traitement de 10 jours imposée par Danica Shimbashi, directrice générale, Direction des opérations régionales et de la conformité, et Brenda Marcoux, directrice, Centre d’expertise des relations de travail, dans une lettre non datée reçue le 17 novembre 2011.

 La mesure disciplinaire a été imposée de mauvaise foi et sans tenir compte du contexte, du rôle de la haute direction dans l’incident et de l’absence d’antécédent disciplinaire de la fonctionnaire. Les cadres supérieurs savaient, ou auraient dû savoir, que la mesure disciplinaire allait causer une souffrance morale et une perte injuste de crédibilité professionnelle chez la fonctionnaire.

Défaut d’exercer des mesures disciplinaires progressives; les sanctions étaient trop sévères à tous égards.

La fonctionnaire souffrait à ce moment-là d'une incapacité attribuable à la violence sur son lieu de travail.

[…]

3 Le redressement demandé est énoncé comme suit :

[Traduction]

[…]

Annulation de la mesure disciplinaire; dédommagement pour la perte de 10 jours de salaire et indemnisation intégrale de la fonctionnaire; retrait des documents du dossier de la fonctionnaire; dommages généraux pour la souffrance morale et la perte de crédibilité professionnelle qu’elle a subies.

[…]

4 La fonctionnaire a occupé le poste de gestionnaire au sein du Service fédéral d’indemnisation des accidentés du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (RHDCC), région de l’Ontario; elle travaillait à Ottawa. Sa superviseure, Anna Ananiadis, travaillait à Toronto. Enfin, afin de compléter le portrait des rapports hiérarchiques, Mme Ananiadis relevait de Danica Shimbashi, directrice générale, Direction des opérations régionales et conformité, Programme du travail de RHDCC.Un des secteurs de responsabilité de Mme Shimbashi visait l’administration, au niveau fédéral, de l'article 20.9 de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, DORS/86-304, intitulée « Prévention de la violence dans le lieu de travail ».Mme Shimbashi travaillait à Ottawa.

5 Les faits relatifs à cette affaire ne sont pas contestés et sont relatés ci-dessous.

II. Résumé de la preuve

6 Tel qu’il a été mentionné, la fonctionnaire était gestionnaire à RHDCC, où elle supervisait jusqu’à 10 employés syndiqués. Elle était classifiée au groupe et niveau AS-05 et n’était pas syndiquée.Son unité était chargée de traiter les demandes déposées à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la « CSPAAT »).La fonctionnaire est devenue gestionnaire en 1995.

7 Aux environs de juillet 2009, une employée – que je désignerai simplement par « AB » - a commencé à travailler au sein de l’unité de la fonctionnaire. AB était classifiée au groupe et niveau AS-02 et relevait de la fonctionnaire.

8 Les employés nouvellement embauchés sont soumis à une période probatoire d'un an et, par conséquent, AB était une employée à l’essai jusqu’au mois de juillet 2010 approximativement. Au cours de cette période d’un an, la fonctionnaire a affirmé que tout se passait bien et qu’elle avait de bonnes relations de travail avec AB. La fonctionnaire a également affirmé que, durant la première année, AB avait eu un bon rendement au travail.

9 À l’automne 2010, peu après sa période probatoire, AB a commencé à avoir des problèmes de comportements. Certaines tâches qu'elle devait effectuer nécessitaient qu'elle interagisse avec la clientèle externe. À  cet égard, un client – le ministère de la Justice – s’est plaint à la directrice générale, Mme Shimbashi, du comportement d’AB. La fonctionnaire a aussi eu des problèmes de comportement similaires avec AB dans son unité de travail.Elle a commencé à gérer le rendement d’AB et elle effectuait un suivi auprès de sa patronne, Mme Ananiadis, la directrice régionale à Toronto.

10 Au mois de mars 2011, la fonctionnaire était en contact pratiquement tous les jours avec les conseillers en relations de travail afin d'obtenir de l’aide dans la gestion du rendement du comportement d'AB. Les trois réprimandes verbales n’ont pas eu l’effet positif que la fonctionnaire espérait. Elle a déclaré que plus elle abordait la question des mesures disciplinaires, plus l’agressivité d’AB dans le milieu de travail s’intensifiait.

11 Vers la fin du mois de mars 2011, la fonctionnaire se préparait à augmenter les mesures disciplinaires progressives et avait reçu l’aide de la section des Relations de travail pour rédiger une lettre destinée à AB en vue de mener une entrevue pour discuter de la conduite en milieu de travail (pièce G-23). Avant que la lettre ne soit envoyée, Mme Ananiadis a appelé la fonctionnaire et lui a ordonné de mettre fin au processus disciplinaire.Aucun motif n'a été donné à la fonctionnaire quant à l’interruption du processus.

12 Malheureusement, les ennuis en milieu de travail semblent ne pas avoir cessé puisque la fonctionnaire et certains de ses employés ont déposé des plaintes à l'égard du comportement d'AB. Dans un courriel daté du 19 avril 2011 (pièce E-4), un employé a écrit ce qui suit à la fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

Étant donné la situation dans laquelle je me trouve (ainsi qu’il est décrit dans mes plaintes) - il est important que la direction comprenne le contexte et l’environnement à l’origine de ces plaintes. J’ai été victime d’intimidation de la part d’un employé de ce bureau, et cette intimidation est clairement signalée dans toutes les plaintes […] J’ai fait rapport des plaintes à la direction comme demandé; je m’attends donc à ce que l'employeur prenne les dispositions nécessaires pour donner suite à ces plaintes et pour m'assurer un lieu de travail sans danger. À l’heure actuelle, je suis convaincue que le lieu de travail n’est pas sûr, vu les conditions actuelles… Vous avez toujours soutenu votre équipe par le passé et vous continuez à le faire. Vos efforts continus à cet égard sont très appréciés.

[…]

13 Les plaintes ont été envoyées à la directrice régionale, Mme Ananiadis. Elle a répondu le 6 mai 2011, déclarant ce qui suit (pièce E-4) : [traduction] « Ce message a pour but de vous aviser que votre plainte a bien été reçue et qu’elle sera traitée en vertu de l'article 20.9 de la partie XX du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail, Prévention de la violence dans le lieu de travail ».

14 Mme Ananiadis a entamé une enquête sur les plaintes mais, très rapidement, les dossiers ont été transférés au Comité de santé et de sécurité au travail de RHDCC.

15 Telle était la situation en milieu de travail au mois d’avril et début de mai 2011. La fonctionnaire a affirmé avoir subi un stress élevé en raison du comportement d’AB et a déclaré que [traduction] « il faut être très fort sur le plan émotionnel pour avoir affaire à AB ». Elle a également soutenu que, tout au long de cette période difficile, Mme Ananiadis avait apporté son appui et veillé à ce que tout soit communiqué à Mme Shimbashi et aux Relations de travail. Ces propos ont été confirmés par Mme Shimbashi, qui a témoigné que Mme Ananiadis la tenait informée de ce qui se passait dans l'unité de la fonctionnaire et qu’elle était au courant des plaintes déposées en vertu des dispositions sur la violence dans le milieu de travail.

16 La fonctionnaire a affirmé que les choses empiraient dans son unité. Le 11 mai 2011, Margaret Lochrie, une employée de l’unité de la fonctionnaire, a écrit à cette dernière, déclarant ce qui suit (pièce G-3) :

[Traduction]

[…]

Je vous écris pour vous aviser que je ne me sens plus du tout en sécurité dans ce bureau en raison du comportement de plus en plus agressif d’AB. Je crains au plus haut point qu’elle s’effondre et que je sois victime d’une attaque […] J’ai redouté pendant des mois qu’elle s’effondre et que je fasse l’objet d’attaques verbales ou physiques […] Des mesures doivent être prises contre le comportement d'AB dans le milieu de travail.

[…]

17 La fonctionnaire a transféré le courriel à Mme Ananiadis.

18 Le lendemain, le 12 mai 2011, Isobel Courchene, une employée de l’unité de la fonctionnaire, a écrit un courriel à la fonctionnaire, affirmant ce qui suit (pièce G-4) :

[Traduction]

[…]

Comme suite à la plainte que je vous ai formulée verbalement, par téléphone, de mon bureau au vôtre hier après-midi, veuillez considérer la présente comme étant ma plainte écrite officielle contre AB […] Il s’agit de la deuxième plainte que je dépose au titre de la partie II du Règlement qui porte sur la violence en milieu de travail. La personne dont il est question a conservé son poste parmi nous et nous intimide quand bon lui semble. Certes, elle a des droits dans le milieu de travail, mais j’en ai bien, moi aussi.

J’en ai assez, je ne suis plus prête à tolérer cette situation.

[…]

19 La fonctionnaire a également transféré ce courriel à Mme Ananiadis.

20 Au début de la soirée du 11 mai 2011, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à son gestionnaire, aux Relations de travail et à la sécurité (pièce G-5) :

[Traduction]

[…]

URGENT

Cette situation n’est plus du tout sécuritaire. En raison d’une série d’actes d’intimidation dirigés contre d'autres membres du personnel et moi-même aujourd'hui, notre sécurité est sérieusement mise en péril. Les membres du personnel ne sont plus en sécurité. J’ai reçu deux plaintes à l’égard de la sécurité émanant de membres du personnel, sans compter les miennes.

Dès la fin de sa journée de travail de demain (le jeudi 12 mai 2011) et avant qu’elle parte, AB recevra une lettre l’avisant de ne plus se présenter au travail jusqu'à nouvel ordre et de se tenir hors des lieux jusqu’à nouvel ordre également.

[…] Nous avons immédiatement besoin de directives concernant la façon de procéder, en attendant qu’une évaluation médicale consensuelle soit obtenue.

[…]

21 La fonctionnaire n’était pas habilitée à écarter un employé de son milieu de travail; la question s'est donc rendue à l'administration centrale de RHDCC, où, comme l'a affirmé la fonctionnaire, l'affaire est [traduction] « morte » tout simplement. Rien n’a été fait.

22 En contre-interrogatoire, Mme Shimbashi a affirmé que la question concernant la mise à l’écart du milieu de travail n'avait pas été abordée avec elle et qu'elle ne pouvait pas se souvenir d'avoir vu le courriel que Mme Lochrie avait envoyé le 11 mai 2011 et dans lequel elle affirmait ne plus se sentir en sécurité dans son milieu de travail (pièce G-3). Mme Shimbashi a également dit qu'elle ne se souvenait pas d'avoir vu le courriel de Mme Courchene envoyé le 12 mai 2011, au moyen duquel elle a déposé une deuxième plainte sur la violence en milieu de travail (pièce G-4). Mme Shimbashi a affirmé qu’elle devait être impliquée si quelqu’un devait être écarté du milieu de travail, et qu'elle ne se souvenait pas d'avoir parlé de ce sujet avec Mme Ananiadis.

23 Le 24 mai 2011, un autre courriel a suivi (pièce G-6), destiné cette fois-ci à Mme Ananiadis, dans lequel la fonctionnaire a demandé à ce qu’AB soit relocalisée à un autre milieu de travail.

24 Le 24 mai 2011 également, la fonctionnaire se préparait à rencontrer AB le lendemain avec l'intention de lui remettre une réprimande écrite. Le 25 mai 2011, le conseiller en relations de travail de la fonctionnaire lui a envoyé un courriel pour lui faire des recommandations au sujet de la rencontre (pièce G-33). Cependant, peu après ce moment, Mme Ananiadis a ordonné à la fonctionnaire de mettre un terme aux procédures disciplinaires intentées contre AB. Aucun motif n’a été donné. La fonctionnaire a envoyé un courriel à Mme Ananiadis pour lui demander pourquoi aucune autre mesure disciplinaire ne devait être prise contre AB (pièce G-15). Elle n’a jamais reçu de réponse.

25 La fonctionnaire a déclaré que le 26 mai 2011, à 15 h environ, AB l’avait physiquement agressée. Alors que la fonctionnaire retournait à son bureau avec quelques dossiers dans les mains, AB est passée à côté d’elle et, selon la fonctionnaire, lui a [traduction] « tiré les cheveux et donné un grand coup sur la tête, puis elle est partie ».

26 La fonctionnaire a appelé Mme Ananiadis pour lui rapporter l’agression. Mme Ananiadis a envoyé le courriel suivant (pièce G-8) à la sécurité et aux conseillers en relations de travail d’Ottawa :

[Traduction]

[…]

À 15 h aujourd’hui, une gestionnaire de mon bureau d’Ottawa m’a signalé par téléphone qu'une de ses subordonnées directes a marché derrière elle, lui a tiré les cheveux pour ensuite quitter le bureau. Aucune parole n’a été échangée. La gestionnaire est en état de choc et en larmes.

Votre assistance immédiate est requise.

[…]

27 La fonctionnaire a également appelé la police, qui s’est présentée au bureau.

28 Lorsque Mme Shimbashi a été informée de l’incident, elle a convoqué une téléconférence avec les Relations de travail, la Santé et sécurité au travail et les Services juridiques de RHDCC. Il a été décidé qu'AB devait être retirée du milieu de travail, et les serrures du bureau ont été changées. Au départ, AB était en congé payé; elle a éventuellement été transférée à un autre lieu de travail.Les tâches qu'AB accomplissait au bureau de la fonctionnaire se sont poursuivies; la fonctionnaire a dû emballer ses documents de travail et les envoyer à un autre gestionnaire qui, à son tour, les a remis à AB pour qu'elle termine son travail.

29 Le 27 mai 2011, le lendemain de l’incident, la fonctionnaire a écrit à sa gestionnaire pour lui demander qu'AB ne soit pas autorisée à retourner au bureau (pièce E-2). Mme Shimbashi a écrit à la fonctionnaire plus tard dans la journée, affirmant ce qui suit (pièce E-3) :

[Traduction]

[…]

Jusqu’à ce que les enquêtes appropriées destinées à établir les faits soient terminées, je gérerai la situation au jour le jour. Comme vous le savez, les combinaisons des serrures Unican ont été changées t l’employée n’a plus accès à l’édifice jusqu’à nouvel ordre. […]

Je reconnais que cette situation a été difficile pour vous et je désire vous encourager à tirer profit des services de consultation confidentiels offerts. […]

[…]

30 La fonctionnaire avait l’impression que l’administration pouvait décider de renvoyer AB à son lieu dans un court délai. Ceci étant, elle a envoyé un courriel à Mme Ananiadis (pièce G-16), affirmant : [traduction] « […] en mon nom et celui des autres employés de mon bureau […] nous sommes CONTRAINTS D'IMPLORER ET DE SUPPLIER la haute direction et vous-même de NE PAS RETOURNER l’employée à notre lieu de travail […] ».

31 Mme Courchene et Mme Lochrie ont toutes les deux envoyé des courriels à la directrice générale, Mme Shimbashi, exprimant les mêmes préoccupations à l'égard du possible retour d'AB à leur lieu de travail (pièces G-17 et G-18).

32 Je peux dire à ce stade de la décision qu’une enquête a été menée sur l’incident du 26 mai 2011 par la division de la sécurité de RHDCC. Des entrevues ont été réalisées et AB a nié l'incident. La sécurité a conclu ce qui suit : [traduction] « Les constatations relatives à l’allégation de voies de fait ne sont pas concluantes » (page 22, pièce G-34). Cette conclusion a été tirée en juillet 2011.

33 Pendant ce temps, les employés étaient préoccupés par le possible retour d’AB sur leur lieu de travail.

34 À la suite de l’incident du 26 mai 2011, la fonctionnaire est allée rencontrer son médecin de famille et a été orientée vers un centre où des services de psychologues sont offerts. Elle a rempli un formulaire de réclamation de la CSPAAT et sa directrice l'a signé le 6 juin 2011. La fonctionnaire a déclaré que la CSPAAT avait approuvé la réclamation en septembre 2011. La fonctionnaire a commencé à rencontrer une psychologue, la Dre Frances Smyth, le 18 juillet 2011. Les visites avaient tout d’abord lieu une fois par semaine et ensuite deux fois par semaine.La Dre Smyth a attesté que ses services étaient payés par la CSPAAT.

35 Le 8 juillet 2011, la fonctionnaire a reçu un appel de Mme Ananiadis. C’est alors que Mme Ananiadis lui a dit qu’AB allait retourner au lieu de travail pour récupérer ses objets personnels. La fonctionnaire a avisé Mme Ananiadis qu’il n’y avait aucun objet personnel dans le bureau et a demandé si d’autres objets pouvaient simplement être emballés et envoyés à AB. Mme Ananiadis a affirmé que ce n’était pas possible et a ordonné à la fonctionnaire de laisser le personnel quitter le bureau plus tôt que prévu. Mme Ananiadis a ajouté qu'AB irait au bureau après les heures de travail, accompagnée de la directrice des Relations de travail et d’un représentant syndical.

36 La fonctionnaire a déclaré qu’elle se sentait vraiment mal et qu’elle était bouleversée. Elle a dit que l’employée responsable de l’intimidation était de nouveau autorisée dans leur milieu de travail.

37 La réaction de la fonctionnaire a été de barricader le bureau. Elle a mis du ruban adhésif sur les classeurs et collé six boîtes avec du ruban adhésif pour construire un mur, puis elle y a apposé des feuilles sur lesquelles elle a dessiné des flèches pointant vers le bureau d’AB en guise de guide. La fonctionnaire a affirmé qu’elle avait également retiré des dossiers de programmes du bureau d’AB. Elle a également déclaré qu’elle n’aurait pas dû agir ainsi, car sa réaction [traduction] « dépassait les bornes » et était [traduction] « un peu exagéré ». Néanmoins, AB, le représentant syndical et Brenda Marcoux, directrice des Relations de travail, ont été accueillis par ce spectacle lorsqu'ils sont allés au bureau vers 17 h.

38 Selon Mme Marcoux, à leur arrivée au bureau d’AB, celui-ci était vide. En ouvrant la porte du bureau, elle a vu ce qui suit : [traduction] « Le bureau était en quelque sorte barricadé. Il y avait des boîtes, du ruban adhésif et des chaises qui bloquaient l’accès aux bureaux n’appartenant pas à AB ». Mme Marcoux a déclaré qu’elle en était étonnée, et qu'AB était troublée et qu'elle pleurait.Le représentant syndical en était aussi fort contrarié et il a pris deux photographies des barricades (pièce E-1, onglet 10).

39 Mme Marcoux a appelé Mme Shimbashi pour lui faire part de ce qu’elle a vu. Elle a ensuite emballé les objets qu’il restait dans le bureau d’AB et elle est partie. Cela s’est produit le vendredi 8 juillet 2011.

40 Le lundi 11 juillet 2011, Mme Marcoux a rencontré Mme Shimbashi pour discuter de l’incident relatif aux barricades et de ce qui devait être fait à cet égard. Elles ont décidé de lancer une enquête pour établir les faits. Un courriel (pièce E-1, onglet 4) a été envoyé à la fonctionnaire lui demandant d'assister à une réunion durant l’après-midi [traduction] « […] pour discuter de l’état dans lequel Mme Marcoux a trouvé le bureau ». La fonctionnaire a été informée qu’elle avait le droit d’être accompagnée par un représentant.

41 La fonctionnaire s’est présentée non accompagnée, pour ensuite réaliser qu’elle préférait assister à la réunion avec un représentant. Elles ont accepté de changer la date de la réunion pour le lendemain, soit le mardi 12 juillet 2011. Mme Marcoux a pris des notes pendant la réunion et les a transcrites tout de suite après (pièce E-1, l’onglet 5).

42 Mme Shimbashi posait les questions. Selon les notes, la première question qu’elle a posée était : [traduction] « Qui était impliqué dans la construction de barricades dans le bureau? ». La fonctionnaire a répondu qu’elle avait elle-même collé le bureau et les boîtes avec du ruban adhésif et que personne d’autre n’était impliqué. Toujours selon les notes, Mme Shimbashi et Mme Marcoux ont posé des questions au sujet de l’incident et que la fonctionnaire y a répondu.

43 Mme Marcoux a déclaré que la réunion avait été brève et que la fonctionnaire répondait évasivement. Elle a noté que la fonctionnaire n’avait pas exprimé de remords relativement à ses actes. En outre, Mme Marcoux a dit que la fonctionnaire ne semblait pas comprendre la gravité de la situation.

44 Mme Marcoux et Mme Shimbashi ont décidé de pousser l’enquête plus loin et ont jugé utile d’interroger Mme Courchene et Mme Lochrie (pièce E-1, onglets 8 et 9). Une rencontre visant à interroger chaque employée a été fixée au 15 juillet 2011.

45 Ces réunions ont eu lieu et c’est encore Mme Marcoux qui a pris des notes (pièce E-1, onglets 11 et 13).

46 De plus, le 15 juillet 2011, la fonctionnaire a envoyé le courriel suivant à Mme Marcoux et à Mme Shimbashi (pièce E-1, onglet 14) :

[Traduction]

[…]

Permettez-moi de vous exprimer mes remords et regrets. Il y a une semaine, on m’a informée qu'AB reviendrait au bureau. Cette nouvelle m’a occasionné un stress indescriptible. J’ai sincèrement pensé que j’agissais convenablement, faisant preuve d'une diligence raisonnable. J’ai peur d’AB. J’ai posé un geste que je ne poserais pas normalement. J’étais guidée et influencée par les expériences passées que j'ai vécues avec AB pendant une longue période. Ce n’était pas la meilleure décision à prendre. Je ne poserai jamais ce genre de gestes à nouveau.

[…]

47 La fonctionnaire a affirmé qu'elle n'avait jamais reçu de réponse à son courriel

48 Le 21 juillet 2011, Mme Marcoux a écrit à Mme Shimbashi pour lui suggérer qu’elles rencontrent de nouveau la fonctionnaire afin de permettre à celle-ci de répondre aux faits recueillis lorsqu’elles ont rencontré Mme Courchene et Mme Lochrie. Cette rencontre devait [traduction] « […] précéder la réunion disciplinaire officielle pendant laquelle les mesures disciplinaires allaient être annoncées » (pièce E-1, onglet 15).

49 La fonctionnaire a déclaré qu'après l’envoi de son courriel d’excuses, rien ne s’est passé jusqu’à la mi-août 2011, soit le moment où sa plainte relative à la violence en milieu de travail, de même que les plaintes des autres employés, ont officiellement été examinées (pièce E-1, onglet 16). Les résultats de l’enquête n’ont pas été publiés avant mars 2012. Un certain nombre d’allégations ont été jugées fondées, tandis que d’autres ne l’ont pas été (pièce G-2).

50 Le 14 octobre 2011, une réunion pré-disciplinaire a été tenue avec la fonctionnaire, son représentant, Mme Shimbashi et Mme Marcoux. Une fois de plus, Mme Marcoux a pris des notes (pièce E-1, onglet 20). Mme Marcoux a affirmé que la fonctionnaire répondait évasivement aux questions de Mme Shimbashi; la réunion a duré moins d'une heure.

51 Selon les souvenirs de Mme Shimbashi, la fonctionnaire était évasive et ne répondait pas aux questions qui lui étaient posées. Le courriel dans lequel la fonctionnaire exprimait ses remords contredisait ce que Mme Shimbashi a pu observer à la réunion. Mme Shimbashi espérait voir une expression de remords et de regrets, mais ce ne fut pas le cas.

52 Après la réunion, Mme Marcoux a préparé une ébauche de lettre, destinée à être signée par Mme Shimbashi, en vue de la suspension de la fonctionnaire pour 10 jours ouvrables. La lettre envoyée à la fonctionnaire énonçait, entre autres (pièce E-1, onglet 21):

[Traduction]

[…]

Cette lettre a pour but de vous informer de ma décision à l'égard de l'incident du 8 juillet 2011, lors duquel un bureau de l'édifice Podium a été trouvé barricadé […] Vous avez confirmé être responsable de l’érection de la barricade du bureau.

Pour prendre ma décision, j'ai tenu compte de votre dossier disciplinaire vierge et de vos années de service; j'ai également pris en considération le fait que vous étiez évasive pendant l’entrevue et que vous étiez réticente à fournir des renseignements. Vos actes étaient totalement inappropriés, surtout de la part d'une gestionnaire qui doit faire preuve d’un comportement exemplaire devant ses employés.

[…]

53 La fonctionnaire a présenté son grief le 9 décembre 2011.

54 Après avoir purgé sa suspension, la fonctionnaire a travaillé des heures réduites, conformément aux recommandations de son médecin. Elle a ensuite pris un congé de maladie; elle a continué de consulter Dre Smyth.

55 Dre Smyth a écrit avoir diagnostiqué que la fonctionnaire [traduction] « […] souffrait d'un état de stress post-traumatique […] en raison de voies de fait commises par une des employées qu'elle supervisait le 26 mai 2011 » (pièce E-1, onglet 28). Cette déclaration est énoncée dans sa lettre datée du 4 juin 2013. Dans la lettre, elle déclare également ce qui suit : [traduction] « […] À l’heure actuelle, je crois que la source principale du problème de Mme Gatien n’est pas l’agression en soi, mais plutôt le refus de son employeur de reconnaître le mal qui lui a été fait et de la protéger contre d’autres traitements semblables pouvant survenir au travail ».

56 En ce qui concerne la question de la suspension de 10 jours, Mme Shimbashi a déclaré qu'elle se rendait pleinement compte que la fonctionnaire se trouvait dans un environnement de travail difficile, mais que celle-ci n'avait jamais mentionné la question des présumées voies de fait comme étant une circonstance atténuante lors des deux entrevues. La décision d’imposer une suspension de 10 jours prenait en compte le long dossier disciplinaire vierge de la fonctionnaire. Par contre, la fonctionnaire n’a pas exprimé de remords lors des entrevues.Ses réponses aux questions étaient évasives et elle ne réalisait pas la gravité de ce qu'elle avait fait.Lors des deux entrevues, la fonctionnaire n'a pas du tout mentionné qu'elle souffrait d'une incapacité.

57 On a demandé à Mme Shimbashi si elle trouvait embarrassant que des allégations de violence en milieu de travail soient soulevées à l’endroit même où sont édictées les règles concernant la violence en milieu de travail au sein du gouvernement fédéral. Elle a nié que c’était embarrassant et a affirmé qu’elle gérait les problèmes qui se présentaient à elle. On a ensuite fait savoir à Mme Shimbashi que la gravité de la mesure disciplinaire était liée au fait que Mme Shimbashi trouvait que la fonctionnaire avait géré inadéquatement l’activité inhérente à la gestion avec AB. Mme Shimbashi a contesté cette affirmation et a déclaré que la gravité de la mesure disciplinaire était liée à la question de la barricade.

58 Par la suite, on a montré à Mme Shimbashi un document qu'elle avait rédigé en vue de l’audience du grief (pièce G-22). Dans ce document, plus précisément à la page 4, elle a écrit ce qui suit en décrivant l'unité de travail de la fonctionnaire :

[Traduction]

[…]

[…] c’est avant tout la responsabilité du superviseur immédiat de faire preuve d’un jugement sûr et de leadership en cherchant à résoudre le problème le plus tôt possible, et d'informer la haute direction en temps utile afin d'obtenir l'appui nécessaire. Malheureusement, Mme Gatien a non seulement omis de faire preuve du jugement et du leadership nécessaires, qui étaient essentiels dans cette situation, mais elle a également aggravé les circonstances en ignorant la gravité des problèmes qui ont surgi au sein de l'équipe et également en n'informant pas la haute direction en temps opportun.

[…]

59 On a demandé à Mme Shimbashi ce que la fonctionnaire avait omis d’informer la haute direction. Elle a répondu que la fonctionnaire aurait pu aviser la haute direction dès que le problème s’est manifesté au sein de l’unité de travail. Elle a également écrit à la page 3 de ce rapport, dans la colonne intitulée [traduction] « commentaires » :

[Traduction]

[…]

Il semblerait qu'au cours de l'année 2010, les actes et les comportements de [AB] n'ont pas été pris en main par Mme Gatien ni portés à l'attention de la direction en vue d’y remédier.

[…]

60 À la page 5 du document qu’elle a rédigé, Mme Shimbashi a écrit ce qui suit (pièce G-22) :

[Traduction]

[…]

Bien que l’intervention de la haute direction puisse sembler avoir été plutôt lente au début, la raison principale de cette impression est plutôt qu’il y a eu rétention de l’information de la part de l’employée, et que l’employée n’a pas informé la haute direction en temps utile, ce qui a également contribué à aggraver la situation.

[…]

61 Lorsqu’on lui a demandé quels renseignements la fonctionnaire avait retenus, Mme Shimbashi a répondu que tout renseignement relatif au comportement d’AB aurait été utile. Selon Mme Shimbashi, la fonctionnaire a mal géré la situation; toutefois, la mesure disciplinaire a été imposée en considérant tous les faits connus à l’époque.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour la défenderesse

62 L’imposition de mesures disciplinaires progressives ne signifie pas qu’on doit d’abord commencer par une réprimande verbale, pour ensuite évoluer vers une réprimande écrite, suivie d'une suspension d’un jour, puis aggraver progressivement la sanction. Les mesures disciplinaires doivent être correctives.Dans certains cas, les actes sont assez graves pour justifier un niveau élevé de discipline.

63 Une mesure disciplinaire a été imposée à la fonctionnaire, car le défendeur a estimé que les actes de la fonctionnaire étaient inappropriés. La fonctionnaire est gestionnaire, et ce, depuis 20 ans. Elle aurait dû être au fait de l’équité et de l’impartialité, qualités dont elle n’a pas fait preuve lorsqu’elle a barricadé le bureau. La fonctionnaire savait qu'AB allait être accompagnée d’un représentant des relations de travail et d’un représentant syndical. Il n’y avait donc pas lieu de dresser des barricades pour protéger les biens du gouvernement.

64 La direction veut traiter tous les employés équitablement. Les actes de la fonctionnaire portent à croire qu’AB n’a pas été traitée équitablement.

65 Quant aux circonstances atténuantes, Mme Shimbashi était connaissait parfaitement l’existence des allégations de voies de fait dans l’unité. La défenderesse a reconnu que l’environnement était difficile et que des mesures avaient été prises contre AB pour remédier à cet environnement.

66 Il n’a jamais été mentionné pendant les rencontres avec la fonctionnaire que cette dernière recevait des soins médicaux et psychologiques en raison des événements en cause. Si la défenderesse en avait été informée, la suite des événements aurait été différente. Il n’était pas possible de savoir que l’imposition de mesures disciplinaires à la fonctionnaire allait lui causer de la souffrance morale. Un employeur ne peut pas deviner si un employé souffre d’un problème. La fonctionnaire n’avait certainement pas l’air vulnérable lorsque la défenderesse l’a rencontrée au sujet des événements du 8 juillet 2011.

67 La fonctionnaire n’était pas coopérative lors des entrevues. En tant que gestionnaire, elle connaissait les conséquences de ne pas coopérer au processus interrogatoire.

68 La fonctionnaire a exprimé du regret et des remords dans son courriel (pièce E-1, onglet 14), mais Mme Shimbashi et Mme Marcoux ont toutes deux affirmé que la fonctionnaire n’avait démontré aucun signe de remords lors des entrevues.

69 L’affaire n’a pas été préjugée. La direction a cherché à obtenir la version des faits de la fonctionnaire et a interrogé des témoins potentiels. Par la suite, une autre rencontre a été tenue avec la fonctionnaire afin d’examiner de nouveaux faits. Si la fonctionnaire avait décrit son état d’esprit et si elle avait avoué et exprimé ses remords envers ses actes, un règlement aurait pu être trouvé. Au contraire, lorsque la fonctionnaire s’est rendue à la rencontre, elle était irritée et sur la défensive et elle a affirmé qu'elle avait répondu à toutes les questions.

70 Compte tenu de ces événements, la suspension de 10 jours a été imposée. Il s’agit d’une sanction grave qui a été imposée afin que la fonctionnaire comprenne bien la gravité de ses actes et pour que, on l’espère, ils ne se reproduisent pas.

71 Pour ce qui est de la question des dommages, les renseignements médicaux disponibles (pièce E-1, onglet 28) sont datés du 4 juin 2013, soit bien après les faits. On ne peut donc pas reprocher à la défenderesse de ne pas avoir pris ces renseignements en considération; elle n’en avait même pas été informée.

72 La défenderesse a agi de bonne foi en se fondant sur les renseignements disponibles à ce sujet et sur les éléments de preuve recueillis lors des entrevues. La fonctionnaire n’a pas mentionné qu’elle cherchait à obtenir une aide médicale ou psychologique, et la défenderesse ne pouvait pas deviner que la fonctionnaire souffrait d’un quelconque problème à cette époque.

73  On a avancé l’idée que les événements avaient été, en fait, causés par la défenderesse. L’avocat de la défenderesse a fait valoir que sa cliente avait agi dans les meilleurs délais après avoir reçu la plainte pour violence en milieu de travail. Un employeur n’écarte pas un employé parce que des allégations ont été soulevées selon lesquelles l'employé en question aurait été impoli, aurait manqué de professionnalisme ou aurait posé des gestes visant à intimider. Un employeur enquête, car tout le monde mérite l’équité. Or, en l’espèce, la défenderesse ne pouvait pas prévoir, à la lecture des courriels de l’employée, qu’une agression physique allait être commise. Avant que des plaintes soient faites, un gestionnaire doit gérer les situations difficiles. Des ressources ont été mises à la disposition de la fonctionnaire, et elle les a utilisées. Elle n’a pas été livrée à elle-même.

74 Lorsqu’un employeur impose une mesure disciplinaire, cela ne signifie pas que la mesure disciplinaire donne droit à des dommages. L’arbitre de grief doit trouver une conduite distincte et juridiquement réparable. En l’espèce, la défenderesse a imposé une mesure disciplinaire pour les actes répréhensibles, rien de plus. Selon la défenderesse, les actes de la fonctionnaire étaient inappropriés et nécessitaient l'imposition de mesures disciplinaires.

75 Même si un arbitre de grief réduit la sanction, cela ne signifie pas que la mesure disciplinaire imposée était sévère, vindicative, répréhensible ou malveillante.

76 Tel qu’il est énoncé au paragraphe 103 de Wallace c. United Grain Growers Ltd., [1997] 3 R.C.S. 701 : « Il est admis depuis longtemps que l’employé congédié n’a pas droit à l’indemnisation des préjudices découlant du congédiement lui-même […] ».  De même, un employé n’a pas droit à une indemnisation en raison d'un préjudice moral causé par l’imposition d’une suspension de 10 jours. À la fin du paragraphe 103, la Cour suprême poursuit en énonçant ce qui suit : « Dans ces cas, l’indemnisation résulte non pas du congédiement lui-même, mais plutôt de la façon dont le congédiement a été effectué par l’employeur ». L’indemnisation ne résulte pas de la suspension elle-même, mais plutôt de la façon dont la suspension a été imposée. Dans le cas présent, la suspension a été imposée après avoir dûment pris en considération toutes les circonstances atténuantes, et a été imposée équitablement.

77 Au paragraphe 57 de Honda Canada Inc. c. Keays, 2008 CSC 39, il est précisé que des dommages ne sont accordés que lorsque : « […] l’employeur se soit comporté, lors du congédiement, “de façon inéquitable ou (en faisant) preuve de mauvaise foi en étant, par exemple, menteu(r), trompeu(r) ou trop implacabl(e)” ». Dans le cas présent, la défenderesse n’était pas insensible; elle connaissait bien la situation et a pris des mesures pour y remédier. En outre, la fonctionnaire n’a jamais mentionné qu’elle éprouvait des problèmes médicaux ou psychologiques.

78 Au paragraphe 68 d’Honda Canada inc. qui porte sur le problème des dommages punitifs, il est mentionné que : « […] notre Cour a statué que “l’attribution des dommages-intérêts punitifs doit toujours se faire après une mûre réflexion et que le pouvoir discrétionnaire de les accorder doit être exercé avec une très grande prudence […]” ». Tout ce que la défenderesse a fait dans ce cas a été de répondre à un acte jugé inapproprié. L’acte a été réalisé de bonne foi.

79 Une décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (Fox v. Silver Sage Housing Corporation, 2008 SKQB 321) traitait d’une affaire se rapportant à William Fox, qui avait soumis une demande pour licenciement abusif. Au paragraphe 44 de la décision, il est affirmé que : [traduction] « Aussi malséant que le comportement de cet employeur ait été envers M. Fox, M. Fox n’est pas parvenu à démontrer que le stress et la dépression dont il a souffert étaient liés à la manière dont il a été traité ». Tout stress vécu par la fonctionnaire doit être lié au processus d'imposition d'une mesure disciplinaire, pas à la mesure disciplinaire elle-même, et les éléments de preuve dans cette affaire n'appuient pas une telle allégation. La défenderesse n’a pas agi de mauvaise foi en imposant la mesure disciplinaire à la fonctionnaire.

80 L’avocat de la défenderesse a présenté la jurisprudence suivante : Noel c. Conseil du Trésor (Développement des ressources humaines Canada), 2002 CRTFP 26; Wallace; Honda Canada Inc.; Canada (Procureur général) c. Tipple, 2012 CAF 158; Canada (Procureur général) c. Tipple, 2011 CF 762; Clendenning v. Lowndes Lambert (B.C.) Ltd., 2000 BCCA 644; Chénier c. Conseil du Trésor (Solliciteur général du Canada – Service correctionnel), 2003 CRTFP 27; Slepenkova v. Ivanov, 2007 O.J. No. 4708 (Q.L.); Fox; Mulvihill v. Ottawa (City), 2008 ONCA 201; Merrill Lynch Canada Inc. v. Soost, 2010 ABCA 251; « B » c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2013 CRTFP 75.

B. Pour la fonctionnaire

81 Le grief comporte deux parties. La première partie cherche à réduire la sanction et la deuxième vise les dommages.

82 Mme Shimbashi a affirmé qu’elle n’avait accordé aucune importance à l’agression puisque, selon le rapport de l’employeur, l’allégation selon laquelle l’agression a bel et bien eu lieu était sans fondement en raison du rapport interne non décisif de la défenderesse. La fonctionnaire aurait dû avoir droit au bénéfice du doute concernant les voies de fait. Ne pas y avoir accordé d’importance constitue donc une erreur. La fonctionnaire a été bouleversée par l’agression lorsque cet événement a eu lieu le 8 juillet 2011.

83 Si la haute direction n’avait pas attendu qu’une agression physique soit perpétrée, l'incident du 8 juillet 2011 ne se serait pas produit. Le lieu de travail est situé dans le Programme du travail, lequel est responsable de la prévention de la violence en milieu de travail; la direction aurait dû réagir plus tôt.

84 Il y avait un manque de mesures disciplinaires progressives; malgré un long état de service et un dossier sans tache, la fonctionnaire s’est vue imposer une suspension de 10 jours. La défenderesse a simplement déclaré avoir considéré les circonstances atténuantes, ce qui ne veut pas dire qu'elle les a véritablement considérées.

85 Le but de la sanction est correctif. La défenderesse croit-elle sérieusement qu'un tel comportement se produira de nouveau? La fonctionnaire a dit dans son courriel du 15 juillet 2011 qu’une telle situation ne se reproduirait pas.

86 La fonctionnaire a reconnu sa conduite. Elle a reconnu qu’elle avait commis une faute de conduite et qu'il s’agissait d’une mauvaise décision. Toutefois, la sanction était trop sévère; une réprimande verbale aurait constitué une sanction appropriée.

87 L’avocat de la fonctionnaire a étudié les événements qui ont mené à l'incident du 8 juillet 2011. J’ai décidé de ne pas les réitérer puisqu’ils sont résumés dans la première partie de la décision. L’avocat a affirmé que les éléments de preuve démontraient que la fonctionnaire avait essayé de faire tout ce qu'elle pouvait pour mettre un terme à la conduite d’AB, mais qu’elle avait été laissée sans défense. Lorsque la fonctionnaire a tenté d’imposer une mesure disciplinaire progressive, on lui a ordonné d’arrêter.

88 Après l’incident de juillet, la fonctionnaire a envoyé un courriel affirmant qu'elle était stressée, que sa conduite était inhabituelle et qu’elle ne referait jamais une chose pareille. Pourquoi la défenderesse a-t-elle contesté ce que la fonctionnaire avait écrit?La haute direction n’a jamais accusé réception du courriel.

89 Pendant le processus d’entrevue, la fonctionnaire a coopéré. Elle a avoué ses actes, mais elle avait quelques questions, qu’elle a soulevées.

90 La question suivante concerne les dommages. L’avocat de la fonctionnaire a dit que la jurisprudence principale concerne le licenciement; Wallace et Honda Canada inc. sont les cas principaux. En réponse à une de mes questions, l'avocat de la fonctionnaire a déclaré qu'il ne pouvait pas trouver d'affaires se rapportant aux dommages dans des situations qui impliquent une suspension.

91 En appliquant les mêmes principes que ceux dans Wallace et Honda Canada inc., des mesures disciplinaires excessivement sévères et imposées de mauvaise foi peuvent mener à ce que l’avocat de la fonctionnaire a décrit comme des dommages pour mauvaise foi.

92 Dans Wallace, au paragraphe 88, la Cour Suprême a écrit ce qui suit :

88. L’appelant a pressé notre Cour de reconnaître la capacité d’un employé congédié d’intenter des poursuites fondées sur la responsabilité contractuelle ou, subsidiairement, sur la responsabilité délictuelle pour « renvoi de mauvaise foi ». Quoique j’aie rejeté ces deux moyens d’obtenir une indemnisation, je n’excuse nullement le comportement des employeurs qui soumettent leurs employés à un traitement brutal et implacable en les congédiant, sans se soucier de leur bien-être. Je crois plutôt qu’une telle conduite de mauvaise foi dans la façon de congédier est un autre facteur qui est compensé adéquatement par un ajout à la période de préavis.

Selon la fonctionnaire, dans le cas présent, la défenderesse a agi durement et de manière peu délicate, d’où le besoin de dommages pour mauvaise foi.

93 La pièce G-22 a clairement démontré ce que Mme Shimbashi pensait de l’incident de juillet 2011 et du lieu de travail supervisé par la fonctionnaire. Mme Shimbashi était embarrassée par la situation dans le sens où de la violence en milieu de travail a eu lieu dans un environnement responsable de l’application des lois qui se rattachent à la violence en milieu de travail. L’intervention disciplinaire de Mme Shimbashi était inconsidérée en ce sens que la sanction était excessive.

94 Il ne peut y avoir de doute quant aux importantes répercussions du processus sur la fonctionnaire. Elle a été agressée en milieu de travail et la défenderesse aurait dû agir plus tôt.Ces circonstances exceptionnelles nécessitent des dommages exceptionnels. La fonctionnaire a affirmé qu'elle réclamait 100 000 $ en dommages pour mauvaise foi.

95 L'avocat de la fonctionnaire a cité la jurisprudence suivante : Tipple (2011); Tipple (2012); Downham v. Lennox and Addington (County), [2005] O.J. No. 5227 (Q.L.); Elgert v. Home Hardware Stores Limited, 2010 ABQB 73; Hughes v. Gemini Food Corp., [1997] O.J. No. 414 (Q.L.); Mellon c. Développement des ressources humaines Canada, 2006 TCDP 3; Pike c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2011 CRTFP 1; Telus Corp. v. International Brotherhood of Electrical Workers, local 348 (Wilson Grievance), [2000] C.L.A.D. No. 421 (Q.L.).

C. Contre-preuve de défenderesse

96 Le rapport d’enquête interne (pièce G-34) ne permet pas de tirer de conclusions sur l'allégation d’agression. Aucun témoin n’a pu confirmer indépendamment qu’une agression avait été commise.

97 La fonctionnaire a reconnu que ses actes du 8 juillet 2011 étaient répréhensibles, mais a prétendu que seule une réprimande verbale était justifiée. À quel moment l'acte de la défenderesse devient-il répréhensible?Les mesures disciplinaires étaient motivées, mais si elles sont trop sévères, l'arbitre de grief est habilité à les réduire. La défenderesse n’a pas fait preuve de mauvaise foi ni d'intention de nuire.

IV. Motifs

98 Le grief est composé de deux parties; la première partie étant une demande de réduction de la sanction disciplinaire, la deuxième partie étant une demande de dommages. Je les aborderai séparément.

A. Suspension

99 Les deux parties ont reconnu que l’environnement de travail dans lequel la fonctionnaire se trouvait pendant l'année 2011, si ce n’est plus tôt, était difficile. Comme il a été démontré dans de nombreuses pièces (pièces G-3, G-4, G-6, G-9, G-16, G-17 et G-18), les employés qui ont fait rapport à la fonctionnaire, et la fonctionnaire elle-même, ont exprimé leurs préoccupations et leurs craintes à l’égard de la conduite d'AB en milieu de travail. La fonctionnaire a fait part de toutes ces préoccupations à la haute direction. Les deux parties n’ont pas contesté le fait que la superviseure de la fonctionnaire, Mme Ananiadis, tenait sa propre superviseure, Mme Shimbashi, entièrement informée des événements qui se produisaient dans le milieu de travail.Je conclus sans hésitation que Mme Shimbashi était informée de la situation qui avait lieu au bureau de la fonctionnaire au fur et à mesure qu’elle progressait.

100 La fonctionnaire a tenté de remédier à la situation relative à AB à l’aide de mesures disciplinaires progressives. Toutefois, comme il est démontré dans la pièce G-15, alors qu’elle était sur le point d'imposer une mesure disciplinaire écrite, la fonctionnaire a reçu l’ordre d’arrêter. Aucun motif ne lui a été fourni pour justifier cette directive.

101 Un certain nombre de ressources étaient mises à la disposition de la fonctionnaire. Ces ressources auraient pu l'aider à faire face au problème vécu en milieu de travail. La haute direction aurait dû lui fournir de l’aide. Bien que les pièces ont démontré que Mme Ananiadis avait encouragé et soutenu la fonctionnaire au moyen de correspondance écrite, il n’empêche qu’elle travaillait à Toronto et que la fonctionnaire travaillait à Ottawa. Lorsque Mme Ananiadis a signalé le problème à Mme Shimbashi, un employé d'Ottawa aurait dû aller voir ce qui se passait.Un représentant des Relations de travail a bien donné certaines suggestions écrites à la fonctionnaire relativement à ce qu'elle devait faire, mais aucune preuve ne démontre qu'un représentant des Relations de travail a pris le temps de passer voir la fonctionnaire et d’enquêter sur ce qui se passait. Enfin, lorsque les mesures disciplinaires étaient sur le point d'être imposées à AB, la fonctionnaire s’est fait couper l'herbe sous le pied sans explication quelconque.La haute direction et les Relations de travail ont toutes deux manqué à leur obligation envers la fonctionnaire, à mon avis.

102 Un événement s’est certainement produit dans ce lieu de travail le 26 mai 2011. La pièce G-28 est un courriel de Mme Ananiadis dans lequel est énoncé ce qui suit :

[Traduction]

[…]

À 15 h aujourd’hui, une gestionnaire de mon bureau d’Ottawa m’a signalé par téléphone qu’une de ses subordonnées directes a marché derrière elle, lui a tiré les cheveux pour ensuite quitter le bureau. Aucune parole n’a été échangée. La gestionnaire est en état de choc et en larmes.[…]

[…]

103 L’enquête interne n’a abouti à aucune conclusion déterminant si les voies de fait ont vraiment été perpétrées, mais il s’est certainement produit quelque chose de grave, puisque la fonctionnaire, poussée par l’angoisse, a appelé sa superviseure.

104 La haute direction a alors réagi de façon positive en retirant AB du lieu de travail pendant que l'affaire faisait l’objet d’une enquête. Environ six semaines plus tard, la fonctionnaire a été avisée qu'AB allait retourner sur le lieu de travail, accompagnée d’un représentant syndical et d’un représentant des Relations de travail, afin de récupérer quelques objets de son poste de travail.

105 Aucune contestation n’a été soulevée en ce qui concerne les agissements de la fonctionnaire. Elle a barricadé le bureau. Les éléments de preuve n’ont pas contredit l'endroit où les barricades étaient situées ni ce qui avait été utilisé pour créer ces barricades. La fonctionnaire a affirmé que sa réaction était exagérée et qu’il ne s’agissait pas de la meilleure chose à faire.

106 Lorsqu’elle a entendu parler des barricades, Mme Shimbashi a décidé de mener une enquête sur cette affaire en interrogeant la fonctionnaire.Il n’y a rien de mal à cette réaction, il s’agit simplement d’une bonne pratique en matière de relations de travail que de procéder à une telle entrevue.

107 Les seules notes présentées au sujet de l’entrevue sont celles de la directrice des Relations de travail, Mme Marcoux (pièce E-1, onglet 5). Je constate que la toute première question posée par Mme Shimbashi était : [traduction] « Qui était impliqué dans la construction de barricades dans le bureau? », et que la fonctionnaire a répondu : [traduction] « J’ai collé le bureau et les boîtes avec du ruban adhésif. Personne d’autre n’était impliqué. »

108 Mme Shimbashi et Mme Marcoux ont toutes les deux signalé que la fonctionnaire était réticente lors de l’entrevue, ce qui se reflète également dans les notes de Mme Marcoux à la fin de l’entrevue. La fonctionnaire était peut-être réticente à l’égard de certaines questions discutées, mais en ce qui concerne le problème fondamental - la première question posée par Mme Shimbashi - la fonctionnaire a été très coopérative et a répondu qu’elle était responsable de la barricade.

109 Les notes indiquent également que la fonctionnaire n’a pas eu de remords pendant l’entrevue et, si je me fie aux notes, je crois que c'est juste. Cependant, le 15 juillet 2011, à peine quelques jours après l’entrevue du 12 juillet avec Mme Shimbashi et Mme Marcoux, la fonctionnaire leur a envoyé un courriel, dont le titre était [traduction] « Remords et regrets ». Elle a écrit (pièce E-1, onglet 14) : [traduction] « Permettez-moi de vous exprimer mes remords et regrets […] j’ai posé un geste que je ne poserais pas normalement […]. Ce n’était pas la meilleure décision à prendre. Je ne le ferai plus. »

110 À mon avis, il s’agit d’une expression très claire de remords.Selon moi, on ne peut demander une expression de remords plus claire; pourtant, ni Mme Shimbashi ni Mme Marcoux, à qui on a envoyé ce courriel, n’en a accusé réception. La direction aurait pu au moins répondre à la fonctionnaire comme suit : [traduction] « Nous vous remercions pour votre courriel. Nous le prendrons en considération ». Toutefois, elle a choisi de l’ignorer.

111 Une autre entrevue a eu lieu avec la fonctionnaire quelque trois mois plus tard. Il s’agissait d’un autre geste positif dans le processus, dans le cadre duquel la fonctionnaire a été interrogée de nouveau de façon qu’elle puisse répondre à de nouveaux faits ou régler les problèmes en suspens. Par contre, je trouve très étrange que le courriel que Mme Shimbashi a envoyé à la fonctionnaire pour l’informer de la deuxième rencontre mentionne également que [traduction] « le but de la rencontre prédisciplinaire est de vous donner la chance de fournir des clarifications et des explications » (pièce E-1, onglet 19). Une rencontre prédisciplinaire?J’en comprends qu’une décision avait déjà été prise concernant les mesures disciplinaires à imposer à la fonctionnaire. Pourquoi n’a-t-elle pas simplement écrit : [traduction] « Le but de la rencontre est […] ». Après tout, la fonctionnaire aurait pu avoir une bonne explication aux préoccupations de Mme Shimbashi et Mme Marcoux.

112 À la suite de cette rencontre, une suspension de 10 jours a été imposée à la fonctionnaire. La fonctionnaire était une employée en poste depuis 35 ans, dont le dossier disciplinaire était vierge et qui a sans hésiter avoué avoir barricadé le bureau, qui a exprimé des remords et qui a affirmé qu'une telle situation ne se reproduirait plus. Malgré cela, elle a subi une mesure disciplinaire sévère. En outre, les éléments de preuve de la fonctionnaire démontraient qu'elle était dans un état émotionnel alarmant vu l'inaction de la direction, ce qui est tout à fait compréhensible en l’espèce, à mon avis, et ce qui confirme également que son acte était impulsif, émotionnel et n’était pas dans sa nature. Si le but de la mesure disciplinaire est correctif, je crois que la réaction d’imposer une suspension de 10 jours était excessive. L’opinion défendue par la fonctionnaire est qu’elle a fait quelque chose de mal, et elle a reconnu qu’il y avait lieu d'intervenir.Selon elle, une réprimande verbale aurait permis d’atteindre l’objectif, soit de remédier à la situation, et je suis d’accord avec elle. Par conséquent, j’ordonne que la suspension de 10 jours soit remplacée par une réprimande verbale.

B. Dommages

113 La fonctionnaire a demandé 100 000 $ en dommages en raison de la mauvaise foi de la défenderesse en lui imposant une mesure disciplinaire. Elle a invoqué la pièce G-22 à l’appui de l’affirmation selon laquelle Mme Shimbashi a été embarrassée de constater que des actes de violence ont été commis dans son lieu de travail, alors qu'elle était elle-même chargée d'administrer les dispositions sur la violence en milieu de travail du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail.

114 Un des précédents faisant autorité en matière d’application des dommages est Wallace. En fait, les dommages accordés sont parfois appelés « dommages Wallace ». (Voir, par exemple, le paragraphe 40 dans Tipple (2011)). Je souligne à présent que toute la jurisprudence portant sur les dommages à laquelle les deux avocats ont fait référence porte sur le licenciement.Je ne connais aucune jurisprudence dans laquelle des dommages sont accordés dans une affaire mettant en cause une suspension.

115 Je soupçonne qu’au moins un des motifs pour lesquels des dommages n’ont pas été accordés pour des suspensions est que les arbitres de grief sont habilités à modifier les suspensions si elles sont jugées trop sévères, comme je l'ai fait. Il n’y a pas de perte d’emploi dans les cas de suspension, et les fonctionnaires s'estimant lésés peuvent recouvrer une partie ou la totalité des sommes perdues si la sanction est modifiée. Ce n’est toutefois pas le cas pour les licenciements.

116 La défenderesse a soutenu avoir agi de bonne foi en se fondant sur les renseignements disponibles au moment où la mesure disciplinaire a été prise. En l’espèce, la question des dommages peut s’appliquer seulement s’il y avait une conduite distincte et juridiquement réparable, à l’exception de l’imposition de la mesure disciplinaire elle-même qui a causé de la souffrance morale et psychologique.

117 Je crois que cela correspond bien à l’énoncé du paragraphe 73 de Wallace. La fonctionnaire a fait valoir que l’imposition d’une suspension de 10 jours était indûment sévère et punitifs. Bien que j’aie concédé que la suspension était excessive, étant donné les faits dans cette affaire, cela ne peut se solder par des dommages, car il ne s'agit pas d'une conduite distincte et juridiquement réparable.

118 L’avocat de la fonctionnaire a argumenté en faveur des dommages pour mauvaise foi, car la défenderesse a agi de mauvaise foi tout au long des événements en cause. Je ne suis pas d'accord. Bien que je croie que la haute direction et les Relations de travail n’ont pas fait tout ce qu’elles auraient pu faire pour aider la fonctionnaire à gérer la situation dans son milieu de travail, ils sont loin d’avoir agi de mauvaise foi.Les éléments de preuve ont démontré qu’à tout le moins, la haute direction et les Relations de travail ont offert un soutien moral à la fonctionnaire, de même que des conseils écrits (voir, par exemple, les pièces G-23 et G-28).

119 Dans Honda Canada inc., aux paragraphes 59 et 60, la Cour suprême a écrit ce qui suit :

[59] Pour clarifier tout à fait ma pensée, je conclus cette analyse de la jurisprudence de notre Cour en affirmant qu’il n’y a aucune raison de continuer de faire une distinction entre les « dommages-intérêts majorés proprement dits » accordés sur le fondement d’une cause d’action distincte et les dommages-intérêts accordés pour le préjudice moral infligé par le comportement de l’employeur lors du congédiement. Le préjudice causé par les circonstances du congédiement est toujours indemnisable suivant le principe de l’arrêt Hadley […] Partant, lorsque l’employé peut prouver que les circonstances du congédiement lui ont infligé un préjudice moral que les parties avaient envisagé, l’indemnisation se fera non pas par l’allongement arbitraire du préavis, mais bien par l’octroi d’une somme dont le montant reflète le préjudice réel. À titre d’exemples de comportements qui infligent un préjudice indemnisable, mentionnons l’atteinte à la réputation de l’employé découlant de déclarations faites lors du congédiement, l’inexactitude du motif invoqué ou le dessein de priver l’employé d’un droit, notamment celui à des prestations de retraite ou à la titularisation […]

[…]

[60] Au vu de ce qui précède, la confusion entre les dommages-intérêts accordés pour les circonstances du congédiement et les dommages-intérêts punitifs n’a rien d’étonnant, les deux indemnités étant versées à cause du comportement de l’employeur lors du congédiement. […] La Cour doit éviter la double indemnisation ou la double sanction […]

120 En l’espèce, j’ai estimé excessive l’imposition d’une suspension de 10 jours, et je l'ai réduite à une réprimande verbale; ainsi, la somme perdue par l'imposition de la suspension a été restituée.

121 Des exemples de conduites qui pourraient donner lieu à des dommages, tels qu’ils sont cités dans Honda Canada inc., sont très éloignés, je crois, de ce qui existe dans notre cas. La réputation de la fonctionnaire n’a pas été attaquée; il n’y a pas eu non plus d’intention de priver la fonctionnaire d'une pension, par exemple. La direction a pris des mesures à l’égard de la conduite de la fonctionnaire, qui, au dire même de cette dernière, méritait une mesure disciplinaire. Le fait que la mesure disciplinaire imposée était excessive est compensé par la modification de la sanction. La modification a été faite.

122 Dans son grief, la fonctionnaire a déclaré que la défenderesse aurait dû savoir que l’imposition d’une mesure disciplinaire causerait à la fonctionnaire de la souffrance morale et une perte injuste de crédibilité professionnelle. L’avocat de la défenderesse a affirmé que la défenderesse n’avait aucun moyen de savoir que l’imposition d'une mesure disciplinaire à la fonctionnaire pourrait engendrer de la souffrance morale. Je suis d'accord. La défenderesse ne disposait d'aucun renseignement médical au sujet de la fonctionnaire lors de la rencontre disciplinaire et elle n'aurait pas pu deviner que l’imposition d’une mesure disciplinaire serait la cause d’une plus grande souffrance mentale. De plus, la façon dont la suspension a été imposée n'était pas dégradante, ni exagérée, comme l'était la situation dans la plupart de la jurisprudence étudiée. La fonctionnaire n’a pas établi en preuve que sa réaction était causée par la suspension.

123 En ce qui a trait à la déclaration selon laquelle la fonctionnaire avait le sentiment que le fait de lui imposer une mesure disciplinaire engendrait une perte injuste de crédibilité professionnelle, aucun élément de preuve n'appuie cette prétention. Même s’il y en avait, la modification de la sanction dans cette décision devrait suffire pour dédommager la fonctionnaire de toute perte qu’elle estime avoir subie.

124 La fonctionnaire a affirmé avoir souffert d’une incapacité au moment de l’incident de juillet 2011. Elle n’en a jamais fait mention dans les entrevues, comme le démontrent les notes de Mme Marcoux (pièce E-1, onglets 5 et 20). La seule lettre justifiant la déclaration de la fonctionnaire selon laquelle elle souffrait d'un problème de santé provient de sa psychologue, Dre Smyth, et est datée du 4 juin 2013, ce qui est tard après les faits.La défenderesse n’aurait pas pu avoir connaissance de l’incapacité de la fonctionnaire, puisque la fonctionnaire n'a jamais mentionné ce problème comme étant une circonstance atténuante.

125 À la lumière de ces faits, la demande de dommages pour mauvaise foi est rejetée.

126 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

127 L’aspect de ce grief portant sur la suspension de 10 jours est accueilli dans la mesure où la suspension est réduite à une réprimande verbale. L'employeur doit immédiatement dédommager Mme Gatien de toute perte subie à l’égard du salaire et des avantages sociaux.

128 L’aspect du grief traitant de la demande de dommages est rejeté.

Le 5 septembre 2013

Traduction de la CRTFP

Joseph W. Potter,
arbitre de grief

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