Décisions de la CRTESPF

Informations sur la décision

Résumé :

Le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que le refus de l’employeur de lui permettre de retourner au travail après son congé maladie était de nature disciplinaire - l’employeur a accueilli le grief en partie pour une portion de la période au cours de laquelle le fonctionnaire s’estimant lésé n’a pu retourner au travail - il lui a accordé un congé payé pour la période en question, mais il lui a avancé des crédits de congé de maladie pour couvrir la première partie de la période en cause au motif, a-t-il dit, qu’au cours de cette période, il ne possédait pas les renseignements nécessaires pour permettre au fonctionnaire s’estimant lésé de revenir au travail - l’employeur s’est opposé à la compétence d’un arbitre de grief de trancher le grief, car il avait allégué que ses actions étaient davantage administratives que disciplinaires et qu’aucune sanction pécuniaire, au sens où l’entend l’alinéa209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, n’avait été imposée au fonctionnaire s’estimant lésé - le fonctionnaire s’estimant lésé a allégué que la mesure prise était de nature disciplinaire et qu’elle avait été prise en réponse à une plainte qu’il avait déposée auprès de l’employeur en 2005 - le rapport d’enquête sur l’incident l’avait blanchi de tout acte répréhensible, mais peu de temps après qu’il eut été rendu public, le fonctionnaire s’estimant lésé a pris un congé de maladie de plus d’un an pour stress - le fonctionnaire s’estimant lésé a indiqué initialement qu’il ne souhaitait pas retourner au travail pour le même ministère mais, après réflexion, il a changé d’idée et indiqué qu’il y retournerait, compte tenu du fait qu’il s’attendait à ce que des mesures d’adaptation soient prises à son égard - un médecin du ministère de la Santé a jugé qu’il était apte à travailler, mais la question des mesures d’adaptation n’a pas été soulevée - l’employeur a demandé des détails supplémentaires avant de permettre au fonctionnaire s’estimant lésé de retourner au travail, ce qui a causé un retard qui a fait l’objet de l’arbitrage de grief - le fardeau de la preuve incombait au fonctionnaire s’estimant lésé - l’employeur avait agi raisonnablement lorsqu’il avait demandé des renseignements supplémentaires - aucune preuve n’est venue appuyer les allégations du fonctionnaire s’estimant lésé - compétence non assumée. Objection accueillie.

Contenu de la décision



Loi sur les relations de travail 
dans la fonction publique

Coat of Arms - Armoiries
  • Date:  2013-09-19
  • Dossier:  566-02-2985
  • Référence:  2013 CRTFP 114

Devant un arbitre de grief


ENTRE

LINH HO

fonctionnaire s'estimant lésé

et

ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL
(ministère de la Défense nationale)

défendeur

Répertorié
Ho c. Administrateur général (ministère de la Défense nationale)

Affaire concernant un grief individuel renvoyé à l’arbitrage

MOTIFS DE DÉCISION

Devant:
Linda Gobeil, arbitre de grief

Pour le fonctionnaire s'estimant lésé:
Lui-même

Pour le défendeur:
Pierre-Marc Champagne, avocat

Affaire entendue à Victoria (Colombie-Britannique),
le 16 juillet 2013.
(Traduction de la CRTFP)

I. Grief individuel renvoyé à l’arbitrage

1 Linh Ho, le fonctionnaire s’estimant lésé (le « fonctionnaire ») a déposé, le 17 mars 2008, un grief contre son employeur, le ministère de la Défense nationale (MDN, ou le « défendeur »). Dans son grief, M. Ho contestait la décision du défendeur de ne pas lui permettre de retourner au travail à la suite d’un congé de maladie avant le 31 mars 2008, bien qu’il ait été prêt à retourner au travail dès le 25 février 2008. Le fonctionnaire soutenait que la décision du défendeur était de nature disciplinaire. Le grief a été déposé en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (la « Loi »). Le grief de M. Ho se lit comme suit :

[Traduction]

Le 25 février 2008, l’employeur a été avisé par un médecin du ministère de la Santé que j’étais apte à retourner au travail. Or, en dépit de l’évaluation effectuée par son propre médecin, l’employeur a refusé de me permettre de retourner au travail.

Le 17 mars, on m’a avisé que mon retour au travail ne commencerait pas avant le 31 mars pour des raisons indépendantes de ma volonté.

En refusant de me permettre de retourner au travail en temps opportun, l’employeur m’a ainsi imposé une suspension sans solde, et ce, sans motif.

Je conteste donc cette décision au moyen de ce grief.

Je demande à être réintégré au travail à la date établie par le médecin en santé au travail comme étant la date à laquelle j’étais apte à retourner au travail; que mon salaire et mes avantages sociaux perdus à compter de cette date me soient restitués; que je sois indemnisé intégralement.

2 Le grief de M. Ho a été accueilli en partie par la direction dans le cadre de la procédure interne de règlement des griefs. Ainsi, le 16 juin 2009, au dernier palier de cette procédure, la directrice générale, Relations de travail et rémunération, écrivait ceci à cet égard :

[Traduction]

M. Ho,

La présente lettre constitue la réponse au dernier palier de la procédure de règlement des griefs à votre grief portant sur votre retour au travail. M. Harinder Mahil, de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, vous représentait à ce dernier palier.

J’ai minutieusement étudié les circonstances de votre grief, notamment les observations formulées par M. Mahil pour votre compte. Je conclus que, bien que vous ayez été déclaré apte à retourner au travail en date du 25 février 2008, la direction n’avait pas encore obtenu les restrictions se rapportant à votre retour au travail. Le 14 mars 2008, la direction a eu une rencontre avec le Dr Prendergast et a alors obtenu tous les renseignements requis pour faciliter votre retour au travail.

Il y a donc deux périodes à considérer. Je conclus qu’il est raisonnable de vous accorder une avance de congé de maladie payé pour la période du 25 février au 14 mars 2008, puisque la direction ne disposait pas encore de tous les renseignements nécessaires en vue de votre retour au travail.

En ce qui a trait à la période du 17 au 31 mars 2008, la direction avait alors en mains tous les renseignements pertinents en vue de votre retour au travail. Par conséquent, je vous accorde un congé payé supplémentaire, car vous ne devriez pas être pénalisé financièrement pour les délais survenus après cette période. Par conséquent, votre grief est accueilli en partie et les mesures correctives sont accordées dans la mesure décrite ci-dessus.

Une copie de la présente décision a été envoyée à votre représentant afin de l’informer de cette décision.

Pour le sous-ministre,

Monique Paquin
Directrice générale - Relations de travail et rémunération

3 Le 25 août 2011, le défendeur a écrit à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la « Commission »), afin de s’opposer à la compétence d’un arbitre de grief de trancher le grief, pour les motifs suivants : le fonctionnaire n’a pas subi une sanction pécuniaire visée par l’alinéa 209(1)b) de la Loi, et la mesure prise par le défendeur de lui accorder une avance de crédits de congé de maladie constituait une mesure administrative et non une mesure disciplinaire.

4 L’agent négociateur du fonctionnaire a répondu au nom de ce dernier le 14 novembre 2012 en réitérant la position selon laquelle la mesure prise par l’employeur constituait une mesure disciplinaire et en s’appuyant sur la jurisprudence afin d’étayer sa prétention qu’une audience devait avoir lieu afin de trancher l’affaire. Le 14 novembre 2012, l’agent négociateur a écrit de nouveau à la Commission, cette fois pour réfuter l’argument de l’employeur voulant que le fonctionnaire n’ait subi aucune perte. Il a alors indiqué qu’en raison du fait que l’employeur avait accordé une avance de crédits de congé de maladie au fonctionnaire à l’égard de la période de février à mars 2008, le fonctionnaire avait été obligé d’écouler des journées de ses congés annuels ou d’autres formes de congé lorsqu’il tombait malade.

5 Lors de la conférence préparatoire à l’audience tenue le 12 juin 2013, toutes les parties ont convenu que, étant donné la position du défendeur formulée au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, la seule période demeurant en litige était celle du 25 février 2008 au 14 mars 2008. Il a également alors été confirmé que la position du fonctionnaire était que les mesures prises par le défendeur de ne pas lui permettre de retourner au travail et de lui accorder plutôt une avance de congé de maladie payé relativement à cette période étaient de nature disciplinaire. Les deux parties ont alors convenu que le fardeau d’établir que les mesures prises par le défendeur étaient de nature disciplinaire incomberait au fonctionnaire.

6  Je me dois de souligner ici qu’il n’est dit nulle part dans la correspondance du fonctionnaire, que ce soit à la conférence préparatoire à l’audience ou à l’audience, que le grief était fondé sur une violation de la convention collective pertinente.

7 J’ai décidé de remettre à plus tard ma décision sur l’objection du défendeur et d’entendre la preuve.

II. Résumé de la preuve

8 M. Ho n’était plus représenté par son agent négociateur lors de l’audience. Il a témoigné et a déposé trois pièces justificatives en preuve. Le défendeur a fait entendre un témoin et a déposé sept pièces justificatives.

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

9 M. Ho a témoigné que depuis 2003, il travaille à titre d’analyste des systèmes informatiques au groupe et niveau CS‑03 à la base du MDN située à Esquimalt (« Esquimalt »), étant chargé des systèmes de données géographiques à cette base. À l’époque, 11 employés relevaient de lui.

10 Le fonctionnaire a expliqué qu’en 2005, une partie de son travail se rapportait à un contrat de gestion du temps. M. Ho a indiqué qu’à cette époque il avait relevé certaines incongruités au sujet de ce contrat. Il a précisé qu’il était préoccupé du fait qu’une tierce partie effectuait le travail que son groupe devait en principe effectuer, et que ses employés le contournaient et prenaient leurs instructions de cette tierce partie au lieu de les prendre de lui.

11 Le fonctionnaire a indiqué qu’il avait fait part de ses préoccupations au colonel Moore, qui lui a alors demandé de lui fournir des précisions au sujet de ses allégations. M. Ho a témoigné qu’il a alors préparé un dossier d’information à ce sujet et remis ce dossier au colonel Moore.

12 Le fonctionnaire a témoigné qu’après avoir pris connaissance de ce dossier, le capitaine Williamson a porté l’affaire à l’attention de la police militaire afin que celle-ci enquête à ce sujet. Le fonctionnaire a témoigné qu’on l’avait alors accusé d’avoir enfreint les directives en matière de protection des renseignements confidentiels et diverses autres directives sur les données électroniques et la sécurité. Le fonctionnaire a témoigné qu’il n’avait alors fait que porter ses préoccupations à l’attention de la direction. La police militaire a ouvert une enquête.

13 M. Ho a indiqué qu’à la fin de l’enquête, la police militaire avait produit un rapport d’enquête. Le fonctionnaire a précisé que, bien que le rapport l’ait blanchi, il y était cependant indiqué que la direction doutait de sa sincérité et que la direction n’avait plus confiance en lui. M. Ho a indiqué qu’il n’avait pas fait l’objet de mesures disciplinaires après la production de ce rapport, qui n’a d’ailleurs pas été produit en preuve.

14 M. Ho a témoigné que, peu après ces événements, il est devenu angoissé et a pris un congé de maladie en octobre 2006.

15 Il a ensuite témoigné au sujet d’une rencontre qui a eu lieu en janvier 2008 à laquelle assistaient lui-même ainsi que son délégué syndical, Stéphane Chevalier, en plus du commandant T.K. Robb et P. Rislahti, du service des ressources humaines du défendeur. M. Ho a affirmé qu’à cette occasion, il avait dit au défendeur qu’il ne voulait pas retourner travailler pour le compte du MDN, notamment à Esquimalt.

16 Cependant, le fonctionnaire a témoigné que, après réflexion, il était disposé au début du mois de février 2008 à retourner à son poste d’attache. Il a précisé que le 25 février 2008, après avoir été évalué par le Dr Prendergast, du ministère de la Santé, il avait été jugé apte à retourner au travail.

17 M. Ho a indiqué qu’il avait alors aussitôt informé Mme Rislahti qu’il souhaitait retourner au travail.

18 Le fonctionnaire a précisé que le Dr Prendergast avait procédé à une évaluation médicale le 22 février 2008, à la suite de laquelle il avait été jugé apte à réintégrer son poste d’attache, le 25 février 2008 (pièce E-4).

19 Le fonctionnaire a indiqué que le commandant Robb, son nouveau superviseur, n’était pas disposé à accepter les conclusions du rapport médical daté du 25 février 2008. Il lui a dit qu’il voulait obtenir des précisions au sujet de son aptitude à retourner au travail.

20 M. Ho a témoigné qu’on l’a alors informé qu’il ne pourrait retourner au travail que plus tard au cours du mois de mars 2008 en raison d’une réorganisation imminente, et qu’il vaudrait mieux qu’il ne revienne au travail que le 31 mars (pièce E‑7).

21 Le fonctionnaire a témoigné que la direction cherchait à le punir. Il sentait que la direction ne voulait pas qu’il retourne au travail à cause de ce qui s’était passé en 2005, lorsqu’il avait soulevé ce qu’il croyait être des incongruités dans le contrat de gestion du temps. M. Ho estimait qu’il faisait l’objet de mesures disciplinaires de la part du défendeur, en raison du refus de celui-ci de lui permettre de retourner au travail le 25 février 2008 à cause d’un autre grief qu’il avait déposé auparavant (lequel n’est pas visé par la présente décision).

22 Le fonctionnaire a indiqué que la même personne qui avait ordonné l’enquête de la police militaire, soit le capitaine Williamson, s’était également opposé à son retour au travail le 25 février 2008. M. Ho a alors réitéré qu’on avait refusé de lui permettre de retourner au travail le 25 février 2008, comme l’avait pourtant ordonné le Dr Prendergast, afin de lui imposer, ce faisant, une sanction disciplinaire.

23 Le fonctionnaire a indiqué qu’à la date de l’audience il occupait toujours le même poste à Esquimalt.

B. Pour le défendeur

24 Le commandant Robb a témoigné pour le compte du défendeur. Il a affirmé que d’avril 2005 jusqu’en 2008, il était commandant, officier du système d’information de la base, à Esquimalt.

25 Il a indiqué que vers le début de l’année 2008, il avait participé à une réunion à laquelle étaient également présents le fonctionnaire, son délégué syndical (M. Chevalier), le Dr Prendergast et Mme Rislahti. La rencontre avait pour objet de discuter d’une lettre que le Dr Prendergast avait envoyée en 2007, dans laquelle il était indiqué que le fonctionnaire, alors en congé de maladie de longue durée, ne retournerait pas au travail (pièce E-2). Le commandant Robb a indiqué que l’objet de la rencontre était aussi de fermer le dossier du fonctionnaire. Il a témoigné qu’il avait compris après la rencontre que le fonctionnaire avait clairement indiqué qu’il ne retournerait pas à Esquimalt.

26 Le commandant Robb a précisé que, peu après cette rencontre, le 5 février 2008, il avait reçu un courriel de M. Chevalier dans lequel il était indiqué qu’après réflexion, le fonctionnaire était disposé à retourner à son poste d’attache [traduction] « en gardant à l’esprit qu’il s’attend à bénéficier des mesures d’adaptation conformément » aux instructions formulées auparavant par le Dr Prendergast (pièce E-1). Le commandant Robb a souligné que cela représentait un virage à 180 degrés par rapport à la position du fonctionnaire formulée lors de la rencontre du début de l’année 2008.

27 Selon le témoignage du commandant Robb, il avait été surpris de recevoir ce courriel de M. Chevalier. Il voulait mieux saisir la nature de la mesure d’adaptation recommandée par le Dr Prendergast et évoquée par M. Chevalier dans son courriel du 5 février 2008, puisqu’il n’avait pas été question de quelque mesure d’adaptation lors de cette dernière rencontre. Le commandant Robb a réitéré qu’à cette dernière rencontre, le fonctionnaire avait clairement fait part de sa décision de ne pas retourner à Esquimalt. Il n’était aucunement question de mesure d’adaptation.

28 Le commandant Robb a également témoigné qu’il avait écrit au Dr Prendergast le 18 février 2008. Il lui a demandé de procéder à une autre évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire. Dans sa lettre, il lui a spécifiquement demandé de donner des précisons quant aux mesures d’adaptation qu’il y aurait lieu de prendre pour faciliter le retour au travail du fonctionnaire à Esquimalt (pièce E-3).

29 Le commandant Robb a témoigné que, le 25 février 2008, il avait reçu une lettre du Dr Prendergast à la suite de son autre évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire (pièce E‑4).

30 Le commandant Robb a affirmé que, bien que la lettre du 25 février 2008 ait indiqué que le fonctionnaire était apte au travail et qu’il pouvait retourner à son travail à son poste d’attache à Esquimalt, elle n’abordait pas la question précise des mesures d’adaptation requises, malgré le fait qu’il avait spécifiquement demandé des précisions à ce sujet.

31 Le commandant Robb a témoigné qu’il a alors demandé à rencontrer le Dr Prendergast. Cette rencontre a eu lieu au retour de vacances du Dr Prendergast, le 14 mars 2008.

32 Le commandant Robb a indiqué que le Dr Prendergast lui avait précisé lors de cette rencontre que [traduction] « prendre des mesures d’adaptation pour le fonctionnaire » signifiait qu’il fallait lui offrir un milieu structuré et un nouveau départ, et qu’il avait besoin d’un superviseur expérimenté pouvant communiquer convenablement avec lui et lui fournir du soutien (pièce E-6). Le commandant Robb a indiqué que, puisqu’il devait s’absenter sous peu pendant deux semaines, à son retour M. Ho devait se présenter à lui à son bureau, et qu’il était important que l’on procure au fonctionnaire l’environnement de travail décrit dans la lettre du Dr Prendergast. Le commandant Robb était d’avis qu’il était préférable que le fonctionnaire retourne alors au travail le 31 mars 2008, soit à son retour (pièce E‑7).

33 Le commandant Robb a indiqué qu’il n’avait jamais travaillé auparavant avec le fonctionnaire, qu’il ne le connaissait pas, et qu’il ne s’était jamais renseigné afin de savoir pourquoi M. Ho avait été en congé de maladie depuis octobre 2006. Le commandant Robb a précisé qu’il souhaitait construire une nouvelle organisation sur de nouvelles bases. Ce qui aurait pu se produire par le passé ne l’intéressait pas.

34 En contre-interrogatoire, le commandant Robb a affirmé qu’il ne se souvenait pas d’avoir rencontré le fonctionnaire lors de l’audience d’un grief portant sur une autre affaire. En réponse à la question de savoir pourquoi il avait mis deux semaines avant de passer saluer le fonctionnaire à son retour au travail le 31 mars 2008, le commandant Robb a expliqué qu’il était occupé et avait 228 autres employés sous sa responsabilité.

III. Résumé de l’argumentation

A. Pour le fonctionnaire s’estimant lésé

35 Le fonctionnaire a soutenu que la décision du défendeur de lui accorder une avance de congé de maladie pour la période du 25 février au 14 mars 2008 devrait être considérée comme étant une mesure disciplinaire déguisée.

36 Le fonctionnaire a notamment soutenu que s’il était effectivement rémunéré pour ces journées, il n’en devait pas moins acquérir ces journées de congé de maladie. Par conséquent, il se trouvait pénalisé.

37 Le fonctionnaire a fait valoir que, le 25 février 2008, le Dr Prendergast avait conclu qu’il était apte à retourner au travail, et que le défendeur avait été mis au courant de ce fait.

38 Pour le fonctionnaire, la prétention voulant que le défendeur ait besoin de plus de renseignements pour lui fournir des mesures d’adaptation n’était qu’un prétexte pour l’empêcher de retourner au travail.

39 Le fonctionnaire a en outre fait valoir qu’à son avis, la direction lui en voulait toujours pour ce qui était arrivé en 2005, lorsqu’il avait fait part de ses préoccupations au sujet du contrat de gestion du temps. Le fonctionnaire a insisté sur le fait qu’à l’époque on lui avait demandé de fournir des précisions, ce qu’il avait fait, et que la direction n’aurait pas dû le punir pour cela.

40 M. Ho a ajouté que le fait que le commandant Robb avait mis deux semaines avant de passer lui souhaiter la bienvenue dans sa nouvelle unité était également un autre signe du fait que la direction ne voulait pas qu’il revienne au travail. Le fonctionnaire a de plus fait valoir que l’affirmation du commandant Robb qu’il ne connaissait pas le fonctionnaire avant 2008 n’était pas crédible, car le commandant Robb avait déjà assisté à une autre audience de grief impliquant le fonctionnaire.

B. Pour le défendeur

41 Lors de l’audience, l’avocat du défendeur a réitéré son objection à la compétence, soutenant que la mesure prise par le défendeur d’accorder au fonctionnaire une avance de crédits de congé de maladie était purement administrative.

42 L’avocat du défendeur a fait valoir qu’aucune preuve ne permettait d’étayer la prétention du fonctionnaire selon laquelle la décision de la direction de ne pas lui permettre de retourner au travail pour la période du 25 février au 14 mars 2008 était de nature disciplinaire, ou visait à le punir pour ce qui s’était produit trois années auparavant.

43 L’avocat du défendeur a également soutenu que le fonctionnaire estimait que tout le monde était au courant de ce qui s’était produit en 2005 et qu’on avait décidé de le punir pour ces événements. Selon l’avocat du défendeur, la preuve montre que le commandant Robb devait être le nouveau superviseur de M. Ho. Ils avaient eu une rencontre en janvier avec plusieurs autres personnes. M. Ho avait clairement fait savoir qu’il ne voulait pas retourner travailler au MDN. L’avocat du défendeur a soutenu qu’il était tout à fait justifié de la part du commandant Robb, après avoir été mis au courant que le fonctionnaire avait changé d’idée et avait besoin de mesures d’adaptation, de prendre le temps qu’il fallait pour obtenir les informations pertinentes auprès du médecin au sujet des mesures d’adaptation requises dans les circonstances. Le fait que le médecin n’était pas immédiatement disponible et que le commandant Robb voulait être présent lorsque le fonctionnaire retournerait au travail afin de pouvoir fournir au fonctionnaire un milieu de travail structuré était tout à fait logique dans les circonstances.

44 L’avocat du défendeur a enfin soutenu qu’aucune preuve de mesure disciplinaire n’avait été établie dans le présent cas et qu’il incombait au fonctionnaire d’établir en preuve qu’il avait fait l’objet de mesures disciplinaires. Au soutien de son argumentation, l’avocat du défendeur m’a renvoyé à Tudor Price c. Administrateur général (ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57, et Synowski c. Administrateur général (ministère de la Santé), 2007 CRTFP 6.

IV. Motifs

45 La question que je dois trancher tout d’abord est de savoir si j’ai la compétence pour instruire le grief de M. Ho. Comme mentionné précédemment, les parties ont convenu que le fardeau d’établir que la décision du défendeur d’accorder une avance de crédits de congé de maladie au fonctionnaire, qui a ensuite été jugé apte au travail, était effectivement de nature disciplinaire. La période visée en l’espèce est celle du 25 février au 14 mars 2008.

46 Dans le présent cas, ma compétence est circonscrite par les dispositions de l’alinéa 209(1)b) de la Loi, lequel se lit comme suit :

209. 1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :

[…]

b) soit une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la rétrogradation, la suspension ou une sanction pécuniaire […]

47 À mon avis, le fait que l’on ait accordé au fonctionnaire une avance de congé de maladie a certes une incidence financière pour lui, en ce sens qu’il doit acquérir par la suite ces crédits de congé de maladie ou il devra les rembourser d’une manière ou d’une autre. Par contre, on peut s’interroger si on peut considérer une incidence financière comme correspondant à une sanction pécuniaire au sens de l’alinéa 209(1)b). Cependant, même si on estimait que cela correspondait à une sanction pécuniaire, il incombait encore au fonctionnaire d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les mesures prises par le défendeur à l’égard du fonctionnaire avaient été prises à des fins disciplinaires.

48 Dans le présent cas, le fonctionnaire a soutenu que le défendeur avait utilisé le fait de lui accorder une avance de crédits de congé de maladie pour l’empêcher de retourner plus rapidement au travail et ainsi le punir d’avoir fait état de ses préoccupations au sujet d’un contrat en 2005. M. Ho a insisté sur le fait qu’il avait été déclaré apte à retourner au travail à compter du 25 février 2008 et que la seule explication plausible de la décision du défendeur était que ce dernier ne voulait tout simplement pas qu’il revienne au travail et lui en voulait toujours au sujet d’une initiative qu’il avait prise en toute bonne foi près de trois années auparavant.

49 Après un examen attentif de tous les faits, et bien que je comprenne que les rapports entre le fonctionnaire et le défendeur demeurent difficiles près de cinq ans après le dépôt du présent grief, je ne peux conclure que les décisions du défendeur de ne pas permettre au fonctionnaire de retourner au travail le 25 février 2008 et de lui accorder une avance de crédits de congé de maladie pour les journées en cause étaient de nature disciplinaire.

50 Je me dois ici de signaler que, dans le présent cas, la caractérisation par l’employeur de ses actions comme étant purement administratives n’a aucune influence sur mon appréciation de cette situation. Dans un cas comme celui-ci, il faut aller au-delà de la caractérisation que l’une ou l’autre des parties attribue à une action; ainsi, il importe de cerner tous les faits entourant la situation avant d’en arriver à une conclusion à cet égard.

51 Dans le présent cas, les faits pertinents peuvent se résumer essentiellement comme suit. Après avoir soulevé auprès du défendeur ce qu’il considérait comme étant des incongruités dans l’exécution d’un contrat, le fonctionnaire s’est retrouvé l’objet d’une enquête pour avoir prétendument enfreint des directives en matière de protection des renseignements confidentiels et d’autres directives en matière de sécurité. Il n’a jamais été reconnu coupable ni fait l’objet de sanctions disciplinaires à cet égard; il a cependant pris un congé de maladie de longue durée. En janvier 2008, lors d’une rencontre avec son délégué syndical et le commandant Robb, le fonctionnaire a clairement fait savoir qu’il ne voulait pas revenir à Esquimalt ni même travailler au MDN. Je me dois de souligner que le fonctionnaire n’a pas contesté cette partie de la preuve. Quelques jours plus tard, soit le 5 février 2008, le fonctionnaire, par l’entremise de son délégué syndical, a fait savoir qu’il avait changé d’idée et qu’il était disposé à retourner au travail, mais uniquement s’il bénéficiait des mesures d’adaptation conformément aux directives formulées dans la lettre du Dr Prendergast.

52 Malheureusement, aucune des lettres précédentes du Dr Prendergast ne faisait mention de mesures d’adaptation. Dans les circonstances, et compte tenu du fait que le fonctionnaire avait quelques jours auparavant manifesté sa décision de ne pas retourner au travail et que le Dr Prendergast avait déclaré auparavant que le fonctionnaire était atteint d’une invalidité permanente (pièce E-2), je conclus qu’il était parfaitement compréhensible que le commandant Robb ait voulu obtenir un complément d’information et une nouvelle évaluation, et qu’il ait spécifiquement demandé quel genre de mesures d’adaptation devaient être mises en place (pièce E-3).

53 Il me paraît tout aussi compréhensible que le commandant Robb, après avoir reçu la deuxième évaluation de l’aptitude au travail du fonctionnaire (pièce E-4), ait encore estimé que la question des mesures d’adaptation demeurait non résolue et qu’il fallait en discuter avec le médecin.

54 L’explication du commandant Robb selon laquelle il devait attendre le retour de vacances du médecin avant de le rencontrer pour discuter des mesures d’adaptation envisagées dans les circonstances me paraît également raisonnable. De plus, je crois l’explication donnée par le commandant Robb lorsqu’il disait qu’il voulait être présent afin de faciliter le retour au travail du fonctionnaire, ce qui explique effectivement pourquoi la date du 31 mars 2008 avait été choisie pour le retour du fonctionnaire.

55 Le fonctionnaire m’a demandé de conclure que puisque la même personne qui avait demandé à la police militaire d’enquêter à son sujet en 2005 avait décidé qu’il ne retournerait au travail que le 31 mars 2008, cela démontrait l’établissement d’une certaine tendance et que la direction lui en voulait toujours. À mon avis, il n’y aucun élément de preuve permettant de conclure qu’il en est ainsi. Par ailleurs, je ne peux non plus conclure à l’existence de quelque intention d’imposer des mesures disciplinaires à partir du fait qu’il a fallu deux semaines après le retour au travail du fonctionnaire pour que son supérieur, le commandant Robb, lui souhaite la bienvenue. Bien que cela ait vraisemblablement pu amener M. Ho à conclure, étant donné sa situation, à l’existence de motifs disciplinaires, aucune preuve n’a été présentée pour étayer une telle conclusion. D’ailleurs, le fonctionnaire n’a même pas interrogé le commandant Robb à ce sujet, et l’allégation reste ce qu’elle est : une simple allégation.

56 Encore une fois, même si je comprends bien que toute cette affaire n’a pas été une expérience des plus agréables pour le fonctionnaire, la satisfaction du fardeau de la preuve exige davantage que de faire état de ses impressions ou de ses perceptions. Dans le présent cas, il n’y a pas de preuve corroborative au soutien de l’allégation du fonctionnaire voulant que la raison pour laquelle le défendeur ne souhaitait pas qu’il revienne au travail le 25 février 2008 soit de le punir. Par conséquent, je conclus que je n’ai pas la compétence pour instruire le grief.

57 L’objection de l’employeur est accueillie.

58 Pour ces motifs, je rends l’ordonnance qui suit :

V. Ordonnance

59 J’ordonne la fermeture du dossier.

Le 19 septembre 2013.

Traduction de la CRTFP

Linda Gobeil,
arbitre de grief

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